PYRÉNÉES
ÉVÉNEMENT CAHIER DETACHABLE
HOMMAGE
Le château de Pau en lumières La Ville de Pau et le Musée national du Château vous invitent à découvrir ce lieu emblématique. PAGES 11 À 14 SUPPLEMENT AU JOURNAL DU LUNDI 31 MAI 2010
© PORTRAIT ÉQUESTRE DE HENRI IV, PAR JEAN BAPTISTE MAUZAISSE, 1MUSÉE NATIONAL DU CHÂTEAU DE PAU, REPRODUCTION RMN
Henri IV les clés d’un règne
400 ANS après son assassinat, Henri IV ne cesse de susciter de l’intérêt. Pour mieux connaître le visage et comprendre l’œuvre du souverain préféré des Français, nous vous proposons de découvrir, dans ce cahier spécial, les clés du règne de « Nouste Henric ».
???????IV, les clés d’un règne II | |Henri « Lou nouste Henric »
LUNDI 31 MAI 2010
PYRÉNÉES ÉVÉNEMENT
« Un vrai Béarnais »
« Les Noces vermeilles »
Rapprochement avec Henri III
Le roi de cœur
Pau, nuit du 12 au 13 décembre 1553. Naissance du futur Henri IV. Son grand père Henri d’Albret lui administra le « baptême gascon » : il lui fit humer du vin et frotta ses lèvres d’une gousse d’ail. Ce remède populaire devint plus tard une légende : celle d’un prince élevé comme un paysan. l
Paris, 18-24-29 août 1572.Catherine de Médicis proposa à Jeanne d’Albret d’unir Marguerite, sa fille, à Henri de Navarre. Les noces furent célébréesàParis,le18août1572.Sous la pression des catholiques, Charles IXacceptaquefussenttuéslesprincipaux chefs du parti protestant. Entre la nuit du 24, jour de la saint Barthélemy (notre photo) et le 29, la foule parisienne extermina les protestants. LejeuneroideNavarredutchoisir«la Messeoulamort» !Ilredevintcatholique et fut pendant quatre ans le prisonnier de sa belle-mère. l
4 août 1589. Henri III de Navarre était, après son cousin Henri III de Valois, le seul mâle de la dynastie capétienne.Or,HenrideNavarreétait toujours protestant et refusait de se convertir au catholicisme. Après la victoire sur leurs ennemis communs, à Coutras, il put se rapprocher de son cousin. Henri III avait été chassé de Paris par les catholiques extrémistes etlesEspagnols ;lesdeuxHenri(notre photo) unirent leurs forces et entreprirent le siège de la capitale (1589). Un événement imprévu, l’assassinat du roi de France par un moine, fit du roi de Navarre, le 4 août 1589, Henri IV roi de France et de Navarre. l
18 juin 1590, Coeuvres. Nul n’ignore que Henri IV fut un « Vert galant », un homme vigoureux et qui aimait les femmes. Ses deux grandes passionsfurentlacomtessedeGuiche Corisande d’Andoins et Gabrielle d’Estrées (notre photo). La première futunebonneconseillère ;laseconde, rencontrée le 18 juin 1590 au château de Coeuvres, en Picardie, fut appelée «lapresquereine».Elleluidonnason premier fils et deux autres enfants légitimés. Henri IV voulait l’épouser lorsqu’elle mourut subitement en 1599. l
D
ans la mémoire des Français, Henri IV ne semble avoir connu aucune disgrâce ». Le constat est de Jean-Pierre Babelon, historien réputé et auteur de la biographie de référence de Henri IV. Mieux même : « Sa mort l’a auréolé d’une indescriptible popularité», souligne-il encore. La commémoration cette année du 400e anniversaire de son assassinat a braqué de nouveau les projecteurs de la curiosité sur le « bon roi Henri », l’un des héros fondateurs de l’identité française. Puisque tout a commencé le 13 décembre1553danslacapitaleduBéarn, avec la naissance du futur Henri IV au château de Pau, nous avons souhaité proposer à nos lecteurs, tout au long de ce printemps, de mieux connaître d’abordpourmieuxcomprendreensuite les principales clés du règne de « Lou nouste Henric ». Après avoir publié les semaines précédenteslefeuilletondes«30dernièresjournéesd’HenriIV»,nouséditons, aujourd’hui, un cahier spécial sur le visage et l’œuvre du souverain préféré des Français.
« « Sa mort l’a auréolé d’une indescriptible popularité » Coordonné par Thierry Issartel, agrégé d’Histoire, professeur de Chaire supérieure au lycée Barthou à Pau, ce supplément éditorial de notre journal accueille quelques-uns des historiens etuniversitairesfrançaislesplusréputés, touséminentsexpertsdurègnedeHenri IV et plus largement des XVI e et XVIIe siècles auxquels se sont jointes d’autres«plumes»curieusesetpassionnées par le Béarnais. Chacun de ces auteurs nous offre ainsi un éclairage pertinent sur une des pagesmajeuresdel’épopéehenricienne. On retrouvera ainsi le Gascon caustique,l’hommed’action,lechefdeguerre, leroipacificateur,lebonvivant,l’homme de la poule au pot, ou encore le VertGalant.Autantd’imagesd’Épinalrevisitéesetdécortiquéespartouteslessignatures de ce cahier spécial. Plus riche qu’une vie de roman, l’existence du « bon roi Henri» ne cesse de susciter de l’intérêt qui va bien souvent au-delà de la curiosité et de l’anecdote. Notre supplément n’a d’autre ambition que de répondre modestement à cette envie d’apprendre. Bonne lecture ! l JEAN MARZIOU EDITING ÉDITORIAL : l MIREILLE DUDUN
Remerciements : Nous remercions pour leur soutien et leur collaboration M. Christian Desplat, Professeur émérite des Universités et Mme Nicole Bensoussan, Présidente de l’Académie de Béarn.
SOURCES : CHRISTIAN DESPLAT ET ILLUSTRATIONS © DR
Le sacre du roi catholique
Le panache blanc La signature de et le roi de la paix l’Édit de Nantes
Le mariage avec Marie de Médicis
Chartres, 27 février 1594. Désormais catholique Henri IV fut sacré à Chartres, le 27 février 1594. Cette cérémonie faisait du roi de France le «LieutenantdeDieusurlaterre»,elle lui donnait le pouvoir de guérir les malades. Chaque année, le roi « touchait » les malades des écrouelles (une maladie d’origine tuberculeuse) en prononçant cette formule : « Le Roi te touche, Dieu te guérit ». l
1568-1598. Entre 1568 et 1598 il ne cessa de faire la guerre, d’abord comme chef des protestants, ensuite pourconquérirsonroyaumedeFrance. Ils’efforçatoujoursd’épargnerlesang des Français, même celui de ses ennemisquiseraientunjoursessujets. Il remporta sa plus belle victoire en 1595, à Fontaine-Française, sur les Espagnols puis en 1597, il reprend Amiens.Lesprincesligueursserallient à lui. l
Lyon, 17 décembre 1600. Marguerite de Valois, la « reine Margot » ne pouvait avoir d’enfant. Or, il fallait un fils au roi ; leur mariage fut annulé. En 1600, le roi épousa Marie de Médicis ;lesMédicisétaientdegrands banquiers italiens et le roi leur devait dessommesconsidérables.Lamoitié deladotdeMarieservitàlesrembourser… ! La naissance d’un dauphin, le futur Louis XIII combla Henri et le peuple français ; la reine accoucha en publicetleroidéclaraquesonfilsétait « l’enfant de tout le monde » ! l
Nantes, 13 avril 1598. Converti, sacré, Henri couronna la pacification du royaume par un Édit destiné aux protestants : l’Édit de Nantes (avril-mai 1598). Ce texte ne disait rien sur le contenu de la foi ; en accordant de nombreuses libertés aux protestants, en particulier celle de célébrer leur culte, il distinguait ce qui relèvedelalibertéindividuelle,lechoix d’une religion, et ce qui assure la paix civile,lerespectdesloisdel’État.Avec cet édit, la France donnait le premier exemple de ce que sont devenues aujourd’hui tolérance et de laïcité. l
LUNDI 31 MAI 2010
Henri IV, les clés d’un?????? règne| | III
PYRÉNÉES ÉVÉNEMENT
« Paris vaut bien une messe »
SOMMAIRE
LES LIVRES
« Un vrai Béarnais » par Christian Desplat Page IV
Henri IV, la biographie de référence de Jean-Pierre Babelon
Le « saut périlleux » par Christian Desplat Page V Le roi de la poule au pot par Thierry Issartel Page VI Le Vert-Galant par Marylène Vincent Page VII
Saint-Denis, 25 juillet 1593. La Ligue catholique vaincue, l’Espagne affaiblie, allié aux princes protestants d’Europe, le roi put songer à faire « le saut périlleux ». Seule sa conversion pouvait achever son œuvre de pacification et de réconciliation de tous les Français. Ses ennemis lui prêtèrent un mot historique qui aurait justifié son retour au catholicisme : « Paris vaut bien une messe » ! Le 25 juillet 1593, devant la basilique de SaintDenis,ilabjuraleprotestantisme(notre photo). l
« Le bon Roy est mort ! »
« Paris vaut bien une messe » par Serge Brunet Page VIII Le panache blanc par Joël Cornette Page IX Le roi pacificateur par Thierry Issartel Page X Précurseur de l’Europe ? par Christian Desplat Page XV L’antipathie espagnole par Alain Hugon Page XVI L’énigme Ravaillac par Jean-François Bège Page XVII La grande peur de 1610 par Michel Cassan Page XVIII Etat-Eglise : la crise par Thierry Issartel Page XIX Le supplice de Ravaillac par Julien Vasquez Page XX
Paris, 14 mai 1610, vers 16 heures. LeroiHenriIVvenaitdefaire couronner la reine et se préparait à la guerre contre les Espagnols, il décida d’aller consulter son ministre Sully. Sa voiture s’engagea dans les rues étroitesdelacapitale.RuedelaFerronnerie,unecharrettedefoinempêchait lepassage.Unhommeroux,Ravaillac, bondit sur une roue et donna deux coups de couteau au roi ; quelques instants plus tard, Henri IV roi de France et de Navarre était mort. l
La légende noire de Marie de Médicis par Jean-François Dubost Page XXI Un « couple politique » par Bernard Barbiche Page XXII
« Henri IV », le livre de JeanPierre Babelon est la biographie qui fait référence. Dans la mémoire des Français, Henri IV est le seul roi à n’avoir connu aucune disgrâce. Sa mort l’a auréolé d’une indestructible popularité et son règne est vite devenu l’auberge espagnole de notre histoire. Le Gascon caustique méprisant la peur, l’homme d’action ennemi des parlottes, le bon vivant, l’homme de la poule au pot, le Vert-Galant sûr de ses conquêtes : autant d’images d’Épinal que Jean-Pierre Babelon réajuste sans parti pris ni complaisance, pour expliquer le phénomène Henri IV. Cinq ans sont nécessaires au premier Bourbon pour ouvrir les portes de la capitale, quatre autres pour apaiser les armes et les consciences. Il ne lui reste
que douze ans pour créer, avec l’aide de Sully, un État moderne : l’économie, l’agriculture, l’urbanisme, l’université, il n’a de cesse de tout réorganiser et de continuer la tradition monarchique séculaire, comme s’il avait su que peu de temps lui
Le Grand et le bon Roi par Paul Mironneau Page XXIV
« Henri IV » de Jean-Pierre Babelon, chez Fayard, 34 €.
Le Roi Libre de François Bayrou
Henri IV
Dans le siècle le plus déchiré, le plus violent, le plus sanglant de l’histoire de France surgit un jeune homme qui ne ressemble à aucun de ses contemporains. Conquérant de son royaume, il retrouve le pouvoir dans un pays épuisé. Ce livre n’est pas seulement l’histoire d’une vie. Il est aussi une tentative pour comprendre l’entreprise de réconciliation nationale, et le plus spectaculaire redressement financier, économique, politique et moral que notre pays ait connu. Réussite à l’échelle des siècles, conduite par un homme qui sait rire, y compris de ses propres angoisses, la vie de Henri IV, plus riche qu’une vie de roman, ne pouvait que fasciner un de ses lointains successeurs à la tête du Parlement de Navarre. François Bayrou est allé à la découverte du « Roi Libre » en politique et en écrivain. A quatre siècles de distance, l’œuvre et le visage du souverain préféré des Français, redécouverts et éclairés, sortent de ce livre comme un message pour notre temps. l « Henri IV, le Roi Libre » de François Bayrou chez Flammarion, 16 €.
et les femmes
Henri IV, roi de France et de Navarre Une histoire de Henri IV en un Prologue, dix thèmes et un épilogue, cartes, lexique et chronologie : ce petit livre, proposé par les éditions paloises Cairn et destiné à de jeunes lecteurs, ceux de l’Enseignement primaire ne prétend pas concurrencer les enseignants, pas plus que des manuels scolaires de qualité. Il se propose de donner du sens à la légende d’Henri IV, un mythe national, de la confronter à l’Histoire, de former l’esprit critique du citoyen. Ce livre est né d’une demande des enseignants du primaire qui ne trouvent en librairie aucun album destiné à leurs élèves spécifiquement. Le texte de Christian Desplat, éminent historien, auteur notamment de plusieurs livres universitaires sur Henri IV, a été adapté par des enseignants afin que ce livre « parle » à leurs élèves. L’iconographie a été sélectionnée par Isabelle Pebail, chartiste en charge de l’iconographie au Musée national, Château de Pau. l « Henri IV, roi de France et de Navarre » par Christian Desplat dans la collection « Raconte-moi » aux éditions Cairn, 15 €.
Henri IV, roi de la Paix, est le second livre proposé par Un caractère visionnaire l’interview de F. Bayrou Page XXIII
était octroyé pour accomplir sa tâche. Pour Henri IV, ce célibataire mal marié, qui se reconnaissait trois plaisirs, la guerre, la chasse et l’amour, la plus grande joie fut sans doute la naissance du dauphin, le futur Louis XIII. Il avait alors 48 ans. Après avoir rétabli l’unité de son royaume et assuré le « bien-être de ses peuples », il fondait une nouvelle dynastie. Le fils de Jeanne d’Albret pouvait-il rêver d’une plus belle destinée ? Au bout du compte, un caractère et un comportement peu ordinaires, un pragmatisme et un relativisme qui tranchent vigoureusement sur les mentalités de l’époque, et un esprit qui nous est étrangement proche. l
les éditions Cairn et cosigné par l’historien Christian Desplat et la dessinatrice Mayana Itoiïz. Ce livre met l’accent sur le Roi de la paix. Celui qui mit un terme à d’affreuses guerres civiles et religieuses, qui réconcilia les Français et leur apprit la tolérance. Enfin qui rendit à la France sa place en Europe, restaura son économie et son rayonnement dans le monde. l « Henri IV, roi de la Paix » de Christian Desplat et Mayana Itoiïz aux éditions Cairn, 15 €.
Huit femmes dans la vie de Henri IV : leurs petites histoires pour mieux comprendre la grande Histoire de France. Née dans la ville du bon roi Henri, Pau, Marylène Vincent, professeur d’histoire, curieuse infatigable, a réussi, après deux années de recherche dans les archives de France et de Navarre, à relater, de façon simple et non moins originale, l’incroyable et complexe histoire de Henri IV. Ce livre qui dévoile tout, à travers huit portraits de femmes, toutes plus importantes les unes que les autres, qui l’ont guidé, inspiré, influencé, dominé, trahi, régenté entre amour, haine et violence. l « Henri IV et les femmes. De l’amour à la mort » de Marylène Vincent aux éditions Sud-Ouest, 19,90 €.
Ravaillac, l’assassin Bienvenue dans le mystère Ravaillac. Il prend racine entre Dieu et diable, à l’époque de la sorcellerie vivace et des extases spirituelles, des flamboyants adultères royaux et des philtres d’amour. Il n’a cessé d’alimenter, depuis quatre siècles, les thèses les plus diverses. L’auteur a choisi d’en recenser les principales et de les confronter au jugement contemporain. Cette démarche lui permet une approche originale, consistant à situer Ravaillac dans la très longue cohorte des assassins politiques de l’Histoire. Dans un style vif, Jean-François Bège invite le lecteur à une promenade moderne autour d’un vieux sujet, revisité sans tabou ni conclusions trop hâtives. l « Ravaillac, l’assassin d’Henri IV » de Jean-François Bège aux éditions Sud-Ouest, 18 €.
IV | Henri IV, les clés d’un règne
LUNDI 31 MAI 2010
PYRÉNÉES ÉVÉNEMENT
« Tu seras un vrai Béarnais » CHÂTEAU DE PAU Avant même d’avoir vu le jour, le futur Henri IV était déjà l’enjeu de calculs politiques ! Dès sa naissance, son grand-père lui fit porter tous les espoirs d’une dynastie.
Habilement exploitées, les circonstances de la naissance d’Henri contribuèrent aussitôt à la légende d’un roi élevé comme un enfant du peuple, d’un homme simple et d’un soldat endurci. La mésentente de ses parents, la conversion de sa mère au calvinisme, la mort de son père, enrichirent cette légende : Henri,commelesfilsdespaysans, aurait fait des études très sommaires. En réalité, ses nombreux séjours à la Cour de France, sa participation au grand voyage organisé par Catherine de Médicis entre 1564 et 1566, l’initièrent à son métier de roi ; confié à plusieurs précepteurs de qualité, il fut un bon latiniste et sa correspondance révèle un grand prosateur moderne et un admirateur des humanistes. Il fut aussi le dernier roi de France à fréquenter un collège : celui de Navarre à Paris. Il faut enfin souligner une grande nouveauté, l’importance que prit sa mère à son éducation : « Je n’entends pas que mon fils soit un âne couronné » ! l CH. D.
PAR CHRISTIAN DESPLAT
D
ans la nuit froide du 12 au 13 décembre 1553, une agitation inhabituelle régnait au château ; servantes et valet s’agitaient, des gentilshommes, de nobles dames, enveloppés de riches fourrures, entraient d’un pas pressé. Les fenêtres brillaient du feu de mille torches et chandelles, on apercevait le reflet des flammes des brasiers de troncs entiers qui brûlaient dans les cheminées. Quelques jours auparavant, la fille unique du roi Henri II de Navarre était arrivée après une harassante chevauchée ; son père avait exigé qu’elle revienne en Béarn pour y accoucher. Son mari, Antoine de Bourbon, premier prince du sang royal de France, guerroyait contre les Espagnols dans le nord de la France et n’avait pu l’accompagner. Jeanne d’Albret avait déjà donné naissance à deux garçons, tous deux morts d’accident ; Henri II redoutait de n’avoir pas de successeur et voici comment Jeanne se trouvait à Pau, en cette nuit de décembre, sous l’étroite surveillance de son père.
