Nolwenn TroĂŤl-Sauton
Des espaces aux identitĂŠs discursives
Dans le cadre du projet de coopération européenne Expéditions (2013-2014) www.expedition-s.eu
Des espaces aux identitĂŠs discursives Nolwenn TroĂŤl-Sauton, Sociolinguiste Tarragone, janvier 2013
Sommaire
INTRODUCTION
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I. ESPACES ET / DE DÉPLACEMENTS
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1) Quartiers de recherches : Campo-Claro et Maurepas. 7 a) Comparaisons générales 7 b) Les cartes de Tarragone 8 2) Être d’un quartier ségrégué ? 9 a) Présentation au sein du projet : nouvelle stigmatisation ? 9 b) De la stigmatisation à la ségrégation ? 10 3) Une première approche du terrain 11 a) Premier protocole d’enquête : une collaboration interdisciplinaire 11 b) Des stratégies différentes à uniformiser 12 4) Résultats : des représentations figées et récurrentes : entre méconnaissances et refus 12 a) Une méconnaissance du quartier 13 b) Un espace non recommandé : entrée dans les représentations et stéréotypes 14 c) Refus de l’identité catalane 18
II. ESPACES D'IDENTIFICATIONS : HABITER A CAMPO-CLARO 22 1) De la stigmatisation à la revendication ? 22 a) Un nouveau protocole pour le recueil de discours ? 22 b) De la stigmatisation à la territorialisation 23 c) De la stigmatisation à la ségrégation spatiale au sein du quartier 29
CONCLUSION 32 Bibliographie 34
INTRODUCTION Ce premier rendu sera présenté comme le premier volet d’une restitution en deux temps, comparée en fonction des résultats obtenus à Campo Claro (Tarragone, Espagne) et à Maurepas (Rennes, France). Ce travail se propose d’opérer une conceptualisation du dialogisme entre espace(s) et identité(s), et de l’impact de l’espace de vie (et des représentations de celui-ci), sur ces mêmes identités, à la fois collectives et individuelles ; et ce dans leur pluralité et leur complexité. Ces identités impactées par l’espace concernent a fortiori les habitants de quartiers envisagés comme populaire (comme c’est le cas de Campo Claro et de Maurepas). Commençons par proposer une définition de Thierry Bulot sur l’espace, puisqu’elle permettra ainsi de cadrer ce que j’entends par « espace » dans cet article. Il le distingue du lieu en ces termes : « a) que le lieu était une entité saturée par la somme de ses traits définitoires et redondante parce qu’elle déterminait autant des limites que des frontières et b) que l’espace était une entité symétrique dans la mesure de son organisation centre/marges et hiérarchisée par son inscription dans un ensemble ordonné. » (Bulot, 2009 : 19).
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I – ESPACES ET / DE DÉPLACEMENTS 1) Quartiers de recherches : Campo-Claro et Maurepas a) Comparaisons générales Administrativement, Campo-Claro est un quartier compris dans le Ponant, ensemble de quartiers appartenant à la ville de Tarragone. Tarragone est situé en Catalogne, et elle recensait 137 536 habitants en 2012. La ville s’étend sur 63 kilomètres carrés (densité de population : 2 205,9 habitants par kilomètre carré) (Adjuntament de Tarragone, 2013). La différence avec Rennes est très importante puisque Rennes (la ville seule, non Rennes Métropole) comprenait 207 178 habitants (INSEE, 2013) en 2010 pour une superficie de 50,39 kilomètres carrés (densité de population : 4 092 habitants par kilomètre carré) (L’internaute, 2013), soit une densité de population et répartition dans l’espace presque deux fois inférieure à Tarragone vis-à-vis de Rennes.
Figure 1 : délimitations administratives de Tarragone
De plus, la disposition urbaine des deux territoires semble très différente l’une de l’autre, comme nous pouvons le constater en observant les deux cartes et en les confrontant avec les données administratives des deux villes. Il est à noter que l’espace n’est pas investi de la même façon dans les deux villes : beaucoup 7
plus de lieux « non habités » ou à faible densité de population sont présents à Tarragone, qui elle-même s’étend de façon nettement plus significative. Ainsi, la ville de Tarragone semble plus aérée (moins de zones denses d’habitations), et le quartier sur lequel nous travaillons (indiqué par la flèche), est relativement éloigné du centre ville pour la taille de la ville (5 km). Le centreville est ici entendu de façon arbitraire comme le centre touristique de la ville au niveau des représentations collectives, et est représenté par le point rouge.
Figure 2 : délimitations administratives de Rennes1 Le quartier de Maurepas est quant à lui situé à 2,5 kilomètres du centre-ville (représenté par le point A), défini de la même façon que pour Tarragone. b) Les cartes de Tarragone Lors de la remise des cartes de la ville par les coordinateurs du projet, premier 1 Echelle : 1,8 cm pour 2 kilomètres 8
constat : les quartiers sur lesquels nous travaillons sont à l’arrière des cartes de ville. Nous travaillons donc sur un quartier qui n’apparaît pas sur les cartes touristiques, et qui n’est pas compris dans la globalité de Tarragone dans les cartes administratives. Il n’a d’ailleurs pas été possible de trouver, durant le séjour effectué, une seule carte regroupant le centre-ville et les quartiers du Ponant. Les membres du projet, habitants de Tarragone ont évoqué n’avoir pas le souvenir d’une carte qui regrouperait la globalité de la ville sur une seule face. Sans tirer de conclusions hâtives, il semblait intéressant de noter cette invisibilité. 2) Être d’un quartier ségrégué ? a) Présentation au sein du projet : nouvelle stigmatisation ? « Être de Campo ��������������������������������������������������������������� Claro���������������������������������������������������������� » nous est ���������������������������������������������� exposé, dès le départ, comme un élément déterminant par les membres de l’équipe d’Expéditions qui connaissent le terrain au préalable. Ce quartier nous est donc présenté, le jour de notre arrivée, comme un quartier stigmatisé et ségrégué. En ce sens, il est possible d’envisager que le discours même tenu sur le quartier en présentation du projet (ré)actualise la stigmatisation opérée sur ce quartier, si l’on entend du stigmate la définition qu’en proposent Jean-Claude Croizet et Jacques-Philippe Leyens, c’est-à-dire une « signification sociale particulière. Cette signification tient au fait que ce repérage s’accompagne d’un étiquetage ou marquage. On dira de telle personne qu’elle est noire, et de telle autre qu’elle est sourde.» (2003 : 14). Ainsi, la présentation de Campo Claro faite par l’équipe de Tarragone définit le quartier par cette seule caractéristique : c’est un quartier victime de ségrégations ; et ce faisant, conditionne le reste de l’équipe dans l’approche dudit quartier avant même la possibilité d’explorations et de constructions de connaissances par le biais du terrain par notre équipe. Le quartier est proposé comme homogène et à « très fort taux d’immigration », il est catégorisé de « populaire », donc les locuteurs sont « majoritairement castillans en plus de leurs langues d’origine »2. Des catégories sont proposées à l’équipe, en fonction des mouvements migratoires, mais là encore les individus y sont globalisés / uniformisés par origines ethniques ou religieuses. Approcher un quartier comme Campo Claro, c’est toujours ������������������ à mon sens ������� commencer par effectuer un travail de déconstruction du réel proposé comme tel afin de 2 Il est à noter que les discours tenus sont faits dans un contexte plurilingue, où les langues véhiculaires sont l’anglais, l’espagnol et le français que chaque membre de l’équipe maitrise de façon inégale, qui peut être envisagé comme biaisant la communication, tant dans la coénonciation que dans la compréhension des discours tenus. 9
percevoir d’autres représentations collectives et individuelles des habitants de Tarragone, en dehors de celle de l’équipe de professionnels d’Expéditions. C’est donc dans cette optique que le premier protocole d’enquête a été mis en place avec Unai Reglero3. b) De la stigmatisation à la ségrégation ? Jean-Claude Croizet et Jacques-Philippe Leyens (2003) proposent de catégoriser le stigmate en deux types : les stigmates visibles et invisibles. Pour les auteurs, l’impact sur l’estime de soi serait différent en fonction de cette visibilité / invisibilité. Ces deux types de stigmates se distinguent aisément : un stigmate physique par exemple (couleur de peau, obésité, handicap, etc.) est donc envisagé comme un stigmate visible, qui s’opposerait en ce sens au stigmate invisible, entendu comme non « captable » par autrui au premier abord (et comprendrait par exemple la pauvreté ou l’homosexualité). Ces deux catégories sont certes intéressantes mais elles ne sont pas suffisantes puisqu’elles ne prennent pas en compte les dimensions discursives4 de la stigmatisation. Celles-ci entraînent des processus de cette stigmatisation, à mi-chemin entre le visible et l’invisible. De fait, un stigmate que l’on nommera donc un stigmate perceptible (accent, incorrect linguistique, etc.) serait donc invisible sans interaction. Au-delà de la stigmatisation à proprement parler qu’il fallait observer sur le terrain sans