Paysages Intimes

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Nolwenn TroĂŤl-Sauton

Paysages Intimes


Dans le cadre du projet de coopération européenne Expéditions (2013-2014) www.expedition-s.eu


Paysages intimes Nolwenn TroĂŤl-Sauton, Sociolinguiste Rennes, mars 2013


Sommaire PRÉAMBULE : L’article comme première amorce d’un livre

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INTRODUCTION Le projet 6 Des choix à faire 6 QUESTIONS DE POINTS D’VUES Quel(s) retour(s) aux personnes concernées ? 8 Un travail d’équipe 9 A - Les langues dans ce travail d’équipe 10 B- Paysages Intimes pour une sociolinguiste 10 RENCONTRES 11 Nos collaborateurs 12 Déroulement des entretiens 12 SE POSITIONNER DANS LE QUARTIER... OU STRATÉGIES DISCURSIVES À L’ÉGARD DE MAUREPAS 13 Une distance critique 13 Chacun chez soi 15 A- Description 15 B- Justifications 19 Être connu dans Maurepas et connaître Maurepas 21


DES DISCOURS POSITIFS SUR MAUREPAS 23 Une question difficile 25 DES IDENTITÉS LIÉES AU QUARTIER 29 Un quartier qui évolue ? 29 Faire du social 33 DES DISCOURS CONTRADICTOIRES : L’IMPACT D’UNE STIGMATISATION PERÇUE La solidarité face à la critique

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LA DOUBLE STIGMATISATION : LA FAUTE À QUI ?

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A- Les gens 37 B- Les espaces 40 LE PROJET ET SES CONTRADICTIONS 41 CONCLUSION 50 ANNEXES 52


PRÉAMBULE L'article comme première amorce d'un livre Ce rendu propose une première amorce, incomplète, du projet en construction entre Alba Rodriguez Nuñez et moi-même. Un processus long dont nous proposons une première version pour les restitutions, c’est pourquoi nous avons opté pour une création ultérieure de l’ouvrage, et je propose ici cette première amorce. Cet article est donc une ébauche, non exhaustive, des pistes que suivra le livre. Malheureusement, un nombre important d’analyses qui me semblaient pertinentes et importantes n’ont pu être abordées dans le temps imparti.

INTRODUCTION Le projet Paysages Intimes est issu d’une collaboration née au cœur du projet Expéditions, projet européen regroupant artistes, scientifiques et pédagogues de rue de trois nationalités en résidence autour de la problématique des représentations des quartiers « dits »1 populaires. L’apprentissage de collaborations interdisciplinaires est un travail en soi, notamment entre artistes et chercheurs. La création du « Commun », comme l’appelle Pascal Nicolas-Le Strat et dont il parle très justement dans ses Carnets de résidences (2011) se construit aussi, dit-il (et je suis on ne peut plus d’accord avec lui), dans les temps informels. Plus que de chercher à créer des liens artificiels entre arts et sciences, c’est à la fois le partage de tâches quotidiennes, et de difficultés / d’interrogations similaires dans le travail qui permet à ces liens de s’opérer plus aisément. La contrainte temporelle (trois semaines de résidence, ce qui est extrêmement court pour un chercheur) impose au chercheur que je suis d’adopter ce que Romain Louvel (coordinateur artistique et scientifique du projet) aime à présenter des pratiques artistiques au sein de la démarche scientifique : parfois faire avant de théoriser son protocole. La rencontre avec Alba Rodriguez Nuñez2 a d’abord été une découverte interculturelle, une tentative de communication dans une langue véhiculaire3 que nous ne maitrisions pas autant qu’il est possible, puis un échange de pratiques. « Quel est ton projet pour cette résidence ? ». Par cette question récurrente des 1 Avec toutes les questions et toutes les problématiques que peuvent soulever la formulation « d’habitats populaires » dans leur connotation. 2 Artiste espagnole 3 Anglais dans ce contexte 6


explorateurs à eux-mêmes et aux autres, par cette tension palpable en chaque membre du projet, nous nous rapprochons du groupe, tendu nos différences vers ce but commun. La connexion se crée par l’objectif. Avec Alba, il s’est agit de nous expliquer l’une à l’autre. De fonctionnements dans nos pratiques. Il s’est agi de répondre progressivement pour elle à la question « qu’est-ce qu’être sociolinguiste ? », tout comme pour moi « qu’est-ce qu’être photographe » « quelle est la vision d’un artiste ? », les points qui nous rapprochent et ceux qui nous éloignent. Une amitié est née d’éthique commune et de rapport au monde similaire. Tarragone, où nous avons appris à nous connaître, et Rennes où nous avons travaillé ensemble jusqu’à vouloir créer un projet commun. Ce livre. L’ambition (audacieuse) de ce livre est d’être à la fois un ouvrage scientifique et artistique. Réussir, finalement, à recréer notre collaboration, celle des entretiens sur le terrain, celle des rencontres à Maurepas, mais sur le papier pour la partager dans ses réussites et ses échecs. Sans que l’art soit au service de la science, ni la science au service de l’art. Nous avons choisi de travailler sur la problématique du dedans / dehors, puisque cette problématique, dans les travaux que nous avons menés, peut se retrouver à différentes échelles. Comprendre à quoi doit servir la science (je ne suis pas en position pour parler pour l’art), et comprendre que c’est en la rendant véritablement accessible qu’on peut créer quelque chose de plus, ou pas, mais au moins essayer. Revoir ma première production dans ce projet, c’est aussi comprendre ce que je n’avais pas compris ; aller loin oui, dire des choses c’est sûr, mais s’extirper du langage institutionnel pour proposer autre chose. Quoi de mieux que quelqu’un comme Alba, appuyée par la rencontre de Pascal Nicolas-Le Strat pour réussir à prendre le recul nécessaire face à ce type de recherche pour proposer une action ?

Des choix à faire Avant d’entrer dans le vif du sujet, il semblait important d’accorder quelques lignes à deux choix faits par mes soins pour ce travail. 1) les personnes interrogées ont, dans cet article, une place prépondérante, les extraits y sont nombreux et de taille importante parce que les personnes avec lesquelles nous travaillons restent et resteront toujours celles qui permettent un co-création du savoir de la recherche. Sans eux, pas de possibilité de travail. C’est pourquoi, même si les analyses sont proposées, les extraits d’entretiens peuvent être longs. Entretiens qui, malheureusement, n’ont pu être fournis dans leur globalité puisque les transcriptions n’ont pu toutes être terminées à temps pour l’article, mais le seront pour le livre. 7


2) le choix s’est porté sur une analyse de contenu plus qu’une analyse de discours, parce que plus abordable, même si la philosophie avec laquelle j’ai pratiqué cette analyse de contenu reste liée à une analyse du discours4. En effet, ce que je propose n’a pas ici vocation à être la seule analyse possible, il s’agit d’une des possibilités il est certain, et cela reste malgré tout relatif. Ces analyses, bien qu’appuyées, ne cherchent pas à plaquer des catégories sur des individus qui sont ici totalement libres de ne pas s’y reconnaître.

QUESTIONS DE POINTS D’VUES Quel(s) retour(s) aux personnes concernées ? Un livre comme Paysages Intimes, de même pour cet article qui en est issu, a pour but de pouvoir être lu, et compris, par le maximum de personnes ayant participé au projet ; et pose donc, à ce titre, de nombreuses questions. Que peut-on se permettre de dire dans un ouvrage où des photos sont liées aux entretiens ? Quelles précautions peuvent être prises pour qu’au delà du simple anonymat, ce soit la confidentialité qui soit conservée ? C’est-à-dire comment s’assurer qu’aucun élément ne puisse permettre aux individus d’être reconnus alors qu’une partie de ces mêmes photos ont été affichées pendant plusieurs semaines dans le quartier ? Les premières observations faites après le collage des photographies tendent à envisager que les identités des personnes sur les portraits ont été connues. En effet, des jeux de devinette s’étaient mis en place dans le quartier dès les premiers collages ; et déjà lors de notre départ de Maurepas, plusieurs personnes avaient été reconnues. En ce cas, quelle précaution peut-on prendre si l’on envisage que ce dévoilement est contraire à la déontologie scientifique ? En effet, il est impensable qu’une parole livrée en entretien puisse devenir une parole publique assumée. De plus, certains des propos tenus pourraient desservir certains locuteurs, ou même attiser des tensions. Comment doit se placer le chercheur dans cette démarche ? Ecrire un ouvrage c’est proposer quelque chose à un public, or ici le public visé est à la fois dedans et dehors… Le dedans et le dehors de Maurepas, dedans et dehors des sciences sociales, dedans et dehors des sphères artistiques… Trouver un pont suffisant, construire ce Commun, mais comment ? Parler de quoi ? Taire quoi ? Si on considère que Dire c’est faire comme le déclarait John Langshaw Austin en 1970 avec un ouvrage du même nom, alors L’analyse du discours existe sous plusieurs formes et met en place des matrices discursives. En sociolinguistique, l’analyse du discours la plus usuelle se base également sur les dispositions syntaxiques. 4

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il faut prendre les précautions adéquates pour savoir ce qu’il faut rendre aux personnes enquêtées. Il ne s’agit pas d’abimer des individus, de les stigmatiser ou de stigmatiser leur quartier par le biais d’un travail comme celui-ci, mais bien au contraire. Il s’agit de proposer différentes analyses de discours (et non de personnes) dont les locuteurs ne pourront être identifiés. Le risque reste que les discours, lus de la sorte par leur locuteur même, ne remportent pas leur adhésion et que les analyses faites leur paraissent violentes. Véritablement, l’enjeu de l’analyse de la double ségrégation est de proposer à certains une vision distincte, une vision extérieure des stratégies discursives5 mises en place, même lorsqu’elles paraissent ségrégantes. Néanmoins, l’enquêteur, que je suis n’a pas de jugement sur les personnes avec lesquelles il travaille, ce qui en l’occurence me permet donc de livrer plusieurs degrés d’analyses, dont j’assume la responsabilité. Une œuvre scientifique qui fait le choix de se positionner dans le cadre d’une recherche-action se doit de pouvoir taire ce qui pourrait desservir ses collaborateurs. Pour ma part, j’ai fait le choix de proposer malgré tout une partie sur la double stigmatisation, analyse délicate quand on envisage être lue par les enquêtés, mais qui me semblait indispensable pour mettre à jour les différents processus /stratégies discursives qui se mettent en place chez les individus avec lesquels j’ai travaillé et dont on peut dire que le contexte de production discursif impacte directement (et nécessairement comme pour chacun) les discours tenus – et donc les identités montrées. Un travail d’équipe Travailler en équipe avec Alba, c’est mettre au point une rencontre interdisciplinaire et tenter de la rendre opérante pour chacune. Monter un projet commun, c’est être tendues vers le même objectif et chercher, en ce sens, à l’atteindre par nos propres protocoles, sans qu’ils invalident celui de l’autre : qu’ils invalident l’un l’autre. L’une donc par la photographie, et l’autre par le recueil de discours, protocoles qui se veulent complémentaires – et donc égaux – dans ce projet. Pourtant, cette tension demeure entre art et sciences, tension trop souvent niée dans ce projet à mon sens, tension des sciences sociales à utiliser l’art comme un outil ; comme un moyen et non une fin en soi. Un moyen d’illustrer son propos. L’un parle et l’autre illustre, et le chercheur se fait spécialiste. Or accepter cette propension des sciences c’est aussi pouvoir lutter contre, et partir de l’égalité, comme le disait Pascal Nicolas-le Strat, reprenant lui-même de Rancière (toujours dans ses Carnets de Correspondances en 2011) ce qui demande que cette égalité ne soit pas vécue comme un acquis, et donc à 5 De discours 9


l’origine de nombreuses inégalités de fait. C’est pourquoi j’ai fait le choix pour ce livre de ne pas intervenir dans les choix graphiques du tout, de ne pas apporter un jugement de non averti sur un travail de professionnel (puisque ma collègue est également graphiste), et de respecter son travail, tout comme je sais (pour avoir travaillé avec elle auparavant) qu’elle ne se permettrait jamais de remettre en cause la scientificité de ma part de travail. Ainsi, nous nous sommes mises d’accord sur ceci, quand nous avons parlé des spécificités des enquêtes en sciences sociales, ne pas lier les photographies au texte de quelques façons que ce soit. En ce sens, le livre peut ainsi être conçu comme un support pour deux travaux distincts, mais similaires. A) Les langues dans ce travail d’équipe La langue véhiculaire utilisée au sein de l’équipe est l’anglais, puisqu’il s’agit de l’unique langue que nous partageons. Néanmoins, dans la construction d’un ouvrage où l’écrit sera omniprésent, faire le choix d’une langue est difficile. Choisir l’anglais, c’est décider que la plupart des personnes ayant travaillé avec nous ne pourrons pas lire l’écrit, mais qu’Alba, elle, pourra le comprendre. Choisir le français pose donc le problème inverse, et signifie que les retours ne pourront être les mêmes pour Tarragone où nous avons effectué la première résidence. Pourtant, ce livre se veut pouvoir être lu sans être regardé ou regardé sans être lu, ce qui, en ce sens, permet à chacun de s’exprimer dans la langue de son choix. Pour ma part, c’est en effet dans ma langue première6 que je suis le plus à l’aise. De plus, Alba elle-même pourrait être amenée à écrire au sujet de son travail, ce qui permettrait donc d’offrir de la possibilité de lecture. Deux langues au sein d’un même livre nous semble également un bon moyen de mettre en place une interdisciplinarité interculturelle, pas de traduction de l’un à l’autre, mais bien deux axes complètement distincts. Comprendre l’un ou l’autre ne permettrait donc pas d’atteindre la même compréhension de l’œuvre ; tout comme comprendre les deux langues permettrait une autre appréhension de l’ouvrage, appréhension que nous-même, auteures nous n’avons pas en totalité. Mais n’est-ce pas aussi intéressant que de proposer aux lecteurs ce qui est au delà de notre propre compréhension ? B) Paysages Intimes pour une sociolinguiste Ce travail sur le dedans et le dehors revient pour la part qui me concerne à travailler sur les représentations de l’espace social et la façon dont le discursif est mis à disposition de l’identité ou des identités qui nous sont montrées par 6 Qui est le français 10


nos collaborateurs. Autrement dit, c’est la façon dont les gens parlent de l’espace dans lequel ils vivent qui signifie comment ils se placent dans cet espace, et ce qu’ils veulent montrer de qui ils sont pour l’enquêteur, quelle-s- identité-spublique-s- ils veulent assumer. Et, en ce sens, la façon dont ils parlent de Maurepas (et donc de dehors) a une influence sur ce qui est perçu d’eux ; elle en dit long sur leur façon d’être au monde ou leur façon de se montrer être au monde, sur ce qu’ils disent ou taisent de leur quartier, et donc sur ce qu’ils intériorisent (et de dedans).