(Publié avec l’aimable autorisation de l’auteur)
« Point une pleureuse ni un enfant rechigné »
Ainsi vint ce petit prince au monde
Le vieux roi lui avait montré une clef qu’il portait à une chaîne d’or et un coffret dans lequel se trouvait son testament : si l’enfant que l’on attendait était un garçon, il remettrait la clef et le coffret à sa fille, mais en échange, elle lui confierait le nouveau-né. Avant d’avoir vu le jour, le futur Henri IV fut ainsi l’enjeu de calculs politiques ! Lorsque Jeanne ressentit les premières douleurs de l’enfantement, son père lui demanda de chanter en béarnais pour que « tu ne fasses point une pleureuse, ni un enfant rechigné ». L’enfant aussitôt né, Henri II le prit dans sa houppelande, le présenta aux courtisans et donna la clef à Jeanne. Sur son ordre, des serviteurs apportèrent du vin et de l’ail ; le roi versa quelques gouttes dans une coupelle et le fit humer au nouveau-né. Puis il lui frotta les lèvres avec la gousse d’ail. Il annonça ensuite qu’il se chargeait de son éducation et : « Tant que vécu le bon roi d’Albret, il ne voulut pas que son petit-fils fut mignardé délicatement et a été vu à la mode du pays parmi les autres enfants du village, quelquefois pieds nus et nu-tête, tant en été qu’en hiver ». La légende du « bon roi Henri IV » vit ainsi le jour en même temps que sa naissance. Lorsque Jeanne était née, les Espagnols s’étaient moqués de son père, surnommé « ElVaquero » : « Miracle : la vache
« Entre minuit et une heure, le treizième jour de décembre 1553, les douleurs pour enfanter prirent à la princesse. Au-dessus de sa chambre était celle du roi son père, qui averti soudain descend. Elle, l’oyant (l’entendant), commence à chanter en musique ce motet en langue béarnaise : Nostre Dame deu cap deu pon, ajuda mi en aqueste houre, (Notre Dame du Bout du Pont, aide-moi à cette heure). Cette Notre-Dame était une église de dévotion dédiée à la Sainte Vierge, laquelle étant au bout du pont du Gave en allant vers Jurançon, à laquelle les femmes en travail d’enfant avaient coutume de se vouer, et en leur travail de la réclamer ; dont elles étaient souverainement assistées, et délivrées heureusement. Aussi n’eut-elle pas plus tôt parachevé son motet que naquit le prince qui commande aujourd’hui, par la grâce de Dieu à la France et à la Navarre. Ainsi vint ce petit prince au monde, sans pleurer ni crier et la première viande qu’il reçut fut de la main de son grand-père ; il lui bailla une tête d’ail dont il lui frotta ses petites lèvres, lesquelles il se fripa l’une contre l’autre comme pour sucer, le roi prenant de là une bonne conjoncture qu’il serait d’un bon naturel, il lui présenta du vin de sa coupe ; à l’odeur, de petit prince branla la tête comme peut faire un enfant, et lors ledit sieur roi dit : « Tu seras un vrai Béarnais » ! (P. Palma-Cayet, Chronologie novenaire, 1589-1598).
La naissance du roi Henri IV au château de Pau par Eugène Deveria, (Paris, Musée du Louvre). © DR a enfanté une brebis » *! En 1553, il put leur répliquer : « Miracle : ma brebis a enfanté un lion » !
Le symbole du « baptême gascon » Henri II disparut en mai 1555 et il n’eut pas le temps d’appliquer son programme d’éducation « à la paysanne » ; en revanche, en s’appropriant le nouveauné, il montrait que celui-ci n’appartenait pas à ses parents naturels, mais qu’il portait tous les espoirs d’une dynastie. Le « baptême gascon », qui devint plus tard le symbole d’un roi proche du peuple, était en réalité un usage médical ordinaire : le vin et l’ail, des révulsifs, étaient destinés à provoquer une profonde inspiration et des éternuements qui dégageaient les poumons de l’enfant. Le recours à la Vierge du Bout-duPont avait, enfin, un double sens : la Mère du Christ passait pour la meilleure « avocate » des jeunes mères ; qui mieux qu’elle pouvait intercéder auprès de son Fils pour qu’une naissance soit
heureuse ? Quand à NotreDame-du Bout-du-Pont, elle protégeait ceux qui empruntaient la dangereuse passerelle sur le Gave ; on lui rendait un culte lié aux « rites de passage » et la naissance est, en effet, le L’AUTEUR
Une figure de l’Université de Pau Professeur éméritedesuniversités, le Palois Christian Desplat est une figure de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour où il fut professeurd’Histoiremoderne.Enseignant et chercheur passionné et prolixe, Christian Desplat est l’auteur d’une thèse sur Pau et le Béarn au XVIIIe siècle, d’une trentaine d’ouvrages et de plus de deux cents articles. MembreduComitédesTravauxhistoriques au ministère de la Recherche, il est également membre de l’Académie de Béarn et a présidé la Société Sciences, Lettres et Arts de Pau et du Béarn. l
premier passage de l’homme, celui de l’entrée dans la vie.
La légende d’un roi élevé comme un enfant du peuple L’enfance d’Henri fut difficile ; il fut confié à huit nourrices successives, puis aux soins de la baronne de Miossens, au château de Coarraze. Il n’eut à y combattre ni les ours, ni les aigles ; mais il est probable qu’il fréquenta au moins autant les servantes, les valets que les petits paysans du lieu et il devint ainsi un amateur de grand air, d’exercices physiques, de chevaux et de chasse. Il n’avait pas trois ans lorsqu’il présida, comme régent, l’assemblée des États de Béarn ; la même année, il fit son premier voyage à Paris, sans doute avec chapeau et souliers ! Il y rencontra le roi Henri II deValois qui lui demanda s’il voulait devenir son gendre ; le petit Béarnais avait de la répartie et répondit : «Obé» (oui bien) ; ainsi fut décidée sa future union avec Marguerite deValois, la reine Margot.
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Henri IV, les clés d’un règne | V
PYRÉNÉES ÉVÉNEMENT
Religion : le « saut périlleux » CONFESSIONS Le bon roi a changé cinq fois de religion au cours de sa vie. Mais ses retournements ne peuvent être réduits à un pur machiavélisme. Pour le Béarnais, paix civile et paix religieuse étaient indissociables.
PAR CHRISTIAN DESPLAT
P
aris vaut bien une messe », « Jarnicoton », « Ventre saint gris », « Le saut périlleux», les mots historiques prêtés à Henri IV évoquent une foi à géométrie variable. Il appartint à une génération d’hommes ondoyants, la première à choisir entre confessions réformée et romaine. Leur violence, leurs retournements furent à la mesure de leurs incertitudes. Si les « fous de Dieu » ne se recrutèrent pas parmi les croyants les plus éclairés, Henri avait reçu une éducation plus sérieuse que ne le donne à croire sa légende. La position d’un homme qui changea cinq fois de confession ne pouvait être simple et ne saurait être réduite à un pur machiavélisme.
La parole aux témoins Ses contemporains tentèrent de démêler le cheminement de cet « accommodeur de religion ». Un historiographe soutenait que, dès 1585, il assurait « qu’il ne pouvait changer de religion sans être instruit ». Duplessis Mornay, protestant, ajoute qu’il attendait la réunion d’un concile national pour prendre sa décision. Le roi de Navarre aurait enfin tenu des propos, en 1584, qui laissaient supposer son choix dans ce qui était le nœud du conflit confessionnel : l’Eucharistie. « Je ne vois ni ordre ni dévotion en ceste religion (réformée) ; bref, j’ai ce scrupule qu’il faut croire que véritablement le corps de Notre Seigneur est au sacrement, autrement tout ce qu’on fait en la religion n’est qu’une cérémonie ». Le «saut périlleux » du 25 juillet 1593 fut présenté comme un effet de la grâce divine et le résultat d’une instruction, de deux jours ! Selon Sully, Henri aurait cédé aux subtilités des théologiens catholiques et des pasteurs protestants opportunistes qui « voulaient profiter du temps à quelque prix et par quelque voie que ce put être » ! Le ministre approuvait cependant une conversion qui achevait la pacification du royaume. Pierre de l’Étoile exprimait le sentiment dominant : les Français attendaient du roi une conversion sincère, gage de la paix mais aussi réponse à la nostalgie de l’unité confessionnelle. Au XVIIe siècle, Hardouin de Péréfixe lui prêtait une formule « probabiliste » : « La prudence veut donc que je sois de leur religion (des catholiques) et non pas de la vôtre, parce qu’étant de la leur je me sauve selon eux et selon vous ; et étant de la vôtre, je me sauve bien selon vous, mais
L’abjuration de Henri IV à la basilique Saint-Denis le 25 juillet 1593, Anonyme (Document Musée du château de Pau). © DR pas selon eux » ! Au XIXe siècle, E. Lavisse, un républicain, n’hésitait pas à présenter Henri comme le précurseur de la Libre Pensée !
Le converti Henri naquit et vécut d’abord dans la confession catholique. Son premier précepteur ne fut excommunié qu’en 1560 pour ses sympathies réformées. Son influence fut celle d’un humaniste et laissa des traces indélébiles. Les déchirements du couple parental, ses séjours fréquents à la Cour de France inspirèrent au jeune Henri un relativisme religieux. Sa conversion à la Réforme, selon sa mère, serait intervenue en 1561. Mais Jeanne éprouva toujours un sentiment mitigé à l’égard de la foi de son fils. Fière du « zèle qu’il a plu à Dieu lui mettre dans le cœur de sa gloire », mais toujours inquiète. En 1572, elle lui écrit des lettres angoissées : « Ayez soin d’ouïr prêches et prières » ! La correspondance du roi éclaire le processus qui le conduisit au « saut périlleux ». Vers 1576, il établit sa véritable ligne de partage en matière de foi, dépassant la frontière entre catholiques et protestants et « affectionnant une religion plutôt que n’en ayant du tout point ». Pour le Béarnais, paix civile et paix religieuse étaient indissociables. La mort du duc d’Anjou en 1584 fit de lui l’héritier probable de la couronne de France et marque une étape décisive. Il
parle alors de son « instruction » et flatte le gallicanisme de la Sorbonne et du Parlement de Paris. En 1589, il déclare aux États Généraux de France : « Instruisez-moi, je ne suis point opiniâtre » ! A la fin de 1590, la décision de son retour au catholicisme semble prise et il l’attribue « à la seule inspiration qu’il plaira à Dieu m’en donner, comme par lui seul et pour son seul respect se doit manier le fait des consciences ». Entre 1590 et 1593, sa correspondance ne cesse de faire allusion au «Rois mes prédécesseurs », les RoisTrès Chrétiens, héritiers de Saint Louis. Jusqu’en 1584, sa fortune dépendait des « deniers de la subvention » que lui attribuaient les synodes et il ménageait ses coreligionnaires. Roi de France, Henri ne tolère plus l’indépendance des assemblées protestantes et le leur rappelle en 1591 : « Vous savez bien que je sais assez la différence entre synode et assemblée ».Tout était dit : pour le roi, la foi relevait du for privé, chacun était libre de la confesser, mais hors du champ du for public et dans le respect des lois de l’État. A cette incompatibilité politique, s’ajoutait une incompatibilité du sentiment religieux. Les édits de pacification éclairent cette sensibilité. Celui de Nantes fut appliqué loyalement, mais à la lettre par le souverain. Celui de 1599, en faveur des catholiques de Béarn fut au contraire mis en œuvre avec une libéralité croissante. Henri exprima toujours sa certi-
tude d’être l’élu de Dieu. La lettre qu’il écrivit au soir de la victoire d’Ivry ne laisse aucun doute à ce sujet : « C’est une œuvre miraculeuse de Dieu, qui m’a premièrement voulu donner cette résolution de les attaquer et puis la grâce de la pouvoir si heureusement accomplir ». Élu de Dieu, il est son « Lieutenant » et le fait savoir avec force. Au Parlement de Paris, qui refusait d’enregistrer l’Édit de Nantes, il adresse une rude semonce, celle du gardien de l’orthodoxie : « Quand je l’entreprendrais, je vous ferais tous déclarer hérétiques, pour ne pas vouloir obéir » !
Le Roi Très Chrétien Roi de France, il devient le chef temporel de l’Église de France. Il intervient dans la réforme de plusieurs ordres religieux. A ceux qui lui reprochent d’avoir autorisé le retour en France des jésuites, il réplique : « Ils entrent comme ils peuvent et suis moimême entré comme j’ai pu ! Ils attirent à eux les beaux esprits et choisissent les meilleurs et c’est de quoi je les estime ». En 1601, lors de la naissance du dauphin, il écrit : « Je veux le présenter à Dieu et l’enregistrer et incorporer en l’Église, afin qu’il chemine par le pas de ses ancêtres ». Après 1593, sa correspondance évoque sa pratique religieuse : ses Pâques, la cérémonie du toucher des malades des écrouelles. En 1596, il décrète des prières et des processions publiques. Le fils de Jeanne d’Albret
ne vénérait pas seulement les reliques, il avait recours aux indulgences et en Béarn, il restaura toutes les « momeries » interdites par sa mère. Henri fut un chrétien sincère, éloigné de la superstition. En dépit de la légende, il ne mandata pas Pierre de Lancre pour dresser des bûchers en Labourd. A plusieurs reprises, il étouffa des affaires de sorcellerie et sauva quelques malheureuses. Dans le cas de la « démoniaque » Marthe Brossier, il enjoignit à son médecin personnel d’enquêter et fit imprimer le rapport qui concluait à l’imposture. En 1602, il sévit contre un dangereux « chasseur de sorcier » gascon, Le Hugon et, en 1605, le père Coton fut sévèrement réprimandé pour s’être mêlé de consultations auprès de possédées. Comme son ami Montaigne, il était partisan de médicaliser les cas de sorcellerie. Meilleur théologien que les démonologues, il n’ignorait pas que tout pouvoir vient de Dieu et que celui du Diable n’est qu’apparence. Ni bigot, ni hypocrite, Henri IV fut d’abord le Roi Très Chrétien, « car c’est Dieu par qui les rois règnent et a en sa main le cœur des peuples ». Il fut surtout le roi de la modernité religieuse et politique : s’il ne fut pas le précurseur de la laïcité telle que nous la concevons, il sut en homme et en roi mettre en pratique une grande nouveauté : la dissociation du for public et du privé en matière de liberté de conscience. l C. D.
VI | Henri IV, les clés d’un règne
LUNDI 31 MAI 2010
PYRÉNÉES ÉVÉNEMENT
Le roi de la poule au pot UNE RELATIVE EMBELLIE ÉCONOMIQUE « Je ferai qu’il n’y aura point de laboureur en mon Royaume, qui n’ait moyen d’avoir une poule dans son pot », aurait dit Henri IV, servi par une conjoncture favorable sous son règne.
PAR THIERRY ISSARTEL
S
i Henri IV passe, à juste titre, pour un roi particulièrement attentionné pour son peuple, ce n’est pas seulement comme le plaisent à dire ses premiers biographes parce qu’il avait côtoyé durant sa jeunesse béarnaise la condition paysanne, mais parce qu’il avait un sens aigu de ce qui faisait la puissance de la France : une population sans doute plus proche de 18 que de 20 millions d’habitants, mais qui faisait du royaume la première puissance démographique européenne (loin devant l’Angleterre (5 à 6 millions d’habitants), l’Espagne (6 à 8 millions), ou les possessions des Habsbourgs de Vienne (8 millions). A défaut de disposer de l’or d’Amérique qui faisait la richesse et la puissance de l’Espagne, Henri IV avait là - pour peu que ce peuple produise, mange à sa faim et paye des impôts - le premier pilier d’une politique de puissance. De fait, durant le sombre XVIIe siècle, le règne de Henri IV est devenu rétrospectivement dans la mémoire collective des Français une période de prospérité au moins relative.
La conjoncture de la « poule au pot » Les Guerres de religion, qui sont intervenues à une époque de ralentissement économique (le troisième tiers du XVIe siècle), ont été éprouvantes pour la population française. Le règne de Henri IV connut ainsi deux crises de subsistance à l’échelle européenne, particulièrement graves en 1590 et en 1596-1597, toutes deux suivies par des épidémies. On est au début du « petit âge glaciaire », mis en lumière par Emmanuel Le Roy Ladurie, qui s’est manifesté non seulement par une avancée des glaciers alpins, mais aussi par des gelées tardives, printemps pourris et étés maussades : conditions très défavorables à la culture du blé, aliment essentiel des Français. A cela, s’ajoutaient les désordres financiers qui avaient accompagné la guerre. On comprend que l’une des priorités de Sully au moment du retour à la paix en 1598 était d’assainir cette situation. L’ordonnance de Montceau (1602) organisa une nouvelle dévaluation qui reconnaissait le cours réel de la monnaie, étape essentielle pour rétablir la confiance en celle-ci. Le résultat fut une baisse des prix d’environ 20 % entre 1596 et 1610, phénomène qui ne passa
La poule au pot pour tous le dimanche, un simple vœu, d’un rêve de souverain soucieux du bien-être de ses sujets (document http://www.collectionsrossignol.com). © DR pas inaperçu parmi les classes populaires. On peut difficilement parler d’un retour à la croissance. Il s’agissait plutôt d’un rattrapage qui a permis au royaume de revenir à son niveau du début des années 1560, avant les calamiteuses guerres civiles. L’agriculture (80 % de la population est paysanne) et le commerce reprenaient. Mais il serait abusif d’imaginer que la France était devenue sous l’autorité paternaliste du bon roi Henri un pays de Cocagne, où toutes les familles paysannes mangeaient le dimanche la « poule au pot ». Ce mythe est né sous la plume de l’un de ses premiers biographes, Hardouin de Péréfixe, dans une citation qui a été souvent reprise et déformée. Il s’agissait d’un simple vœu, d’un rêve de souverain soucieux du bien-être de ses sujets : « Lorsque le duc de Savoie vint en France [durant l’hiver 15991600], le Roy le mena un jour voir jouer à la paume sur les fossés du Faubourg Saint-Germain où, après le jeu comme ils étaient tous deux à une fenêtre qui regar-
dait sur la rue, le Duc voyant un grand peuple, lui dit qu’il ne pouvait assez admirer la beauté et l’opulence de la France, et demanda à sa Majesté ce qu’elle lui valait de revenus. » Ce Prince généreux et prompt en ses réparties lui répondit : « Elle me vaut L’AUTEUR Enseignant pour partager A g r é g é d’Histoire, professeur de chaire supérieure en classespréparatoires littéraires au lycéeLouis-Barthou àPau.ThierryIssartelasoutenu,àl’UniversitédePauune thèsededoctoratsurlesujet «Politique, érudition et religion au Grand Siècle:PierredeMarca(1594-1662)». Outre des participations à des ouvrages collectifs, Thierry Issartel, par ailleursmembredel’AcadémiedeBéarn, apublié«LesCheminsdelatolérance enBéarn(XVIe-XVIIesiècles)»,Biarritz, Atlantica,1999,359p.et«Beneharnum. Les historiens et les origines du Béarn»,Pau,ÉditionsGascogne,2000, 111 p. l
ce que je veux ». Le Duc trouvant cette réponse vague, le voulut presser de lui dire précisément ce que la France lui valait. Le Roy répliqua : « Oui, ce que je veux, parce qu’ayant le cœur de mon peuple j’en aurai ce que je voudrai, et si Dieu me donne encore de la vie, je ferai qu’il n’y aura point de laboureur en mon Royaume, qui n’ait moyen d’avoir une poule dans son pot ».
