Cartographies uniques du quartier du Blosne

Page 1

Cartographies unique, cartographies intimes… Pendant 10 jours, j’ai marché dans les ruelles et allées du Blosne, à Rennes. J’ai d’abord cherché des gens au hasard, qui voudraient bien participer à cette histoire de Cartographie intime du quartier. Je leur disais ceci : « Je travaille avec l’association L’âge de la Tortue, qui collecte la parole des habitants du quartier, et particulièrement des « Correspondances Citoyennes ». Je cherche donc à rencontrer quelqu’un qui voudrait bien m’emmener en promenade autour de chez lui, pour me montrer les endroits qui lui procurent une émotion particulière, et qu’il m’explique pourquoi cette émotion… » Alors nous irons prendre des photos de ces endroits, puis je vous proposerai d’écrire une lettre à l’enfant que vous étiez, ou à l’adulte que vous pourriez être plus tard, lettre qui explique quel est votre lien intime à leur quartier… Et puis cette lettre, on l’enverra à quelqu’un d’autre, quelqu’un de bien vivant, à qui vous aimeriez demander d’y répondre… » Voilà pour les prémisses de la rencontre…


En faisant du porte à porte Cours de Bilbao, j’ai rencontré Thierry, qui se définit comme un «ambassadeur du tri», il passe dans les logements de la Métropole pour informer les habitants sur la façon dont ils peuvent trier leurs déchets, et pour distribuer des sacs de tri sélectif. Au square de Nimègue, au pied du toboggan, j’ai rencontré 4 enfants, Maxime, Michel, Sophie et William, ils ont entre 8 et 11 ans et connaissent leur bout de quartier comme leur poche. À la sortie du métro Triangle, j’ai rencontré Catherine, petite elle rêvait d’habiter dans ce quartier en train de se construire, aujourd’hui elle en connaît toute l’histoire, tous les noms des rues et des allées : elle en fait même des grilles de mots croisés ! Et au Cours d’Arnhem, je me sui sretrouvée, enfant, dans un autre quartier dans un autre coin de France, et j’ai questionné les poncifs de mon enfance, à la lumière des lieux et des images de ce quartier du Blosne... Ici vous pourrez voir des images de ces ballades, lire les mots et puis les lettres qui vont avec... Catherine, Céline, Sophie, Maxime, William, Michel et Thierry, c’est vous qui avez écrit ces « Cartographie uniques » du Blosne, et je vous remercie sincèrement d’avoir consacré autant de temps et d’émotions à cette histoire…


THIERRY


16 cours de Bilbao « Encombrants » C’est une contrariété pour moi, d’un aspect minéral violent. On a fait passer un message la veille pour éviter ça. C’est comme donner le moyen de s’en débarrasser et ne pas le faire.

17 cours de Bilbao « L’attente » C’est une double attente. J’ai attendu plus d’une heure au 17, parce qu’il n’y avait personne, c’était le dernier de la rue, il fallait que je trouve quelqu’un pour au moins déposer les sacs. Et c’est l’attente d’un composteur, qui devrait voir le jour bientôt*. C’est une partie du message qui serait passée, pour compenser l’autre, juste en face, où ce n’est pas passé : le pire et le meilleur au même endroit. * les habitants du Blosne peuvent demander l’installation d’un composteur pour leur immeuble, il faut qu’il y ait au moins six personnes qui le demandent ensemble, et qui participent à hauteur de 20 euros (à partager entre les 6 personnes). Il y en a déjà plusieurs installés dans le quartier


33 cours de Bilbao « Pommes de pin » Ici je me ressource. Les pommes de pin, je les ramasse. Personne ne s’en sert ici, c’est dommage. Alors qu’on peut en faire des barbecues. Mais est-ce qu’on le droit de faire des barbecues ici ? Ça brûle bien. Ça sent bon. C’est une logique de recyclage : utiliser ce qu’on a sous la main, qui est gratuit. Il y en a plein, dommage que les gens ne s’en servent pas.