RENCONTRES Au sein de projets tel qu’Expéditions, ce sont les rencontres qui permettent le travail (tout comme c’est toujours le cas en sciences sociales puisque sans personne du terrain, pas de possibilité d’entretiens, et donc de connaissances empiriques de ce terrain). Ce sont les rencontres donc, je viens d’en parler, avec les personnes habitant sur le terrain, et les rencontres avec les autres professionnels, permettent une évolution significative de la pratique de recherche, permettent de l’orienter. Cette idée de collaboration est née du projet initial et personnel d’Alba concernant la mise en place de portraits d’un mètre quarante par un mètre quarante d’un des habitants de chaque tour en bas de celle-ci. Son projet était de demander aux gens des portraits de dos dans leur cuisine, ce qui signifiait entrer dans leur appartement. L’équipe de pédagogues de rue du GRPAS7 a proposé de l’aider dans ce projet, par le biais des familles qu’ils connaissaient, afin de faciliter les démarches auprès des résidants. Ce sont donc Rose (pédagogue membre du GRPAS) et un groupe d’enfants qui ont accompagné Alba lors de la première rencontre avec les familles. J’avais souhaité les rejoindre afin de voir s’il était possible de faire des entretiens avec ces familles, et c’est pourquoi il m’est aisé d’attester que : les portes se sont ouvertes aisément. Il semble que la présence d’enfants ait véritablement permis de faciliter les approches initiales, et ait permis aux portes de s’ouvrir. Néanmoins, alors que cette présence pouvait être envisagée comme bénéfique au projet d’Alba, il s’est très vite avéré que les enfants, eux, semblaient s’ennuyer durant cette activité (ce qui peut se comprendre puisqu’il s’agissait de porte à porte et que leur timidité les empêchait de présenter le projet et donc d’être en interaction directe avec les familles). A posteriori, nous pouvons annoncer une différence significative entre la présence ou l’absence d’un lien de confiance dans la possibilité même de permettre l’ouverture des portes des individus. En effet, deux possibilités amenaient systématiquement les gens à 7 Le Groupe Rennais de Pédagogie et d’Animation Sociale est une association d’éducation populaire oeuvrant sur le quartier de Maurepas à Rennes et partenaire du projet Expéditions. 11


nous laisser entrer : la connaissance du membre du GRPAS (que ce soit Rose ou Antoine, un autre pédagogue), ou la présence des enfants. Pourtant, même en annonçant l’appartenance au GRPAS, Antoine s’est vu refuser plusieurs fois cette collaboration lorsqu’il entrait en contact avec des familles avec lesquelles il n’était pas en relation initialement. Une méfiance était notable chez la plupart de ces résidents des tours chez lesquels nous avons frappé aux portes sans obtenir de résultats. Cette méfiance peut s’expliquer par le nombre de représentants qui viennent faire de la publicité dans les tours selon eux. Néanmoins, faire ouvrir la porte ne suffit pas, encore faut-il convaincre, et il est vraiment délicat pour les personnes d’accepter de laisser entrer des inconnus chez elles. Il y a, dans cette intrusion, quelque chose, là aussi, de l’ordre de l’intime. Trouver les derniers collaborateurs a donc été particulièrement difficile. Nos collaborateurs Cet ouvrage se basera sur onze entretiens menés avec des habitants de Maurepas. Ces habitants, parfois rencontrés par le biais du GRPAS, parfois rencontrés par hasard, ne vivent pas dans le quartier depuis aussi longtemps les uns que les autres, n’ont pas les mêmes références culturelles ni idéologiques, n’ont évidemment pas le même âge et n’ont pas développé les mêmes attitudes et discours sur Maurepas, tout comme ils n’ont pas les mêmes situations professionnelles ou familiales. L’intérêt ici n’était pas de collecter ce que certains appelleraient un échantillon significatif et homogène, mais bien de travailler sur les discours proposés jusqu’à saturation des données (lorsque des récurrences apparaissent dans les discours de différentes personnes). Nous avons travaillé avec des hommes et des femmes, des enfants et des adultes, des familles et des célibataires. Deux enfants ont travaillé avec nous, il s’agit de deux filles de dix ans en moyenne. Seule G. apparaît dans cet article. Ma. et Lm., en couple, vivent ici depuis respectivement quatorze et vingt ans. F., quant à elle, a vécu adolescente ici et est revenue vivre à Maurepas il y a dix ans, A. réside dans le quartier depuis 9 ans. Al. depuis 5 ans ; Ne. depuis 2 ans et enfin Nu. depuis 2 ans et demi. Déroulement des entretiens Ils se sont déroulés de la manière suivante : Alba et moi présentions notre projet, j’expliquais le besoin de photographie de dos, de photos de l’intérieur des domiciles, et d’un entretien sur Maurepas. L’entretien était bien amené comme un des éléments du projet, dans lequel j’intervenais pendant qu’Alba prenait 12


des photographies. La durée des entretiens a varié en fonction de la prolixité des personnes, de 3 minutes à une demie heure. Evidemment, comme dans tout protocole d’enquête, les entretiens ont évolué en fonction des nouveaux questionnements qui se posaient à moi (et ce grâce aux réponses faites par nos interlocuteurs). Le désavantage de l’entretien improvisé c’est qu’il ne permet pas d’adapter le lieu à l’instant, ce qui est également le cas quand on est chez les gens. Ce sont eux, alors, qui choisissent l’environnement dans lequel l’entretien en question aura lieu, et cet environnement contient parfois d’autres gens qui perturbent l’entretien (interventions ou rires qui amènent l’enquêté à réajuster son discours, demandes d’attention hors de l’enquête), presque tout le temps un environnement sonore contrariant l’enregistrement (la télévision était allumée dans neuf domiciles sur onze), et l’omniprésence de téléphone et téléphone portable coupe régulièrement le lien établi entre l’enquêteur et l’enquêté. Ces perturbations rendent le travail de l’enquêteur plus difficile, et ce par divers aspects. Déjà parce qu’il est délicat de créer un lien de confiance lorsque personne ne nous introduit, et cela demande donc de mettre en place l’absence de gène, par le rire et l’autodérision quand c’est possible. Eviter de mettre le statut de chercheur en avant est important et lui préférer celui de photographe, qui, malgré tout, impressionne moins qu’une «chercheure en sociolinguistique» état intéressant pour notre travail. SE POSITIONNER DANS LE QUARTIER... OU STRATÉGIES DISCURSIVES À L’ÉGARD DE MAUREPAS Comme nous avions pu le constater lors de la précédente résidence à Tarragone, plusieurs types de stratégies discursives se mettent en place quand il s’agit pour les gens de parler du quartier dans lequel ils résident. Une distance critique Dans un premier temps, le quartier nous est présenté par Ne. et MM (qui ne m’a pas spécifié depuis combien de temps, mais il signifie tout de même depuis quelques années) comme un quartier sous tension (mais leurs discours se trouveront plus nuancés par la suite, nous y reviendrons).

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Extrait n°11 Ne : (...) ça circule pas mal / d’où les dealers les pff // donc à ne pas laisser les gamins trop trainer le soir tout seul quoi N : hm hm Ne : fin ça c’est aussi les parents qui n’surveillent pas trop leur les gamins hein N : ouais vous pensez Ne : ouais / parce que y’a des y’a des parents qui sont peut être un peu trop laxistes et qui laissent des gamins sortir euh : // pour l’moment on n’a pas eu d’problèmes mais est-ce qu’un jour y’aura pas ce problème là / parce que y’a des gamins de 7-8 ans qui sont là et ils jouent là / on les voit la lumière s’allume moi quand j’vois mon fils à 6h le soir j’fais fiut 6h N : hm hm Ne : tu rentres / j’l’ai au téléphone et j’dis tu rentres de suite / pas dans un quart d’heure pas dans une demie heure parce que je le harcèle au téléphone jusqu’à ce qu’il rentre parce que / bah j’ai peur // pas sécurisée N : hm Ne : voilà Extrait n°2 Ne : ... et j’avais tout l’temps dit même quand j’étais toute jeune parce que moi j’ai fait ma scolarité à St Malo / j’ai dit ja : mais j’habiterai Rennes hein / un quartier pourri comme ça qu’j’ai à la con comme ça / j’habiterai jamais Rennes / MM : mais y’a pas : y’a pas assez d’sécurité ici N : hm / ouais vous trouvez qu’ça manque de sécurité MM : oh ben ici euh : / c’est des représentants tout l’temps quoi / moi des fois ça me fatigue hein 1 Le premier extrait est issu d’un entretien de Ne avec David Dueñas (sociologue espagnol également en résidence), le second d’un entretien avec moi-même.

Dans le premier extrait de Ne., nous pouvons noter qu’elle commence par définir le quartier de façon généralement considérée comme « objectivante », puisqu’elle le fait avec l’absence de sujet énonciateur (je), qui ne fait son apparition que pour permettre à la locutrice de se dénoter des habitants qu’elle pense critiqués, et de se démarquer du quartier. La première phrase de l’extrait se voit choisir un impératif sous forme infinitive, représentant ainsi l’apogée de l’absence de ce sujet énonciateur pour tendre à cette objectivation d’une subjectivité.

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Dans le second extrait de Ne., les expressions utilisées par l’enquêtée proposent de Maurepas une vision de contre souhait (dans le principe de la contre utopie), renforcé par l’utilisation de « jamais », lui-même accentué prosodiquement8 en première syllabe. « quartier pourri », « à la con », proposé comme la justification du choix de jeunesse s’impose en réalité ici comme des définitions directes du quartier dans lequel elle réside. Ce faisant, elle propose une distance qui se veut lucide sur le quartier, les critiques formulées tendent à rejoindre celles envisagées au niveau des représentations collectives. Les mêmes analyses peuvent être faites concernant le discours de MM au sujet du quartier, puisque noter l’absence de sécurité revient bien à se présenter comme différent de cette optique / de cette façon de voir le monde. D’autres stratégies sont mises en place pour permettre à l’enquêté d’exister au sein du groupe non nécessairement choisi ou vécu, à ce moment de l’entretien, comme un groupe attribué et non revendiqué. Chacun chez soi Deux types de discours différents sont tenus par ceux qui assertent ne pas vraiment fréquenter Maurepas. Dans un premier temps, il s’agit d’une description de l’action, et dans un second temps de la justification de ce choix. Attardons nous tout d’abord sur ces assertions : A- Description Ne : non / tant qu’moi j’ai rien à m’reprocher euh : / ils peuvent dire c’qu’ils veulent moi à la rigueur euh / moi j’suis chez moi euh / bon c’est sûr que on : j’aurais quelque chose qui serait et / dans mon immeuble oui je je bougerai La présence à répétition du pronom « moi » semble permettre dans la majeure partie des cas référencés de faire une distinction entre le « eux » et le « moi ». Ce « eux » est présent dans les extraits. Ne. marque ainsi une distinction entre le pronom personnel « ils » et le double emploi du pronom personnel « moi » (la marque du déictique « je » revient également par deux fois). Ce « ils » demande à ce que la question préalable soit connue. Elle est la suivante : « N ; et ça vous pèse la la réputation qu›il y a sur votre quartier », le « ils » représente donc l’itératif d’un discours préalable de Ne. sur les personnes qui parlent de Maurepas. Ici, en se servant de cet itératif sans le contextualiser à aucun moment (elle commence 8 Prosodie = intonation 15


par employer cet itératif avant même l’utilisation d’un nom), on peut envisager que Ne. globalise ces autres ; et ce n’est pas le « nous » qu’elle oppose à cet « ils », mais le « moi » qu’elle introduit. Pourtant, il reste envisageable qu’ici, le « moi », ne s’oppose pas au « ils », tout comme il ne s’inclut pas dans un « nous » qui représenterait ici les habitants du quartier de Maurepas. Le « moi », « je », la référence à la première personne vise à opérer un déplacement du conflit imaginé, permettant ainsi à Ne. de s’extraire de la dichotomie, tout en préservant son intégrité. Ainsi, en refusant de s’inclure dans la communauté de Maurepas, elle se protège des discours négatifs sur son quartier (et sur les gens qui y habitent). Extrait n°1 Nu : et comme moi je reste là je sors pas trop beh je sors juste euh pour aller en sten formation ou faire euhm : mes besoins aller faire mes courses aller déposer mes enfants le jour même je suis pas là à chercher à savoir la vie des autres quoi chercher des bagarres voilà quoi Extrait n°2 Nu : je j’aime pas trop j’aimais pas trop sortir / j’étais chez moi calme euh : je fais euh le ménage je fais tout je reste là des fois je sortir hm à telle heure je dois être à la maison je faisais comme ça N : hm Nu : à 18 heures comme ça je dois être à la maison / et je revois mes cours euh tout ça je sortais je m’amusais mais j’avais une limite dans l’heure quoi Extrait n°3 Nu : euh / en f- j’veux dire comment / hey tout le que j’vais dire comment le dans le dans la vie de tous les jours on apprend des choses et il se passe des trucs / mais moi de mon côté moi je vais dire (??)/ et je j’aime pas trop savoir quoi /si là aujourd’hui il s’est passé ça ça y’en a un qui z’aiment trop savoir moi moi mon effet je me lève le matin je ramène mes enfants à l’école j- l’autre à la crèche après là si j’ai des trucs à faire je me je m’remets là je sors pas Ici aussi dans l’extrait n°3 Nu. oppose le « moi » au « y ». Cet extrait répond directement à la remarque que j’ai faite : « N : hm // du coup pour toi la hm : / la vision qu’ont les gens / de : de Maurepas n’a pas du tout changé ta vision d’Maurepas quoi ». Ce « y » est opérant comme l’était le « ils » dans le discours de Ne. mais le « moi » ici s’oppose implicitement, mais directement selon moi à ce « y » puisqu’il cherche à marquer la différence entre ceux qui « z’aiment trop savoir » et moi qui « sors pas ». 16


Le verbe « sortir » est beaucoup utilisé par Nu, à des formes négatives ou sémantiquement négatives. Etre chez soi, ne pas sortir et ne pas aimer ça qui entre en corrélation avec la distinction que la femme opère entre elle et les autres, et sa démarcation au niveau discursif. Extrait n°1 T : autrement non même le week-end je bouge pas je préfère passer mon temps dans mon appartement si y’a quoi que ce soit ça sera chez moi Extrait n°2 T : j’peux pas et : / quoi dire j’connais pas trop Maurepas / ça fait cinq ans que j’suis là / et j’connais juste ce quartier / et l’reste du quartier euh : / rien / parce que j’suis pas trop / le reste du quartier je je / j’connais pas parce que j’travaille /

T., quant à lui, n’utilise justement pas l’expression « sortir », ce qu’on peut attribuer à son activité professionnelle qui l’amène à sortir de chez lui pour autre chose que ses loisirs ou ses obligations. Néanmoins, c’est le verbe « connaître » au négatif qui revient à présent ici et qui peut être attribué, surtout au moment où intervient cet extrait, à de la méfiance de T à mon égard. En effet, cet extrait intervient dans la première moitié de l’entretien et mon interlocuteur s’était alors montré méfiant quant à répondre à des questions sur Maurepas comme il nous l’a lui-même expliqué vers la fin de l’entretien comme le montre l’extrait suivant (« N : euh quand j’dis parler d’Maurepas c’est pas forcément en mal hein T : non mais / quand euh quand euh les gens / par exemple quelqu’un qui connait pas Maurepas vient me poser des questions sur Maurepas euh : tout d’suite euh : / c’est un quartier où : euh / machin la drogue machin). Ainsi, il peut donc s’agir ici pour notre interlocuteur de se protéger du discours qu’il peut émettre sur Maurepas en affirmant, à de multiples reprises qu’il ne connaît pas le quartier. Plusieurs hypothèses sont donc envisageables à ce stade A) il fait ce choix du fait de la méfiance qu’il entretient vis-à-vis de l’intentionalité qu’il me prête : celui de vouloir entendre des discours négatifs sur le quartier ; B) Il fait le choix de se placer comme non connaisseur du quartier dans le but de ne pas être assimilé aux stéréotypes des habitants de Maurepas. Evidemment il ne s’agit pas de proposer une dichotomie qui nécessiterait de choisir A ou B, mais bien de supposer, parce les êtres humains sont plus complexes, qu’il y ait la possibilité des deux stratégies ou sentiments contradictoires ou complémentaires au sein d’un même individu. 17


Extrait n°3 T : tout c’qui concerne le quartier moi du moment que ça me touche pas moi (rires) N : hm L’extrait n°3 permet de remarquer que T. propose une distinction entre le pronom personnel « moi » et le nom « le quartier ». En créant une telle distinction, il semble donc qu’il ne s’y assimile pas. Extrait n°4 T : quand j’suis arrivé ici / on m’a parlé des quartiers qui étaient chauds / donc on m’a parlé du Blosne / on m’a parlé de : / d’ici et euh : je sais que bon au Blosne c’est un peu chaud / mais ici non //donc euh :: p’tetre qu’il y a certains certains certaines fois où : y’a : / y’a des choses qui s’passent hein je suis je sais rien je / moi j’suis pas un gars qui traine N : hm T : euh je finis mon boulot je rentre à la maison je j’me douche je vais au lit au moment où vous avez sonné j’étais au lit L’extrait n°4 se base quant à lui sur la distinction effective que T. fait entre lui et les autres de façon implicite « moi j›suis pas un gars qui traine » qui s’oppose nécessairement à ceux qui exercent cette action et donc connaissent ce qui se passe dans le quartier. Par cette proposition, on peut revenir aux hypothèses avancées antérieurement , qui semblent ici permettre de soutenir qu’il y a effectivement une envie de la part de T. de ne pas être inclus dans les représentations négatives de Maurepas en signifiant qu’il n’appartient pas au stéréotype. Enfin, pour tous les extraits vus, c’est au niveau sémantique, que les trois personnes interrogées font le choix du dedans face à un dehors qui reste envisagé soit comme hostile, soit comme méconnu. Ce choix est explicitement exprimé comme tel par T. et Nu. (Nu : « : je j’aime pas trop j’aimais pas trop sortir », T : « je préfère passer mon temps dans mon appartement ») utilisant des verbes relevant de l’affect comme aimer et préférer. Dans un autre registre, les trois personnes font des références directes à leur lieu d’habitation en utilisant l’expression « chez moi » qui réfère à l’appartement. « maison » et « appartement » reviendront également dans le discours de Nu. et T. Il y a donc bien prédominance des lieux d’habitations contre très peu de termes désignant le quartier à proprement parler dans les deux premiers discours. T., l’ailleurs et l’ici n’ayant pas, apparement, la même importance dans leur discours. Quant à lui, T. accorde une place très importante à Maurepas dans 18


son discours puisque la présence de celui-ci est aussi importante que celle de son lieu de vie (5 fois, dont 4 utilisations du nom « quartier ») B- Justifications Les quatre mêmes personnes proposent des justifications à cette désolidarisation du groupe, et ce faisant continuent cette désolidarisation

Ne : ouais / parce que y’a des y’a des parents qui sont peut être un peu trop laxistes et qui laissent des gamins sortir euh : // pour l’moment on n’a pas eu d’problèmes mais est-ce qu’un jour y’aura pas ce problème là / parce que y’a des gamins de 7-8 ans qui sont là et ils jouent là / on les voit la lumière s’allume moi quand j’vois mon fils à 6h le soir j’fais fiut 6h N : hm hm Ne : tu rentres / j’l’ai au téléphone et j’dis tu rentres de suite / pas dans un quart d’heure pas dans une demie heure parce que je le harcèle au téléphone jusqu’à ce qu’il rentre parce que / bah j’ai peur // pas sécurisée

On peut constater que Ne oppose son attitude avec celles de ces autres parents laxistes dont il est question. Ce qui me semble ici intéressant reste toujours ancré autour de l’opposition dedans / dehors et donc rentrer / sortir. Laisser sortir est ici connoté péjorativement puisque dehors paraît dangereux. Or ce « dehors » est ici bien le quartier dans lequel tous résident ; cela revient à une démarche laxiste où le dedans est présenté comme sous contrôle face à un dehors qui fait peur, qui échappe. On peut retrouver la même attitude chez E. E : non c’est l’seul soucis euh : qu’il y a dans l’quartier les gens qui / qui laissent trop leurs enfants faire en fait / et et les gens s’font bouffer par leur gosse et ils laissent tout faire / moi je sais qu’j’ai une copine on en parlait euh / à Super U / euh sa petite qui doit avoir 10-11 ans / bah elle commence à la laisser sortir elle dit une heure / on lui dit ouais mais aujourd’hui toi tu sortais d’accord mais aujourd’hui on n’est plus dans l’même monde euh : c’est / en plus elle la laisse euh dans les tours euh allée d’Brno c’est les pires (rires) euh : non quoi fin / oh à la rigueur en bas d’chez toi t’as un oeil dessus ouais / mais pas n’importe où quoi fin

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n : hm E : ici aujourd’hui on peut pas / de nos jours euh moi j’sais que mon grand il a 13 ans il m’demande jamais pour sortir il sort pas tout seul hein N : hm E : à part pour aller en cours bien sûr j’vais pas non plus lui donner la main N :(rires) E : et l’accompagner aller viens on va à l’école (rires) mais euh ouais c’est : / trop dangereux aujourd’hui Les femmes se montrent à moi comme des mères interdisant à leurs enfants de sortir pour les protéger contre les dangers du dehors. Pourtant, tandis que Ne. assumait la personnalisation de son discours dans la première formulation « bah j’ai peur », (et non dans la seconde où le pronom personnel n’apparaissait pas), E. quant à elle cherche l’objectivation dès le départ par « trop dangereux aujourd’hui », dont elle exclue le pronom personnel « je » qui permet de se situer dans un discours.

