SPÉCIAL ARCHITECTURE Le renouveau de Casablanca Frank Gehry et la Fondation Louis-Vuitton Tout sur la Biennale de Venise Focus sur les 18 jeunes architectes français qui compteront demain
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LAN De la ville, pour la ville En une dizaine d’années, l’agence LAN s’est imposée comme l’une des plus enthousiasmantes de sa génération. Benoit Jallon et Umberto Napolitano, ses fondateurs, appréhendent leur discipline dans sa capacité à fabriquer la ville mais aussi à se renouveler. Ils viennent de remporter le prestigieux concours pour le lifting du Grand Palais, à Paris. Rencontre.
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© LAN, 2014 / BENOIT LINERO / LAN
Par Maryse Quinton
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l faut d’abord rendre à César ce qui lui appartient. Le ti-
d’architecture de Venise** orchestrée par Rem Koolhaas. Ce
tre de ce portrait est celui qu’aurait pu avoir Traces*,
projet fondateur illustre la volonté de réinventer systémati-
l’épais livre en noir et blanc que LAN (Local Architec-
quement les programmes sur lesquels les architectes sont ap-
ture Network) vient de publier pour résumer une dizaine
pelés à plancher, programmes qui « ne sont pas l’expression
d’années d’existence. « Mais en toute honnêteté, ça sonnait
d’une solution, mais d’un questionnement », rappelle Um-
mal », avoue Umberto Napolitano, moitié de l’agence fon-
berto Napolitano. En 2011, ils livrent également 58 loge-
dée en 2002 avec Benoit Jallon. L’un est né à Naples en 1975.
ments à Boulogne-Billancourt, une résidence étudiante à
L’autre à Grenoble en 1972. Derrière l’acronyme qu’ils ont
Paris, et un siège social à Saint-Mesmes (Seine-et-Marne).
choisi, il y a l’idée « d’explorer l’architecture en tant que matière au croisement de plusieurs disciplines ». C’est à l’ENSA
2014, le grand saut
de Paris-La Villette qu’ils se rencontrent. Leur association dé-
Depuis, LAN a grandi au rythme des commandes, qui s’en-
marre avec la réalisation de commandes privées : apparte-
chaînent. Le succès fait toujours des envieux. Parce que
ments, boutiques, aménagements intérieurs. En 2004, ils
l’agence a très vite compris que la communication était
sont distingués par le ministère de la Culture et de la Com-
fondamentale pour exister, il lui a parfois été reproché d’en
munication au titre des « Albums des jeunes architectes et
faire un peu trop. Ses fondateurs s’en défendent. Voire igno-
des paysagistes » (lire p. 103) qui récompensent des talents
rent les critiques pour mieux se concentrer sur le métier
prometteurs de moins de 35 ans. Sept ans plus tard, ils livrent
« chronophage et difficilement rentable » qu’ils exercent
le Centre d’archives EDF à Bure (Meuse), l’une de leurs pre-
avec passion. Leur dernier fait d’armes : remporter le con-
mières commandes importantes. Sa façade préfabriquée en
cours pour la restructuration complète du Grand-Palais au
béton n’est pas simplement élégante. Elle est surtout efficace
nez et à la barbe de Snøhetta, Jean-Marie Duthilleul et Phi-
afin de répondre à l’exigence d’un bâtiment affichant des per-
lippe Madec ! Un projet à 130 millions d’euros. « Je n’y
formances énergétiques exemplaires. De cette enveloppe,
croyais pas une seconde ! », sourit Umberto Napolitano.