préalable, c’est également la présence de l’impact d’une ségrégation opérée sur les habitants de Campo Claro qui semblait importante à élucider, puisque le postulat de la recherche restait, nous l’avons dit, de travailler sur l’impact de l’espace (en l’occurrence justement posé comme stigmatisé) sur les identités. Pour ce faire, il faut commencer par éclaircir la distinction entre ségrégation et discrimination. Je propose donc de s’appuyer sur celle, opérante, proposée par Thierry Bulot : « Sachant que, de notre point de vue (Bulot, 2001) un discours ségrégatif pose des lieux comme spécifiques de tel ou tel groupe social dans la ville, tandis qu’un discours discriminant, va poser – pour ces mêmes groupes – des attributs sociaux et langagiers justifiant a posteriori la ségrégation » (Bulot, 2009 : 21���������������������������������������������������������������������������� ). En ce sens, attribuer de façon homogène des espaces à des groupes d’individus envisagés comme homogènes, ou pire, à des ethnies (« ils sont ») relève de la ségrégation, tandis que le processus de justification même de cette ségrégation s’appuie sur des discours discriminants. Ainsi, les individus porteurs de stigmates perceptibles sont les plus aisément attribués à des espaces jugés négativement par la doxa. 3 L’artiste plasticien Unai Reglero fait partie de l’équipe de professionnels du projet Expéditions dans les quartiers du Ponant (ndle). 4 De discours 10
Néanmoins, il restait toujours à déterminer si ces théorisations étaient opérantes dans le cas du quartier sur lequel nous travaillions, et si elles avaient lieu d’être. 3) Une première approche du terrain a) Premier protocole d’enquête : une collaboration interdisciplinaire C’est par le biais d’entretiens mis en place en centre-ville qu’une collaboration s’est établie entre Unai Reglero et moi-même. La méthode proposée par Unai Reglero était de proposer des entretiens dans le centre-ville de Tarragone aux personnes rencontrées dans la rue. Le protocole imaginé comportait un processus filmé (dont Unai Reglero avait besoin pour son propre recueil de données), une chercheure présentée par le traducteur comme étrangère et ne connaissant pas Tarragone et posant les questions, et le traducteur traduisant les questions trop difficiles. Les « rôles » étaient ������������������������������������������������������� donc attribués : Unai ������������������������������ Reglero serait le traducteur, et moi la chercheure étrangère. Une troisième personne filmait le processus à l’aide d’un appareil photo. Posant ainsi le paradigme, l’idée était de permettre un discours à la fois assumé (puisque présence d’une image), et clair (puisque le motif de l’étranger pouvait permettre d’obliger à des discours moins ambigus et plus nets, en mettant en avant une hiérarchisation inversée entre la chercheure ignorante du terrain et les connaisseurs empiriques qui l’instruisent : les gens interrogés). Nos méthodes et stratégies de recueil de données étant très différentes, nous avons cherché à créer une cohérence d’ensemble dans l’évolution des questions (posées dans cet ordre). Trame d’entretien 1) ¿Donde está Campo Claro? 2) Ella está buscando un piso para vivir, Campo Claro es más barato. Pero antes quiere asegurarse de que es un buen lugar para vivir ¿Se lo recomiendas? 3) ¿Que tipo de gente vive allí? 4) ¿Son Catalanes? 5) ¿Que idioma hablan? 6) ¿Que se puede hacer en Campo Claro? 7) ¿Que es una « juani » o « choni »? 8) ¿Hay chonis en Campo Claro? 9) ¿Que es eso de « tener duende »? 11
10) ¿La gente de Campo Claro tiene duende? 11) ¿En que trabaja la gente de Campo Claro? 12) ¿En que se diferencia la gente de Campo Claro y la gente del centro de la ciudad? 13) ¿Para ti, Campo Claro es Tarragona? 14) ¿Porque la gente del centro de la ciudad y la gente de Campo Claro hablan como si fueran de lugares diferentes (por ejemplo : voy a Campo Claro / Voy a Tarragona como si fuera otra ciudad?) 15) ¿Conoces alguna persona que viva en Campo Claro? 16) ¿Donde vives? b) Des stratégies différentes à uniformiser Pour mettre en place ce protocole d’enquête, il nous a fallu travailler sur la pertinence d’utiliser un même protocole pour deux résultats avec le même but : recueillir les représentations des gens du centre ville sur le quartier de Campo Claro ; mais avec deux visées distinctes : - obtenir des informations visuelles permettant la création d’un portrait robot / travail donc sur le stéréotype (Unai Reglero) ; - obtenir un discours non influencé sur les représentations de Campo Claro par l’exogroupe de ce même quartier (Nolwenn Troël-Sauton). Ces deux visées étaient difficilement compatibles : l’un cherche à obtenir des informations visuelles, et donc cherche nécessairement par moment à influencer le discours ; tandis que l’autre cherche à réduire les biais le plus possible afin de réduire l’impact de sa subjectivité dans l’entretien. Elles se devaient pourtant de pouvoir nous permettre d’obtenir nos résultats sans qu’ils soient pervertis ou insuffisants. C’est dans cette optique que les questions ont été revues et retravaillées, afin de susciter des réponses les moins orientées possibles, tout en permettant de faire un écho direct aux représentations des habitants de Tarragone et obtenir ainsi des traductions visuelles des représentations recherchées (questions 7, 8, 9, 10, 11, 12). 4) ������������������������������������������������������������������������� Résultats : des représentations figées et récurrentes : ���������������� entre méconnaissances et refus Sur les dix personnes interrogées5, deux étaient connues d’Unai Reglero et une troisième s’est avérée être de Campo Claro et travaillant au centre de la ville. 5 Pour des raisons techniques, les résultats proposés ici ne s’appuient que sur quatre entretiens. 12
Les entretiens ont été effectués dans différents endroits de la ville. Sur les sept personnes qui ont été entrevues sans être impactées par les relations pré-existantes avec Unai Reglero, on peut constater deux types de réponses concernant les représentations du quartier de Campo Claro. 1- Ceux qui ont connu des personnes résidant à Campo Claro (H1) 2-Ceux qui n’en ont pas connu. a) Une méconnaissance du quartier On peut noter tendanciellement une méconnaissance du quartier de la part de toutes les personnes interrogées6, méconnaissance qui avait déjà été remarquée au sein de l’équipe d’Expéditions, puisque les membres de Tarragone avaient déjà admis plusieurs fois ne pas connaître le quartier. Durant les entretiens, seul H3 connaissait le quartier, et ce d’un point de vue professionnel. Pour les autres, la méconnaissance du quartier apparaît, soit par aveu clair (H1 et F1), soit par la récurrence d’informations stéréotypées qui reviennent sur le quartier (G1) comme la présence d’équipements sportifs et du centre commercial. Extraits N : tu piensas que la gente de Campo Claro tienen duende
N : Tu penses que les gens de Campo Claro possèdent un don1
F1 : (risas) pues no le sé porque no conozco a ninguno // tienes que ir allí a pregun- vull dir (plus loin)
F1 : je sais pas parce que je ne connais aucun // tu dois y aller et deman- je veux dire (ces derniers mots en catalan)
N : en qué trabajan la gente de Campo Claro
N : de quoi travaillent les gens de Campo Claro F1 : je ne sais pas (...) je ne sais pas
F1 : no sé (…) no sé N : qée se puede hacer en Campo : Clabo N : que peut-on faire à Campo :Clabo Claro Claro H1 : yo no vivo allí (rires) / H1: (ríe) me está preguntando d- de una zona que yo no vivo:
H1 : je ne vis pas là bas (rires) elle me questionne s- sur une zone où je n’habite pas :
6 L’expression « tener duende » signifie, selon les sources interrogées, avoir un don pour la musique espagnole, le flamenco, la danse etc. 13
N : qué se puede hacer en Campo Claro
N : que peut-on faire a Campo Claro
G1: hay zonas « esportivas » /// y:
G1 : il y a des zones sportives /// et :
G5: sí allí están la mayoría de zonas deportivas
G5 : oui là il y a la plupart des zones sportives
G1: sí
G1 : oui
G2: campos de fútbol y cosas así
G2 : des terrains de football et des choses comme ça
G5: por aquí por Tarragona no G5 : ici a Tarragona pas G1: eh son: allí muchos /// y también: G3: están haciendo una entrevista G1: eh: que más hay // hacen un mercado / muy: famoso G4: sí cada domingo G1: cada domingo sí // y qué más no sé cuando se hace G5: no sé
G1 : euh : sont là beaucoup /// et aussi : G3 : ils font un entretien G1 : euh qu’il y a en plus // ils font un marché / très connu G4 : oui chaque dimanche G1 : chaque dimanche oui // et quoi plus je ne sais pas quand ils le font G5 : sais pas
b) Un espace non recommandé : entrée dans les représentations et stéréotypes A la question 2), seuls H2 et H3 ont pu dire qu’ils recommandaient l’endroit. L’engagement de H3 pour le quartier ne l’a pas empêché de proposer une alternative pour y vivre, par le biais de recommandations. A l’image de H3, toutes les personnes interrogées qui ne voyaient pas de problèmes à vivre dans le quartier proposaient néanmoins des stratégies afin de vivre en bonne entente avec les habitants de Campo Claro (« être ouvert » est revenu plusieurs fois par exemple).
