Exp2 - Le territoire de l’imaginaire

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– le territoire de l’imaginaire Anthony Folliard


JOURNAL D’UN ASPIRANT EXPLORATEUR (suite) Second voyage d’exploration mené au cours d’une résidence européenne et pluridisciplinaire dans le quartier du Maurepas à Rennes (France), du 7 mars au 26 avril 2013.

[ www.expedition-s.eu ]


01 Nous sommes arrivés sur le territoire de Maurepas le 07 mars 2013. Je partage mon logis avec 3 autres explorateurs, au rez-de-chaussée d’une des tours de 15 étages qui constituent l’ossature de cet espace urbain. Nouvel espace, nouvel équipage, nouvelle approche. Avant de me lancer dans l’aventure, j’ai besoin de faire le plein de ressources. Rassembler mes esprits et nourrir ma réflexion de celles des autres. J’installe donc très vite un bureau et une petite bibliothèque de fortune dans l’appartement qui nous est alloué. Un espace ouvert sur le quartier par une large baie vitrée. Et l’étrange sensation d’observer ou d’occuper un aquarium.


02 Expliquer sa démarche aux autres reste toujours un exercice aussi difficile. Je navigue en plein brouillard. On n’y voit pas à 2 mètres devant soi et pourtant, il faut déjà presser le pas. Mon approche expérimentale s’apparente à celle d’un scientifique. Émettre une hypothèse, poser un protocole de recherche et tester par des expériences répétées la validité de l’hypothèse. Cette tendance à la rationalisation est très probablement un moyen pour moi d’amadouer mes angoisses et d’organiser mes idées. La notion de « représentations » reste le fil rouge de ma recherche. J’interroge la matière mentale. Et dans ces premiers temps d’expédition, l’agitation intérieure est à son paroxysme. J’en profite pour remplir les pages de mon carnet. Toutes les idées sont bonnes à prendre. Les choses se déclenchent parfois sur un petit rien. Au détour d’une discussion, d’un malentendu ou d’un mot d’esprit, on décèle parfois une ouverture potentielle.


03 Les discussions avec mes co-explorateurs vont bon train. Chacun fait part de ses questionnements et libère un peu de tension au passage. Tout est mis sur la table en même temps : organisation, barrière de la langue, rôle des enfants, utilisation de l’humour en sociologie, signes extérieurs de précarité… Au milieu de ce champ discursif, j’ajoute mes réflexions à celles des autres : Comment s’installe un sentiment de peur de l’autre ? Comment réussir à perturber notre quotidien ? Assis à mon petit bureau, le nez dans les bouquins, je me réfugie derrière les expériences passées en tentant d’y trouver la réponse à mes questions. Mais force est de constater que peu à peu, je me perds dans les méandres de la théorisation hasardeuse. Obsédé que je suis par la volonté de laisser mon emprunte sur ce projet, je me fige et j’en oublie le plaisir simple de l’expédition. Partir à l’aventure et se risquer à des expériences instinctives sans craindre d’aboutir à un échec. La matière est là partout autour de nous, il faut juste s’en saisir et jouer avec.


04 Maurepas, et plus spécifiquement le quartier du Gros Chêne où nous résidons, font partie de Rennes, ville où je vis depuis 10 ans maintenant. La population, la langue, les espaces publics, l’architecture, les institutions et la météo me sont donc relativement familiers. Pourtant, cette zone d’habitation constitue une équation à plusieurs inconnues pour moi. Je ne prétends pas pouvoir la résoudre en 3 semaines, car l’image que je me fais de ce lieu et des gens qui y vivent reste teintée d’approximations et de clichés. Première tentative d’incursion, je décide d’aller gribouiller mon carnet pendant quelques heures en terrasse sur la dalle du Gros Chêne. Au cœur de ce petit village, j’essaye de passer inaperçu, de me fondre dans la masse et d’observer avec mes oreilles. Je reste néanmoins sur la défensive, un groupe de jeunes loulous échangent leurs anecdotes croustillantes à quelques mètres de moi… La rencontre ne se fera pas avec eux finalement, mais avec un autre habitant du quartier.


expérience / workshop : TYPOGRAPHIE & EXPRESSIONS POPULAIRES

« Au royaume des aveugles, les borgnes passent inaperçus. » Proposition de Richard Louvet et Anthony Folliard Avec les étudiants en design graphique de LISAA Rennes

Au cours du projet Expéditions, la question du stéréotype est souvent abordée, non sans humour d’ailleurs. On joue avec les idées reçues, les « on dit » et autres expressions populaires que possèdent chacun. De fil en aiguille, mon attention s’arrête sur l’usage du proverbe. Après une rapide tentative d’étude linguistique, je cerne un peu mieux les mécanismes de construction de ces formules métaphoriques ou figurées, et j’interroge au passage ma propre pratique souvent basée sur l’utilisation de ce genre d’artifice langagier. Une manière détournée d’exprimer sa pensée. En grossissant le trait, le bon-sens en devient absurde et l’expression commune révèle son potentiel réflexif. Partant de ce postulat, avec Richard nous proposons à 40 étudiants de venir sur le quartier dans le cadre d’un workshop typographique sur les expressions populaires. Sur place, nous réfléchissons ensemble à la réalisation d’une série d’affiches faîtes main destinées à être coller sur les murs du quartier. Travail préparatoire : s’imprégner du contexte d’intervention. Nous demandons aux étudiants de ramener avec eux une petite série d’expressions de leur choix, puis de partir à l’aventure, pendant 1h et en groupes très réduits dans les espaces environnants.


