alfons
Cervera « Dans un style bien à lui, entre prose et poésie, Alfons Cervera revient dans «Ces vies-là» sur la mort de sa mère et le mystérieux passé de son père. Mais de cette mémoire familiale, ce monument de la littérature espagnole exhume une mémoire plus collective, celle de son pays, de la Guerre civile espagnole et du Franquisme. » Christelle Dyon Métro (Bruxelles)
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Collection - La Sentinelle Ces vies-là de Alfons Cervera octobre 2011
Revue de presse 2012 Juin Tendances Côte d’Opale
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Revue de presse 2012 Avril La Feuille volante Hervé Gautier
octobre 2011
Le décès d’un parent est souvent l’occasion de relations longtemps cachées sur son parcours, sur sa vie. Chacun apporte son témoignage, on libre la parole, on fait valoir des convictions, on exhibe des preuves, des photos, des papiers, on pose des questions qui appellent des réponses, des commentaires parfois. Des légendes souvent patiemment tissées s’effondrent d’un coup et des affirmations trouvent soudain leur justification. Tous ces secrets de famille révélés en un jour écornent ou renforcent l’image du défunt. Quelques temps après la mort de sa mère, l’auteur qui est aussi le narrateur, participe un colloque Grenoble sur le thème «Témoins et témoignages, mémoire individuelle et collective». C’est pour lui l’occasion de revenir sur les dernier jours de cette femme dont une chute apparemment sans gravité avait é une tumeur qui allait l’emporter. Pendant un an et demi, elle avait subi patiemment soins et examens médicaux , comme si la mort, avec elle, avait pris son temps. Elle s’était accrochée la vie tout en appelant la mort de ses vœux. L’auteur se souvient des signes inquiétants survenus avant son décès, de cette longue agonie, de ses silences, de ces moments d’absences, de cette lente progression de la maladie, de la peur qu’on ne peut maîtriser, peur de l’inconnu, du moment fatal et incontournable, peur de souffrir, de mourir [pourtant il cite opportunément Thomas Berhnard « Je ne comprends pas la peur de la mort parce que mourir est aussi normal que manger «], peur de l’au-delà, du néant ou de l’inconnu, peur d’être enterrée vivante. La mort guette et elle est patiente. Bien entendu elle inaugurera une longue période d’oubli que ceux qui restent combattront avec leurs moyens. Cervera a choisi l’écriture pour exorciser la fois cet oubli et ce deuil. L’ouverture de cette succession révèle aussi des documents dont il n’avait jamais entendu parler, qui attendaient sans doute depuis des années et qui concernaient son père mort depuis 16 ans d’un infarctus. L’un disait qu’il avait t condamné à 12 ans de prison en 1940 et l’autre, de 1952, annulait cette condamnation et ce un an après la fin de la guerre civile espagnole qu’il avait faite dans le camp républicains ! Pourtant, il n’aurait jamais été emprisonné. Autour de cet événement, le mystère s’épaissit au cours du récit d’autant que la vieillesse et la maladie ont gommé la mémoire de ceux qui l’ont connu. Nous apprendrons plus tard que ce père a simplement été condamné sur dénonciation, après le conflit, pour avoir participé à l’attaque d’une maison où étaient conservées des reconnaissances de dettes de tout le village. Cette condamnation a été commuée en exil intérieur. Lui qui était boulanger au village de Los Yesares dut partir pour Valence où il se fit laitier. Cet
épisode familial est, pour Cervera, à travers le souvenir de son père, l’occasion de prendre son compte la mémoire des vaincus de cette guerre meurtrière qui ensanglanta le pays et engendra, même après la fin du conflit, haine, exil et assassinats sommaires. J’ai bien aimé ce texte écrit d’une manière nostalgique et mesurée, simple et parlant la fois[« Nous construisons nos vies sur l’échafaudage de nos souvenirs»], sans que je sache exactement si cette impression est due au style de l’auteur ou la qualité de la traduction.[ Sans vouloir faire offense aux auteurs en général, certaines traductions, tout en restant fidèles au texte original, sont de véritables recréations au cas particulier cela n’a d’ailleurs pas dû être très facile puisque j’ai noté au milieu du roman, une phrase sans ponctuation, qui fait un chapitre entier, court, certes, mais quand même !] Qu’importe d’ailleurs, lire est un plaisir chaque fois renouvelé surtout quand le texte sert si bien notre belle langue française. J’ai appris aussi, de la part de Cervera qui confesse ne jamais se séparer d’un cahier où il note tour ce que lui inspire l’instant, les aphorismes sur l”écriture « Écrire est un acte héroïque, un labeur impossible, une erreur, la seule écriture descente est celle du silence», «Lire est une autre forme d’écriture, une autre erreur». J’adhère assez cette analyse de l’écriture, ce qui est du domaine du non-dit et le sera toujours cause de l’impossibilité de s’exprimer ou par la non-volonté de le faire, à cause de motivations qui resteront à jamais secrètes parce que l’art de la parole écrite n’est pas forcement libératrice et ne doit en aucun cas être quelque chose qu’on fait pour plaire aux autres. Elle peut être un exorcisme mais elle reste toujours en retrait de ce qu’on voudrait dire et qu’on ne dira jamais, sans doute parce que la douleur qu’on porte en soi est trop forte et que tenter de l’exprimer est la fois désespéré et inutile. Pire peut-être ? Cet exercice est souvent un pauvre cautère et il est illusoire de penser que le lecteur puisse s’y retrouver ou s’y reconnaître. Il est quand même paradoxalement nécessaire parce qu’il est le vecteur de la mémoire. Alfons Cervera (dont il est déjà question dans le n° 564 de cette chronique) est un de ces écrivains du renouveau littéraire espagnol. Il a choisi de faire sien le combat contre l’oubli en portant la parole des vaincus de la Guerre civile, des bannis, des morts et de leur redonner une mémoire que la dictature franquiste avait si longtemps étouffée.Ce roman est le deuxième publié en français.