Extrait n°1 Nu : moi je moi je des fois je leur répond c’est dangereux mais quand on est resté chez soi tranquille euh : sans chercher XX on trouve rien on a rien quoi N :hm Nu : j’vais dire comment j’ai pas peur quand je sors dehors hein mais j’y vais je fais c’que l’objectif qui m’a amené à faire ça et après voilà je rentre chez moi Extrait n°2 Nu : mais faut / faut juste euh : prendre ses distances voilà euh // Extrait n°3 Nu : il faut juste prendre ses précautions / prendre ses distances voilà faut pas trop chercher ou entrer dans les jeux / si on y vit chacun pour soi voilà euh / on s’en sort tout mieux Si j’ai choisi précisément ces extraits, et a fortiori le premier, (faisant directement référence à la description qui précède), c’est parce qu’il me semblait intéressant de le mettre en parallèle avec le rapport de causalité que Nu. installe. En effet ici le « mais quand » entretient un rapport causal entre rester chez soi et ne rien trouver. L’adjectif « tranquille », là aussi, ajoute à la valeur de « refuge du domicile » puisqu’il ne qualifie pas la façon dont on se doit d’être chez soi, mais ce que signifie être chez soi (nécessairement être tranquille). Ainsi, Nu., comme 20


elle l’aborde dans les extraits 2 et 3 cherche du refuge à l’intérieur contre un extérieur qu’elle trouve hostile, puisque même regarder dehors peut paraît redangereux (« Nu : je sais pas moi je dis les dangers sont partout / mais je sais pas parce que euhm : / y›a pas en fait euh des fois on est là y›a des gens qui se bat en bas y›a des cris y›a des couteaux y›a ceci cela donc / moi je rentre chez moi moi-même j›ai dit à mes soeurs à mon frère quand ils entend ils ont envie d›aller voir je dis non vous restez là parce que / ici quand il se passe quelque chose si t›es témoin on est l›autre peut aussi te faire du mal parce qu›après tu vas parler / donc j›lui dit ça il faut pas du tout y aller quoi »). Ainsi, et dans la même idée, on peut voir que pour elle « prendre ses précautions » et « prendre ses distances » sont liés. En effet, étant donné la position proposée, le « il faut juste » s’adapte aux deux, il faut juste prendre ses précautions prendre ses distances9

T : autrement non même le week-end je bouge pas je préfère passer mon temps dans mon appartement si y’a quoi que ce soit ça sera chez moi N : hm T : et euh : / dehors c’est vraiment / vraiment vraiment rare / donc euh : tout c’qui s’passe dehors c’est pas mon problème / moi j’m’occupe juste de c’qui m’regarde N : ouais T : j’m’occupe de mes enfants d’ma femme mes gosses / c’est : c’est / tout c’qui est important pour moi en fait // maintenant : est-ce que est-ce que le quartier euh : c’est un bon quartier ou non pour moi ça va y’a pas d’soucis ici / est-ce que c’est chaud : / j’en ai rien à foutre que ce soit chaud Dans l’extrait de T., qui reprend une partie de l’extrait précédent, on peut voir qu’il justifie à la fois sa méconnaissance de Maurepas et son Nu et T. sont dans la même optique, s’occuper de leur vie sans penser de façon globale, « moi j’m’occupe juste de c’qui m’regarde » et « si on y vit chacun pour soi voilà euh / on s’en sort tout mieux » partant du principe que l’individualisme permet la sauvegarde individuelle contre un collectif qui ne peut être positif. Être connu dans Maurepas et connaître Maurepas Habiter longtemps dans un quartier donne un statut particulier à ces rares habitants. Habitués, cette connaissance empirique du quartier depuis autant d’années les amène nécessairement à développer un discours de savant sur 9 Une même syntaxe en analyse du discours signifie la présence d’un matrice discursive. 21


l’espace en question, en sus d’une certaine fierté de cette ancienneté. Ils sont les seuls à même de proposer un discours sur l’évolution de Maurepas, ce qu’ils font. Ces trois discours tendent à présenter une évolution du quartier dans la même direction : des rapports soit de plus en plus tendus soit de plus en plus distants. Ma : moi j’ai rien à cacher j’suis connu par beaucoup de / beaucoup d- beaucoup d’personnes / euh : pour euh les travaux que je fais chez eux /

E : c’est vraiment euh je je connais bien le quartier bon ici j’ai personne qui m’embète fin voilà j’connais tout l’monde euh / ouais tous les jeunes du quartier fin N : ouais

Ma : moi je : j’connais pas mal de monde du centre du centre social si euh : / comment il s’appelle H* S* Fils : S*

E : j’sais pas mais les ados fin j’connais vraiment tous les gamins du quartier // et voilà fin j’sais pas c’est : // moi j’aime bien c’quartier hein personnellement // personne m’embête

Ma : et puis bon ben / si on s’entend bien E : plaisez euh : / on va dire que : voilà je avec tout l’monde hein préférais habiter ailleurs quand même / parce que j’connais un peu trop d’monde Ma : autrement Maurepas moi j’me sens aussi des fois c’est c’est c’est pas / super bien à Maurepas / L* aussi / on connait bien non plus quoi mais euh plein d’monde hein N : pour l’anonymat c’est é Ma : (...) j’m’entendais bien avec euh E : l’anonymat ici j’en ai pas du tout : ben euh avec tout l’monde / le patron (rires) euh : voilà un jour habiter dans d’Super U du : du Gros Chène qu’est une maison aussi fin plus à la campagne aussi celui du du haut là Ma : moi j’connais bien ** euh monsieur monsieur ** le patron de le patron euh : / bah tout l’monde hein hein LM : bah oui parce que c’est vrai que : moi depuis qu’j’suis ici bah on connait plein d’monde hein Ainsi, il est possible de percevoir une récurrence de l’utilisation du verbe 22


connaître affilié aux personnes interrogées ici. Il revient à cinq reprises dans l’entretien avec Ma (4) et Lm (1) (couple) ; et trois fois dans le discours de E. Il est à noter que les deux entretiens ont duré 36 minutes mais que les interruptions dont je parlais plus tôt ont été plus nombreuses dans l’entretien avec E., et ont duré de longues minutes (10) puisque l’enfant présent nécessitait l’attention de E. à diverses reprises. Les extraits étant proposés dans l’ordre d’émission, il est intéressant d’observer l’évolution du discours dans celui de Ma et Lm, Ma a commencé par employer l’expression «beaucoup de personnes» et d’observer ensuite une gradation dans son discours, puisqu’il passe par «plein de monde» pour finir sur «tout le monde». Là ou Ma et E. expliquaient être connues dans le quartier afin de justifier ou d’expliquer leur place au sein du quartier, A. quant à elle n’aborde pas du tout la question de la connaissance des autres pour la même raison, mais davantage dans une optique de défense de Maurepas. Ici, elle n’affirme pas être connue plus que les autres mais explique qu’on la reconnaît pour justifier son propos : A : un peu / éoù au bout d’un certain temps c’est vrai quand on arrive dans l’quartier on connait personne ni rien mais au bout d’un certain temps tout l’monde vous connait / plus ou moins d’vue / et euh : les / le truc quand vous êtes connus d’vue moi j’suis désolée euh / ce quartier j’me sens plus en sécurité euh si j’veux aller m’balader à trois heures du matin dehors j’vois vraiment pas c’que j’irais faire en bas des tours à trois heures du matin Le silence que A. laissera entre «vous connaît» et «plus ou moins d’vue» tend à envisager la recontextualisation qu’elle apporte à son discours. Ce qui intéresse ici A. n’est pas tant sa propre reconnaissance d’appartenance à Maurepas mais bien la défense de ce quartier, ce qui provoque chez l’interlocuteur le même type d’impression puisque défendre Maurepas nécessite de créer un lien d’affect puissant entre soi et le quartier. Et il faut donc y avoir vécu (ou travaillé) longtemps. DES DISCOURS POSITIFS SUR MAUREPAS Nous avons commencé à voir plusieurs types d’attitudes de locuteurs sur Maurepas, et différentes stratégies identitaires mises en place. Pourtant, les discours changent au cours de l’entretien, et l’entretien en ce sens peut être envisagé comme permettant la recréation d’un discours ou recréation(s) 23


identitaire(s). Evidemment, une nouvelle fois, il ne s’agit pas d’envisager que les êtres humains ne sont pas emplis de contradictions et qu’ils pensent nécessairement soit l’un soit l’autre, néanmoins les stratégies discursives semblent évoluer durant les entretiens, pour choisir une autre des facettes de leurs points de vue sur Maurepas. Cette question de présentation du quartier arrive en dernier, et il semble intéressant de le signifier, puisque les placements identitaires que nous avons notés se présentent, quant à eux, tendanciellement en début d’entretien. Ainsi, je peux m’aventurer à en déduire qu’une fois les rôles établis et les identités démontrées, auprès de moi la personne peut avoir un rapport plus serein avec Maurepas et peut donc présenter le quartier de façon positive puisque n’ayant plus peur d’y être assimilé. Or, à ce stade de l’entretien, nous avons déjà abordé la question de la stigmatisation du quartier, ce qui ne peut qu’amener les enquêtés à renforcer le rapport affectif qu’ils entretiennent avec Maurepas, même lorsqu’ils ont commencé par se défausser du groupe (stratégie du « moi » qui s’extrait du schéma eux / nous). Les discours négatifs tenus précédemment par certains locuteurs (T., Nu. et E.) sont parfois revus par la suite, recontextualisés par eux, et souvent à l’avantage de Maurepas, afin de normaliser le quartier et que je ne m’en fasse pas, en tant qu’enquêtrice, une image négative. W. interviendra ici également sans pour autant avoir préalablement tenu de discours la désolidarisant du quartier puisqu’elle annonce être plus que satisfaite d’habiter ce quartier. Nu : je sais pas moi je dis les dangers sont partout / Nu : je me dis juste voilà les dangers sont partout Nu : bof voilà moi pour moi moi je je me dis les dangers sont partout Nu : les dangers ils sont / partout / dans tous les quartiers il y a il existe y’a des dangers y’a pas mal de : / de choses qui peut s’passer T : oui c’est vrai c’est comme partout la drogue hein : on va pas s’voiler la face / mais c’est pas pour autant que ces / que ces gens là embêtent des gens E : ah non c’est général / ah c’est la violence elle est partout maintenant / on voit ça partout c’est : ça devient horrible // hein ouais pépette E : voilà de toutes façons c’est partout ça donc c’est pas Maurepas quoi A : si on peut s’faire égorger sous un lampadaire si on fait chier N : ouais A : comme partout N : oui A : le truc on peut s’faire agresser par les gars en bas des immeubles si quand euh quand on quand passe et qui disent bonjour si on répond pas et qu’on fait le snob on 24


va avoir des emmerdes mais ça c’est : c’est partout pareil / c’est pas : propre : au quartier quoi / W : bon c’est partout hein / même sur les gens on dit du bien on dit du mal aussi Dans tous ces extraits, on peut constater que les locuteurs emploient tous « partout » afin de justifier les remarques négatives qu’ils font sur le quartier, et expliquer que les remarques négatives ne sont donc pas spécifiques à Maurepas (l’utilisation de « comme » permettant la comparaison revient dans deux discours). C’est d’ailleurs ce que justifie E. quand elle utilise le « donc » afin de créer, là aussi un rapport cause / conséquence entre ce « partout » et pas que dans le quartier. Une question difficile La dernière question de l’entretien concernait une définition et / ou présentation du quartier de Maurepas. Alors qu’ils me parlaient tous de Maurepas depuis le début des entretiens (dont la durée variait de trois minutes à plus d’une demie heure dans certains cas rappelons-le), cette question a posé beaucoup de difficultés à mes interlocuteurs qui se trouvaient alors devant la nécessité de présenter le quartier à un inconnu, voire de le définir (il est effectivement apparu, comme je le pressentais, qu’il n’y avait pas la même intentionalité entre définition et présentation à autrui pour les enquêtés). Pour la présentation (et pour le peu qui m’ont proposé une définition), toutes les déclarations au sujet de Maurepas sont positives.

N : si tu devais présenter le quartier à quelqu’un que tu connais pas quoi Nu : hm hm N : c’est ça l’idée Nu : (...) (...)le quartier Maurepas mord pas (rires) N : (rires) Nu : je veux dire c’est ouvert à tout le monde avec euh / le le quartier il est c’est pas que dangereux des fois je trouve c’est bien c’est j- là où je là où moi je suis située c’est : c’est bien pour moi / parce que y’a : tout / tous les magasins sont tout prêt tout est tout est en bas N : hm

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Nu : du coup : / s- en fait c’est pas ils sont pas trop loin / les leurs bureaux tout ça du coup / j’sais pas trop c’que j’vais dire là dessus / hm (...) je sais pas (rires) Nu : hm (...) bon j’vais dire c’est un bon quartier /// (rires) Maurepas c’est un bon quartier parce que y’a y’a : / y’a : plein de XX ils ont placé beaucoup des : : les trucs j’veux dire des sorties pour les enfants ils sont bien intégré là dessus euhm : // il y a aussi les centres de loisirs parce que quand j’étais au Blosne y’avait pas des centres qui venaient récupérer les enfants pour les emmener en / à des sorties Ici Nu. cite deux fois « Maurepas » en moins de trois minutes alors qu’elle le dit sept fois en globalité d’un entretien qui dure 26 minutes. Cette insistance, ainsi que la répétition, à la fin de « c’est un bon quartier » permet de proposer cette image positive. Le long silence (deux minutes et symbolisés par le double signe : (…) entraîne sans doute chez Nu. une réflexion sur ce qu’elle a dit précédemment et ce qu’elle souhaite dire ici. La valeur accordée à la définition, souvent envisagée comme « objective » était souhaitée afin de voir ce que les locuteurs étaient amenés à proposer au niveau de cette objectivation demandée. Transformer la question était parfois utile, quand elle semblait trop difficile (parce que trop lourde au niveau de l’implication personnelle d’un locuteur plutôt que de proposer un tel discours sans locuteur, et donc de produire une « vérité » sans sujet énonciateur). Il s’agissait alors de transformer la définition en une question d’initié qui présenterait à un novice et convoquait autre chose, de l’ordre de la protection d’autrui et du conseil. Nu. donc, après son long silence, se réapproprie l’espace de parole de façon précautionneuse puisqu’elle commence par dire : « Maurepas mord pas » qui est, je le découvrirai plus tard, une phrase très couramment employée au sein du quartier. Ce n’est que par ce biais, cette protection par un discours du collectif qu’elle peut à nouveau se réapproprier un discours positif sur le quartier. Elle commence ensuite par nuancer ce qu’elle disait précédemment « c’est pas que dangereux » pour créer une gradation et finir par dire que « c’est un bon quartier ». La répétition de cette formule, dont nous avons déjà parlé, peut également s’expliquer par l’évolution de la pensée de Nu. qui finit par, elle-même peut être, envisager qu’il y s’agit là d’un bon « quartier ». N : et ma dernière question / c’est si tu si vous deviez définir Maurepas / qu’est-ce que vous diriez Ne : / si j’devais définir Maurepas N : ouais Ne : comment ça N : si vous présenter Maurepas à quelqu’un qui n’y habite pas vous lui diriez quoi Ne : oh: aïe aïe bonne question ça (rires) 26


Ne : oh aïe ça j’ferai pas c’qu’on m’a fait comme coup moi (rires) N: ouais déjà Ne : euh : non j’dirais pas qu’c’est un quartier chaud j’dirais qu’c’est un quartier qu’est à découvrir avec ses gens / mais faut aller au devant des gens / N : hm Ne : faut pas qu’les gens soient euh : / moi quand j’suis arrivée ici c’est pareil j’suis arrivée euh j’connaissais personne N : ouais Ne : l’a bien fallu qu’j’aille devant les gens / pour m’faire accepter et j’pense que c’est le gros problème de Maurepas c’est qu’les gens ne vont pas / vis-à-vis euh ils connaissent pas puis vont pas aller N : hm Ne : vis-à-vis des autres / c’est peut être le gros problème c’est qu’y’a un manque de / ça résumerait peut être le : le système de Maurepas y’a manque de communication et / à partir du moment qu’y’a manque de communication ben / si on n’est pas d’accord ça monte ça monte ça monte d’un cran et / d’où les clans donc // je pense que c’est ça N : hm / d’accord Pour Ne. c’est plus compliqué, même si là aussi elle commence en gradation pour marquer ce qu’elle ne voudrait pas dire sur ce quartier (tout en le disant malgré tout) pour ensuite aborder ce qu’elle présente comme sa vraie définition. N’y aurait-il paslà une façon de défendre son quartier ? Ensuite elle aborde un autre problème, qui, même s’il ne semble pas répondre directement à la question ni à ce que je disais plus tôt de discours positif, en mettant le doigt sur deux des problèmes de Maurepas selon elle (« j’pense que c’est le gros problème de Maurepas c’est qu’les gens ne vont pas », « le : le système de Maurepas y›a manque de communication et / à partir du moment qu›y›a manque De communication »). N’explique-t-elle pas, jusqu’à un certain degré, que ce problème est résolvable ?

