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Île de l’ Atlantique Nord dont la capitale, Reykjavik, est située à environ trois heures de vol de Paris, l’ Islande est passée, en un peu plus d’ un siècle, d’ un système de production agropastoral placé sous régime d’ extorsion colonial à un système de production de type industriel principalement tourné vers l’ exploitation et la transformation de ses ressources maritimes ainsi que vers le grand commerce à la fin des années 1980 1.
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Ísland, terre de glace et de feu
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Le paysage islandais est singulier. Avec une superficie équivalant à environ un cinquième de celle de la France métropolitaine, 230 000 habitants au début des années 1980 et 320 000 habitants en 2010, le territoire de l’ Islande est principalement composé de vastes étendues désertiques. Montagnes, plateaux, volcans, champs de lave, lacs, rivières, fleuves et glaciers dessinent la physionomie du paysage des terres intérieures de l’ île 2, le pays étant essentiellement peuplé, aujourd’ hui, sur quelques îlots urbains d’ une frange côtière alternant reliefs de falaises, plages de cendres volcaniques, de plaines fourragères et de fjords. Une stagnation multiséculaire de sa démographie et un exode 1 Pierre Biays, L’ Islande, collection « Que sais-je ? » n°2083, PUF. 2 Les « Hautes terres centrales » (Miðhálendið en islandais).
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rural rapide ont engendré cette situation. Au début du XXe siècle, deux tiers des Islandais vivaient à la campagne. En 1940, un tiers de la population active de l’ Islande travaillait encore dans l’ agriculture. En 1990, ce pourcentage est tombé à 4 %, la population de la ville de Reykjavik passant de 38 000 habitants en 1940 à 97 000 habitants. Avec environ 200 000 résidents, l’ agglomération du Grand Reykjavik 3 rassemble actuellement près des deux tiers de la population islandaise 4. C’ est, comme son nom l’ indique, Island, une « terre de glace » 5 quoique son climat, influencé par le Gulf Stream, soit clément pour une latitude située juste en dessous du cercle polaire arctique, les températures oscillant sur ses côtes autour de 0 °C en hiver et de 12 °C en été. Un climat tempéré qui forme un contraste saisissant avec celui des hautes terres centrales à l’ aspect lunaire et au climat sibérien. L’ hiver islandais est caractérisé par des jours courts et des nuits longues illuminées d’ aurores boréales. Inversement, les jours durent presque continûment aux alentours du solstice d’ été. À cette période peuvent être observées nuits blanches et, à l’ extrémité Nord du pays, soleil de minuit. La végétation de l’ Islande, quand elle existe, évoque celle de la toundra. Les zones boisées sont peu étendues et peu nombreuses. La grande faune sauvage, à l’ exception des oiseaux
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3 La « Région capitale » (Höfuðborgarsvæðið). 4 L’ histoire démographique de l’ Islande est tourmentée. À la fin de la phase de colonisation de l’ île dans le mouvement d’ expansion viking, la population islandaise est estimée à 30 000 habitants et s’ élève à plus de 70 000 habitants à la fin du XIe siècle. Éruptions volcaniques, tremblements de terre, inondations, érosion liée à l’ élevage et à la surexploitation des zones boisées, épidémies et extorsion coloniale ont pesé d’ un poids violent sur cette population estimée à 40 000 âmes à la fin du XVIIIe siècle. C’ est seulement à partir du début du siècle suivant qu’ elle s’ engagera dans une phase de croissance continue : 47 000 (1805), 78 000 (1901), 121 000 (1941) et 177 000 (1960). (Cf. Renée Rochefort, « L’ Islande face à sa démographie », Revue de géographie de Lyon, volume 41, 1966.) 5 Ísland. Du substantif islandais ís (glace) et land (terre). Iceland en anglais.
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dont l’ emblématique macareux moine, est rare. Sur les zones exploitées, l’ agriculture islandaise est essentiellement tournée vers l’ élevage des moutons et des chevaux. Pâturages et champs à foins occupent les plaines des basses terres. Les aires cultivées ne représentent que 1,5 % de la superficie totale du pays. Émergeant de la dorsale médio-atlantique, l’ Islande est aussi une « terre de feu » caractérisée par une constante activité de ses volcans, comme l’ éruption de l’ Eyjafjöll en 2010 et celle du Grimsvötn en 2011 l’ ont récemment rappelé à l’ opinion publique internationale, par les désagréments que celles-ci ont causé au transport aérien transatlantique. Son sous-sol est vide de charbon et quasiment dépourvu de minerai. Si des opérations d’ exploration pétrolières ont été engagées dans la partie Nord-Est des eaux territoriales islandaises, le pays ne possède pas de pétrole. Cette situation rend l’ économie islandaise dépendante, de manière structurelle, de son commerce extérieur. L’ Islande importe les hydrocarbures, la plupart des produits finis et semi-finis ainsi que la majeure partie des biens d’ équipement qu’ elle consomme 6. Du fait de sa géologie et de son hydrographie, l’ île nordique possède la particularité de disposer d’ un accès facilité à d’ importantes ressources énergétiques renouvelables. Dans la première moitié des années 1980, 20 % de la consommation énergétique totale islandaise avait une origine hydroélectrique et 13 %, géothermique. Une proportion qui n’ a cessé de s’ accroître depuis l’ après Seconde guerre mondiale sous l’ impulsion d’ une politique volontariste des pouvoirs publics. En 2007, l’ énergie géothermique fournissait 66 % de l’ énergie primaire en Islande, la proportion d’ énergie hydraulique étant de 15 % et celle des combustibles fossiles, le pétrole principalement pour le transport, de 19 % 7. Sur cette base, une politique visant à favoriser l’ installation
6 Jacques Mer, Portrait de l’ Islande, La Documentation française, coll. « Études », 2004. 7 Jorunn Gran, « Renewable energy in Iceland », Nordic Energy Solutions, 2009.