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LE COIN DES BLOGGEURS… Pourquoi pas ? Niurka Règle
Magnifique ce double regard sur la mort qui vient, qui fascine et qui angoisse d’autant plus qu’elle prend son temps. Double regard car la mère du narrateur sait qu’elle va advenir depuis le jour où elle a fait une chute, cela fait plus d’un an, maintenant. À la peur succède le désir d’en finir. Quant au fils qui observe la transformation du corps dans un douloureux face à face il a conscience qu’avec cette vie qui part, il y a des zones d’ombre dans la saga familiale. Trop tard pour interroger la mère murée dans le mutisme depuis leur déménagement qui les fit quitter Los Yesares pour Valencia lorsqu’il était enfant. Une serviette noire, cependant, dévoile un fait troublant : son père avait été condamné à douze ans de prison par un tribunal militaire en 1940. Rien n’a jamais été dit à ce sujet, sinon la réponse aux questions pressantes du fils à sa mère. Ton père n’a pas fait de prison répondait elle. Dès lors, par bribes, des images émergent et Alfons Cervera tente de reconstituer le puzzle de ces vies-là dans les temps troublés du franquisme et des vengeances des vainqueurs. Invité à un colloque sur le franquisme deux semaines après le décès de sa mère, Cervera déambule sur les pas de Stendhal, dans une Grenoble laiteuse et sous la pluie, à la recherche d’un temps perdu dont il veut relier les fils. Mémoire et oubli marquent le lien entre l’histoire personnelle et l’histoire collective occultée jusqu’à une période très récente. Et, c’est le fils qui rend hommage au père anarchiste, jeune à l’époque des faits, et aux combattants qui continuèrent à résister au risque de leur vie. Ce qui frappe dans cette fiction autobiographique, c’est la densité du récit. Chaque court chapitre est écrit d’un trait comme un souffle, une expiration. Il y a aussi dans le roman une géographie des êtres avec le va et vient des femmes autour de la mourante, à la manière d’un ballet annonciateur de la mort. C’est très beau, douloureux, lucide. Il faut également rendre hommage au traducteur dont l’écriture est à la hauteur du roman d’origine exercice difficile mais parfaitement abouti. J’avais aimé « Maquis » et « Ces vies-là » est un récit d’une même force ténébreuse. Très beau.
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Françoise Folliot 1/3
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par Françoise Folliot
Votre cycle romanesque sur la mémoire de la guerre civile espagnole et de l’après-guerre que vous entamez en 1995 avec El color del crepusculo marque une rupture avec vos précédents romans, rupture dans le corps des romans qui sont portés par le souffle de l’histoire et s’inscrivent dans la mémoire historique de cette période. Qu’est-ce qui a présidé à cette plongée dans l’histoire ? Je pense que la rupture ne fut pas si grande qu’on l’a dit. Dans mes romans antérieurs au Cycle de la mémoire, je privilégiais la forme par rapport à l’histoire que je racontais. J’étais plus intéressé par comment raconter une histoire que par l’histoire elle-même. Ce que je fais à partir de La Couleur du crépuscule, c’est m’intéresser plus à l’histoire, mais sans oublier de prêter attention à ce que je considère comme le plus important pour un écrivain : comment raconter ces histoires. Mais une sorte de miracle littéraire s’est produit. Alors que j’étais en train d’écrire ce roman, j’ai découvert qu’il y avait encore plus de territoires de la mémoire à explorer, que l’époque qui va de la seconde République à aujourd’hui est vaste et surtout très complexe, que nous avons la guerre civile, la dictature, la transition, les gouvernements successifs de droite qui refont le discours de la confrontation en se souvenant de la même guerre civile tant d’années après. Et c’est alors que j’ai envisagé la possibilité d’écrire une œuvre romanesque sur toute cette période si complexe, pleine de lumières et d’ombres : afin d’éclairer ces ombres et surtout afin d’apprendre moi-même beaucoup sur ce que j’ignorais de cette époque convulsive. Est-ce une forme de réhabilitation historique qui est à l’œuvre dans ces romans ? Cette transmission de la mémoire oblitérée pendant des années est-elle le fruit de recherches historiques ? Est-elle aussi un retour sur votre propre histoire familiale ? Il n’y pas de recherches historiques dans mes romans. Cela, c’est le travail des historiens. Ce qu’il y a par contre, c’est une revendication de la mémoire des
vaincus dans la guerre civile espagnole. Même si je pense qu’il y a aussi – à la fois – une tentative de réhabilitation de toutes les mémoires réduites à néant par les dictatures partout dans le monde. Par exemple : dans L’Ombre du ciel, les protagonistes de l’histoire sont un personnage argentin et la dictature qui détruisit ce pays de 1976 à 1983. L’oubli du passé n’est pas bon pour vivre le présent. Je crois, avec Faulkner, que le passé n’existe pas, car il est incarné de façon permanente dans le présent. C’est pourquoi l’écriture est aussi utile. À nommer ce que le pouvoir, n’importe quel pouvoir, transforme en innommable, à rendre visible ce que ce pouvoir transforme en invisible, à rendre à une époque d’ignominie un peu – au moins un peu – de dignité et de noblesse. Et cela, je tente de le faire à partir d’une écriture d’engagement avec ceux qui perdirent la voix sous les répressions violentes du régime franquiste. Et puis, bien sûr, il y a une enquête – quelquefois sans le vouloir directement – sur mon propre passé familial. Nous venons tous de quelque part. Et je viens d’une famille qui fit de la peur et du silence sa façon de vivre. Ils ne m’ont jamais rien raconté de cette répression familiale, de celle que mon propre père a subie alors qu’il venait à peine d’avoir vingt ans… Depuis quelques années, de nombreux romans traitent de la guerre civile espagnole. Qu’est-ce qui, à votre avis, a différé si longtemps ce travail romanesque sur cette période de l’histoire de l’Espagne ? Il est difficile de résumer en peu de lignes les motifs de cette lenteur à écrire sur la guerre civile et sur ce qui vint ensuite. Mais fondamentalement, cela renvoie à deux questions : durant la dictature, il était inimaginable qu’on permette d’enquêter sur – et encore moins de raconter – le passé républicain. Ensuite vint la transition, et en fonction des politiques officielles – de gauche et de droite – majoritaires, on ne pouvait pas non plus parler de ce passé-là, car en parler pouvait provoquer un retour aux affrontements de la guerre. Si j’avais à donner la date clé de l’impulsion
Fiction et mémoire, la guerre civile espagnole | p.8
Entretien avec Alfons Cervera
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que reçut en Espagne l’écriture mémorielle (de la mémoire), je donnerais 1996. C’est le moment où le Parti populaire de José Maria Aznar gagna les élections et commença à propager l’idée – comme on disait avant – de l’affrontement, de la confrontation entre une mémoire et une autre. Parce qu’il faut prendre en compte, pour comprendre ce que je dis, le fait que le Parti populaire comptait dans ses rangs la droite franquiste qui n’avait jamais renoncé aux idées du franquisme. À partir de cette date et de ces élections, se crée un bouillon de culture afin que tous – ceux qui gagnèrent et ceux qui perdirent la guerre – se mettent, que tous nous nous mettions, à raconter cette époque chacun selon son point de vue, bien sûr. Un seul de vos romans est traduit actuellement en français, c’est Maquis, à la Fosse aux ours. Il nous raconte la vie d’un village et de ses habitants. C’est pourtant le deuxième dans la continuité du cycle. Comment s’explique ce choix de l’éditeur ? Je ne connais pas en profondeur les raisons de cette décision. Je peux penser que l’éditeur considérait que la meilleure manière d’introduire mon œuvre littéraire en France, c’était avec le roman Maquis, peut-être à cause de la proximité avec certains épisodes semblables qui eurent lieu dans la France occupée par les nazis. La résistance antifasciste en Espagne et celle qui affronta dans une bonne partie de la France les nazis ont beaucoup de points en commun, jusqu’au point où de nombreux résistants aux nazis en France étaient espagnols. En tout cas, les cinq romans du cycle (et surtout la trilogie qui est la plus connue en France) peuvent se lire indépendamment les uns des autres. Entre tous ces romans, quel que soit l’ordre de lecture, on peut extraire une vision commune globale sur cette époque. Je crois que La Couleur du crépuscule sortira au début de l’année prochaine. Le texte qui sera édité en français – c’est en octobre de cette année –, Ces vies-là, a été finaliste pour le Premio Nacional de Narrativa cette année en Espagne.