on peut d’ailleurs voir un prototype à la dernière Biennale
S’ils étaient outsiders, ce n’est pas la chance ni le hasard qui
1/ L’espace de déambulation imaginé par l’agence LAN pour le programme de restauration et d’aménagement du Grand Palais, à Paris, un concours remporté devant des pointures de la discipline. 2/ Umberto Napolitano (38 ans) et Benoit Jallon (42 ans) ont fondé LAN en 2002, après être sortis diplômés de l’ENSA Paris-La Villette. 3/ Les 72 logements du quartier Terres Neuves, à Bègles, proposent, selon les deux architectes, « une typologie hybride entre la maison individuelle et le logement collectif » faite de pleins et de creux. Dans ce bâtiment évolutif, « le vide est un potentiel en attente, de la densité en stock. »
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les a distingués, mais bien le colossal travail d’études et
d’une approche théorique qui consiste à « penser la ville
d’analyses fourni, résumé en un livre XXL remis au jury du
comme système formel et à utiliser l’architecture pour
concours. D’une intelligence fine, il consiste à révéler l’es-
construire la ville ». Pour les deux architectes, un bâtiment
sence d’un bâtiment sous-exploité, et pourtant exemplaire,
doit s’inscrire dans un cycle bien plus long que celui de sa
qui porte en lui tous les gènes de sa transformation. Ce pro-
fonction première. Anticiper donc et « être parfaitement en
jet leur apporte sur un plateau l’occasion de s’atteler à la
adéquation avec son temps et, d’une manière ou d’une au-
grande échelle. Ils l’attendaient. LAN est ainsi à une char-
tre, être aussi capable de penser à la suite ». Dans cette his-
nière de son histoire. Ou pas ! « Chaque été, au moment de
toire, les 72 logements collectifs du quartier Terres-Neuves,
partir en vacances, on se dit la même chose : l’année pro-
à Bègles (Gironde), sont une étape. Cet immeuble à densité
chaine va être une année clé ! » s’amuse Umberto Napoli-
variable repose sur une alternance de pleins et de vides.
tano qui concède tout de même que 2014 est particulière-
Chaque logement acheté bénéficie d’une triple exposition et
ment intense. Pour l’heure, l’agence (30 personnes, bientôt
d’un espace extérieur qui a, au minimum, la taille du séjour.
50) étudie très sérieusement la possibilité de déménager…
Pour la ZAC Saussure-Pont Cardinet, au sein du projet Cli-
au Grand-Palais : « Ce serait vraiment le rêve de concevoir
chy-Batignolles, à Paris, ils achèvent 40 logements sociaux
le projet en vivant le bâtiment au quotidien. »
sur une parcelle triangulaire. « Pour assurer l’évolutivité de cette architecture, l’immeuble a été imaginé sans fonction
Anticiper, du bâtiment à la ville
établie, flexible dans sa configuration pour accueillir divers
Parmi les bâtiments récemment achevés figure la tour Eu-
usages. » En attendant de déambuler dans les galeries du
ravenir, érigée sur un site stratégique du quartier Euralille,
Grand-Palais, Umberto Napolitano et Benoit Jallon pour-
et qui répond à un questionnement préalable : « Est-il pos-
suivent leur chemin avec cohérence, animés par le désir
sible de réaffirmer la ville à partir d’un projet d’architec-
d’instaurer un cercle vertueux avec leurs interlocuteurs car,
ture ? » Pour écrire le futur de cette parcelle, LAN a conçu
disent-ils, « un projet conçu dans le conflit ou le malentendu
une architecture multiforme, capable de dialoguer à diffé-
ne peut pas être réussi ». Et toujours conscients du rôle
rentes échelles, mais aussi flexible, pour ne pas hypothéquer
qu’ils ont à jouer : « C’est une responsabilité énorme, mais
une possible évolution Pas de vision à court terme, l’antici-
une chance inouïe que de proposer notre vision et de
pation est au cœur des préoccupations. « Il y a un paradoxe
construire ce scénario pour la ville de demain. »
important entre la nécessité de répondre spécifiquement à
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© JULIEN LANOO / LAN
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la demande d’un client et notre volonté de penser l’archi-
* Traces, LAN, 624 pages, Archibooks et Sautereau Éditeur,
tecture comme un processus beaucoup plus long », estime
35 €, 2014.
Umberto Napolitano. L’agence s’est ainsi forgée autour
** Biennale d’architecture de Venise, jusqu’au 23 novembre.
1/ La tour Euravenir, de 35 mètres de haut, livrée dans le quartier EuraLille, fin 2013. Un signe architectural fort qui joue autant sur l’horizontalité que la verticalité pour mieux se fondre dans son environnement. 2/ Les 40 logements sociaux de la ZAC Saussure-Pont Cardinet dans le XVIIe arr. parisien. Les façades tramées et régulières assoient le potentiel évolutif d’un bâtiment conçu sans fonction établie, entretenant ainsi volontairement l’ambiguïté quant à sa destination finale.