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et Rhizomes
e
A
s e r c e o n b c r NoĂŠmie Mangin
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Prélude Préambule 03
Arborescence
Arborescence et Rhizomes, tels ont été les deux t i t r e s a u x q u e l s j ’a i p e n s é p o u r c e mémoire. Arborescence car mon objectif était d’établir des liens, des ponts, des allers et retours entre tout ce qui me touche dans l’art et dans le monde, de tisser des toiles qui regrouperaient les artistes, leurs références, leurs objectifs avec ma sensibilité, mes émotions et mes ambitions. Rhizomes car je voulais fouiller dans les tréfonds de mon être pour mettre la main sur les sujets, les formes et les couleurs qui résonnent en moi avec tant de fracas ; trouver les origines et les vérités aux choses. Qui de la couleur ou du son a-t-il résonné en premier ? La couleur a-t-elle engendré le son, ou le son, la couleur ? À quel moment les mots, les dessins et les peintures sont-ils venus se mélanger à ces petites émotions isolées ? À quel moment la Grande Musique a-t-elle commencé à résonner dans ma tête ? Enfin Arborescence et Rhizomes car à mesure que je grandis, à mesure que mon esprit s’élève, mon corps, lui, s’enfonce dans la terre, ses fondements deviennent plus solides et mes origines plus sûres. Mon mémoire s’articule autour de trois axes majeurs. Premièrement les analyses, puis viennent les petites choses, celles auquelles je témoigne tout mon intérêt ; puis les correspondances, une partie qui repose sur le poème de Charles Baudelaire du même nom. Enfin, une troisième partie qui aborde mes aspirations et mes inspirations. à ces trois chapitres viennent se greffer quelques pensées personnelles, quelques poèmes ou citations empruntés aux autres.
Les sujets que j’aborde, je l’espère, couvriront une grande partie de tous les sujets que j’aimerais aborder au travers de l’écriture et de l’art. Il regroupe la plupart des artistes dont je revendique l’influence et ouvre sur d’autres univers dans lesquels je puise mon inspiration et mes réponses. En attendant d’achever tous mes projets en cours et ceux qui n’ont pas encore été envisagés je vous présente ce que les autres ont fait et ce que j’aurais aimé faire avant eux… Je suis jeune, aussi ne soyez pas étonnés si, parfois, vous reconnaissez des images ou des couleurs, ne vous étonnez pas non plus du ton parfois impertinent de certains textes et ne vous étonnez pas des aspirations aux apparences naïves. Prenez, je vous prie, le temps de vous perdre un peu dans les tissages que je vous livre avec confiance. Prenez le temps de comprendre les liens que j’établis avec soin entre, ce qui pourrait paraître, contradictoire et antinomique. Enfin, prenez le temps d’essayer de vous y retrouver et de percevoir ce que je vous livre.
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Prélude Première partie 09 15 21 23 Seconde partie
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28 29 31 32 33 34 35 37 38 Troisième partie 42 43 44 45 46 48 49 50 51 52
Les Grandes Analyses Salomé dansant devant Hérode L’énigme d’une journée Pierre de Lait à propos des Grandes Analyses Les Mondes Minuscules - Petites choses Monochromes au sol Géographies Transitoires étagères spécifiques Socle pour une goutte d’eau Sculptures de fond de poche Explosion subtile étrangetés présentées sans échelle Petit film en noir et blanc La Nature est un temple - Correspondances Kymapetra Phonofolium Fluides - Forêt de symboles La nature et le corps Fleurs au fil de l’eau Les terriers Cocons Nature ennemie
Le
Sommaire Interlude Principe de Synesthésie appliquée 55 Le concert 58 - Synesthésie 59 Mondrian Greatest Hits
Quatrième Partie AspiraTions et autres inspirations 65 66 67 69 70 71 72 73
- Aspirations Là où vont nos pères Les Gardiens Cauchemar La carpe L’énigme de l’arrivée et de l’après-midi L’heure Les Grandes Cavernes Conclusion
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Première Grandes Analyses Partie Les
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Gustave Moreau, SalomĂŠ dansant devant HĂŠrode
Première Partie Gustave Moreau
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Gustave Moreau, Salomé dansant devant Hérode, 1826 - 1896
dansant devant Hérode Introduction Entre 1826 et 1896 Gustave Moreau peint Salomé dansant devant Hérode. Figure emblématique dans sa peinture, il lui dédiera d’autres toiles telles que : L’apparition ou encore Salomé Tatouée et de nombreuses aquarelles inachevées. Le tableau est une huile sur toile mesurant cent quarante-quatre centimètres de haut sur cent trois centimètres de long. Il s’agit d’une peinture d’histoire aujourd’hui conservée au Armand Hammer Museum of Art and Cultural Center. (Los Angeles, Etats-Unis) Le tableau représente la danse de Salomé devant Hérode. Extraite du Nouveau Testament, cette scène est racontée dans l’Evangile de Marc chapitre 6, versets 21 à 28 et dans celui de Matthieu chapitre 14, versets 6 à 11. La scène se situe dans la grande salle du palais du roi Hérode. Salomé, en bas à droite danse pour celuici. Dans l’atmosphère surchargée de cette peinture, Salomé avance sur les pointes de pieds, le bras gauche tendu devant elle, peut-être dans un geste de commandement, le bras droit replié. Elle tient à la hauteur de son visage une fleur de lotus ou iris. Salomé commence sa danse séductrice pour Hérode sur les accords d’une guitare dont une femme, dissimulée dans son dos, pince les cordes.
Première Partie
Salomé
Au centre de la composition, sur-cadré par des piliers imposants, et au sommet de marches en forme de demi-vasques, le roi Hérode trône, coiffé d’une tiare, les jambes rapprochées et les mains posées sur les genoux. Enfin, Hérodiade, la terrible mère de Salomé se tient au bas des marches menant au trône.
Description La scène est cadrée de manière totalement frontale, il s’agirait presque d’une représentation aspective, cependant, les piliers confèrent à l’espace une profondeur de champ ainsi qu’une forte impression d’immensité et de richesse. On pourrait presque qualifier la composition de pyramidale, une pyramide reposant sur Salomé et en haut de laquelle trône Hérode. Il n’y a pas de horschamp dans cette huile de Gustave Moreau, tous les personnages du drame à venir sont présents dans le champ. Les plans se détachent les uns par rapport aux autres grâce à une perspective atmosphérique. Au premier plan se trouve, bien entendu Salomé, ensuite viennent la musicienne, Hérodiade et Hérode vers qui convergent les regards puisqu’il se trouve au centre de la composition. Son regard à lui suit les mouvements de Salomé.
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Gustave Moreau
Première Partie
Les peintures de Gustave Moreau sont surchargées, emplies çà et là de détails picturaux, d’effets de matière et de flou qui noient les personnages dans les ambiances qu’il souhaite conférer à ses tableaux. Dans cette peinture de Salomé, les empâtements se succèdent ainsi que les couleurs diluées qui viennent évoquer la richesse et la grandeur des lieux. Le décor rappelle évidemment l’architecture de style byzantin aux fortes inspirations arabes. On y voit également quelques similitudes avec l’Alhambra de Grenade. Le dessin se perd sous les couches de peinture, il n’y a plus que pour l’œil humain des couleurs qui deviennent des personnages vaporeux en mouvements, des ombres richement vêtues, des tâches de couleurs lumineuses habitées d’une histoire. Une lumière d’or et chaude berce la scène, augmentant cette tension et cette séduction provoquée par la danse de la jeune Salomé.
Analyse
Gustave Moreau
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Gustave Moreau, célèbre peintre du XIXème siècle s’impose comme un peintre précurseur du symbolisme. En pleine période impressionniste, Gustave Moreau opte pour un style original, tout droit hérité de la Renaissance, influencé par le mysticisme, Gustave Moreau mêle des ambiances du Romantisme sombre et décadent aux grands mythes de l’antiquité. Peintre d’histoire il est fasciné par des personnages intenses, ceux de la Bible, de la mythologie grecque ou de l’Histoire. Europe, Messaline, Cléopâtre, Salomé… toutes ces figures illustres de la femme fatale et séductrice sont passées sous son pinceau symboliste. Gustave Moreau peint non pas un objet, mais un état d’âme une impression, une sensation et tout dans son tableau est référence, métaphore et parabole. Devant le tableau de Salomé, le spectateur est confronté à l’interprétation de la scène par le peintre. En effet, dans aucun passage de la Bible Salomé n’est décrite il est juste dit : « la fille d’Hérodiade dansa au milieu des convives, et plut à Hérode, de sorte qu’il promit avec serment de lui donner ce qu’elle demanderait. À l’instigation de sa mère, elle dit : « Donne-moi ici, sur un plat, la tête de Jean-Baptiste. » Gustave Moreau prend ici plaisir à faire de Salomé une femme séductrice et perverse, responsable directe de la mort de Jean-Baptiste. Le nom complet du tableau est : Salomé dansant
devant Hérode Il n’y a pas de mystère dans le titre sinon une définition directe de l’action. Cependant, le cadre de la scène demeure totalement revisité par l’artiste. Le palais d’Hérode et les costumes des personnages découlent de nombreuses références chères à l’artiste. Directement hérités d’inspirations orientales les costumes et les décorations de la salle témoignent d’une riche profusion à la fois antique et païenne. Au-dessus de la tête d’Hérode, on aperçoit une idole étrange. On hésite : Est-ce Cybèle, la déesse personnifiant la nature sauvage en Orient ? Ou est-ce une des innombrables divinités du panthéon hindou ? Qui qu’elle soit, elle trouve sa place dans cette œuvre étrange qui semble garder trace de tous les mysticismes de l’Orient.
Enfin, elle tient dans la main une fleur d’Isis. La fleur sacrée de l’Egypte, de la Grèce, de la Rome antique et de l’Inde. Isis est la déesse suprême en Egypte, elle prend les noms et aspects de Serket, Hathor, Neith et Nout, et quand elle franchit les frontières de l’Egypte elle devient Déméter, Perséphone, Diane de Dictys, Séléné, Cérès ou Minerve Cécropienne, symbole suprême de la féminité à la fois puissante et terrible. Cependant, c’est peut-être l’ambiance surchargée du tableau qui témoigne au mieux de cette perversion et de cette débauche. On imagine sans mal les parfums embaumer, voir même saturer, la pièce. Le spectateur est complétement écrasé par ces immenses piliers qui rappellent à la fois la structure austère d’une cathédrale chrétienne et celle d’un temple antique destiné à on ne sait quel dieu païen et avide. Les piliers deviennent des arches sur lesquels repose la tragédie.
Le peintre s’intéressa aussi au Moyen Age, ainsi, si ses œuvres nous renvoient à Michel-Ange, au Ti-
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Gustave Moreau
Revenons aux influences décelables dans la plupart des œuvres de Moreau. Les peintres de la Renaissance l’influencèrent le plus. Il fit d’ailleurs de nombreux voyages en Italie, désireux d’en apprendre plus sur l’art italien. Il prit le temps de copier les œuvres de Michel-Ange et de Titien ainsi que celles de Léonard de Vinci. On dit qu’il possédait un fonds photographique d’œuvres italiennes impressionnant aujourd’hui visible au Musée Gustave Moreau.
tien, on y trouve aussi des motifs médiévaux. (Voir La Licorne ). Enfin, Moreau s’est tout particulièrement intéressé aux découvertes archéologiques effectuées au Proche-Orient, en Egypte et au Mexique. Beaucoup de ses proches amis étaient des voyageurs curieux qui ramenaient de leurs voyages, bon nombre de photographies, dessins, récits … L’art de Moreau est un art référentiel, chargé de symboles et de sens cachés. Il n’est donc pas étonnant qu’on ait qualifié son art, d’art érudit (à l’instar de Raphaël) dont le sens profond nous parvient si l’on sait déceler les subtiles références aux croyances et représentations antiques.