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d’ usines de production d’ aluminium et de ferrosilicium – propriétés des groupes trans-nationaux Rio Tinto Alcan, Century Aluminium Company ou Alcoa -, industries hautement consommatrices en énergie attirées par le faible prix de l’ électricité offert par le monopole public, s’ est engagée à la fin des années 1960, faisant aujourd’ hui de l’ Islande le premier producteur mondial d’ aluminium par habitant 8. Sur cette base aussi, le développement de la géothermie pour le chauffage des habitations, des équipements collectifs dont de nombreuses piscines chauffées à ciel ouvert mais aussi des bassins piscicoles, des usines de séchage du poisson et des algues ainsi que des serres qui fournissent à l’ Islande, tomates, concombres, poivrons, fleurs et plantes ornementales. L’ Islande est enfin une « terre mer », la mer représentant pour les Islandais, selon une expression populaire, « la moitié de leur terre natale » 9. Avec des eaux territoriales extrêmement riches en ressources halieutiques, l’ Islande est en effet un pays traditionnellement tourné vers l’ océan. En 1990, les trois quarts de ses revenus à l’ exportation sont liés à l’ industrie de la pêche. Une proportion qui reste des deux tiers en 2010 10. Elle fut aussi, pendant plusieurs siècles, un port d’ attache pour les pêcheurs étrangers 11 parmi lesquels les fameux « Islandais » français dont les ports de l’ Est du pays notamment gardent l’ empreinte et la mémoire 12.
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8 « External trade of goods in 2009 », Statistics Iceland, 2010. 9 « Islande : développement économique et protection de l’ environnement, une symbiose réussie », Rapport de groupe interparlementaire d’ amitié n°73, Sénat, 2007. 10 « Ulla Agerskov Statistics Denemark », Nordic Statistical Yearbook, vol. 48, 2010. 11 Au début du XXe siècle, moins d’ un quart des captures pêchées dans les eaux islandaises l’ étaient par des pêcheurs autochtones (Cf. Louis Papy, La pêche en Islande, Annales de géographie, n°238, 1933). 12 C’ est en particulier le cas du port de Fáskrúðsfjörður dans les fjords de l’ Est dont les « Islandais », « Pêcheurs à Islande », venaient de Gravelines ou Dunkerque. Le Musée des Français en Islande de Fáskrúðsfjörður en conserve le souvenir. Les « Islandais » bretons ont plutôt fréquenté la côte Ouest.
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Globalement, depuis le décollage qu’ elle a connu au cours du XXe siècle en sortant d’ une situation de sous-développement lié à la fragilité d’ une économie rurale particulièrement exposée aux caprices climatiques et volcaniques de son environnement et de ses maîtres coloniaux 13, l’ Islande est devenue, sur l’ assise d’ une économie caractérisée, à partir des années trente, par l’ interventionnisme économique de son État, une réglementation poussée des prix et un protectionnisme rigoureux, un pays riche à dominante sociale pendant la période dite des « Trente glorieuses ». Dans les années 1980, les ménages islandais présentent un standard de vie, un dynamisme démographique et un niveau scolaire parmi les plus élevés du monde capitaliste « avancé ». Sa population est jeune. Le chômage est pratiquement nul. Son PNB par habitant est comparable à cette époque à celui de la France ou du Japon. Sa croissance est de 6,7 % en 1987. La forte spécialisation de son appareil productif l’ expose cependant périodiquement aux aléas du commerce international et, en particulier, aux mouvements du cours du pétrole. Si le fait est compensé par le développement de la géothermie et par la forte croissance des revenus de la pêche dans les années 1970 en liaison avec l’ extension des eaux territoriales islandaises 14, il s’ impose à la fin des années 1980. La baisse du dollar et du cours de l’ aluminium combinée à la baisse des prises entraînent l’ Islande dans la récession. Le premier processus de concentration capitaliste du secteur de
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13 L’ Islande s’ est définitivement émancipée de la tutelle coloniale du Danemark en 1944. 14 En 1971, le gouvernement islandais décide d’ étendre les eaux territoriales du pays, à partir du 1er septembre 1972, de 12 à 50 milles nautiques (92.6 km). En 1975, l’ Islande étend sa juridiction jusqu’ à la limite des 200 milles (370 km) conformément aux standards internationaux. Ces décisions engendrent un violent conflit opposant l’ Islande à la Grande-Bretagne et à la R.F.A. Des événements connus sous le nom de deuxième et troisième « Guerre de la morue » (Cod war).