N : hm // et si vous deviez définir Maurepas ou présenter Maurepas à quelqu’un qui connait pas l’quartier vous en diriez quoi Al : alors euh :: j’en dirais que : c’est un / comment dire euh / pour celui qui ; rentre à Maurepas / c’est qua- c’est une : c’est un quartier euh : / pas huppé parce que c’est un quartier social / ça c’est sûr // mais que bah : bah que c’est un quartier euh : comment dire où : / où on peut s’entendre en fait / donc euh / ou si y’a un respect euh : des voisins bah tout peut : tout peut bien s’passer donc euh /que Maurepas peut être une : / un endroit euh / accueillant calme / respectueux : euh vivant en fait

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Al commence, comme tous les autres, par dire ce que n’est pas le quartier (« huppé ») avant de le définir positivement à la fin de l’extrait. Il semble intéressant de noter que pour lui, un quartier social et un quartier positif semblent antinomiques (d’où la présence du « mais »). Il est le plus élogieux de tous mes collaborateurs sur le quartier puisqu’il compte quatre adjectifs qualificatifs positifs « accueillant, calme, respectueux, vivant » tout comme il y attache la notion de respect entre les personnes. Deux autres personnes ont répondu à cette question de façon différente : Ma : autrement Maurepas moi c’est mon QG / euh : j’suis connu à Maurepas / c’est tout hein / j’ai jamais eu d’problème à Maurepas / quand j’ai eu des problèmes à Maurepas je les ai réglé le jour même / et j’en ai eu N : bah c’est super merci beaucoup Ma : c’est mon quartier moi je préfère garder mon quartier T : euh : et puis surtout il faut savoir que : peu importe / c’qu’il a dans l’quartier mais : ça reste dans l’quartier donc euh : / on se doit de de / de/ protéger au maximum ce quartier N : hm T : peu importe la chose j’dirais jamais du mal de : / de c’quartier / elle m’a / il m’a accueilli // les gens euh : la plupart des gens que j’connais sont sympas / on s’dit / dans c’tour surtout / on s’dit tous bonjour N : hm T : donc euh : je m’permettrais pas de : / de dire du mal de de de ces gens là ou du quartier à d’autres XX tout simplement // c’est beau c’est génial j’aime chez moi / chacun chez soi / bon des fois juste mon voisin qui m’casse les couilles (rire général) Tous deux expriment ici un fort sentiment d’appartenance au quartier en question, et tandis que Ma. utilise quatre fois « Maurepas », il n’apparaît pas dans le discours de T. Le nom « quartier » revient dans les deux discours, mais ce qui est vraiment mais le plus intéressant reste l’utilisation, dans le discours de Ma., le pronom possessif « mon » par trois fois, ainsi que du nom « QG », sigle de Quartier Général, est à la base un terme militaire réinvesti hors de la technolecte 10 pour désigner de façon « revendicative » l’appartenance à un quartier, surtout dans le discours des jeunes. Dans le discours de T., deux formulations qui prouve ce sentiment d’appartenance 10 Discours technique/professionnel 28


méritent d’être soulignées. La première c’est l’utilisation du verbe « protéger » par T., qui marque ainsi son intentionalité positive et son affect. La gradation le mène à utiliser l’expression « chez moi » pour désigner le quartier, expression qu’il utilisait précédemment pour désigner son appartement. On peut donc y voir une implication personnelle du locuteur envers cet environnement avec lequel il semble vouloir faire corps contre le reste du monde.

N : t’aimes bien / pourquoi J : bah parce que c’est mon quartier euh pff il est grand y’a plein d’gens qu’on peut connaitre / euhm : y’a plein d’choses qui se passent de bien des fois c’est mal et euh : / et y’a des parcs que j’aime bien / bah : plein d’parcs où les enfants ils peuvent jouer / s’amuser / faire du vélo / comme le parc des Maurepas là ou ou des Gayeulles j’crois N : ouais

Cet extrait avec J. n’est pas placé au même endroit puisque cette réponse n’a pas été amenée par la même question que pour les deux autres. Elle amène par elle-même le discours sur le quartier, et le possessif est rapidement présent, tout comme elle le défendra par la suite face aux critiques des autres habitants du quartier. Elle répond alors à la question « N : et j’voulais savoir un peu c’que tu pensais d’Maurepas J : bah : j’aime bien / N : t’aimes bien / pourquoi », suite à quoi elle donne beaucoup de nombreuses justifications à ces raisons, en déployant des explications sur les raisons de son affection pour son quartier. Néanmoins il n’en reste pas moins qu’elle commence par l’exprimer par un « bah » qui semble ici marquer l’évidence de ce qui suit. C’est donc en priorité parce que c’est son quartier qu’elle l’aime et c’est donc bien une question de sentiment d’appartenance.

DES IDENTITÉS LIÉES AU QUARTIER: Un quartier qui évolue ? Les trois personnes ayant vécu à Maurepas depuis 9 ans ou plus sont à même de livrer leur expérience sur le changement du quartier. Les deux premiers le font d’eux-mêmes, tandis que je poserai moi-même la question à E. Il reste intéressant de constater qu’en tant qu’habitant du quartier depuis longtemps 29


la référence au passé ne met pas longtemps à survenir. La comparaison présent/ passé permet par la suite de les amener à définir le quartier et à expliciter les raisons de ces changements A : fin ne- 8 ans et demi 9 ans un truc comme ça // et euh : je j’dirais les anciens les anciens habitants / s’en vont / fin quand j’dis les anciens ceux qu’étaient là depuis 20 ou 30 ans / s’en vont parce qu’ils n’ont plus euh : / aucun repère / et qui s’retrouvent avec euh des voisins qui n’ont pas du tout les mêmes règles de vie qui n’respectent rien // y’a une espèce de : / de brassage qu’est de plus en plus euh / grand au niveau de : des gens qui passent parce que les gens ne restent pas les gens passent / ça devient mouvant j’sais pas comment expliquer le : / le truc les les les gens arrivent ils restent trois ans et euh :: ils ils cherchent un loge- euh un logement ailleurs un truc comme ça / en fait le quartier d’Maurepas surtout les tours / c’est devenu ouais un truc temporaire / une espèce de logement temporaire euh : et euh / du coup j’pense que le au niveau d’la vie d’quartier ça va s’en ressentir quoi / N : hm A : c’est euh : bah déjà au quotidien ça s’en ressent dans la mesure où les relations j’dirais de voisinage commencent à s’distandre / N : hm A : dans la mesure où on est face à des personnes donc qui ne veu- qui ne vont pas rester longtemps ou : qui n’veulent pas rester // parce que y’en a beaucoup qu’arrivent et quand ils voient l’truc ils veulent pas rester non plus / donc euh : le tissus social est euh : complètement en train de : de sauter fin moi c’est c’que j’vois quoi / et c’est dommage parce que c’est un quartier qu’est super chouette à côté / A. oscille entre des verbes indiquant un résultat et un processus en cours dans sa première intervention (« c’est devenu » / « ça devient » ) avant de choisir de rester sur le processus (« va devenir », « commencer à », « en train de »). Il est envisageable que A. considère que le quartier est à un tournant clé de son existence, où il resterait quelques habitudes d’avant (ici le avant positif qui s’oppose à un maintenant négatif et plein de menaces), et elle n’oublie pas de finir son explication en revalorisant le quartier sur lequel elle vient d’émettre des inquiétudes (qu’elle a pris la précaution de réinvestir au niveau personnel par deux fois (« j’pense » fin de sa première intervention et surtout « fin moi c’est c’que j’vois » en fin d’extrait).

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Extrait n°1 LM : moi j’ai vu des gamins petits comme ça maintenant ils sont majeurs euh / N : et vous sentez des différences entre : / dans l’évolution naturelle des endroits fin forcément les choses ont changé entre quand vous êtes arrivés et maintenant Ma : bah oui LM : y’a eu pas mal de réglementation donc euh : Ma : et puis les : / les générations ne sont plus les mêmes qu’avant Lm : voilà N : ouais Ma : ceux qu’étaient arrivés avant nous qu’étaient beaucoup plus grands ben sont partis N : hm Ma : et maintenant y’a encore une nouvelle génération qui arrive N : ouais Ma : euh : qui s’est qui est un petit peu plus / speed N : ouais Extrait n°2 Ma : maintenant ils sont plus tranquilles maintenant / ils sont plus tranquilles // on a moins d’contrôles aussi hein avant on avait beaucoup d’contrôles / là on en a beaucoup moins quoi / bon quand au moins on les voit circuler euh : c’est pour euh ils recherchent quelqu’un quoi / parce qu’il a fait au moins : u: ne bonne boulette quoi / mais euh bon non moi euh / moi euh moi j’suis bien N : et vous trouvez qu’il a changé l’quartier depuis que : entre quand vous étiez : plus jeune et maintenant / entre la première fois où vous y avez habité et E : bah le quartier non le quartier je je trouve pas qu’il ait changé mais : c’est les gens / fin les jeunes surtout / qu’ont changé N : ouais E : les jeunes euh plus ça va plus les jeunes sont violents / N : ouais

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E : c’est juste le soucis quoi / et les gens / j’trouve qu’ils laissent trop facilement leurs enfants / euh : aller dehors faire des trucs fin faire un peu n’importe quoi / alors qu’on n’est plus au temps d’avant quoi / fin moi à l’époque je sortais mais je : bon même si j’faisais des bêtises hein parce que bon comme tout l’monde N : ouais E : / euh :: c’’était pas c’était pas pareil aujourd’hui la violence elle est beaucoup plus présente c’est c’est trop dangereux dehors en fait ça devient dangereux quoi pour les enfants N : hm hm E : c’est juste le côté là qui qui a changé quoi c’est les jeunes fin on voit ils sont tous là avec euh en train de vendre leur drogue même à côté d’l’école quoi fin c’est ça craint N : hm E : c’est la violence aujourd’hui qu’a changé c’est tout N : hm E : les jeunes la violence N : et vous pensez qu’c’est un truc général ou qu’est spécifique à Maurepas surE : ah non c’est général / ah c’est la violence elle est partout maintenant / on voit ça partout c’est : ça devient horrible // hein ouais pépette Dans chaque discours, on peut voir des similarités les discours qui apparaître puisque tous expriment l’idée de changement en opposant « avant » et « maintenant », pas nécessairement de façon directe, mais en exposant les transformations qui s’opèrent dans le quartier. Seule A. abordera cette question par elle-même, je la poserai aux deux autres. Tous y voient une évolution, et tous semblent y voir la même (« plus speed », « la violence aujourd’hui qu’a changé », « le tissus social est euh : complètement en train de : de sauter » ), pourtant Lm et Ma tiennent des discours contradictoires sur le sujet. Comme on peut le voir, en effet, dans le premier extrait ils proposent une jeunesse plus réactive alors que dans un second temps, durant l’entretien, Ma dira « ils sont plus tranquilles ». Evidemment, il est possible de considérer que le « avant » ne réfère pas à la même temporalité (depuis 5 ans ? depuis 6 mois ? depuis 20 ans ?), néanmoins il est difficile pour le non connaisseur de la situation dont il est ici question (la régularité des patrouilles de police dans Maurepas) de pouvoir contextualiser la nuance entre les deux. Tous utilisent ici l’adverbe temporel et déictique « maintenant ». Contrairement à A., aucun de des autres ne marque son discours par sa présence en tant que subjectivité (sujet énonciateur) et permet ainsi à son expérience du territoire d’être objectivé. A. quant à elle se sert justement de cette subjectivité (de par le temps depuis lequel elle habite le quartier) pour appuyer son discours, en l’ancrant empiriquement.

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Faire du social Attardons nous plus en détails sur la posture que choisit Ma sur Maurepas. Celuici cherche à se donner une importance au sein du quartier, et la façon dont il parle des jeunes gens tend à lui accorder ce rôle de supériorité, d’aide, qui lui permet de se valoriser face à sa connaissance du quartier et de trouver son rôle. Ainsi, Ma est un bon exemple de ce lien intérieur / extérieur qui est opérant. En lui posant des questions sur Maurepas, Ma en vient à définir sa place dans le quartier en question. Extrait n°1 Ma : si on a besoin d’moi je veux bien filer un coup d’main / c’est tout quoi / moi j’suis là pour aider ici XX / pour les aider les personnes qui sont en difficultés moi j’veux bien : monter des meubles euh faire la une tapisserie discuter avec eux euh moi quand j’suis au lavomatique y’a beaucoup d’personnes agées quand ils viennent ben j’discute avec eux on parle de leurs enfants euh / de des problèmes qu’ils ont etc. mais bon j’veux pas dire que j’fais du social j’fais pas j’fais pas du social / mais bon j’ai du l- j’fais du lien quoi j’écoute euh le- leur problème etc donc euh ça m’est arrivé de : / bah d’être pas pour ce qu’elle disait mais bon j’leur disais ma pen- le fond d’ma pensée et puis bon c’est tout on a eu une dame là qu’a eu les mêmes pro- soucis avec son garçon que moi avec le mien et ben on discutait etc. et puis en fin d’compte ça va beaucoup mieux Extrait n°2 Ma : et : sa mère elle me elle me euh : bon bah elle fait des blagues et y’a des blagues et de tout quoi / moi j’vais chez les gens ils ont besoin de moi / ben je fais l’boulot mais quand j’vois leurs enfants / j’discute avec mais y’en j’connais plein de plein d’gamins du du quartier qui ont l’âge à ** euh : qui ont l’âge à ** même même / même mon âge à p’tetre pas mon âge mais un plus bas qu’moi quoi / question âge quoi / des fois je leur dis euh c’est con c’que vous faites quoi / vous venez chez les gens euh : chez les jeunes /: qui qui fument le shit et XX j’leur exprime là tu tu tu c’est pas bien ou j’leur explique / ce ce ce ce que c’est l’al- l’alcool la drogue etc. N : hm Ma : bon j’fais du social / bon j’ai jam- j’ai fumé une fois une fois j’ai fumé une fois Extrait n°3 Ma : ... j’leur explique aux p’tits jeunes y’a un p’tit jeune là A* qui faisait vraiment le con / mais vraiment le con il piquait des scooters et tout ça bon euh : j’lui ai fait du social avec lui j’lui ai dit tu sais A* un jour hein ben ça / t’es en train d’piquer le scooter euh / ce qu’ils appelaient les : les les 33


F : pizzas Ma : et j’lui expliquais à A* tu sais c’que tu fais c’est pas bien euh ; tu tu piques une mobilette si ça s’trouve le jeune et ben il il avait qu’ça pour euh pour aller travailler et j’fais du social avec quoi Extrait n°4 Ma : j’essaie de me : / pas leur pas être leur éducateur / mais leur expliquer ce que moi j’ai vécu / et ce que il risque de leur arriver s’ils continuent dans la sur cette euh : branche là quoi / donc euh c’est tout / moi euh Maurepas euh : ça fait des des des des / des branleurs / Ici on peut noter l’évolution du discours de Ma sur son propre rôle au sein du quartier de Maurepas. Il commence par justifier qu’il ne tient pas un rôle qui lui échappe ‘’faire du social’’, mais il y vient progressivement. Extrait n°1, Ma. dit « j’veux pas dire que j’fais du social j’fais pas j’fais pas du social » alors que dans l’extrait n°2 il y vient « Ma : bon j’fais du social / » et insiste sur cette idée dans l’extrait n°3 par deux fois « j’lui ai fait du social avec lui » « j›fais du social avec quoi » tandis que dans le dernier extrait c’est le terme « éducateur » qui est utilisé. L’évolution du discours de Ma. semble permettre la recréation ou en tous cas lui permet d’assumer cette posture qu’il semble vouloir nous montrer. Là aussi, la stratégie de Ma. est de se démarquer des autres en cherchant à assumer, en plus du rôle de notoriété, celui de « sauveur » du quartier, d’où le vocabulaire utilisé « problèmes », « aide », « écoute » etc. qui revient dans chaque extrait lui permettant de réaffirmer la place qu’il s’attribue. DES DISCOURS CONTRADICTOIRES : L’IMPACT D’UNE STIGMATISATION PERÇUE Il n’est pas ici possible d’aborder en détails dans cet article les stigmatisations perçues par chacune des personnes interrogées, néanmoins il est important de noter en préalable à cette partie que tous ont entendu des remarques négatives sur le quartier de Maurepas et par la même sur les habitants de ce quartier. Ce faisant, un stéréotype est généré, duquel chacune des personnes en entretien cherche à se démarquer. Notons avant de poursuivre que les deux enfants avec lesquels j’ai eu l’occasion de travailler n’ont jamais entendu de remarques négatives sur Maurepas de l’extérieur de Maurepas, même si J. en a entendu de personnes résidant dans le quartier.