Première Partie
D’ailleurs Hérode lui-même reste figé dans une pose de dieu Hindou. Hérodiade, elle, a le visage voilé, figure de la femme observatrice et manipulatrice et demeure en retrait de la scène. Elle laisse sa fille séduire Hérode et attend de pouvoir obtenir la tête de St Jean-Baptiste. Les costumes aussi témoignent de cette forte influence orientale. Le peintre semble d’ailleurs vouloir rester hors des siècles. En plaçant Salomé au milieu de cet extraordinaire palais, d’un style confus et grandiose, en la revêtant de cette somptueuse robe presque transparente, il nous livre Salomé tel que lui l’a rêvée, hors du temps et de l’espace, l’image (selon vraisemblablement une interprétation psychanalytique) de la femme castratrice, que l’on désire mais qui terrifie. Ainsi décrite, elle n’appartient plus au monde biblique mais aux légende de l’Extrême Orient. D’autres ont vu des références à la prostituée de l’Apocalypse car elle est vêtue comme elle, de bijoux et de joyaux.
Première Partie Gustave Moreau
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Conclusion L’image de la femme est obsessionnelle dans l’œuvre de Moreau. On la retrouve en héroïne mythologique, biblique ou antique : dans la plupart des cas, elle est maudite et vecteur de mort. Nombreux sont les artistes a avoir représenté Salomé. On peut citer les plus célèbres, antérieurs à Moreau, il y a bien entendu Caravage qui en 1609 nous livre une peinture de Salomé avec la tête de Jean-Baptiste, une huile à la fois crue et morbide ; Titien, évidemment, peint également Salomé en 1512, mais elle passe aussi sous les pinceaux de Cranach, Regnault Henri en 1870, Gian Francesco Barbieri, dit Le Guerchin entre 1591 et 1666, et surtout sous le pinceau de Gustave Klimt dont le trait et les compositions découlent tout droit de l’art symboliste. Lui aussi noie Salomé dans des enluminures d’or, un gros plan sur son visage nous laisse deviner une Salomé moderne et, là aussi, séductrice. A L’instar de Moreau, Klimt a choisi de représenter Salomé seule, la tête de Jean-Baptiste ne l’accompagne pas, alors que ce fut le cas dans la plupart des tableaux des grands maîtres. Pour Moreau, comme pour Klimt d’ailleurs, il n’y a rien qui détourne le regard de cette femme dangereuse et sensuelle telle qu’ils l’ont rêvée. Elle s’émancipe de la culture biblique pour devenir cet être fantasmé et désirable.
Première Partie
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Gustave Moreau
Première Partie Giorgio De Chirico
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Giorgio De Chirico, L’énigme d’une journée, 1941
d’une journée
Introduction Le tableau L’énigme d’une journée est peint en 1914 lors du premier séjour de Giorgio de Chirico à Paris entre 1911 et 1915. Il sera exposé au salon des Indépendants cette même année, et sera acquis par André Breton qui l’accrochera au-dessus de son lit et le conservera sa vie durant. L’énigme d’une journée est une huile sur toile mesurant 185,5 cm sur 139,7 cm. Il est aujourd’hui conservé au Musée d’Art Moderne de New York. On n’a jamais su rapprocher la peinture de Chirico d’un genre pictural. On l’a qualifiée à juste titre de peinture métaphysique. À mi-chemin entre la philosophie et la théologie, la métaphysique porte sur la recherche des causes, de l’éternel « pourquoi » mais surtout cherche à découvrir la cause première, la cause de l’univers, de la nature et de la matière. Chirico, en mettant en scène des objets étranges dans des univers qui semblent parallèles, cherche à répondre à ces questions.
Description
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Giorgio De Chirico
La composition de L’énigme d’une journée s’articule autour de deux lignes de force majeures. La première est la ligne qui délimite la zone d’ombre qui occupe l’espace du premier plan, la seconde est celle formée par les deux bâtiments, dont un situé légèrement hors champ, qui se dressent à droite et à gauche du tableau et fuient vers un point de fuite situé au-dessus de la ligne médiane du tableau. Les plans se succèdent et structurent la profondeur de l’espace du tableau. Au premier plan, au milieu de l’image, se dresse une statue hissée sur un socle qui atteint presque la hauteur des arcades situées sur sa droite, elle tourne le dos au spectateur. Derrière, sur la gauche on distingue une petite cabane en bois, la même que celle qui occupe le premier plan de Mystère et Mélancolie
Les différents éléments se positionnent statiquement, bien qu’ils ne possèdent pas de contours propres. Les formes sont appuyées et précises, les couleurs ne se rencontrent pas, elles s’affrontent. À ce niveau, les choix de Chirico sont violents, le jaune du sol et le bleu presque vert du ciel s’affrontent, violemment traversés ça et là de verticales rouges. Les couleurs primaires créent une tension dramatique, les tons saturés et intenses, passés à plat, renforcent le sentiment d’immensité et de dramaturgie. Enfin, la lumière directionnelle venant de la droite traverse l’image, le spectateur observe la scène à contre-jour, les ombres des éléments s’étendent vers lui, aplatissant les volumes, renforçant leur présence dans l’image. On se pose la question de l’origine de la lumière, on aimerait croire à une lumière naturelle, pourtant le ciel noir ne laisse pas place à la présence d’un soleil. Seul le sol semble éclairé renforçant cette ambiguïté dérangeante. La touche de Chirico est lisse, les coups de pinceaux sont invisibles et finissent de poser cette place monumentale. Elle est sous un soleil de plomb en même temps qu’elle écrase le spectateur.
Première Partie
L’ énigme
d’une rue sauf que cette fois, les portes sont closes. Enfin, on découvre les deux petites silhouettes dont on ne distingue ni les mouvements, ni les vêtements, ni même les visages. La peinture est fermée au dernier plan par un mur d’usine duquel dépassent deux cheminées au-dessus desquelles pèse un ciel noir, bas et lourd. L’alternance des éléments situés tantôt sur la droite tantôt sur la gauche crée une stabilité, une immobilité angoissante. Il s’agit ici d’une perspective linéaire, aucune variation de couleur ne vient indiquer l’éloignement des éléments et cela renforce la pesanteur de la peinture. La perspective, assez étrange, place le spectateur au-dessus de la scène, pourtant, il a le sentiment d’être écrasé par le décor. L’organisation de la toile fait que le spectateur, dont le regard est tout d’abord attiré par la grande zone sombre au premier plan, doit lever les yeux pour découvrir l’intégralité de la toile, en même temps qu’il découvre la peinture, il découvre l’immensité dans laquelle De Chirico l’a plongé.
Première Partie Giorgio De Chirico
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Peinture Métaphysique : Analyse De Chirico peint cette toile en 1914, il inaugure à ce moment-là, le motif de la place italienne, récurrente dans son œuvre, avec laquelle il entame la grande période qui l’a fait connaître : la peinture métaphysique. On attribue à Giorgio de Chirico et à Carlo Carrà la fondation de ce mouvement artistique italien. Bien que Giorgio de Chirico soit né à Volos en Thessalie, en Grèce, il était Italien. Le but de la peinture métaphysique, qui ne deviendra pas tout à fait une école de peinture à part entière, est de représenter ce qu’il y a au-delà de l’apparence physique de la réalité, au-delà même de l’expérience sensorielle. L’idée de ce mouvement est de conserver l’aspect figuratif des choses tout en se s’éloignant du monde. Les images proposées sont étranges, figées dans le temps et dans l’espace, et donnent à réfléchir quant à des questions métaphysiques. Giorgio de Chirico était connu pour mettre en relation dans ses toiles, des objets ou des éléments n’ayant pas de lien entre eux, aucune unité de fonction ou de forme, procédé qui influencera profondément les surréalistes par la suite et qui s’appuie, là aussi sans doute sur Les Poèmes de Maldoror de Lautréamont. Quand on est face à la peinture de Chirico la citation « Beau comme la rencontre fortuite d’un parapluie et d’une machine à coudre sur une table de dissection. » nous vient en tête. En effet la peinture de Chirico nous plonge dans une perplexité à la fois grave et profonde, la mise en relation de ces éléments crée une atmosphère dérangeante, proche de la psychanalyse. Le concept « d’inquiétante étrangeté » énoncé par Freud trouve également sa place dans cette œuvre.
C’est le père de Giorgio de Chirico qui l’initie à l’art de la Grèce antique, ce qui explique que l’on reconnaisse assez souvent dans nombreuses de ses toiles la présence de plâtres qui n’ont eu de cesse d’être repris dans la peinture académique. On y discerne peut-être les prémices de son retour entre 1920 et 1930 à un art plus traditionnel où il deviendra nécessaire pour lui de réapprendre les techniques picturales et graphiques, de s’appuyer sur les deux principes fondamentaux de la peinture que sont la couleur et le dessin, et de copier les maîtres, acte qu’il dénonçait avant et qui signera une bonne fois pour
toute la rupture avec les surréalistes. Reprenons sur L’énigme d’une journée. En effet, c’est une énigme insoluble que nous propose de Chirico à travers cette peinture. Tout d’abord, nous ne pouvons situer le « quand » de la scène. La grande statue qui occupe le premier plan représente une personnalité de l’époque du Risorgimento, (seconde moitié du XIXème siècle au cours de laquelle la maison de Savoie unifiera la péninsule italienne ). Elle a la droiture et la raideur des visages politiques et le bras tendu dans un geste éloquent qui témoigne du souvenir de cette époque. Elle tourne le dos au spectateur et semble regarder ce que nous ne pouvons voir. Au contraire de Friedrich qui plaçait ses personnages comme cela afin d’inviter le spectateur à le suivre dans la toile, la statue ici se détourne de celui qui regarde, comme s’il n’avait pas la moindre importance pour elle. On l’imagine pourtant mélancolique, portant son regarde vers un ailleurs qu’on ne voit pas, comme si elle prenait vie et dépassait ses créateurs… Ou on l’imagine, assassine, à l’image de la Vénus d’Ille de Prosper Mérimée publiée en 1937, car elle est menaçante, sa taille atteint presque la hauteur des arcades. D’ailleurs peut être regarde-t-elle les deux silhouettes qui s’éloignent… ou s’approchent, car là non plus, on ne sait pas.
Première Partie
Les arcades, quant à elle, renvoient à l’époque antique dans laquelle l’art n’a eu de cesse d’aller puiser son inspiration. Les arcades antiques se reproduisent à l’infini, perdant le spectateur dans cette immensité. On ne peut exactement les dater, peut-être à l’époque des Grecs dont l’histoire marque de Chirico. Et puis il y a cette étrange cabane de bois aux portes closes qu’on ne peut situer dans le temps. Enfin, comme une réponse aux références architecturales historiques, les grandes cheminées des usines viennent fermer la toile. Ici c’est la société européenne industrialisée qui est représentée, mais contrairement à ce que beaucoup ont pensé, elle n’apporte pas de fuite ni de chemin possible, elle vient clôturer une histoire, elle vient clôturer la toile, brisant l’espace et rendant impossible toute évasion. Malgré tout cet espace, l’homme n’a nulle part où aller, et les seuls chemins disponibles sont fermés. La perspective fausse, plonge vers un arrondi à droite et accentue la sensation d’inconfort. C’est là aussi, une part de l’énigme dans laquelle Chirico nous plonge. L’ombre gagne progressivement l’espace, on imagine une chaleur accablante qui vient écraser la scène, on reconnaît ce soleil méditerranéen avec lequel Chirico a grandi et qui, en touchant la terre, crée d’immenses ombres. On imagine ce soleil carnassier venir nous assommer, on imagine le malaise de ces journée trop chaudes. D’ailleurs est-ce bien la journée ? Le ciel est noir, presque un ciel de nuit arrosé de jaune. Aucun bruit, aucun mouvement ne vient perturber cette heure arrêtée. Aussi, tout est trop calme et devient suspect. Où est la vie ? Elle demeure écrasée par le temps qui ne passe pas sous un beau fixe menaçant.