La naissance d’une pauvreté moderne Mais Péréfixe raconte aussi comment : « Quelques troupes qu’il envoyait en Allemagne, ayant fait désordre en Champagne et pillé quelques maisons de paysans, il dit aux capitaines qui étaient demeurés à Paris : partez en diligence, donnez-y ordre, vous m’en répondrez. Quoi ! Si on ruine mon peuple, qui me nourrira ? Qui soutiendra les charges de l’État ? Qui payera vos pensions, Messieurs ?Vive Dieu ! s’en prendre à mon peuple, c’est s’en prendre à moi ! ». Cette leçon, que Péréfixe adressait en 1661 à Louis XIV, n’a peut-être
pas été assez méditée par l’intéressé… Le souci bien réel du roi de préserver, voire de promouvoir le niveau de vie des Français, s’inscrivait dans une perspective bien plus sombre : celle d’une conjoncture européenne de montée de la pauvreté. C’est à la fin du XVIe siècle que le problème de la pauvreté a commencé à se poser en Occident dans des termes « modernes » : celui de l’exclusion, de la mendicité dans les villes de gens qui n’avaient pas de travail alors que, précisément, la notion de travail était de plus en plus valorisée par le dynamisme commercial des bourgeoisies urbaines. On cessait progressivement de voir dans le pauvre la « figure christique », bénéficiaire de la charité, procurant au riche l’occasion de son salut. Il devenait un fainéant, un parasite, une force de travail désœuvrée, voire un délinquant potentiel… Le rétablissement de l’État s’accompagna, sous Henri IV, d’une plus grande efficacité fiscale à une époque où ce sont les paysans qui payent le plus d’impôts. C’est sous son règne que se manifestent les émeutes paysannes antifiscales qui perdureront au XVIIe siècle, comme celle des « Croquants » en Périgord en 1594-1595. Cependant, le règne de Henri IV fut malgré tout une époque relativement clémente pour les pauvres, sans doute la dernière qui ait eu encore une approche traditionnelle « charitable » de la pauvreté. Henri était beaucoup plus magnanime que sa mère Jeanne d’Albret qui, dans ses ordonnances ecclésiastiques de 1571, avait interdit la mendicité des pauvres valides, proscrivait la charité (au nom des conceptions calvinistes refusant les « œuvres ») et imposait à tous de travailler six jours par semaine. Au lendemain de la mort de Henri, en 1611 et en 1612, Marie de Médicis prit des édits ordonnant l’enfermement des pauvres dans les « hôpitaux » de Paris, mesure qu’elle appelait à imiter dans les grandes villes du royaume. C’était le début d’une nouvelle politique de contrôle social et de criminalisation de l’oisiveté fondée sur la notion d’enfermement et de travail forcé. Cependant, le « Grand enfermement » mis en exergue par le philosophe Michel Foucault a été plus un idéal, une utopie, qu’une réalité. Le règne d’Henri IV n’en demeure pas moins un tournant historique sur la question de la pauvreté, un tournant qui est l’une des faces - les plus sombres, il est vrai - de notre modernité. l TH. I.
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Henri IV, les clés d’un règne | VII
Les «battues» du Vert-Galant HENRI IV ET LES FEMMES Légende et réalité font bon ménage en ce qui concerne les amours du Béarnais. Et rarement, un roi nous est apparu si… humain.
tion plus que difficile. L’Italienne, qui a connu une courte lune de miel, le temps de donner un Dauphin à la France, ne supporte pas les frasques répétées de son époux. La nouvelle favorite, quant à elle, furieuse d’avoir été évincée de la première marche du pouvoir, complote contre le roi. Faible, l’amoureux transi perd sa lucidité politique et pardonne. Henriette le tient par la barbichette, le malmène sur l’hygiène, arguant qu’« il puait comme une charogne » ou sur sa virilité, le surnommant « capitaine bon vouloir » devant des courtisans abasourdis. Le roi s’en justifie dans une lettre : « Mon menon, je viens de prendre médecine afin d’estre plus gaillard pour exécuter toutes vos volontéz ». Pavé dans la légende henricéenne !
PAR MARYLÈNE VINCENT
U
n avant-goût prononcé pour les femmes dès sa prime enfance ? Le jeune prince du Béarn a vu défiler huit ou neuf nourrices « bien carrées de poitrine et bien brunes de peau » selon Péréfixe. Plus tard, durant son adolescence, Jeanne d’Albret ne cesse de veiller au grain. Très rigoureuse, cette mère vertueuse exige pour l’héritier à la couronne de Navarre, le meilleur en matière d’éducation et lui interdit les femmes, « ruines de l’âme du corps et de la réputation ». Elle écrit au théologien protestant Théodore de Bèze : « Mon fils croît en stature et déteste le vice ». Ventre-saint-gris ! En réalité, Henri ressemble terriblement à son père Antoine de Bourbon, séducteur impénitent et infidèle notoire. Au fil des années, l’amour devient son point faible, son talon d’Achille, son réconfort, son oxygène. « Sans amour, je serai sans vie » écrit-il. Un de ses contemporains le dit même « esclave de cette passion amoureuse » qui le transforme en romantique éclairé ou en malade mélancolique lorsque les maux remplacent les mots. Après avoir mugueté et compté fleurette entre Pau et Nérac, le jeune roi de Navarre parfait son expérience amoureuse durant les premières années de son mariage, coincé entre sa jeune épouse Marguerite de Valois et les plus belles femmes de l’escadron volant de Catherine de Médicis.
La belle Margot lui déclare la guerre A la Cour de France où le luxe s’étale comme les chairs, où le péché n’existe pas, ces créatures démoniaques lui permettent d’étudier, d’explorer les dessous du plaisir. La belle Margot, bien obligée d’accepter la situation, gère les liaisons de son époux, de la comtesse à la femme de chambre. Mais de retour dans le Sud-Ouest, les choses se compliquent lorsqu’il lui demande d’accoucher secrètement ellemême une de ses maîtresses, La Fosseuse. Goujat, le Béarnais ? Le pragmatisme demeure sa qualité première. Dès sa rencontre avec Diane d’Andoins - la belle Corisande, Margot en subit les conséquences, contrainte à s’exiler et à lui déclarer la guerre. De toute évidence, le roi de Navarre n’a d’yeux que pour celle qui va devenir son premier grand amour, sa confidente, sa conseillère politique. Seuls au monde malgré le bruit des bottes.
Un harem royal au château
Dame à sa toilette, portrait de Gabrielle d’Estrées, attribuée à François Clouet, vers 1570. Le roi accorde toutes les faveurs à cette jeune femme issue de la petite noblesse. Il lui promet le mariage. © DR Corisande l’appelle tendrement «Petiot » ;Henriluiécritdeslettres enflammées : « Votre esclave vous adore violemment. Je te baise, mon cœur, un million de fois les mains ». Elle est la seule qui aimera l’homme plus que le roi, lui donnera amour, argent et toute l’énergie pour l’aider à devenir un monarque reconnu par tous les Français. Lui, s’engage à l’épouser par une promesse signée de son sang puis fait un enfant à sa nouvelle maîtresse Esther, une jouvencelle de seize ans, à La Rochelle où les combats font rage. Diane enrage. Henri vogue désormais vers d’autres sirènes.
Gabrielle la passion de sa vie PendantlesiègedeParis,Henri IV mène une vie de bâton de chaise, sans rompre. Solide comme un roc jusqu’à ses extrémités les plus intimes, le VertGalant n’a-t-il pas dit : « Jusqu’à quarante ans, j’ai cru que c’estoit un os ? ». Le guerrier accumule les victoires, les « battues galantes » et nombreux sont les
trophées conquis pour une nuit ou pour la vie : la femme d’un général, une abbesse, la sœur de celle-ci, une cousine, une fille de joie et… un ange tombé du ciel : Gabrielle d’Estrées. Le roi accorde toutes les faveurs à cette jeune femme issue de la petite noblesse qui deviendra la passion de sa vie : argent, domaines, titres. Devant des courtisans horrifiés, il lui offre la bague du sacre et lui promet le mariage. Pour la L’AUTEUR L’enquête d’une Paloise Née à Pau, professeur d’histoire, Marylène Vincent relate l’histoire de Henri IV dans « Henri IV et les femmes. De l’amouràlamort», paruauxéditionsSudOuest.Atravers huit portraits de femmes qui l’ont guidé,inspiré,influencé,régenté,trahi, entreamour,haineetviolence,l’auteur croise leurs portraits et les petites histoires permettent de mieux comprendre la grande Histoire de France. l
première fois, une favorite sera reine de France, les enfants légitimés. Le pape condamne ; les plus extrémistes fustigent « la putain du roi », surnommée « duchesse d’ordures », mais Henri fait la sourde oreille et continue à manifester un amour inconditionnel à sa bien-aimée : « Je suis et serai jusqu’au tombeau votre fidèle esclave » lui écrit-il. Quand elle meurt prématurément, enceinte de leur quatrième enfant, il est anéanti par le chagrin : « La racine de mon amour est morte. Elle ne rejettera plus ». Trois petits mois suffisent aux conseillers du roi pour régler son divorce, pour organiser un mariage avec la riche héritière Marie de Médicis ; et au roi de France pour se refaire une santé : il vient de succomber aux charmes diaboliques d’Henriette d’Entragues, « le bec le plus effilé de la Cour ». Et les conseillers de s’arracher les cheveux ! Si les Guerres de religion sont terminées, les ennuis commencent au sein de la famille royale. Henri IV installe épouse et concubine au Louvre, une cohabita-
Pendant qu’un harem royal s’organiseauchâteau,lesmauvaises langues chuchotent que le roi passe « plus de temps à démêler les affaires de cœur que celles du royaume ». En effet, de nouvelles maîtresses, de plus en plus jeunes, comme Jacqueline de Bueil ou Charlotte des Essarts, viennent grossir les rangs. Les accouchements se succèdent. Henri s’en amuse : « Il me naît un maître et un valet ». Tous ses enfants, légitimes et légitimés, sont élevés à Saint-Germain-enLaye au grand dam de la reine. Dehors, les pamphlétaires se déchaînent tandis que l’ambassadeur du Saint-Siège, indigné, décrit au pape le « sacré bordel » à la Cour de France. Lassé par tant de disputes et d’insultes, le roi de France croise le regard de Charlotte de Montmorency lors de la répétition d’un ballet au cœur du Louvre et le barbon tombe surle-champ amoureux du tendron âgé de quatorze ans. A la vue des manœuvres royales, le mari jaloux enlève l’« ensorcelante beauté » et se réfugie à Bruxelles. Et l’amourette se transforme en affaire politique ; pire, l’état de guerre est déclaré ! Tout au long de sa vie, Henri le Grand a eu besoin de s’entourer de femmes. Prêt à offrir la couronne de France ou à déclencher une guerre par amour, il n’a jamais franchi le Rubicon mais, s’il a voulu la paix à l’intérieur du royaume comme au sein de sa famille, il a souvent connu la guerre. Le 14 mai 1610, le VertGalant, déterminé à récupérer Charlotte son amour platonique, meurt devant l’auberge « au Cœur couronné percé d’une flèche ». Du symbolisme au dynamisme du mythe. Clin d’œil de Cupidon ? l M. V.
VIII | Henri IV, les clés d’un règne
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« Paris vaut bien une messe » RELIGION La raison d’État a dominé la relation d’Henri de Navarre avec l’Église romaine et les catholiques. Roi de Navarre contesté, Henri devient un roi de France non sacré et guère reconnu que sur ses seules terres.
PAR SERGE BRUNET
P
aris vaut bien une messe (1593) ». Aux conseillers du parlement de Paris (1599) : « Ne m’alléguez point la religion catholique ; je l’aime plus que vous, je suis plus catholique que vous ». « J’ai du Coton [le Père Coton est son confesseur jésuite] dans les oreilles. » Nous pourrions multiplier à l’infini les bons mots attribués à Henri IV sur l’Église et la foi catholiques. Quel pouvait bien être le fond de sa croyance ? Contentons-nous de dire qu’il s’agissait d’un homme empreint de religion mais, aux yeux des catholiques, il est d’abord calviniste, puis relaps, c’est-à-dire qu’après s’être converti à la foi romaine, il est retourné à l’hérésie. Tout autre qu’un prince tel que lui aurait trouvé là une condamnation définitive. Baptisé le 6 mars 1554, six ans plus tard, il suit ses parents dans la religion de Calvin. Le Béarn et la Navarre étant des terres souveraines, c’est une « religion d’État » que Jeanne d’Albret impose progressivement à ses sujets. Mais elle s’efforce aussi d’installer un calvinisme sans partage dans les fiefs pour lesquels elle est vassale du roi de France. Malgré cela, tous ses sujets ne seront pas pour autant unanimement convertis. La légende henricienne passe sous silence les multiples complots que les catholiques de ses terres, particulièrement les Navarrais, ont tenté, avec le soutien intéressé du Roi Catholique (Philippe II, roi d’Espagne et donc, aussi « de Navarre »). Antoine de Bourbon étant retourné au catholicisme, on a tenté d’enlever Jeanne d’Albret, le jeune Henri et sa sœur (qui pouvait aussi prétendre au trône) pour les traduire en Espagne devant le tribunal de l’Inquisition et récupérer ainsi ses terres de souveraineté dont la basse Navarre. C’est une condamnation papale de Jean d’Albret qui avait justifié la confiscation de la Navarre (1515).
Entre catholicisme et protestantisme Pendant la terrible SaintBarthélemy (24 août 1572), craignant pour sa vie, Henri de Navarre revient à la foi catholique. Quatre ans plus tard, s’enfuyant de la Cour pour retrouver, autant que ses terres, son gouvernement de Guyenne, et devenant le chef incontesté du parti protestant avant de se présenter comme le prétendant au trône des France, il retourne au calvinisme. On a dit l’influence
Entrée d’Henri IV à Paris, 22 mars 1594, huile sur toile (1816) de François Gérard (1770-1837). Versailles, Musée national du château. de sa sœur, Catherine, dont la foi avait plus de fermeté que celle de son frère. Mais Henri, en fin politique, ne pouvait considérer la question de la confession que comme subordonnée. Seul, le retour au calvinisme lui permettait de continuer à exister politiquement. Il est faible alors sur l’échiquier français et européen. Cependant, avec la disparition du vieux maréchal de Monluc, son lieutenant général en Guyenne, c’est la génération des vétérans des guerres d’Italie qui quitte la partie. Monluc avait perçu la fascination que ce jeune prince exercerait sur la noblesse gasconne. Au XVIe siècle, le choix religieux ne relève pas du seul for intérieur. Il se conforme à la religion du souverain, il est éminemment civique pour les magistrats municipaux et, pour la noblesse, il est également lié aux fidélités vassaliques. Quel dilemme lorsqu’il y a rupture d’unité ! De retour en Guyenne, Bordeaux refuse de l’accueillir. Navarre se replie alors sur Agen, Lectoure puis Nérac (plutôt que sur l’intolérante Pau) et il se compose un conseil de catholiques et de protestants, de ce fait, souvent explosif. C’est alors le jeu subtil du contrôle des places fortes, qui n’a rien d’une « guerre des Amoureux ». Navarre, qui n’est pas un fanatique, ne pratique l’iconoclasme, ni « avec ordre », comme le conseillait Théodore de Bèze à sa mère, ni avec la furie d’un Montgommery. Cependant, en établissant des municipa-
lités mi-parti, c’est-à-dire composés par moitié de catholiques et de protestants, il s’assurait en fait l’obéissance de cités dans lesquelles ses coreligionnaires étaient minoritaires. Ainsi, les destructions d’églises et d’établissements religieux reprenaient de plus belle, comme à Lectoure, L’IsleJourdain ou Mauvezin.
Le temps des complots catholiques Ce temps est, également, celui de complots catholiques plus structurés, surtout avec la seconde Ligue (1585). Le soutien que Philippe II apportait officiellement à la Sainte Union faisait de lui un voisin bien redoutable. Même son gouverneur de Béarn, Antoine de Gramont, puis son L’AUTEUR Expert de la Ligue dans le Midi de la France Professeur d’histoiremoderne à l’Université PaulValéry-MontpellierIII,SergeBrunetaxe actuellement ses recherches, plus particulièrement sur la cohabitation confessionnelle, lesguerresdeReligionetlaLiguedans leMididelaFrance.Initiateurd’échanges universitaires en Espagne et en Russie, il est l’auteur de plusieurs ouvrages,notamment«Del’Espagnol dedans le ventre ! », « Les catholiques du Sud-Ouest de la France face à la Réforme (vers 1540-1589) », Paris, Honoré Champion, 2007, 998 p. l
fils, Philibert, époux de la tendre comtesse de Guiche, et, plus tard le gouverneur du Pays de Foix, le baron d’Audou, ont trempé dans des complots à la mode espagnole. Navarre le leur a bien rendu. Philippe II n’a jamais cherché à séduire « Vendôme », lequel, au contraire s’y est essayé, par l’intermédiaire de Claude Du Bourg, alors que le vicomte d’Etchaux ou le baron de Larboust participaient à ses cabales anti-espagnoles. Henri tente même de s’allier aux morisques, très présents sur les bords de l’Ebre, contre Philippe II. Héritier du trône de France (1584), il doit - et il peut désormais - porter la guerre au-delà de son gouvernement. Mais les Ligueurs demeurent actifs, dont sa propre épouse. Son nouveau lieutenant, à Bordeaux, le Normand Matignon, qui n’est pas pris dans des réseaux familiaux, vassaliques ou religieux gascons, est une chance pour lui. Sa lenteur suspecte pour rejoindre Joyeuse à Coutras ne sera pas pour rien dans la victoire du roi de Navarre (20 octobre 1587). Il y a bien eu un soulèvement ligueur en Guyenne et Margot y participe à Agen. Profondément catholique, elle a le soutien du duc de Guise et celui - trop tardif - de Philippe II. Face à Matignon, à son mari, à son frère et à sa mère, il restera de Marguerite à Agen l’image d’une folle cavalcade sur le cheval de Lignerac. Pourtant, exilée à Usson, elle continuera à agir pour la Ligue. Roi de Navarre contesté, Henri devient un roi de France non sacré, et guère reconnu que sur
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sesseulesterresalorsquelaSainte Ligue semble triompher depuis le soulèvement de Paris (12 mai 1588), malgré l’assassinat des Guises (23 et 24 décembre 1588), puis celui d’Henri III (août 1589). Henri n’avait pas accepté la nouvelle conversion qu’Henri III lui demandait afin de recueillir sa couronne. Il y aura encore dix années de guerres civiles et de sang versé. Si des catholiques (les « politiques ») acceptaient de le suivre, la plupart refusaient de reconnaître et d’obéir à un roi hérétique et excommunié.