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Dans Maquis, vous avez pris le parti d’un récit polyphonique, avec des retours, des accélérations du temps, des souvenirs directs ou restitués par d’autres. Était-ce la meilleure façon de rendre compte de la mémoire, dans sa complexité et sa circularité, sa réinterprétation perpétuelle ? En fait, je n’aime pas que dans mes romans, une seule voix soit là qui raconte tout. Ce serait comme appliquer une méthode dictatoriale à mes histoires. J’aime que les personnages interviennent en fonction de leurs propres critères, qu’ils aient une vie les uns à côté des autres, qu’ils parlent chacun pour leur compte, qu’ils offrent des versions différentes d’un même fait… C’est la même chose avec la structure. La mémoire n’est pas linéaire, aussi mes romans ne le sont pas non plus. Le temps s’arrête dans mes romans comme il s’arrête dans la vie quand un événement l’interrompt plus ou moins violemment. Comme le fit par exemple la guerre civile dans mon pays. Cela suppose aussi de donner au lecteur le rôle principal qui me paraît indispensable. Le lecteur de mes romans est en même temps leur propre écrivain. Il doit refaire l’histoire, ordonner les casse-tête de sa structure, réfléchir sur ce que disent les très nombreuses voix qui racontent l’histoire… Ce cycle a-t-il marqué pour vous une rupture dans votre travail d’écriture, dans vos choix ? Pas du tout. J’en ai parlé précédemment : ce que j’ai appris avec le Cycle de la mémoire, c’est à réunir au même niveau les préoccupations éthiques et esthétiques. Je ne crois pas à l’innocence de l’esthétique que certains défendent avec un cynisme et un nihilisme réactionnaire qui effraient. Tu es en un lieu de l’histoire ou en un autre. Mais ni l’innocence ni la neutralité ne sont valables. Il y a toujours une morale dans le style (que l’on demande à Flaubert !) et encore plus dans l’histoire que tu racontes et le choix des personnages.
Fiction et mémoire, la guerre civile espagnole | p.9
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octobre 2011
Dans Maquis, vous écrivez une très belle phrase : « Il lui a parlé de la mémoire, de ce que nous sommes et ne sommes pas si nous renonçons à laisser le meilleur de nous-mêmes à ceux qui viendront après nous. » Le travail sur l’histoire, même et surtout sur ses heures les plus noires permet-il à l’espoir de renaître ? Cet espoir ne m’abandonne jamais. Nous sommes ce que les suivants, ceux qui viendront après, se rappelleront de nous. C’est la raison pour laquelle nous devons vivre avec dignité, nous devons être aux côtés de la fragilité, exercer la générosité, être fidèles aux idées que nous léguèrent les personnes en qui nous avions confiance. Quand je ne peux plus, quand il y a quelque chose qui assombrit certains instants de ma vie, j’ai toujours recours à ce que d’autres m’enseignèrent, aux livres que d’autres écrivirent pour illuminer les zones obscures de la planète entière et aussi les propres zones d’ombre des lecteurs que nous sommes. Comment vos romans ont-ils été accueillis en Espagne ? J’ai toujours eu pas mal de chance sur ce point. La critique m’a traité avec une bonté infinie. De même les lecteurs. Écrire n’est rien s’il n’y a personne de l’autre côté de cette écriture, quelqu’un qui va te dire où tu as réussi et dans lesquelles de tes pages tu as commis des erreurs (et je ne parle pas d’erreurs grammaticales ni de fautes d’impression) que tu dois corriger si tu ne veux pas tomber dans la misère morale et littéraire. Écrire n’est rien s’il n’y a pas de l’autre côté quelqu’un qui t’interroge, qui devient ton interlocuteur. Et de ce point de vue, je dis que je suis un écrivain chanceux. Je déteste les fêtes littéraires, cette manie qu’il y a maintenant en Espagne d’être l’écrivain partout. Je vis à Gestalgar, mon petit village, éloigné de toute chose qui ne soit pas l’écriture et je partage mon temps avec mes amis de toujours, de ce temps où nous étions enfants et jouions dans les rues du village comme si au lieu de temps obscurs, nous vivions alors des temps d’une félicité infinie. Aussi c’est une grande satisfaction de voir comment mes romans sont reconnus par la critique spécialisée et le public. Comme par exemple, ce que je te racontais avant : que Ces vies-là ait été considéré comme le second meilleur roman de l’année 2009 en Espagne.
Y-a-t-il actuellement des écrivains espagnols dont les romans sur cette période vous ont touché particulièrement et si oui, voulez-vous les évoquer pour nous ? Les noms qui me viennent à l’esprit, sans plus de réflexion, sont des écrivains et mes grands amis : Julio Llamazares, Rafael Chirbes, Almudena Grandes, Isaac Rosa, Juan Eduardo Zúdiña, Carme Riera… Certainement j’oublie quelques noms. Entretien réalisé en mai 2011 à Grenoble
Alfons Cervera, Maquis, La Fosse aux ours, 2010 (traduit de l’espagnol par Georges Tyras) Maquis nous emmène dans un petit village de la région
de Valencia. Là, des hommes n’ont pas renoncé et ont pris le maquis après la victoire de Franco. La guardia civil mène la vie dure aux femmes et aux enfants restés en bas. La répression est féroce et le quotidien empreint de douleur nous est restitué par de multiples voix. Le temps fait des allers-retours, les choses cachées sont dévoilées. Par strates successives nourries par le regard de chacun apportant sa pierre à l’édification de l’histoire, la narration progresse au rythme de la souffrance et de la vie. Dans une langue inventive et sensible, proche de la terre et des corps, à l’écoute de la peine et des rêves, Alfons Cervera réinvente la mémoire des vaincus, laissant à tout jamais l’héritage d’hommes libres aux générations à venir. Un grand roman où la littérature, celle qui invente la langue et les formes, s’attache à rendre compte dans un même mouvement de l’histoire des hommes. Esas vidas est paru en octobre à La Contre Allée sous le titre Ces vies-là. El Color del crepusculo sera le prochain ouvrage du Cycle de la mémoire à paraître à La Fosse aux ours, éditeur de Maquis. Les deux romans sont, comme Maquis, traduits
par Georges Tyras, traducteur et ami d’Alfons Cervera. Un entretien avec Alfons Cervera est paru dans la revue Tête-à-tête n°1 « Résister », Le bord de l’eau, 2011.