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Première Partie
Les deux silhouettes : Le Puctum Mais, le punctum, comme la qualifierait peut-être Roland Barthes, ce sont ces deux petites silhouettes au loin, si touchantes, perdues dans l’immensité de l’espace. Ces deux silhouettes dont on ne distingue rien, rappelle cependant que l’humanité est bien là, qu’il y a l’empreinte de l’homme et de l’histoire de l’homme dans cette toile. Une vision d’ailleurs bien funeste de son histoire comme si la course vers la modernité nous avait déshumanisés, comme si nous étions devenus deux petites silhouettes désincarnées, perdues dans des espaces maintenant trop grands, dans des éternités pétrifiées, comme si l’homme était maintenant dans un monde qui le dépasse dont il ne comprend plus rien. Les bords latéraux du tableau semblent être sur le point de se rapprocher et de comprimer les deux individus qui n’en sont pas moins touchants.
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La toile crée une angoisse, celle semblable aux cauchemars absurdes dont nos nuits sont parfois agitées et auxquels de Chirico semble vouloir apporter la réponse à leur origine ainsi que Shakespeare l’a dit : « Les rêves dont je parle prennent naissance dans les cerveaux malades. ». (Roméo et Juliette, acte I scène IV) Les silhouettes rappellent que l’humanité est bien là, mais oubliée et broyée par sa propre histoire. La ville est à la fois ni contemporaine ni ancienne et pourtant elle est à la fois l’un et l’autre. La réponse à l’énigme de Chirico serait-elle que l’histoire de l’homme n’a pas de sens ? Que nous sommes condamnés à errer à travers des représentations et des architectures qui nous écrasent ? C’est en plaçant le spectateur au croisement de son histoire et de l’évolution du monde européen que Chirico pose les questions fondamentales et métaphysiques qui le tourmentent.
Il n’y a aucune présence de végétation dans cette toile, peut-être Chirico voulait-il signifier la rupture de l’homme avec la nature dans son avancée vers la modernité ? En représentant dans un seul cadre, l’homme au coeur de trois époques majeures dans son histoire et pris au piège au milieu de ses institutions, (la statue symbolise la politique, les arcades la religion et l’usine l’industrie) et en bloquant toutes les échappatoires, Chirico pose particulièrement la question de l’absurdité de la vie telle que l’homme l’a appréhendée, telle que l’homme se l’est appropriée. Étrangement, il semble condamner la modernité, figurée ici par cette usine rouge qui vient priver les personnages de tout horizon. Cela explique peutêtre, pourquoi après avoir été à l’origine d’un mouvement des plus modernes du XX ème siècle, Chirico se détournera de la modernité pour se replonger dans l’académisme et pourquoi il copiait sans cesse ses propres toiles dans le but de trouver les réponse aux éternelles questions métaphysiques qu’il nous posait et se posait à lui-même et auxquelles aucune science ne semble pouvoir apporter de réponse. Selon Jean Clair, (historien de l’art né en 1940) l’idée de métaphysique chez Chirico est associée à la solitude des signes. Chaque objet, chaque forme apparaît comme enfermé dans sa propre solitude, la solitude infinie d’une éternité fixe.
On l’a dit, Chirico a fortement influencé les surréalistes et plusieurs d’entre eux se sont clairement positionnés à sa suite dans l’histoire de l’art, même si leur séparation est brusque dans les années 20-30. Salvador Dali, avec ses montres molles dans La Persistance de la mémoire exploite ce thème de l’éternité figée et on reconnaît dans quelques-uns de ses objets à fonctionnement symbolique cette association inattendue et insolite créant chez le spectateur un sentiment de surprise et d’amusement mêlés souvent de malaise. De Chirico influence encore grandement la culture actuelle et traverse les genres et les modes. Dans l’album Tintin au Tibet de Hergé, le capitaine Haddock s’endort et rêve qu’il évolue dans des décors très inspirés des peintures de Giorgio de Chirico. Il croise le professeur Tournesol qui lui dit qu’il est à la recherche de son parapluie et une fois de plus, la référence aux Poème de Maldoror est évidente.
siques des peintures de Chirico, avec ce petit plus car on peut réellement s’y promener et s’y perdre sans espoir de retour.
Le dessin animé, Le Roi et l’Oiseau, créé par Paul Grimault, avec des textes de Jacques Prévert d’après La Bergère et le Ramoneur de Hans Christian Andersen, sorti en mars 1980 est là aussi très clairement inspiré de Chirico. Les personnages fuient l’oppression à travers des décors trop grands et ne sont souvent représentés dans le cadre que par de vagues silhouettes égarées. De grandes arcades, semblables à celle de L’énigme d’une journée, les mènent dans les bas-fonds de la ville et les perdent. Dans ce film, à l’instar des peintures de Chirico, les statues jouent un rôle important et sèment un trouble chez le spectateur entre vérité matérielle et représentation du monde ou comment les deux se confondent.
Première Partie
Conclusion
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Giorgio De Chirico
Enfin, la superbe création du studio Team Ico Ico, sorti en 2001 et réalisée par Fumito Ueda s’ancre tout particulièrement dans le travail de Giorgio De Chirico. Le scénario semble avoir été écrit pour lui : un jeune garçon est rejeté par son village et condamné à errer dans une immense forteresse sans fin (très largement inspirée des peintures de Chirico) car il est né avec des cornes. Il rencontrera une jeune fille aux allures fantomatiques qui ne parle pas. Le joueur, au contrôle du jeune garçon, déambule dans les décors immenses et angoissants, l’ambiance est étrange et inquiétante et la question du « pourquoi existentiel » n’a de cesse de se poser. Le jeu retranscrit la solitude, l’angoisse, le silence et l’absurdité métaphyTeam Ico : Ico
Première Partie Wolfgang Laib
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Wolfgang Laib, Pierre de lait, 1981
de lait
Introduction La pièce est grande, blanche. Une pierre est placée en son centre, une grande pierre blanche et parfaitement carrée. C’est une pierre, une magnifique pierre de marbre, parfaitement creusée, un carré parfait et rempli de lait, si parfaitement rempli que la séparation entre le liquide et le minéral ne se voit même pas. On devrait percevoir les vibrations de l’air à la surface du lait mais rien, pas même notre souffle, ne vient perturber la sérénité totale de la pierre de lait. Elle est le minéral et le liquide à la fois. Elle est la maîtrise et l’équilibre, le calme et l’éternité.
Pierre de lait : Analyse Depuis le mythe de Prométhée, il existe entre l’âme et la pierre un lien étroit, on dit même que la pierre a conservé une odeur de l’homme. La pierre est à l’image du monde, de la maison et de l’abri. Le temple est bâti sur la pierre brute, si une fois taillée, on a pensé qu’elle perdait son caractère sacré car l’œuvre de dieu était transformée, une fois polie, nettoyée et lissée, elle redevient parfaite et peut redevenir un élément sacré. On accorde à la pierre brute une androgynie qui est à l’image de la perfection de l’état primordial. La pierre de Wolfgang Laib est proche de la perfection. Aucun accroc, aucune cassure ne vient perturber la surface polie et parfaitement blanche de la pierre qui joue ici le rôle d’un réceptacle à caractère sacré.
Conclusion 22
Dans l’œuvre de Laib, la pierre c’est le socle, le porteur à l’image d’un Graal qui contient le breuvage qui confère à la fois immortalité et sagesse. Le lait, c’est la boisson spirituelle. La pierre emplie de lait est à l’image de l’homme qui se nourrit de la parole de Dieu, à l’image de l’homme qui fait le lien entre le ciel et la terre, à l’image d’un sacré retrouvé.
Wolfgang Laib
La pierre au cours des époques et des histoires a joué de grands rôles, elle était le symbole de la terre mère, l’instrument de clairvoyance des chamanes, la pierre était à la fois vivante et donnait la vie. Elle était aus-
De son côté le lait possède de grandes connotations d’ordre spirituel. Il est à la fois associé à la fécondité, à la mère et aussi au feu céleste. On pensait, dans les peuples d’Asie centrale, qu’il était le seul élément en mesure d’éteindre les incendies provoqués par la foudre et il était de bon ton d’offrir un verre de lait aux divinités du tonnerre. On dit aussi que rêver de lait, c’est rêver de science et de connaissance mais surtout, le lait est par excellence la nourriture spirituelle. Les enseignements de Dieu (Ancien Testament) sont comparés à du lait et pour les Celtes il était l’équivalent de la boisson d’immortalité. Enfin, consommer du lait, comme consommer du riz c’est consommer du pur car le blanc est depuis toujours symbole de pureté. D’ailleurs le blanc est récurrent dans les installations de Wolfgang Laib, c’est sans doute ce qui donne à son travail cette dimension sereine.
Première Partie
Pierre
si instrument philosophique, la pierre philosophale capable de transmuter le plomb en or, le vil en sacré.
Première Partie
Grandes Analyses :
Conclusions
Gustave Moreau : Salomé dansant devant Hérode
Conclusion
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Le choix de Salomé dansant devant Hérode s’est imposé tout simplement lorsque le besoin s’est fait sentir de parler de Gustave Moreau. Salomé, et son équivalent lumineux Judith, sont des figures récurrentes dans l’histoire de la peinture, pourtant sous le pinceau de Moreau, la séductrice prend soudain un autre aspect. Il offre une vision tout à fait neuve du personnage de Salomé. Ce qui m’a toujours séduite dans la peinture de Moreau ce sont ces profusions de détails, harmonieusement agencés autour de scènes intenses, tirées des grands mythes antiques et intemporels. Pour ma part, le fait de parler d’un tableau représentant Salomé n’était pas anodin. La mise à mort de Jean-Baptiste par Hérode afin de satisfaire Hérodiade a toujours été, pour moi, un épisode particulièrement marquant de l’Ancien Testament. Je m’identifiais beaucoup à Jean-Baptiste, parti vivre dans le désert, loin des villes et des hommes afin de prêcher la vérité à ceux qui voulaient l’entendre. Est-ce le fait qu’au XXI eme siècle, l’idée même de sacré puisse être bafouée, qui crée ce besoin de, parfois, se retourner vers les figures mythiques du passé, ce besoin de s’en retourner aux sources et de se replonger dans les mystères et les croyances mystiques d’autrefois ? Pour ma part, je considère la peinture de Moreau comme intemporelle. Sa touche si particulière et ses peintures chargées de sens et de symboles font qu’elles me touchent au delà du temps. Il est important de préciser que Gustave Moreau fut la source d’inspiration de nombreux autres artistes tels que Gustave Klimt et surtout Yoshitaka Amano dont je revendique aujourd’hui l’influence.
Première Partie
Giorgio De Chirico : L’énigme d’une journée
Wolfgang Laib : Pierre de Lait
J’ai aimé Giorgio De Chirico après être tombée éperdument amoureuse de la création de Fumito Ueda qui prouve avec audace qu’un jeu vidéo peut être une œuvre d’art. Après cette rencontre bouleversante avec Ico, j’ai doucement remonté la pente des influences du jeu afin de déboucher un jour sur les peintures de Giorgio De Chirico. On a souvent comparé ses peintures à des cauchemars, pourtant elles ne m’ont jamais terrorisée. Elles m’ont absorbée. Elle ne sont pas à l’image de mes cauchemars mais à l’image de mes interrogations, de ma perplexité face à l’existence. Elles sont les instants qui me figent dans l’incompréhension du temps et de l’espace, torturés depuis toujours par l’éternel « pourquoi ? » Les peintures de Chirico ne répondent pas à mes questions mais il représente de manière tout à fait figurative, et presque narrative, cet instant d’interrogation, ce moment où la barrière entre tangible et invisible semble s’effriter.