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La solidarité face à la critique Appartenir à un groupe stigmatisé peut amener plusieurs types de réactions, mais comme le disait Jean-Paul Sartre dans L’Etre et le Néant, (1946, p. 84) « c’est l’antisémitisme qui fait le juif ». Ce qui peut être compris comme la stigmatisation d’un groupe renforce le sentiment d’appartenance de ce groupe face à l’agression extérieure qu’il subit. C’est en tous cas ainsi que vont réagir la plupart de mes contacts, puisqu’ici tous défendent leur quartier face aux représentations collectives négatives sur le quartier de Maurepas11. Extrait 1 W : oui bien mal y :: y’a des personnes : âgées des personnes mures qui habitaient avant et : à Maurepas et qui me dit que c’est un quartier très chaud / y’a des délinquants / y’en a aussi qui disent euh / beau quartier y’a l’ambiance y’a tout / y’a : des privilèges pour les petits / et c’est bien Extrait 2 J : et que ils disent ça en plus c’est eux qui les inscris / s’ils voulaient pas habiter à Maurepas il fallait qu’ils leur disent à là bas architel ou a:- archipel N : ouais // ouais t’aimes pas trop quand on dit du mal de Maurepas J : (...) N : (rires) tu sais pas tu t’en fiches Extrait 3 A : / en général euh les non y’a pas de / Maurepas est quelque est une ville euh : y’a des animations y’a : / y’a d’la vie / Maurepas vit en fait N : hm A : c’est pas si : c’est pas si mal en fait / c’est pas infréquentable Maurepas est pas infréquentable du tout c’est petit effectivement mais : / mais c’est pas infréquentable N : d’accord / et vous réagissez comment quand vous entendez du coup les gens dire des choses comme ça sur Maurepas A : ah bah j’leur dis euh / bah : / bah vivez une semaine et euh : vous verrez que / qu’y’a aucune euh / aucune raison de / de s’en faire : par rapport à c’qu’est dit / donc euh Extrait 4 N : / et euh : au niveau du de c’que pensent les gens et de c’qu’ils vous disent sur Maureoas / ça vous blesse qu’on dit ça sur le quartier dans lequel vous vivez Ne : bah euh à force de dire des choses / c’est vrai que : des choses se font se font sur euh sur euh le quartier oui ça fait pas plaisir à entendre / sachant que déjà on vit dans l’quartier 11 Les quelques extraits qui suivent sont scindés d’extraits plus longs, présentés en annexe (de A1 à A8) dans l’ordre d’apparition. 35


Extrait 5 MM : comme école // sans connaitre on juge / c’est ça qui m’énerve // ici les gens ça critique / bon bah moi ça m’énerve /

A : ouais ouais j’suis pas toute seule j’ai discuté avec pas mal de personnes qu’ont pas d’boulot dans l’quartier j’ai discuté avec d’autres aussi et c’est euh moi j’ai l’impression que quand j’dis que j’habite Maurepas on m’regarde bizarrement // parce que quand on habite Maurepas on est euh : censé correspondre à certains euh critères c’est-à-dire euh être : pauvres euh : drogués : euh alcooli : que euh sous neurolepti : que euh : des trucs comme ça quoi y’a une image euh / j’dirais très dévalorisante // concernant les personnes euh qui habitent ici alors que la réalité bon y’a des familles des machins y’a des gens normaux qui sont là dedans c’est pas euh quand j’dis normaux tout l’monde n’est pas complètement drogués abrutis ou sous cachetons quoi / N : oui bien sûr A : et le truc c’est pas l’bronx alors que l’image qu’il y en a d’un point de vue extérieur vraiment l’impression qu’on habite au fin fond du bronx euh : N : ouais A : / si on march- si on marche pas euh : à 5 au milieu d’la rue on va s’faire égorger sous un lampadaire alors qu’c’est totalement faux euh : N : ouais A : si on peut s’faire égorger sous un lampadaire si on fait chier N : ouais A : comme partout N : oui A : le truc on peut s’faire agresser par les gars en bas des immeubles si quand euh quand on quand passe et qui disent bonjour si on répond pas et qu’on fait le snob on va avoir des emmerdes mais ça c’est : c’est partout pareil / c’est pas : propre : au quartier quoi / c’est euh : / c’est un truc //mais euh : / ouais le le fait que on soit donc catalogués en tant que : tas de / de cas sociaux / c’est pas : / c’est pas c’qu’on fait d’mieux donc c’que j’disais N : ah t’as entendu des choses comme ça A : ah oui / oui oui ça c’est la hm /j’dirais c’est le : truc officiel concernant Maurepas / vous pourquoi vous êtes sur Maurepas Attaquer Maurepas revient bien à attaquer les habitants de Maurepas puisque stigmatiser un quartier revient à en stigmatiser ses habitants dans ce cas précis : ce sont bien les habitants qui sont critiqués et non l’espace urbain du quartier. En ce sens, les habitants, lorsqu’on parle de ces attaques directes, ne peuvent se désolidariser face à ces interlocuteurs et adhérer à leur discours puisque cela 36


reviendrait à se dénigrer. Il s’agit donc bien d’une défense identitaire. Tous pourtant annoncent qu’ils ne sont pas soit blessés soit heurtés, mais tous le confirment alors même que leur stratégies discursives changent en fonction de ces questions sur les représentations d’autrui. T., passe du « on » ( parce que quand on vit pas dans un coin / on connait pas on sait pas c’qui s’passe) au tu ( donc euh : / tu peux pas juger quelque chose que tu connais pas ), tu ayant ici une valeur générale mais ayant une valeur plus forte qu’un « vous ».En utilisant la deuxième personne du singulier, il marque cette phrase, plus générale que la précédente, comme une maxime de vie. Ce déictique, quand il s’adresse à moi, pourrait également être compris comme une explication à double niveau puisqu’en allant un peu loin dans l’analyse, on peut percevoir une interaction et une méfiance vis-à-vis de moi qu’il entretiendra jusqu’à la fin de l’entretien vis-à-vis de moi). Nu., avec qui je ferai mon premier entretien, sera celle qui m’amènera à questionner les autres sur ce qu’ils répondent quand on leur parle négativement de leur quartier puisqu’elle abordera elle-même la question en explicitant qu’elle défend son identité face à ces jugements (« je moi je des fois je leur réponds ». LA DOUBLE SÉGRÉGATION : LA FAUTE À QUI ? Tous, sans que je le leur ai demandé, amènent la question de la responsabilité des représentations négatives sur le quartier. Cette idée peut se rapprocher de ce que nous disions précédemment au niveau du stigmate : parfois pour continuer à pouvoir se valoriser alors que l’identité collective est atteinte, ce qui revient à tenir des propos stigmatisants à l’égard d’invidus tout aussi discriminés que soi ou plus12. A-Les gens Extrait 1 A : (..)// comme par exemple bah pour euh pour être méchante au niveau politique là ils sont en train d’nous faire un ghetto // Maurepas est en train de devenir un ghetto avec euh : / un taux d’immigration qui frise le 80% /// euh : le truc j’suis j’suis désolée c’est quand même gênant de voir qu’on se retrouve donc avec une concentration j’dirais euh / de personnes d’origines étrangères dans l’même quartier

12 Tous les extraits qui suivent présentent les discours de tous mes collaborateurs. Des extraits plus long sont disponibles en annexes (Annexes 9 à 14) 37


Extrait 2 et la version officielle moi j’ai j’ai posé la la question aux personnes euh : qui travaillent euh : Archipel Habitat des trucs comme ça euh // pourquoi pourquoi y’a plus d’français à arriver dans l’quartier depuis deux ans / euh on m’répond ah mais euh c’est pas d’notre faute ce sont les gens ils demandent à être là parce qu’ils ont leurs amis et leurs familles qui sont là / moi j’suis désolée j’vais à Archipel Habitat et j’vais dire ma famille et mes amis sont en centre ville j’veux un HLM en centre ville on va jamais m’le donner // Extrait 3 T : moi j’m’occupe de mes problèmes // euh : quand c’est chaud c’est que c’est quelqu’un qui s’mêle de c’qui le regarde pas Extrait 4 E : non c’est l’seul soucis euh : qu’il y a dans l’quartier les gens qui / qui laissent trop leurs enfants faire en fait / et et les gens s’font bouffer par leur gosse et ils laissent tout faire Extrait 5 E : les jeunes euh plus ça va plus les jeunes sont violents / Extrait 6 MM : comme les gens ici ça travaille pas ça dit beaucoup d’horreurs Extrait 7 Ne : (...) ça circule pas mal / d’où les dealers les pff // donc à ne pas laisser les gamins trop trainer le soir tout seul quoi N : hm hm Ne : fin ça c’est aussi les parents qui n’surveillent pas trop leur les gamins hein N : ouais vous pensez Ne : ouais / parce que y’a des y’a des parents qui sont peut être un peu trop laxistes et qui laissent des gamins sortir euh : // Extrait 8 Ne : / euh : on a des camerounais on a des / pfff on en a partout on voit bien hein quand euh c’est l’époque du : du ramadan et tout ça on les voit plus on les revoit le soir / oh ils ont une vie bien à eux / mais ils ne se mélangent pas avec nous c’qui fait qu’nous on peut pas rentrer en contact avec ces gens là / et nous les français qui sommes chez nous / on a du mal des fois à se faire accepter / alors qu’on est chez nous / nous moi y’a une fois j’me suis fait traiter espèce de sale arabe dégage de chez toi de chez nous / j’fais pardon attendez mes racines sont françaises / je suis française / ah ouais sale arabe / j’fais euh sale arabe là ça va être le tribunal qui va vous pendre au nez j’dis les insultes y’en a marre / j’dis je ne quitterai pas chez moi pour vous / vous vous êtes arabes vous êtes chez vous / repartez chez vous / laissez nous là parce que si vous nous acceptez pas on va pas vous accepter 38


Extrait 9 Ma : c’est XX non / ça craint à rapport à quoi parce que y’a beaucoup d’blacks / on est pas racistes hein N : hm Ma : parce que : ils sont : ce sont des gens qui sont assez agressifs / et dès qu’y’a l’alcool qui est là dedans parce qu’ils boivent pas mal / au niveau du Gros Chène / hein / y’a eu litiges là / ils s’mettent tous là / ils boivent des bières etc. et puis vous les entendez gueuler vous les entendez euh XX ils s’tapaient dessus et tout hein Extrait 10 Fm : des fois c’est les jeunes de l’extérieur de la zup et de Villejean qui Ma : qui viennent ici hein Fm : qui viennent ici foutre le bordel / et après ça passe sur les jeunes de Maurepas Certains de ces extraits apparaissent donc deux fois dans cet article mais pour deux raisons différentes. Ainsi ici on peut voir que de nombreuses personnes sont accusées d’être responsables de ce qui se passe à Maurepas, et chacune de ces personnes est proposée comme étrangère au groupe de référence que s’attribue le locuteur. Ainsi, on retrouve dans deux discours les « étrangers » comme responsables de ce qui se passe de négatif dans le quartier (discours de Ne. et de Ma.), dont le vocabulaire employé pose question. Pour Ne. par exemple, elle commence son discours par utiliser le verbe avoir dans la locution « on a des », procédant de la possession, alors qu’elle parle de personnes. De la même façon, elle utilisera l’itératif « en » dans « on en a partout » pour parler des « camerounais ». Elle parle ici de l’immigration et n’aborde qu’une nationalité, ne se donnant, semble-t-il pas la peine de parler des autres et globalisant donc toutes les personnes qu’elle considère d’origine étrangères sous « camerounais ». Plus loin, elle utilise la locution souvent connotée de façon péjorative « ces gens là », et explique qu’il y a des problèmes de communication avec eux, sans pour autant à quelque moment que ce soit proposer que le problème puisse venir des français, induisant qu’il s’agit nécessairement un problème d’ordre racial (elle utilise plus tôt le terme « multiracial ») et fait la dichotomie entre les français (« nous », l’expression « chez nous » qui revient par deux fois) et le ils, qui se transforment en « vous » et induit un impératif « repartez chez vous », « laissez nous ». De la même façon, Ma. attribue l’aspect qu’il considère dangereux à Maurepas (« ça craint rapport à quoi ») aux « blacks ». Là aussi on assiste à un stéréotype des « blacks », tous compris dans les actions qu’il décrit ensuite. Pas de possibilité d’échapper à la globalisation puisque « blacks » est suivi du pronoms personnel « ils » regroupant tous les individus appartenant à ce nom. Pourtant, il essaie 39


de modéliser son discours par l’adverbe « beaucoup » qui, en fait, ne permet aucunement de ne pas engendrer de stéréotypes. La précaution « on n’est pas raciste » est ambivalente et pose question puisque ce qui est dit en relève pourtant. L’adjectif qualificatif proposé pour, justement, qualifier le nom de blacks est péjoratif « agressifs » et tous les termes qui suivent sont associés à de la violence et à des attitudes considérées, là aussi dans les représentations collectives comme néfastes : « boire » (deux fois) « taper », « gueuler ». Ceux qui laissent leurs enfants sortir, nous l’avons déjà vu, sont considérés comme responsables par Ne. et E. non forcément des dangers mais sont jugés comme responsables de l’insécurité des enfants (ce laisser-aller parfois envisagé comme étant à la base des problèmes avec les jeunes). Pour E. il ne fait pas de doutes que les deux sont liés puisqu’elle commence par expliquer que les parents ne sont pas vigilants avant de justifier que cela conduit les jeunes à être de plus en plus violent (rappelons que le discours de E. n’est pas cantonné à Maurepas mais s’étend bien de façon générale à « partout », terme ambigu pouvant désigner à la fois la région, le pays, le monde etc.) T. lui justifie à nouveau son choix d’enfermement en expliquant que les ennuis proviennent justement de ceux qui ne s’enferment pas chez soi. Enfin, il semble intéressant que tandis que E. tient la jeunesse pour responsable de la détérioration des cadres de vie, Ma et Lm prennent quant à eux la défense des jeunes de Maurepas puisqu’ils accusent les jeunes d’autres espaces (ce qui nous amène à notre second point) : valoriser un espace stigmatisé en dévalorisant un autre de ces espaces stigmatisés. B- Les espaces E : j’pense que : j’pense quand même que les gens ont / ont une vue euh assez mauvaise sur le quartier / comme le quartier fin moi la zup j’ai j’ai une vue euh : / N : ouais E : sur l’quartier d’la zup euh / jamais j’irais habiter là bas quoi / c’est hors de question (…) E : ah ouais les gens c’qu’ils en pensent bah voilà après les gens pour moi n’ont pas l’air malheureux dans c’quartier fin / après c’que c’que disent les gens fin moi c’que j’pense déjà des quartiers de / euh : de la zup / euh : j’en ai une mauvaise euh : une mauvaise impression mais ça veut pas dire que euh : / qu’c’est un mauvais quartier quoi / alors après c’est c’qu’on entend aussi c’est c’est c’est ça voilà / mais bon c’est vrai que j’aimerais vraiment pas habiter là bas / 40


Ici, de la même façon, E. fait le choix d’une comparaison avec les autres quartiers considérés comme stigmatisés dans Rennes. Cependant, contrairement à ce qui était proposé par Ma. et Lm., il ne s’agit pas ici d’une hiérarchisation de ces quartiers, mais d’une comparaison. Néanmoins, E. commence par affirmer qu’elle a des représentations (peut être déplacées sur le quartier), mais reste partagée puisqu’elle affirme par deux fois que « jamais j’irais habiter là bas quoi / c’est hors de question » puis dans un second temps « j’aimerais vraiment pas habiter là bas / » alors qu’elle semble avoir conscience qu’il s’agit de représentation (justement à l’image de celles des gens sur Maurepas).