La conversion avant l’absolution papale Henri attendra jusqu’au 25 juillet 1593 pour se convertir, prenant de court le maladroit Philippe II et l’infante. Sacré à Chartres (27 février 1594), il faut encore l’absolution papale (17 septembre 1595), pour qu’il soit accordé aux catholiques d’obéir à leur roi « Très Chrétien », et donc le catholique. Henri IV entre alors en guerre contre le Roi Catholique (15951598) et, tout en appliquant l’édit de Nantes, à l’extérieur, il demeure allié aux puissances protestantes. Il se préparait encore à affronter le Roi Catholique lorsqu’il est assassiné. Son cœur revient alors aux jésuites et lesBéarnais,quiredoutentl’application de l’Édit de Nantes et le rétablissement du catholicisme en Béarn, se soulèveront. Durant toute sa vie, c’est bien la raison d’État qui a dominé la relation d’Henri de Navarre avec l’Église romaine et les catholiques. l S. B.
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Henri IV, les clés d’un règne | IX
Le symbole du panache blanc ROI DE GUERRE Pendant trente ans, il ne cessa de faire la guerre, d’abord comme chef des protestants, ensuite pour conquérir son royaume de France. Le panache blanc du casque royal devint le symbole de la réconciliation nationale.
PAR JOËL CORNETTE
C
’est en 1568 qu’Henri de Navarre, prince protestant, à peine âgé de quinzeans,fitsespremières armes lors de la troisième des Guerres de religion qui ravageait le royaume depuis 1562 : « Il était jeune, mais il avait beaucoup de valeur,accompagnéed’unenaïvetéd’espritetd’unbonjugement», dit alors de lui Palma-Cayet, qui le connaissait bien pour avoir participé à son éducation. Mais sa première bataille rangée eut lieu dix ans plus tard, à Coutras, en octobre 1587, contre le duc de Joyeuse, favori du roi Henri III. Ce fut un terrible choc de lances, d’épéesetd’arquebuses,quilaissa près de deux mille morts sur le champ de bataille, presque tous catholiques : « Croyez, mon cousin, qu’il me fasche fort du sang qui se répand, et qu’il ne tiendra point à moy qu’il ne s’étanche, mais chacun connoist mon innocence». L’« innocence » - ce que Palma-Cayet qualifiait de « naïveté » - mais aussi la générosité d’esprit du jeune roi de Navarre se révèlent clairement dans cette lettre écrite au lendemain de la bataille : s’il fait la guerre,illafaitparobligation,mais ce à quoi il aspire, c’est bien à la paix car il pense avant tout au bonheur des « bons et naturels Français ». Devenu roi en 1589, mais demeuré protestant, le « Béarnais », comme l’appellent les ultra-catholiques qui refusent de le reconnaître comme souverain, doit poursuivre, plus que jamais, le combat contre les Ligueurs, car c’est un roi sans véritable royaume : Paris, la capitale, est, depuis 1588, aux mainsdelaLigueetdenombreuses provinces, comme la Bretagne par exemple, sont en dissidence,presqueensécession.Luimême, souvent, plaisantait de sa situation de « roi sans couronne, de général sans argent, de mari sans femme » (Marguerite de Valois, qu’il a épousée en 1572, estducôtédelaLigueetvitséparément de son mari). Aussi, doit-il constamment se déplacer, de provinceenprovince,pourtenter de tenir, tant bien que mal, le gouvernail de l’État et convaincre de la légitimité de son action. Par la violence s’il le faut.
La légitimité d’un roi de guerre triomphant Et c’est précisément par la violence de la guerre qu’Henri IV est d’abord parvenu à s’imposer, enremportantd’éclatantesvictoires militaires contre les Ligueurs commandés par le duc de Mayenne,enparticulieràArques, en septembre 1589 et, surtout
Le roi Henri IV à la bataille d’Arques, le 21 septembre 1589, Ecole française, XVIIe siècle (Pau, Musée national du château de Pau). C’est par la violence de la guerre que Henri IV est d’abord parvenu à s’imposer contre les Ligueurs commandés par le duc de Mayenne. © DR peut-être, à Ivry en mars 1590, le combatrestélepluscélèbreparmi tous ceux que le roi a menés. Ce fut une bataille de cavalerieetd’infanterie :HenriIVdisposaitde2 000cavaliersetde6 000à 7 000 gens de pied, face à une armée ligueuse bien plus puissante, puisque le duc de Mayenne n’alignait pas moins de 4 000 cavaliers et 12 000 fantassins. Le roi, à la tête de son escadron, n’hésita pas à charger avec fougue au cœur de la mêlée. Autour de lui, avec lui, « n’était que princes, comtes, chevaliers du Saint-Esprit et des principaux seigneurs et gentilshommes des principales familles de France ». C’est ce qu’on peut lire dans le « Discours véritable de la victoire tenue par le roi », un imprimé publié après la bataille, tout à la gloire du roi victorieux. Car après les désastres de Pavie (1525) et de Saint-Quentin (1557) – deux carnages pour la noblesse -, l’honneurdesbellatores,del’ordre des guerriers, était pleinement restauré, et avec lui la légitimité d’un roi de guerre triomphant. C’estjusteavantcechocdelances etd’épéesqu’HenriIVavaitharangué ses troupes avec la formule devenue célèbre : « Mes compagnons, Dieu est pour nous, voici ses ennemis et les nôtres, voici votre Roi. Si vos cornettes vous manquent, ralliez-vous à mon panache blanc, vous le trouverez au chemin de la victoire et de l’honneur ! ». A défaut de l’onction de Reims (leroin’étaittoujourspascouronné et sacré), toutes ces victoires
furent présentées comme un « sacre militaire». Car Henri IV fut sans doute le premier souverain « médiatique » de l’Histoire de France,lepremierquiasusoigner sonimageparuneintensecampagnedepublicitéetdepropagande.
Présenté comme un être surhumain Les médias du temps, ce sont des récits imprimés, des gravures, des tableaux, des chansons qui diffusent dans le royaume l’image d’un roi de guerre chevaleresque et courageux, combattantvaillammentaumilieudeses soldats,risquantlamortàchaque instant. Le souverain victorieux L’AUTEUR Grand Prix de l’Académie Française Joël Cornette est professeur à l’université ParisVIII. Ses travaux portent sur la France de l’Ancien Régime et plus spécifiquementsur la monarchie, notamment au XVIIe siècle. Commissaire de l’exposition « Henri IV à Saint-Denis », à la basilique de Saint-Denis (mai-octobre 2010). Auteur de «Henri IV à SaintDenis. De l’abjuration à la profanation», Belin, 2010. Joël Cornette a reçu le Grand Prix de l’Académie Française pour l’ensemble de son œuvre. Il dirige la collection Histoire de France en treize volumes publiée par Belin. l
fut alors présenté comme un être surhumain, un élu du Ciel, qui venait d’accomplir un miracle, pour faire savoir que « sa providence est toujours du côté de la raison » : accompagné des anges de Dieu, Henri de Navarre s’était élevé au-dessus de l’humanité, par sa violence même. N’avait-il pas pris, lui-même, à Ivry, de sa propre main, un drapeau et tué sept ennemis ? Assurément, en ce siècle de foi intense, il y avait làautantdesignesquiprouvaient que le Très-Haut était aux côtés du roi et que son combat était le bon combat. Dans de nombreux courriers, Henri IV lui-même se glorifie de la faveur divine qui semble présider à ses victoires, pour en faire un élu de Dieu, au destin prédestiné – il se montre là un parfait calviniste – à l’exemple de cette lettre, écrite au duc de Longueville au lendemain de la victoire d’Ivry :«NousavonsàlouerDieu ; il nous a donné une belle victoire. Labatailles’estdonnée,leschoses ont été en branle. Dieu a déterminé selon son équité ; toute l’armée ennemie en déroute, la poursuite jusqu’aux portes de Mantes. Je puis vous dire que j’ay esté très bien servy, mais surtout évidemment assisté de Dieu, qui amonstréàmesennemisqu’illui est esgal de vaincre en petit ou grand nombre. Il s’agit désormais de cueillir les fruicts de la guerre que le bon Dieu nous a faicts ». Mais les victoires militaires n’ont pas suffi pour affermir la couronne d’Henri IV : c’est à un combat contre lui-même que le
roi a dû se résoudre. Par le « saut périlleux » d’un changement de religion : le 25 juillet 1593, dans la basilique de Saint-Denis, là où reposent tous les souverains de la « Nation France », il abjura le protestantisme, afin de faire coïncider sa religion avec celle de la majorité des Français.
Le roi de guerre converti en roi de paix Laconversionapermislesacre à Chartres ; le sacre a permis l’entrée-triomphale-dansParis ; l’entrée dans la capitale a permis la reconnaissance progressive du roi par toutes les provinces, par touteslesvilles.Etsurtoutaenlevé auxLigueurslaraisonfondamentale de leur combat contre un roi hérétique : s’il a « trahi », explique Louis de l’Hospital, un des Ligueurs qui se rallia à Henri IV aprèssaconversion,«çaestépour laseulecausedelaReligioncatholique et romaine, pour ce que le roi n’en faisait profession, n’estimant plus qu’il y ait cause légitime et valable pour lui faire la guerre ». Si nous continuons à faire la guerre au roi, poursuit-il, cette guerre « ne pourra plus être qualifiée de guerre de religion, mais guerre d’État, d’ambition et d’usurpation ». Etc’estainsiqueleroideguerre s’est converti en roi de paix pour assurer la pacification d’un royaume déchiré par plus de trente ans de guerre civile et religieuse. Une guerre qui, pour beaucoup, paraissait sans issue et sans fin… l J. C.
X | Henri IV, les clés d’un règne
LUNDI 31 MAI 2010
PYRÉNÉES ÉVÉNEMENT
Le pacificateur du royaume « GUERRE ET PAIX » Après avoir démontré sa maîtrise de l’art de la guerre, Henri IV se devait de montrer son aptitude à l’art de la paix. Une campagne qui s’acheva au printemps 1598, « année de la paix ».
fixait les conditions d’exercice des deux confessions autorisées dans le royaume. Il représentait donc une dérogation par rapport à l’idéal d’unité religieuse, partout pratiqué en Europe, que ce soit chez les catholiques ou chez les protestants. Sans ambiguïté Henri proclamait dans le préambule son souhait de voir un jour l’unité religieuse au sein de l’Église catholique, mais répudiait l’usage de la force pour y parvenir. La liberté de conscience était garantie pour les réformés, mais l’exercice du culte n’était seulement autorisé dans des localités définies, et dans les fiefs protestants où existait un privilège d’« église de fief ». On prévoyait un accès des protestants aux charges publiques, des chambres de justices mi-parties. Pour obtenir la dissolution des armées huguenotes, le roi accordait des garanties militaires. A cela, s’ajoutait des garanties financières, contenues dans des articles secrets pour prendre en charge les frais de culte, les collèges et académies ainsi que les garnisons des places de sûreté... Cet édit avait donc une portée limitée et n’entamait pas la prépondérance catholique, mais c’était trop aux yeux de certains catholiques : les parlements rechignèrent à l’enregistrer et le pape Clément VIII, quand il en prit connaissance, s’exclama « cela me crucifie ! », mais n’osa remettre en question les relations avec la France.
PAR THIERRY ISSARTEL
L
e contexte de l’accession au trône d’Henri IV fut particulièrement difficile. La perspective d’un roi calviniste poussant les catholiques les plus intransigeants à se mettre en guerre, à s’organiser en Ligue et refuser de reconnaître comme roi légitime Henri de Bourbon. Si son abjuration en 1593 lui permit d’élargir la base de ses partisans, de diminuer l’audience de la Ligue et surtout de négocier son entrée dans Paris, elle ne mit pas fin immédiatement à une guerre civile qui durait depuis 1562, et ce malgré la lassitude de l’opinion. Dans une société imprégnée par le code de l’honneur, la guerre ne pouvait s’arrêter d’elle-même, par simple essoufflement. Si Henri IV avait su montrer sa force, sa maîtrise de l’art de la guerre, il lui fallait désormais montrer son aptitude à l’art de la paix, non pas en écrasant ses adversaires, mais en les amenant à se rallier. Ce processus prendra encore trois ans, pour s’achever au printemps 1598, « année de la paix ».
L’internationalisation de la guerre Quand le 17 janvier 1595, Henri IV décide de déclarer la guerre au roi d’Espagne Philippe II, il prend un risque certain mais calculé. Les Habsbourg représentaient bien la plus grande puissance européenne, mais l’ingérence permanente dans les affaires du royaume du côté des Ligueurs avait été un élément de déstabilisation qu’Henri ne pouvait ni tolérer ni ignorer.Tant que l’or espagnol se déversait sur les chefs insurgés, la guerre civile continuerait en France. Henri IV, ainsi, inaugurait une politique extérieure qui sera celle de la France jusqu’à la paix des Pyrénées (1659) : faire prévaloir les intérêts de l’État à ceux de l’unité confessionnelle de la Chrétienté, s’allier avec les puissances protestantes pour contrer l’hégémonie espagnole. Dans ce contexte où la survie du royaume était en jeu, l’opinion publique approuvait et invectivait les derniers Ligueurs en les accusant d’avoir de « l’espagnol dans le ventre », d’être des traîtres à la patrie. L’autre argument était l’absolution accordée à Henri IV par le pape Clément VIII (17 novembre 1595), qui enlevait aux Ligueurs le « masque de la religion ». Au fond, cette guerre contre l’Espagne visait un triple objectif : tarir ou couper la principale source de financement des Ligueurs, souder le royaume
Les plans du Louvre déployés devant Henri IV par son architecte, vers 1609, Garnier Etienne Barthélémy. (Document Musée national du château de Pau). © DR contre un ennemi extérieur et ainsi exporter la violence, offrir aux soldats perdus de la Ligue une opportunité de se racheter, d’obtenir du roi un pardon, voire des gratifications. La guerre contre l’Espagne permettait une porte de sortie honorable pour les adversaires du roi. Cette fuite en avant dans la guerre, aussi coûteuse fusse-t-elle, semblait paradoxalement le chemin le plus court vers la paix...
Une politique d’achat de fidélités Le premier chef ligueur à avoir accepté de négocier sa soumission fut Charles de Guise dès l’été 1594. Le ralliement du duc de Mayenne fut négocié en septembre-octobre 1595 : son amnistie (et celles de ses partisans) fut négociée pour la somme phénoménale de 3 580 000 livres devant servir à éponger ses dettes. Les conseillers du Parlement de Paris s’étranglèrent à la vue d’une telle somme ! En 1596, Henri de
Joyeuse se rallia en échange d’un bâton de maréchal et de 1 470 000 livres, suivi par le duc Nemours et le duc d’Épernon : il ne reste plus que le duc de Mercœur qui maintient la Bretagne dans la sédition. D’après Sully, c’est en tout 10 millions de livres qui seront nécessaires au rachat des fidélités. Mais le résultat de cette politique est paradoxal, alors que les chefs ligueurs prennent désormais une part primordiale au sein de l’armée royale dans les combats contre leurs anciens alliés espagnols, les princes protestants restent passifs. C’est dans ce contexte que l’armée de Philippe II réussit, le 11 mars, à prendre par surprise Amiens. Henri IV, piqué au vif, en fit une affaire personnelle. Il mobilisa des troupes et réussit à repousser l’armée de secours et à pousser la garnison d’Amiens à capituler (25 septembre 1597). Le danger repoussé, il ne restait plus qu’à s’occuper de la Bretagne toujours sous l’autorité du
duc de Mercoeur : les tractations au mois d’avril 1598 s’arrêtèrent à la somme colossale de 4 295 000 livres.
La paix intérieure : l’édit de Nantes (13 avril 1598) Henri IV n’a donc pas anéanti la Ligue, mais il a rallié contre espèces sonnantes et trébuchantes une à une toutes les clientèles des princes ligueurs. Cette politique ne plaisait pas aux princes protestants, amplifiant le malaise provoqué par son abjuration. Ils estimaient que leur fidélité était bien mal payée et craignait que, dans ce contexte, le protestantisme ne soit sacrifié par Henri IV, au nom du principe « cujus regio, ejus religio » (à tel prince, telle religion). C’est pourquoi, Henri IV signe à Nantes le fameux édit de Nantes (13 avril 1598). Il fallait maintenant éviter un soulèvement huguenot : l’équilibre était difficile à tenir. L’édit de Nantes
La paix extérieure : le traité de Vervins (2 mai 1598) Philippe II, qui n’avait donc plus de levier à l’intérieur du royaume, était donc disposé comme Henri IV à négocier. Chaque camp était épuisé, personne n’était en mesure d’écraser l’autre. Les pourparlers se sont engagés dès la fin du mois de janvier 1598, à Vervins et l’accord fut signé le 2 mai 1598. Cette fois-ci, ce furent les puissances protestantes alliées qui étaient déçues par cette paix séparée de la France qui risquait de pousser l’Espagne à concentrer ses forces contre elles. Si l’Édit de Nantes ne provoqua aucune liesse particulière, ni d’un côté, ni de l’autre, la paix de Vervins fut célébrée dans tout le royaume. Mais la paix extérieure garantissait désormais la paix intérieure et la reprise normale des activités. Si Henri IV avait su montrer l’aptitude - essentielle pour un roi - à faire la guerre, il était désormais, dans le soulagement général, acclamé pour avoir su conclure la paix. l TH. I.
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PYRÉNÉES ÉVÉNEMENT
Henri IV, les clés d’un règne | XV
Précurseur de l’Europe? « LE GRAND DESSEIN » «Réunir parfaitement toute la chrétienté » est plutôt le reflet d’un sentiment que celui d’un authentique projet. L’Europe de Henri IV était celle des princes, pas celle des peuples.
PAR CHRISTIAN DESPLAT
A
vec le panache blanc, la poule au pot et quelques autres « paroles mémorables », le « Grand Dessein » occupe une place de choix dans la légende du roi. Il y a là un bel exemple d’anachronisme : on ne saurait attribuer à un homme du XVIe siècle, fut-il un «visionnaire », la pensée de ceux qui instaurèrent les institutions européennes en 1945. L’Europe de Henri IV était celle des princes, pas celle des peuples. Pour comprendre le sens du « Grand Dessein », il faut faire quelques rappels. La rupture confessionnelle en Occident provoqua des violences mais aussi une profonde nostalgie de l’unité perdue. Ce sentiment fut alimenté par la redécouverte de la philosophie platonicienne et son idéal d’unité. L’époque fut, enfin, celle des premières grandes utopies politiques. « Le Grand Dessein » est le reflet d’un sentiment plutôt que celui d’un authentique projet. Mais à la fin du règne, un « canard » à la louange du roi en faisait le « restaurateur de l’État, l’ornement de l’Église, l’arbitre de l’Europe, l’arbitre de la Chrétienté, les Délices du monde » ! A cette date, les « Délices du monde » s’apprêtaient à partir en guerre contre les Habsbourgs, ennemis héréditaires de la France. Était-ce bien là le prélude de l’Union européenne ?