Je n’aurais probablement pas aimé le travail de Wolfgang Laib si on s’était contenté de me l’évoquer. Seule une rencontre tout à fait inattendue et surprenante avec son exposition : Without place, Without Time, Without Body, a su créer ce vif intérêt pour son travail. Trois ans se sont écoulés avant qu’enfin je puisse poser des mots sur son travail et ses réalisations. C’est avec joie que j’ai cherché dans les méandres de ses oeuvres pour y trouver un sens. Mon interprétation demeure personnelle et repose sur la mise en relation des objets que Laib a choisi de lier. Ce qui a pu me toucher dans le travail de Laib, c’est sans aucun doute cette intemporalité et cette sérénité universelles, cette pause dans le flot de la vie, cet ailleurs spirituel aux diverses influences à la fois religieuses et philosophiques, entre anciennes représentations européennes et croyances orientales.
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Wolfgang Laib
Seconde Mondes Minuscules Partie Les
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Tony Diterlizzi - Deep Forest Spirit Extrait du Monde Merveilleux qui vous entoure.
Seconde Partie
Les Mondes Minuscules
Je me suis souvent allongée à plat ventre dans l’herbe pour en regarder les brins à la lumière du soleil. Le monde est rempli de petits et de tout petits mondes, imbriqués les uns dans les autres, tant et si bien liés, reliés, entrecroisés, emmêlés et indémêlables que les frontières sont brouillées et disparaissent à notre vue. Ces micro mondes qui se résument à une touffe d’herbe ou une petite butte de terre ont été le terrain des jeux de mon imaginaire. Qu’est ce que cela fait d’être une fourmi ? À quoi ressemble son horizon depuis ses 2 millimètres ? Les herbes folles lui semblent-elles être des arbres ?
Alors je levais la tête et tentais d’imaginer que c’était moi cette petite chose, que mes arbres étaient faits d’herbe, les montagnes devenaient un simple trou de taupe … J’étais soudain une sorte de petit personnage affublé d’antennes de sauterelles, je portais une petite armure d’écorce dont les pièces étaient tissées entre elles par des herbes vert tendre et j’arborais fièrement une lance de petit bois surmontée d’une fleur, un pissenlit qui semait, au gré de mes bondissements dans ce nouveau monde, ses petits parachutes et qui semblait m’escorter dans mes grandes aventures dans le petit monde.
Je n’entretiens pas à l’égard de la nature de représentation faussée par une naïveté ou un romantisme dont je ne pourrais me défaire. Je la sais aussi terrible et cruelle qu’elle est belle et harmonieuse. J’ai vu des insectes qui pondent leurs œufs dans les carcasses d’autres animaux, dont la progéniture fait exploser la panse pour s’extraire. Je sais que le même jour où je prenais plaisir à contempler une petite coccinelle qui gravissait une tige avec détermination, à quelques centimètres de moi, un serpent gobait une souris, une mante religieuse décapitait son mâle …
Non, ce qui me fascine dans la nature ce n’est pas son apparence de calme serein et doux, c’est la complexité avec laquelle elle se met en place, la perfection avec laquelle les choses s’enchaînent et la source d’inspiration intarissable qu’elle offre aux yeux attentifs des artistes. Rebecca Dautremer, Tony Diterlizzy, Claude Ponti, Paul Kidby et moi-même avons sans doute eu le même jardin, nous y avons croisé les mêmes créatures, nous y avons tissé les mêmes aventures.
Mondes Minuscules
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Rebecca Dautremer : illustrations issues d’albums divers
Il y a de toutes petites choses que l’on ne remarque pas. De toutes petites choses pourtant si parfaites qu’elles mériteraient notre attention la plus profonde et la plus sincère. Il y a des gouttes d’eau, toutes aussi infimes qu’elles soient, qui sont d’une perfection et d’une complexité naturelle absolue. Les « micro mondes » qui se forment autour de nous ont toujours su capter davantage mon attention que les grands édifices. Je n’ai jamais aimé les grandes choses car je n’y trouve pas mon accomplissement. Je ne suis pas audessus du monde, je suis dans le monde. L’intérêt que je porte aux petites choses est aussi grand qu’elles sont infimes.
Seconde Partie
à propos des petites choses
Benoit Pype et Wolfgang Laib, entre autres, ont offert à ces infimes éléments naturels leur place au sein de l’art. Quoi de plus artistique d’une goutte de rosée fragilement suspendue à une feuille un matin ? Qu’une feuille de saule qui, doucement se replie sur ellemême comme on s’endort ? Nous ne verrons pas de créations plus complexes, plus spontanées, que les effets de la nature.
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Tout petit, disparaît à la vue de ceux qui gardent les yeux clos
Tout petit, apparaît devant mes yeux et gagne mon imagination
Océan du tout petit presque aussi grand que le désert ou dessèche mon âme Petites choses
Quand l’inspiration me manque
Rebecca Dautremer : la tortue géante des Galapados
Seconde Partie
Wolfgang Laib
Without place, Without Time, Without Body Les couleurs sont comme des sons et les installations de Wolfgang Laib sont des symphonies
Petites choses
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Ils ont pourtant été nombreux à explorer les méandres de la couleur pure, Rothko et les fauves avant lui. Soigneusement disséminés à travers les grandes étendues de blanc du musée, les petits tas de riz de Wolfgang Laib sont des notes placées avec précision sur une partition, et les cinq petits tas de curry, parfaitement disposés au centre de la salle sont un crescendo aussi intense qu’inattendu. À mi-chemin entre le Land Art et l’Art Minimal, la travail de Wolfgang Laib fait voyager, il projette dans la plénitude de l’inconscient débarrassé de toute matérialité. Il est sobre, simple, épuré. Il est parfait. Il exige l’effort et la concentration extrême, recherche les liens originels de l’homme avec la nature et nous fait voyager dans des univers minuscules en dévoilant la beauté des ressources de la terre.
Le riz, le pollen, les épices, le lait et la cire sont les matériaux récurrents des créations de Wolfgang Laib. Autant de matières naturelles, récoltées avec soin, qu’il ramasse jour après jour pour pouvoir enfin les présenter au sein des musées. Autant de matières naturelles chargées de sens, d’image de culture et d’émotion que Wolfgang Laib agence.
Seconde Partie 30
Petites choses
Petites choses 31
Seconde Partie
BenoĂŽt Pype
Seconde Partie
Géographies transitoires Méandres des villes Labyrinthes de nervures La feuilles périt à mesure que la ville grandit
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Étagères spécifiques « Les feuilles de saule pleureur semblent conçues pour s’adapter au mobilier : une fois déposées, elles sèchent et forment en quelques jours des spirales à la mesure des espaces vides, progressivement investis. » Benoît Pype Les artistes du Land Art sont sortis des musées, ils sont allés créer hors des murs, ils ont renoué avec la nature. Benoit Pype, Wolfgang Laib et d’autres ont procédé de manière inverse. Ils ont introduit dans les hauts lieux de l’art des éléments naturels auxquels ils ont su conférer une dimension artistique. C’est l’intrusion de la nature dans l’art, c’est la rencontre de deux mondes non antinomiques qui entrent en résonance. Petites choses
Seconde Partie
Socle pour une goutte d’eau
Benoit Pype a commencé à s’intéresser de son côté à d’autres toutes petites choses, d’autres petits mondes tout autant en lien avec notre monde. À ces tout petits éléments, ces toutes petites choses incongrues, il leur offre un socle et les hisse au statut d’œuvre. À l’instar de Wolfgang Laib et sa Pierre de lait sur laquelle il est probablement inutile de revenir, il offre à ces petites perfections de la nature un réceptacle. Le socle pour une goutte d’eau est présenté dans une boite qui confère à la minuscule réalisation un statut similaire à une pierre précieuse, soigneusement présentée dans un écrin.
Petites choses
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Comme il avait perçu la perfection d'une toute petite goutte d'eau infime et lui avait offert un écrin digne d'une pierre précieuse, Benoit Pype s'est arrêté sur un élément tout aussi insolite et surprenant et lui a donné une intensité nouvelle. Les sculptures de fond de poches ont été réalisées avec tout ce que l'on trouve au fond des poches : les petites peluches et bourres de tissu qui se nichent dans les coins, qui se mêlent à la poussière et que l'être humain traîne avec lui tout au long de son quotidien.
Seconde Partie
Sculpture de fond de poche
En leur offrant un socle sur lequel Benoit Pype s'attarde avec délicatesse et patience, le tout petit, l'invisible et l’anodin fait son entrée dans le champ de l'art. Les photos des sculptures de fond de poche sont tout à fait incroyables car elles jouent sur deux niveaux d'échelle, présentée ainsi, la sculpture semble immense, au moins aux mêmes proportions qu'une œuvre de Brancusi ou un objet Dard de Marcel Duchamp. Il a su conférer à ces petites réalisations la courbe, dynamique et épurée, récurrente dans la sculpture contemporaine. 34
Petites choses
Seconde Partie
Benshamma
Explosion Subtile Le dessin de Benshamma révèle les méandres des mouvements naturels par des successions d’écritures graphiques. Il fige les effets de la nature en pleine action comme pour en comprendre et en retranscrire les mécanismes. à l’exact mi-chemin entre les grandes et les petites choses, Benshamma joue sur la rencontre des deux. Il présente l’immense, composé de minuscules choses, et le tout petit à échelle immense. Il place le spectateur à ce point étonnant et crucial de la nature en plein changement.
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C’est une explosion subtile d’une multitude de « micro-mondes » figés en cet instant où, paradoxalement, tout implose.
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Petites choses
Seconde Partie
Mogarra
étrangetés présentées sans échelle
Le sucre est un royaume. Le sucre, les feuilles, les hautes herbes, les parterres de fleurs de la voisine, les grains de sable, les accidents sur une pierre … sont des royaumes. Et ça, cette petite vérité sur l’infime des choses, Mogarra l’a compris. Ces photos méritent, et vous en conviendrez, l’adjectif d’étrange. Trois morceaux de sucre deviennent la mythique Tour de Babel, trois autres un temple sacré sur une écorce qui semble dériver au gré d’une eau noire comme l’ultime épreuve au pèlerin venu prier son dieu. Ces petits éléments, extirpés du quotidien, photographiés sans autres éléments extérieurs qui nous donneraient une idée vague de l’échelle, prennent soudain une dimension immense, infinie. 37
Les photographies de Mogarra ont cet intérêt, en plus d’être à la fois étranges, très cinématographiques et narratives, qu’on ne sait jamais à quelle échelle nous sommes confrontés. Sont-ce de petites choses présentées en grande échelle ? Ou de grandes choses présentées de manière minuscule ? C’est en plein paradoxe que nous nous retrouvons en regardant ces photographies Ce qu’il appelle le nuage, est-il vraiment un nuage ? Ou est-ce un morceau de coton soigneusement découpé par l’artiste sur lequel il projette ses rêveries ?
Petites choses
Bienvenue dans ce monde en noir et blanc. Tour à tour la lumière et l’ombre se joueront de toi. Comme Alice tombée au fond du trou, Tantôt immense, tantôt minuscule, au risque d’être piétinée et broyée par le mystère trop présent.
en
Seconde Partie
Petit Film Noir
Noir et Blanc On avait entendu un crissement, un sale crissement du genre de ceux qui annoncent des choses pas belles, des sales choses … le genre de chose qui fait que c’est moi qu’on appelle après. Ça n’avait pas traîné, le téléphone avait sonné, on m’avait annoncé la nouvelle. Un sale crissement, une voiture qui part dans le décor, deux morts et c’est moi qu’on avait mis sur l’affaire. C’est pas étonnant. J’étais le genre de type taillé comme Hemprey Bogart, j’étais né dans un film noir américain. Mon monde était en noir et blanc, je me méfiais des blondes à l’air fragile parce que c’est toujours elles qui trahissent à la fin des films, je me méfiais de tous les types qui marchaient derrière moi, je fumais le cigare en regardant au loin, avec le même air inspiré que les inspecteurs au cinéma … sauf que là, mon regard ne portait pas loin, il portait sur une carcasse fumante de voiture à moitié explosée dans un mur, près de Main Street et mon regard ne portait pas plus loin que la fumée qui s’échappait du capot, et mon regard ne portait pas plus loin que le bras ensanglanté qui dépassait de la fenêtre.