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Extraits
N : okay question of the flat
N: okay question de l’appartement
U : ah bueno // doncs bueno com et comentava ella està fent aquesta investigació porta aquí una setmana / però: està buscant un pis per llogar //
U : ah bien // donc bon comme je te disais elle fait cette investigation elle est ici depuis une semaine / mais : elle cherche un appartement pour louer
F1: sí
F1 : oui
U: ha vist que a Camp Clar són són més baratos /
U : elle a vu qu’à Camp Clar ils sont sont moins chers // mais :
F1: muy chungo (XX) (niega con la cabeza) muy chungo eh:
F1 : très mauvais (XX) (hochements de tête) très mauvais euh :
U: si tu li recomanas viure a Camp Clar
U : si tu lui conseilles vivre à Camp Clar
F1: (niega con la cabeza) no / ntz / no // e:s toda gente extranjera y: de toda la vida hay: problemas con drogas: // están pisos ocupados por gente de fuera como musulmanes gitanos y tal y no // (niega con la cabeza)
F1 : (non avec tête) non / ntz / non // c’est : tous des étrangers et : toute la vie il y a des problèmes avec les drogues : // ces appartements sont occupés par des gens de loin comme des musulmans des gitans et tout ça et non // (non avec la tête)
N : y if I search a place to live
N : et si je cherche un endroit pour vivre
U: la la cuestión es que ella: va hacer una investigación aquí / acaba de llegar / y está buscando un: piso para vivir para alquilar ha visto que en Campo Claro son más baratos / pero antes se quiere asegurar que: es un buen lugar para vivir élla / qué piensas tú
U : la la question c’est qu’elle : va faire une recherche ici / elle vient d’arriver / et elle cherche un : un appartement pour vivre à louer elle a vu que à Campo Claro ils sont moins chers / mais avant elle veut s’assurer que : c’est un bon endroit pour vivre elle / que penses-tu
H1: no (niega con la cabeza)
H1 : non (hochements de tête)
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U: se lo aconsejas
U : tu lui conseilles
H1: hombre yo n: yo no para una chica no aconsejo irse a Campo Claro porque allí hay / (aspira) la zona no es no no es la más indicada para una chica joven / no / no / eh eh eh / y para un chico / es / un poco peligroso / es un poco peligroso / la zona esa es peligrosa (afirma con la cabeza) // porque está al lado de Bonavista: hay mercadillo: hay drogas: hay / lo lo lo lo lo malito las cosas malitas están ahí // jajaja para ser más claro para ser más // no te aconsejo yo / Torreforta
H1 : eh bien moi je n : moi je ne conseille pas pour une jeune femme d’aller à Campo Claro parce que là-bas il y a / (inspire) la zone n’est pas n’est pas la plus indiquée pour une jeune femme / non / non / euh euh euh / et pour un jeune homme c’est / un peu dangereux / la zone-là est dangereuse (hoche de la tête) // parce qu’elle est à côté de Bonavista : il y a le marché : il y a de la drogue : il y a / le le le le le pire les choses mauvaises sont là // (rire) pour être plus clair pour être plus // je ne te conseille pas / Torreforta
N: okay N : okay U: es que ella / acaba de llegar lleva: esta semana aquí / y está buscando un piso en alquiler / ella ha visto que en Campo Claro los precios son más baratos / y: está pensando el alquilar allá pero antes se quiere asegurar si es un buen lugar para vivir // si tú se lo recomiendas a ella para vivir /
U : c’est qu’elle / vient d’arriver elle est ici depuis : cette semaine / et elle cherche un appartement à louer / elle a vu qu’à Campo Claro les prix sont moins chers / et : elle pense à louer là mais avant elle veut s’assurer que c’est un bon endroit pour vivre // si tu lui conseilles pour vivre //
H2: bueno: es como todo aquí si buscas los barrios: retirado: al centro pues va a salir un poco más barato // claro / mh: recomendao: depende: depende de la hora que tú vayas a salir si sales tarde hay gente buena en todos lados hay gente buena y mala / osea que sea en el centro sea en un barrio sea en cualquier sitio / eh / que n: bueno depende de la persona / si le gusta o no le gusta
H2 : eh bien : c’est comme tout ici si tu cherches les quartiers : retirés : du centre alors cela sera un peu moins cher // c’est clair / mh : recommandé : cela dépend : dépend de l’heure à laquelle tu sortiras si tu sors tard il y a des gens gentils partout il y a des gens gentils et mauvais / c’est-à-dire soit dans le centre soit dans un quartier soit n’importe où / euh / que n : bien cela dépend de la personne / si elle l’aime ou elle ne l’aime pas
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U: eh: la cuestión es que ella acaba de llegar a Tarragona / pero quiere investigar un poco Campo Claro / entonces está buscando un piso para: para alquilar / ha visto que en Campo Claro son más baratos y se está pensando irse allá / pero antes quiere asegurarse que: es una buena elección vivir en Campo Claro / vosotras: se lo aconsejáis G1: eh: (ríe) G4: es más seguro: es más seguro aquí en Tarragona en el centro G2: sí // hay bandas un poco: // G5: bandas tampoco pero G6: (tose) G1: (XX) G2: no sé G3: es donde viven más los gitanos: y no sé cómo decirte G2: que a ver que: hay casas buenas / y seguras G3: sí G2: barrios algunos sí / G1: y además si quieres trabajar es mejor en el centro / porque si no lo conoces te mueves mejor por aquí G5: y aquí tienes todo cerca / tienes: / N: (asiente con la cabeza) G5: no sé // G1: y hay otros barrios barrios más baratos que te quedan más cerca de aquí G5: colegios // o tiendas //
U : euh : la question c’est qu’elle vient d’arriver à Tarragone / mais elle veut faire un peu de recherches à Campo Claro / alors elle cherche un appartement à: à louer / elle a vu qu’à Campo Claro ils sont moins chers et elle pense à aller là / mais avant elle veut s’assurer que : c’est un bon choix vivre à Campo Claro / vous : lui conseillez G1 : euh : (rire) G4 : c’est plus sûr : c’est plus sûr ici à Tarragone dans le centre G2 : oui // il y a des bandes un peu : // G5 : non pas des bandes non plus mais G6 : (toux) G1 : (XX) G2 : je ne sais pas G3 : c’est où habitent plus les gitans : et je ne sais pas comment te dire G2 : que voyons que : il y a des maisons bonnes / et sûres G3 : oui G2 : des quartiers certains oui / G1 : et en plus si tu veux travailler c’est mieux dans le centre / parce que si tu ne le connais pas tu te bouges mieux par ici G5 : et ici c’est tout près / tu as : / N : (hochements de tête) G5 : je ne sais pas // G1 : et il y a d’autres quartiers moins chers qui sont plus près d’ici G5 : écoles // ou magasins
Chaque justification apportée par les personnes interrogées met en place un discours stéréotypé et discriminant. L’espace est considéré comme dangereux par F1, H1, G4 et G3 et les argumentations proposées sont parfois xénophobes. L’espace est déconseillé parce qu’il est peuplé de personnes considérées comme étrangères (F1), qui sont elles-même la cause de problèmes. « gitanos » apparaît dans deux discours, de façon connotée négativement (F1 et G3). La méconnaissance du territoire et les stéréotypes négatifs se mélangent dans les discours émis, tant chez H1 qui finit par confondre Campo Claro et Torreforta 17