05 Un homme d’environ 50 ans m’interpelle et s’assoit à ma table. À sa demande, je lui explique rapidement la raison de ma présence dans le quartier puis il me fait part à son tour de ses questionnements. Il évoque un trésor juif caché dans les sous-sols de Paris… L’histoire est confuse, je l’écoute d’une oreille distante : Abraham, Ibrahim, les Égyptiens, retour à Paris, les catacombes, le métro, un véritable gruyère, le terrain propice à de secrets souterrains, sur lesquels il vaut mieux rester discret d’ailleurs… La discussion aura été assez brève mais très intense sur le plan narratif. À son départ, je ne sais trop que penser du personnage : fou ou érudit ? Un peu des deux sans doute… Mais une idée reste accrochée à mon carnet : le souterrain. Peut-être un nouvel ingrédient dans mon champ d’expérimentation.


06 Ne sachant trop comment appréhender objectivement la réalité du terrain, j’entreprends la construction d’une théorie fictive. J’espère trouver dans cette étude de l’inconnu, les moyens d’exprimer mon ressenti sur cette expédition. Une approche allégorique qui me permettrait de garder une part d’insouciance, comme dans un jeu d’enfant. Mythoner une histoire et explorer le territoire de l’imaginaire. Voilà le nouveau leitmotiv de ma recherche. Il est proposé à chaque explorateur de réaliser une carte postale sonore, un extrait de notre aventure, qui sera ensuite diffusée sur une radio locale. Je décide de me servir de cet instant de création radiophonique pour tenter une première expérience avec cette idée de souterrain. Les bruits comme les mots ont cet avantage qu’ils permettent de jouer librement avec l’imagination de chacun. Je me mets donc en route, micro en main, pour trouver avec les moyens du bord l’entrée du passage secret qui relirait les 12 tours de Maurepas (j’apprendrai plus tard qu’il n’en existe que 10…).


07 Le plus difficile maintenant, c’est de réussir à alimenter le récit. Je demande aux autres explorateurs de me faire part des bruits de couloir, fruits de leurs propres rencontres. Le mythe prend forme, amuse même, mais la manière me manque. À défaut d’autres idées, je prépare quelques affiches avec un de mes dessins et les colle de nuit dans la rue. Mais mon action n’aura eu que peu de visibilité, car au petit matin il n’y a déjà plus rien. Je prépare une 2nd affiche, mais celle-ci n’aura pas le plaisir de fouler les murs. Le mode opératoire ne me satisfait pas, une impression de déjà vue peut-être. En discutant avec Goro, nous imaginons la possibilité de transformer certaines formes graphiques en « objets » implantables. Quelques petites choses qui viendraient évoquer cette idée qu’une entité indigène habiterait le monde du dessous, l’envers du village. Société du spectacle et bêtes de foire, je me charge du décor. Mon choix se porte sur les dispositifs suivants : un périscope, une cheminée fumante, un symbole, une icône et une apparition de la mantrisse.


08 Un petit tour au magasin de bricolage puis à Emmaüs, caverne d’Ali Baba par excellence, et me voilà paré du matériel nécessaire pour réaliser mes interventions. Mais la procrastination chronique, qui m’est si coutumière maintenant, repointe le bout de son nez. Et au final seulement 2 petites installations auront vu le jour. Au cours de mes recherches sur ce territoire, j’ai maintes fois essayé de trouver la bonne manière d’appréhender le sujet qui nous était donné à étudier, tout en tentant de mettre en péril mes habitudes de travail. Les envies et les idées ne manquent pas, mais l’action dans l’espace public ouvre pour moi sur une dimension aussi captivante qu’angoissante. Alors en attendant, je me laisse dériver, porté par le ressac du quotidien…


09 Ce travail en résidence soulève bien des questions aussi bien sur le plan éthique que d’un point de vue pratique. Mais celles dont j’ai finalement essayé de m’emparer, je les formulerai ainsi : Peut-on explorer un territoire par l’imaginaire ? Et peut-on réaliser une expédition tout en restant immobile et enfermé ? N’ayant point de réponse définitive à apporter, je propose de clore ce petit récit par une citation de Michel Leiris dont m’a fait part Pascal Nicolas-Le Strat : « L’espoir de trouver ce que je cherche s’est, pour moi, réduit peu à peu à celui de trouver, non pas la chose que je cherche, mais quelle est exactement la chose que je voudrais trouver. Bref, ce qu’aujourd’hui je cherche c’est « ce qu’est » ce que je cherche. (À la limite, j’en viendrais presque à me demander si, ne cherchant même plus à savoir quel est l’objet de ma recherche, je ne chercherais pas tout bonnement à chercher…). En vérité, tout était clair au début, mais tout s’est terriblement embrouillé en cours de route… »


Exp2 © Anthony Folliard Imprimé à Rennes en avril 2013 www.atelierdubourg.fr – Crédits photos : Alba Rodriguez Nuñez, Goro, Richard Louvet et Anthony Folliard Projet coordonné par L’Àge de la Tortue – www.expedition-s.eu




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