On avait toutes les hypothèses, de l’accident à l’acte criminel avec préméditation. Je penchais pour le crime, l’inspecteur de police, le même genre d’idiot que dans les Sherlock Holmes, lui penchait pour un accident. Cet idiot n’avait pas remarqué qu’il n’y avait aucune trace de pneu ? Que le conducteur et sa passagère n’avaient rien tenté sur 300mètres pour éviter le drame ? Je me souviens de cette femme, une blonde toute frêle, venue me voir parce que son mari avait disparu … Le même homme assis au volant de la voiture défoncée. J’aime bien quand les histoires commencent comme ça. J’aime quand l’enquête est un film noir, j’aime quand je vais encore pouvoir montrer à cet abruti de flic comment il faut faire son boulot, j’aime quand une enquête commence, quand je sens dans mon dos le souffle du tueur, toujours plus proche qu’on ne l’imagine. J’aime quand, enfin, l’histoire se termine, quand je suis encore en vie et que je peux rentrer chez moi en sécurité…
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Petites choses
Troisième Nature estPartie un temple La
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Philippe Lechermeier - ĂŠric Puybaret Couverture de Graine de Cabanes.
Troisième Partie 41
La Nature est un temple Correspondances
La vie antérieure
La nature est un temple où de vivants piliers Laissent parfois sortir de confuses paroles; L’homme y passe à travers des forêts de symboles Qui l’observent avec des regards familiers.
J’ai longtemps habité sous de vastes portiques Que les soleils marins teignaient de mille feux, Et que leurs grands piliers, droits et majestueux, Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques.
Comme de longs échos qui de loin se confondent Dans une ténébreuse et profonde unité, Vaste comme la nuit et comme la clarté, Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
Les houles, en roulant les images des cieux, Mêlaient d’une façon solennelle et mystique Les tout-puissants accords de leur riche musique Au couleurs du couchant reflété par mes yeux.
Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants, Doux comme les hautbois, verts comme les prairies, - Et d’autres, corrompus, riches et triomphants,
C’est là que j’ai vécu dans les voluptés calmes, Au milieu de l’azur, des vagues, des splendeurs, Et des esclaves nus, tout imprégnés d’odeurs,
Ayant l’expansion des choses infinies, Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens, Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.
Qui me rafraîchissaient le front avec des palmes, Et dont l’unique soin était d’approfondir Le secret douloureux qui me faisait languir.
La Nature est temple
Extrait des Fleurs du Mal, Charles Baudelaires
Andy Goldsworthy, oeuvres diverses
Troisième Partie
Correspondances Les êtres vivants sont faits d’énergie. L’homme et tout animal produisent en permanence une aura électrique subtile et invisible que nous ne percevons pas mais qui nous suit comme notre ombre et qui effleure notre environnement. Je suis faite d’énergie électrique et, à chaque instant, j’interviens sur la nature avec puissance ou douceur. Dans cette partie, baptisée La Nature est un temple (en résonance avec le poème de Charles Baudelaire présenté ci-contre) je vais m’attarder sur un domaine du champ de l’art auquel j’accorde beaucoup d’importance. Je ne puis revendiquer les artistes du Land Art comme étant mes références évidentes car si les sujets qu’ils abordent et la façon dont ils les traitent me touchent et sont liés à ce qui me questionne et m’inspire, leur enjeux plastiques ne sont pas tout à fait les miens. Depuis toujours, je suis passionée par le dessin et c’est vraiment grâce au dessin que j’aimerais témoigner de ce qui me touche ou me tourmantent. Cependant, les artistes du Land Art en général, Nils Udo et Andy Goldsworthy en particulier, ont mené leur vie durant un travail dont je reconnais encore aujourd’hui l’influence. Ils ont, souvent, travaillé à petite échelle, disons à echelle humaine, et ont favorisé la couleur et la rencontre de matériaux différents afin de créer des structures et des ambiances à partir de peu de choses. J’aime à considérer leurs travaux comme des tableaux ou comme les décors de mes narrations.
Je suis un lien.
Je suis petite mais mon arbre est grand Je suis minuscule mais mon âme s’élève Et un jour, je serai plus grande que vous.
Au détour des chemins J’entends les pierres chanter La terre me parle Les écorces et les feuillages m’élèvent Je suis née sur la pierre Je suis passée par l’eau le feu et le vent J’ai entrevu l’autre monde J’aime la nature et Dieu Et cela me suffit
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Pierres Eau et Souffle Ecorces Chaleur et Lumière Eau Toucher et Couleurs
Correspondances
Nils Udo
Troisième Partie
Scénoscope
Petite présentation
Scénoscope a développé un travail en totale adéquation avec mes préoccupations. Grégory Lasserre & Anaïs met den Ancxt travaillent sur les hybridations possibles entre monde végétal et technologie numérique. Dans leurs créations, ils font des éléments naturels (pierre, plantes) des capteurs naturels, vivants et sensibles aux flux énergétiques qui nous entourent et sur lesquels nous influons sans même nous en rendre compte.
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Comme une mise en application directe du poème de Baudelaire cité plus haut, le travail de scénoscope repose sur la mise en scène des principes synesthésiques, c’est la retranscription de comment « les sons, les parfums et les couleurs se répondent». La nature demeure un temple même au sein d’un musée, l’homme permet le lien entre le grand et le petit, le visible et l’invisible.
C’est la réconciliation de la nature et du numérique Comme la réconciliation de Dieu et de la science Comme la réconciliation de l’homme et du monde.
Correspondances
Kymapetra, Phonofolium et Fluides, sont les trois oeuvres majeures de ce duo d’artistes.
Kymapetra est une installation interactive, qui s’inspire d’un ancienne légende qui raconte qu’au détour des chemins on aurait entendu des pierres qui chantent. L’œuvre de Scénoscope est composée de cinq pierres disposées en demi-cercle autour d’une grande vasque centrale remplie d’eau claire. Le spectateur qui souhaite activer l’oeuvre doit entrer en résonance avec celle-ci Pour actionner l’oeuvre, il faut toucher les pierres qui entourent la vasque. La rencontre du corps et de la matière se transforme en vibrations. Celles-ci deviennent visibles à la surface de l’eau en une myriade de vaguelettes qui dessinent alors une composition géométrique constituée de creux et de pleins. Ces figures varient en fonction des intensités du contact, et des pierres que l’on décide de toucher. Découverte à l’exposition « Empreintes Numériques » à Toulouse en 2012, Kymapetra est la première oeuvre de Scénoscope avec laquelle j’ai, pour ainsi dire, communiqué.
Kymapetra est composé de deux mots : « Kyma » qui signifie : vague de la vibration (ou vague vibratoire) et « petra » qui signifie pierre. Le titre est plutôt évocateur, d’autant plus si l’on souligne le fait géologique suivant : les pierres, les roches, les falaises se forment au contact de l’eau et de ses allées et venues qui façonnent la terre ferme, celle sur laquelle nous vivons. Mettre en relation l’eau et la pierre semble évident, mais le mécanisme, actionné par l’électricité dégagée par un corps vivant donne à l’oeuvre une dimension mystique, sensible et poétique.
Troisième Partie
Kymapetra
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Correspondances
Troisième Partie
Phonofolium Phonofolium est un véritable petit arbre vivant, dont les feuilles réagissent aux caresses humaines. À chaque contact il émet un son, un chant. L’installation de Scénoscope offre l’expérience d’une relation avec un arbre qui réagit à notre existence. Cette expérience sensorielle questionne nos relations « énergétiques » invisibles avec les êtres vivants. En rendant audible ce qui échappe à notre perception, ils révèlent que notre environnement est fait, non pas de choses inertes, mais vivantes, réactives à notre aura biologique. L’arbuste rappelle ici son existence par un cri, un chant, une vibration acoustique.
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Fluides
Correspondances
Fluides est une œuvre vivante, réactive, composée d’une eau sensitive. Elle concentre les spectateurs autour d’une création sensorielle qui interroge les relations fragiles entre corps, énergie, matières vivantes, lumières et sons. Cette énergie corporelle happée par l’eau apparaît alors sous la forme d’un fluide énergétique lumineux et sonore. Lorsqu’une personne touche l’eau, la vasque réagit et génère une vague lumineuse qui rayonne progressivement jusqu’au centre de l’œuvre. Chaque variation lumineuse s’accompagne d’une sonorité qui fluctue en fonction de l’intensité de la relation énergétique ainsi générée.
Troisième Partie
Forêts de symboles « Il avait un œil peu fait pour la vie citadine : les panneaux publicitaires, les feux de signalisation, les enseignes lumineuses, les affiches n’arrêtaient jamais son regard » Extrait de Marcovaldo, Italo Calvino J’approchai l’arbre vers le soir et d’emblée je le reconnus, inchangé malgré les années. Si les arbres vieillissent autrement que les hommes, c’est qu’ils ont autre chose à nous dire. Jacques Lacarrière, Le pays sous l’écorce La nature a des choses à nous révéler. Nombreux l’ont pensé avant moi et d’autres le penseront encore après moi. En attendant de comprendre son langage, je m’assois sous le couvert des arbres et contemple le ciel à travers leur cime. Je vois des ombres et des formes mouvantes et quand je ferme les yeux, le vent qui joue dans le feuillage devient une voix.
Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées, Des montagnes, des bois, des nuages, des mers, Par delà le soleil, par delà les éthers, Par delà les confins des sphères étoilées, Mon esprit, tu te meus avec agilité, Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l’onde, Tu sillonnes gaiement l’immensité profonde Avec une indicible et mâle volupté. Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides ; Va te purifier dans l’air supérieur, Et bois, comme une pure et divine liqueur, Le feu clair qui remplit les espaces limpides.
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Derrière les ennuis et les vastes chagrins Qui chargent de leur poids l’existence brumeuse, Heureux celui qui peut d’une aile vigoureuse S’élancer vers les champs lumineux et sereins ; Celui dont les pensers, comme des alouettes, Vers les cieux le matin prennent un libre essor, - Qui plane sur la vie, et comprend sans effort Le langage des fleurs et des choses muettes ! Extrait des Fleurs du Mal, Charles Baudelaires
Forêt de Symboles
Le terme de Charles Baudelaire « forêt de symboles » découle tout droit d’une vision mystique des choses. La mystique relève de ce qui est secret, caché et mystérieux. À la fois d’ordre spirituel et religieux, la mystique vise à comprendre ce qui n’est pas discernable par le sens commun. À travers l’observation de la nature, il serait possible d’atteindre une sorte d’élévation, que Baudelaire décrit dans son poème du même nom. Comprendre les choses cachées par une autre écoute et un autre regard. Le travail de certains artistes du Land Art peut être perçu comme la transcription d’une communication avec la nature. Les artistes du Land Art transforment la nature, la ponctuent d’installations ou de constructions, travail sensible et fragile que j’aime à percevoir comme une communication avec un autre monde. Au cours de promenades on rencontre, parfois, des sanctuaires artistiques et religieux, des vestiges de la quête de Dieu ou d’un dieu très ancien qui sommeille encore dans les racines ou dans les branchages.