L’idée européenne au temps de Henri IV L’Europe était alors l’héritage de l’Antiquité, revisité par l’humanisme. Certes, « Rome n’était plus dans Rome » depuis la déposition du dernier empereur d’Occident. Mais la Renaissance carolingienne s’était accompagnée de la refondation de l’Empire. Le « Grand Dessein » s’inscrivait à son tour dans la Renaissance humaniste. L’Europe ne renouait pas seulement avec les arts et les lettres antiques, mais aussi avec l’imaginaire impérial. L’Occident chrétien catholique coïncidait avec les limites de l’Empire romain. Les structures spatiales et sociales, le rôle des villes, l’écrasante majorité de la population rurale étaient partout identiques. En revanche, toutes les tentatives d’unification politique, théocratiques ou césaropapistes avaient été vouées à l’échec. Les projets du Moyen Age, celui de Dante en 1321, de Dubois en 1306, de Podiébrad en 1463 n’avaient qu’un seul objectif : unir les Européens contre la menace
Représentation de Charles Emmanuel 1er de Savoie. A droite : Henri IV, roi de France et de Navarre, par Pourbus. © DR turque. Mais nul ne parvenait à désigner celui qui aurait l’autorité suprême : le Pape, l’Empereur, le Roi très Chrétien… La rupture confessionnelle signa la mort de la « République chrétienne ». Deux courants traversent le siècle de Henri IV : celui de Machiavel qui faisait prévaloir des moyens politiques efficaces et celui des Utopies. Thomas More l’inaugura en 1516, Rabelais lui donna suite, Cyrano de Bergerac en donna la forme littéraire la plus accomplie en 1657. Les Utopies proposaient une réflexion politique, une alternative à l’Europe déchirée, non seulement dans l’imaginaire mais dans l’Europe réelle, celle des princes.
« Le Grand Dessein » Élaboré vingt ans après la mort du roi, « le Grand Dessein » n’était à l’origine qu’un chapitre des mémoires de Sully. C’est Hardouin de Péréfixe qui assura son succès en 1661 : « Le roi désirait réunir parfaitement toute la chrétienté qui se fut appelée la République chrétienne. Il travaille pour s’adjoindre tous les potentats chrétiens, en leur
offrant de leur donner tout le fruit des entreprises sur les infidèles sans en réserver rien pour lui, car il ne voulait point d’autre Etat que la France » ! Le projet de Sully était bien une utopie : il y évoquait en termes allusifs la paix perpétuelle entre les nations, la destruction de la puissance des Habsbourgs et la reconstitution de la Chrétienté pour chasser les Turcs d’Occident. Sully en aurait entretenu Henri IV entre 1595, avec un premier projet destiné à soulever les Morisques d’Espagne, puis en 1607. La seule véritable coïncidence avec les rêveries de Sully et la politique de Henri IV concernait l’empire ottoman. Henri s’était allié à lui contre les Habsbourgs de Vienne, mais il était tout disposé à participer au dépeçage de ce qui n’était pas encore « l’homme malade de l’Europe ». Moins réaliste, Sully prévoyait d’abord de libérer l’Europe de la tutelle habsbourgeoise en fédérant les États de l’Europe du Nord et les puissances maritimes, Angleterre, Provinces Unies, tous protestants. Il proposait ensuite d’organiser trois ensembles équilibrés : six grandes monarchies héréditai-
res, six monarchies électives et trois républiques fédérales. Il excluait de ce concert « la Moscovie barbare et le Turc infidèle » ! Égaux entre eux, ces États reconnaissaient trois confessions, catholique, calviniste et luthérienne. Sully n’ignorait pas le caractère utopique de « ces établissements (qui) de prime face semblent n’être que pure chimère » et il proposait ensuite un « Système politique » : des conseils fédéraux qui fixaient le contingent militaire et la contribution de chaque État pour assurer la paix et préparer l’expulsion des Turcs.
Henri IV européen ? Tel quel, « le Grand Dessein » n’avait rien de commun avec la politique de Henri IV dont l’objectif était de contenir et d’abaisser la puissance de Madrid et de Vienne et d’instaurer un équilibre européen. Mais le projet avait un grand mérite, il prévoyait une organisation de l’Europe débarrassée de toute considération nationaliste et il unissait avec force les idées d’Europe et de paix. Hommage d’un vieil homme à
la mémoire de son maître, « le Grand dessein » n’avait, en apparence,pasdepointcommun avec la conception que le roi se faisait de l’État : « La souveraineté n’est point si quelque chose y fait défaut ». Celui qui se proclamait « Empereur en son royaume » méritait aussi le titre de « roi de la Paix » (Michelet). A la veille de sa mort, il songeait à « un système lié en toutes ses parties, un système européen » fondé sur l’alliance avec les Provinces Unies et les princes allemands pour contenir l’Empereur, sur le concours des Suisses et de la Savoie pour tenir en respect les Espagnols en Italie, enfin sur l’amitié de l’Angleterre pour démembrer l’empire colonial espagnol. En 1598, par le traité deVervins « La Discorde rentra dans l’éternelle nuit », mais en 1610 le roi annonçait « l’heure du remaniement général ». La paix perpétuelle attendrait encore en Europe quelques siècles. Mais le premier projet d’union fut bien ce « Grand dessein » qui devait étendre au continent la paix établie en 1598 entre le Roi Très Chrétien et le Roi catholique. l C. D.
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XVI | Henri IV, les clés d’un règne
PYRÉNÉES ÉVÉNEMENT
L’antipathie espagnole VIEILLE QUERELLE L’antipathie évidente entre Espagnols et Français était déjà ancienne lorsque l’antagonisme franco-espagnol s’exacerba quand le roi de Navarre s’installa sur le trône de France.
PAR ALAIN HUGON
P
endantl’AncienRégime, les fils héritaient des contentieux de leur père. Les dynasties régnantes n’échappaient pas à la règle et celle de Bourbons encore moins que les autres. Ainsi, comme ses prédécesseurs, le souverain espagnol Philippe II (1556-1598) contesta au jeune roi de Navarre le titre qu’il avait reçu en juin 1572, à la mort de sa mère Jeanne d’Albret. Jamais dans la correspondance espagnole, on ne qualifia Henri de « roi de Navarre » et, jusqu’à la paix de Vervins, le futur Henri IV ne fut désigné que par les termes de « Béarn » ou de « Vendôme », ce que ne faisait pas de lui un prince souverain. Le motif de cette attitude remontait à la guerre qui avait opposé leurs grands-pères soixante ans auparavant, lorsque la Navarre fut rattachée aux possessionsespagnolesparFerdinand le Catholique en 1515.
Les Guerres de religion renforcèrent ces incompatibilités Quand, à l’âge de 15 ans, en 1569, Henri devint le chef du parti protestant puisque son oncle Louis de Bourbon, prince de Condé, avait été tué à Jarnac, la catholique Espagne considéra Henri comme un ennemi du catholicisme romain et comme un rival des Habsbourgs. Le régicide d’Henri III par Jacques Clément le 1er août 1589 accentua cette rivalité des deux rois car ils prétendirent tous deux à la succession au trône de France, Henri pour lui-même et Philippe II d’Espagne pour sa fille, Isabelle (fille d’Elisabeth de Valois). Les disputes dynastiques et religieuses se doublaient de puissants préjugés entre Espagnols et Français, véhiculés aussi par les diplomates des deux côtés. Négociateur français à la paix de Cateau-Cambrésis en 1559, l’ambassadeur Sébastien de L’Aubespine écrivait en 1562 que l’Espagne était « une pépinière de Juifs et de Mores, fort infectés, et jusques aux plus grands » ; ce qui illustre l’intolérance religieuse en vigueur non seulement dans l’Espagne inquisitoriale, mais aussi en France. Les Guerres de religion renforcèrent ces incompatibilités : un pamphlet de 1589 relevait que l’empire espagnol, qui s’étendait de la Hollande aux Indes, était « composé de conquestes injustes et de choses ravies, il n’est fondé que sur la force, retenu ensemble par la force, et qui par une autre force au premier jour se dissipera » (1). À partir de 1595, en politique avisé, Henri IV trans-
Un des négociateurs du traité, devenu le premier ambassadeur espagnol auprès de Henri IV, dressa un beau portrait du roi en 1602, ici devant Amiens en avril 1597. © DR forma les Guerres de religion, véritables guerres civiles, en une guerre franco-espagnole. Seul, l’épuisement économique et financier conduisit les deux monarchies à conclure la paix à Vervins en 1598.
La prudence royale d’un côté, le caractère bravache de l’autre Un des négociateurs du traité, devenu le premier ambassadeur espagnol auprès de Henri IV, dressa un beau portrait du roi en 1602, montrant qu’il avait parfaitementpercélecaractèredeHenri IV. Il y montrait la faconde, les plaisirs, la familiarité et la prudence royale d’un côté, le caractère bravache et la ladrerie de l’autre : « Le RoiTrès-Chrétien est de stature normale, de taille moyenne, agile et preste. Son visage est noble, sa barbe grisonnante, ses cheveux noirs. Il a quarante-cinq, quarante-six ans et parle avec aisance et emploie des termes choisis. Il s’adonne avec grand plaisir aux exercices corporels que sont la chasse, la pelote et d’autres. D’un naturel français sans aucune cérémonie, facilement agité, il est d’une grandefamiliaritéetdebeaucoup de brio, même si cela peut parfois lui nuire. Quant à son entende-
ment, il est tel qu’on peut bien l’appeler prudent, il ne lui manque même pas les capacités d’artifice. Il fait le matamore, et se vante d’être chef de guerre, il ne se tait pas. Il parle librement, volontiers il fait des reproches, et n’a pas d’affection stable. Après cela, on affirme qu’il a bon fond, qu’il garde sa parole, et qu’il s’adonne beaucoup à ses plaisirsetaussiàsedoterdefinances assez importantes. Avide, il n’est en rien libéral. [...] Indifférent en matière de religion, il a publié un édit ces jours, dont je joinsunexemplaireimprimé.[…] Il continue l’exercice public de la religion catholique, et seul Dieu L’AUTEUR Spécialiste de l’histoire diplomatique espagnole au XVIIe siècle
Alain Hugon est maître de conférence à l’université de Haute-Bretagne, à Caen. Enseignant chercheur au CentredeRecherched’HistoireQuantitative (CRHQ), ancien membre de la section scientifique de la Casa de Velazquez, il est un spécialiste de l’histoire diplomatique espagnole au XVIIe siècle. Alain Hugon a publié plusieurs livres dont « L’Espagne du XVIe au XVIIIe siècle » chez Armand Colin. l
connaît ses sentiments cachés, et cette fin que certains craignent, à savoir que son but est de détruire la religion catholique, je la tiens pour passée [...] » (2).
Pas d’implication de Madrid dans l’assassinat Le défaut de ladrerie, et donc la parcimonie des récompenses octroyées, valut au souverain de solides inimitiés qui conduisirent certains de ses serviteurs à proposer leurs services à l’Espagne catholique. Selon l’éthique nobiliaire, l’ingratitude constituait un des vices les plus graves pour un souverain. Entre 1598 et 1610, alors que la paix régnait dans le royaume, les principauxcomplotsfurentinspirés par la rancœur de proches du roi. Ainsi, en 1600-1601, le duc de Biron, s’estimant mal récompensé des services qu’il avait rendus lorsdelaguerreprécédentecontre l’Espagne, entra en contact avec le duc de Savoie et avec l’ambassadeur espagnol àTurin. Découvert, il fut exécuté. À un niveau moindre, en 1609, un nommé de Monier écrivait à Philippe III d’Espagne que « tous les princes et la noblesse de France sont mécontents de lui [Henri IV], il en est ainsi de tous
ceux qui pourront faire quelque service à cause de son avarice ». Bien sûr, ces avis sur Henri IV proviennent d’individus qui avaient choisi de rompre leur lien de fidélité avec le roi de France. Comme alternative, ils avaient trouvé les agents du Roi Catholique et, malgré la paix signée en 1598,l’Espagnedemeuraleprincipal recours pour ces mécontents. L’opinion des ambassadeurs espagnols auprès d’Henri IV ne varia guère : à l’été 1608, depuis le château de Fontainebleau, Pierre de Tolède exprimait à Philippe III son opinion sur l’alliance matrimoniale entre HabsbourgsetBourbons,alliance qu’il était venu négocier : « Je dois dire que pour ce que j’ai vu, Dieu me quitte la vie et l’honneur si de cent filles miennes je leur en donnais une pour être reine de France » (3). Cetteantipathieévidenteentre Espagnols et Français ne laisse pas pour autant supposer une implication de Madrid dans l’assassinat commis par Ravaillac. Certes, le meurtre profita au Roi Catholique, et le plus vieux conseiller de Philippe III d’Espagne,JuandeIdiaquez,affirma, dans une réunion du conseil d’État, qu’il s’agissait d’un signe que la Providence protégeait son souverain... Cependant, aucun élément tangible ne laisse penser à une responsabilité espagnole, même siunedesexpressionsdel’antagonisme franco-espagnol se traduisit au lendemain du meurtre par des manifestations populaires contre l’ambassade espagnole à Paris. Quelques décennies plus tard, alors que les deux monarchiesétaientànouveauenguerre, l’historiographe de Philippe IV d’Espagne - Mathias de Novoa écrivit que « Henri IV, roi de France, merveilleux capitaine, sut se faire Roi par son épée » (4). Toutefois cet éloge avait pour but dedénoncerlesuccesseurd’Henri IVetlapolitiquemenéeparRichelieu.l A. H. 1 - « Manifeste de la France aux Parisiens et à tout le peuple français » (1589), cité par M. Yardeni, « La conscience nationale en France »...,p.265, n.6. 2 - A.G.S K.1602, Tassis le 13 mai 1599 : de Moret 3 - A.G.S K.1461, lettre de Villafranca au roi le 23 juillet 1608 : « obligado vazallo y criado que V.M tiene debo dezir que por lo que he visto, dios me quite la onra y la vida si de cien hijas mias les diese una para reina de francia. ». 4 - Matias de Novoa, « Historia de Felipe III, Rey de España », Codoin LX, 1875, « desta suerte acabo Enrique IV, Rey de francia, maravilloso Capitan, y que supo hacerse Rey por su espada » pp. 428-431.
LUNDI 31 MAI 2010
PYRÉNÉES ÉVÉNEMENT
Henri IV, les clés d’un règne | XVII
L’énigme de l’assassinat RAVAILLAC L’assassin d’Henri IV a été poussé au crime par un ou plusieurs instigateurs encore mal identifiés. Une énigme qui dure depuis quatre siècles et qui est emblématique de la difficulté à démonter les machinations politiques.
PAR JEAN-FRANÇOIS BÈGE
G
entilhomme de la Cour, le baron Courtomer chevauchait devant le carrosse royal. Jetant un coup d’œil en arrière, il découvrit l’équipage arrêté devant l’auberge du « Cœur couronné transpercé d’une flèche », il tourna bride et revint au galop pour voir ce qui se passait. Ravaillac venait de tuer le roi. Le duc d’Epernon avait bondi hors du carrosse, agrippé l’assassin au collet et empêchait quiconque d’approcher de lui. L’épée à la main, cinq ou six hommes d’allure militaire mais, ne portant aucun uniforme connu, essayaient d’approcher du régicide. Voyant Courtomer, ils remontèrent en selle - car ils avaient des chevaux - et s’égayèrent comme une volée de moineaux. Nul ne les a jamais revus. Qui étaient ces mystérieux individus ? Que faisaient-ils rue de la Ferronnerie dans cet aprèsmidi du 14 mai 1610 ? A ces questions, personne n’a jamais apporté de vraies réponses. Mais le témoignage capital du baron de Courtemer, dûment consigné sur le moment, suffirait à nous prouver que le vieux scénario communément admis, « Henri IV poignardé par un fanatique religieux », présente quelque chose d’incomplet et de peu satisfaisant.
L’accusé est instruit et intelligent Assassin indubitable puisque pris sur le fait, Ravaillac avait suivi le carrosse du bon roi depuis le Louvre. Mais, devant l’auberge, point de rencontre idéal pour une opération conduite de longue main, quand le très opportun renversement d’une charrette de foin bloqua la circulation, d’autres hommes attendaient. Soit pour liquider proprement le régicide en mettant le geste au compte d’une légitime indignation, soit pour « finir le travail » dans le cas où la lame du fou n’aurait pas atteint mortellement la poitrine royale. Comme cela arrive souvent dans les histoires de terrorisme ou de services spéciaux, le plan d’action n’a pu être totalement réalisé, mais l’essentiel - l’assassinat du roi a été, hélas, accompli. Quand Ravaillac est jugé, le président de Harlay s’intéresse aux dires du baron de Courtemer. Mais ils arrivent au milieu d’un flot d’accusations variées, d’une débauche de « thèores complotistes », comme l’on dirait aujourd’hui, toutes suscitées par la peur et la période d’incertitude qui commence. Il en est tenu compte mais sans plus. Les
Pas sot, s’exprimant bien, Ravaillac oppose deux arguments imparables à tous les questionneurs. © DR juges n’ont qu’une idée en tête : le châtiment du coupable. Celuici est copieusement torturé, de multiples façons, plus pour le punir que pour le faire parler. L’accusé est instruit et intelligent. Ce n’est pas « l’idiot du village » que l’on a souvent dépeint. Il souffre depuis l’enfance de « crises nerveuses » (épilepsie ?) qui l’ont empêché, tant chez les Feuillants que chez les Jésuites, de vivre sa vocation religieuse à l’image de ses oncles maternels, chanoines à Angoulême. Pas sot, s’exprimant bien, il oppose deux arguments imparables, parfois entrecoupés de hurlements de douleur, à tous les questionneurs : « Il n’y a que moi qui l’ai fait» et, lorsque l’interrogateur se fait insidieux, « Vous seriez bien étonné si je soutenais que ce fut vous qui me l’aviez fait faire ». L’intention est habile, même si elle ne peut rien changer au sort du futur condamné. Puisque l’on semble à toute force vouloir lui faire dire qu’il a eu un ou des commanditaires, que l’on songe à ce qui se passerait s’il mettait en cause tout le monde
et n’importe qui… Quant au mobile que l’assassin avance, il est simple. Ravaillac pensait que la guerre que le roi allait entreprendre contre les états catholiques pour rétablir les principautés protestantes de Clèves et de Juliers était en réalité « une guerre contre le pape » visant à installer le Saint-Siège à Paris. Propos qui correspondent bien à la propagande des nostalgiques de L’AUTEUR
Journaliste et écrivain D’originebéarnaise, Jean-FrançoisBège aétévice-président del’associationdes journalistes parlementaires puis président de la presse accréditée auprès du Premier ministre (19922003). Auteur de plusieurs ouvrages, dont « Les Béarnais en politique de Fébus à Bayrou » (éditions Cairn), il vient de publier « Ravaillac, l’assassin d’Henri IV » aux éditions Sud Ouest. l
la Ligue, le parti ultra-catholique n’ayant jamais accepté l’accession au trône de « l’hérétique » venu du Béarn. Il faudra attendre l’ultime moment, l’écartèlement en place de Grève, pour obtenir du condamné une phrase vraiment troublante.