LE PROJET ET SES CONTRADICTIONS Un entretien a capté mon attention et celle des membres du projet quand je leur en ai fait part, c’est l’entretien de A. Je ne proposerai pas ici une analyse de ce discours mais juste un temps de réflexion sur ce qu’elle nous dit d’un projet tel que le projet Expéditions.

A : donc euh faut que je parle du quartier / p’tetre en français ou : euh : N : en français oui ce serait mieux parce qu’après j’ai besoin A : ça t’évitera euh : N : ouais / mais si t’as envie hein A : ouais ouais bah comme on peut le voir c’est un quartier très p- très paisible avec pas du tout de bruit (rires collectifs parce que travaux dans la tour) Fils A : tu vois c’est dans cette salle où il est l’niveau A : non c’que j’voulais dire c’est qu’y’a une énorme différence entre la vision extérieure qu’on peut avoir du quartier Fils A (en même temps) : mais tu vois où y’a les traits là comme ça / où y’a les traits comme ça A : parce que Maurepas fait partie des quartiers qui ont une réputation Fils A (en même temps) : ben c’est comme ça que tu peux changer d’pièce / en y allant A : on est euh du : / comment dire euh :// (poum poum poum) comment on peut dire poliment un ramassi de pauvres et d’immigrés comment on l’dit en : français politiquement correct (rires) N : je sais pas trop comment A : voilà mais en gros pour beaucoup d’personnes c’est ça et c’qui voient sur Maurepas ce sont les problèmes les dealers au bas des tours des trucs comme ça quoi alors que au quotidien / R : hm hm A : c’est des trucs de des d’accord y’a p’tetre des dealers au bas des tours j’en sais rien / 41


c’est pas mon problème et euh ils sont absolument charmants / ils sont prêts à porter vos courses quand vous êtes chargés quoi / c’est euh : / y’a encore un hm / cer-tain / fin jusqu’à ces derniers temps y’avait encore un certain rapport euh comme dans un village / N : ouais A : un peu / éoù au bout d’un certain temps c’est vrai quand on arrive dans l’quartier on connait personne ni rien mais au bout d’un certain temps tout l’monde vous connait / plus ou moins d’vue / et euh : les / le truc quand vous êtes connus d’vue moi j’suis désolée euh / ce quartier j’me sens plus en sécurité euh si j’veux aller m’balader à trois heures du matin dehors j’vois vraiment pas c’que j’irais faire en bas des tours à trois heures du matin (rires) A : mais bon si j’avais un chien et qu’j’allais l’promener du matin dehors j’aurais moins de problème / au niveau sécurité qu’en centre ville R et N : hm A : et euh : le truc avec euh les personnes soit disant louches contre lesquelles les flics euh : luttent p-/ et tout l’machin euh j’me sens plus en sécurité avec eux qu’avec les flics hein N : hm hm A : parce que la seule fois où j’ai vraiment eu peur dans l’quartier c’était les flics qui m’ont fait peur quoi / j’étais avec *** qu’était tout petit en poussette il faisait nuit il était dix heures du soir j’marchais sur l’trottoir je rentrais euh j’étais allée manger un kebab en ville il était dix heures du soir youpi c’est la fête (rires) A : et euh : y’a une voiture qu’a ralenti / et qu’a roulé au même rythme R : huum A : que moi / j’marchais j’lai entendu et tout j’ai regardé // ouch c’était les flics quoi / y’avait euh : trois mecs dedans qui m’regardait // sachant qu’ils étaient trois qu’c’était des mecs et qu’ils étaient armés j’étais comme ça quoi (joint un geste de peur) et i- euh i- et euh / et : ils l’ont fait sur euh / toute l’a- toute l’avenue qui r’monte là / ils l’ont il l’ont fait quasiment sur toute la montée / entre euh le : / j’dirais le le le début / de la montée jusqu’à euh : ouais quasiment quand j’ai traversé pour euh : v’nir ici quoi // là j’peux dire j’ai eu peur alors là / merde j’me rappelle j’suis une femme toute seule là ouch / y’a pas l’ombre d’un *dealeur pour venir me sauver* (* dit avec du rire dans la voix*) (Rire collectif) A : parce qu’une chose est sûre si je on s’fait agresser par les flics on peut se faire sauver par les dealers / éventuellement (rire) / ce serait p›tetre les seuls qu›interviendraient quoi / N : hm A : donc euh / fin j’rigole un peu euh : / le truc c’est que j’sais même pas si ce sont des dealeurs ou pas j’en sais rien moi on les appelle les dealeurs du quartier sous prétexte 42


qu’y’a des groupes de black euh qui boivent des bières et qui fument au bas des tours / qui disent bonjour qui taxent des clopes et qui portent les paniers quand on est trop chargés quoi / N : hm A : donc y’a : j’dirai une très grosse différence / entre ça et le quartier super dangereux que : qu’on nous promet d’un point de vue extérieur / N :(tousse) toi c’est : c’est des choses que t’as entendu sur le quartier A : ah ouais ouais ouais N : qui sont dites sur le quartier A : ouais ouais le le le le quartier bah déjà euhm / l’école c’est : euh on était dans une zep maintenant ça a changé d’nom c’est des trucs à quartier prior- l’éducation prioritaire machin truc parce que ce sont des quartiers à problème (respire) / on : est on est euh / fréquemment victime d’expériences / parce que ce sont des quartiers à problèmes / comme : hm / euh : y’a quelques temps y’avait un projet avec euh : / l’autre asso là comment // comment elle s’appelle déjà euhm : le truc tier mondiste là / quart ATD quart monde / qu’avait qu’avait complètement intoxiqué l’quartier / et qui qui faisait des projets moi j’suis allée voir les textes d’ATD quart monde sur le internet savoir que j’fais partie du sous prolétariat / ‘’lumpen proletariat’’ en allemand ça sonne mieux quoi N : hm A : / parce que à l’origine ce sont des notions qui ont été lancées par les nazis le ‘’lumpen proletariat’’// donc des gens qui nous considère comme du sous prolétariat qui viennent / qui t’montent des trucs sois disant pour aider les gamins et tout l’truc et qui euh / en fait font des études sur les pauvres sous couvert / d’amener la culture la réjouissance les fêtes les machins et en fait ils euh on s’aperçoit qu’ils nous étudie comme des : rats dans un labo euh : / le tout pour euh / justement pour recueillir la parole des habitants et tout faire des vidéos pour euh / qu’ils vont revendre très cher aux institutions quoi / des trucs comme ça //donc euh ça arrive hyper fréquemment et c’est pour ça tout à l’heure avec l’histoire de projet artistique N : ouais A : de machin / euh comme on est un quartier tellement défavorisé / que c’est devenu / hyper banal N : ouais A : d’avoir des résidences d’artistes N : hm A : et des machins parce que c’est politiquement de venir aider les pauvres / à la limite on est plus favorisé au ni- au niveau culturel que pas mal de personnes sous prétexte qu’on est pauvre / parce que sous prétexte qu’on est pauvre on est censé avoir zéro culture / N : hm A : c’est : c’est un truc très bête donc on veut nous apporter la culture N : hm hm 43


A : sur un plateau / sans s’demander si cette culture correspond au désir des habitants // comme là bah les hm : / les trucs qu’ils font euh : /pa- par exemple l’opéra N : c’est quoi opéra R et A : l’opéra N : ah oui la salle qu’on a vu l’autre jour là non A : on nous fait des / dans l’quartier y’a la : une salle qui a dépendu du TNB et tout l’truc un p’tit auditorium / et euh : dernièrement donc y’avait des trucs c’était bien c’était une initiation à l’opéra où : on pouvait aller entendre des extraits d’opéra pour un prix euh : / euh absolument ridi- euh euh dérisoire un truc comme ça / mais c’était juste les airs // fin euh : / le truc y’avait pas l’décor pas l’intrigue pas de pas la totalité pas les costumes rien du tout R : ouais pas le pas le tous les instruments fin y’avait aucun instrument juste un piano A : voila mais c’est / voilà ça va intéresser XX / c’est-à-dire que ceux qui ne connaissent pas l’opéra ils vont y aller / ils vont être vachement déçus R : ouais A : parce que déjà l’opé- l’opéra si on a n’a pas l’habitude du classique c’est un peu dur à suivre et euh : si c’est un peu dur à suivre le fait que ce soit sur une scène avec des costumes pas possibles et tout ça o- ça occupe y’a l’côté scénique // qui va euh / qui fait un tout quoi N : hm A : le truc euh écouter des airs d’opéra sans avoir le truc scénique c’est comme aller au cinéma avec des boules quies dans les oreilles quoi on loupe quand même une majorité du truc / donc ce projet / qu’est très bien amenons l’opéra à ces pauvres de Maurepas parce qu’ils sont incultes / bah bilan d’l’opération les personnes qui se vont voir ça // euh : elles n’en savent pas plus sur l’opéra voire sinon sinon rien et les personnes qui connaissent l’opéra elles ont l’impression d’s’être fait euh : arnaquer // voilà on arrive à des : / des trucs comme ça parce que la plupart des gens qui font des projets j’veux pas du tout jeter la pierre ni rien n’ont justement aucune idée euh des besoins réels euh : de du quartier et : tout l’truc quoi / y’a un tas d’choses dont ils prennent pas compte euh : // comme par exemple bah pour euh pour être méchante au niveau politique là ils sont en train d’nous faire un ghetto // Maurepas est en train de devenir un ghetto avec euh : / un taux d’immigration qui frise le 80% /// euh : le truc j’suis j’suis désolée c’est quand même gênant de voir qu’on se retrouve donc avec une concentration j’dirais euh / de personnes d’origines étrangères dans l’même quartier / comment après on on après on va nous bassiner sur l’adaptation la France fait des efforts pour l’adaptation des étrangers nianianianiania comment on peut s’adapter // quand y’a plus d’français dans l’quartier // c’est ça / c›est des des des trucs on arrive à des / des aberrations totales / et la version officielle moi j›ai j›ai posé la la question aux personnes euh : qui travaillent euh : Archipel Habitat des trucs comme ça euh // pourquoi pourquoi y’a plus d’français à arriver dans l’quartier depuis deux ans / euh on m’répond ah mais euh c’est pas d’notre faute ce sont les gens ils demandent à être là parce qu’ils ont leurs amis et leurs familles qui sont là / moi j’suis désolée j’vais à 44


Archipel Habitat et j’vais dire ma famille et mes amis sont en centre ville j’veux un HLM en centre ville on va jamais m’le donner // tu vois y’a des :: / des trucs comme ça c’qui fait que le / là le quartier est en train de changer // parce que ça va devenir une espèce de cité dortoir je sais pas il est en train de : de changer tout tout nous ça fait euh : 10 ans qu’on est là N : ouais A : fin ne- 8 ans et demi 9 ans un truc comme ça // et euh : je j’dirais les anciens les anciens habitants / s’en vont / fin quand j’dis les anciens ceux qu’étaient là depuis 20 ou 30 ans / s’en vont parce qu’ils n’ont plus euh : / aucun repère / et qui s’retrouvent avec euh des voisins qui n’ont pas du tout les mêmes règles de vie qui n’respectent rien // y’a une espèce de : / de brassage qu’est de plus en plus euh / grand au niveau de : des gens qui passent parce que les gens ne restent pas les gens passent / ça devient mouvant j’sais pas comment expliquer le : / le truc les les les gens arrivent ils restent trois ans et euh :: ils ils cherchent un loge- euh un logement ailleurs un truc comme ça / en fait le quartier d’Maurepas surtout les tours / c’est devenu ouais un truc temporaire / une espèce de logement temporaire euh : et euh / du coup j’pense que le au niveau d’la vie d’quartier ça va s’en ressentir quoi / N : hm A : c’est euh : bah déjà au quotidien ça s’en ressent dans la mesure où les relations j’dirais de voisinage commencent à s’distandre / N : hm A : dans la mesure où on est face à des personnes donc qui ne veu- qui ne vont pas rester longtemps ou : qui n’veulent pas rester // parce que y’en a beaucoup qu’arrivent et quand ils voient l’truc ils veulent pas rester non plus / donc euh : le tissus social est euh : complètement en train de : de sauter fin moi c’est c’que j’vois quoi / et c’est dommage parce que c’est un quartier qu’est super chouette à côté / N : hm A : y’a tout ce dont on a besoin c’est pas : / j’dis tout ce dont on a besoin y’a plein d’commerces de machins deux trois lignes de bus euh : c’est un quartier qu’est agréable à vivre y’a les espaces verts y’a l’parc de Maurepas à côté parce des Gayeulles aussi euh c’est un quartier qui peut être super agréable à vivre / et euh : le le truc qui devient hm / ouais une : / un centre de : un centre de tri euh : / et ça c’est c’est dommage quoi // mais bon ça c’est lié j’sais pas la politique rennaise des trucs comme ça moi mon hypothèse / j’dirais qu’c’est liée bah à l’arrivée du métro bientôt N : ouais A : parce qu’on aura euh / on sera à deux stations du centre ville / le centre ville on aime pas les pauvres et les immigrés en centre ville ça fait désordre / moi j’veux savoir c’est qu’est-ce qu’on va faire de nous dans : quand y’aura l’métro / est-ce qu’ils vont est-ce qu’ils vont faire comme euh : / au en zup sud fin dans l’Blosne / c’est-à-d- ou : ou beaucoup les personnes qu’étaient là ont été mises sur Villejean parce qu’on a maintenant y’a des étudiants qui sont là bas / est-ce qu’ils vont nettoyer / très (XX) le quartier pour y mettre des étudiants et des gens bien qu’ont des boulots et la couleur 45


homologuée / N : hm A : c’est ça le : le truc quoi donc moi en as- dans des élans paranos j’me dis qu’ils sont p’tetre en train de transformer artificiellement (conversation avec son fils : durée : 3 secondes) ils sont p’tetre en train de transformer artificiellement donc le quartier en ghetto / dans la mesure où quand on arrivera à un taux euh j’dirais de primo arrivants euh : dépassant euh : les 90 euh : / % un truc comme ça / le jour où on voudra nous virer y’aura pas de personnes en possession euh j’dirais entre ceux qui n’auront pas les papiers et ceux qui ne parleront pas français qui va être capable de lutter en disant mais là on veut rester // mais ça c’est p’tetre de la parano aussi j’vois p’tetre un plan euh : global euh pour euh / nous éliminer en nous mettant je n’sais pas où alors qu’il n’y a rien du tout mais bon j’vois pas d’autre / d’autre explication à ce : à c’qui s’passe // fin j’sais pas si j’réponds à ta question mais euh N : ah si si complètement A : mais c’est // c’est pas évident euh : // moi j’ai l’impression ouais que d’ici 10 ans euh ils vont recon- ils vont faire tout joli et tout parce que niveau immobilier // t’as vu tous les espaces verts N : hm A : toute la place qu’il y a / on aura une euh une truc de métro ici une autre là à deux station d’Sainte Anne ce sera l›centre ville N : hm A : // donc euh : le ramassis d’pauvres va être : jeté quelque part et personne ne sera là pour défendre ses droits quoi // moi j’vois pas euh : autrement j’vois pas c’qu’ils font quoi / parce qu’en plus au niveau euh : j’dirais ethnique y’a un brassage mais euh phénoménal et euh : le truc c’est miraculeux qu’ce soit aussi tranquille // parce que le : le machin euh à Archipel Habitat ils font très fort ils peuvent mettre des Serbes et des Kosovars sur l’même pallier sans aucun scrupule / des le le le truc ils vont t’mettre des ethnies euh : carrément opposées dans l’même bâtiment pas de problème / il n’y a aucun problème jusqu’ici / donc là ça tient du miracle / qu’il y ait pas des guerres interaciales interethniques et tout l’truc à Maurepas je ne sais pas comment (rires) c’est euh : jusqu’ici ça va quoi / donc p’tetre p’tetre qu’ils attendent qu’on s’étripe que les pauvres s’étripent entre eux je n’sais pas euh : (rires) et euh le truc ça fait passer bah par rapport à la soi disant violence qu’il y a à Maurepas et tout c’est vrai j’vais pas l’nier y’a régulièrement des incendies d’poubelles y’a régulièrement la police ou les pompiers mais faut pas oublier que si on prend le le carré entre la rangée de tour et l’autre rangée d’tour on a un pannel d’au minimum 3000 habitants / N : hm hm A : donc euh : / j’dirais la police u:ne fois par jour pour 3000 habitants c’est rien du tout // parce qu’on oublie toujours la densité de population quoi N : c’est vrai A : là on a des tours de 15 étages à raison de 6 euh 6 appartements par étages on a des tours de 90 euh: logements quoi si j’me plante pas 46