élévation
Forêt de Symboles 47
Nils Udo, dessin sur l’eau
Troisième Partie
La Nature et le Corps
Troisième Partie
Nils Udo
Les images sont des portions de réalité sur lesquelles, parfois, on pose son regard. Les artistes du Land Art, en créant au sein même de la nature créent des images qui ne sont plus des portions de réalité. La réalité toute entière devient une image. L’intention première de Nils Udo était de révéler la poésie, la complexité et la dimension divine de la nature, il ne souhaitait pas seulement en faire un outil. Aujourd’hui son travail a évolué, sont maintenant au coeur de son art les questionnements du rapport de l’homme et la nature. L’être humain, couvert de feuilles et dissimulé derrière cet imposant feuillage vient sans doute du désir de témoigner des positionnements de l’homme par rapport à la nature. Est-il happé par celle-ci ? S’épanouit -il en son sein ?
Quelques échantillons des nombreuses réalistations de Nils Udo.
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Forêt de Symboles
Troisième Partie
Andy Goldsworthy
Fleurs au fil de l’eau
Je me suis assise près de l’eau J’ai contemplé les méandres de lumière qui se traînent paresseusement au fil des flots Ils se sont étirés, ont étendu leurs longs bras lumineux jusqu’à caresser les berges Berges sur lesquelles je repose ma tête et le soleil dessine sur mes yeux clos des arabesques beiges. Et puis lentement sur l’eau, sont apparues des fleurs roses Elles ont suivi la rivière, se suivant les unes les autres comme des proses Comme des ombrelles, Elles ont dissimulé l’eau à la lumière du soleil
Forêt de Symboles
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Comme une bouteille jetée à la mer, Comme les larmes amères J’ai imaginé le message qu’elles pourraient me transmettre Si j’avais su parler le langage des choses muettes.
Troisième Partie
Les terriers
Le cœur de la Terre Est il fait de feu ? D’eau, de terre ou d’air ? Si je trouvais les galeries Qui mènent en son abîme Y trouverais-je l’extraordinaire alchimie dont les rêves sont le fruit? Y trouverais-je l’eau primordiale Dont mon corps et mon être Ont fini par s’extraire Et foulerais-je le sol marbrée des Grand Halls Sentirais-je le vent, Celui qui inspire et souffle la création
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Enluminure de feu et orfèvre Alchimie aquatique Métallurgie aérienne Brasier Divin
Forêt de Symboles
Troisième Partie Forêt de Symboles
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Cocons
Deux symboles sont récurrents dans le travail de Andy Goldsworthy : la spirale et, ce que j’appelle, le « cocon». Dans les deux cas, j’aime à percevoir dans le travail de Goldsworthy cette sensibilité et cette fragilité à la fois de son œuvre et de son être, comme la traduction d’un besoin de se protéger. Le « cocon » garde une trace très enfantine, à l’image des cabanes dans les arbres. Mais que signifiaient ces cabanes que nous construisions alors ? S’en retourner au cœur de la forêt, se rouler en boule sur un amas de mousse et ne plus sentir l’agression et l’angoisse ardente d’un monde en perpétuelle évolution dans lequel nous ne trouvons pas notre place. C’est un peu à cette réflexion que le travail de Goldsworthy m’amène. Ces « cocons » sont à l’image des maisons primitives, issues d’un autres temps où l’homme vivait encore au cœur de la nature à la fois gardienne et mère. Les « cocons » de Goldsworthy sont, à mes yeux, très touchants. Plantés là, attendant le passage du temps, ils entourent de leurs bras de géants, tous ceux qui viendraient s’assoupir en des contrée reculées, en des contrées où le monde industriel n’a pas encore porté atteinte.
Nature ennemie
Alors que jusqu’à maintenant j’abordais ce qu’il y a de beau et de mystique dans la nature voilà que le pinceau de Peter Doig pointe le bout de son nez. Ses préoccupations ou les sujets traités au travers de ses peintures ne sont pas en contradiction avec tout ce que je viens de présenter. Il est pour moi le premier artiste dont je pourrais revendiquer l’influence qui présente pour la première fois une nature non plus amie ou mère mais ennemie. La nature, sous le pinceau de Peter Doig, devient avide d’étendre ses vagues vertes et de recouvrir le monde des hommes, d’envelopper sous son manteau d’émeraude les bâtiments que les humains ont bâtis, les vestiges de ce désir qui semble les animer du début à la fin funeste de leur existence, celui d’assurer leur suprématie sur ce qui les entoure, celui de repousser sans cesse ce qu’ils sont.
Troisième Partie
Peter Doig
Mais la Nature semble veiller, elle rôde alerte aux signes de faiblesse et, quand elle en a l’occasion, elle envahit tout, dévore et ronge jusqu’à l’os les vestiges de civilisation. La nature n’est plus la source d’une liaison avec Dieu et les Mondes Invisibles mais le témoin d’un combat que la nature se livre à elle même, le témoin d’une course qui, quoi qu’il arrive, s’achèvera brutalement sous un tapis d’herbe verte.
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Forêt de Symboles
Interlude SynesthĂŠsie Principe de
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appliquĂŠe
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Vassily Kandinsky, Succession, 1935
Interlude Le Concert
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La peinture : Yoshitaka Amano, The Concert, 1957
Concert
D’après un tableau de Yoshitaka Amano et un morceau de Todd Rundgren
musique dévie lentement vers autre chose. Autre chose de nouveau à laquelle le public doit s’adapter sans cesse, sans relâche. Les variations se meuvent, ondoyantes à travers la salle et ils ne faut pas les quitter des yeux, ne pas cesser d’écouter, ne pas penser à autre chose qu’à l’exquise musique qui se dessine à travers l’auditorium. Chaque seconde rend la musique plus complexe, plus légère et plus divine. À la moitié du morceau, une bonne partie de la salle a déjà perdu le fil, elle est perdue au milieu d’un océan de notes qui la submerge, l’envahit et l’étouffe. Pour ceux encore capables de suivre le délire des notes, ils lèvent les yeux vers les cieux. Ils ne voient même plus les lieux, leurs regards dépassent les murs, au-delà du temps et de l’espace. Pour les plus sensibles, les sons deviennent des couleurs, les couleurs des parfums et les parfums des sons. Comme une nouvelle réalité sensitive, leurs visions viennent se superposer au monde réel.
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Le Concert
L’auditorium ouvre ses portes à 19h30, comme chaque soir, et la foule se presse dans son hall, puis comme une rivière aux flots incessants, elle coule lentement vers la salle de concert. Dans le tumulte des froissements de vêtements, des formules de politesses, des chuchotements discrets, des retrouvailles amicale et chaleureuse, dans le tumulte des questions et remarques, dans le tumulte des « Ils commencent à quelle heure ? » et « Excusez moi c’est ma place » chaque personne trouve sa place, s’assied et patiente en papotant comme il est de bon ton dans les communautés intellectuelles qui aiment aller à l’auditorium le soir. Comme la rivière se calme après la tempête, une sorte de sérénité gagne la salle. C’est à ce moment que le noir commence à se faire, à mesure que la lumière va en s’amenuisant, le flot des conversations commence à se tarir et, dans la salle, le silence fait lentement place aux notes, à une note, pour être exacte, longue, prolongée et intense. Puis, un à un les instruments élèvent leur voix, ils se suivent et s’enchaînent et avec calme et maîtrise, posent l’édifice principal du morceau, celui sur lequel viendront se greffer les variations, les accords et qui soutiendra l’ensemble architectural de la musique. D’autres notes viennent se greffer aux premières. Les sons sont lumineux, comme l’eau, ils étincellent à la lumière, ils résonnent et sonnent, ricochent contre les murs et se déplacent, entourent les spectateurs et les entraînent vers d’autres ailleurs. Ils se tissent, sous les yeux du public, des piliers, des arcs et des voûtes mélodiques. Maintenant que les spectateurs sont attentifs, maintenant qu’ils ne pensent à rien d’autre qu’à la musique celle-ci peut passer outre les frontières du monde, ce qu’elle fait sans tarder. Quand les voix viennent accompagner les instruments la musique était déjà proche de la perfection, mais le morceau demeure fluide, chaleureux et intense. Alors que la perfection est déjà atteinte, alors que tous pensaient que déplacer une note serait commettre une erreur fatale, alors que le public commence à saisir l’ensemble de la composition, déjà, la
Interlude
Le
Interlude 57
La mélodie, quant à elle, gagne en ampleur, elle s’intensifie encore et encore, quand elle semble avoir atteint son paroxysme, elle monte encore, quand elle sombre aux abrods du silence, elle repart de plus belle. Elle perce la voûte de l’auditorium, dépasse la voûte céleste, dépasse les nuages, les étoiles et les planètes, elle atteint les lieux où le regard ne porte plus, où seul l’esprit peut encore se mouvoir avec légèreté. Dans l’auditorium, la musique est devenue un flot, le flot est devenu une tempête. les vagues mélodieuses s’écrasent sur les murs avec fracas. Comme un tsunami, la musique s’abat sur le public hagard. L’eau envahit la salle, sature l’atmosphère et éclabousse l’univers. La musique atteint l’au-delà du concevable, les sens se renversent, puis tour à tour tout se confond. La musique atteint ce qu’il y a au delà du paroxysme, à la fois un délice et une souffrance. La musique tient la note encore et encore. Corps, instruments, esprits et âmes tendent tous vers le même absolu. Et enfin, tout s’unit dans la perfection. Un unisson intense et parfait, aussi vaste que l’univers et aussi profond que le silence. Puis, comme on expire lentement après une grande brassée d’air, la musique redescend, les instruments s’adoucissent et peu à peu commencent même à se taire. Une dernière fois le thème principal se répète, fluet et fragile dans le vaste silence. Comme les vagues sur les falaises, la musique se retire mais son parfum demeure et fait place au silence. Tous, épuisés baissent la tête. Tous savourent.
Le Concert
Ce long et étrange concert, c’est la peinture de Yoshitaka Amano, The concert 1957.
Interlude
Interlude
Synesthésie Je m’offre ce petit interlude pour prendre le temps de parler de quelque chose déjà évoqué, et ce à plusieurs reprises, dans ce mémoire. Je n’ai pas l’ambition, ici, d’en parler longuement. Il s’agirait plus d’une évocation mais je tenais absolument à en parler afin de souligner son importance au sein de mon existence. Ce sujet que je m’apprête succinctement à aborder, vous l’aurez compris, c’est le phénomène de la synesthésie. De nombreuses citations, notamment de Charles Baudelaire, font référence à cet étrange phénomène neurologique. Effectivement, synesthésie provient du grec « syn », union, et « aesthesis » sensation. Si on le traduisait littéralement, synesthésie signifierait « Union de sensations ». L’art s’est tout particulièrement intéressé à ce phénomène et y a puisé nombre de ses inspirations. On pourrait trouver trois façons de traiter ce sujet. Le premier cas est celui dans lequel l’artiste, un synesthète, rapporte plastiquement une expérience vécue, (c’était le cas de Vassily Kandinsky ) Le cas suivant est celui d’un artiste non synesthète qui essaie de reproduire la sensation d’une expé-
rience synesthésique véritable. Charles Baudelaire, dans de nombreux poèmes et principalement ceux qui composent Les Fleurs du Mal, tente d’établir des liens entre différents sens. Enfin le cas où l’artiste met en place une œuvre dont le but est de provoquer une expérience synesthésique au public. À ce sujet j’ai déjà longuement abordé le travail de Scénoscope et de Wolfgang Laib. Parmi toutes les synesthésies répertoriées jusqu’à aujourd’hui, je m’intéresse particulièrement à la chromesthésie, soit la perception en couleurs de certains sons. De là découle mon affection pour Vassily Kandinsky, le premier à avoir introduit dans le champ de la peinture la synesthésie. Je pourrais également dire à son sujet que je préfère sa période plus géométrique à ses premières toiles car j’aime à y reconnaître la structure complexe d’une partition musicale. 58
Chromesthésie
Vassily Kandinsky, Black Circle, 1924
Interlude
Benoît Pype
Mondrian Greatest Hits «C’était un petit garçon étrange, au don extraordinaire il entend les couleurs et voit les sons. Un Hymne à l’audition colorée.» Massin, le piano des couleurs
J’ai déjà longuement parlé de Benoit Pype à travers ses créations : Socle pour une boutte d’eau, Sculpture de fond de poche, Géographies Transitoires et étagères spécifiques aussi ce n’est plus la peine de le présenter. Cette fois-ci, nous allons nous pencher sur sa réalisation Mondrian Greatest Hits.