« On m’a bien trompé » Elle jaillit de ses lèvres quand il voit que des spectateurs de l’exécution fournissent spontanément leurs montures pour remplacer celles du bourreau qui n’arrivaient pas à étirer les membres du supplicié : « On m’a bien trompé quand on m’a persuadé que le coup que je ferais, serait bien reçu du peuple puisqu’il fournit lui-même les chevaux pour me déchirer. » Ce « on m’a bien trompé » n’en finit pas depuis quatre cents ans d’alimenter les supputations les plus variées. Le président de Harlay, luimême, reconnut implicitement que le procès avait paré au plus pressé - l’élimination du régicide treize jours après son acte - sans
chercher quiconque non désigné par l’auteur du crime.. Le procès ultérieur de Jacqueline d’Escoman apporta un lot de révélations sans conséquences politiques. Cette femme a été poursuivie pour avoir accusé avec la complicité de la reine Margot - Ravaillac d’Epernon, Henriette d’Entragues et l’entourage de la reine d’avoir partie liée. Ce qui était sans doute vrai. Mais ni la légitimité monarchique, ni la reine devenue régente, ni les Médicis, observant un deuil spectaculaire comme l’actuelle exposition de Pau en témoigne, ne pouvaient être mis en cause. Il faudra attendre 1879 avec Jules Loiseleur pour exhumer les déclarations du baron de Courtomer. Plus près de nous, Philippe Erlanger, dans les années soixante, approfondit la question du complot de Cour, dénichant dans les archives du Vatican maints détails intéressants. Enfin, Jean-Christian Petitfils, ces derniers mois, a mis en évidence l’entreprise criminelle de l’archiduc Albert de Habsbourg qui dépêcha de Paris à Bruxelles des spadassins pour tuer le roi de France. D’où la « piste belge », fort séduisante car elle expliquerait la présence d’hommes en armes rue de la Ferronnerie et l’habit vert de l’assassin, costumé à la flamande, comme s’il s’agissait d’un message : pas touche aux Flandres. Mais à quel moment les émissaires de l’archiduc auraient-ils rencontré l’homme au couteau et l’auraient persuadé d’agir à leur place ? Rien n’est établi à ce sujet et les conspirations contre Henri IV, à toutes les périodes de son règne, ont de toute façon foisonné. Reste un criminel dont le comportement s’explique moins par les circonstances qui ont précédé son acte que grâce à ce que l’on sait aujourd’hui de la psychologie de ses imitateurs et successeurs. On ne saisira jamais aussi bien les contours de la vérité de Ravaillac, dans le clair-obscur des machinations compliquées, qu’en cernant les profils criminels de tristes individus un jour instrumentalisés pour l’irrémédiable. Chacun a ainsi accompli seul le geste espéré, voire décidé, par beaucoup. Tels Lee Harvey Oswald et Shiran Shiran (assassins des frères Kennedy), Bonnier de la Chapelle (qui trucida Darlan), Ali Agça (qui s’en prit à Jean-Paul II) et Ygal Amir (qui supprima Isaac Rabin). Ainsi que tant d’autres, à l’image deVlado Tchernozemski qui tua Alexandre deYougoslavie et le Béarnais Louis Barthou à Marseille en 1934… l J.-F. B.
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XVIII | Henri IV, les clés d’un règne
PYRÉNÉES ÉVÉNEMENT
La grande peur de 1610 OPINION PUBLIQUE Une dizaine de jours après l’assassinat, toutes les villes de France étaient informées de la mort du Roi. Les Français, d’abord apeurés car craignant une réplique des Guerres de religion, furent ensuite solidaires.
PAR MICHEL CASSAN
L
e 14 mai 1610, en début d’après-midi, Henri IV, après avoir longuement tergiversé, selon des témoignages postérieurs au drame, convoque son carrosse. L’issue de cette promenade est connue. Vers les 16 heures, un quidam corpulent, qui épiait les allers et venues du souverain depuis plusieurs jours, remarqua le carrosse royal immobilisé par un embouteillage rue de la Ferronnerie. Aussitôt, il s’élança vers la voiture, sauta sur un rai de la roue arrière du carrosse et asséna deux violents coups de couteau dans l’abdomen du souverain. Un troisième coup se perdit et égratigna le duc de Montbazon qui, surpris, vit avec ses compagnons, le souverain défaillir, la bouche envahie de sang. FrançoisRavaillac,lemeurtrier, fut immédiatement arrêté tandis que le carrosse, rideaux tirés, fit demi-tour et ramena à vive allure le roi moribond vers le palais du Louvre. De nombreux badauds avaient assisté à la scène, d’autres avaient entendu des cris et des bruits inhabituels et la rumeur se répandit que le roi venait d’être tué. Plusieurs événements, inopinés en plein jour, accréditèrent la rumeur. Le palais de justice suspendit ses audiences ; l’échevinage décréta la fermeture des ponts et des portes de la ville ; les barques furent tirées sur la grève ; la milice mise sous les armes et lorsque les édifices publics et les églises furent drapés de noir, le doute ne fut plus permis : le roi était mort et les Parisiens n’eurent pas le cœur à crier le fameux vivat « Le roi est mort, Vive le roi ». Au contraire, tétanisés, hébétés par la nouvelle, ils regagnèrent leurs logis, fermèrent boutiques, auvents, échoppes et, en un instant comme le notent le jeune noble polonais Jakub Sobieski ou le magistrat Pierre de L’Estoile, la face de Paris fut toute changée.
Messagers officiels envoyés partout La joie avait déserté les visages et la ville où, depuis le palais du Louvre, la reine Marie de Médicis et son entourage organisent de toute urgence, la transmission de la funeste nouvelle aux autorités royales et municipales disséminées dans le pays. Des messagers officiels porteurs de lettres royales indiquant le meurtre d’Henri IV, l’arrestation de l’assassin et le changement de souverain en raison du paraphe Louis, sont pourvus de sauf-conduits et sommés d’effecteur leurs courses à vive allure, en emprun-
Partout, la peur s’empara des habitants, inquiets du vide politique engendré par la mort du roi (document http://www.collectionsrossignol.com). © DR tant les routes de poste. La progression de ces courriers fut extrêmement rapide : le val de Loire et la Champagne sont atteints le 15 mai ; Lyon ou Dijon le 17, Bordeaux le 18, Aix-enProvence, Agen, Montauban, Toulouse, le 19, Bayonne le 20 mai, Manosque le 23 mai. Une dizaine de jours après l’assassinat, toutes les villes du royaume avaient été ralliées et les lettres royales remises aux maires, aux consuls et aux gouverneurs des principales places militaires. A charge pour ces autorités d’annoncer la nouvelle aux communautés urbaines.
Accrochages et prises d’armes Leur tâche était délicate mais, grâce à la célérité des cavaliers, elles détenaient l’information en exclusivité pendant quelques heures, voire un ou deux jours si elles étaient éloignées de Paris. Et elles mirent ce temps de latence pour organiser la diffusiondelanouvelleauprèsdeleurs administrés. Partout, elles décidèrent de fermer les portes, de consolider les remparts, de renforcer le guet et la garde, de jour comme de nuit ; elles convoquèrent la milice, levèrent une petite escouade de soldats, surveillèrent le plat pays environnant par crainte de troubles et d’émotions. Partout, la peur s’empara des habitants, inquiets du vide politique engendré par la mort d’Henri IV. La disparition
soudaine du roi, naguère admis par raison plus que par enthousiasme par les Français, plongeait dans les pires appréhensions du lendemain les protestants, restés attachés à leur ancien coreligionnaire mais aussi l’écrasante majorité des catholiques. Tous créditaient le roi d’avoir su faire appliquer l’Édit de Nantes et garantir une dizaine d’années de paix au royaume. Son assassinat, interprété comme un probable complot orchestré par l’Espagne ou un de ses princes affidés, laissait les Français orphelins et L’AUTEUR
Un historien des faits sociaux et culturels Michel Cassan est professeur d’histoire à l’Université de Limoges.Iltravaille surlesfaitssociaux etculturels,telsque lescomportements et les engagements des Français de la première modernité. Auteur de plusieurs ouvrages, Michel Cassan vient de publier « La grande peur de 1610 : les Français et l’assassinat d’Henri IV » aux Éditions Champ Vallon (240 pages, 22 euros). De nombreuses cartes de la circulation delanouvelledansleroyaume,lerécit inédit en français d’un témoin de l’événement,deslettresroyalesetdes délibérations municipales éclairent dans cet ouvrage le retentissement considérable de cet assassinat. l
les précipitait dans une indicible peur. Sauraient-ils, en l’absence de la figure tutélaire de leur roi, préserver son héritage ou renoueraient-ils avec le démon de la discorde, de la division, de la guerre civile ? La peur d’une réplique des Guerres de religion était extrême dans un pays qui n’avait rien oublié des violences et des exactions perpétrées au cours des années 1560-1590. Certes, il avait accepté l’amnistie politique et judiciaire généreuse octroyée par Henri IV à ses adversaires mais l’amnésie du passé, exigée par le prince, a buté sur les mémoires antagonistes et affrontées des catholiques et des protestants, des Ligueurs « espagnolisés » et des « bons Français » artisans de la victoire du Béarnais. L’amnistie royale n’a pas enclenché l’amnésie des sujets et, lorsque Henri IV disparaît, les souvenirs du passé refluent à la surface.
La peur se retira peu à peu du pays La peur de l’autre et la peur des troubles surgissent de nouveau. Dans les villes et les provinces où catholiques et réformés s’étaient vivement combattus, où un lourd contentieux confessionnel peinait à se résorber, notamment dans le Languedoc, le comté de Foix, l’Agenais, leVelay, la Provence, la Normandie, algarades et insultes entre les adversaires de la veille éclatent, accrochages et prises d’armes se
multiplient, malgré l’avalanche de mesures préventives officielles. Ce face-à-face, parfois belliqueux et surtout indécis, des Français vis-à-vis de leurs voisins d’une autre confession et vis-àvis de leur propre passé dura trois à quatre semaines. Jusqu’à la seconde quinzaine de juin, bien des communautés, surtout méridionales, furent en proie à de vives tensions interconfessionnelles qui se surimposaient à une peur générale, prégnante dans tout le royaume. Puis, à partir de la mi-juin, la peur se retira peu à peu du pays. Les mesures de défense furent progressivement levées. Les Français avaient dominé leurs profondes appréhensions et leurs craintes saturées d’angoisse. Ils avaient fait preuve de cette tolérance civile dont Henri IV fut un accoucheur politique majeur. La leçon de réalisme politique respectueux de la différence religieuse administrée par Henri IV avait été entendue par les Français, leurs autorités politiques, judiciaires et militaires. Sa mise en œuvre, dans la conjoncture fort anxiogène des mois de mai et de juin 1610 signait une victoire posthume d’Henri IV, dont la paix de religion de 1598 - l’Édit de Nantes - était défendue et prorogée, après un moment d’hésitations et de tensions, par les Français. Henri IVmort,avait permisauxFrançais de vérifier et de conforter leur désir de vivre en paix, concorde, amitié. l M. C.
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PYRÉNÉES ÉVÉNEMENT
Henri IV, les clés d’un règne | XIX
État - Église : des liens en crise HENRI IV ET LA CRISE THÉOLOGICO-POLITIQUE Une crise profonde de la manière de vivre sa foi, d’envisager les rapports entre le profane et le sacré, et d’organiser la « République chrétienne » naît au XVIe siècle.
PAR THIERRY ISSARTEL
L
’itinéraire religieux personnel d’Henri IV, ainsi que sa politique religieuse audacieuse doivent être restitués dans un cadre plus général : celui d’une crise profonde de la manière de vivre sa foi, d’envisager les rapports entre le profane et le sacré, et d’imaginer dans le cadre des réformes catholique ou protestante l’organisation de la « République chrétienne ». Nous avons du mal, aujourd’hui, à mesurer cette crise dont l’acmé fut précisément au tournant des XVIe et XVIIe siècle, au moment du règne de Henri IV. De ce changement du rapport au sacré, en est sorti ce qui fait aujourd’hui la spécificité de l’Occident : un « désenchantement du monde », une sécularisation de la politique, qui, en France, aboutiront bien plus tard à l’émergence de la notion de laïcité… La « réforme » est, au XVIe siècle, un thème fort ancien. Réformer, c’est étymologiquement revenir à la « forme première », exigence essentielle dans le cadre religieux puisque laVérité est de l’ordre de la révélation : tout changement ne saurait être que trahison des Écritures. Du coup, l’Église doit en permanence lutter contre les effets corrupteurs du temps, être « semper reformanda ». Aujourd’hui, « réformer » c’est adapter, innover et faire progresser. Au XVIe siècle, c’était tout le contraire : un réformateur est par définition un réactionnaire dans le sens premier du terme ! Pourtant, à partir de la fin du XVe siècle, les élites chrétiennes, dans un contexte généralisé d’angoisse sotériologique (du salut, cf. J. Delumeau, La Peur en Occident), ont commencé à chercher un lien plus intime avec Dieu. Cette exigence nouvelle sera d’abord affirmée chez les réformateurs protestants, puis dans le cadre de la Réforme Catholique après le Concile de Trente (1545-1563).
La déchirure de la tunique sans couture du Christ On a du mal à imaginer le drame vécu par les contemporains des Réformes quand cellesci ont provoqué de manière irréversible un schisme à l’intérieur de la Chrétienté. Car l’Église représentait avant tout la communauté des baptisés. Chaque camp estimait être dans la vérité et dénonçait l’autre comme hérétique. Chacun devait faire un choix crucial devant Dieu. Certains ont alors utilisé la
« Henri IIII, roy de France et de Navarre, tovche les escrovelles ». © DR métaphore de la tunique du Christ sans couture, symbolisant l’unionparfaitedel’Églisecomme communauté des chrétiens, tunique désormais déchirée… Mais ce schisme était interprété comme un signe des temps : n’était-ce pas le début de l’Apocalypse, prélude au Jugement Dernier, à une époque où précisément le monde donnait des signes de changement ? La violence elle-même avait une justification religieuse. On se conformait à une Histoire qui semblait avoir été écrite à l’avance par Saint-Jean : l’Église de Dieu devait combattre et anéantir l’Église du Mal pour précipiter l’ère nouvelle. On ne comprend pas la violence des Guerres de religion sans se placer dans ce schéma mental qui excluait toute forme de compromis ou de tolérance. Cette déchirure de la Chrétienté occidentale eut une conséquence inattendue : la notion communautaire de Chrétienté semblant révolue, on préféra désigner l’espace concerné par le terme « d’Europe », terme géographique, désignant désormais un espace fragmenté entre États catholiques et États protestants. La Ligue (1584-1594) n’a pas seulement été un mouvement de résistance face à la perspective de la montée sur le trône d’un roi protestant en la personne
de Henri de Bourbon. Elle a été aussi une tentative utopique pour recréer ici-bas, à l’échelle d’une ville, la « communauté parfaite des croyants ». Pour les Ligueurs, Dieu était présent dans l’Histoire et se manifestait grâce une communion « communautaire » de ses vrais fidèles. Cette vision holistique de la religion explique leur intolérance absolue, leur quête de la pureté et leur goût pour les manifestations publiques de foi, appelant même au martyre dans la lutte contre le Béarnais hérétique. La défaite de la Ligue n’était donc pas seulement militaire et politique, mais aussi religieuse. Force est de constater que ce Dieu, si agissant dans le monde, ne les avait pas fait triompher contre Henri de Navarre… C’est tout une vision du monde qui s’écroulait…
L’ouverture des débats théologico-politiques de l’âge baroque Pour autant, même dans « une religion réformée », la légitimité politique ne peut venir que de Dieu. En acceptant d’abjurer le protestantisme, de se faire sacrer, de porter le titre de « Roi Très Chrétien », Henri IV a confirmé la conception traditionnelle de la monarchie. Mais il fallait l’adapter à la nouvelle ontologie du sacré. Ainsi, du point de vue
théologique, le sacre du roi devenait problématique. On voit que Henri IV, dans sa reconstruction politique de la monarchie, avait fait bien des concessions au nom de la tradition capétienne aux catholiques zélés… Une brèche était ouverte : après l’assassinat d’Henri III par le moine Clément (1589), l’attentat de Jean Chastel, puis celui de Ravaillac, montrent à l’évidence que la sacralité royale, que des catholiques dévots auraient dû respecter et même craindre, ne suffisait plus à protéger le roi… Théologiens et penseurs politiques de la période baroque devaient donc essayer de définir les caractéristiques idéales de la « république chrétienne » et reconstruire une théologie politique catholique nouvelle.
Étatistes et dévots en 1610 Pendant la lutte de Henri V pour le trône, les théoriciens, qui lui étaient proches, furent qualifiés de « politiques » par leurs adversaires. Pourtant, beaucoup d’entre eux furent des catholiques anciens ligueurs. Belloy n’hésitait pas à affirmer : « L’État n’est pas dans la religion, mais la religion dans l’État ». C’est cette conception qui sous-tend l’Édit de Nantes : même s’il appelle à un retour à l’unité religieuse au sein du catholicisme, il ajourne
les prétentions de l’Église à définir le lien social et politique au nom de la paix. Pour autant, il ne s’agissait pas de laïciser les objectifs de l’État, bien au contraire : la mainmise gallicane sur la religion, en faisant appel à la notion de droit divin, avait l’avantage de permettre un renforcement du pouvoir royal, sans pour autant s’appuyer sur la notion médiévale de sacralité du roi. Ces conceptions théologicopolitiques étaient au centre du débat sur la politique étrangère du roi en 1610, au moment où Henri IV s’apprêtait à rouvrir le conflit avec les Habsbourgs. Alors que les étatistes justifiaient la lutte contre l’hégémonie espagnole, les dévots, nostalgiques de l’unité de la Chrétienté, critiquaient cette guerre entre puissances catholiques et rêvaient d’une sainte union pour éradiquer le protestantisme en Europe. Les alliances passées avec les puissances protestantes leur étaient insupportables. N’était-ce pas un cas de tyrannie ? C’est au nom de la lutte contre la tyrannie que certains penseurs jésuites comme Mariana justifiaient le recours au régicide. Au moment où les prédicateurs dénonçaient en chaire l’attitude royale, Ravaillac, un catholique zélé faible d’esprit, se sentait devenir l’instrument de Dieu et l’âme d’un martyre de la foi… l TH. I.
XX | Henri IV, les clés d’un règne
LUNDI 31 MAI 2010
PYRÉNÉES ÉVÉNEMENT
Ravaillac supplicié en public CHÂTIMENT Le supplice de Ravaillac, condamné du crime de « lèse-majesté divine et humaine au premier chef », fut exécuté en public, en différents lieux. Une sentence extraordinaire liée à la personne du roi et à ce qu’il représentait.
