Ne sommes-nous pas une note en bas de page -3 pour la plupart de ceux qui nous entourent ? Pamela Sauvage, désincarnée 1
Qu’ emporterai-je avec moi ? Pamela Sauvage, par-devers soi, une autre fois (vers la fin) Qu’ adviendra-t-il des contenus dans un monde sans contenants ? Ainsi s’ interroge oralement, tandis qu’ une esthéticienne lui épile -2 les demi-jambes -1, la jeune Pamela Sauvage 0 2
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-3 Ceci est une note en bas de page. -2 Afin de convenir au goût dominant, les femmes s’ arrachaient (ou payaient pour se faire arracher) les poils des jambes, des aisselles et de la lèvre supérieure. -1 Il ne s’ agissait pas de jambes mutilées ; l’ expression désignait les mollets, quoique par ailleurs le mot mollet existât déjà.
0 Pamela Sauvage lit 1 chaque jour la rubrique nécrologique du journal 2 régional Au cas où la Terre quitterait son axe Au cas où un autre de son âge quitterait les lieux, 1 La plupart des gens savaient lire et, encouragés par les autorités, le faisaient au grand jour. 2 Il existait ce que l’ on appelait des supports physiques, éléments matériels sur lesquels des données pouvaient être stockées par des méthodes physiques. Ces documents avaient chacun leur mode d’ inscription, de conservation, de consultation et de diffusion. Le journal était un support physique spécifique destiné à diffuser quotidiennement des nouvelles du monde. Chaque journal avait un titre propre et employait des salariés dont le métier consistait à traiter l’ information brute en l’ analysant dans son contexte. Le journal que lit Pamela Sauvage a pour particularité de relayer les menues actualités de la région (la réfection d’ un collège peut y faire l’ objet d’ un article même s’ il s’ est déroulé sans incident – attentat ou incendie) en plus des actualités nationales et mondiales.
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un autre locataire de ce monde dont les nouveaux vivants sont les copropriétaires 3 Au cas où la mort frapperait juste à côté d’ elle – où il s’ avérerait que la mort est assise à sa table et hume les effluves de sa chicorée, penchée par-dessus son bras sur la rubrique nécrologique Au cas où elle y découvrirait son propre nom et tressaillirait, la main de la mort posée sur son épaule sans qu’ elle s’ en fût encore aperçue Et un jour se produit ce miracle ordinaire, par 3 De fait, nos trisaïeuls ont rasé le monde pour en faire un terrain constructible où bâtir du neuf selon des critères qui n’ existaient pas du temps de Pamela Sauvage. Si le nouvel urbanisme conçoit des sites aussi neutres et indifférenciés que possible, le parc des constructions humaines autrefois hétéroclite et visuellement chargé semblait dépourvu de plan global. L’ on employait le terme d’ architecture pour désigner la construction et l’ aménagement des édifices – qui subordonnait souvent l’ aspect fonctionnel à des considérations d’ ordre esthétique, car l’ architecture était considérée comme l’ un des arts. (Les arts regroupaient des formes d’ expression non pragmatiques dont le but était de questionner leurs propres rouages et finalités ; ils consistaient plus concrètement à la production d’ objets qui n’ avaient d’ autre fonction que de flatter les goûts de certains publics à des fins commerciales.)
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lequel advient ce que l’ on attend depuis toujours, et le nom de Pamela Sauvage à son tour est imprimé dans la rubrique nécrologique du journal L’ encre fraîche pas encore tout à fait bue par le papier poreux 4 s’ efface sous le doigt qui désigne le nom tandis que l’ on dit, Ça alors, Pamela Sauvage est décédée – Comme si la mort était une surprise constamment renouvelée, comme s’ il s’ agissait d’ une épidémie dont on espérerait chaque fois que sa dernière victime en date fût aussi sa dernière victime au monde, mais toujours elle revient et l’ on dit, Ça alors, Pamela Sauvage ! 5 Qui l’ eût cru ? Car on ne l’ imagine pas morte quand on la salue dans la rue, car on n’ imagine pas ceux que l’ on côtoie en proie à la rigidité cadavérique, privés de leurs systèmes sensoriels et de leurs processus cognitifs, on 4 Le papier journal était en effet un mélange de pâtes à papier d’ aspect opaque, granuleux et grisâtre, qui servait à de multiples autres usages dans les milieux populaires, notamment à emballer des objets fragiles, à nettoyer sommairement les surfaces vitrées ou encore à essuyer les parties intimes après l’ évacuation de déjections corporelles. 5 Ce signe s’ appelait point d’ exclamation et, de fait, mimait le cri (selon les contextes, cri de stupeur, de joie, de colère, d’ indignation, etc.)
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n’ imagine pas ce corps dont nous serrons la main ou frôlons les joues de nos joues avec un bruit de succion 6 se décomposer dans la terre 7 ou brûler dans un four La plupart du temps, on ne le fait pas La maison 8 de Pamela Sauvage donne à ceux qui la 6 Deux gestuelles longtemps et massivement employées dans certains pays pour saluer ses connaissances proches ou lointaines. Ce rituel n’ avait rien d’ universel et de nombreux pays le considéraient déjà comme contraire aux règles élémentaires de l’ hygiène. 7 Autre aberration en matière d’ hygiène publique, beaucoup plus répandue que la précédente. Pendant des siècles, l’ on a enterré les morts dans des lieux, dits cimetières, spécifiquement réservés à cette pratique. En France, l’ on habillait et maquillait le corps des défunts, puis on les étendait dans des coffres en bois fermés, dits cercueils, que l’ on descendait dans des trous creusés à une profondeur comprise entre un mètre cinquante et deux mètres quatre-vingts, qui étaient ensuite rebouchés. 8 Il existait des logements individuels semblables aux résidences aujourd’ hui réservées aux Grands Patrons. Le monde comptait alors sept milliards d’ habitants, pour presque dix-sept aujourd’ hui (certains États versaient des allocations aux familles afin d’ encourager la natalité), la densité de la population était encore très faible, de sorte qu’ il n’ était pas scandaleux de voir un couple se partager une maison de