N : je sais pas trop mais / je compte pas bien mais / ça doit faire quelque chose comme ça ouais A : et quand j’dis 3000 euh : personnes c’est vraiment au pif quoi / la population est euh : est extrèment nombreuse / et ça s’en ressent bah euh j’idrais au niveau d’l’école aussi euh : / qui : en c’moment ils ont des problèmes de manque d’ effectifs au niveau des professeurs des classes qui commencent à être surchargées des trucs comme ça parce que y’a eu énormément d’arrivées encore : // N : hm A : donc euh : voilà quoi N : et toi tu : tu l’vis comment la / la réputation d’Maurepas A : pff moi j’adore être dans un quartier pourri / N : (rires) A : j’m’en fous / le le le truc / c’est pas / que que que l’quartier ait mauvaise réputation moi personnellement je m’en fous / j’vois les avantages de mon quartier à mauvaise réputation / euh : les mauvais gars m’aident à porter mes courses (rires) je sais qu’je bloque dessus mais c’est un geste très banal mais qu’on qu’on qu’on trouvera pas n’importe où N : hm hm c’est sûr A : et euh : / euh :: le truc je sais que euh je peux promener en pleine nuit dehors si j’veux il m’arrivera rien enfin ce j’dirais qu’c’est euh / je m’sens euh : peinarde et en sécurité dans mon quartier crainteux N : hm A : le problème c’est la vision extérieure que les gens en ont par exemple quand on cherche du boulot le fait de mettre l’adresse à Maurepas sur un CV c’est pas c’qu’on fait d’mieux non plus parce que tout d’suite on est catalogué euh : pauv- euh pauvres euh : lumpen prolétariat là euh (rires) /donc c’est pas prestigieux quoi N : et tu l’ressens ça au niveau des employeurs A : ouais ouais j’suis pas toute seule j’ai discuté avec pas mal de personnes qu’ont pas d’boulot dans l’quartier j’ai discuté avec d’autres aussi et c’est euh moi j’ai l’impression que quand j’dis que j’habite Maurepas on m’regarde bizarrement // parce que quand on habite Maurepas on est euh : censé correspondre à certains euh critères c’est-à-dire euh être : pauvres euh : drogués : euh alcooli : que euh sous neurolepti : que euh : des trucs comme ça quoi y’a une image euh / j’dirais très dévalorisante // concernant les personnes euh qui habitent ici alors que la réalité bon y’a des familles des machins y’a des gens normaux qui sont là dedans c’est pas euh quand j’dis normaux tout l’monde n’est pas complètement drogués abrutis ou sous cachetons quoi / N : oui bien sûr A : et le truc c’est pas l’bronx alors que l’image qu’il y en a d’un point de vue extérieur vraiment l’impression qu’on habite au fin fond du bronx euh : N : ouais A : / si on march- si on marche pas euh : à 5 au milieu d’la rue on va s’faire égorger sous un lampadaire alors qu’c’est totalement faux euh : 47


N : ouais A : si on peut s’faire égorger sous un lampadaire si on fait chier N : ouais A : comme partout N : oui A : le truc on peut s’faire agresser par les gars en bas des immeubles si quand euh quand on quand passe et qui disent bonjour si on répond pas et qu’on fait le snob on va avoir des emmerdes mais ça c’est : c’est partout pareil / c’est pas : propre : au quartier quoi / c’est euh : / c’est un truc //mais euh : / ouais le le fait que on soit donc catalogués en tant que : tas de / de cas sociaux / c’est pas : / c’est pas c’qu’on fait d’mieux donc c’que j’disais N : ah t’as entendu des choses comme ça A : ah oui / oui oui ça c’est la hm /j’dirais c’est le : truc officiel concernant Maurepas / vous pourquoi vous êtes sur Maurepas N : Nous c’est : c’est / bah nous ça reste dans le même type de : de projet en fait / c’est sur c’est pour travailler sur les quartiers euh A : défavorisés N : stigmatisés A : oh stigmatisés c’est joli N : ouais mais ouais mais du coup c’est au niveau des représentations nous on bosse beaucoup sur les représentations des autres euh / des autres membres de : / c’est c’est dans un sens c’est pas dans un sens de prioritaire au sens euh : au sens urgence de tout c’que tout c’qui peut être entendu dans le : A : non non mais le le truc je vois le truc N : stigmatisé dans aussi dans l’idée de qu’est-ce que les autres quartiers tu vois parce qu’à Tarra à Tarragone c’était pareil c’est qu’est-ce que les autres quartiers tu vois euh / quelle image ils euh : / ils renvoient quoi de : A : hm N : de : AN : mais c’est intéressant aussi c’est que moi ce projet veut euh : euh : / battre romper break N : ouais A et N : casser AN : casser euh : les mythes qu’il y a N : ouais AN : sur les quartiers / stigmatisés / A : hm AN : alors c’est ça non A : bah ouais bah déjà pour qu’on AN : on entend tout le temps parler de ce genre de quartier mais pour moi : / tu vas là et tu vois que la vie ça se passe comme A : c’est un truc bête vous avez sonné à plein de portes est-ce que vous avez été mal reçu 48


N : ah oui non mais d’façons non A :c’est ça // c›est euh : à la limite vous avez été mieux reçus que si vous étiez allé chez les bourgeois du centre ville R : ouais ouais ouais N : c’est sûr R : (XX) c’est très possible A : c’est un truc euh : très bête : / euh : / moi j’ai j’ai plein de q- j’ai des personnes qui viennent me voir des fois et tout qui sont euh : / étonnés de voir qu’au bout d’une semaine dans l’quartier euh tout tout j’dirais les euh les gens sympas d’l’immeuble leur dise bonjour ou des trucs comme ça quoi / N : ouais A : parce que ben ouais y’a encore une vie d’quartier comme euh : / comme y’a euh : 50 ans dans les villages N : hm A : chose qui s’est perdue et moi moi je suis pour une préservation justement de cette vie d’quartier N : hm A : qui fait qu’on a encore une : / une dimension AN : excuse moi est-ce que je peux aller avec Alba et filmer euh : / votre fils A : oh bah s’il veut oui faut lui demander (fin de l’entretien)

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Conclusion Tous ici cherchent à se démarquer à un moment X ou Y, tous ou presque cherchent simplement ici à exister au niveau individuel sans se perdre dans la masse. Plusieurs stratégies, nous l’avons vu, sont alors employées pour leur permettre d’exister à travers le / les regard(s) porté(s) sur Maurepas. La pression subie lorsqu’on habite dans un quartier stigmatisé vient probablement du fait qu’on est soi-même stigmatisé dans les représentations collectives. Critique un quartier c’est critiquer ses habitants, et Maurepas ne diffère pas des autres habitats « dits » populaires dans Rennes : on dit d’eux qu’ils sont des « quartiers chauds » (expression employée à plusieurs reprises par quelques personnes avec lesquelles j’ai collaboré pour ce projet). Or, dans un quartier chaud, ce n’est pas l’urbanisme qui est en cause mais bien les individus qui vivent dans ce quartier. Tour à tour, les personnes rencontrées cherchent à se faire une place afin d’exister hors de ce stéréotype qui concerne Maurepas et qui tend à toutes les inclure dans le même moule (le principe même du stéréotype est bien d’attribuer des traits de caractères au groupe tout en gommant toutes les différences). Néanmoins, il est possible que ce rôle qu’elles créent devant moi (comme nous en jouons tous en permanence) soit créé par moi-même et par la démarche du projet. Comme le pose très clairement A. dans l’entretien, proposer un tel projet n’est-ce pas, en soit, participer à la stigmatisation de ces quartiers ? « Et vous pourquoi vous êtes là » demandait-elle. Pourquoi étions-nous là bas si ce n’est pour travailler, comme les autres, sur ces quartiers « pauvres » comme elle le dit ? Le fait de vouloir proposer autre chose, proposer une autre image de ces quartiers n’est-il pas dangereux ? En proposant des entretiens pour parler de Maurepas, ne fait-on pas que reproduire sans cesse une défense identitaire chez les personnes interrogées ? L’analyse que je propose aujourd’hui se place d’un point de vue extérieur, et mon temps de vie sur le quartier, bien qu’important, ne permet pas de savoir si l’impact de cette stigmatisation perçue dont ils disent tous ne pas se sentir blessés est important ou non. Néanmoins, la conscience de la stigmatisation amène plusieurs attitudes ici développées, qu’il s’agisse de stigmatiser un autre quartier, ou rendre responsable d’autres individus pour protéger son identité et son sentiment d’appartenance, ou encore de faire corps et de renforcer ce sentiment d’appartenance en question. Quoi qu’il en soit, on peut noter que la relation qu’entretiennent mes collaborateurs avec leur quartier semble bien plus forte que dans les autres quartiers de la ville où de telles réputations ne sont pas en jeu. La connaissance d’autrui ici se rapproche davantage des modes de fonctionnement ruraux puisque les gens se connaissent plus facilement, et ce n’est pas pour rien que A. parle de village concernant Maurepas « fin jusqu’à ces derniers temps y’avait encore un certain rapport euh comme dans un village / » 50


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Annexes Annexe 1 N : ouais / et euh : / est-ce que euh : vous avez entendu / euh : des gens parler d’Maurepas / des gens qui n’habitent pas dans l’quartier qui parleraient du quartier W: / oui N : ouais ils en disent suoi W : / euh : / bien mal N : ouais bien et mal W : oui bien mal y :: y’a des personnes : âgées des personnes mures qui habitaient avant et : à Maurepas et qui me dit que c’est un quartier très chaud / y’a des délinquants / y’en a aussi qui disent euh / beau quartier y’a l’ambiance y’a tout / y’a : des privilèges pour les petits / et c’est bien Annexe 2 N : et est-ce que t’as déjà entendu parler d’Maurepas par des gens qui habitent Maurepas / est-ce que des fois les gens autour de toi ils parlent du quartier J : oui N : et ils disent quoi J : y’en a qui disent que c’est mal parce que y’ a toujours la police qui intervient dans l’école T* / tout ça euh / et tout ça et tout ça / N : ça arrive souvent que t’entendes ce genre de discours J : ouais N : et t’en penses quoi toi J : ben : / je dis qu’ça s’fait pas / parce que leurs enfants ils sont quand même dans l’école N : ouais J : et que ils disent ça en plus c’est eux qui les inscris / s’ils voulaient pas habiter à Maurepas il fallait qu’ils leur disent à là bas architel ou a:- archipel N : ouais // ouais t’aimes pas trop quand on dit du mal de Maurepas J : (...) N : (rires) tu sais pas tu t’en fiches J : bah n- j’aime pas quand on dit du mal de Maurepas parce que ils habitent dans Maurepas donc après ils disent du mal / ça s’fait pas

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Annexe 3 N : et au niveau de tout c’qu’est euhm les : est-ce que vous avez entendu dire des choses sur Maurepas en dehors du quartier A : alors oui y’a : y’a eu beaucoup d’choses qu’ont été dites euh : pas terribles effectivement que Maurepas euh : c’est une cité que : y’avait d’la racaille que voilà y’avait beaucoup d’incendie euh : ben j’suis arrivé en 2007 en 2000 en 2000 euh 10 dans c’quartier là bon y’a eu un seul incendie qui aurait pu être effectivement euh mortel en 2011 / mais bon ça c’est une : / une défecti- euh une : une bombe une : le chauffeau qu’était défectueux (...) N : j’voulais savoir un peu la les hm : / si vous souffriez de : / de c’qu’on dit sur votre quartier ou pas A:/ N : fin comment vous l’ressentiez quoi / A : alors pour ma part euh : bah : / hm : je pense que c’est des conneries / pour ma part puisque bah / moi comme j’vous ai dit quand j’suis arrivée à Maurepas euh / y’a pas eu toute cet toute cette : / cette comment ça s’appelle euh / comment on dit ça / cette mauvaise pensée de Maurepas en fait / bon y’a eu juste un un feu d’poubelle mais euh un feu d’poubelle à côté mais bon voilà euh N : hm A : / en général euh les non y’a pas de / Maurepas est quelque est une ville euh : y’a des animations y’a : / y’a d’la vie / Maurepas vit en fait N : hm A : c’est pas si : c’est pas si mal en fait / c’est pas infréquentable Maurepas est pas infréquentable du tout c’est petit effectivement mais : / mais c’est pas infréquentable N : d’accord / et vous réagissez comment quand vous entendez du coup les gens dire des choses comme ça sur Maurepas A ; ah bah j’leur dis euh / bah : / bah vivez une semaine et euh : vous verrez que / qu’y’a aucune euh / aucune raison de / de s’en faire : par rapport à c’qu’est dit / donc euh

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Annexe 4 N : / et euh : au niveau du de c’que pensent les gens et de c’qu’ils vous disent sur Maureoas / ça vous blesse qu’on dit ça sur le quartier dans lequel vous vivez Ne : bah euh à force de dire des choses / c’est vrai que : des choses se font se font sur euh sur euh le quartier oui ça fait pas plaisir à entendre / sachant que déjà on vit dans l’quartier N : hm Ne : bon à nous aussi de défendre notre quartier / de dire oui mais y’a pas que du négatif dans l’quartier : y’a quand même beaucoup d’activités qui sont faites pour les jeunes / ils sont encadrés / faut quand même pas dire que le quartier de M- / c’est vrai que Maurepas ait cette cette se dire de / c’est un quartier chaud / mais euh : y’a quand même pas mal d’associations qui sont créées pour les pour les jeunes (plus loin) Ne : faut pas voir que du négatif non plus dans Maurepas N : et vous vous de la de la part des gens qui n’habitent pas Maurepas / vous entendez surtout du négatif quand ils parlent de Ne : ouais N :de Maurepas Ne : ouais / ils parlent de la drogue ils parlent de la délinquance euh / non j’ai dit non non j’essaie de défendre le quartier parce que bon c’est / quand euh : // c’est vrai que / dans la journée ou comme vous voyez ici c’est très calme N : hm Ne : c’est très calme / c’est c’qui se c’qui s’passe c’est la nuit N : hm Ne : en fin d’soirée (...) Ne : sinon / c’est très calme / faut pas avoir peur / même les personnes âgées on les voit dans la journée euh

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Annexe 5 N : qu’est-ce que vous pensez qu’les gens des autres quartiers pensent de Maurepas MM : / euh / pas du bien hein N : ah oui MM : non N : / pourquoi / ils disent quoi MM : ah ils disent que c’est pas bien que c’est / des cas sociaux / c’est : N : ah ouais vous avez entendu des gens dire des choses comme ça MM : ah ouais ouais ouais / oui // N : et vous leur répondez quoi MM : / moi j’dis ça dépend c’qu’on appelle cas social / N : hm MM : j’dis y’a des gens dans avant qu’on travaillé qui se sont trouvés euh : / euh :: perdre leur travail euh : / maladie ou autre chose / ça euh : qui maintenant peut dire j’vais avoir un tra- un travail à vie / personne / personne / donc euh voilà non non j’ai dit ça dépend de c’que vous appelez des cas sociaux // N : mais c’est très dur comme expression / MM : / même à T* pourtant ça a changé pourtant ils font des choses / pourtant c’est une école euh / y’a : des ordinateurs / y’a : / y’a le comment le / le tableau interactif y’a tout / on dit toujours que c’est pas bien / N :hm MM : comme école // sans connaitre on juge / c’est ça qui m’énerve // ici les gens ça critique / bon bah moi ça m’énerve / N : et : euh : vous avez l’impression qu’ça / qu’ça vous : change votre rapport euh : / au quartier qu’les gens ils disent autant d’mal de c’quartier ou pas MM : / ...moi ça m’intéresse pas d’entendre toujours juger les gens sans les connaitre moi ça j’aime pas ça hein N : hm MM : parce que tout l’monde a des qualités euh : moi ça moi ça m’énerve / N : bien sûr MM : / ici on est j’sais pas combien d’gens comment on peut tous se connaitre / tu peux pas hein / ça change tout l’temps ici

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Annexe 6 Extrait n°1 N : ouais non mais c’est sûr // et ça vous pèse de : de : de savoir que y’a certaines personnes qui pensent ce genre de choses sur un qu- sur votre quartier E : non / non non /(rires) moi tout va bien pour moi donc euh voilà après les gens c’que disent les gens voilà moi j’écoute pas c’que disent les gens donc euh (rires) N : ouais E : moi j’vis au jour le jour / et pour moi / fin pour nous Extrait n°2 N : et du coup vous m’disiez que en gros euhm vous vous en foutez de c’que les gens E : ah ouais les gens c’qu’ils en pensent bah voilà après les gens pour moi n’ont pas l’air malheureux dans c’quartier fin / après c’que c’que disent les gens fin moi c’que j’pense déjà des quartiers de / euh : de la zup / euh : j’en ai une mauvaise euh : une mauvaise impression mais ça veut pas dire que euh : / qu’c’est un mauvais quartier quoi / alors après c’est c’qu’on entend aussi c’est c’est c’est ça voilà / mais bon c’est vrai que j’aimerais vraiment pas habiter là bas /

Annexe 7 N : hm / et du coup au niveau d’Maurepas j’voulais savoir un p’tit peu c’que tu : / c’que tu pensais que les gens des autres quartiers pensaient d’Maurepas Nu 2 : euh : les gens ils disent ici c’est un peu : comment j’peux dire / quart- ils disent c’est quartier dangereux / ils aiment pas trop les / moi je moi je des fois je leur répond c’est dangereux mais quand on est resté chez soi tranquille euh : sans chercher XX on trouve rien on a rien quoi N : hm