PAR JULIEN VASQUEZ
L
e 14 mai 1610, rue de la Ferronnerie à Paris, Ravaillac frappait de plusieurs coups de couteau Henri IV dans son carrosse immobilisé. Alors que le sang sortait à flots de la bouche du roi, l’assassin restait là, debout, un couteau à la main. Cet homme roux de 32 ans, d’une stature imposante, fut arrêté puis confié aux archers de la garde qui le conduisirent d’abord à l’hôtel de Retz, pour lui éviter un lynchage, puis à la Conciergerie. Depuis le XVIIe siècle, les analystes ont relaté la condamnation et le supplice de Ravaillac. Tout comme Jacques Clément en 1589 puis Damiens en 1757, l’ancien instituteur angoumois avait porté atteinte à la « majesté du Roi » et à ce qu’elle représentait, c’est-à-dire l’incarnation de l’État mais aussi une source divine du pouvoir. Le régicide n’était donc pas un simple « événement », comme le rappelait jadis Roland Mousnier. Il était aussi, et peut-être avant tout, l’expression d’un climat politique et moral déclassant la personne royale, dont les juristes s’employaient pourtant, depuis le XVIe siècle, à souligner la « Majesté », c’est-à-dire la puissance indivisible en même temps que s’affirmait l’extension de l’État. Quant à la condamnation et au supplice du régicide, ils dépassaient, eux aussi, le fait divers car ils étaient l’occasion de réaffirmer des principes politiques, de théâtraliser une conception du pouvoir face à une opinion publique naissante.
Le supplice, un châtiment extraordinaire Ce fut le Parlement de Paris qui jugea Ravaillac et rendit arrêt contre lui le 27 mai. Il le déclara « atteint et convaincu du crime de lèse-majesté divine et humaine, au premier chef, pour le très méchant, très abominable et très détestable parricide commis en la personne du feu Roi Henri quatrième ». La notion de « lèse-majesté » trouvait ses fondements dans le droit romain. Redécouverte au Moyen Âge au profit de l’empereur germanique, puis invoquée à son tour par le roi de France, cette loi romaine protégeait le concept de majesté royale, édifié au XVIe siècle. Les juristes de l’époque opérèrent des distinctions entre les cas de lèse-majesté. Une première série fut consacrée aux crimes de « lèse-majesté humaine », regroupant les crimes les plus graves, de « premier chef », (commis contre le Roi et son entourage immédiat, comme le régicide
Le supplice était le châtiment de la justice du roi, qui devait annoncer celle de Dieu. © DR perpétré par Ravaillac), et ceux de « second chef », à l’encontre de la paix du roi et de ses prérogativessouveraines.AuXVIe siècle, les juristes créèrent la catégorie des crimes de lèse-majesté divine et humaine en étroit rapport avec la royauté sacrée. La gravité de ces crimes communiquait un caractère exceptionnel et sévère à leur répression. L’assassin du roi était donc l’objet d’un châtiment extraordinaire, dont l’exemplarité devait avoir un pouvoir hautement dissuasif. Ainsi, la peine de mort ne suffisait pas à éteindre l’« exécrable » transgression à l’ordre symbolique de la société, aux lois de Dieu et du roi justicier. Par ailleurs, le régicide devait être puni au-delà du supplice : la maison où il était né serait démolie, le propriétaire préalablement indemnisé et l’on ne rebâtirait jamais sur son emplacement. En outre, son père et sa mère videraient le royaume et ne reviendraient pas, sous peine d’être pendus sans forme de procès. Enfin, il était interdit « à ses frères, sœurs et autres de porter le nom de Ravaillac ». La sentence du Parlement fut exécutée dans des espaces différents. Ravaillac fut d’abord conduit de la Conciergerie à Notre-Dame pour l’amende honorable. A la Conciergerie, le
régicide avait été mis à la question, au supplice des brodequins, afin qu’il avouât quels étaient ses complices. Puis, à Notre-Dame, Ravaillac demanda pardon au roi, à la reine et « à tout le monde ». Enfin, il fut mené auprès de l’église des Innocents, où il avait tué le roi, pour y avoir la main brûlée au soufre enflammé, celle qui avait été l’instrument du meurtre.
Écartelé sous les clameurs populaires Ravaillac arriva finalement en place de Grève, où l’on pendait les condamnés à mort, bourgeois et gens du peuple, alors que les gentilshommes y étaient décapités. Pour le crime de lèse-majesté, la peine était l’écartèlement. Tout Paris était là. Le bourreau, L’AUTEUR
Agrégé et docteur en histoire Julien Vasquez est agrégé et docteur en histoire, professeur de classes préparatoires au lycée Louis-Barthou à Pau. Il est
l’auteur d’une thèse sur « Nicolas Dupré de Saint-Maur ou le dernier grand intendant de Guyenne » Fédération Historique du SudOuest, Bordeaux, 2008, 393 p. l
avec les tenailles rougies, déchira les chairs du supplicié sur lesquelles les aides firent couler le plomb fondu, l’huile bouillante, la poix brûlante et un mélange de cire et de soufre fondus. Les docteurs de la Sorbonne le consolaient. Le greffier l’admonestait d’avouer ses complices, mais l’assassin réitéra ses dénégations. Puis Ravaillac fut tiré à quatre chevaux :l’écartèlementcommença, sous les clameurs populaires. Pendant plus d’une heure, les bêtes tirèrent, faisant rompre les côtes l’une après l’autre, sans parvenir cependant à enlever la vie à cet être exceptionnellement résistant. On dut remplacer un cheval harassé par l’effort prolongé. Alors, une cuisse se détacha dutroncetRavaillacmourutenfin.
Le châtiment de la justice du roi Le supplice était le châtiment de la justice du roi, qui devait annoncer celle de Dieu. Mais le peuple n’était pas absent de ce « rituel judiciaire ». Tout au long du chemin qui le mena de la Conciergerie à la Grève, Ravaillac fut menacé par le peuple déchaîné. Chacun s’efforçait de lui donner un coup-de-poing, de lui tirer la barbe. Le peuple joua même un rôle dans l’exécution : lorsque Ravaillac demanda à
parler à son confesseur et voulut un « Salve Regina », la foule cria qu’il ne lui en fallait pas, qu’il était damné. Le peuple en fureur hurlait qu’il fallait le laisser languir, qu’il souhaitait qu’« on lui donnât du relâche pour se sentir mourir », qu’on le laissât « distiller son âme goutte à goutte »… Pire encore, à la fin du supplice, « le peuple, de toutes qualités, s’est jeté avec épées, couteaux, bâtons et autres choses qu’ils tenaient à frapper, couper, déchirer les membres, ardemment mis en diverses pièces, ravis à l’exécuteur, les traînant qui çà, qui là, par les rues ». Une femme, selon Nicolas Pasquier, mangea de sa chair. Certains la piétinèrent. D’autres encore en brûlèrent en divers endroits de la ville… Le supplice, selon Michel Foucault, était l’expression d’un rapport de pouvoirs politique. En bafouant la loi, le criminel portait atteinte au souverain, dont la loi émanait directement. Le châtiment était donc l’expression de la vengeance du souverain qui s’exprimait sur le corps du supplicié, dans un duel entre le pouvoir royal et celui qui le défiait. L’horreur du crime était reproduite sur le corps du condamné pour être, tout en même temps, révélé et annulé. l J. V.
LUNDI 31 MAI 2010
PYRÉNÉES ÉVÉNEMENT
Henri IV, les clés d’un règne | XXI
La légende noire de Marie MARIE DE MEDICIS Dans la mémoire collective et dans l’historiographie française, elle a souvent fait l’objet de vives critiques et a plutôt laissé une légende noire contrastant avec celle, dorée, d’Henri IV. Mais est-ce justifié ?
fort talentueux, développent de façon habilement insidieuse le portrait d’une reine étrangère soumise aux jésuites et trahissant la France. Se sont ensuite ajoutés les « Mémoires de Richelieu », rédigés dans les années 1630. Comme ceux de Sully, ils montrent la reine en femme dissimulatrice, vindicative et emportée. « Les grandes histoires de France », écrites ensuite se sont appliquées à présenter une image négative de Marie de Médicis car il fallait justifier un fait presque sans précédent dans les annales du royaume : la disgrâce d’une reine mère et son maintien en exil par la volonté d’un ministre.
PAR JEAN-FRANÇOIS DUBOST
I
l existe effectivement une légende noire de Marie de Médicis, même si elle est moins marquée que celle de Catherine de Médicis, sa lointaine cousine qui a régné en France un demi-siècle avant elle. Pour ce qui est de Marie, on l’accuse d’avoir ruiné l’œuvre de Henri IV, à l’intérieur comme à l’extérieur du royaume ; d’avoir abandonné les affaires à ses favoris italiens, le couple Léonora Galigaï - Concino Concini ; d’avoir ainsi laissé s’instaurer en France un gouvernement fondé sur la gabegie et avilissant l’autorité royale, d’avoir conduit une politique étrangère asservissant la France aux intérêts de l’Espagne, la première puissance du temps, et enfin d’avoir tout fait pour entraver l’action de Richelieu,unefoiscelui-cidevenu le Premier ministre de Louis XIII en 1624. Au total, elle aurait été dépourvue de sens politique, fondant son action sur ses sentiments personnels : jalousie, ressentiment et vanité. Cette légende noire repose sur des jugements moraux étayés par des affirmations à l’emporte-pièce relevant de l’analyse psychologique et non pas historique.
Le réquisitoire injuste de Michelet
En faire l’archétype de la mauvaise reine Chacun de ces griefs repose sur un élément de vérité, mais qui est amplifié et sorti de son contexte pour faire de Marie de Médicis l’archétype de la mauvaise reine : une femme cupide à laquelle le pouvoir aurait tourné la tête, une étrangère restée sourde aux intérêts de son pays d’adoption. Par exemple, la démission de Sully, en février a été transformée à partir du témoignage aigri laissé par ce dernier, en ruine de l’œuvre de Henri IV. Autre exemple : on affirme que Concini aurait introduit la corruption dans le gouvernement de la France. Effectivement, il use et abuse du pot-de-vin, mais ne fait que tirer parti d’une pratique qui est générale à la Cour de France, et montrée du doigt partout en Europe. On a aussi beaucoup reproché à la reine ses largesses, effectives, envers le couple Concini : c’est oublier les millions qu’il a fallu déverser sur les princes du sang (Condé, Soissons, Conti) et sur les autres grands du royaume (Sully, Guise, Langueville) pour acheter leur tranquillité. Pointer les largesses faites aux Concini, des miettes à côté des millions donnés aux princes, permettait à ceux-ci de faire oublier qu’ils
Marie de Médicis par Rubens (Madrid, Musée du Prado). © DR étaient les premiers bénéficiaires des pensions royales. Quant à Richelieu, Marie en devient effectivement l’ennemie irréconciliable, mais à partir de 1628 seulement, lorsqu’elle réalise qu’il est en train de noyauter l’appareil d’État, entreprise dont la reine mère est l’une des premières victimes puisqu’elle ne peut plus, dès lors, assurer la carrière de ses fidèles sans l’aval du cardinal ministre. Mais avant 1628, c’est elle qui, par deux fois, l’a porté au gouvernement.
Les témoignages hostiles et polémiques de Sully et Richelieu Si une légende noire a été construite autour de Marie de Médicis, c’est parce que la reine a été la cible de plusieurs témoignages hostiles et polémiques, repris sans discussion par la tradition historique. Le premier est celui de Sully présentant sa démission comme une éviction pour n’avoir voulu cautionner un gouvernement fondé sur la
corruption. La réalité est que Sully préconise, en 1610-1611, une politique - des économies sur les pensions distribuées aux grands afin de pouvoir mener à L’AUTEUR
Dix ans de recherches sur cette reine mal connue Professeur d’Histoiremoderne à l’université de Paris-XII, JeanFrançois Dubost explore le rôle des étrangers dans la construction de la France d’Ancien Régime : « La France italienne XVIe-XVIIe » (1997), « Et sionfaisaitpayerlesétrangers ?Louis XIV,lesImmigrésetquelquesautres» (1999). Il vient de publier « Marie deMédicis,lareinedévoilée»(éditions Payot),Unlivre-somme,entrehistoire politique, histoire du genre et des représentations,quimarquel’aboutissement de dix ans de recherches sur cette reine mal connue et bouscule bon nombre d’idées reçues. l
l’extérieur une politique agressive contre les Habsbourg - qui est intenable en période de régence. Il faut, au contraire, couvrir d’or les grands pour éviter qu’ils ne suscitent des révoltes, et obtenir en même temps l’appui de l’Espagne pour éviter qu’elle ne soutienne les grands mécontents comme elle l’a fait pendant les Guerres de religion françaises et du vivant de Henri IV. Comme Sully est protestant, il présente la politique qu’impose le contexte de régence, comme une politique de réaction catholique téléguidée depuis Rome et Madrid. Ce thème est amplifié entre 1614 et 1617 dans les libelles (pamphlets) favorables au prince de Condé, principal rival politique de Marie de Médicis. Il lui est hostile dès le moment de son arrivée en France car, en donnant une nombreuse descendance masculine (trois garçons) à Henri IV, elle amenuise d’autant les chances du prince d’accéder au trône. Ces libelles, d’ailleurs
L’élaboration finale de la légende noire est intervenue au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle, dans le contexte nationaliste et xénophobe présidant au triomphe de l’Etat-Nation. Le principal responsable en est Michelet dont on ne soulignera jamais assez tout le mal qu’ont fait à l’Histoire ses imaginations romantiques. Avec un vrai talent de romancier, il brosse de Marie le portrait qui a prévalu jusqu’à nos jours : celui d’une grosse Florentine cupide, d’une mamma italienne abusive, d’une reine dissimulatrice machinant l’assassinat de Henri IV, d’une femme lubrique succombant successivement aux charmes de son cousinVirginio Orsini, de Concini, de Richelieu et, pour finir, de son médecin Vautier. Précisons, enfin, que Marie n’est que la seconde épouse de Henri IV, dont la première épouse, Marguerite deValois (la fameuse reineMargot),esttoujoursvivante lors de son remariage : la légitimité du statut royal de Marie est donc contestée car des doutes planent sur la validité de l’annulation du premier mariage. De plus, Henri IV est un roi largement détesté de son vivant. Marie de Médicis n’a donc pu bénéficierd’uneferveurpopulaire qui faisait défaut à son époux. A la mort de ce dernier, elle encourage le développement de la légende du « bon roi Henri » pour conforter son gouvernement de régence, présenté comme le prolongement de cet âge béni. Mais cette légende se retourne contre elle au temps du gouvernementConcini(1616-1617)dont l’impopularité provoque sa chute. Elle doit ensuite se refaire une virginité politique. C’est seulement à la fin des années 1620 qu’elle parvient à gagner une certaine popularité, auprès des Parisiens notamment. l J.-F. D.
XXII | Henri IV, les clés d’un règne
LUNDI 31 MAI 2010
PYRÉNÉES ÉVÉNEMENT
Un «couple politique» modèle HENRI IV ET SULLY Vieux compagnon de guerre d’Henri, Sully avait toute la confiance du souverain. Sa politique financière consista à résorber l’énorme dette de l’État, à équilibrer les dépenses et les recettes.
sé par le roi. Or, dans la mentalité du temps, la fidélité n’est pas unilatérale : c’est un lien synallagmatique qui suppose de part et d’autre des devoirs mais aussi des droits.
PAR BERNARD BARBICHE
D
ans la mémoire collective, Henri IV et Sully restent le « couple politique » modèle : un « bon roi », lié à son ministre par une ancienne amitié née sur les champs de bataille pendant les Guerres de religion. Cette image édifiante repose sur des faits incontestables : à partir de 1598, en effet, le premier Bourbon, après avoir vaincu la Ligue, signé la paix àVervins avec le roi d’Espagne et restauré la paix civile et religieuse en promulguant l’édit de Nantes, trouve en Maximilien de Béthune le conseiller sur qui il peut compter pour reconstruire son royaume ruiné par quarante ans de guerres civiles. Celui qui n’est encore que baron de Rosny (il ne deviendra duc de Sully qu’en 1606) se voit confier en peu d’années un nombre impressionnant de charges : il est nommé successivement surintendant des finances, surintendant des fortifications, grand voyer de France, grand maître de l’artillerie, gouverneur de la Bastille, surintendant des bâtiments, voyer particulier de Paris, gouverneur du Poitou. Ce cumul d’attributions sans précédent fait de lui le plus proche collaborateur du roi. Seules, lui échappent les affaires étrangères, domaine « réservé » du secrétaire d’État, Nicolas de Neufville de Villeroy.
Forcé à la démission l’année suivante
Pas toujours une parfaite identité de vues Danstouslesautresdomaines, Sully met en œuvre les grands desseins de Henri IV, avec qui il abeaucoupdepointscommuns : tous deux sont de grands bâtisseurs. Il rétablit la situation financière, gravement compromise, ouvre d’ambitieux chantiers de travaux publics (des routes, des ponts et des canaux), construit des fortifications, embellit Paris (achèvementduPont-Neuf,place Royale aujourd’hui place des Vosges, place Dauphine, hôpital Saint-Louis),agranditlesrésidencesroyales(Louvre,Tuileries,SaintGermain-en-Laye), organise plusieurs campagnes militaires. En douze ans, la France est transformée, elle connaît en outre une période de paix bienfaisante. Cetableauidyllique,quiencore une fois est parfaitement fondé, doitcependantêtrenuancé.C’est en effet celui que Sully, rédigeant ses Mémoires pendant sa longue retraite, après avoir été forcé par la régente Marie de Médicis de donner sa démission en janvier 1611, a réussi à léguer à la postérité non sans altérer parfois
Sully met en œuvre les grands desseins de Henri IV, avec qui il a beaucoup de points communs : tous deux sont de grands bâtisseurs. © DR la réalité. L’historien, quand il étudie de près le déroulement du règne, est bien obligé de constater tout d’abord qu’il n’y a pas toujours eu une parfaite identité de vues entre le roi et son ministre.Ainsi,Sullyaétéfoncièrement hostile au projet royal d’expansionoutre-mer,etilatoutfaitpour s’y opposer. C’est contre son gré queHenriIV,aprèsplusieurstentatives infructueuses, a réussi à installer les premières implantations durables en Amérique du Nord, avec le voyage réussi de Pierre Du Gua de Monts en 1604 et la fondation de Québec par Samuel Champlain en 1608.
