Laure Manissadjian Sous la direction de Nadine Roudil Mémoire de master 2 en architecture 2020-21 École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris Val de Seine
Laure Manissadjian
Sous la direction de Nadine Roudil
Mémoire de master 2 en architecture 2020-21 Ensa Paris Val de Seine
.
Remerciements Merci à Nadine Roudil, ma directrice de mémoire, qui m’a encouragée depuis le début et suivie de manière enthousiaste, sans qui ce travail n’aurait pas eu sa richesse ; Merci à toutes celles avec qui j’ai échangé sur ce sujet et qui ont contribué au contenu de ce mémoire : Véronique Biau, Stéphanie Bouysse-Mesnage, Stéphanie Dadour, Christine Leconte, Léa Mosconi Bony, Soline Nivet, Anne Pellissier, Juliette Pommier et Catherine Rannou ; merci pour votre bienveillance, votre soutien, vos conseils et vos relectures ; Merci à mes ami·e·s pour leur soutien sans failles, particulièrement Clément Bailly Grosset et Melissa Perez Montelongo pour leurs précieuses références ; Merci à toutes ces femmes fortes que je côtoie ou que j’ai pu côtoyer - qui m’ont inspirée depuis toujours et continuent de le faire ; Et plus généralement merci à toutes celles et ceux qui, par leurs actions diverses, s’engagent dans des luttes féministes*, anti racistes, queer* et écologiques, pour ne citer qu’elles
SOMMAIRE SOMMAIRE ................................................................................................... 2 INTRODUCTION ...................................................................................... 5 AVANT-PROPOS ..........................................................6
METHODOLOGIE .......................................................8 CONTEXTUALISATION ........................................... 10
I. UN ENVIRONNEMENT CREE PAR ET POUR LES HOMMES ...................................................................................................... 21
LA REPRÉSENTATION, PREMIER MARQUEUR
DE LA NORME GENRÉE ........................................... 24 1.
Le modèle humain, de Vitruve à Corbu .............. 24
2.
La vie en ville selon Archigram ........................... 27
SYNDROME D’UNE SOCIÉTÉ OCCIDENTALE ... 32 1.
2.
a.
b.
Qui influence le modèle d’architecte ................... 32 Patriarcat et Capitalisme .................................. 32 Architecte moderne ......................................... 36
Et s’érige en figure neutre ................................... 40
NOT ALL MEN ?.................................................................................... 47
2
II. ETRE ARCHITECTE ET FEMME ........................................ 51
ÊTRE UNE FEMME ARCHITECTE ......................... 54 1.
2.
a.
b. a.
b.
Les bâtons dans les roues de la charrette ............. 54 Pendant l’apprentissage .................................... 54 Dans le monde du travail ................................. 58
Coping mechanisms, ou Comment faire avec ........ 64 Les stratégies internes ...................................... 64 Les stratégies externes ...................................... 70
LA REPRÉSENTATION DES FEMMES EN
ARCHITECTURE ....................................................... 78 1.
a.
b. 2.
c.
Un manque dans les représentations ................... 78 Parmi les illustrations de femmes ..................... 78 Parmi les références théoriques ........................ 80 Parmi les figures d’architecte ........................... 85
Sororité vs Boy’s club ......................................... 90
LES FEMMES QUI ENSEIGNENT
L’ARCHITECTURE .................................................... 98 1.
2.
3.
a.
b. a.
b. a.
b.
Un autre genre prend place dans la profession ..... 98 L’arrivée des femmes ........................................ 98 L’arrivée de la recherche ................................ 101
Des pédagogies qui s’opposent ......................... 102 Entretien avec des femmes............................. 102 L’enseignement de type Beaux-Arts .............. 111
Enseigner le genre et l’intégrer à la pratique ...... 118 Un réseau qui se créé ...................................... 118 We don’t take anymore bullshit ......................... 123
3
CONCLUSION ........................................................................................ 131 LEXIQUE ....................................................................................................136 INDEX DES ILLUSTRATIONS ............................................... 144 BIBLIOGRAPHIE ................................................................................ 146 ANNEXES ................................................................................................. 146
4
NOTES « Une attention particulière est portée sur l’écriture inclusive
dans la rédaction de ce mémoire. Il s’agit d’un procédé récent qui
se heurte encore à de nombreuses réticences, notamment de la
part de l’académie française. Il peut demander un temps d’adaptation, certes, il alourdit un peu le texte. Mais je
considère que le discours est déjà lourd de sens et qu’il est important d’identifier les valeurs qu’on veut le voir véhiculer. Il existe différentes méthodes d’écriture inclusive, aussi j’ai pris le parti de prioriser l’usage du neutre caractérisé par un point médian « · ». Cette queerisation des accords permet de choisir de
se reconnaître dans le masculin, le féminin, ou autre. » Maé Cordier-Jouanne (2019) « Queer(ing) architecture, de l’espace queer à la queerisation de l’espace »
« Les enseignants et enseignantes » devient : « Les enseignant·e·s »
Lorsque mobilisé dans le texte, un terme défini dans le lexique est signifié par un astérisque à la première occurrence « * » Ce mémoire est fait depuis mon point de vue situé de femme blanche hétérosexuelle valide, étudiante en master 2 d’architecture à l’école de Paris Val de Seine.
L’utilisation du terme « femme » désigne ici toute personne perçue comme femme.
« Je vois, visionne les choses à partir d’un certain point. Ce point est le résultat de mon histoire, de mes choix, de mes fragilités, de mes privilèges. » Alice Coffin, le Génie Lesbien, 2020 5
INTRODUCTION AVANT-PROPOS Y a-t-il une architecture d’homme et une architecture de femme ? Le débat est ailleurs. Du point de vue d’une jeune femme
féministe, en école d’architecture, nous nous posons, dans ce mémoire, la vaste question du genre*. Non pas à travers le
bâtiment, mais à travers l’environnement dans lequel l’architecte évolue. Que ce soit par les représentations qui l’entourent, son
environnement scolaire ou professionnel, l’architecte existe dans
un monde aux codes décalqués sur sa société. Ces schémas
sociaux constituent des normes*, des règles intégrées à nos
manières de faire et de penser, qui nous touchent dès la naissance. Les normes genrées, ensemble de caractéristiques attribuées aux filles et aux garçons, influenceront l’individu·e de telle manière à
ce qu’iel croie que ces attributs soient d’origine naturelle. Or, ces
normes, produit des structures sociales et de leurs attentes, sont
établies de manière à séparer les genres en catégories distinctes, en fonction de leurs sexe biologique, appelé division sexuée. Une division d’origine biologique a donc été transformée en
construction sociale du genre et intégrée par les individus comme
étant naturelle. L’école participe grandement à l’intégration de ces codes sociaux et contribue à leur reproduction1. Par exemple, en cours de grammaire, les jeunes filles devront se plier à la règle
du masculin l’emportant sur le féminin sans se poser de questions.
1
BOURDIEU (1998) p.115
6
Dans la cours de récréation, à propos de sa famille, elles désigneront leur fratrie, même si elles ne sont entourées que de
sœurs. Elles trouveront normal que Marie Curie soit la seule
femme présentée dans leur livre d’histoire… La liste est longue. Une femme rentrant en école d’architecture continuera à se
construire sur des normes genrées, qui lui paraitront normales, tellement elle aura intégré d’incohérences pendant sa croissance.
Finalement, comment faire un mémoire d’architecture féministe, c’est-à-dire concerné par les discriminations subies par une
minorité dans un système de pouvoir donné. Car le sujet est très
vaste et porte en lui autant de sujets qu’il existe de féminismes*. À travers ce mémoire, nous traiterons d’une brique sur le mur du
genre. Nous essayerons de renseigner les normes genrées
présentes en architecture et de les rendre visibles. Nous nous
intéresserons à la source de l’architecture : l’architecte, et nous
prendrons comme sujet une minorité parmi la classe des architectes : la femme.
7
METHODOLOGIE La première partie de ce mémoire s’appuie sur un corpus de texte
varié, regroupant écrits féministes et histoire de l’architecture,
afin de les mettre en parallèle et proposer un regard contemporain
sur une période choisie allant des années 1920 à nos jours. Cette période a été adoptée car correspondant aux débuts du
mouvement moderne en architecture, mouvement qui sera central dans la critique avancée par ce mémoire.
Le chapitre B se basera en grande partie sur l’analyse d’un texte
sur l’exposition Living City. Un extrait du Living art magazine no.2 paru en juin 1963, et publié dans ARCHIGRAM, édité par Peter Cook en 1972. Cet extrait a été choisi car je l’identifie
comme un modèle de critique de l’architecture moderne,
établissant un portrait dit ‘‘véritable’’ de la ville, selon ses auteurs, aspect qu’il me semble intéressant de mettre en perspective avec un point de vue écoféministe.
La seconde partie de ce mémoire est écrite à partir d’une dizaine
d’entretiens, réalisés au moyen des outils de communication
informatique (zoom, Skype, teams), à l’exception de l’un d’entre
eux, qui se déroula dans les jardins du palais royal. Les personnes choisies sont des femmes, blanches, d’un milieu social plutôt aisé,
valide*, et ayant fait leurs études d’architecture, totalement ou en
partie, dans des écoles parisiennes : Paris Belleville, Paris Malaquais, Versailles et UP7 aussi appelée Paris Tolbiac (actuellement Marne la Vallée). Les critères qui ont présidé à la
sélection des enquêtées sont l’année de diplôme : avant 2000 et
après 2000 ; et la pratique de l’architecture : maîtresse d’œuvre, enseignante de projet (TPCAU), enseignante dans les autres 8
disciplines et enseignante chercheuse ; les pratiques étant souvent
combinées. Il sera indiqué en note quand un chapitre mobilisera une typologie particulière parmi les critères. Je me base sur un
type de minorité (selon l’effet de domination homme-femme), étant majoritaire parmi la catégorie femmes architectes, dont je
fais moi-même parti. Cet échantillon est donc représentatif de la
majorité des femmes en architecture mais est non représentatif
des groupes minoritaires parmi la catégorie femme architecte. Mon but est d’identifier un « habitus partagé »2, à laquelle peut s’ajouter une approche plus intersectionnelle*, qui permettrait par la suite de définir plus précisément l’étendue de ce qu’est être une femme architecte.