Fiction et mémoire, la guerre civile espagnole | p.10
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Georges Tyas
octobre 2011
Alfons Cervera est journaliste, universitaire responsable du fórum de debates du service culture de l’université de Valencia, mais surtout écrivain, de langue castillane, car originaire de Gestalgar, petit village de la province valencienne situé en zone castillanophone. Ces contrées, aux limites des provinces de Valencia, Teruel et Cuenca, ont été la scène d’affrontements violents à l’époque du soulèvement franquiste. S’il est un poète reconnu (six recueils publiés) autant qu’un journaliste attendu, dont les chroniques de presse modèlent l’opinion, c’est comme romancier qu’Alfons Cervera s’est fait un nom, avec une série de textes publiés à partir de 1984, date de parution de son premier roman, Sur les vampires et autres histoires d’amour, jusqu’au milieu des années quatrevingt-dix. Les écrits de cette époque se caractérisent, de l’aveu de l’auteur, par une certaine prééminence expérimentaliste accordée à la recherche formelle, par une préoccupation esthétique centrée sur le langage. Au milieu des années quatre-vingt-dix, Alfons Cervera négocie un tournant à la fois éthique et esthétique crucial, dès lors que, incité par le regard de ses proches autant que par le besoin de récupération de la mémoire des vaincus qui travaille alors la société espagnole, il décide de consacrer son labeur d’écrivain à la mémoire de la guerre et de l’après-guerre civile espagnoles. Un cycle romanesque prend naissance, qui se compose à cette date de cinq livraisons : La Couleur du crépuscule (1995), Maquis (1997), La Nuit immobile (1999), L’Ombre du ciel (2002) et Cet hiver-là (2005). Ces romans, que la critique espagnole tient pour les plus achevés du paysage littéraire consacré à la mémoire des vaincus, conjuguent leurs effets pour reconstituer la vie du village natal de l’écrivain, transposé dans l’œuvre sous le nom de Los Yesares, à différents moments de l’époque contemporaine. Les procédures d’ancrage et le mécanisme du souvenir permettent d’embrasser une période comprise entre la guerre de Cuba (1898) et la transition démocratique (1975-1982), mais l’accent
est mis, comme l’indique le titre du deuxième texte, sur la phase de résistance armée au franquisme, entre la guerre civile et le début des années cinquante. Une époque marquée par la répression, la peur, la culpabilité, l’oubli… Ce que les récits s’attachent à faire revivre, ce sont les aléas grands et petits de la vie quotidienne – rencontres, amours, naissances, morts, luttes, souffrances, privations – qu’affrontent les habitants du village, dans un contexte de règlement unilatéral des comptes historiques. Le projet de l’écrivain est clair : « Je ne recherche pas la revanche mais la mémoire de faits qui jusqu’alors n’ont été racontés que dans la version unique et intéressée des vainqueurs de la guerre. » Chaque roman est un exercice de récupération de la mémoire confisquée en même temps qu’une variation formelle sur des modalités d’écriture aux frontières de l’oralité, susceptibles de prendre en compte ce que Marc Augé appelle « les formes de l’oubli ». La question que pose une entreprise de cette nature est donc celle des modalités d’écriture capables de représenter, voire de réhabiliter une réalité que masque le discours officiel, en la recouvrant des voiles épais de la propagande et du consensus. La réponse romanesque d’Alfons Cervera est faite de fragmentation, de discontinuité, de polyphonie, afin de montrer que le réel offre de multiples facettes, et que toutes les voix ont droit à la parole. Son écriture, aux confins parfois de la prose poétique, est tout simplement belle, et sert à merveille des histoires qui, par-delà des péripéties espagnoles, plongent au cœur des aspects essentiels de la condition humaine. De cette série de romans de la mémoire, seul Maquis avait paru en français (La fosse aux ours, 2010). Ces vies-là, publié à présent par les éditions La Contre Allée, vient inscrire magistralement les aléas d’une mémoire individuelle et intime, qui est celle de l’auteur, dans le contexte d’une mémoire collective et historique, que porte la société espagnole actuelle.
Fiction et mémoire, la guerre civile espagnole | p.7
Alfons Cervera
Georges Tyras
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9 j a n v i e r 2 0 1 2
octobre 2011
Le style Cervera
9 janvier Métro Bruxelles Christelle Dyon 1/2
IntervIew MInu
Poète, journaliste et romancier, Alphons Cervera est l’auteur de 25 livres, dont une quinzaine de romans publiés depuis 1984. Pourtant, ce n’est que tout récemment que les lecteurs francophones ont pu découvrir la traduction de deux de ses livres, «Maquis», paru en 2010, et «Ces vies-là», publié fin 2011. L’occasion pour lui de revenir sur son travail d’écriture autour de la guerre civile espagnole et du franquisme. L’autobiographie, c’est un genre à la mode… «Il semblerait qu’en Espagne, c’est un genre qui serait en pointe de devenir à la mode, oui. Ce que je crois, c’est que le genre que l’on pourrait appeler plutôt le genre de la filiation entre parents et enfants est un genre qui a toujours eu beaucoup d’importance en littérature, depuis la littérature classique. Ce qui explique peut-être qu’il se publie actuellement encore davantage de cette littérature de la filiation, c’est probablement que les générations elles-mêmes sont en train de changer. Les générations sont aussi affectées par la remise en cause un petit peu systématique de tous les pouvoirs et parmi ces pouvoirs, le pouvoir des parents, du père, de la mère sur les enfants. Cela explique aussi qu’une part importante de cette littérature de la filiation produite actuellement donne un point de vue qui est celui du conflit, non pas pour régler des comptes avec le père ou la mère, mais plutôt pour enquêter sur tout ce qui, dans le cadre de cette relation entre générations, nous a échappé, ce que l’on ne comprend pas.» Ce livre est un peu un pansement? «Ce roman raconte l’histoire de la mort de ma mère, mais je ne l’ai pas écrit pour qu’il me serve de thérapie face à la disparition, la douleur, le manque. Le défi était plutôt d’ordre littéraire, de savoir si je serais capable de mettre en mot, de structurer cette histoire pour en faire de la littérature. C’était la thérapie non pas du Cervera en tant que per-
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Traduire Ce
Alfons Cervera a en Georges Tyras parfait traducteu rendre en françai langage ciselé et acerbe.
Ph. D.R.