(« no te aconsejo yo / Torreforta »), que chez F1 qui tient des discours discriminants et racistes englobant à la fois le quartier et les résidents de celui-ci, ainsi que toutes les personnes qu’elle considère d’origine étrangère (« gente extranjera », « gente de fuera como musulmanes gitanos y tal » ). De la même façon H1 définit le quartier sans nuance : « lo malito las cosas malitas están ahí ». La notion de sécurité revient dans les discours de G4, F1 et H1, non qu’elle soit directement abordée par les personnes interrogées, mais plutôt par les représentations négatives du quartier (« droguas » revient dans les discours de F1 et H1), tandis que le groupe émet un avis plus modéré en opposant la sécurité du centre-ville à celle du quartier en question (« G4 : es más seguro: es más seguro aquí en Tarragona en el centro »). Ainsi, les stéréotypes, envisagés comme « une modalité figée des représentations » (Beignioni, 2009 : 163),sont ici à l’œuvre. En effet rappelons que tous m’ont indiqué ne pas connaître le quartier en question. Au-delà du stéréotype, il est possible d’envisager qu’il s’agisse là de préjugés, puisqu’une dimension affective est à noter dans certains discours (tant au niveau du verbal que du paraverbal). Les distinctions entre les individus sont effacées par les personnes interrogées afin de proposer des discours généralistes et discriminants permettant sans doute pour ceux qui les énoncent de positionner les exogroupes de Campo Claro comme différents d’eux-mêmes (« je juge ce que je ne suis pas »). c) Refus de l’identité catalane Les débats autour de l’identité catalane sont nombreux, et il est délicat d’entrer dans le vif du sujet à ce propos. L’identité catalane est en effet présentée par les membres de son endogroupe comme une identité collective stigmatisée par les identités espagnoles. Qu’est-ce qu’être catalan ? Qu’est-ce que la catalanité ? Ces questions ne peuvent être traitées de façon exhaustive dans un si court article, c’est pourquoi il est essentiel de traiter cette question avec précaution. Nous nous baserons donc sur la définition officielle, relayée par David Dueñas7 (sociologue) et le prêtre interrogé, qui est : N : et pour vous l’id- être catalan ça veut dire quoi P : / por me / o no N : bah pour vous P : si N : votre votre / vot’ définition de : d’un catalan (rires) 7 Le sociologue David Dueñas fait partie de l’équipe de professionnels du projet Expéditions dans les quartiers du Ponant (ndle). 18
P : y’a une définition officielle c’est / ceux qui vivent et travaillent / en Catalogne D : (acquiece) N : (sourire) P : no Extraits N : Son catalanes F1 : no / no (hochements de tête) N : Que idioma hablan F1: pues el suyo el: m: musulmán: m: castellano: y tal ///
N : Ils sont catalans F1 : non / non (hochements de tête) N : quelles langues parlent-ils F1 : donc la sienne le : m : musulman : m : espagnol : et cela ///
N : y son catalanes H1 : catalanes habrá un tanto porciento si habrá catalanes pero no todos N : que idioma hablan H1: / aquí en Torref- en Campo Claro / N: sí H1: (ríe) pues en español y en catalan como van a en español van a hablar / en español (calada de cigarrillo) N: sí
N : et ils sont catalans H1 : il y aura un certain pourcentage de catalans oui il y aura des catalans mais pas tous N : quelle langue parlent-ils H1 : / ici à Torref- à Campo Claro / N : oui H1 : (rire) donc en espagnol et en catalan comment vont-ils en espagnol vont-ils parler / en espagnol (fume) N : oui
N : y son catalanes H2 : hay de todo / inmigrante catalan de todo hay // N: (ríe) y: qué qué idioma hablan G2: hablan: bueno si hay emigrantes pues hablan: idiomas de: de: sus países hablan catalán: el castellano o más el castellano que el catalán hablan //
N : et sont-ils catalans H2 : il y a de tout / immigrants catalans il y a de tout // N : (rire) et : quelle quelle langue parlent-ils G2 : ils parlent : ben s’il y a des immigrants donc ils parlent : des langues de : de : leurs pays ils parlent catalan : l’espagnol ou plus l’espagnol que le catalan parlent-ils //
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N : y son catalanes G1: sí // G5: algunos // G6: algunos G3: buenos algunos no / la mayoría no // G2: no: hay de todo G1: hay G2: igual que / G4: la mayoria no / la mayoria no G1: sí / hay G2: sí que hay (ríe) U: o sea que unas unas veces que sí: otras que no (todos ríen) G4: sí que hay pero: la mayoría son de fuera // U: pero creéis que no se consideran catalanes G2: pero yo creo que no que yo creo que /// G1: sí G2: sí G7: no /// G3: no sé / supongo G1: sí se llegan a considerar / sí /// incluso andaluces españoles pero que han venido aquí // entonces se consideran catalanes // N: qué idioma hablan G1: español G5: castellano / la mayoría de allí hablan castellano // G3: sí G2: he G5: mh
N : et sont-ils catalans G1 : oui // G5 : quelques-uns /// G6 : quelques-uns G3 : ben quelques-uns pas / la plupart pas // G2 : non : il y en a de tout G1 : il y a G2 : le même que / G4 : la plupart pas / la plupart pas G1 : oui / il y a G2 : mais oui il y a (rire) U : c’est-à-dire que parfois oui : et parfois non (rires) G4 : mais oui il y a mais : la plupart sont d’autres lieux // U : mais pensez-vous qu’ils ne sont pas considérés catalans G2 : mais je crois que no je crois que /// G1 : oui G2 : oui G7 : non /// G3 : je sais pas / je suppose G1 : oui on arrive à les considérer /oui /// même des andalous espagnols mais ils sont venus ici // alors on les considère catalans // N : quelle langue parlent-ils G1 : espagnol G5 : espagnol / la plupart de là-bas parle espagnol // G3 : oui G2 : mh G5 : mh
Néanmoins, cette identité ne semble pas aisément accordée par les habitants du centre, du moins ceux qui sont locuteurs catalans, qui semblent considérer qu’un catalan se doit de communiquer, chez lui, en catalan (David Dueñas). Habiter à Campo Claro, dans les représentations, c’est donc ne pas être catalan en 20
majorité (excepté pour G1 qui maintient son point de vue dans la conversation au sein du groupe), et parler majoritairement l’espagnol8. Il est intéressant de constater que dans les quatre entretiens, aucun n’a affirmé que les habitants de Campo Claro était tous catalans. Seul H3 le dira, mais une nouvelle fois, il est sensibilisé sur le sujet. La remarque de H2 est en ce sens intéressante puisqu’il opère clairement la distinction entre ceux qu’il identifie comme migrants ou comme catalans (H2 : son de todo / imigrante catalan de todo //). La dichotomie semble imposer une incompatibilité entre les deux. G1 qui considère que les habitants de Campo Claro sont bien catalans ne fait pas référence à l’immigration gipsie (comme celle-ci ne semble pas impacter ses représentations de façon générale). Poser la question des langues parlées à Campo Claro fait ressortir deux types de réponses. Pour tous, les habitants du quartier parlent majoritairement l’espagnol, mais tandis que certains pensent aux langues envisagées comme des langues de migration (F1), d’autres n’envisagent que les questions langagières espagnol / catalan (tous citent les deux langues comme langues parlées dans le quartier en insistant sur le fait qu’il y a plus de locuteurs espagnols que catalans). Néanmoins, cette réponse, même si elle ne mentionne pas directement les langues dites de l’immigration, y fait pourtant directement référence. En effet, à la question « pourquoi parlent-il le castillan plus que le catalan ? » posée hors entretien, les réponses qui m’ont été apportées concernaient justement l’apprentissage linguistique à l’arrivée des populations migrantes (non espagnoles) en Catalogne, qui apprenaient l’espagnol plutôt que le catalan pour plus de facilité. La migration des personnes d’origine andalouse était����� également abordée régulièrement. Cette question a été posées plusieurs fois et les réponses obtenues se rejoignaient (au sein de l’équipe, avec des membre de la paroisse, etc.). Est-il envisageable que les locuteurs catalans soient identifiés par les résidents HCC9 comme ceux natifs de Catalogne ? Le temps imparti n’a pas permis d’y répondre. Ainsi, après ces recueils de données des résidents hors du quartier, et de l’analyse des représentations très majoritairement discriminantes, il était possible de s’intéresser à l’impact de celles-ci sur les résidents du quartier en question, que nous pouvons enfin poser comme un quartier stigmatisé.