Bourdieu parle d’« habitus », étant situé au cœur de la reproduction des structures sociales. Il indique que celui-là, en étant incorporé, assure la présence active en chaque individu, en chaque corps, de l’histoire des rapports de domination et de l’ordre social. 2
9
CONTEXTUALISATION L’opportunité du mémoire de dernière année d’architecture peut
se révéler propice à la critique de l’architecture contemporaine. L’étude des écrits féministes, comme outils de déconstruction* du savoir et d’éveil à la critique, nous permet de repérer dans le
présent les survivances du passé. Les féministes de la 2ème vague dans les années 70 ont tissé des liens entre société capitaliste et
société patriarcale. Nous pouvons ici citer Silvia Federici qui fait apparaitre la notion de capitalisme patriarcal* (Federici, 2019) en revisitant les théories marxistes et féministes (Joan Kelly, Carolyn
Merchant, Leopoldina Fortunati, Merry Wiesner et Maria Mies)
des années 70-80. En se servant de leurs écrits nous pouvons poser les hypothèses suivantes :
La ville a été fabriquée par des hommes, pour les hommes :
En commençant par les premiers architectes du roi, 10 hommes se succédèrent sur presque 175 ans, de 1614 à 1789. Ce sont eux
qui, à l’époque, étaient en charge, non seulement des travaux de maîtrise d’œuvre des bâtiments, mais aussi de passer les marchés de travaux avec les entrepreneurs et les artisans, de surveiller la
gestion des magasins, d'inspecter les chantiers, de procéder à la réception des travaux, etc. En 1853, c’est Georges Eugène
Haussmann, préfet de la Seine à Paris, qui fut responsable de la
reformation du centre de la capitale. Nous pouvons lui attribuer, entre autre, les grands boulevards, véritables percées dans la ville et symboles de la volonté de l’état Napoléonien de réprimer les manifestations
(nous
en
constatons
encore
aujourd’hui
l’efficacité). Le siècle des lumières établi l’homme comme centre
du monde selon la science et le 19ème siècle représente l’émergence 10
de la figure d’architecte que nous connaissons aujourd’hui. Personnage s’étant perfectionné et pérennisé au 20ème siècle, avec l’attrait particulier des architectes pour les médias. L’architecture devient outils de communication. L’architecture moderniste3
parisienne est représentée par des projets tels que la bibliothèque François Mitterrand de Dominique Perrault (1989), appelée
Très Grande Bibliothèque à l’époque du concours. Les grands
groupes d’architectes influents des années 60 à 80 ayant théorisé la ville dite moderne, sont aussi exclusivement (à quelques
exceptions près) composés d’hommes. Je citerai en exemple le
groupe d’architectes Archigram, composé de six hommes blancs, cisgenre*, hétérosexuels et valides. À travers leurs travaux, ils ont proposé au monde une vision, selon leurs dires, « objective » de la ville. Nous aurons l’occasion de revenir sur l’une de leur
exposition, The Living City (La Ville Vivante), qui se tint à
l’institut de l’Art Contemporain (ICA), à Londres, en juin 1963. Je tenterai de revoir leur architecture, à travers les discours qu’ils en ont tenu et les relais effectués par les médias, sous le prisme de la vison écoféministe*.
« En résumé, les femmes ne jouent presque aucun rôle dans le processus de décision ou de création de l’environnement. C’est donc un environnement créé par les hommes » Matrix, 1984, p.3 Ces projets respectent des principes de dimensions que je
qualifierai d’universelles, dans la logique productiviste du
Je ferai ici référence au mouvement moderne en architecture, aussi appelé modernisme, période débutant à la moitié du 20ème siècle. 3
11
capitalisme. Cette idée de dimension est présente dès les
fondements des premiers traités d’architecture et se poursuit à
travers les siècles. Les proportions sont établies dès le 1er siècle av JC comme étant l’un des piliers de l’architecture par Vitruve4. Léonard de Vinci inscrit le corps humain dans le carré d’or en
dessinant l’homme de Vitruve vers 1490. À travers ces représentations, le corps masculin est représenté comme dimension idéale.
« La première question qu’une féministe doit se poser est : pourquoi les mesures doivent-elles être normalisées en fonction d’un corps bien particulier, tout le reste étant par la suite considéré comme non standard ? La moitié des membres de notre espèce n’ont pas ce corps-là, et même parmi ceux dont le corps s’apparente davantage à ce modèle – appelons-les des mâles –, il existe une très grande variabilité » Donna Harraway, No Gravity, 20115 Si l’homme a été choisi comme modèle, nous pouvons donc faire
émerger la présence d’une norme architecturale masculine et nous sommes en droit de nous poser la question de la neutralité de la conception architecturale. Pour citer un exemple plus moderne,
le modulor du Corbusier dessiné en 1945, est un autre modèle de
dimensionnement, que nous utilisons afin de justifier la hauteur de nos portes, de nos tables ou de nos cuisines. Pourtant, si l’on
Vitruve, au 1er siècle av JC pose les piliers de l’architecture dans son traité De architectura (« au sujet de l’architecture » en français). Il pense que six principes régissent l’architecture avec parmi eux le principe de proportions. 5 COFFIN (2020) 4
12
regarde l’essentialisation des rôles accordés aux hommes et aux
femmes, dénoncée par Simone de Beauvoir dans Le deuxième sexe en 1949, ces espaces intérieurs sont majoritairement utilisés par
des corps féminins puisque l’homme est assigné au devoir extérieur, du labeur économique. Comment justifier alors, que le
modulor soit la figure de dimensionnement universel, alors qu’il est basé sur un modèle d’homme (1m83 selon le modulor) ayant
des proportions plus grandes que celles d’une femme (1m62 selon
l’INSEE en 2000, et surement moins à l’époque du modulor, des
études ayant montré que la taille moyenne des individu·e·s varie avec le temps) ?
Après cette première hypothèse, nous nous posons les questions suivantes : qu’en est-il des femmes ? Comment participent-elles à la fabrique de la ville ? Qu’est-ce que cette réalité dit de la ville
donnée à vivre aux femmes ? De l’inscription de leurs pratiques dans la réalité de l’espace public jusqu’au chez soi ?
L’architecture agit en marqueur du territoire masculin et du pouvoir capitaliste et précapitaliste :
Grâce au capital accumulé, les états peuvent mettre à profit leurs richesses à travers l’architecture. Les bâtiments représentent donc
la gloire d’un pouvoir patriarcal et capitaliste de par : les moyens mis en œuvre pour les ériger (~1,2 milliards d’euros pour le
château de Versailles ; ~2 milliards d’euros pour les transformations de Haussmann ; 19 millions d’euros pour la Bibliothèque François Mitterrand) ; et les symboles qu’ils
représentent dans les discours publics. Le château du roi soleil représente un modèle d’excellence architecturale et fait partie des
13
bâtiments les plus visités de France6. Les travaux de remaniement du centre de Paris sont connus comme Les Grands travaux du Baron Haussmann et son modèle est reproduit à travers la France
(comme à Grenoble) et traverse les océans (comme à Buenos Aires, en Argentine7). Nous pouvons citer nombre de projets architecturaux qui sont devenu l’emblème des présidents français tel que la Bibliothèque Nationale Française, qui prend aussi le
nom de Bibliothèque François Mitterrand. À son propos, François Mitterrand est encore aujourd’hui cité comme l’une des
figures françaises du XXe siècle ayant projeté Paris sur les devants de la scène architecturale grâce à ses grands travaux culturels qui ont promu les monuments modernes emblématiques de Paris (le
centre Pompidou, le parc de la Villette etc.) dans les années 80. Enfin
l’utilisation
du
corps
de
l’homme
comme
dimensionnement universel, et donc neutre, est à mon sens une autre preuve de la volonté de l’homme de se placer au centre de
toute chose. C’est ce qui est établi à travers les critiques de l’anthropocène* et de l’androcentrisme* dans les écrits féministes et écoféministes.
Cette deuxième hypothèse nous fait état de la situation de
domination imposée aux femmes (et aux autres minorités) et à la
L’INSEE place Le Domaine de Versailles (château, Domaine de MarieAntoinette et spectacles jardins) en 3ème position des monuments, sites culturels et récréatifs français les plus visités en 2017, après Disneyland Paris (modèle d’urbanisme majeur des années 60 imaginé par Walter Disney) et le musée du Louvre (plusieurs architectes se sont succédés, mais nous noterons que ce furent des hommes avec notamment Lemercier et Le Vau, tous deux architectes du roi, et plus récemment Leoh Ming Pei qui fit construire la pyramide). INSEE, 2019. 7 Que j’ai pu observer durant mon stage de 3ème année s’étant passé à Buenos Aires, que j’ai ensuite retranscris dans mon rapport de Licence « L’expérience de vivre à l’étranger : quelle perception avons-nous de Buenos Aires à travers ses modes de construction ? », 2018 6
14
Nature* par la société capitalo patriarcale, à travers l’architecture. Dans un monde où la représentation et l’espace tournent autour de l’homme, la femme est incorporée au processus capitaliste
d’accumulation des richesses8 au même titre que la Nature : La Nature en tant que productrice de nourriture, de biens, de
matériaux ; La femme en tant que productrice de main d’œuvre, affectée à la fonction de reproduction9.
L’enseignement de l’architecture peut ainsi être considéré comme
l’apprentissage de la fabrique de la ville au service du pouvoir masculin :
L’enseignement du projet architectural, discipline au cœur de
l’apprentissage de l’architecture, est dominé par les hommes. En
France, l’enseignement de l’architecture se situe dans la
continuité de l’enseignement de l’école des Beaux-Arts, réservée
aux hommes, jusqu’à ce qu’en 1895, l’architecte américaine Julia Morgan, à sa demande, soit autorisée à participer au concours d’entrée, même si elle fut l’exception jusqu’en 190010 ; alors que des « femmes artistes ont engagé dès 1889 de nombreuses démarches pour assister aux mêmes cours que les hommes, en peinture et en
sculpture »11. L’année 1968 peut être alors vue comme le début de
la féminisation croissante de la profession. En effet, les Beaux-
Démontré dans les travaux de Mariarosa Della Costa et Selma James dans The Power of Women and the Subversion of the Community (1975), les femmes produisent et reproduisent les êtres humains, étant la marchandise capitaliste la plus essentielle : la main d’œuvre. Elles sont donc essentielles au principe d’accumulation primitive du capital, nécessaire au développement du capitalisme. 9 FEDERICI (2019), Capitalisme Patriarcal 10 GIAQUINTO (2019) 11 BOUYSSE-MESNAGE (2012) p.43 8
15
Arts éclatent et les premières écoles d’architectures apparaissent :
les UPA (Unités Pédagogiques d’Architecture). Mais si l’on peut dire que grâce à cet éclatement les diplômées furent plus nombreuses, « entre 1975 et 1985, le taux de diplômées passe de 11%
à 29% ; entre 1985 et 1995, il grimpe à 40% »12, et que les femmes représentaient en moyenne 55% des étudiant·e·s en 2009 selon le ministère
de
l’enseignement
supérieur
et
de
la
recherche, l’enseignement de la pratique reste dominé par les hommes. Si l’on sépare les enseignements ‘‘communs’’13 (matières
dont l’enseignement est dirigé par divers corps de métier : architectes,
urbanistes,
ingénieurs,
plasticiens,
historiens,
sociologues…) des Théories et Pratiques de la Conception Architecturale
et
Urbaine
(TPCAU),
aussi
appelé
communément ‘‘Projet’’, ne pouvant être dirigé que par des
architectes, parfois en compagnie de professeur·e·s enseignant
dans les autres disciplines et vu comme l’enseignement ‘‘premier’’ en école d’architecture ; une première hiérarchie genrée entre
enseignant·e·s apparait, avec une majorité d’hommes enseignant en TPCAU. De plus, si l’on différencie les statuts sous lesquels sont embauché·e·s les professeur·e·s, tout en haut de la pyramide
de l’enseignement de l’architecture en France se trouvent les
BOUYSSE-MESNAGE (2012) p.49 Il existe 6 catégorie pour qualifier les enseignant·e·s en école d’architecture. La catégorie placée en haut de la hiérarchie étant celle des TPCAU, architectes enseignant le projet. Les autres enseignements sont les suivants : Villes et Territoire (VT, regroupant architectes et urbanistes), Sciences et Techniques pour l’Architecture (STA, se rapprochant des sciences de l’ingénieur mais pouvant être enseigné par des architectes), Arts et Techniques de la Représentation architecturale (ATR, composé de plasticiens, artistes, vidéastes mais aussi d’architectes), Histoire Critique de l’Architecture (HCA, historiens et architectes, souvent des doubles diplômes) et Sciences Humaines et Sociales appliquées à l’architecture (SHS, avec majoritairement des sociologues). 12 13
16
enseignant·e·s titulaires, ayant réussi le concours national et étant fonctionnaires à vie. Viennent ensuite les postes d’associé·e·s
(embauché·e·s pour 6 ans) et de contractuel·le·s, qui sont des « sièges éjectables »14 et donc instables. L’architecte, enseignant·echerch·eur·euse titulaire en TPCAU se retrouve donc en haut de
la hiérarchie de l’enseignement en école d’architecture. Nous allons voir que ce statut est majoritairement occupé par des hommes, révélant leur poids institutionnel. Dans son livre Le Génie Lesbien, Alice Coffin nous rappelle l’importance de compter : « La disparition est bien ce qu’elle est. Une absence. Si l’on
ne les compte pas, elles ne comptent plus »15. J’ai donc mené l’enquête
dans mon école, afin de donner un exemple de cette absence : sur les 124 enseignant·e·s de TPCAU à l’École Nationale Supérieure
d’Architecture de Paris Val de Seine, 27 sont des femmes, et
seulement 8 sont maîtresses de conférence face à 50 hommes (dont 6 professeurs), représentant 14% de la part des maître·esse·s
de conférence en TPCAU. Aucune n’a le statut de professeure. À l’échelle nationale, selon les chiffres du ministère de la culture,
tutelle principale des ENSA, 41 hommes sont professeurs dans la discipline des TPCAU pour seulement 3 femmes. Ils
représentent 93% du corps. Les Maîtresses de Conférences sont 78 pour 235 hommes, ces derniers représentant 75% du corps.