Des manques ? Il y a des endroits du quartier où il manque des gosses. De la couleur, sur les murs. Des endroits de couleur dans les squares. Là tout est vert, les mêmes essences d’arbres, ceux qui ont une couleur différente restent en retrait. C’est un peu trop uniforme. Et puis c’est une grande rue, pas un commerce. C’est toujours choquant de ne pas voir un commerce dans une rue si grande. Ah si, il y a l’institut de beauté. Et puis il m’a manqué à moi, qui n’habite pas ici mais y travaille pour un temps relativement court, c’est de voir la nuit. Ici je n’ai pas vu la nuit, et la nuit tout le monde se la partage, où qu’on se trouve



A l’enfant que j’étais Tu passes ta vie à attendre. Tôt ou tard tu attendras. Et tu peux finir par te sentir bien dans un endroit que les autres n’aiment pas forcément. C’est normal. C’est par ta propre volonté que tu vas te sentir bien quelque part. C’est toi qui mets les choses en place là où tu es. A toi de faire l’effort. J’ai coutume de dire que tous les matins tu te réveilles xénophobe, raciste, haineux, et tu as toute la journée pour te soigner. J’en suis convaincu. On éprouve forcément des peurs, des a priori, mais on est à même de se soigner nous-mêmes. Tu as une journée pour te soigner, jusqu’à ce que tu te couches. Parce que si tu accumules trop de choses dans le sac que tu portes sur ton dos, à la fin le sac est trop lourd et tu ne peux plus avancer. Alors vide ton sac, tous les jours. La haine, c’est une part de toi que tu dois vider et cacher, l’amour c’est une part de toi que tu donnes. Tu peux donner aux autres, mais il faut retrouver de la matière première, ne rien négliger qui puisse t’aider à être bien.


Moi, je me ressource en touchant la terre, en retrouvant des choses simples. Ici, par exemple, Cours de Bilbao, j’ai ramassé des pommes de pins. Parce que les pommes de pins, ça brûle bien, et c’est gratuit. C’est un réflexe de recyclage, il faut utiliser ce qu’on a. C’est facile de dire qu’il manque quelque chose dans ce quartier : des enfants dans certains squares, de la couleur sur les murs, des petits commerces dans une rue si grande, … Mais c’est toi qui construis ce que tu as envie de voir, tu perçois la réalité comme tu le décides . Moi j’ai appris à ne plus manquer. Ce n’est pas une réalité le manque. On manque tous de quelque chose, c’est un puits sans fond. Il vaut mieux te dire « qu’est-ce que je peux mettre en place, pour moi et pour les autres ». Et ça n’a rien à voir avec une question politique. C’est plus un aspect de ressenti, d’immédiat. Est-ce que les habitants du quartier sont nombreux à regarder la nuit ? Quel que soit l’endroit où tu habites, on a tous le même ciel au-dessus de nos têtes. Et si tu regardes vraiment le ciel, la nuit, tu ne peux plus tricher. Tu retrouves ta petite condition humaine en regardant la nuit, où que tu sois. Thierry


Maxime, Sophie, William et Michel, les enfants du square de Nimègue


Cours d’Arnhem : le tabac “Bonbons” J’ai choisi cet endroit là parce que j’aime bien acheter des bonbons ici. Je viens souvent ici, j’achète des fois aussi des tickets, des jeux à gratter, et puis je viens avec ma maman des fois. Jardins Slovènes “Le Chapiteau des Frères Forman” j’ai pris des photos du chapiteau parce que j’ai toujours aimé le cirque, j’aimerais bien en faire quand je serai grand peut être, et je ne sais pas pourquoi, on va y aller ce soir, voir le spectacle. Place du Banat ‘Aide aux devoirs’ J’aime bien cet endroit pour faire mes devoirs, c’est calme, mais j’ai pas trop aimé les gens qui tapent dans les murs avec les ballons, et puis tout...

Place de Volga ‘Toboggan géant’ J’aime bien ce toboggan parce que je vais toujours pour jouer ici, me faire des amis, et je voudrais savoir si vous voulez venir avec moi.


Place de Monténégro ‘L’araignée’ J’aime bien l’araignée parce qu’elle est grande, et je peux monter à tous les étages que je veux, avec le centre des fois on vient là, on reste jusqu’à 6 heures, et j’aime bien ça , et c’est pour ça que j’ai aimé venir ici avec vous.

Et qu’est−ce qu’il manque dans le quartier ? L’araignée au square de Nimègue, et un grand toboggan comme la Volga. Au Blosne il manque un tourniquet, en plus chez ma mamie il y en a un. On aimerait qu’il y ait un marchand de glace qui passe, et les glaces à 50 centimes. Non, les glaces gratuites. Marchand de glaces à tous les gouts.



Cher Maxime, Quand je serai grand j’aimerais bien aventurer le monde. Je voudrais aller en bateau sur l’océan, sur toutes les mers. J’aime bien ma vie, ça se passe bien dans mon quartier, je vais à l’école et j’aime faire des activités, aller à la piscine et à l’acrobranche. J’aimerais que mon quartier devienne plus calme, arrêter les problèmes, qu’on joue calmement, et jouer avec tout le monde, faire la paix, avoir une vie bien. Quand je serai grand, je voudrais être aventueur. Aventurier. Etre photographe, si je peux. Maxime.