Benoît Pype
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C’est la traduction en musique de l’oeuvre de Piet Mondrian. Ses peintures ont été imprimées sur du papier pour boîte à musique, après quoi, chaque intersection d’horizontale et de verticale a été poinçonnée. Les notes jouées par la boîte à musique sont donc le résultat d’une transformation des peintures de Piet Mondrian. Benoit Pype serait-il le premier a avoir réussi à faire chanter une peinture ?
Interlude 60
BenoĂŽt Pype
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Et vous ?
Quelles couleurs entendez-vous ?
Quatrième Aspirations inspirations Partie Les
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et autres
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SHAUN TAN, Là où vont nos pères
Quatrième Partie 65
Aspirations Mes inquiètudes, mes angoisses et mes questionnement sont les mêmes que celles de tous les hommes. Quelle est ma place et le sens de mon existence ? Qu’en est-il de Dieu et de la foi ? La Nature et moi sommes nous alliées ou juste de vieilles amies temporairements en conflit ? Toutes les questions que je ne cesse de me poser, toutes les choses qui se massent dans mon esprit, tout ce que je ne comprends pas et surtout, tout ce que je ne suis pas encore en mesure de traduire, je l’ai trouvé chez d’autres. Et si nous remontions le fil de ces questions en même temps que nous suivons quelques créations artistiques, particulièrement celles de Shaun Tan, Giorgio de Chirico et Yoshitaka Amano. Si on me demandait, pourquoi avoir baptisé cette dernière partie « Aspiration » c’est parce que ce mot a comme synonymes : « ambition, espoir, inspiration, rêve » ou encore « soif » soit, des mots qui désignent quelque chose qui vient d’en haut, qui vient d’en dehors de nous et c’est comme cela que j’aime à décrir mes moments de créations. Lorsque je dessine, crée, peins ou écris, il y a une foule d’émotions que je souhaite, de tout mon être, retranscrire, répandre et partager avec vous.
Aspirations
Cette dernière partie est la plus intimiste, la plus personnelle, celle qui aborde les grandes questions et rend compte de ma sensibilité.
Shaun Tan, Là où vont nos pères
étrangetés
Sans doute comme beaucoup, j’ai découvert Shaun Tan avec l’album Là où vont nos pères, puis séduite par son trait, cet univers romantique et poétique j’ai commencé à fouiner jusqu’à mettre enfin la main sur L’oiseau Roi et autres histoires et La chose perdue. Peu à peu, je me suis familiarisée avec les histoires et les dessins de Shaun Tan, avec ses étranges univers. J’ai voyagé au coeur des univers qu’il supperpose, qu’il décale et qu’il dépeint. Pourquoi me suis-je sentie proche de son travail ? Il y a, à vrai dire, tant à dire que je ne sais par où commencer. C’est sûrement son trait fin, délicat et ses couleurs subtiles qui ont attiré mon regard, puis ses histoires m’ont saisie, le reste de son talent à fini de me transporter. Puis peu à peu les émotions se sont succédé et les sentiments que Shaun Tan parvient à faire passer font écho avec les miens, comme si deux réalités se superposaient. J’ai l’impression parfois d’être en décalage avec mon monde, j’ai l’impression que les mots ne sont pas ce qu’ils sont et que, comme dans le livre de Shaun Tan, d’étranges symboles viennent peupler mes perceptions.
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Aspirations
Shaun Tan, Là où vont nos pères
Quatrième Partie
Shaun Tan
Quatrième Partie Aspirations
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Les Gardiens À chaque automne le monde vire au brun et au rouge et à chaque automne les trois Gardiens se mettent en route. Ils traversent le Royaumes afin de bénir la terre et le voyage ne s’achève qu’une fois qu’ils en ont atteint les limites, une fois qu’ils sont dans le sanctuaire. Alors, une fois que le voyage est accompli, l’automne laisse sa place à l’hiver et le royaume s’endort avec eux. Les Gardiens sont Hailé, Halle, et Hellé et tous les trois sont pareils, ils ont le sang vert et les cheveux de vent et pour leur dieu, leur roi et leur royaume, ils ne se reposent pas tant qu’ils n’ont pas arpenté tout le Royaume, tant qu’ils n’ont pas laissé une nouvelle fois la lumière pénétrer dans les entrailles de la terre. Une fois au sanctuaire, ils rendent hommage à tous ceux qui ont voulu atteindre la Terre Promise et on raconte que dans le Grand Désert on entend encore les cris des batailles qui font rage. On raconte aussi qu’il arrive que la rivière coule rouge car le monde n’a pas fini de panser ses plaies. Beaucoup sont morts et le Royaume, aujourd’hui, pleure. C’est pour le guérir que les Gardiens voyagent. Enfin, quand le Chemin est accompli, les gardiens peuvent enfin se reposer. Ils embrassent la terre sur laquelle ils s’allongent et ferment leurs yeux, ils laissent l’hiver prendre sa place.
Shaun Tan, L’oiseau Roi et autres histoires
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Aspirations
Quatrième Partie
Cauchemars Je me souviens très peu de mes rêves. Cependant si l’un d’eux a pu présenter le moindre intérêt, je prends le temps et le plus grand soin à le retranscrire. Trois, c’est le nombre des rêves dont je me souviens. Voici ce que j’ai écrit à propos de l’un d’eux. C’était en novembre 2009 :
Inspirations
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« Je suis loin de la ville et du monde, comme si j’ouvre les yeux dans une nature figée, plus proche d’un terrain vague que d’une campagne. Je n’ai rien à faire ni personne à qui parler. Je n’ai, au fond de moi qu’une certitude. La certitude qu’on m’appelle et que je dois retrouver quelqu’un. La voix qui m’appelle semble venir d’autour de moi et pourtant je la sais au fond de ma poitrine accompagnée de la douleur maintenant familière qui déchire ma poitrine. Impérieuse la voix me demande de la retrouver, de venir la chercher au plus vite. Répondant à un instinct primaire, profondément enfoui, je me mets à courir. Je cours sur un chemin de terre molle et traverse successivement trois paysages, trois tableaux, qui m’étaient alors inconnus. Le premier, était un chemin de terre qui file vers l’horizon, longeant un bas muret de pierres en ruine, comme ceux qui jonchent le plateau de la Haute Loire. J’entends vaguement de l’eau couler et je l’imagine noire, toute pleine d’ombres et de cauchemars. Courant toujours, je suis le chemin qui passe entre deux bouleaux en fleurs qui penchent étrangement l’un vers l’autre, formant un vaste portique au- dessus de mon crâne sous lequel je m’engage. Le paysage change. Je suis debout au milieu d’une plaine, une plaine d’herbes rases et grises qui se balancent au gré d’un vent froid et paralysant, un peu plus loin en contrebas, demeure un petit carré de terre meuble sur lequel se tiennent de petits jeux pour enfants. Un tourniquet à la peinture métallique écaillée et un toboggan renversé crissent dans le vent. Je poursuis ma course vers une forêt d’arbres noirs, animée d’une nouvelle conviction : ne pas se retourner et la voix continue de m’appeler. Je m’engouffre sous le couvert des arbres. La neige a envahi les sous-bois, la voix dans mon esprit semble décliner. Elle baisse et s’éteint comme on meurt. Dans un dernier élan de courage, alors que je sens le froid m’engourdir, je bondis par-dessus un autre muret et atterris sur une route au milieu de nulle part. Le décor d’un Shaun Tan, Là où vont nos pères
vague souvenir. J’ai froid et sommeil, la neige m’a piégée, je suis immobile et sens le froid se renfermer sur mon cœur. Je m’effondre dans la neige, et je crois que je meurs » C’est à ce moment-là que je me suis éveillée.
Étrange dessin que nous livre Shaun Tan avec La carpe. Il ne cesse plus de nous étonner en retranscrivant ces rencontres déroutantes de réalité et de rêverie. Voyons plutôt, l’image se scinde en 4 plans, alignés les uns après les autres avec une logique et une froideur qui étonnent. Le décor de l’image est une ville industrialisée du vingtième siècle immuable, ancrée sur ses fondements en béton, enracinée dans le sol, prisonnière de son étau. Deux bâtiments ferment l’image, ne créant plus aucune issue si ce n’est la route qui traverse l’image de la gauche vers la droite au troisième plan mais qui semble destinée au passage de la grande carpe. Un homme plongé dans son journal, coiffé du traditionnel chapeau melon de tout bon gentleman anglais qui se respecte, deux jeunes filles qui se tiennent la main, un homme en costard qui sort de l’image, une vieille mamie qui s’en retourne probablement chez elle les bras chargés de courses et une autre femme, tout au fond de l’image qui longe les bâtiments avec un air accablé sont les personnages de la scène.
Ils sont en pleine action comme si Shaun Tan nous laissait entrevoir un bout de cette journée, un fragment de leur existence. Chacun plongé dans ses pensées et dans son quotidien, et aucun ne voit passer l’immense carpe, la majestueuse carpe. Elle ouvre la bouche, comme avide de dévorer le monde, l’œil hagard, son ombre se projette tout autour d’elle, elle écrase les bâtiments de son ombre et semble poursuivre sa route sans tenir compte des gens autour d’elle. Qu’est-ce que Shaun Tan a voulu raconter ? Une superposition de deux mondes ? Un enchevêtrement d’infinités ? Un dessin appliqué et inspiré tout droit de la réalité des cordes ? Où aucun univers n’a conscience des autres qui le traversent à chaque seconde ? Qui n’a pas conscience des télescopages de réalité ? A-t-il voulu montrer comment, chacun plongé dans son quotidien, dans sa petite vie d’homme sur terre ne peut plus être surpris de rien, pas même de l’insolite ou de l’impossible ? Impossible, bien sûr de définir ce que Shaun Tan a vraiment voulu nous montrer mais une fois de plus il parvient à nous faire rêver avec cette rencontre de deux mondes qui ne se voient pas et dont nous sommes les seuls témoins.
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La Carpe
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Inspirations
Quatrième Partie
Giorgio De Chirico
L’énigme de l’arrivée et de l’après-midi. Il avait ouvert les yeux dans un décor malhabile et insalubre. Immédiatement il avait eu envie de hurler, de jeter à terre ce mensonge, cette parodie de réalité pour se retrouver dans l’illusoire sécurité d’un autre monde. Mais le ciel était vert, des navires prenaitent le large sous un vent sec, c’était tard dans l’après-midi, c’était ailleurs et sans espoir de retour. Rien n’existait de ce monde sinon le bruit lointain de la pluie, la pluie sur l’échiquier boueux des songes.
Nous créons nos propres démons. Vous verrez,une fois que l’existence à commencé à vous éccorcher, elle n’a de cesse, par la suite, de creuser vos plaies. Chaque rêve, chaque cauchemar nous rappelle l’horreur de cette nuit où en tuant l’amour on se tue toujours soi-même.
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Giorgio De Chirico, L’énigme de l’arrivée et de l’aprés midi, 1912
Quatrième Partie
Yoshitaka Amano
L’heure
De tous les sons qui me terrifient le plus, c’est bien le tic-tac d’une horloge qui demeure le son le plus insupportable à mes oreilles. J’ai l’impression de perdre, littéralement, mon temps. Chaque « tic » m’ôte un pan entier de vie. Chaque « toc » me prive d’un temps de création. Ma vie est comme une urgence, une course perpétuelle contre la montre. Je dois charger mon bagage, avancer sur des chemins ardus et persévérer à travers l’univers vers la vérité et la création pure.