Ces chiffres font écho à l’enquête ministérielle conduite par
l’ESRI parue en 2020, donnant les chiffres clés de l’égalité
homme-femme dans l’enseignement supérieur de la recherche et
Propos tiré des entretiens Citation extraite du livre écrit par les militantes barbues, La Barbe, Cinq ans d’activisme féministe, éditions iXe dans COFFIN (2020) 14 15
17
de l’innovation16. Ces hypothèses me permettent d’introduire mon mémoire : la
fabrique de la ville est faite par les hommes, à leur image, la ville
moderne est le territoire de célébration du pouvoir capitalo-
patriarcal et l’enseignement de l’architecture, qui préside à la conception de l’architecture, est un système dominé par les
hommes, dans la profession et le contenu enseigné. En mettant ces constats en parallèle avec des réflexions féministes et
écoféministes, et en analysant le parcours d’un échantillon de
femmes parmi les praticien·e·s de l’architecture, nous pouvons faire
ressortir
un
certain
nombre
de
normes
androcentrées, qui président à la fabrique de la ville.
genrées
Nous nous attarderons sur deux graphiques en particulier : ESRI (2020) Le plafond de verre dans l’enseignement supérieur dans les pays de l’union européenne en 2016 (annexe 2a p.156). Le plafond de verre est un indice relatif comparant la proportion de femmes avec la proportion de femmes occupant des postes supérieurs. Avec un indice de 1,3, les femmes en France sont moins représentées dans les grades supérieurs proportionnellement à leur représentation dans le personnel universitaire en général (tous grades confondus). ESRI (2020) La proportion des femmes et des hommes au cours d’une carrière universitaire type en sciences et en sciences de l’ingénieur, entre 2013 et 2016 (en %) (annexe 2b p.156). La part des hommes entre 2013 et 2016 occupant un emploi de grade A (soit le grade supérieur à tout autre) était de 84%. 16
18
Comment ces normes assurent-elles une distinction entre homme et femme et se retrouvent-elles dans la conception de l’architecture et de ce fait dans celle de la ville ?
Comment les architectes sont-iels acteurs de la reproduction de ces normes genrées ?
Par conséquent, l’architecture et son enseignement sont-iels genré·e·s ? Il s’agira en première partie de décrire l’environnement dans lequel les femmes évoluent, en identifiant les normes genrées en
architecture et comment elles s’établissent. Puis, en deuxième partie, nous observerons ce que ces normes genrées peuvent
produire sur les femmes architectes, en se basant sur leur expérience vécue et racontée.
« Et concrètement, je pense que là on est dans une partie du siècle qui a besoin que les femmes, parce que peut-être elles sont dans une société qui leur ont moins appris à prendre la parole, je pense que c'est elles qui vont changer les choses. Mais pas parce ce qu’elles sont femme, mais parce que depuis des années on n'a pas la parole. Et donc la parole on a moins peur de la prendre. »
19
I. un environnement créé par et pour les hommes Comment les normes genrées se sont-elles insérées en architecture ?
21
Un environnement crée par et pour les hommes
Le « concept de corps [est] fondamental pour comprendre l’origine de la domination masculine et la construction de l’identité sociale féminine » Federici, Caliban et la sorcière, 2019, p.26
22
Le corps humain est une métaphore que les architectes apprennent à appliquer à l’espace. Que ce soit à l’échelle de la maison, où les murs seront peau, les fenêtres des yeux s’ouvrant sur le monde et le salon comparable au cerveau, telle la pièce pensante centrale de la maison ; comme à l’échelle de la ville, où les rues deviennent vaisseaux sanguins, la routine métro-boulotdodo s’apparentant au rythme cardiaque, les grandes stations de trains étant des foies qui filtrent l’injection des populations, les industries tels des muscles faisant fonctionner le corps17... Regarder le corps humain dans l’espace, et plus précisément le genre de ce corps, nous permet dans cette première partie de faire ressortir des normes genrées, c’est-à-dire un ensemble de règles construites à partir du corps masculin ou féminin (genres binaires*), qui s’imposent à l’architecture à travers ses théorisations. Nous verrons donc, à travers les représentations qui en sont faites (dessins, écrits…), comment elles s’insèrent en architecture, et comment ces normes, qui s’érigent en symboles de neutralité, ont été induites par la société dans laquelle l’architecte évolue.
17
PARK Robert Ezra, 1915, « The city », École de Chicago
23
Un environnement crée par et pour les hommes
CHAPITRE A
LA REPRÉSENTATION, PREMIER MARQUEUR DE LA NORME GENRÉE
Comment la norme genrée est-elle identifiable ? Comment les représentations portent en elles une norme genrée ? Le corps humain associé à l’architecture est-il neutre ? La narration de la ville reflèteelle un point de vue objectif et neutre ?
1.
Le modèle humain, de Vitruve à Corbu
Marcus Vitruvius Pollo est le premier, selon l’histoire de l’architecture contemporaine, à théoriser l’architecture dans son
œuvre majeure : De Architectura. Composé de 10 livres, un court passage, comparé à l’œuvre totale, est dédié aux proportions, dans
le chapitre 1 du livre III. Vitruve analyse les proportions du corps humain, en dégage des constantes et introduit ainsi la notion de rythme modulaire :
« La nature a en effet ordonné le corps humain selon les normes suivantes : le visage, depuis le menton jusqu'au sommet du front et à la racine des cheveux vaut le dixième de sa hauteur, de même que la main ouverte, depuis l'articulation du poignet jusqu'à l'extrémité du majeur : la tête, depuis le menton jusqu'au sommet du crâne, vaut un huitième ; du sommet de la poitrine mesuré à la base du cou jusqu'à la racine des cheveux on compte un sixième ; du milieu de la poitrine au sommet du crâne, un quart. Quant au visage, le tiers de sa hauteur se mesure de la base du menton à la base du nez ; le nez, de la base des narines jusqu'au milieu de la ligne des sourcils, en vaut autant ; de
24
cette limite jusqu'à la racine des cheveux on définit le front qui constitue ainsi le troisième tiers. Le pied correspond à un sixième de la hauteur du corps, l'avant-bras à un quart, ainsi que la poitrine. Les autres membres ont également des proportions spécifiques, qui les rendent commensurables entre eux… » Vitruve, De Architectura III, 1er siècle av. J.C. Si l’on peut considérer qu’il s’est basé sur les observations de son
propre corps, il ne désigne pas de genre attitré à ses observations. Néanmoins, le corps décrit ici est valide. Dans une volonté
d’harmoniser les théories et de décrire un modèle unique, Vitruve
créé une norme de proportions idéales parfaites à partir du corps humain valide.
L’œuvre est ensuite rééditée et adulée pendant la Renaissance. Francesco di Giorgio Martini, maître de Léonard de Vinci, réalise un premier dessin à partir du texte de Vitruve (gauche), dont Vinci s’inspirera ensuite pour dessiner son célèbre Homme
de Vitruve (droite). La norme du corps humain valide devient corps masculin valide.
25
Un environnement crée par et pour les hommes
Cette
représentation
deviendra
le
symbole
allégorique
emblématique de l’Humanisme, de la Renaissance, du
rationalisme, de l’anthropocentrisme, de la mesure et de la
représentation du monde. L’homme, masculin, devient avec ce
dessin, le centre du monde dans l’imaginaire collectif, symbolisant le pouvoir patriarcal en place.
Le Modulor est le dernier modèle
en date, à avoir transposé le
principe de proportions du corps
masculin valide en architecture, toujours
utilisé
aujourd’hui.
Dessiné par Le Corbusier en 1945, le corps de l’homme valide de
1m83 sert de base à tout module, comme l’indique son nom, et
détermine les proportions idéales de l’architecture moderne : hauteur de plafond, lits, portes, chaises, fenêtres, hauteur de poignées, surface de table…
Nous voyons ainsi comment de l’observation subjective d’un
corps donné, la théorie s’érige en représentation objective du
corps humain et créé une règle de représentation à suivre : la
norme. Cette norme donne à voir une vision du monde unique et universelle qui se traduit dans l’architecture, matériellement par
le dessin, et de manière abstraite à travers les discours sur l’espace. Cette norme étant par ailleurs masculine, ne peut être neutre puisque représentant une certaine part de la population et non sa totalité.
26
2.
La vie en ville selon Archigram
« The Living City » (la ville vivante), a été le premier projet
monté par la totalité des membres du groupe d’architectes
britanniques Archigram. Elle se tint à l’institut de l’Art Contemporain (ICA), Londres, en juin 1963, et projette une
vision normée de l’espace. « Elle avait pour but de parler de la
vitalité de la vie en ville. »18. Dans les années 60, les villes étaient dans « un état de confusion et de paralyse »19. Des mouvements
émergèrent à cette époque influençant grandement les discours publics. Des groupes comme Archigram furent alors érigés en
figures majeures de l’architecture moderne. En 1963, Peter Cook, architecte, théoricien et professeur d’université, fonde le groupe qui publiera la revue Archigram aux côtés de Warren
Chalk, Dennis Crompton, David Greene, Ron Herron et Michael Webb. En 1972, ils publièrent Archigram, essayant de
résumer certaines phases ou « syndromes »20 des magazines publiés
par le groupe. Ce livre représente une collection de la variété d’idées développées autour de « notions objectives et de design
spécifiques »21. Mon but est ici d’identifier et de mettre en lumière
les biais* appliqués à ce que les architectes d’Archigram appellent – notons que le groupe était composé uniquement d’hommes
blancs, cisgenres, hétérosexuels et valides – une vision ‘‘objective’’ de la ville.