«Écrire sur la mémoire, c’est écrire sur la vie» sonne, mais du Cervera en tant qu’écrivain.» Le thème de la guerre civile revient dans beaucoup de vos livres, dont vos deux romans traduits en français. «C’est une question qui me préoccupe en effet, non seulement la guerre civile de 19361939 mais aussi la période franquiste. Et cela me préoccupe au double titre d’écrivain et de citoyen. En tant que citoyen, je suis d’avis que la guerre civile est une guerre qui s’est prolongée pendant bien des années, bien longtemps, y compris à l’heure actuelle, où l’on en trouve toujours des traces dans la société. Par exemple, aujourd’hui, il y a un débat sur ce qu’on va faire du monument où sont enterrés les restes de Franco. Mais c’est aussi une préoccupation que j’ai en tant qu’écrivain. Je crois qu’un des
rôles de l’écrivain est de parler de la vie. Et la guerre civile continue d’avoir un rôle important dans la vie des gens de mon pays. Pour moi, écrire sur la mémoire, c’est écrire sur la vie. Pas mal de gens pensent qu’écrire sur la mémoire, c’est écrire sur le passé, les morts. Moi, je pense au contraire que c’est écrire sur la vie, le présent. Comme le disait Faulkner, parler du passé, c’est parler du présent.» Et votre propre mort vous préoccupe? «On est tous préoccupé à un certain degré par la question de la mort puisqu’on ignore tous la date à laquelle celle-ci va survenir. Mais ce n’est pas un thème qui me préoccupe plus spécifiquement qu’autre chose. Penser à la mort, cela te paralyse.» Christelle Dyon
Les deux romans Cervera traduits en sont publiés par d sons d’éditions diff Georges Tyras: «La maison d’éditions, blié ‘Maquis’, va à publier cette par tante de l’œuvre d’A est constituée par ce pelle assez commun romans de la mémo mans de la mémoir ve, qui sont destiné rer cette mémoire des vaincus de la gu la mémoire républ roman-ci s’inscrit un petit peu différe que c’est une mé est plutôt individue si elle se greffe su moire collective. Do bien qu’il y ait un p tâches entre les deu qui sont finalement férents.»
Mais c’est le mêm teur! «Oui! Je tiens beauc le traducteur d’Al beaucoup travaillé textes avant de le et c’est un univers
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Dans un style bien à sie, Alfons Cervera r là» sur la mort de sa passé de son père. M familiale, ce monum espagnole exhume u lective, celle de son p espagnole et du fr passé et présent, le t d’une traite. C’est q heures, l’auteur ne s tion! Reste que la for breuses répétitions q interrogations de Cer le récit. Un auteur à
«Ces vies-là», d’Alfons 18,50 €
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Ces vies-là de Alfons Cervera
09
octobre 2011
IntervIew MInute
Traduire Cervera, un vrai défi ! Alfons Cervera a trouvé en Georges Tyras le parfait traducteur pour rendre en français son langage ciselé et parfois acerbe.
Ph. D.R.
a mémoire, sur la vie»
l’écrivain est de parvie. Et la guerre civile d’avoir un rôle imans la vie des gens de s. Pour moi, écrire sur ire, c’est écrire sur la mal de gens pensent sur la mémoire, c’est r le passé, les morts. ense au contraire que re sur la vie, le prémme le disait Faulker du passé, c’est parésent.»
propre mort vous pe? tous préoccupé à un egré par la question ort puisqu’on ignore ate à laquelle celle-ci nir. Mais ce n’est pas e qui me préoccupe cifiquement qu’autre nser à la mort, cela te » Christelle Dyon
Les deux romans d’Alfons Cervera traduits en français sont publiés par deux maisons d’éditions différentes. Georges Tyras: «La première maison d’éditions, qui a publié ‘Maquis’, va continuer à publier cette partie importante de l’œuvre d’Alfons qui est constituée par ce qu’on appelle assez communément des romans de la mémoire. Des romans de la mémoire collective, qui sont destinés à récupérer cette mémoire historique des vaincus de la guerre civile, la mémoire républicaine. Ce roman-ci s’inscrit de façon un petit peu différente, parce que c’est une mémoire qui est plutôt individuelle, même si elle se greffe sur une mémoire collective. Donc c’était bien qu’il y ait un partage des tâches entre les deux éditeurs qui sont finalement assez différents.» Mais c’est le même traducteur! «Oui! Je tiens beaucoup à être le traducteur d’Alfons. J’ai beaucoup travaillé sur ses textes avant de le traduire et c’est un univers littéraire
Ph. D.R.
dans lequel je me sens bien personnellement. Je suis vraiment au cœur de phénomènes d’écriture qui me parlent directement.» Ce n’est pas trop difficile à traduire un auteur qui utilise peu de ponctuation, avec un côté poète… «Pour être franc, c’est très difficile de traduire du Cervera! C’est beaucoup de travail parce que sa prose est effectivement complexe. Elle est très riche sur le plan lexical et très inventive sur le plan syntaxique. Et comme vous le dites, il y a des tournures qui relèvent parfois plus d’une écriture poétique que prosaïque. Il faut tenir plein de petits bouts de la pelote en même temps. Donc oui, il y a une certaine difficulté à traduire Alfons, mais c’est cela qui fait son charme!» n
en quelques lignes Dans un style bien à lui, entre prose et poésie, Alfons Cervera revient dans «Ces vieslà» sur la mort de sa mère et le mystérieux passé de son père. Mais de cette mémoire familiale, ce monument de la littérature espagnole exhume une mémoire plus collective, celle de son pays, de la guerre civile espagnole et du franquisme. Alternant passé et présent, le texte est écrit presque d’une traite. C’est que, poète aussi à ses heures, l’auteur ne semble pas grand fan de ponctuation! Reste que la forme est originale et, malgré les (trop) nombreuses répétitions qui semblent vouloir mettre en évidence les interrogations de Cervera, on se laisse facilement entraîner par le récit. Un auteur à découvrir donc... «Ces vies-là», d’Alfons Cervera, éditions La contre allée, 218 pages, 18,50 € nnnnn
9 janvier Métro Bruxelles Christelle Dyon 2/2
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7 novembre La dépêche du Midi
Tarn-et-Garonne
Montauban. Alfons Cervera et les affres de la dictature franquiste | à la librairie Deloche | Pour clôturer les 6e journées Manuel Azaña, l’écrivain Valencien Alfons Cervera est venu présenter et dédicacer ses deux romans consacrés à la mémoire de la guerre et de l’après-guerre civiles espagnoles. « La dictature interdit la mémoire, le souvenir. La mémoire historique de cette époque commence en 1931 et se termine en novembre 1982 ». Ce traumatisme touche toute l’Europe et les enjeux mémoriels demeurent. Pour tous les pays la mémoire de cette période est souvent inconfortable. Les deux romans « Maquis » et « Ces vies-là » d’Alfons Cervera présentés à la Librairie Deloche reconstituent l’histoire du village natal de l’auteur, Gestalgar, théâtre d’affrontements violents pendant et après la fin de la guerre civile. Il y parle de la résistance armée oubliée, de l’image
de la résistance pervertie par le franquisme qui l’associait à la délinquance. Une famille grandement éprouvée Quand un résistant était abattu les journaux titraient : « Mort d’un bandit », Alfons Cervera réhabilite leur histoire, leur mémoire et leur morale. « Ces vies-là » sont un roman plus personnel qui raconte la mort de sa mère, la condamnation de son père à 12 ans de prison commuée en 12 ans d’assignation à résidence dans son village, et les secrets de famille liés à l’histoire. Silence, peur, souffrance sont les maîtres mots du franquisme, Alfons Cervera redonne la parole aux vaincus.