8 A distinguer ici du catalan 9 Sigle pour désigner les individus résidants hors de Campo Claro 21
II. ESPACES D'IDENTIFICATIONS : HABITER A CAMPOCLARO 1) De la stigmatisation à la revendication ? a) Un nouveau protocole pour le recueil de discours ? Travailler sur Campo Claro nécessitait donc également, et surtout, de travailler avec des personnes qui résident dans le quartier afin de percevoir leur(s) sentiment(s) d’appartenance vis-à-vis de Campo Claro, mais également toutes les implications des discriminations que nous avons analysées comme telles de la part des résidents HCC sur les identités des résidents du quartier. L’approche choisie pour le travail en entretien semi-directif a été de passer par un lien de confiance, incarné par David Dueñas (sociologue). En effet, les premiers essais, avec M1 et M2 (mères d’enfants de Casal l’Amic10) n’avaient pas été pertinents avec l’aide d’une traductrice. Nous étions trop nombreuses durant ce premier entretien (les deux femmes, l’enquêtrice, la traductrice, la photographe, la documentaliste), et toutes étaient hispanophones : il n’a pas été possible pour moi d’interagir avec les deux femmes avant la situation d’entretien à proprement parler puisqu’elles communiquaient naturellement avec les hispanophones présentes (et majoritaires), incluant ma traductrice. David Dueñas, en tant que sociologue, a pu, dans les entretiens suivants, m’introduire auprès des personnes interrogées puisqu’il connaissait lui-même les enjeux des entretiens et les problèmes que peuvent engendrer la gêne sur la prise de parole de la personne interrogée. Ce faisant, il a pu lui-même établir ce lien de confiance et me positionner par la suite. Les entretiens débutaient donc par ceux de David, puis les miens. Le choix de l’interprétariat par David Dueñas était un choix compliqué, puisqu’il s’agissait de prendre en compte les nuances de discours apportés par celui-ci dans les traductions qu’il devait faire en direct entre moi et les personnes interrogées. Néanmoins, mes quelques connaissances en espagnol me permettaient parfois de réinterpréter des nuances non exprimées par David Dueñas et importantes pour le travail d’analyse de discours. Nous avons mis en place ce protocole dans trois entretiens différents : le prêtre de la paroisse11, M3 et l’équipe de sociologues. 10 La Fundacio Casal L’Amic est une structure pédagogique de proximoté implantée dans les quartiers du Ponent et partenaire du projet Expéditions (ndle) 11 Il est à noter que le prêtre parlait français et que l’entretien a donc pu se dérouler dans cette langue. 22
b) De la stigmatisation à la territorialisation Il semblait important de savoir si cette (ou ces) stigmatisation(s) étai(en)t perçue(s) par les résidents du quartier afin de voir si elles impactaient ou pouvaient impacter leurs mécanismes identitaires. Nous l’avons dit, appartenir à Campo Claro, appartenir à un quartier du Ponant peut être envisagé comme un stigmate perceptible, en ce sens qu’il peut être perçu dans les discours (castillan non catalan). Le choix du castillan en Catalogne peut être envisagé comme un écart par rapport à la norme dans une région ayant une identité collective si importante et autant liée aux revendications linguistiques (certains membres de l’équipe m’ont expliqué être amené à parler en catalan parce que certains de leurs locuteurs se sentent plus à l’aise). Ce stigmate est relevé par certains lors des entretiens (le prêtre, M3), et non par d’autres (M1, M2). Pourtant, nous l’avons vu, les représentations collectives désignent les quartiers périphériques de Campo Claro, comme l’ensemble du Ponant, comme des quartiers dangereux ; et en ce sens il semblerait inenvisageable que certains habitants du quartier n’aient pas eu écho de ces représentations qui circulent dans Tarragone et qu’il nous a été possible d’entendre dès le premier jour. Néanmoins, dans les discours, deux types d’attitudes se développent lorsque la question de la stigmatisation est posée. P. et M3 affirment que la ségrégation (ou discrimination selon) est toujours opérante. Extraits N : y’a trop d’choses / et du coup j’voulais savoir un peu c’que vous pensiez de : des sentiments d’appartenance des gens qui habitent dans le quartier / est-ce que leur identité / du quartier / est plus forte que l’identité au niveau de la ville P : / c’est : (XX) c’est : euh : il y a la perception de que nous sommes / de Tarragone mais / quand on va à la / au centre de la cité on dit nous allons à Tarragone / euh : il y a la une distan- distan- distanciation et la la la (XX) le fleuve Riu urbanistiquement c’est pas compact / N : hm P : no sé N : et vous avez l’impression que ça vient des gens du centre / de Tarragone aussi / ou c’est vraiment juste euh : physique / ou est-ce que c’est au niveau de : de : P : c’est physique et psychologique oui / je crois N : hm P : parce que le : // (XX) / le le N : hm
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Suite de l’extrait P : il ze / ils connassent pas : Ponant / c’est c’est euh / il y a une : / une méconnaissance de / de la réalité de / on connaît peut être le / le : / market mercat D : marché P : marché du dimanche comme sé no N : hm / si le marché de Bonavista P : de Bonavista N : hm P : mais on connaît pas le le collège le / quelques autres choses de / euh : / même le / le paroisse N : hm P : ils ont (téléphone) si c’est pas (XX) ils viennent pas ici N : et euhm / et du coup je me demandais si vraiment euh vous : ressentiez une sorte de rejet / de : des gens du centre ville ou si c’était vraiment euh : une sorte de : de sentiment partagé des gens du centre et des gens de Campo Claro au niveau de / l’appartenance euh / euh : légale mais pas ressentie P : hm // si euh : c’est / euh / il y a : // quelques années avant euh c’était plus fort ce sentiment N : hm P : euh : / et aussi euh / géographiquement y les : infrastructures c’était / hm / justificable non N : hm hm P : parce que il manquait des / des communications / des sports non / de de bus / euh c’était / muy compliqué de de / simplement plus difficile / la : communication N : hm P : mais : ça ce sentiment il reste encore / aussi euh des gens du Ponant comme des gens du centre qui / N : hm P : qui / qu’on ne laisse pas / (XX) // euh peut être il y a beaucoup de gens / pendant beaucoup années dans la piscine municipale euh / (XX) sportif non N : hm hm P : parce que c’était l’unique / dans Tarragone Plus loin, le prêtre affirme avoir conscience des stigmatisations qui s’opèrent sur le quartier :
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N : du coup les gens ils se sentent plus / les gens du quartier ils se sentent plus de Campo Claro / que de : Tarragone // ou ils se sentent de P : les gens d’acquí N : hm P : // si euh : // la :: la / euh : // je crois que c’est fluide de cette perception non / psychologique y : / (XX) pour la mutation de : géographique (XX) de infrastructures a a a fait que / hm / y’a une cer- une : une : sensation sentiment non se de : // hm : de barrié2 no de:/ de quartier N : hm P : euh : il y a / au même cho- se il y a il y a cette hm : // stigmatisation non / générale de Camp Clar / c’est c’est : c’est difficile c’est : beaucoup de problèmes / c’est que no de comme on disait à euh quelques années avant de Bonavista D : hm hm P : on disait la cité sans loi M1 et M2 ont une attitude ambiguë puisqu’elles affirment dans un premier temps que leur catalanité n’est pas remise en question par le gens du centreville, avant de proposer une explication inverse :