ARCHIGRAM (1972) « Its brief was to express the vitality of city life » p.20, traduction libre 19 KIKUTAKE dans Project Japan Metabolism Talks…, (1960), « The state of confusion and paralysis in metropolitan cities » p.174, traduction libre 20 ARCHIGRAM (1972) « attempt to summarize certain phases or syndromes » avant-propos, traduction libre 21 Ibid. « objective notions and specific designs » avant-propos, traduction libre 18
27
Un environnement crée par et pour les hommes
Dans le « Living Arts magazine » publication n°2 de juin 1963, formant le catalogue de l’exposition, les architectes déclarent :
« L’architecture est seulement une petite part de l’environnement de la ville en termes de réelle signification ; l’environnement total est l’important, ce qui compte vraiment »22 La phrase suivante est ainsi : « L’objectif fut de déterminer l’effet que l’environnement complet a sur la condition humaine, les réponses que cela génère »23 L’introduction de l’article décrivant l’exposition est déjà
révélatrice d’une pensée anthropocentrique. Les architectes reconnaissent le fait que l’environnement est supérieur à
l’architecture, pour placer ensuite l’humain dans une position de domination par rapport à ce même environnement. L’humain devient
leur
préoccupation
première.
À
l’opposé,
l’environnementalisme est « le refus de l’anthropocentrisme […]
afin de donner du poids à une dimension non-matérialiste […], une
vision en dehors de la logique de la croissance qui prend en compte les limites de la planète ».24 En plaçant l’humain au centre de son
projet, Archigram entre en rupture directe avec l’environnement.
Ibid. « Architecture is only a small part of city environment in terms of real significance ; the total environment is what is important, what really matters » p.20, traduction libre 23 Ibid. « The object was to determine the effect total environment has on the human condition, the response it generates » p.20, traduction libre 24 Wartcher A., (2020) Campagne De René Dumont : L’Écologie Entre En Politique [podcast] Affaires Sensibles, Philipe Drouelle 22
28
Ils posent les bases d’une pyramide de domination dès les prémices de leur réflexion autour de la ville, négligeant complètement l’importance des autres relations entretenues, dans
la ville et par la ville, avec ses autres composant·es nonhumain·e·s.
Sept ‘‘Gloops’’25 « définissent une ère de constantes basique et de
faits raisonnablement prédictibles. »26. On sent qu’à travers le vocabulaire utilisé, « basique », « constant », « raisonnablement », « prédictible », « fait », tous tirés du champ lexical relevant de la vérité, les architectes conduisent le public à penser que ces
présuppositions sont de vérité générale. Les sept ‘‘Gloops’’ sont les
suivants
:
«
Homme,
Survie,
Communication, Place et Situation » . 27
Foule,
Mouvement,
Notons que dans le texte, le terme « man » - traduit par
« homme » - est différentié du terme « human ». Alors que le début du texte parle de l’humain, les mentions suivantes se font
avec l’utilisation exclusive du terme « homme », au masculin. L’utilisation que je ferai de celui-ci, avec ou sans majuscule, fera donc bien référence à l’homme, au masculin, comme c’est le cas dans le texte d’Archigram.
On observe que dans leur idée de la ville, l’homme est au centre : « La ville est un organisme logeant l’homme, fait par l’homme, pour l’homme. »28
Nous pourrions parler ici de ‘regards’ sur des aspects de la ville, ‘regarde’ pouvant être une traduction de ‘Gloops’ 26 ARCHIGRAM (1972) « Each gloop defines an area of basic constant and reasonably predictable fact. » p.20, traduction libre 27 Ibid. « Man, Survival, Crowd, Movement, Communication, Place, Situation » p.20, traduction libre 28 ARCHIGRAM (1972) « City is an organism housing man, man-made, for man. » 25
29
Un environnement crée par et pour les hommes
« L’homme est l’ultime sujet et la principale condition [à la ville], afin que l’exposition soit un miroir de l’homme en lui-même. »29 « Une indication du rapprochement kaléidoscopique de toutes les manières et types d’homme […] ‘‘ensemble’’ […] d’homme en tant qu’individu, groupe ou foule anonyme »30 Le gloop « survie » établit une description du profil de ce qui fait la ville, ou au moins, de ce que les hommes ont fait d’elle « depuis
le début des temps […] afin de vivre. »31. « Nourriture, boissons, sexe, drogue, vêtements, voitures, déguisement et argent » établissent le kit
de survie de l’homme en ville32. Les femmes font par conséquent, de façon sous entendue, partie de ce kit. Identifiées par des
critères non-vivants, réifiées, elles sont ainsi connectées au
monde des hommes à travers le sexe, telles des machines pourvoyeuses de plaisir et productives33, aidant les hommes à se
multiplier afin de perpétuer l’espèce (et survivre). Plutôt que de
p.21, traduction libre 29 Ibid. « Man is the ultimate subject and the principal conditioner, so that the exhibition is a mirror of man himself » p.22, traduction libre 30 Ibid. « An indication of the kaleidoscopic coming together of all manner and types of man […] ‘‘togetherness’’ […] of man as individual, as group or as anonymous crowd. » p.20, traduction libre 31 Ibid. « Cities have been used by man since the beginning of time in order that he may survive » p.20, traduction libre 32 Ibid. « Man-in city will always have a survival kit – food, drink, sex, drugs, clothes, cars, make-up, money – in order to live » p.20, traduction libre 33 FEDERICI (2019) « Dalla Costa et James affirmaient que l’exploitation des femmes a joué un rôle central dans le processus d’accumulation capitaliste, dans la mesure où les femmes ont produit et reproduit la marchandise capitaliste la plus essentielle : la force de travail » p.14. Voir à ce propos « The Power of Women and the Subversion of the Community » Maria Della Costa et Selma James (1971) et « Sex, Race and Class » Selma James (1975)
30
dépendre de ce kit de survie au même titre que les hommes, elles sont le kit de survie. Les architectes effacent la femme, et par
corrélation l’animal, le végétal et les entités non-vivantes qui composent la ville, les reléguant au rang d’objets innommés,
existant à côté (ou en dessous) de l’homme. Cette vision de la
femme entre en corrélation avec l’idée occidentale que l’homme
a de la Nature et de son rôle dans son exploitation. Elles sont toutes deux réifiées, comme individues n’existant qu’à partir des
besoins des hommes. Et puisqu’elles sont objets, comptant sur
l’aide toute-puissante des hommes, ces derniers peuvent les
utiliser à des fins personnelles, sans éprouver aucune culpabilité étant donné que ce sont elles qui dépendent d’eux avant tout.
La définition qu’Archigram fait des « constantes basiques » ne peut
donc être objective, leurs idées venant d’observations d’une ville
occidentale, d’un point de vue d’hommes blancs, cisgenres, hétérosexuels et valides. Cela ne peut en aucun cas produire une
vision unique et véritable de la ville, comme ce que nous venons de voir à travers l’analyse de leur discours. Le point de vue, à l’opposition d’objectif, est donc situé.
L’homme valide est désigné comme représentatif de la
norme par les penseurs de l’architecture. L’observation des
dessins et des discours nous permettent de le constater. Se basant sur un genre particulier, nous pouvons donc dire que cette norme
est genrée. Nous allons voir dans le chapitre suivant d’où vient cette norme et en quoi l’architecte, reflet de sa société, l’incarne.
31
Un environnement crée par et pour les hommes
CHAPITRE B
SYNDROME D’UNE SOCIÉTÉ OCCIDENTALE
D’où vient la norme de l’homme valide ? En quoi l’histoire de cette
société porte en elle une culture du sexisme ? En quoi les architectes de
l’époque moderne reproduisent cette culture ? Comment ces architectes s’érigent en figure du neutre ?
1.
Qui influence le modèle d’architecte a.
Patriarcat* et Capitalisme « Le capitalisme fait de l’acquisition ‘‘la finalité de [la] vie’’, au lieu d’en faire un moyen pour la satisfaction de nos besoins ; elle nécessite que nous abandonnions tout plaisir spontané de vivre » Max Weber, l’Éthique protestante et l’Esprit du capitalisme, 192034
Les marqueurs du pouvoir patriarcal – exercé par l’homme dans les domaines politique, économique, religieux, ou au sein de la
famille, par rapport à la femme35 – remontent aux premières sociétés primitives. En effet, comme le démontre Simone de
Beauvoir dans Le Deuxième Sexe I (1949), « l’humanité a toujours cherché à s’évader de sa destinée spécifique ; par l’invention de l’outil,
l’entretien de la vie est devenu pour l’homme activité et projet tandis que dans la maternité la femme demeurait rivée à son corps, comme
FEDERICI (2019) p211, tiré de M. Weber, « l’Éthique protestante et l’Esprit du capitalisme » (1920), Paris, Gallimard, 2003, p.27 35 Larousse en ligne 34
32
l’animal. »36. L’homme devient sujet à l’extérieur, tandis que la femme est assignée au domestique et ainsi ramenée à son
intérieur, son corps. C’est avec le développement du concept de propriété privée pendant l’antiquité, que la femme sera associée
au privé par les lois. Son corps s’apparentera à un objet de valeur, permettant de rassembler deux familles pour additionner leurs
richesses. La femme sera offerte en cadeau à son mari, accompagnée d’une dot, tandis que l’homme sera associé au public, au travail extérieur qui enrichit le foyer. L’homme
devenant propriétaire de sa femme est institutionnalisé par le biais du mariage.
« La femme est une propriété que l’on acquiert par contrat ; elle est mobilière car la possession vaut le titre ; enfin la femme n’est à proprement parler qu’une annexe de l’homme » Honoré de Balzac, Physiologie du mariage, 182937 Aristote théorise « l’idée d’une infériorité de la femme par rapport à
l’homme, en s’efforçant de démontrer qu’il existe entre eux une différence de nature, de même qu’entre la matière et la forme la différence est de nature et non pas simplement de degré. […] Ainsi, la femme, étant à l’homme, selon Aristote, ce qu’est la matière à la forme,
la laisser à elle-même, lui confier des responsabilités politiques, c’est courir le risque de précipiter la société dans le désordre. »38. Par conséquent, écarter la femme du politique, c’est la renvoyer au
champ de la sphère privée, à l’invisible. On observe que c’est
DE BEAUVOIR (1949) p.109 Ibid. p193 38 DIAGNE (2009) p.101 36 37
33
Un environnement crée par et pour les hommes
systématiquement le corps de la femme qui est visé, à travers le concept de Nature relié à sa capacité à enfanter.
C’est pendant les luttes féodales que les femmes subissent ces
attaques le plus violemment, que Federici identifie comme « le premier point d’unification dans la politique des nouveaux Étatsnations européens »39 car traversant toutes les limites et frontières.