18 novembre Sud Ouest Philippe Ménard L’âge d’or espagnol Le regard du traducteur et du professeur universitaire Georges Tyras sur le pays à l’honneur. Professeur de littérature espagnole contemporaine à l’université de Grenoble, Georges Tyras retrouve à Cognac Alfons Cervera, dont il a traduit « Ces vies-là ». Il est bien placé pour témoigner de la richesse du pays qui se donne à découvrir ce week-end grâce à Littératures européennes. « Sud Ouest ». Quelle est la vitalité de la littérature espagnole ? Georges Tyras. Ma réponse est catégorique : c’est une espèce d’âge d’or que l’on est en train de vivre. Il y a eu un renouvellement presque obligé du paysage artistique depuis la mort de Franco. Cela ne fait qu’embellir. Il y a une production littéraire vraiment remarquable, en particulier dans le domaine narratif, mais aussi au niveau du théâtre. Des grands noms comme Valquez Montalban, Mendoza, Marsé, Javier Marias, Munoz Molina servent de locomotives à toute une production moins spectaculaire. Des jeunes écrivains émergent, comme Ricardo Mendez Salmon, qui est présent à Cognac. Alfons Cervera est encore méconnu en France, mais il fait référence en Espagne. C’est le meilleur écrivain de la mémoire actuellement en Espagne. Dans son cas, la traduction est tardive. Le premier roman traduit en français a été « Maquis », en 2010, qui évoque une histoire oubliée, la résistance à Franco qui a duré jusqu’en 1950. Alfons Cervera a longtemps fait partie d’une forêt bouillonnante d’auteurs qui ne parviennent pas à se faire voir. Une fois le phénomène enclenché, sauf déception, ça fonctionne. Les premiers retours sont très positifs. Il fait l’objet d’une grande curiosité, des invitations viennent de partout, peut-être en raison de son travail de journaliste et de ses prises de position politiques. Son dernier livre, « L’Affaire Gürtel », est un pamphlet virulent contre la cor-
ruption politique dans la ville de Valence. Dans « Ces vies-là », il creuse une veine intime en racontant la mort de sa mère. N’y a-t-il pas le risque d’un nombrilisme que l’on retrouve beaucoup en France ? Alfons écrit sur la mémoire collective. Il s’intéresse à la mémoire des « vaincus », qui avait été confisquée par le franquisme. Ce livre est un prolongement naturel. La collectivité est composée d’individus. Le portrait de sa mère donne l’occasion de découvrir un secret de famille, l’arrestation de son père en 1940. Il a passé douze ans en prison. Cela renvoie à l’histoire collective. Il faut aussi souligner une dimension éthique et esthétique très forte. Pour moi, Alfons est au sommet de son écriture. Il écrit en langue castillane. Le choix de la langue modèle-t-il des littératures différentes ? Il n’est pas simple de répondre. Les auteurs catalans que je connais sont tous bilingues. Choisir d’écrire en catalan peut être considéré comme un acte militant, qui s’assortit du fait que l’on s’adresse à un public plus limité, puisqu’il y a six millions d’habitants en Espagne qui parlent catalan. La plupart sont traduits en castillan. Du point de vue littéraire, je ne pense pas que cela fasse une différence fondamentale. Comment voyez-vous les échanges entre les deux pays ? Dans le sens de l’Espagne vers la France, cela marche bien. Il est rare qu’un auteur intéressant échappe totalement. Il y a beaucoup de petits éditeurs qui prennent le risque de traduire des textes. Il y a aussi une volonté politique en France, avec des soutiens comme le Centre national du livre. Dans notre pays, la lecture fonctionne bien. Ce n’est pas le cas en Espagne, qui est très en retard. Elle n’est pas guérie de l’obscurantisme intellectuel de la période franquiste. Et puis la situation économique n’est pas florissante. Un livre, cela coûte entre 16 et 22 €, c’est une jolie somme…
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| Alfons Cervera et la mémoire collective | Début mars 2008. L’écrivain espagnol Alfons Cervera séjourne à Grenoble. Il y est invité à participer au colloque « Témoins et témoignages, mémoire individuelle et collective », organisé à l’université Stendhal. Il emporte avec lui la mort de sa mère, survenue deux semaines plus tôt à Los Yesares, après une lente déperdition qui dura dix-huit mois et qui eut pour point de départ une simple chute dans les escaliers. Dès ce jour, elle prit peur, devint peu à peu immobile, attendant la mort tout en la craignant et laissant le passé en suspens. C’est celui-ci que l’écrivain va devoir sonder. Une découverte inattendue le pousse en effet à remonter le cours de sa propre histoire en sachant que celle qui pourrait l’aider dans sa quête a décidé de commencer à mourir. « Dans la serviette noire, tu trouveras les papiers de la maison, avait-elle dit avec une absolue tranquillité, sans que rien ne laisse pressentir qu’elle dévoilait ce faisant quelque secret. Je pense maintenant qu’elle avait oublié ce qu’elle conservait avec soin dans cette serviette de cuir, tant d’années cachée au fond de l’armoire qui occupait presque tout l’espace de sa chambre. » C’est en consultant ces documents tenus secrets qu’il va apprendre que son père (décédé, lui, de façon brutale : arrêt cardiaque) a été condamné à douze ans de prison par un tribunal militaire en 1940. Dès lors, des scènes d’enfance vont revenir, faisant surgir des questions jamais posées. Pourquoi la famille a-t-elle dû quitter Los Yesares pour Valencia et ne revenir que bien plus tard ? Pourquoi le père a-t-il dû abandonner son métier de boulanger pour devenir laitier ? Ces interrogations s’inscrivent dans le récit, entre l’image encore récente de la mère immobile et les promenades dans les rues de Grenoble, sur les pas et dans l’ombre de Stendhal... « La tristesse est plus grande le dimanche, écrivait Stendhal dans La Chartreuse de Parme. Cela fait deux dimanches que ma mère est morte, dans la nuit. Quelques semaines auparavant, je lui avais demandé pourquoi personne ne m’avait parlé de