N : et vous pensez que les gens / euh du centre ville pensent que les gens d’ici sont catalans T : M1 : claro M2 : si / claro M1 : creo que si / yo creo que si M1 : espagnol N : ok T : tu as compris N : non (rires général) T : que quand quand un catalan euh : leur demande une chose en catalan et : elles répondent en : / en espagnol parce qu’elles ne dominent pas le : catalan / ils pensent qu’ils ne sont pas catalans De plus, lorsqu’il est demandé à M1 et M2 d’entourer sur une carte ce qu’elles pensent être����������������������������������������������������������������� ��������������������������������������������������������������������� Tarragone pour les habitants HCC, Campo Claro n’en fait pas partie. La contradiction apparente semble mettre au jour une stratégie discursive d’intégration à la ville, qui pourrait être liée à la fierté qu’elles affirment ressentir pour leur quartier (hors entretien). Là aussi, le temps passé au sein du quar25
tier peut intervenir (les deux femmes y vivent depuis plus de vingt ans) – nous y reviendrons. L’appropriation du quartier, et donc le sentiment d’appartenance qui en découle semble être donc intimement liée au temps passé dans le quartier en question. Les trois personnes ressources (P, M1, M2) expriment effectivement être arrivées dans le quartier à sa construction. C’est dans cette optique comparative qu’elles expriment une fierté face à l’évolution de leur quartier.
Figure 3 : Photographie d’Alba Rodriguez Nuñez d’après un projet d’Anthony Folliard12
Pour M1 et M2, les remarques seront faites devant les affiches ci-dessus, sur l’initiative d’Alba Rodríguez Núñez, qui leur posera la question « que vous inspirent ces photos ? ». Hors entretien et apportées dans l’espace public, ces réponses n’ont pas été enregistrées et ne peuvent donc pas être proposées ici dans leur intégrité. 12 Alba Rodríguez Núñez (photographe) et Anthony Folliard (illustrateur et graphiste) font partie de l’équipe du projet Expéditions qui a participé à la résidence organisée à Tarragone en janvier 2013 (ndle) 26
Néanmoins, les deux femmes indiquaient y voir une représentation de l’évolution du quartier de Campo Claro (les termes utilisés me sont propres et relèvent d’une interprétation), de son ouverture, de son évolution positive. De la même façon, le prêtre indique que les changements survenus dans le quartier sont des évolutions positives (extraits ci-dessus). Or cette évolution ne peut être prise en compte que pour ceux qui résident dans le quartier depuis suffisamment longtemps pour percevoir les changements. Là aussi, exprimer les évolutions du quartier permet de se placer en connaisseur, de se positionner comme étant de Campo Claro depuis la naissance du quartier. La posture que choisit le prêtre sur le quartier (co-construite à mon sens par David Dueñas et par les membres de la paroisse) est une posture haute, une posture de connaisseur du quartier. Cette mise en avant de l’évolution du quartier semble dénoter une fierté d’appartenance au quartier en question. La stratégie choisie pour la défense de cet espace semble être basée sur le processus positif en cours dans le quartier. En ce sens, la rénovation urbaine de l’avenue et de la plaça Mayor semble être une fierté pour une partie des habitants de Campo Claro. On peut noter que les stratégies identitaires mises en place ont toutes pour vocation d’épargner l’individu dans son identité, c’est-à-dire de lui permettre de se créer une identité positive. M1 et M2 cherchent à valoriser leurs identités collectives d’habitantes de Campo Claro en valorisant le quartier auxquelles elles se sentent appartenir (le facteur temps jouant ici un rôle clé). Ce faisant, elles réactivent les principes d’assimilation au groupe (l’identité du groupe l’emporte sur l’identité individuelle et incite à effacer nos différences d’avec l’endogroupe) et se posent, elles aussi, comme porte-parole des habitants de Campo Claro (non Gispies). Quand il s’est agit de demander à M1 et M2 de choisir un endroit que nous pourrions photographier et qui définirait le quartier à leurs yeux, elles ont finalement choisi ces deux rénovations urbaines comme vitrines du quartier. Pour M3, qui ne réside pas à Campo Claro depuis aussi longtemps, la stratégie identitaire développée au niveau discursif est différente. Elle ne cherche pas à valoriser son quartier pour se valoriser mais plutôt à s’en détacher en le jugeant négativement (stratégie de stigmatisation de l’autre pour alléger la stigmatisation qui pèse sur soi selon Jean-Claude Croizet et Jacques-Philippe Leyens (2003). En montrant son manque d’affection pour ce quartier, on peut supposer qu’elle cherche donc à s’extraire de cette identité attribuée (ne serait-ce que par notre présence même) d’être de Campo Claro, et c’est d’ailleurs par la présence des autres depuis longtemps dans le quartier qu’elle arrive à envisager leur affection pour celui-ci. 27
Extrait N : et j’ai cru comprendre que vous disiez que vous n’aimiez pas Campo Claro et dans les entretiens qu’on a eus il y a beaucoup d’gens qui nous ont dit qu’ils aimaient beaucoup leur quartier M3 : a mí no / (risas) la verdad soy sincera D : si no no no M3 : a lo mejor s- muchos a lo mejor luego me veran luego en el esto diran mira esta / (risas) D : pero : cada uno tiene sus opiniones y / y hay que respetarlas osea que eso es lo que hay // pardon // qu’elle n’aime pas Campo Claro N : hm hm D : et qu’elle est sincère N : oui oui D : et que après elle peut être que d’autres personnes peut peut le voir et dire euh / qu’elle n’aime pas : ça qu’elle le dit N : mais en fait j’avais pas fini ma question D : ah pardon N : c’était juste pour que tu aies le temps de traduire D : aun no era la pregunta M3 : ah vale : D : era sólo la introducción /// pardon N : et j’voulais savoir c’que vous pensez des : des : ‘fin c’que à votre avis les gens aiment bien dans ce quartier D : // eh : puedes decrirlo otra vez / tu as entès A : sí /// euh / a leur avis N : à son avis oui / ces gens là les les parce que c’est pas tous mais deux trois personnes avec qui on a parlé A : hay otras personas que han dicho que sí que les gusta Campo Claro / ella quiere preguntarte m : según tú / por qué crees que : las otras personas sí les gusta Campo Claro M3 : porque a lo mejor es que son de aquí no /// son de aquí / A : parce que : ces les autres personnes sont d’ici C’est afin de questionner les sentiments d’appartenance des autres résidents du quartier que j’ai proposé la participation à un vote anonyme dans une urne. A la question « de quoi es-tu le plus fier dans ton quartier ? »13 les réponses obtenues concernent majoritairement trois types : - Les habitants du quartier : « sus sonrisas en las caras » (« leurs sourires sur les 13 en espagnol : «¿Qué te enorgullece de tu barrio si te sientes orgulloso / a?» 28