Dans son livre « Caliban et la Sorcière » (2019), elle revient sur
« ces années de terreur et de propagande [qui] semèrent parmi les hommes les graines d’une aliénation psychologique profonde envers les
femmes, qui brisa la solidarité de classe et ébranla leur propre pouvoir
collectif. »40, qui n’étaient qu’une « guerre de classe par d’autres moyens »41, et par la même occasion « en partie, une tentative pour
criminaliser le contrôle des naissances et placer le corps des femmes, l’utérus, au service d’une augmentation de la population, de la production et de l’accumulation de force de travail »42 ; posant à travers ce processus une théorie sur la transition du féodalisme au
capitalisme mis en place par un système patriarcal43. C’est à partir
du travail de Maria Rosa Della Costa et Selma James, qui identifient la division sexuelle du travail44 et le travail non-payé
FEDERICI (2019) p.270 Ibid. p.303 41 Ibid. p.283 42 Ibid. p.293 43 Federici théorise par la suite les liens entre patriarcat et capitalisme dans son livre « Capitalisme patriarcal » (2019), où elle se concentre sur la période du 19ème siècle. 44 Assignation des femmes au travail reproductif, ce qui accroit leur dépendance au salaires des hommes, permettant à l’État d’utiliser le salaire masculin comme moyen de maîtriser le travail des femmes. 39 40
34
des femmes45 dans la société capitaliste46, que Federici remonte jusqu’au moyen âge comme point de départ du « projet de domination qui ne peut se maintenir que par la division47 » qu’est le
capitalisme. En repensant l’analyse marxienne de l’accumulation primitive48 dans une perspective féministe, elle démontre comment « en réprimant les femmes, les classes dominantes
Travail reproductif, et d’entretien de la force de travail (par l’alimentation du travailleur, l’entretien du foyer, des enfants, le maintien d’une sphère privée étant pour l’homme émancipatrice du monde extérieur). 46 Voir à ce propos The Power of Women and the Subversion of the Community de Maria Della Costa et Selma James (1971) et Sex, Race and Class de Selma James (1975) 47 FEDERICI (2019) p.15 48 Principe théorisé par Karl Marx dans son ouvrage « Le capital » (1867). L’accumulation primitive du capital est un processus historique mettant en place les rapports de production capitaliste par la force et l’expropriation des paysan·ne·s, rendant possible l'accumulation du capital par l'exploitation du travail des êtres et de la terre. Dans « Caliban et la sorcière », Federici analyse le processus d’enclosure, privatisant les terres agricoles. Ce principe entraine la disparition des communaux (partie du territoire d’un village, champs, forêts, lacs…, commune à tous les habitants, étant souvent le seul moyen d’accumulation de richesses pour les femmes car ayant moins accès au travail que les hommes à cette époque). Seuls centres de vie sociale pour les femmes, leur disparition entraine leur assujettissement aux espaces intérieurs et au soin de la famille. Les femmes sont progressivement confinées au travail reproductif par l’Église soutenue par l’État, au moyen des chasses aux sorcières. C’est le début de la « longue marche vers ‘‘du sexe propre’’ dans des ‘‘draps propres’’ et la transformation de l’activité sexuelle des femmes en un travail, un service pour les hommes et en procréation. L’interdiction de toute activité sexuelle féminine non-productives ou non-procréatrices, potentiellement démoniaque et antisociales, fut centrale dans ce processus. » p. 308. Du côté de l’État, le salaire apparait alors comme un instrument d’asservissement, entrainant la disparition de la production pour l’usage. « Ces activités portèrent dès lors des rapports sociaux différents et furent sexuellement différenciés. Dans le nouveau régime monétaire, seule la production pour le marché était définie comme activité créatrice de valeur, alors que la reproduction du travailleur commençait à être perçue comme étant sans valeur d’un point de vue économique et même cessait d’être prise comme un travail. […] L’importance économique de la reproduction de la force de travail effectuée dans le foyer et sa fonction dans l’accumulation du capital devint invisible, mythifiée comme aspiration naturelle et qualifiée de ‘‘travail de femme’’. » p131-132. 45
35
Un environnement crée par et pour les hommes
réprimèrent de manière plus efficace l’ensemble du prolétariat »49, installant les bases du pouvoir capitaliste. Empêcher les femmes
de disposer de leur propre argent entraine par conséquent l’appropriation de leur travail par les travailleurs mâles, ce que Federici appelle patriarcat salarié. Elle montre aussi comment « la
violence structure le monde depuis les colonisations européennes »50, comment les colonies furent les premières expérimentations de
ce système socio-économique, ensuite appliqué à l’Europe, étant donc « nécessairement enclin au racisme et au sexisme »51.
Pendant le siècle des lumières, « le corps [humain] passe au premier
plan des politiques sociales […] comme réceptacle de la force de travail, un moyen de production, la machine-travail primitive »52 et c’est au
19ème siècle que la femme au foyer à plein temps est introduite, ce qu’explique Federici dans « Capitalisme Patriarcal » (2019). b.
Architecte moderne
La période qualifiée de moderne en architecture53 fait
correspondre à l’association corps-machine, théorisée au 17ème siècle, la maison-corps et donc la maison-machine. Les attaques de la société patriarcale contre le corps de la femme se trouvent
matérialisées à travers l’espace, séparant les sphères du privé et du
public dans les années 5054 selon une dimension genrée, assujettissant la femme à l’espace privé et à la procréation de la
FEDERICI (2019) p.305 VERGES, séminaire « Une nouvelle histoire de la sexualité » (2020) 51 FEDERICI (2019) p.31 52 FEDERICI (2019) p.217 53 Début des années 1920 à début des années 1970. 54 DADOUR (2020) 49 50
36
famille nucléaire55. Paul B. Préciado nous fait part de cette réflexion lors de son séminaire « Une nouvelle histoire de la sexualité » au centre Pompidou les 15, 16, 17 et 18 octobre 2020 :
« La modernité, c’est la naturalisation de l’hétérosexualité et l’industrialisation de la reproduction. La famille hétérosexuelle est dressée comme machine industrielle organique et son institutionnalisation justifie les autres discriminations (de race, de genre…) » Paul B. Préciado, Virus et révolution, 202056 Dans le livre Making Space, Women and the man-made environment produit par le collectif d’architectes britanniques
MATRIX, le texte page 37 de « Jos Boys, ‘Women and public spaces’ montre comment l’idéal de la maison, physiquement séparée des zones de travail renforce la division du travail en fonction du genre, à
l’intérieur et à l’extérieur de la maison, en liant les femmes plus étroitement à une localité que les hommes. Elle montre comment
l’idéologie de cette séparation a affecté l’apparence et l’arrangement des lotissements contemporains [anglais] incluant ceux situés en ville, afin
de maintenir les femmes ‘à distance’ de la sphère publique. »57. Un des
Voir à ce propos MATRIX, (1984), Making Space, Women and the man-made environment de Jos Boys, Frances Bradshaw, Jane Darke, Benedicte Foo, Sue Francis, Barbara McFarlane, Marion Roberts, Anne Thorne and Susan Wilkes – ROSE Gilian, (1993), Women and everyday spaces – AHRENTZEN Sherry, (1996), The F word in architecture : Feminist Analyses in/of/for Architecture 56 PRÉCIADO (2020) séminaire « Une nouvelle histoire de la sexualité » 57 MATRIX (1984) « Jos Boys, in 'Women and public spaces', shows how the ideal of a home physically separate from the workplace reinforces a division of labour by gender inside and outside the home by tying women more closely to a locality than men. She shows how this idealized separation has affected the appearance and layout of contemporary housing estates even in the inner city to keep women 'distanced' from the 55
37
Un environnement crée par et pour les hommes
exemples qu’elle analyse est celui de l’importance donnée à la voiture dans la planification de la ville moderne, et en quoi cette
prise de position représente un « manque de considération pour les
personnes moins mobiles »58. Jos Boys identifie que les femmes sont les premières à en pâtir puisque la majorité « n’a pas accès à une
voiture pendant la semaine »59. Une telle planification intensifie donc l’isolement des femmes et leur assignation à l’espace
intérieur. Cette étude nous donne un exemple sur comment une
vision genrée de l’espace, produit des normes genrées en
architecture et en urbanisme, qui peuvent être oppressives. Bien
que ses observation soient portées sur l’architecture anglaise, nous
savons que l’architecture moderne s’est propagée à travers l’Europe grâce à des conventions telles que les CIAM60. Nous pouvons donc en déduire que l’architecture moderne française
porte en elle des normes similaires, vectrices d’oppressions. Par
ailleurs, « la forme de ces oppressions change avec le temps, le lieu et l’expérience individuelle de la femme varie selon des facteurs tels que la classe, la race, la personnalité et l’attirance sexuelle. »61. Des études plus récentes, comme celle de Marie Gilow et Pierre Lannoy en
public world. » p.4, traduction libre 58 MATRIX (1984) « Although 60 per cent of households in Milton Keynes possess one or more cars, about three-quarters of housewives do not have access to a car during weekdays […] The emphasis on individual mobility through private car ownership since the second world war is reflected in the way our man-made surroundings lack consideration for the less mobile » p.40, traduction libre 59 Ibid. 60 Le Congrès International d’Architecture Moderne organisa une série d’évènements et de congrès à travers l’Europe de 1928 à 1959. Les architectes les plus connus de l’époque diffusaient par ce biais les principes du mouvement moderne. 61 MATRIX (1984) « the form of this oppression changes through time and with place, and the individual woman's experience of it varies according to factors such as class, race, personality and sexual preference. » p.12, traduction libre
38
2017, sur l’anxiété urbaine et ses espaces décrivent ces schémas
d’oppression, liés à « la perception et l’interprétation de lieux urbains [qui] « ne sont réductibles ni à une donnée exclusivement objective, ni
à une donnée exclusivement subjective. [Elles] désignent l’interaction
entre l’environnement physique, ‘‘objectif’’, le milieu social, culturel, technique et le paysage interne à chaque individu »62.
« Les villes modernes ont été planifiées selon une ségrégation des différents aspects de la vie ; maisons, commerces, usines et bureaux sont tou·te·s dans des zones séparées. » Matrix, 1984, p.463
Nous avons vu qu’une société capitaliste est basée sur la
ségrégation des classes, des races et des genres et nous venons de montrer que la ségrégation genrée peut se retrouver dans la
planification des villes modernes. Les guerres mondiales ayant amené le besoin d’une production rapide et pas chère, le temps devient synonyme d’argent, s’inscrivant dans la poussée
industrielle du fordisme64 du début du 20ème siècle. Le modèle unique réplicable à l’infini (mis en pratique par Le Corbusier avec
son modulor entre autres) devient alors l’emblème de
l’industrialisation de l’architecture. Celle-ci doit donc devenir
AUGOYARD et LEROUX, 1992, p.49 dans GILOW Marie et LANNOY Pierre, 2017 63 MATRIX (1984) « Modern cities have been planned to segregate different aspects of life ; homes, shops, factories and offices are all in separate areas. » p.4, traduction libre 64 « Le fordisme, est — au sens premier du terme — un modèle d'organisation et de développement d'entreprise développé et mis en œuvre en 1908 par Henry Ford. L’un de ses principes comprend la standardisation, permettant de produire en grandes séries à l'aide de pièces interchangeables. » Wikipédia, Fordisme 62
39
Un environnement crée par et pour les hommes
rentable, en dépit des idées se concentrant sur les besoins sociaux,
pleines d’espoir et d’inclusivité des années CIAM, qui sont réduites sous les pressions économiques et politiques, mettant en lumière le grand écart qui existe entre projet et réalisation65. 2.