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l’existence de ces papiers sur la condamnation de mon père. » Fouillant l’histoire familiale, c’est bien la mémoire collective, celle évoquée en préambule au colloque auquel il participe, celle aussi (et surtout) de l’Espagne franquiste, que Alfons Cervera fait peu à peu remonter à la surface. Il la découvre par bribes. Consulte les archives. Rencontre les derniers survivants, réussit à retrouver les traces d’un événement crucial qui, survenu en juillet 1936, met en lumière ce que son entourage taisait. « Les feuillets s’accumulent sur la table. Le temps qu’il faut. Le procès militaire contre mon père et six de ses compagnons anarchistes et communistes. Progreso Vicente fut fusillé et les autres condamnés à des peines de prison. Le langage de la rage dans les feuillets qui relatent les évènements. La grammaire cruelle d’une victoire qui condamne à mort la défaite. Nombreuses sont les formes de la mort après avoir perdu une guerre. Mon père l’a perdue bien des fois. Et ses six compagnons aussi. » L’écriture de Cervera (dont voici, après Maquis paru en 2010 à La Fosse aux ours, le deuxième livre traduit en France) est dense et percutante. Il a beau écrire à partir d’un lieu donné (Grenoble) sans que ne semble bouger, du début à la fin du livre, le temps (deux semaines) qui s’est écoulé depuis la mort de sa mère, il fait en sorte que trois périodes différentes mais complémentaires de son histoire (l’une dédiée au père, une autre à la lente agonie de la mère et la dernière à son présent de fils et d’écrivain) puissent s’imbriquer, se superposer et avancer dans un même mouvement. Sans cesse, il interroge les mémoires et leurs liens étroits avec l’imaginaire collectif. Il sait que la vie, l’après vie et l’écriture ne peuvent jamais prendre racines dans l’oubli. « Être oublié est une façon de mourir. L’histoire qui se construit sur les fondations de la peur reste silencieuse. C’est pourquoi ma mère restait silencieuse quand je lui demandais pourquoi jamais personne ne m’avait raconté l’histoire de cette nuit tout juste découverte soixante-dix ans plus tard au moins. Ce que l’on ne nomme pas n’a pas d’existence. »
29 octobre Remue.net
Jacques Josse
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Printemps Tête-à-tête
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Anne-Laure Bonvalot,
octobre 2011
L’AutEuR
ALfOnS CERvERA OffRE CE SEmEStRE un EntREtIEn DE gRAnDE quALIté DAnS LA REvuE têtE-à-têtE
– Alfons Cervera n’ usurpe pas la voix des bannis ; il porte leurs paroles, leurs douleurs, leur engagement (…) la mémoire est rendue au peuple des sans-nom. Jean Ortiz - l’ Humanité Alfons CerverA est journaliste, universitaire responsable du Fórum de debates à l’ université de Valencia, mais surtout écrivain, de langue castillane. Poète reconnu autant que journaliste attendu – ses chroniques de presse modèlent l’ opinion – c’ est surtout comme romancier qu’ il s’ est fait un nom, avec une première série de textes publiés à partir de 1984 et, en particulier : son cycle romanesque que la critique espagnole tient pour les plus achevés du paysage littéraire consacré à la mémoire des vaincus. Un premier ouvrage, Maquis, a été traduit en français par Georges Tyras pour les éditions La Fosse aux Ours en 2010. C’ est en bonne entente que La Contre Allée et La Fosse aux Ours mènent ce travail de traduction de l’ œuvre de l’ auteur.
Anne-Laure Bonvalot, doctorante en littérature espagnole, l’ invite à revenir sur sa conception de la résistance, de la « résistance éditoriale » à la « dissidence » comprise comme « écriture du dissensus » en opposition à l’ « écriture du consensus », qu’ il juge insatisfaisante, limitée et unilatérale. Dès l’ éditorial de la revue qui inaugure ici son premier numéro, Anna Guilló, directrice de la rédaction, nous souligne cette conception radicalement dynamique d’ une résistance qui emprunte les contre-allées : « Il y a dans le fait de résister une forme d’ immobilité impliquant la force décuplée de quelque chose qui ne cède pas. Si l’ écrivain valencien Alfons Cervera s’ oppose à cette conception passive de la résistance, il n’ en dénonce pas moins radicalement l’ écriture consensuelle issue de la Transition espagnole et que seuls quelques rares auteurs dissidents semblent vouloir éviter à tout prix. » Un entretien rare et vivifiant de cet auteur encore méconnu en France, et dont l’ écriture est pourtant « considérée comme l’ une des plus riches et inventives de l’ Espagne d’ aujourd’ hui » (Préface de Maquis). Nous vous en livrons un extrait pour faire connaissance avec l’auteur, et vous invitons à vous reporter à la revue Tête-à-tête pour accéder à cet entretien dans son intégralité. http://www.revue-tete-a-tete.org/
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eXTrAiT De L’ enTreTien
Écrivain prolixe et engagé, Alfons Cervera a publié de nombreux poèmes, essais, articles et romans. Figure emblématique d’ une écriture mémorielle dissidente, il tente de définir, l’ espace de cette rencontre, les modalités et les enjeux de sa résistance éthique et esthétique dans le contexte de l’ Espagne contemporaine et des discours culturels et politiques qui la traversent. Nous l’ avons rencontré dans son bureau de l’ université de Valence le 3 janvier 2011.
La résistance comme attitude face au spectacle Anne-Laure bonvalot ( tête-à-tête ) : Comme le souligne foucault dans Sécurité, territoire, population, la résistance est d’ abord une conduite, une attitude, dans votre cas un positionnement en retrait par rapport au cirque médiatique et éditorial, et à la critique institutionnelle, malgré la considération que celle-ci n’ a de cesse de vous porter. Comment expliquez-vous ce choix obstiné de la distance ? Est-ce que la reconnaissance de la part de cet appareil de légitimation n’ entame pas la qualité résistante de votre posture –et ce malgré le recul dans lequel vous vous tenez ? Alfons Cervera : […] Je me trouvais alors devant un paradoxe : j’ écrivais des romans que tout le monde encensait – je parle de l’ univers de la critique − et que cependant mes meilleurs amis et ma propre famille n’ avaient pas lus parce qu’ ils n’ y comprenaient rien. J’ ai donc décidé un jour d’ écrire une histoire qu’ ils pourraient comprendre, qui nous unirait par delà toute culture, au sein de quelque chose qu’ on ne
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peut pas remettre en question, à savoir notre vie en commun […] C’ est de là que vient El color del crepúsculo3, qui est le premier roman dans lequel je commence à évoquer ce qu’ on appelle à tort en Espagne la « mémoire historique », sans savoir alors que viendraient ensuite quatre autres romans sur cette même période de l’ histoire. Voilà ce qui constituerait pour moi un acte de résistance littéraire à proprement parler : écrire des histoires qui n’ ont pas grand chose à voir avec la mode, parce que ce qui est aujourd’ hui une mode ne l’ était absolument pas en 1993.