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Annexe 8 N : et ça vous pèse que y’a des gens qui disent ça d’ce quartier T : non N : non // T : vous savez / faut laisser passer par- parler laisser parler les imbéciles N : hm T : parce que quand on vit pas dans un coin / on connait pas on sait pas c’qui s’passe N : ouais T : donc euh : / tu peux pas juger quelque chose que tu connais pas N : hm T : donc euh : / moi je juge pas le bo- le bon XX ou autre euh : / je juge rien du tout / parce que j’peux pas juger déjà / euh : c’qu’ils font dans leur quartier c’est leur problème / c’qui s’fait ici dans c’quartier / c’est leur problème / moi mon problème c’est dans ce quar- c’est dans ce quartier / le reste il s’passe là bas euh : / ça c’est [fiou fiou fiou]/ donc euh : est-ce que c’est : / c’est violent y’a pas j’ai jamais vu de : de violence ici / est-ce que euh : / y’a d’la méchanceté / j’en sais rien // et : honnètement je je j’peux pas juger j’peux pas dire vraiment grand chose sur Maurepas / N : hm T : euh : tout c’que j’sais c’est qu’le quartier j’habite ici j’suis tranquille / et j’adore ce quartier c’est tout Annexe 9 A : (..)// comme par exemple bah pour euh pour être méchante au niveau politique là ils sont en train d’nous faire un ghetto // Maurepas est en train de devenir un ghetto avec euh : / un taux d’immigration qui frise le 80% /// euh : le truc j’suis j’suis désolée c’est quand même gênant de voir qu’on se retrouve donc avec une concentration j’dirais euh / de personnes d’origines étrangères dans l’même quartier / comment après on on après on va nous bassiner sur l’adaptation la France fait des efforts pour l’adaptation des étrangers nianianianiania comment on peut s’adapter // quand y’a plus d’français dans l’quartier // c’est ça / c’est des des des trucs on arrive à des / des aberrations totales / et la version officielle moi j’ai j’ai posé la la question aux personnes euh : qui travaillent euh : Archipel Habitat des trucs comme ça euh // pourquoi pourquoi y’a plus d’français à arriver dans l’quartier depuis deux ans / euh on m’répond ah mais euh c’est pas d’notre faute ce sont les gens ils demandent à être là parce qu’ils ont leurs amis et leurs familles qui sont là / moi j’suis désolée j’vais à Archipel Habitat et j’vais dire ma famille et mes amis sont en centre ville j’veux un HLM en centre ville on va jamais m’le donner // tu vois y’a des :: / des trucs comme ça c’qui fait que le / là le quartier est en train de changer // parce que ça va devenir une espèce de cité dortoir je sais pas il est en train de : de changer tout tout nous ça fait euh : 10 ans qu’on est là

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Annexe 10 T : ou pas / parce que : j’ai jamais eu d’problème avec qui qu’ce soit N : hm T : moi j’m’occupe de mes problèmes // euh : quand c’est chaud c’est que c’est quelqu’un qui s’mêle de c’qui le regarde pas Annexe 11 Extrait 1 E : non c’est l’seul soucis euh : qu’il y a dans l’quartier les gens qui / qui laissent trop leurs enfants faire en fait / et et les gens s’font bouffer par leur gosse et ils laissent tout faire / moi je sais qu’j’ai une copine on en parlait euh / à Super U / euh sa petite qui doit avoir 10-11 ans / bah elle commence à la laisser sortir elle dit une heure / on lui dit ouais mais aujourd’hui toi tu sortais d’accord mais aujourd’hui on n’est plus dans l’même monde euh : c’est / en plus elle la laisse euh dans les tours euh allée d’Brno c’est les pires (rires) euh : non quoi fin / oh à la rigueur en bas d’chez toi t’as un oeil dessus ouais / mais pas n’importe où quoi fin Extrait 2 N : et vous trouvez qu’il a changé l’quartier depuis que : entre quand vous étiez : plus jeune et maintenant / entre la première fois où vous y avez habité et E : bah le quartier non le quartier je je trouve pas qu’il ait changé mais : c’est les gens / fin les jeunes surtout / qu’on changé N : ouais E : les jeunes euh plus ça va plus les jeunes sont violents / Annexe 12 MM : comme les gens ici ça travaille pas ça dit beaucoup d’horreurs / moi j’suis pas d’accord hein /// parce que même le centre social qui veut y’a // y’a d’la culture y’a y’a / y’a des groupes euh / avec des : des des parents : qu’ont des enfants faire le petit avec faire d’la musique des choses comme ça le / y’a y’a les y’a la ludothèque y’a y’a quand même beaucoup d’choses de faites hein //

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Annexe 13 Extrait n°1 Ne : (...) ça circule pas mal / d’où les dealers les pff // donc à ne pas laisser les gamins trop trainer le soir tout seul quoi N : hm hm Ne : fin ça c’est aussi les parents qui n’surveillent pas trop leur les gamins hein N : ouais vous pensez Ne : ouais / parce que y’a des y’a des parents qui sont peut être un peu trop laxistes et qui laissent des gamins sortir euh : // pour l’moment on n’a pas eu d’problèmes mais est-ce qu’un jour y’aura pas ce problème là / parce que y’a des gamins de 7-8 ans qui sont là et ils jouent là / on les voit la lumière s’allume moi quand j’vois mon fils à 6h le soir j’fais fiut 6h Extrait n°2 Ne : parce qu’il y a trop d’insécurité y’a y’a pas assez je pense qu’il y a pas assez de dialogues entre les gens / parce que y’a beaucoup de / de : / c’est c’est multiracial ici c’est l’cas d’le dire hein D : oui Ne : / euh : on a des camerounais on a des / pfff on en a partout on voit bien hein quand euh c’est l’époque du : du ramadan et tout ça on les voit plus on les revoit le soir / oh ils ont une vie bien à eux / mais ils ne se mélangent pas avec nous c’qui fait qu’nous on peut pas rentrer en contact avec ces gens là / et nous les français qui sommes chez nous / on a du mal des fois à se faire accepter / alors qu’on est chez nous / nous moi y’a une fois j’me suis fait traiter espèce de sale arabe dégage de chez toi de chez nous / j’fais pardon attendez mes racines sont françaises / je suis française / ah ouais sale arabe / j’fais euh sale arabe là ça va être le tribunal qui va vous pendre au nez j’dis les insultes y’en a marre / j’dis je ne quitterai pas chez moi pour vous / vous vous êtes arabes vous êtes chez vous / repartez chez vous / laissez nous là parce que si vous nous acceptez pas on va pas vous accepter / et c’est le problème qu’y’a dans les tours c’est que / y’a p- y’a p-/ y’a pas de dialogue et personne n’essaie de faire le pas / vis-à-vis des autres / donc tant qu’y’aura pas / cette communication qui s’fera entre : / entre: / entre personne / rien n’passera N : hm Ne : ils n’arrivent pas ce à:: à s’entendre déjà sur l’pallier ils s’entendent pas / alors imaginez-vous euh :/ c’est une catastrophe

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Annexe 14 Ma : c’est XX non / ça craint à rapport à quoi parce que y’a beaucoup d’blacks / on est pas racistes hein N : hm Ma : parce que : ils sont : ce sont des gens qui sont assez agressifs / et dès qu’y’a l’alcool qui est là dedans parce qu’ils boivent pas mal / au niveau du Gros Chène / hein / y’a eu litiges là / ils s’mettent tous là / ils boivent des bières etc. et puis vous les entendez gueuler vous les entendez euh XX ils s’tapaient dessus et tout hein N : hm Ma : combien d’fois y’a eu des descentes de flics euh : / rien qu’pour eux hein / ah ouais ouais non euh autrement euh Maurepas ils appellent ça Chicago / moi j’dis le petit Chicago / petit mais c’est vrai qu’avant un moment XX he ça s’est calmé hein / Maurepas ça s’est calmé Fm : y’a des années mais c’qui y’a c’est que : quelque fois quand y’a des gros problèmes sur Maurepas / faut pas faut pas dire toujours que c’est les : Ma : non les jeunes Fm : les jeunes de Maurepas Ma : c’est pas toujours les jeunes hein Fm : des fois c’est les jeunes de l’extérieur de la zup et de Villejean qui Ma : qui viennent ici hein Fm : qui viennent ici foutre le bordel / et après ça passe sur les jeunes de Maurepas

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Résumé - fr Le titre de cet article provient d’un futur livre : Paysages Intimes. Il est une idée d’Alba Rodriguez Nuñez (photographe pour le projet) pour notre collaboration. Ce projet a débuté avec celui d’Alba : elle faisait des portrait des habitants de chaque tour de Maurepas, elle demandait à ses modèles de les prendre de dos afin, par la suite, de les coller dans les halls de chaque tour. C’est son absence de connaissance du français qui m’a amené à lui proposer de l’aider à rencontrer et à créer des liens avec ces personnes. Petit à petit, appartement après appartement et de discussion en discussion, cette idée de collaboration est grandie dans notre esprit. Nous avons donc alors mis au point ce que nous souhaitions, tant au niveau des entretiens que des photos. L’idée serait de réussir à créer un livre frontière entre arts et sciences, entre la photographie et la sociolinguistique. Pour ce faire, nous avions besoin de chacun comprendre la vision de l’autre, et ce à travers nos disciplines afin de découvrir nos propres fontières et notre territoire commune ; pour trouver un but partagé. Paysages Intimes est la place de l’essai de l’équilibre difficile de nos deux travaux : les photographies ne devront pas être des illustrations du texte, tout comme le texte ne doit pas server de legends aux photographies. Le thème de ce livre frontière est aussi un sujet frontière, où nous travaillons chacune sur le concept d’intérieur / extérieur. En sociolinguistique, nous considérons les mises en mots comme des actes sociaux. Au sein du projet Expéditions, quand quelqu’un nous parle de dehors, de ce qui se passé hors de sa maison, il nous parle de lui. C’est dans la même idée que nous avons demandé aux gens avec qui nous travaillions de nous inviter dans leurs appartements pour partager ce moment. Nous faisons les entretiens à propos de leurs sentiments visà-vis de Maurepas et de leurs representations de leur quartier. Je leur demandais ce qu’ils connaissaient des représentations stigmatisantes véhiculées par ceux qui ne vivent pas à Maurepas sur ce quartier dans le but d’analyser les strategies discursives mises en place face à ces stigmatisations perçues. Dans le même temps, Alba prenait des photographies de leur maison, elle choisissait ce qui lui semblait le plus significatif de nos hôtes, et photographiait ce qu’il voyait (ou cachait ) de leur fenêtre, de leur vue sur le dehors. Elle gardait également une plage d’expressions pour nos collaborateurs, afin qu’ils choisissent ce qui leur semblait le plus important, le plus significatif d’eux-même au sein de leur foyer; perpétuant ainsi le lien entre l’intérieur et l’extérieur. Cet article est un début de réflexion sur les discours tenus sur Maurepas, il revient sur différents types d’attitudes et détailles les processus de protection identitaires qui se développent contre la pression sociale. Je finis par y proposer l’intégralité d’une retranscription d’entretien qui suggère que l’idée du projet créerait luimême une nouvelle forme de stigmatisation. 62


Resume - en The title of this article comes from a future book : Paysages Intimes. The idea of the book’s title comes from Alba Rodríguez Nuñez, the photographer. It started with a project of her : portraits of the inhabitants of the towers of Maurepas from the back in huge format and in the hall of each tower. Alba does not speak French, so to begin her project she needed someone to introduce her. I was in charge of helping her in this task. Step by step, the main idea of this collaboration grew up in our minds. We began to make some interviews and other pictures to accomplish it. We want to create a frontier book between art and science, between photography and sociolinguistic. But to realize it we need to understand each other’s vision about our discipline, to know our own frontiers and our own common territory, to find our common purpose. Paysages Intimes is the place to try to reach an equality between our two works : the pictures do not aim at illustrating the text, and the text do not aim at explaining the pictures. The subject of this frontier book is also a frontier subject, as we work about the concept of inside / outside. In sociolinguistic, we consider words and languages as a social act. In the course of the Expeditions project, when someone spoke about outside his/her home, he/she spoke about inside himself/herself. We asked people to invite both of us inside their home to share a moment. I interviewed them one by one about their feelings on Maurepas and their representations of the neighbourhood. I asked them about their knowledge of the stigmatized representations of people coming from outside Maurepas in purpose to analyze their strategical speeches facing these stigmatizations. In her way Alba took pictures of their homes, she chose the most significative of the inside, she took pictures of windows and what hides the outside or not. In her process she kept a free place to let the people choose a meaningful place about what is the most important thing in their flat, keeping the link between the inside and the outside. The article is a beginning reflexion about speeches regarding Maurepas, the different types of attitudes, how people try to protect their own identity against the social pressure. Finally, this article wants to lead the reflexion about the meaning of Expeditions through an important interview which asks us the reason of our presence in Maurepas and suggests that the idea of Expedition itself creates an other kind of stigmatization. 63


Biographie Nolwenn Troël-Sauton Chercheure en sociolinguistique, mes spécialités sont principalement la psychosociolinguistique et la sociolinguistique urbaine. Mon sujet de thèse traite des constructions identitaires dans l’univers carcéral, dans une collaboration majoritairement menée auprès de personnes ayant vécu leur détention lorsqu’elles étaient jeunes adultes. L’espace y est envisagé comme ayant un impact direct sur ces identités. Ce travail se fait par le biais d’une interrogation des discours. Le travail de recherche est envisagé comme une collaboration, où les personnes ressources se doivent d’être considérées comme détentrices du savoir, par le biais de leur expérience empirique : le chercheur n’existe pas sans le terrain. Mais je ne suis pas qu’une chercheure, et je m’intéresse beaucoup au contact interculturel, au cinéma, à la littérature ; bref mon intérêt majeur reste les rencontres humaines, de toutes sortes.

Biography Nolwenn Troël-Sauton A sociolinguistic researcher, her specialities are mainly psycho-sociolinguistics and urban sociolinguistics. Her thesis explores identity constructions in the prison world, in collaboration mainly with people who experienced their detention when they were young adults. Space there is seen to have a direct impact on these identities. She carries out her research work by means of examining the discourses. She sees it as a collaboration, in which the people providing the information must be considered as holders of knowledge, through their empirical experience: the researcher does not exist without the field. She is not only a researcher, and is also interested in intercultural contact, cinema and literature. Her main interest lies in human encounters of all sorts.


Le projet The project Expéditions est une expérimentation à la croisée des chemins de l’art, de la recherche en sciences sociales et de l’éducation populaire. Ce projet de coopération européenne a réuni une équipe composée d’artistes, de chercheurs en sciences sociales, de pédagogues et d’enfants dans les villes de Tarragone en Espagne (janvier 2013), de Rennes en France (mars 2013) et de Varsovie en Pologne (mai 2013). Avec les acteurs associatifs et les familles des quartiers du Ponent, de Maurepas et de Praga, il s’agit de valoriser les ressources culturelles invisibles de territoires trop souvent stigmatisés. La finalité de ce projet s’inscrit dans un horizon de transformation de nos regards sur la ville : - Réinterroger les idées préconçues concernant les quartiers dits populaires, - Réinvestir le motif de l’expédition ethnographique pour le déconstruire, y compris sur le plan de l’actualité des attitudes parfois néo-coloniales dans nos disciplines (art, recherche, éducation). _ www.expedition-s.eu _ Expeditions is an experiment in which the paths of art, social science research and popular education meet. This European cooperation project brings together a team composed of artists, social science researchers, educators and children in the cities of Tarragona in Spain (january 2013), Rennes in France (march 2013) and Warsaw in Poland (may 2013). With these participants, and families from the neighbourhoods of Ponent, Maurepas and Praga, the project assesses the invisible cultural resources of those territories which are too often stigmatised. The aim of this project lies in the transformation of our perspectives of the city : - Re-examining the preconceived ideas of neighbourhoods known as workingclass neighbourhoods, - Reinvesting the reason for the ethnographic expedition to deconstruct it, including the current, sometimes neo-colonial, attitudes in our disciplines (art, research, education). 65




Paysages intimes -

Nolwenn Troël-Sauton,Sociolinguiste Rennes, mars 2013

Le titre de cet article provient d’un futur livre : Paysages Intimes. Il est une idée d’Alba Rodriguez Nuñez (photographe pour le projet) pour notre collaboration. Ce projet a débuté avec celui d’Alba : elle faisait des portrait des habitants de chaque tour de Maurepas, elle demandait à ses modèles de les prendre de dos afin, par la suite, de les coller dans les halls de chaque tour. C’est son absence de connaissance du français qui m’a amené à lui proposer de l’aider à rencontrer et à créer des liens avec ces personnes. Petit à petit, appartement après appartement et de discussion en discussion, cette idée de collaboration est grandie dans notre esprit. Nous avons donc alors mis au point ce que nous souhaitions, tant au niveau des entretiens que des photos. L’idée serait de réussir à créer un livre frontière entre arts et sciences, entre la photographie et la sociolinguistique. Pour ce faire, nous avions besoin de chacun comprendre la vision de l’autre, et ce à travers nos disciplines afin de découvrir nos propres fontières et notre territoire commune ; pour trouver un but partagé. Paysages Intimes est la place de l’essai de l’équilibre difficile de nos deux travaux : les photographies ne devront pas être des illustrations du texte, tout comme le texte ne doit pas server de legends aux photographies.

suite du résumé page 62 resume in english page 63

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dans le cadre du projet Expéditions www.expedition-s.eu


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