Cher Michel, Ma vie se passe bien, parce que j’aime jouer dehors avec mes copains et copines, et quand je serai grand je voudrais devenir pompier pour sauver la vie des gens. Michel

Cher William, Ici je vis un peu bien. Parce qu’il y a des gens qui m’embêtent, et ça me donne envie de les taper. Je voudrais que tout le monde arrête de faire des problèmes et des bagarres. Quand je serai grand, je serai médecin. J’aime jouer à la balançoire, au toboggan, au bowling, au bac à sable. william

Chère Sophie, J’aime bien ma vie parce que je joue avec Maxime, William, quand je serai grande je serai pompier, c’est pour sauver la vie des gens. Sophie


CATHERINE


Milieu du Bvd Henri Fréville « L’enfance » Des couleurs primaires, qui fla− shent. On est dans la ville, entre deux boulevards (un seul en fait, c’est le même de part et d’autre), au milieu, et on ramasse des coqueli− cots, c’est toujours atypiques. Et les bambous de l’autre côté. C’est l’entrée du Blosne, ça m’ins− pire la campagne, l’enfance, le côté nature, la femme−enfant, l’image des 3 filles Ingalls* qui dévalent la pente. La jeunesse, du beau, ça me fait sourire. *«La petite maison dans la prairie»

Derrière le 5 rue d’Espagne « Clairière de Ville » C’est un endroit vide, où personne ne veut aller. On pourrait en faire un camping. En plus c’est juste derrière l’Allée des Asturies, le quartier de l’Espagne.

10 Allée des Asturies « Le choix » Quand j’avais 10 ans, c’était la construction du Blosne, mon père montait les ascenseurs dans les immeubles, j’étais souvent là, et j’ai dit « quand je serai grande, j’habiterai là. Je ne sais pas pourquoi, la ville m’inspirait une façon où les gens sont proches. C’est un choix qui semblait sur− prendre.


ça me ramène à une notion de choix, et de mon parcours, qui me fait dire « même si c’est dur, c’est pas toujours négatif, ce sont mes choix à moi ».

Allée d’Estrémadure, derrière les pompiers « Quand on comprend les choses, on avance plus vite » Estrémadure. C’est un mot qui a trois « e », ça m’évoque mes 4 ans et demie. Avec ce panneau j’ai découvert que le « l » était juste un peu plus grand que le « e », et que c’était pas plus compliqué que ça. L’écriture est venue, et la lecture aussi. C’est une région à la frontière Espagne Portugal, entre Andalousie et Castille, entre deux parties de ma vie. Entre mes 20 et 30 ans, la fron− tière entre l’image touristique de l’Espagne et l’image que j’ai fait découvrir à mes élèves. C’est le rêve de voyage. On n’habite pas dans un quartier avec tant de noms d’endroits sans chercher à savoir d’où ils viennent.

Rocade Sud, derrière le Crapa « La naissance du Blosne » La source du ruisseau. Là où tout commence. Comme toutes ces choses cachées, qu’on ne voit pas, qu’on devrait apprendre à regarder.



(J'ai écrit à la petite fille que j'ai été et je lui ai dit ceci : ) Chère Cathy, C'est ainsi qu'on t'appelait lors− que tu étais petite fille. Les années ont passé et je t'écris depuis La Moitié de Ma Vie, éton− née par la quantité de souvenirs que j'ai gardés. Pour te les raconter, j'ai pris quelques photos de mon quartier. Je les envoie à l'endroit où tu as habité. Mon quartier lui ressemble un peu avec ses alignements de chênes majes− tueux. La densité est plus grande, c'est sans doute là la grande différence. Les rues ici nous font voyager. Voyage dans l'espace, voyage dans le temps. Sur les chemins du quartier j'ai trouvé le mot ESTREMADURE. C'est un mot avec trois « E ». Entre le « L » et le « E », c'est juste une histoire de taille. Trois E dans un même mot, un mot qui me rappelle mon enfance. J'ai cinq ans et je découvre que la lettre L res− semble à la lettre E, qu'elle est juste un peu plus grande. La même année, dans la cour de récréation, entre le tilleul et le préau, j'ap− prends à sauter à cloche−pied. Ce sont deux souvenirs que je n'ou− blie pas. Dans la cour des grands, nous avan− çons à pas de géant mais aussi à petits pas quand la grand−mère nous répond : Non, tu ne partiras pas.