Résistance, diffraction, polyphonie tàt : La résistance est très présente dans votre oeuvre au niveau thématique, notamment au travers de la figure des maquisards. Au-delà de ce motif récurrent, aux niveaux formel et symbolique, le faisceau des discours de la mémoire diffractée permet de reproduire les voix d’ une Espagne bâillonnée par les vainqueurs. Cette polyphonie qui résiste à l’ univoque naît d’ une poétique dialogique, qui entend ouvrir des brèches dans la dangereuse compacité du discours mémoriel dominant. Comment s’ articulent cette résistance politique et la démultiplication romanesque des voix de la mémoire ? Le dialogisme du roman est-il à même de s’ étendre à la démocratie brisée, d’ y rétablir, par un effet d’ heureuse contagion, le débat salutaire que vous venez d’ évoquer ?
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Anne-Laure Bonvalot,
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eXTrAiT De L’ enTreTien
AC : […] Ce que je ne voulais absolument pas faire, c’ était construire une histoire à partir d’ un point de vue unique, parce qu’ en plus d’ être manichéen, cela aurait été totalement absurde. D’ autre part, cela aurait constitué une lecture intéressée, une écriture intéressée ; et puis je considérais qu’ une histoire collective avait besoin d’ un narrateur collectif. Pour le construire, l’ important est que chaque voix soit autonome par rapport à celle qui la précède et à celle qui la suit, à tel point qu’ une même histoire soit racontée de différentes manières par différents personnages. J’ avais à coeur de montrer le contraste existant entre différents points de vue, entre différentes expériences, entre différentes mémoires. […]
Une résistance linguistique : décoloniser l’ imaginaire. tàt : Depuis le milieu des années 1990, on assiste en Espagne à un retour des vieilles nomenclatures, à un regain de vigueur de la rhétorique réactionnaire de l’ apaisement, de l’ oubli – parallèlement à l’ inflation mémorielle que nous avons évoquée auparavant. Dans quelle mesure l’ écriture peut-elle résister à cette fabrique normative institutionnalisée, qui conduit à banaliser l’ insupportable ? Comment faire ( ré )entendre la charge sémantique que certains mots, réenveloppés dans la langue émotionnelle, pâtheuse, du discours officiel, semblent avoir perdue ? AC : […] La problématique du langage fait partie intégrante de la question du consensus. Le consensus dévoie, le consensus est par
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à tâcher de prendre position à travers l’ écriture contre cette façon de voir qu’ on essaie de nous imposer. Malheureusement, je crois que ne sommes vraiment pas beaucoup. Je dirais même que nous sommes extrêmement peu…
Perspectives : vers une résistance collective ? tàt : D’ après vous, peut-on parler d’ un renouveau des poétiques de la résistance, d’ un axe de la contestation du consensus qui se met en place par et dans la littérature espagnole, grâce à des auteurs comme vous, belén gopegui ou Isaac Rosa ? Pensez-vous que l’ on assiste à un véritable retour en force de la littérature engagée, ou ne s’ agit-il selon vous que d’ un effet de mode ? AC : […] Je crois donc qu’ en ce moment en Espagne, on ne peut pas être plus optimiste que cela : l’ écriture du conflit, ou plutôt l’ écriture qui jaillit du conflit, ne jouit pas de la même reconnaissance que l’ écriture de l’ apaisement. Voilà d’ ailleurs un autre mot très important, le conflit. Quand on me demande, à propos de mon dernier roman − un roman terrible qui évoque la mort de ma mère, de l’ année et demie que j’ ai vécue à ses côtés au village −, comment est-ce que j’ ai pu écrire des choses si dures, je réponds que je ne voulais pas raconter une histoire dégoulinante de compassion, il ne s’ agit pas de l’ histoire du fils modèle et de la mère parfaite.
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définition truqué. Il ne ment pas seulement à propos du passé, mais fait du langage dans lequel on explique ce passé un langage biaisé. Des mots fondamentaux perdent alors le sens qui était le leur, et en acquièrent un autre. Ce que certains d’ entre nous essayons justement de faire, c’ est de récupérer le sens de la dignité que les mots ont perdu. J’ entends d’ abord par « mots » le langage courant à travers lequel on explique l’ histoire récente de ce pays. Briser individuellement ou collectivement ce langage, ces mots, revient à rompre narrativement la figure du consensus. Au regard de l’ esprit d’ apaisement hérité de la Transition […] Je me sens très proche d’ écrivains comme Isaac Rosa, Belén Gopegui ou Rafael Chirbes, et pourtant nos langages sont radicalement différents. Cependant, nous avons un univers commun : bien que dans ses derniers romans, Rafael aborde davantage le monde actuel que celui de l’ après-guerre auquel il s’ attaquait dans ses premiers textes, il n’ en reste pas moins un résistant, un dissident, probablement le plus grand dissident de la littérature espagnole actuelle. De même pour Isaac Rosa : il s’ attache à questionner la Transition et n’ a jamais abordé la période de l’ après-guerre que j’ envisage dans mes romans. Belén Gopegui n’ a jamais directement évoqué non plus cette période historique. Malgré tout, quelque chose nous unit : le sens de la dissidence, la volonté de ne pas entrer dans ce qu’ on a coutume d’ appeler le discours officiel. Nous ne prenons pas le prétexte de la résistance pour nous démarquer ou faire nos originaux, contrairement à ce que peuvent dire certaines personnes qui là encore cherchent à nous disqualifier. La résistance est pour nous une attitude à adopter face à la vie. Cette résistance passe par l’ écriture, par et dans laquelle nous racontons notre vision du monde. Nous sommes donc quelques écrivains
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Personne ne sait faire face à la mort, personne ne sait être auprès de quelqu’ un qui fait face à la mort dans les derniers instants de sa vie : je ne pouvais donc écrire qu’ un roman cruel. Je ne conçois pas de vivre si ce n’ est dans le conflit, et par conséquent je ne conçois pas d’ écrire si ce n’ est dans le conflit. C’ est le fait d’ écrire ainsi qui rend notre écriture si vivante, si vitale. Je crois que l’ écriture consensuelle est beaucoup moins vive, plus ankylosée, plus morne, parce que le fait d’ écrire à partir du conflit vous écorche, et l’ écriture elle-même est pleine de ces écorchures. J’ aime à penser qu’ à son tour elle parvient à écorcher les lecteurs, et parce que je reste malgré tout optimiste, j’ aime à penser qu’ elle écorche aussi un peu le système. […] Notre littérature n’ est pas une littérature de la quiétude et de l’ apaisement, nous cherchons plutôt, par la force dynamique qui jaillit de l’ écriture, à bousculer la conscience de nos lecteurs.
Propos recueillis et traduits par Anne-Laure Bonvalot. Doctorante en littérature espagnole à l’ Université Paul Valéry-Montpellier III, préparant actuellement une thèse sur les formes nouvelles de l’ écriture engagée dans le roman espagnol contemporain.