visages »), « la gente XX » (« les gens XX ») « me enorgullece la gente nueva que viene » (« je suis fier(e) des nouvelles personnes qui viennent dans le quartier »), « las personas ����������������������������������������������������������������������������� que viven en el » (« les personnes qui vivent dedans »), « la diversidad de procedencias y origenes » (« la diversité de provenance et d’origines), « mis bezinos » (« mes voisins »), « mi bezinos » (ibid.), - Les infrastructures : « un campo de futbol » (« un terrain de football »), « el campo de futboll », « me gusta el parce » (« j’aime le parc »), « de los parques » (« des parcs »), « lo que me gusta mas es : el parque » (ce qui me plait le plus est : le parc » - Une activité : « lo que me gusta es activitades » (« ce qui me plait le plus c’est les activités ») On peut donc constater que le sentiment d’appartenance au groupe des habitants de Campo Claro reste malgré tout très fort. Cette affirmation est à nuancer par les réponses obtenues dans la seconde urne. A la question « que souhaiteraistu changer dans ton quartier ? »14 certaines réponses concernaient aussi les gens, mais non des individus ciblés. c) De la stigmatisation à la ségrégation spatiale au sein du quartier Au sein même du quartier, on peut noter une ségrégation spatiale, une délimitation de l’espace opérée par la majorité des personnes rencontrées au cours de ce projet, et notamment par les trois femmes qui nous ont présenté le quartier (M1, M2 et M4) au cours de la première semaine de résidence (protocole d’enquête mis au point par David Dueñas et Angel Belzunegui15 qui consistait à demander à des personnes de nous faire visiter le quartier). La zone gipsie au sein du quartier est présentée comme « the worst of the worst » (David Due����������������������������������������������������������������� �������������������������������������������������������������������� ñ���������������������������������������������������������������� as traduisant les propos des trois femmes). Ces dernières reproduisent ainsi les discours entendus par la majorité des résidents HCC sur ceux de Campo Claro, et opèrent donc, à leur tour, une ségrégation de l’espace, ellemême justifiée par des discours discriminants sur la communauté gipsie. Cette stratégie de stigmatisation de l’autre est expliquée par CROIZET et LEYENS (2003), qui affirment qu’il est possible, lorsque l’on appartient à un groupe stigmatisé (ou qui se perçoit comme tel puisque c’est ce qui nous intéresse en l’occurrence) de stigmatiser à son tour un groupe plus stigmatisé que l’endogroupe 14 En espagnol : « ¿qué cambiarías en tu barrio si quería cambiar algo? » 15 Le sociologue Angel Belzunegui fait partie de l’équipe de professionnels du projet Expéditions dans les quartiers du Ponant (ndle) 29
en question afin de restaurer l’estime de soi. Ainsi, en proposant un espace public défini comme néfaste et délimité au sein du quartier, espace considéré lui-même comme appartenant à une communauté définie et homogène, ces femmes peuvent valoriser le reste de leur quartier, quartier ici entendu au sens spatial et communautaire ; et donc par là même leurs identités individuelles (liée à ces identités collectives comme nous l’avons vu). De la même façon, lorsque j’exprime à P. que M3 n’aime pas Campo Claro, il me propose de la placer géographiquement dans le quartier. Or M3 habite place Camarron (au sein de l’espace gipsie) il justifie donc la raison du rapport de cette femme à l’espace, en reformulant une nouvelle fois l’idée évoquée plus haut : la place Camaron est la pire du quartier. P. lui aussi catégorise l’espace en question. La population gipsie souffre ici d’une lourde discrimination au sein du quartier, de la même façon que sa présence est considérée comme une des justifications de la stigmatisation de Campo Claro par les résidents HCC. D’ailleurs, au sein du quartier, un racisme latent semble à l’œuvre : à la seconde question posée par les urnes, de nombreuses réponses visent directement la communauté gipsie. Voici les réponses obtenues : « me gustaria camiar los hitanos malos����������������������������������������������������������� » (« j’aimerais changer les mauvais gitans »), « los ����� gitanos por que me asustan » (« les gitans parce qu’ils me font peur »), « los jitanos i las porquerias���������������������������������������������������������������������� » (« les gitans et la merde »), quiero ������������������������������������� cambiar a la gente que se comporta mal. Los gitanos » (« je voudrais changer les gens qui se comportent mal. Les gitans ») « me gustaria cambiar los gitanos » (« j’aimerais changer les gitans »).
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CONCLUSION L’espace s���������������������������������������������������������������� égrégué perçu et vécu comme tel impacte nécessairement les iden����� tités individuelles. En ce sens sont déployées différentes stratégies discursives. Valoriser l’identité collective à laquelle l’individu se sent appartenir (ou se sent assimilé par autrui) est la stratégie mise en œuvre par les personnes interrogées qui habitent dans le quartier depuis longtemps (entre 20 et 35 ans). En ce sens, M1, M2 et P se sentent identifiés au quartier, et le facteur temps y joue nécessairement un rôle fondamental. Ils se posent ainsi en habitants du quartier et cherchent à mettre en avant l’endogroupe en question, sans pour autant chercher le « nous » discursif, mais plutôt en proposant une absence de sujet énonciateur (je), permettant la définition, et par là même le rôle de porte-parole du quartier. Mais les stratégies discursives de dissociation du groupe peuvent également permettre à la personne de se placer hors du groupe stigmatisé, et donc de se valoriser en comparaison à celui-ci, comme c’est le cas de M3 qui ne souhaite pas être assimilé au groupe en question. Cette dissociation s’effectue ici pour permettre à l’individu qui cherche à restaurer son estime de soi à ne pas être impliqué dans le groupe (ou l’espace, ou les deux) qu’elle juge stigmatisé. Le choix d’effectuer à son tour une différenciation entre elle et le groupe stigmatisé revient à la double ségrégation dont il était question vis-à-vis de la communauté gitane : elle permet à l’individu de se distinguer du groupe.
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Résumé en français Cet article propose un début de réflexion sur les impacts de l’espace sur les identités, et ce particulièrement dans un quartier comme celui de Campo Claro. Dès le début du projet, cet espace nous a été présenté comme un quartier stigmatisé par l’équipe même de ce projet afin d’expliquer la « réalité » de Tarragone. Avant tout, il était intéressant pour moi de réaborder cette question de stigmatisation afin de savoir ce que les personnes pouvaient énoncer à propos de Tarragone. C’est dans ce but que je me suis rendue dans le centre ville afin de demander aux passants qui y résidaient ce qu’ils pensaient de Campo Claro. Nous avons rédigé le questionnaire avec Unai Reglero (un artiste du projet) afin qu’ils répondent à deux buts différents. En effet, mon travail était de passer par les représentations linguistiques pour comprendre les représentations de ce quartier ; et pour Unai il s’agissait de leur demander des représentations physiques des habitants du quartier afin de pouvoir créer des portraits robots. Cette première partie de mon travail de terrain a donc consisté à faire des entretiens filmés avec des questions précises. Durant cette première partie de mon travail, il a été possible de noter que : - Les personnes interviewées avaient de très fortes représentations sur Campo Claro et sur la façon de vivre dans ce quartier - La majorité d’entre eux m’ont signifiée qu’il n’était pas intéressant pour moi, en tant que jeune chercheure qui ne connaît pas le quartier, de m’y installer. D’autres nous ont dit que c’était possible si on était ouvert d’esprit. - Enfin, la plupart d’entre eux admettent ne pas connaître du tout le quartier en question mais se permettent de le décrire défavorablement. C’est seulement après ces découvertes qu’il m’a été possible d’attester que le quartier de Campo Claro était stigmatisé. La seconde partie de ce travail consistait donc à travailler avec les habitants de Campo Claro sur leurs représentations de leur quartier afin d’analyser quel type de stratégie discursive ils utilisaient pour parler de cet espace, mais aussi d’euxmême. Je souhaitais comprendre quel type de relations ils entretenaient avec les autres habitants ainsi qu’avec l’image de leur quartier. Pour faire ces entretiens, j’ai donc essayé de travailler avec un traducteur pour finalement choisir plutôt un membre de l’équipe, un sociologue, plus en mesure de représenter le lien de confiance que je nécessitais.