Et s’érige en figure neutre
Nous voyons à travers la précédente énonciation d’idées, comment la société capitaliste et patriarcale peut influencer l’architecture. Nous pourrions observer comment sont exploitées
les normes genrées (induites par un système où les hommes et l’économie sont dominant·e·s) dans l’espace, mais cela relèverai d’un autre travail de mémoire. En revanche, comme nous l’avons vu dans le chapitre A, cette norme est premièrement identifiable
à travers les représentations que les architectes ont fait du corps humain et de la ville. Par conséquent, l’architecte représente son
propre corps et l’associe à l’architecture, reproduisant le modèle dominant établi par la société patriarcale et capitaliste : un
homme blanc, valide, hétérosexuel cisgenre et d’un milieu social
« C’est à dire qu’il y a eu des choses qui ont été faites dans l’idée des grands ensembles, qui étaient très belles, qui étaient d’ailleurs très inclusives. Même si elles partaient d'une norme qui est celle de l'homme et de son modulor etc. et d'une norme corporelle qui a généré des manières de faire, mais elle était pleine, pas d'utopie, mais pleine d’espoir. J'adore cette période parce que je trouve quand même qu’il y a des choses architecturalement qui se sont fait. Les toits terrasse à investir, penser l’immeuble pleine d’activités à l'intérieur, pouvoir penser que ce 2ème étage pouvait être utilisé comme une rue… il y avait quand même une volonté magique de rendre, à l'échelle d'une opération, l'idée d'une petite échelle, donc très inclusive. Parce qu’il y avait des commerces, il y avait des écoles, sur le toit il y avait une piscine. Donc l'idée de base elle était très inclusive j’ai envie de dire. Après dans ce qu’on en a fait c'est autre chose, là c’est un flop total. Mais parce que on a voulu réduire telle chose, enlever telle chose, ne pas connecter à la ville, ne pas… et c’est là où c’est un échec. Parce que entre le projet et sa réalisation il y a un très grand écart. » Une enseignante chercheuse en ENSA 65
40
aisé. Pour corroborer ce propos, j’ai établi un trombinoscope à
partir des réponses obtenues en entretien à la question « Quels
étaient les modèles d’architectes qui vous étaient enseigné ? », sachant que ces femmes sont issues d’une époque où l’architecture moderne et ses penseurs étaient au centre des enseignements :
« This is a neutral’s world » C’est un monde neutre
Produit par l’autrice, 2021
1. Le Corbusier
13. Henri Ciriani
3. Rem Koolhaas
15. Walter Gropius
2. Adolf Loos
4. Robert Venturi
5. Mies Van Der Rohe 6. Peter Eisenman 7. Aldo Rossi
8. Alvar Aalto
9. Louis Kahn
10. Bernard Secchi
11. Frank Lloyd Wright 12. Edith Girard
14. Bernard Huet
16. Kenneth Frampton
17. Christian Norberg-Schulz 18. Jean-Louis Cohen
19. Leonardo Benevolo 20. James Stirling 21. Renzo Piano 22. Alvaro Siza
23. David Mangin 24. Richard Serra 41
Un environnement crée par et pour les hommes
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Un environnement crée par et pour les hommes
« Le patriarcat est une narration » Virginie Despentes, Comment se construire un corps révolutionnaire ?, 202066
Cette première partie nous montre en quoi les
architectes majeurs des années modernes et les théories qui en
découlent, sont établies à partir du point de vue de l’homme blanc hétérosexuel cisgenre et valide, modèle dominant de la société
occidentale dans laquelle les architectes se trouvent. Ces architectes sont le produit d’une narration ancienne aux rouages complexes67, qui, de par son ancienneté, peut-être perçue comme
‘‘Naturelle’’, et donc neutre. Correspondant au modèle dominant, ils s’érigent entre eux en symbole de neutralité à travers leurs productions, comme vu dans le chapitre A. Or, ce monde
d’entre-soi ne peut représenter une neutralité, étant influencé par
son vécu et par tout ce qui l’entoure, ce que les féministes appellent savoir situé68. Car si en grammaire française « le
PRÉCIADO (2020) séminaire « Une nouvelle histoire de la sexualité » Nous avons fait une description rapide de certains de ces rouages en 1. Ces notions se croisent avec beaucoup d’autres, sur plusieurs époques. Loin de vouloir donner une explication exacte, nous avons voulu faire un rapide historique, faisant ressortir des notions principales, théorisées par les féministes, afin d’apporter une explication partielle de ces rouages et proposer ainsi des pistes de réflexion. 68 Lire à ce propos : l’essai de Donna HARRAWAY (1988) Savoirs situés : la question de la science dans le féminisme et le privilège de la perspective partielle, dans Manifeste cyborg et autres essais (2007) – Sandra HARDING (1986) Whose Science ? Whose Knowledge - « Pour Elsa Dorlin (2008) il s’agit d’un point de vue à partir d’une situation vécue. L’idée réfute l’existence d’un point de vue masculin généralisant et neutre. Il n’y a pas de position ontologique, seulement des positions politiques à partir de situations vécues et plus ou moins subies. Les études féministes des sciences participent à l’élaboration de sciences plus objectives. Elles « grossissent ce que l’expérience individuelle tend à rendre minuscule. » (Clair 2012, p. 120). » EFIGIES ateliers (2018) CR1 : Savoirs situés et savoirs sur le corps : introduction. 66 67
44
masculin est neutre », l’inverse est loin d’être vrai, le masculin n’étant pas neutre, mais masculin. Ici, nous ne démontrons rien
de nouveau donc. L’environnement architectural a été créé par et pour des hommes, car l’homme correspond à la norme, par conséquent il s’établit neutre. L’enjeu est donc ici de se poser la question de ce que cet environnement créé sur celles et ceux considérés « hors-normes ». Nous allons voir dans la partie suivante, en prenant les femmes comme cas d’étude, comment un
environnement aux normes genrées peut influencer le parcours d’une femme architecte.
45
Not all men ?
Not all men ? « Ce qu’on veut m’empêcher d’être ou de faire me rend furieuse, pas ce qu’ils sont ou font » écrit Virginie Despentes dans King Kong
théorie en 2006. Ce ne sont pas les hommes que je critique, eux-
mêmes aliénés par des rouages qui les dépassent. C’est ce système, établi par certains, perpétué par certain·e·s, qui nous a enfermées dans une cage dorée, nous empêchant d’avancer aussi facilement que pourrait le faire un membre du groupe dominant de la société
occidentale contemporaine : l’homme blanc hétérosexuel cisgenre valide. Cela n’empêche en rien que certains soient de précieux alliés, souvent sensibles aux questions féministes grâce à des femmes. En se servant de leurs privilèges, des hommes aident à visibiliser les femmes :
« [Dans cette école], un sociologue et sa femme, qui est assez connue sur la question du genre et du féminisme, et c’était lui qui m’avait poussée [à postuler en master] […] J’ai dû présenter devant la CPR ma volonté d’enseigner en master et heureusement [qu’il] était là, il m’a défendue, mais en tant que femme je passais pour une sorte d’arriviste qui voulait monter en grade. » Une enseignante du projet en ENSA « L'accession c'est sûr que moi j’ai voulu le post ou j’étais, et je suis quelqu'un de très décidé, mais je suis aussi arrivée à un moment donné avec une personne bienveillante qui était président avant moi, et qui m'a emmenée partout pour essayer de faire le relais. Donc un homme, qui a eu confiance dans le parcours. » Une présidente de l’Ordre des architectes, échelle régionale 47
Sans remettre en question la position et la légitimité de ces
femmes, ce constat nous permet de poser la question du poids toujours dominant, que les hommes ont par rapport aux femmes
dans notre société et la nécessité de figurer dans leurs ‘‘bons petits papiers’’ pour accéder au pouvoir.
Le monde de l’architecture n’échappe pas à ce déséquilibre. Être
une femme en architecture ce n’est pas neutre, et c’est ce que je
vais essayer de démontrer dans cette deuxième partie, en me
basant sur l’expérience comme point de départ épistémologique69, tirée d’entretiens avec des femmes en situation minoritaire dans
l’exercice de leur métier d’architecte. Derrière ce terme
« minorité », il existe pourtant un paradoxe. On observe
qu’actuellement, les femmes sont majoritaires parmi les
étudiant·e·s en architecture. Ce sont aussi elles qui sont le plus représentées dans les divers métiers de la profession :
« Il n’y a pas que la maitrise d’œuvre mais il y a des pratiques diverses quand on est diplômés d’archi, qui est une question très féminine et féministe, parce que pendant très longtemps les femmes se sont déployées dans tous les métiers de l'architecture plutôt que dans la maitrise d’œuvre. » Une enseignante chercheuse en ENSA Cette part du métier qu’est la maitrise d’œuvre, reste un des buts
ultimes à atteindre (avoir son agence, gagner des concours…), que l’on fait miroiter aux étudiant·e·s pendant leurs années
L’épistémologie est l’étude critique des sciences, destinée à déterminer leur origine logique, leur valeur et leur portée (théorie de la connaissance). 69
48
Not all men ?
d’étude. Ce sont eux (les maître·sse·s d’œuvre) les « parfaits praticiens, efficaces et reconnus », selon les propos de certains professeurs de l’école d’architecture de Paris Val de Seine. Et ce
discours, devenu dominant en public et dans l’enseignement de l’architecture, est en majorité produit par des hommes étant majoritaires parmi les maître·sse·s d’œuvre. Il suffit de regarder le
nombre de femmes inscrites à l’Ordre des architectes, et donc maîtresses d’œuvre en France : 30,7% de femmes en 2019, sur 29034 inscrit·e·s70. La répartition des genres à travers les postes
de pouvoir des institutions telles que l’Ordre des architectes, est aussi un marqueur de ce déséquilibre. En 2005, Cristina Conrad
est la première présidente élue à l’Ordre des architecte d’Ile de
France. Viendra ensuite Christine Leconte en 2017. Elles
succèdent à ce poste à 13 hommes, ce qui représente 87% de présidence masculine, sur les 44 ans d’existence de l’Ordre. De
plus, l’exercice de la fonction fait que très souvent, la présidente du conseil de l’Ordre des architectes d’Ile de France se retrouve
seule femme en réunion face à plusieurs centaines d’hommes. Sur
un panel très large de rencontres (30% des architectes sont inscrit en Ile de France), comprenant tous les acteurs et actrices de l’acte
de construire, la majorité écrasante est masculine. Il faut donc ici comprendre minorité dans le sens de rapport de pouvoir.
70
Archigraphie 2020 – Voir annexes 3a et 3b p.157
49
II. être architecte et femme Que produisent les normes genrées sur les femmes architectes ?
51
Être architecte et femme
Je suis une femme architecte malgré moi. Je veux être architecte, mais on me voit, avant tout, femme. Pourquoi est-ce qu’on me
demande de préciser, lorsque ce n’est pas insinué directement, si je suis architecte d’intérieur lorsque j’annonce être architecte ?71
Parce que je suis une femme et que, ce que la société perçoit de
moi en premier, c’est mon genre. Pourquoi à la question « Y a-til une différence entre être architecte ou être femme architecte ? » on
me répond « je n’ai pas envie de séparer les hommes et les femmes là-
dessus », le terme ‘‘architecte’’ étant ici interprété comme ‘‘homme architecte’’ en opposition à ‘‘femme architecte’’ ? Parce que l’homme est neutre et la femme est autre. Quelle aurait été la
réponse si la question avait été tournée dans l’autre sens ? Pendant
des siècles, le seul rôle social de la femme, son travail finalement, était celui de mère au foyer. Tandis que l’homme était architecte
avant d’être père. Nous nous retrouvons confrontées à des habitus, tout au long de notre carrière, et sous différentes formes,
et ce, allant jusqu’à questionner la légitimité que nous avons à
pratiquer notre métier, parce que nous sommes des femmes architectes, et que les architectes sont hommes.