Cette peinture de Yoshitaka Amano met en scène de manière assez radicale cette angoisse du temps qui passe. En bas, à gauche, le personnage tout petit semble écrasé par un amas d’horloges, un amas d’années qui commence à peser sur ses épaules alors que l’âge le rattrape. Les sillhouettes que l’on croit distinguer dans les cadrans, sont-elles des bribes de souvenirs que le temps a aussi commencé à ronger ? Sont-ce des «visages-mensonges», des souvenirs qui se sont mélangés et que l’on ne peut plus dénouer ?
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Yoshitaka Amano
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Yoshitaka Amano
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D’après un tableau de Yoshitaka Amano et un album de Andreas Vollenweider
Il doit y avoir beaucoup de chemins qui descendent au cœur de la terre, encore faudrait-il que nous nous en souvenions. Descendre ne signifie pas devenir moindre. Se rapprocher du noyau, c’est trouver l’origine, le commencement et la raison d’être des choses. Voyager dans l’espace aux confins de l’univers et descendre dans les profondeurs du monde sont, finalement, des chemins très semblables pour arriver à une seule et même vérité. Après avoir traversé la croûte épaisse et sèche de la terre, après avoir creusé dans son corps meuble et humide, après avoir traversé l’eau et le feu, nous arrivons dans les Grandes Cavernes. Les cavernes qui résonnent encore des murmures du monde. D’après une peinture de Yoshitaka Amano et l’album Caverna magica d’Andreas Vollenweider.
heurtent, se blessent, se coupent sur les parois glaciales. Dans un cas comme dans l’autre, après un temps de colère, d’angoisse et de folie, il n’y a plus rien à faire. Vous vous agenouillez contre les murs, vous fermez les yeux et vous essayez de vous souvenir de ce qui, il y longtemps vous faisait vous sentir bien. Mais, dans le noir des cavernes, dans l’humidité et les ténèbres, les souvenirs ne servent à rien, alors on accepte peu à peu que la mort vienne et on attend sa venue … qui ne vient pas.
Le noir
Sérénité
La nature est un temple, à sa surface, on en perçoit les artifices, les décorations et les enluminures qu’elle a bâtis, comme un écrin pour protéger le trésor qu’elle renfermait. Dans les Grandes Cavernes, celles qui renferment les murmures du monde, il y a plusieurs passages successifs vers la révélation. Après avoir traversé l’eau et le feu, on erre dans le noir durant ce qui semble être des années. Il n’y a rien pour vous guider sinon une foi, encore confuse qui se heurte au doute et à la peur comme votre tête se heurte aux roches invisibles dans le noir devenu palpable. Comme la flamme de votre dernière bougie, votre foi vacille et soudain, alors qu’elle était faible, elle s’éteint et rien ne peut la ranimer. Vous sombrez dans le désespoir. Certains s’arrêtent, aller plus loin n’a pas de sens, ils s’allongent sur le bord de la route et se laissent emporter. Les autres, ceux que la panique et l’angoisse rendent agressifs, se mettent à courir dans tous les sens, ils se
Au lieu de cela, une sorte de tranquillité monte en vous, et vous reprenez la route sous la terre. Vous ne trébuchez plus, vous avancez sereinement, en vous monte une chaleur, une certitude : celle de savoir qu’aussi bas que vous serez, il y a quelque chose avec vous. À mesure que vous avancez, l’air s’emplit de bruits. Dans la pénombre vous commencez à distinguer des choses, comme si une pâle lumière commençait à éclairer les cavernes, peu à peu des formes se dessinent, les choses commencent à vous être révélées. Vous distinguez les contours des roches sur lesquelles vous tombiez autrefois, celles qui vous terrifiaient dans le noir. Puis vous distinguez des sons, des bruissements autour de vous qui remplacent le silence sans pour autant vous saturer. Tout ne vous est pas cependant encore dévoilé, à mesure que vous tendez l’oreille pour entendre, à mesure que vous plissez les yeux pour voir, les choses s’envolent … et redeviennent puissantes quand vous n’y faites plus attention. La route à tra-
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Cavernes Les
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Les Grandes Cavernes
Quatrième Partie 75
vers le monde d’en bas se poursuit, mais vous n’êtes pas encore prêt à ce que tout vous soit dit. De longues années semblent encore s’écouler, rythmées par vos petits doutes, votre grande paix et votre souffle. Quand, au détour d’un coude alors que vous ne savez plus ni où et ni quand vous êtes ou n’êtes plus, un souffle semble venir se greffer au vôtre, et alors que vous écoutez attentivement, ce sont plusieurs souffles. Vos yeux voient pour la première fois ce que les mots ne peuvent dire. Enfin, vous distinguez tout ce que le cœur de la terre renferme. Un fourmillement de vies, des infinités de sons qui se répondent contre les parois, les sons des eaux souterraines qui gouttent au loin, les murmures du vent dans les conduits, les racines qui descendent profondément dans le sol, qui creusent comme vous avez fait à travers la roche pour monter vers le ciel. Les pierres parlent autour de vous, mais vous ne comprenez pas encore la langue qu’elles utilisent. Alors, maintenant, en voyant où vous mettez les pieds, en sachant identifier ce que vous entendez, vous poursuivez votre chemin dans les méandres de la terre mais vous n’avez plus peur, non. Vous n’avez plus peur car, si vous ne savez pas où vous allez ni ce que vous allez y découvrir, vous savez que vous êtes le bienvenu.
mencez à percevoir une musique. La mélodie est encore instable et vous ne la percevez pas encore totalement car tout ne vous a pas encore été dit. Sept salles se succèdent, chaque fois plus vastes, chaque fois plus écrasantes, chaque fois plus austères. Au seuil de la septième salle, les bestioles vous laissent, elles n’ont pas le droit d’aller plus loin. Vous ne vous permettez pas un regard en arrière car il faut avancer, vous êtes de plus en plus impatient de connaître ce que renferme le cœur. Un dernier voyage dans le noir vous attend, presque aussi sombre et silencieux que le premier, mais la terre résonne des battements d’un cœur immense et profond, calme et tranquille, comme le vôtre, comme votre esprit. À mesure que vous avancez dans les ténèbres, votre esprit y voit plus clair. Vous ne voyez plus avec vos yeux ni n’entendez avec vos oreilles, mais vous comprenez le monde avec votre âme. Vous n’avez plus de corps, vous êtes désincarné, universel. Vous êtes prêt et sur le seuil de la dernière salle.
Instant d’amour
La dernière salle
Le chemin est encore long, et vous êtes comme traversé par des glaives de feu qui ne brûlent pas, sinon d’amour. Vous ne doutez plus du grand pourquoi des choses ni de leur raison d’être. Il y a, aux tréfonds de ses méandres, quelque chose pour vous.
Elle se révèle à vous seulement quand vous en dépassez le seuil. Se dessinent autour de vous de grands piliers de terre et de pierre, recouverts de minuscules constellations de verreries et de pierres. Le cosmos que les piliers dessinent vous éblouit mais vous regardez encore pour n’en perdre aucune miette : du sommet de la pièce, qui vous paraît être ouvert sur le cosmos, vous percevez de grandes tentures voler au gré d’un vent venu de nulle part. Des micro-mondes fleurissent autour de vous, la vie est incessamment en marche et rien ne meurt, les choses grandissent, s’épanouissent et s’agencent dans un équilibre parfait. Comme des gouttes au soleil, tout semble luire et le ciel que vous croyez percevoir illumine à la fois comme en plein jour ou comme en pleine nuit. Des sons résonnent à travers la salle, vagabondent entre les piliers, vous traversent et s’en refont à travers cette pièce qui vous semble infinie. Le sol, lui, semble se dessiner quand vous avancez, alors vous suivez des luminaires qui ont été laissés pour vous, les sons,
Les Grandes Cavernes
Les grandes salles Le chemin est encore long, mais vous êtes déjà profondément enfoncé dans les Grandes Cavernes, et les choses ont commencé à vous être révélées. Vous découvrez alors les Grandes Salles, pleines de vie, d’étranges créatures chimériques qui vous trottent autour, qui se précipitent en masse à vos pieds, qui vous suivent entre les immenses piliers faits d’arbres en fleurs. Les créatures vous devancent, vous montrent la voie en même temps que d’autres ferment votre marche, dans leur gazouillement d’animaux et leur grognement de bestioles, vous com-
Quatrième Partie
les lumières, les parfums et les couleurs, tout tend dans une seule et même direction, un halo de lumière pâle et reposant au centre de la pièce, au centre de l’infini. Cérémonieusement, vous l’atteignez et le spectacle que l’on vous révèle alors vous étreint le cœur. Au sein même de la perfection, repose un couple, un homme et une femme, nus, étendus l’un contre l’autre les yeux clos. Ils sommeillent dans le cœur de la terre, au sein de l’univers.
Retour
Ils s’aiment, c’est la seule chose que vous avez le temps de penser avant d’être aspiré, de vous en retourner d’où vous venez, de retraverser en vitesse accélérée tous les lieux que vous venez de visiter et qui vous ont pris des dizaines d’années à parcourir. On vous ramène à la case départ et jamais personne ne croira ce que vous avez vu. L’univers vous a révélé son but et sa raison d’être, il vous a offert ce plus beau cadeau et vous ne pourrez en parler à personne. Vous revenez dans le monde, illuminé, incandescent et vous vous retirez du monde. Vous vivrez loin de la foule et de l’agitation. N’ayez crainte, vous retournerez dans les cavernes, et c’est peut-être vous que l’on verra dormir, allongé près d’une femme à la peau aussi miroitante que de l’eau...
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Epilogue Conclusion 77
De tout ce qu’il est possible d’écrire, c’est bien les conclusions qui demeurent ce qu’il y a de plus complexe. Une introduction, c’est d’une simplicité ! Nous trouvons toujours les mots pour donner à quelqu’un envie de lire ce que l’on rédige ; et présenter succintement ce qui va suivre est aussi un exercice facile. Mais trouver une conclusion, c’est comme trouver une bonne fin à un roman. Trouver le fin qui clouera toutes les inrigues nées au fil de l’histoire, répondre aux doutes et aux questionnements du lecteur tout en créant en lui ce besoin, encore, de se replonger dans votre oeuvre. cela vous est probablement déjà arrivé, de finir un livre et de vous sentir seul comme si l’on venait de vous quitter. Avec la conclusion, c’est la même chose. Il faut répondre à ce que l’on voulait faire en même temps que l’on clarifie tout ce qui a été évoqué sans pour autant répéter tout ce que le lecteur sait déjà. Non vraiment, je ne suis pas faite pour les fins… Mais puisque nous en sommes à cette dernière partie, celle sur laquelle vous allez finir votre lecture, je ne peux me contenter de banalités. Qu’aurais-je à dire à propos de ce mémoire maintenant que je le vois achevé ? Et bien je dirais que ce genre de travail ne se finit jamais vraiment, et puis ne suis-je pas trop jeune pour intituler l’un de mes travaux « mémoire» ? Mais je dirais aussi, que dans le temps qui m’était imparti, je pense avoir réussi à aborder presque tous les sujets qui me tenaient à coeur tout en tenant compte du fait que je vais évoluer et que, peut être, d’autres sources d’inspirations, de tourments ou de joies viendront se greffer à tout ce que j’ai déjà partagé avec vous. à mes yeux, ce n’est pas un travail qui s’achève mais une foule d’autres qui commencent. Cependant, avoir écrit toutes ces remarques a, inconsciemment, organisé mon esprit et posé des mots sur des idées. Des inspirations et des bribes de projets commencent à naitre au sein
de mon encéphale. Alors peut-on vraiment parler d’une conclusion ou même d’une fin ? Au lieu de clôre cette histoire, j’ai l’impression, au contraire, d’en introduire d’autres. Aussi, au terme de ce mémoire, que je vous remercie d’avoir lu, je ne vous dirais pas au revoir mais à bientôt…
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