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COBAYE

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PHÉNOMÈNE

PHÉNOMÈNE

sans culottE pour l’amour de l’art

Chez Culotté(e)s, on est des aventuriers. Et quand il s’agit de se mettre nu pour la beauté de l’art, on n’y réfléchit pas forcément à deux fois. Pour ce premier numéro, notre journaliste en tenue d’Ève est devenue modèle le temps d’une soirée, pour l’atelier de sculpture de Compiègne. Récit décomplexé.

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ANAÏS CARPENTIER ANASTASIA VANDYCHEVA

“ Le modèle pose ! ”

La voix de Béatrice Savignac retentit dans l’atelier de sculpture de Compiègne. Le calme se fait. Et mon cœur s’emballe. Je suis nue, totalement nue, devant six artistes, dont les regards sont à peine cachés par leurs chevalets. Dans le plus simple appareil. Tout ça pour l’amour de l’art. Comment m’étais-je retrouvée là, déjà ? Quelques semaines auparavant, l’une de mes amies, qui pose pour l’atelier depuis plus d’un an, m’avait expliqué tout le bénéfice ressenti suite à ces séances : « Au fil du temps, je finis par oublier que je suis nue. Poser m’aide vraiment à aimer mon corps ». Trois heures de pose allaient-elles me faire apprécier petit bidou et vergetures ? Il fallait que je tente l’aventure, pour moi mais aussi pour toutes les femmes un poil complexées.

L’atelier de sculpture et de dessin, né il y a huit ans, a été fondé par les anciens élèves de Louis Lutz, grand sculpteur local et ancien directeur de l’École des Beaux-Arts de Compiègne, aujourd’hui à la retraite. « Il s’agit d’un atelier libre, m’explique Béatrice Savignac, l’une des membres, ici il n’y a pas de " chef ", seulement de l’entraide entre artistes. » Un concept qui plaît puisque chaque année voit son nouveau lot d’inscrits, comme Jérôme ou Virginie.

Le mercredi, pour les artistes, ce n’est pas raviolis, mais sculpture, et le jeudi, dessin. À chaque séance, un modèle nu est présent, comme le veut la tradition artistique depuis l’Antiquité. Un jeudi de mai, c’est mon tour. Je suis épilée, hydratée, mes cheveux sont propres et sentent le frais : un peu plus et cela ressemblait à un rencard. Je me suis même exercée à quelques poses, en tapant « Rodin » sur Google Images. J’arrive à 18h tapantes à l’atelier, je n’ai jamais été aussi ponctuelle de ma vie. Béatrice Savignac me met à l’aise – ou presque – en un sourire chaleureux. Dans un recoin de l’atelier, cachée par un paravent, je retire mes vêtements et enfile le peignoir que j’ai apporté, ainsi que mes chaussons. Les artistes arrivent au compte-goutte. Je retiens un petit cri de surprise : je reconnais parmi eux l’un de mes médecins, que je n’ai pas vu depuis plusieurs années. Malaise vite dissipé puisqu’il ne semble pas me reconnaître. « On va pouvoir commencer », m’annonce Béatrice. Les six artistes du jour sont installés, prêts à dégainer crayon, aquarelle ou encre de Chine, pour immortaliser mes formes. Instinctivement, je leur tourne le dos. Il s’agit de ne pas flancher, il va falloir retirer le peignoir protecteur. Je le délace, le laisse glisser et le pose avec précaution sur une chaise. Je m’installe au bord de la sellette, toujours dos à mon public. Suis-je vraiment prête à dévoiler mon bidon de bébé de 30 ans ?

Tout à coup, j’ai chaud, j’ai même très chaud. Je transpire. De fines gouttelettes de sueur glissent le long de mes côtes. Pour le côté glamour, on repassera. Ma vessie en profite pour se rappeler à moi, la traîtresse. Dans ma tête, un néon rouge s’allume : STRESS-STRESSSTRESS. « Tu peux rester assise ainsi, me glisse Béatrice, c’est parfait pour commencer. » Je souris, je vais donc pouvoir rester de dos pendant trois heures. « Toutefois, on aimerait bien te voir de face. » Ah bon ? Sûre ? Elle fait doucement pivoter la sellette et me voici totalement exposée, poitrine en avant et jambes flageolantes. Comme j’essaye de ne pas rougir, c’est encore pire et le sang me monte littéralement aux joues. Il n’y a plus qu’une solution : j’attrape du regard une fenêtre et m’évade par la pensée. La technique de l’autruche, ça marche toujours, croyez-moi.

Les premières poses durent dix minutes, le temps de quelques croquis. Petit à petit, les durées s’allongent et très vite intervient une variable qui prend le pas sur la nudité : l’ennui. Alors, pour le tromper, j’écoute les conseils des anciens aux nouveaux artistes (« Tu devrais lui faire la cuisse plus longue » - « Non, là elle est plus épaisse » - outch), j’observe un pigeon qui lorgne sur mes seins de gamine. Je pense à ma liste de courses en changeant de pose, j’écoute le chuchotement du crayon sur la toile en tentant de ne pas bouger. Je suis un objet, une jolie daurade sur l’étal du poissonnier.

En face de moi, les regards sont professionnels, bienveillants et surtout, extrêmement respectueux. « Nous avons conscience qu’il est courageux de se mettre à nu devant des inconnus, explique Michèle, une des anciennes de l’atelier. C’est à chaque fois une émotion, même pour nous ». Les artistes affirment « dépasser la notion même de nudité : il n’y a pas de gêne, sauf si le modèle est lui-même très mal à l’aise ». Pierre ajoute chercher à « capter l’essence du modèle, son caractère. » Pour Jérôme, dessiner un nu relève moins de l’acte poétique que de la performance technique : « Je vois des courbes, des proportions, des ombres… l’étude du corps humain, c’est le plus difficile ! » Pour Claudie, le coup de foudre existe. Un béguin artistique et platonique naturellement : « Il y a des corps qui nous parlent plus que d’autres. Ça ne s’explique pas, ce n’est pas une question de plastique ou de beauté mais d’alchimie. » Filiformes, voluptueux, parcheminés, féminins ou masculins, les corps dessinés par les membres de l’atelier sont tous très différents, mais tout autant intéressants. « Pour certains, poser les aide à s’accepter, pour d’autres c’est une manière d’arrondir les fins de mois », ajoute Béatrice, qui recrute les nouveaux modèles par le bouche-à-oreille ou par petite annonce. Car poser, c’est un travail : ne pas bouger, ne pas être crispé(e) tout en étant ferme est un art qui se rémunère à sa juste valeur. Un job toutefois réservé aux plus de 18 ans.

Et s’il manque un modèle ? « Et bien, on prend sa place, s’amuse Claudie, mais impossible de poser nu entre nous, on se connaît trop, alors on garde l’emballage ! » Mon emballage à moi, je l’ai retrouvé trois heures plus tard, fourbue et courbaturée. Je suis repartie, un petit croquis de mon corps nu sous le bras, le coeur gonflé de fierté et le sourire bien accroché aux lèvres.

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