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A la fin de ce travail, il est possible de distinguer deux types d’attitudes des personnes interrogées : - Ceux qui vivent à Campo Claro depuis un temps relativement court (1 à 4 ou 5 ans) essaie de se démarquer du reste de la population du quartier - Ceux qui y vivent depuis longtemps (10-20 ans) valorise leur quartir et ses changements pour restaurer une estime de soi, une image positive en même temps que celle du quartier en question. Mais finalement, ce quartier stigmatisé ne se prive pas de recréer de la segregation et de la stigmatisation auprès de la population gipsie (et aux endroits qui leur sont attribués)et ils utilisent des discours discriminants sur ceux-là, exactement comme le font les habitants du centre ville sur le quartier. A-ton toujours besoin d’avoir un ennemi pour créer un groupe d’appratenance ou se démarquer de ce qui est dit?
Resume In English This article proposes a start of reflexion about outcomes of spaces on identities, and particularly in a neighbourhood like Campo Claro. Actually, this one is introduced like a stigmatised neighbourhood by the team of this project itself, that explains the reality of Tarragona. First of all, it was interesting for me to reconsider this question of stigmatisation to know what people could say about this in Tarragona. In order to do this, I wanted to ask some people in the centre of the city about what they think about Campo Claro. With Unai Reglero (artist in this project) we wrote a questionnaire for two different purposes. My work was about representations of languages to interrogate representations about neighbourhood, and for Unai it was to ask them questions about representations of physical aspects about Campo Claro’s inhabitants, to create identikits. This first part of my work consisted in interviews with camera and precise questions. During this first part, it was possible to notice following points (based on texts in original version on the article) : - Interweaved people of the centre of the city have strong representations about Campo Claro about life in this neighbourhood. 37
- The majority of they express it’s not a good idea to recommend live in Campo Claro to a French researcher who doesn’t know the neighbourhood. The others tell us it’s possible if this person is open minded. - Most of them don’t know at all this neighbourhood (and admit it) but describe unfavourably Campo Claro. After this findings, it’s possible to say about this neighbourhood it is stigmatised. The second part of this work consisted to work with Campo Claro’s inhabitants ; about their own representations of their neighbourhood, what king of discursive strategy they used for talk about this space, and so about themselves. I wanted to understand what kind of relationship they had with the rest of inhabitants, with a picture of their neighbourhood. To interrogate people, I have tried to work with a translator but finally, I have used one of my colleague, who is sociologuist, for create link with people. After this work, it was possible to distinct two kind of attitudes about interrogated people : - persons who lives in Campo Claro since a short time ( one- tree years) try to tell the difference between they and the rest of the neighbourhood. - Persons who live in this neighbourhood since a long time (ten- twenty years) enhance Campo Claro and his improvements to make theirself look good with the neighbourhood. But finally, this stigmatised neighbourhood recreate segregation and stigmatisation about gispie’s people (and places who are attributed to they) and have discriminated speech about they as people of the center of Tarragona have about Campo Claro. To create a feeling of group?
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Biographie Biography Nolwenn Troël-Sauton Chercheure en sociolinguistique, ses spécialités sont principalement la psychosociolinguistique et la sociolinguistique urbaine. Son sujet de thèse traite des constructions identitaires dans l’univers carcéral, dans une collaboration majoritairement menée auprès de personnes ayant vécu leur détention lorsqu’elles étaient jeunes adultes. L’espace y est envisagé comme ayant un impact direct sur ces identités. Son travail de recherche se fait par le biais d’une interrogation des discours. Elle l’envisage comme une collaboration, où les personnes ressources se doivent d’être considérées comme détentrices du savoir, par le biais de leur expérience empirique : le chercheur n’existe pas sans le terrain. Elle n’est pas seulement chercheure, et s’intéresse au contact interculturel, au cinéma, à la littérature ; son intérêt majeur reste les rencontres humaines de toutes sortes. Nolwenn Troël-Sauton A sociolinguistic researcher, her specialities are mainly psycho-sociolinguistics and urban sociolinguistics. Her thesis explores identity constructions in the prison world, in collaboration mainly with people who experienced their detention when they were young adults. Space there is seen to have a direct impact on these identities. She carries out her research work by means of examining the discourses. She sees it as a collaboration, in which the people providing the information must be considered as holders of knowledge, through their empirical experience: the researcher does not exist without the field. She is not only a researcher, and is also interested in intercultural contact, cinema and literature. Her main interest lies in human encounters of all sorts.
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Le projet The project Expéditions est une expérimentation à la croisée des chemins de l’art, de la recherche en sciences sociales et de l’éducation populaire. Ce projet de coopération européenne a réuni une équipe composée d’artistes, de chercheurs en sciences sociales, de pédagogues et d’enfants dans les villes de Tarragone en Espagne (janvier 2013), de Rennes en France (mars 2013) et de Varsovie en Pologne (mai 2013). Avec les acteurs associatifs et les familles des quartiers du Ponent, de Maurepas et de Praga, il s’agit de valoriser les ressources culturelles invisibles de territoires trop souvent stigmatisés. La finalité de ce projet s’inscrit dans un horizon de transformation de nos regards sur la ville : - Réinterroger les idées préconçues concernant les quartiers dits populaires, - Réinvestir le motif de l’expédition ethnographique pour le déconstruire, y compris sur le plan de l’actualité des attitudes parfois néo-coloniales dans nos disciplines (art, recherche, éducation). _ www.expedition-s.eu _ Expeditions is an experiment in which the paths of art, social science research and popular education meet. This European cooperation project brings together a team composed of artists, social science researchers, educators and children in the cities of Tarragona in Spain (january 2013), Rennes in France (march 2013) and Warsaw in Poland (may 2013). With these participants, and families from the neighbourhoods of Ponent, Maurepas and Praga, the project assesses the invisible cultural resources of those territories which are too often stigmatised. The aim of this project lies in the transformation of our perspectives of the city : - Re-examining the preconceived ideas of neighbourhoods known as workingclass neighbourhoods, - Reinvesting the reason for the ethnographic expedition to deconstruct it, including the current, sometimes neo-colonial, attitudes in our disciplines (art, research, education).
Des espaces aux identités discursives -
Nolwenn Troël-Sauton,Sociolinguiste Tarragone, janvier 2013
Cet article propose un début de réflexion sur les impacts de l’espace sur les identités, et ce particulièrement dans un quartier comme celui de Campo Claro. Dès le début du projet, cet espace nous a été présenté comme un quartier stigmatisé par l’équipe même de ce projet afin d’expliquer la « réalité » de Tarragone. Avant tout, il était intéressant pour moi de réaborder cette question de stigmatisation afin de savoir ce que les personnes pouvaient énoncer à propos de Tarragone. C’est dans ce but que je me suis rendue dans le centre ville afin de demander aux passants qui y résidaient ce qu’ils pensaient de Campo Claro. La seconde partie de ce travail consistait à travailler avec les habitants de Campo Claro sur leurs représentations de leur quartier afin d’analyser quel type de stratégie discursive ils utilisaient pour parler de cet espace, mais aussi d’euxmême. Je souhaitais comprendre quel type de relations ils entretenaient avec les autres habitants ainsi qu’avec l’image de leur quartier.
résumé complet page 36 resume in english page 37
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dans le cadre du projet Expéditions (2013-2014) www.expedition-s.eu