J'ai découvert un champ de coqueli− cots à la sortie de la station de métro. J'y suis entrée dans ce champ. Je me suis dit que c'était possible, comme une évidence. Je t'envoie donc de la couleur, du rouge, du jaune et puis du bleu, de quoi réaliser de biens jolis tableaux. J'ai rencontré François. Il avait plein de pinceaux, des aquarelles et des pastels. Il avait perdu les mots et quand la première fois, il s'est approché de moi, il m'a dit : « Je veux t'amener au bord de l'eau. » Petite fille Catherine, j’ai eu moi aussi une fille. Une bien jolie fille d’ailleurs. Elle aime le théâ− tre, et peut−être qu’un jour, au milieu du quartier, sous la lueur des réverbères, elle aura l’audace de jouer avec Marion l’histoire que je ne raconte pas, mais qui pour− rait faire rire. Je t’aime beaucoup, Catherine


MARION


Cours d’Arnhem « Sages du quartier » Chat et pie entre soleil et ombre, sous l’arbre : voir des chats partout dans les pelouses du quartier me procure toujours un vent de détente ; souvent les chats te regardent quand tu passes à côté d’eux, et parfois ils clignent des yeux, ils balisent mon chemin silencieusement.

10 bis Square de Nimègue « Des vieux arbres » Le feuillage dans le soleil : il faudrait y rajouter le bruit du vent dans les feuilles. C’est toujours un étonnement pour moi qu’il y ait tous ces arbres, et certains si vieux, dans un « quartier sud ». C’est tellement l’inverse de ce que j’ai connu enfant dans la banlieue de Lille.

15 Allée d’Amsterdam « Le Moulin » Moi j’aime les moulins, en voir me rend euphorique, même des faux ! Près de chez moi dans le nord il y avait des moulins, on y allait souvent, je m’imaginais Don Quichotte…



Ma chère Marion, Du haut de tes 12 ans je crois que tu aimerais beaucoup grandir dans le quartier du Blosne, à Rennes, où je travaille en ce moment. Ici il y a tellement d’arbres, et des grands ! Et des chats, partout, qui se prélassent, et des pies qui piaillent à pas d’heure. Aussi il y a des dédales de chemins sans voitures, des cachettes à gogo et des terrains de jeux tous les cent mètres ! Et puis, les tours ne sont pas très nombreuses, il y en a quelques-unes, mais surtout des petits bâtiments de 4 étages, pas du tout comme les grosses barres d’immeubles que tu connais… Toi, dans le quartier où tu grandis, il faut toujours faire attention aux voitures, parce que la route est partout. Et pas de grands arbres, pas de vent dans les feuillages, et les chats, on les voit plus souvent écrasés sur la chaussée que siestant dans les herbes… Je me souviens, l’endroit où vous préfériez jouer c’était « les buttes », ces sortes de talus toujours boueux où il fallait courir pour ne pas glisser, c’était à qui irait le plus loin avant de s’étaler dans la boue ! Qu’est-ce que ça pouvait vous faire rire, avec tes copains, et aussi le lendemain, en vous racontant les colères de vos mamans devant ces enfants terreux aux cheveux collés, et qui rentraient hilares ! Ici, le quartier change de couleur avec les saisons, chez toi on pourrait presque arriver n’importe quand sans savoir quelle saison c’est…


Malheureusement il me manque quelque chose au Blosne, quelque chose qui pousse les habitants à se retrouver pour mettre ensemble les mains dans la terre. Chez toi malgré tout, malgré le manque d’arbres et de saisons et d’arbres, il y avait le jardin collectif : les gens s’y retrouvaient souvent, s’échangeaient des graines, des conseils de jardinage, décidaient ensemble de planter telle ou telle essence, et l’été, parce que quand même il y avait un été, ils se retrouvaient souvent à l’ombre des tours pour boire un coup et cuire des trucs ensemble. Je ne comprends pas pourquoi ça n’existe pas ici ! Peut-être que des gens ont essayé, que ça n’a pas marché, qu’ils n’ont pas eu le droit, qu’ils se sont essoufflés… Finalement, pour cette chose-là qui manque, je crois qu’il vaut mieux que tu grandisses là-bas. Parce que le mélange des gens est plus important que la joliesse de l’endroit où ils vivent. Je me trompe sans doute, je l’espère. Tu sais je n’habite pas ici, je ne fais qu’y travailler, alors je n’en ai qu’une vision déformée… j’espère en tout cas que les enfants que je rencontre pourront un jour cultiver un jardin ensemble, ou construire des cabanes dans les arbres ! Embrasse de ma part nos amis, Sakona, El Yamani, Guillaume et Aïcha ! Marion


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.