Voir à ce propos l’essai de Joel Sanders Curtain Wars, publié dans le Harvard design magazine en 2002. L’essai traite du conflit historique entre architectes et architectes d’intérieur, et dans une perspective intégrant les conflits de genre. À traduire par La Guerre des rideaux (comprendre ici l’analogie entre les rideaux et les murs rideaux). 71
52
« Pour peu qu’on lise des choses sur la sociologie de la profession, pour peu qu’on connaisse un peu l’histoire de la profession, on sait que pleins d’autres gens, aux profils et aux identités beaucoup plus variées ont agi, ont… mais n’empêche que, oui je pense que la figure de l’homme architecte elle reste... elle reste forte. » Une enseignante chercheuse en ENSA
53
Être architecte et femme
CHAPITRE C
ÊTRE UNE FEMME ARCHITECTE
En quoi le genre peut-il influencer le parcours d’une architecte ? Quels
sont les mécanismes construits en réponse à son environnement, qui peuvent affecter (positivement comme négativement) le parcours ? Quelles sont les techniques mises en place pour faire avec ?
1.
Les bâtons dans les roues de la charrette a.
Pendant l’apprentissage
Rentrer en école d’architecture, c’est faire un premier pas dans le
monde des architectes. « Vous êtes des architectes », premier amphithéâtre de première année, nous ne réalisons pas encore la
portée de cette phrase, et encore moins ce qu’elle implique de manière insidieuse : ça y est, nous ne sommes plus des petites
filles, nous sommes des femmes. À partir de maintenant, nous serons traitées comme telles, que nous le voulions ou non. Pour
une majorité de femmes, les études seront très heureuses : « J'ai fait des études heureuses, et j'ai été heureuse dans toutes mes études et
mes expériences intermédiaires » ; « J’ai le souvenir de profs très bienveillants » ; « Moi [l’atelier] m’a protégée ». Mais à la question
« Est-ce que le fait d’être femme a donné lieu à une situation
particulière ? », si 5 femmes sur 9 me répondront non au premier abord, rétrospectivement, elles seront toutes capables de raconter au moins une histoire qui montre une distinction faite entre les
étudiants et les étudiantes ; que nous pouvons qualifier d’agressions :
54
« Pendant mon stage de 5ème année où on a été à deux au stage avec un copain. […] Ça a été frappant à quel point [le patron] lui parlait à lui et pas à moi. » « Il y avait une sorte de rituel [que le professeur de projet] avait instauré. On était tous autour d'une table ronde quand il arrivait, et il disait ‘‘bonjour messieurs” et puis il faisait tout un tour des visages et des sourires, puis il s’arrêtait sur moi et il disait (pause) ’’m’dame’’. » « C'était un bizutage […] un marché. ‘‘Vous [les élèves plus âgés s’adressant aux nouveaux et nouvelles étudiant·e·s] êtes les esclaves et pour vraiment juger de vos capacités on vous met à poil. Donc tout le monde se déshabille. Et on va commencer par les demoiselles.’’ […] On n’était pas beaucoup de filles et on a dit non. Nous, non, on joue pas à ce jeu-là, ça ne nous amuse absolument pas on le fait pas. Donc ils ont insisté etc. Ils ont fait quand même le marché aux esclaves, donc sans qu'on se déshabille, on s'est retrouvées avec du mercurochrome (fait le geste du doigt sur le front), avec le nom, sur le front, de l’ancien72 qui nous avait acheté. Après, ça a été le tour des garçons et eux n'ont pas résisté, donc en fait on s'est trouvé avec les 100 et quelques mecs à poil. » « Un [professeur], un jour, qui s'est fâché contre un de mes projets en se déshabillant pratiquement devant moi, en ouvrant son pantalon et en me demandant ‘‘Pourquoi t’as fait les toilettes dans le salon ? Regarde, je ne vais pas sortir comme ça !!’’ »
72
Le terme « ancien » fait référence à l’élève plus âgé, voire déjà diplômé.
55
Être architecte et femme
« À un moment, il y a un de mes copains qui va s’asseoir à côté [du professeur de projet lors d’une correction] et qui prend son crayon de la main gauche. Et il lui dit ‘‘Ah mais, tu es gaucher ?”, le gars dit ‘‘Heu bah oui oui je suis gaucher” et [le professeur] plante ses yeux dans les miens, j'étais toujours la seule fille, et il lui dit ‘‘Mais tu sais c'est très grave ça pour un architecte d'être gaucher, c'est presque aussi grave qu'être une femme !!” » Qui ne se passent pas toujours face à la personne concernée : « Je retrouve le jury de 5 ou 6 hommes, on voit deux étudiants, et puis au moment de délibérer j’entends ‘‘Ah [les deux étudiants] étaient bien, puis ils étaient assez modestes par rapport à [cette étudiante], qu’on a vu avant, qui était castratrice…”. J’avais écouté son jury, et je la connaissais bien. Je savais très bien que c’était une bosseuse, et du coup elle était très euh, comment dire, elle avait ses notes et voilà. Là ça m’a rendue folle. Donc je leur ai dit ‘‘Mais là, vous vous rendez compte que [cette étudiante], la seule chose qu’elle a fait c’est de bien préparer son oral et de le lire. Et juste après, y a deux mecs pas forcément bien préparés mais qui sont plus à l’aise à l’oral, et au lieu de dire ‘‘Ah bah elle a bien préparé et eux ont eu un rendu un peu limite’’, on dit qu’elle était castratrice. » Une enseignante du projet en ENSA Ces situations peuvent-être banalisées en écoles d’architecture. « Parfois on est indulgentes parce qu’on voit d’autres côtés. Et ça c'est
peut-être aussi parce que à l'époque je pardonnais plus » ; « C’était une
forme d'humour peut-être », mais ces expériences marquent les
56
esprits, même si certaines n’avaient pas de conscience féministe à
l’époque. « Oui en école d’architecture j'ai directement ressenti ça, dès le début et pourtant à l'époque j'étais pas déconstruite », et alors que
le climat qui règne en école est connu par tou·te·s « ça se savait » ;
« oui il y a des histoires comme ça », personne n’en parle « Je n'en ai jamais rien vu ni ressenti sur le moment et je l’ai su 20 ans plus tard ». Il faut néanmoins faire une distinction d’époques, les agressions
directes et visibles étaient beaucoup moins racontées par les enquêtées diplômées après 2000. Par contre, les propos des enquêtées soulignent à plusieurs reprises et convergent pour dire qu’être passée entre les mailles de la misogynie en école tient de l’inconscience « Je ne m'en rendais pas compte. J’étais inconsciente en
fait » ; « Rétrospectivement sur le coup je ne m'en suis pas aperçue. Pas
du tout… » ; « J'ai des souvenirs qui, je pense, n'auraient pas été les mêmes si j'avais revécu les mêmes choses aujourd’hui. » ; « C'est pas à
ce moment-là que je l'ai compris, c'est bien plus tard, mais à ce moment-là non pas du tout. Alors que, évidemment tout aurait pu me mettre la puce à l’oreille » ; « Honnêtement j’étais assez naïve » ; « Pendant les études ça ne m’avait pas choquée. Voilà. Je ne m'étais même pas rendue compte qu’il y avait un problème. ». Plus que de la
naïveté, il semblerait que les agressions sexistes* se réduisent, car
de moins en moins socialement acceptables, grâce au travail des féministes, entre autres. Néanmoins, ne plus être socialement
acceptable n’est pas synonyme de réduction. Au contraire, ces
agressions prennent de nos jours, des formes différentes. Elles correspondent encore à un renouvellement du schéma de
domination pour pouvoir être identifiées. Ne pas avoir vécu ce genre de situation relève de la chance « Je pense que j’ai eu de la
chance, j'étais dans une école qui était vraiment détachée de la culture des ateliers » ; « J'ai déjà de la chance d'avoir eu des profs hommes, 57
Être architecte et femme
intelligents, respectueux ». L’école d’architecture est un milieu
sexiste et misogyne, et ça se sait « C'était connu dans l’école, qu’il y avait des enseignants qui étaient, qui pouvaient avoir des propos
violents, sexistes, envers les femmes, envers les étudiantes, et ça en fait c’était une ambiance complètement intégrée quoi je dirais. ». b.
Dans le monde du travail
Une fois les études terminées, c’est le moment où on observe que
les agressions frappent systématiquement, et où les femmes sont renvoyées le plus brutalement à leur genre. C’est aussi souvent la première prise de conscience de l’existence de ces différences de
traitement par rapport aux collègues masculins. Les stéréotypes
liés aux qualifications du genre féminin (prendre soin des autres où s’occuper des enfants par exemple) marquent une première différenciation dans la carrière des femmes architectes :
« On a fait un Mooc sur les études et les métiers de l’architecture, les femmes nous disent qu'elles ont plus que d'autres des projets de crèche, des projets d’école, tout ce qui est lié à l’enfance seront, peutêtre plus facilement confiés à des architectes femmes. » Une enseignante chercheuse en ENSA Ce qui peut parfois être une conséquence positive : « On a toujours pris comme atout le fait d’être femmes. Jamais les architectes [masculins] se seraient présentés à ce concours, c’était un peu méprisé et c’est comme ça qu’on a commencé à travailler. C’était vraiment un travail de femme architecte. » Une maîtresse d’œuvre 58
Je remarque que dans le monde du travail, les agissements sexistes se font sentir de manière plus forte – peu importe la génération – autant en agence :
« J’ai créé mon agence avec une femme en sortant de l’école, les entreprises étaient un peu perdues. C’était l’époque où ils offraient des matchs de foot au stade de France pour Noël et ils ne savaient pas trop quoi nous offrir. Du coup ils nous invitaient à des spectacles, mais c’était Moulin Rouge alors ils se disaient ‘‘Est-ce qu’on invite les filles au Moulin Rouge ?’’… On voyait bien, on était rarement invitées à des trucs parce qu’on ne rentrait pas dans les cases. » Une maîtresse d’œuvre « Il y a eu quelques expériences quand j'étais dans des équipes uniquement féminines où les commanditaires nous faisaient bien remarquer qu'on était que des femmes et que c'était bien drôle. Enfin, c'est arrivé que ce soit la running joke de début de réunion » Une maîtresse d’œuvre « J’étais encore salariée dans une agence d’architecture ou quand effectivement on était une femme, un chef de projet pouvait mettre sa main sur votre cuisse que c’était normal et qu’il ne fallait rien dire » Une maîtresse d’œuvre Que dans l’enseignement : « Un jour j’avais une réunion avec des collègues, principalement des hommes, et donc j’arrive et un professeur TPCAU, c'est une réunion, un séminaire, et qui dit ‘‘Ohlala mais c’est super, on a du café, on a des chouquettes…” et il me montre 59
Être architecte et femme
devant tous ses collègues, ‘‘Et voyez, y a même des femmes !” » Une maîtresse de conférence en ENSA « Il y a un jury qui se passe en 3ème année, on passe d’une salle à l'autre, en fait tous les enseignants font le tour de tous les studios. La matinée, il s’est avéré que les 3 studios visités étaient des studios de femmes, par coïncidence, et un prof dit ‘‘Bon maintenant qu’on a fini les studios de femmes, passons aux vraies choses, passons aux questions architecturales.” » Une enseignante chercheuse en ENSA Des entretiens, j’ai relevé un dénominateur commun : la première
grossesse. Ce moment m’a semblé être pour certaines la première
prise de conscience des inégalités hommes-femme. Ce qui marque le propos de chacune des enquêtées, c’est le changement
systématique dans leur carrière, avec les choix que ce changement implique, et la modification de traitement par certain·e·s de leurs collègues dû à la grossesse.