Amitié, fidélité et politique Sully critique vertement, dans un passage des OEconomies royales,cesexpéditionsqui,selon lui,nerapportentrienàlaFrance, dont les principales richesses
(labourageetpâturage)setrouvent sur son sol même. Sully, comme la plupart des gentilshommes de son temps, était avant tout un L’AUTEUR
Président de la Société de l’École des Chartes Bernard Barbiche est un historien moderniste. Diplômédel’Écolenationale des Chartes, il fut conservateur auxArchivesnationales. Professeur émérite, il est président de la Société de l’École des Chartes, vice-présidentdelaSociétéd’histoirereligieuse de la France et directeur de la collection«HistoirereligieusedelaFrance» aux Éditions du Cerf. Bernard Barbiche est l’un des meilleurs connaisseurs français des Guerres de religion et de l’œuvre de Sully. l
terrien. Il a été l’un des hérauts de l’idéologieanticolonialistequis’est développée dans notre pays jusqu’au XXe siècle. Pour mener à bien son projet et fonder la Nouvelle France, Henri IV s’est appuyé sur un autre membre de sonConseil,PierreJeannin,ancien Ligueur rallié après la soumission du duc de Mayenne. Parailleurs,Sullya-t-iltoujours été fidèle au roi et à la Couronne, comme on l’imagine habituellement ? La réponse est « oui » pendant la période où il a été aux affaires, c’est-à-dire entre 1598 et 1610, si l’on fait abstraction des divergencesdevuessurlesexpéditions transatlantiques (divergences qui, au reste, ne mettaient nullementencauselafidélité).On nepeutendireautantdespremières années du règne de Henri IV, ni surtout des premières années du règne de Louis XIII. En effet, jusqu’en 1597, Sully n’apasétéparticulièrementfavori-
Le fidèle doit servir son maître avec dévouement, mais le maître a l’obligation de récompenser le fidèle, faute de quoi ce dernier est en droit de se considérer comme délié de son devoir d’obéissance, et il peut même aller jusqu’à la révolte s’il s’estime injustement traité par celui qu’il sert. Dans les premières années de son règne, et surtout jusqu’à son abjuration du 25 juillet 1593, Henri IV n’a guère manifesté sa reconnaissance au baron de Rosny, devant réserver ses largesses à son entourage catholique pour se l’attacher. C’est ainsi qu’il refuse à Maximilien, en 1590, le gouvernement de Mantes puis celui de Gisors, en 1593 celui de Dreux. Rosny est ulcéré et il s’emporte, reprochant au roi son ingratitude.Parfoismêmeilquitte l’armée royale et se retire sur ses terres pour manifester son dépit et son amertume. Il ne s’attacheravraimentàHenriIVquequand celui-ci, une fois sacré et absous par le pape, et après avoir soumis les derniers Ligueurs, l’appellera à son Conseil et le comblera de bienfaits. Puis, après la mort du roi et surtoutaprèssadémissionforcée de janvier 1611, Sully se trouve de nouveauécartéduréseaudefidélité qui entoure le roi et des cercles du pouvoir. Il enrage de ne plus pouvoir servir la France comme il l’avait fait sous le règne précédent. Il se rapproche alors des princes et des grands seigneurs qui se dressent contre Marie de Médicis. Et quand ceux-ci, en 1615, lèvent une armée contre le roi, il se joint à eux, alors que dix ans plus tôt il combattait leurs folles prétentionset,auxcôtésdeHenri IV, les réduisait à l’obéissance. Au traité de Loudun du 3 mai 1616, conclu entre le roi et les grands, il obtient comme les autres seigneurs rebelles de substantiels avantages.Ilresteraensuitejusqu’à sa mort fidèle à Louis XIII. Sully a donc été, comme tous les ministresdeHenriIV,unconseillerfidèle et dévoué, il a été le principal artisan du redressement du royaume pendant une douzaine d’années. Mais ce gentilhomme, parvenu au faîte de la hiérarchie nobiliaire,aaussipartagél’idéologie de son milieu social : il a un momentsuccombé,commebien d’autres,àlatentationdelarévolte. l B. B.
LUNDI 31 MAI 2010
PYRÉNÉES ÉVÉNEMENT
Henri IV, les clés d’un règne | XXIII
« Un caractère visionnaire » ANALYSE François Bayrou, auteur il y a quelques années de « Henri IV, le Roi libre », une biographie rééditée, observe que la plus grande qualité politique de Henri IV fut son « caractère visionnaire ». Entretien.
D
ans cet extraordinaire rapport d’intimité qu’autorise, sur son sol, la naissance de Henri IV, le Béarn commémore avec émotion et éclat le quadricentenaire de la mort du roi de France. Auteur passionnément dévoué à la mémoire du monarque auquel il a consacré trois ouvrages (1), François Bayrou évoque « l’une des très grandes figures historiques de France et d’Europe ». - Votre première rencontre avec Henri IV date-t-elle de l’enfance ? « A côté de chez nous s’élevait le château de Coarraze qu’on appelait le château de Henri IV. J’ai beaucoup rêvé sur la devise qui orne encore aujourd’hui le portail : « lo que a de ser no pue de faltar ». C’est-à-dire : ‘Ce qui doit arriver ne peut pas manquer’. Il avait été confié aux seigneurs de Coarraze, les Miossens, pendant sa toute petite enfance. On l’imaginait chevauchant de Pau à Coarraze... Après, je n’ai eu de Henri IV que les images traditionnelles jusqu’au jour où j’ai lu la trilogie d’Heinrich Mann. Je devais avoir 27 ou 28 ans. J’ai soupçonné qu’il n’était pas ce qu’on en disait. » - Est-ce là ce qui vous a décidé à raconter « le roi libre » ? « J’ai commencé à penser à l’écrire. J’en ai parlé à mon éditeur qui n’était pas très intéressé. Il me semblait pourtant qu’il y avait bien des choses profondes à comprendre chez Henri IV. J’ai eu un éclair de lumière quand je me suis rendu compte que la plupart des historiens passait à côté du secret de sa vie. Car ce petit garçon a vécu ce qu’aucun scénario n’aurait eu l’audace d’imaginer. La guerre de religion, pour lui, c’était la guerre entre son père et sa mère ! A partir de cette faille, j’ai mieux compris qui était ce garçon, son incroyable destin et comment il reflétait le siècle tout entier. L’image d’Épinal était fausse. Il était un piètre amoureux mais un grand politique. C’est de là que le livre est parti. C’est un roman vrai. » - Qu’est-ce qui vous fascine le plus en lui ? « L’époque me fascine. Ce que nous vivons aujourd’hui et qui nous laisse interdits commence là, par ce basculement religieux de la Réforme luthérienne qui dit la chose la plus subversive qui soit : la vérité ne vient pas d’en haut ; vous avez vous aussi, comme individu, le droit de décider de votre propre vérité. Il n’est plus besoin de médiation de l’Église entre Dieu et le
Henri IV - ici, il reçoit sa Cour - est, pour François Bayrou, « l’une des très grandes figures historiques de France et d’Europe ». © DR croyant. Cette révolution va se développer pendant cinq siècles pour toucher finalement tous les aspects de notre vie. » - Et l’homme lui-même ? « J’aime le caractère incroyablement romanesque de cette vie d’un enfant promis à être roi de Navarre après sa mère, puisque chez nous, les femmes ont toujours pu être reines. Peu après, le mariage de ce jeune homme, chef de file des protestants, avec la fille du roi de France catholique, aurait dû marquer la paix définitive et au lieu de cela, c’est l’effroyable Saint-Barthélémy qu’il aura sur la conscience toute sa vie. Tous ses amis ont été assassinés alors qu’ils venaient fêter son mariage. Il tourne le dos à la Cour pendant trois ans puis un jour, il s’échappe. Il arrive à Pau et prend la tête de la résistance protestante dressée contre le roi et la Cour. Une vie de bataille s’ouvre puis le ciel s’éclaire. Il y a cette scène magnifique de la réconciliation avec son cousin Henri III, assassiné peu après l’entrevue par le moine Clément. Le destin de Henri IV se noue. Il reconstruit la France. A sa mort, il devient le héros de toute une nation. J’aime chez lui cette incroyable simplicité dans la grandeur, sa jovialité, sa maîtrise de la langue française et une formidable lucidité sur les hommes. »
- Sa plus grande qualité politique ? « Le caractère visionnaire. Il décide qu’on aura des droits comparables même si l’on appartient à la religion minoritaire. C’est le premier pas vers la laïcité. Ce qu’il a décidé pour la France avec l’Édit de Nantes, il le décide pour le Béarn avec l’Édit de Fontainebleau. Pour l’époque, c’est une révolution ! N’oublions pas qu’il a aussi restauré les finances publiques, l’industrie, les transports, l’école, l’agriculture, l’urbanisme. Il a bâti enfin un grand dessein européen et décrit ce que l’Europe devait être. » - Qu’aimez-vous le moins chez Henri IV ? « Je n’aime pas beaucoup l’amoureux qu’il est trop souvent, FRANÇOIS BAYROU
« Une fraternité pyrénéenne » Né à Bordères, FrançoisBayrouest agrégé de Lettres classiques. Député du Béarn, il est ancienprésidentdu conseil général des Pyrénées-Atlantiques et ancien ministre de l’Éducation nationale. Auteur de plusieurs ouvrages, il a notamment publié aux éditions Flammarion « Henri IV, le roi libre ». Un livre majeur pour comprendre l’importance du règne de Henri IV. l
faible et humilié. Sauf avec Corisande... et Margot dont il était complice. En amour, il est humain, trop humain. » - Que répondez-vous aux détracteurs qui s’emploient à ternir la légende d’Henri IV ? « Il y en a toujours qui cherchent à diminuer les grandeurs. Ce qui m’intéresse, ce sont les faits. En signant l’Édit de Nantes, il a réussi à détourner le cours du fleuve de l’Histoire et c’est tellement rare ! Il l’a fait seul contre tous. » - Vous arrive-t-il de vous identifier à lui ? « Il y a 400 ans entre nous ! Ce serait un peu ridicule mais chacun dans son siècle, nous sommes nés presque la même année... Aussi curieux que cela paraisse, j’ai de l’amitié pour lui, presque de la tendresse. Et puis il y a cette fraternité pyrénéenne. » - Qu’avait-il de si béarnais ? « Le sens de la conciliation. Ce n’est pas parce que quelqu’un n’est pas de mon camp qu’il est mon ennemi. J’ajouterai un incroyable goût de l’indépendance et de la liberté. Je suis de cette lignée, de cette culture profondément. Henri IV aimait beaucoup cette devise : ‘Le Béarnais,mêmepauvre,nebaisse pas la tête’ (lou biarnes qu’ey praube, mes no baixe cap). En Béarn, on n’enlève son béret devant personne ! »
- L’opportunisme religieux de Henri IV ne trouble-t-il pas le catholique que vous êtes ? « Au début, c’était la même religion. La conversion majeure, c’est celle qu’il accomplit quand il prend le royaume. Je le comprends. Je l’ai trouvé très sérieux, très réfléchi. » -Qui,dansl’HistoiredeFrance ou du monde, se rapprocherait le plus de Henri IV ? « Si je reprends la métaphore dequidétournelecoursdufleuve, je dirai Gandhi, Napoléon (le chef de paix, pas celui de guerre) et de Gaulle. » - Comment expliquez-vous l’extrêmepopularitédurègnede Henri IV ? « Il y a beaucoup de choses à méditer.IlaprojetélaFrancedans la modernité. Je suis fier d’être du paysdelaplusgrandefigurehistoriquedudemi-millénairefrançais. L’hommage du Béarn est juste et absolument pertinent car le fils de Jeanne d’Albret, né au château de Pau, a sculpté le visage d’une nouvelle France. » lPROPOS RECUEILLIS PAR RENÉE MOURGUES
(1) « Henri IV, le roi libre ». Flammarion (1994). Prix Hugues Capet. Réédité en livre de poche. (2) « Henri IV raconté ». Perrin 1995. (3) « Ils portaient l’écharpe blanche ». Grasset 1998.
XXIV | Henri IV, les clés d’un règne
LUNDI 31 MAI 2010
PYRÉNÉES ÉVÉNEMENT
Henri le Grand et le bon Roi MYTHES ET LÉGENDES Au-delà des légendes, Henri IV a donné naissance à un mythe, privilège rare dans la galerie des rois et des hommes illustres.
Sous ce visage, il continue de divertir, au moins jusqu’à la Belle Époque, il inspire des crayons (Daumier, Cham) et des paroliers agiles (Aristide Bruant). Mais ce roi aime la politique... Il s’invite aux insolences du pamphlet, de Concini à Mazarin, comme aux enthousiasmes collectifs : quand Louis XVI monte sur le trône, on acclame le retour du grand ancêtre. L’erreur (et plus d’un historien y sera tombé) serait de croire que les révolutionnaires aient été en reste. Même au 13août1792,lessans-culottesqui viennent d’abattre le monument du Pont-Neuf portent devant l’Assemblée une justification quelque peu embarrassée.
PAR PAUL MIRONNEAU
U
n véritable déferlement d’écrits et d’images. Le phénomène, exceptionnel, ne se compare à aucune autre gloire nationale, il s’énonce dans la formule forgée en 1776 par le dramaturge Gudin de la Brenellerie : « Le seul roi de qui le pauvre ait gardé la mémoire», mieux connue après déformation : « Le seul roi dont le peuple ait gardé la mémoire ». Autant dire que la légende est variable, qu’elle subit toutes les distorsions possibles. Le sentiment collectif instaure des rites d’apparence immuable. Ce temps,ceslieux,ceton,cesvérités projetées dans le vague appartiennent non plus à la légende maisaumythe.Cars’ilyalégende de Henri IV (ou plutôt légendes, aupluriel),ilyasurtoutunmythe, rare privilège dans la galerie des rois et des hommes illustres.
« Populaire », encore et toujours
Géographie du souvenir Le pieux souvenir décrit un véritable culte prenant toutes les apparences du religieux, mais laïc dans son objet. Au château de Pau,c’estlepalaisduroinouveauné que la carapace de tortue, son berceau légendaire, traduit dans une expression des plus pittoresques. Le pays d’Albret, sa lande, ses rivières, se revendiquent comme terre de prédilection de ce seigneur gascon. Bien loin de là, une sensibilité préromantique offre les jardins d’Ermenonville aux épanchements du paysage sentimental. La plus fameuse de toutes les batailles henriciennes, c’est Ivry, et point de victoire sans monument. Bonaparte décida de faire construire la pyramide commémorative qui signale, dans le froid langagedelapierre,cecrideralliement qui fonde la France moderne. Le cœur du roi fut acheminé à la chapelle du collège de La Flèche. En 1793, du 12 au 25 octobre, on procédait à l’exhumation des corps des rois de France à la basilique de SaintDenis. Le cas d’Henri IV suscita l’admiration par son étonnant état de conservation.
Construire le héros Une abondante matière se rassemble dans les oraisons funèbres prononcées dans les églises au lendemain de l’assassinat du roi. Les jésuites, la reine régente, en un mot les pouvoirs établis, auront veillé à sa diffusion.Unbrind’exagérationprovocatrice, tout de même, dans la piquante formule de Roland Mousnier en 1964 (peu après l’assassinat du Président Dans
Henri IV en Mars, attribué à Ambroise Dubois (Pau, Musée national du château de Pau). © DR sKennedy) : « C’est un grand art chez un homme d’État soucieux de sa gloire que de savoir être assassiné à propos ». La figure sublimée du monarque n’en incorpore pas moins de nombreux traits d’observation très poussés. Invoquer le souvenir du disparu peut inversement servir à dresser le réquisitoire des nouveaux gouvernants. Les « Œconomies royales de Sully » (1638) lancent un témoignage partial, arrangé, mais direct et brillant,fourmillantdenombreux détails. Louise de Lorraine, princesse de Conti, fille du Balafré, est-elle l’auteurde«L’Histoiredesamours de Henri IV » ? C’est bien improbable, ces nouvelles aventures henriciennesépousentlecontexte d’une intense agitation nobiliaire et précieuse, mêlant intrigues amoureuses et relations politiques. On gravite dans une autre galaxie avec l’évêque de Rodez puis de Paris, Hardouin de Beaumont de Péréfixe, ancien précepteur de Louis XIV, et son « Histoire du roi Henri le Grand» (1661). Les deux ouvrages instaurent désormais deux piliers de la tradition henricienne, inspirant, jusqu’au XIXe siècle et au-delà, un vaste répertoire mi-moralisant mi-anecdotique, ressource inépuisable tant pour les peintres que pour les pédagogues.
Le XVIIIe siècle humanise le grand roi... qui n’en est pas moins grand à ses yeux.
De l’épopée voltairienne à la romance sentimentale L’ambitieux poème que Voltaire lui consacre, d’abord clandestinement sous le nom de « La Ligue » (1723), puis sous sa forme définitive de « Henriade » publiée à Londres en 1728, donne le « la ». A la puissance, à la bonté, le héros voltairien ajoute l’humanité. La « Henriade » permit non seulement au jeune poète de faire sa L’AUTEUR
Conservateur en chef du Musée national du château de Pau PaulMironneau, né en 1963, diplômé de l’École des Chartes,estconservateur en chef du Patrimoineetdirige le Musée national du château de Pau. Ilestauteur,entreautre,du«Chansonnier Henri IV » (éditions du Pin à crochets, 1999) ; il a dirigé de nombreuses expositions et publicationssurlerègneetlalégended’Henri IV,parmilesquelles«L’éditdeNantes» (1998) et « Voltaire et Henri IV » (2001). l
cour au Régent (qui lui-même se prenait un peu pour Henri IV), et d’écourter ainsi son séjour à la Bastille, mais elle eut aussi, pour plus d’un siècle, un très vaste succès. Le volet iconographique, soigneusement tracé dès 1722 par Voltaire, est une part importante du projet poétique. Certaines images devenues canoniques y puisent leur substance : ainsi le Vert-Galant nouveau Renaud prenant congé d’ArmideGabrielle, ou l’heureuse entrée dans Paris, dont l’immense composition du Baron Gérard (1817, château deVersailles) allait reprendretoutelatrame.Lavariété plus ambiguë du « héros en déshabillé », du « joyeux drille » qui trinque avec son peuple, est mise en scène par Charles Collé dès les années 1760 dans sa fameuse « Partie de chasse» de Henri IV, dont les couplets de « Vive Henri IV » comptent dans l’héritage imprescriptible de la chanson française. A chacun son Béarnais ; les tristesamoursd’HenrideNavarre et de Fleurette se prêtent à une esthétique romantique, et la romance absorbe les élans du roi vers la belle Gabrielle. Mais certains préfèrent, et pour longtemps, camper Henri le verre à la main, dans des poses plus gaillardes…
A Pau, le 1er mai 1793, la fameuse carapace de tortue échappe aux flammes de la Convention grâce à un pieux stratagème. Un silence passager marque le temps de toutes les désacralisations. Le réveil de la veine henricienne date des années 1806-1808 (irruption des sujets troubadour) sous l’œil suspicieux du nouveau César. Henri IV revient-il dans les bagages des Bourbons restaurés ? Inutile de s’emballer, le redoutable Béranger ramène notre Béarnais du bon côté. Plus tard, la République (même avancée) ne lui fermera pas ses portes ; le 26 février 1848, au cours de la manifestation qui suivit le discours de Lamartine sur le drapeau tricolore, c’est le drapeau rouge qu’on glisse entre les mains du bon roi statufié à la façade de l’Hôtel de ville... On pourrait multiplier les thèses et contrethèses dont ce roi aura servi, peu ou prou, l’argumentaire.
«Ilétaitbiensympathique» Du côté de la société, la séduction se conjugue à une certaine perplexité : difficile pour les romans, pour les films, de discerner la vraie personnalité de ce roi. Leshumoristess’yretrouventtout de même. On savoure les « Rubriques-à-brac » de Gotlib (1979) ; l’auteur conclut sur l’assassinat : « C’est dommage. Il était bien sympathique ». Il n’a cessé de l’être, en effet, à une longue succession de générations. Mais il n’est pas indifférent, pour une histoire européenne en quête de ses sources et de ses valeurs, que dans les romans de Heinrich Mann (« La Jeunesse d’Henri IV», 1935 et « L’accomplissement du roiHenriIV»,1938),cehérospétri de bonne humeur gasconne incarne le rocher, la citadelle à visage humain veillant contre le national-socialisme. l P. M.