« La coupure dans le libéral c’est le moment où il y a eu les enfants » Une maîtresse d’œuvre « Je dirais que le moment où j'ai compris en fait, l’écart, c’est à la naissance de mon premier enfant. Enfin c'est là où j'ai compris que socialement, en fait, j'étais une femme quoi. Et là, WOW ! (rires) J’ai halluciné quoi ! J’ai halluciné. Donc là j'ai compris pleins de trucs. J’ai compris bah tous les trucs du quotidien, que de toute façon s'il était malade c'était moi qu'on appellerait, que du coup de m'avoir vue à l'école, avec le bébé, machin, j'étais
60
devenue une femme, et que j’allais avoir des petites remarques, machin, que bah en fait […] Et là je me le suis vraiment pris dans la gueule ! » Une enseignante de projet en ENSA « Potentiellement quand on est une femme et qu’on a mon âge, potentiellement on a des enfants. Alors là, bah c’est horrible quoi ! Non enfin c’est horrible, c’est très bien, mais ça veut dire qu’on est encore moins légitime ! Moi j’ai eu un collègue qui m’a dit quand j’ai eu un deuxième enfant ‘‘Ah bah t’arrêtes pas de pondre ?” Voilà comment on est perçues. Et moi, mon mari est aussi enseignant. Quand on a eu notre deuxième enfant ça n’a joué en rien sur sa carrière, ce n’était même pas un sujet ! » Une maîtresse de conférence en ENSA Dans le couple, avoir un enfant impacte plus les femmes. Selon
une enquête du CREDOC en 2020, sur 2233 architectes
interrogés, 5% des femmes déclarent s’être désinscrite de l’Ordre contre une part nulle pour les hommes, 40% des femmes
déclarent avoir réduit leur temps de travail pour s’occuper de leurs enfants contre 18% des hommes, et 43% des femmes ont le sentiment d’avoir été pénalisées professionnellement par ce choix
contre 8% des hommes73. Une enquêtée ayant des fonctions au conseil de l’Ordre me raconte observer ce phénomène :
« Les femmes qui finissent leurs études d’archi vont souvent dans le salariat juste après et puis au bout d'un moment elles ont un amoureux, elles ont 30
Archigraphie 2020 – Voir annexes 3c, 3d et 3e pp.158-159, voir aussi « La construction du plafond de verre » (2005) LAUFER Jacqueline, epsilon.insee.fr 73
61
Être architecte et femme
ans, 28 ans, 32 ans et puis elles font un enfant et en fait en agence d'archi l’enfant n'est pas symbole de liberté (rire jaune) c'est plutôt un symbole de ça va t’éloigner de tes projets le soir […] Il y a des femmes qui tombent en burn out entre 36-38 ans, quand leurs enfants commencent à avoir 3-4-5-6 ans, et qui finalement vont aller dans les métiers connexes à l’architecture pure, CAUE, profs à l'école, même changer carrément de destination pour pouvoir assumer leur rôle de mère et leur rôle d’architecte, enfin d'avoir un boulot quoi. Mais peut-être plus le boulot qu'elles avaient rêvé, comme si elles s'interdisaient d'être maître d’œuvre. Et ça moi je l'ai vécu, et je pense qu’aujourd'hui je le vis encore. C'est à dire que j'ai pris le parti, depuis je me suis séparée de mon mari. ». Une présidente de l’Ordre des architectes, échelle régionale Cette dernière phrase fait écho à P. Bourdieu dans la domination masculine :
« La vérité des rapports structuraux de domination sexuelle se laisse vraiment entrevoir dès que l’on observe par exemple que les femmes parvenues à de très haut postes (cadre, directeur de ministère, etc.) doivent ‘‘payer’’ en quelque sorte cette réussite professionnelle d’une moindre ‘‘réussite’’ dans le cadre domestique (divorce, mariage tardif, célibat, difficultés ou échec avec les enfants, etc.) […] ou à l’inverse, que la réussite de l’entreprise domestique a souvent pour contrepartie un renoncement partiel ou total à la grande réussite professionnelle » Bourdieu, La domination masculine, 1998
62
J’observe aussi ce phénomène inverse lors de mes entretiens : « Ce qui m’a entravée ça a été d’avoir des enfants, et ça a été un vrai choix […] il y a eu vraiment là un choix avec une carrière ascendante et il y a peu un décrochage. Je ne regrette rien, mais on a bien vu que nos choix se sont faits en fonction de ça, parce qu’on pouvait vraiment être cheffes d’entreprise avec des employés tout ça… […] Même avec des hommes libérés, qui participent et qui t’aident, ça a quand même bouleversé l’agence et notre façon de travailler. Ça a eu une incidence sur nos ambitions professionnelles. Nos emplois du temps ne nous permettaient pas d’aller aux vernissages de l’Institut Français d’Architecture ou de l’Arsenal qui étaient des hauts lieux pour les hommes architectes d’accès à la commande. » Une maîtresse d’œuvre Les rapports structuraux de domination sexuelle qui s’observent
dans la maitrise d’œuvre sont liés à la culture de la charrette, culture pérennisée dans les années 80, où l’on voit se développer
les concours architecturaux. Lorsqu’on est architecte, « tout arrêt
nécessite de refaire ses preuves ». Et parce que les grossesses sont
synonymes d’absence plus souvent pour les femmes, comme nous le montrent les chiffres d’Archigraphie 2020, cette culture force
une organisation du métier qui n’est pas adaptée à une vie de
famille et a un rôle encore majoritairement endossé par les femmes, même si cette responsabilité tend à être plus paritaire.
« Dans le domaine de la construction, de la fabrication du business de la construction, si tu n'as pas de disponibilité, pour aller, je pense en province 63
Être architecte et femme
c'est un peu aller faire du golf ou du bateau, en île de France ça va être pour aller au foot, dans certains milieux, ou pour aller dans des diners un peu chics dans d’autres, pour aller aux conférences tous les soirs... bah tu perds une grosse partie de ce qui te permet de faire du business. […] Et qui estce qui sort le soir et peut aller dans ces endroits où on fait du business ? Ce sont les hommes. » Une présidente de l’Ordre des architectes, échelle régionale
Vivre dans un milieu androcentré, où les discriminations de
genre sont systémiques, oblige les femmes, de manière consciente ou non (dans la plupart des cas, inconsciemment), à mettre en
place des stratégies d’adaptation, terme philosophique décrivant les mécanismes mis en place par un·e individu·e ou groupe
d’individu·e·s permettant de résoudre les problèmes auxquels iels sont confronté·e·s. 2.
Coping mechanisms, ou Comment faire avec a.
Les stratégies internes
Il est possible d’observer lors des entretiens, que les femmes
peuvent tenir différents rôles. Ces rôles, que nous appellerons stratégies internes, c’est-à-dire s’appliquant au comportement de
la personne, ressortent de manière transversale à travers les entretiens, parfois combinées. Ces stratégies n’ont pas de particularité dues au statut, mais peuvent être le reflet d’une
dimension générationnelle (certains comportements internalisés par des générations plus anciennes commencent à être
déconstruites par les jeunes générations et donc seront moins
64
rapportées par celles-ci), et apparaissent à tout moment de la
progression scolaire et professionnelle. À l’issue de l’enquête, il est possible d’en distinguer quatre : la stratégie d’évitement qui s’oppose à la stratégie de combat, et la stratégie de miroir qui est en corrélation avec la stratégie de camouflage.
La stratégie d’évitement peut aussi être appelée stratégie de la fuite :
« J’ai une stratégie qui est la stratégie de la fuite, chacun a ses stratégies, je pense que les femmes, on est beaucoup à avoir mis en place cette stratégie. Mais qui n’est pas si mal. Pour certains ce n’est pas bien parce que tu n’affrontes rien mais en fait t’as quand même des fuites qui sont utiles et nécessaires parce que c’est pas là qu’est ton énergie. Ce n’est pas de la lâcheté, c’est aller là où on est bien. Faire demi-tour, passer par un autre chemin, faire un détour. Chez les profs74, mais aussi les [maître·sse·s d’œuvre]. » Une enseignante de projet en ENSA et maîtresse d’œuvre
Cette stratégie consiste à volontairement éviter une situation
connue, ou un type de personne identifié, afin de ne pas être, ou se sentir en danger :
« Quand je m’étais renseignée post bac, en 1982, c’était la conseillère d’orientation qui avait sa fille dans cette école et cet atelier, qui m’avait dit d’aller là-bas, ‘‘Non mais là, tu vas voire, c’est normal
« On retrouve cet aspect dans l’enseignement, où les chercheuses trouvent des sortes de ‘‘sujets niche’’ où elles sont tranquilles et évitent les rapports de pouvoirs épuisants et stériles. À ce propos, voir le livre de Vinciane DESPRET et Isabelle STENGERS (2011) Les faiseuses d’histoire : Que font les femmes à la pensée ? » Une enseignante de projet en ENSA et maîtresse d’œuvre 74
65
Être architecte et femme
c’est intéressant, et ce n’est pas Beaux-Arts’’. J’avais peur de ce côté Beaux-Arts et de ces histoires de bizutage. » Cette fuite volontaire nécessite une sélection préalable de certains postes ou personnes avec qui les femmes vont interagir : « J’ai eu
l’impression que par système de défense je me suis vraiment entourée d’hommes qui n’allaient pas me mettre dans une position
embarrassante. Parce que en effet il y en a certains qu’on identifiait assez vite ». Les enquêtées soulignent avoir déjà vécu l’expérience
afin de pouvoir identifier la situation ou la personne posant
problème pour l’éviter : « Avec l'expérience qui est la mienne, si je suis en binôme avec un homme pour gérer quelque chose, oui je me méfie ». Cela implique donc que chaque femme usant de cette stratégie
ait
déjà
été
confrontée
à
une
situation
‘‘dangereuse’’ : « Depuis je me suis barrée […] Je ne peux pas rester
dans un endroit où je me fais harceler. » ; « Je ne peux pas travailler avec des hommes qui ont une ascendance sur moi. Je deviens folle,
j’arrête, je m’écarte. Je vais avoir du mal à travailler avec des femmes qui sont dans la question de la domination. ».
La stratégie de combat se construit en opposition à celle d’évitement. Plutôt que de fuir la situation, l’adversité rendra la femme plus forte et la poussera à sortir de sa zone de confort :
« Tous les obstacles m’engagent, non pas à me refermer, mais à combattre ! Et au contraire, quand je vois une réunion, alors que je suis assez timide, et je vois que j’ai en face de moi 3 hommes qui prennent la parole tout le temps, je ne vais pas me taire. Au contraire je vais parler beaucoup plus que quand je vais être à une réunion avec des 66
femmes qui vont me laisser beaucoup plus la parole. Je pense que ça me rend presque agressive, enfin j’exagère, mais en tous cas ça me donne envie de ne pas laisser passer les choses. » Une enseignante de projet en ENSA et maîtresse d’œuvre On remarque que la stratégie de combat est beaucoup moins rapportée lors des entretiens contrairement à la stratégie
d’évitement. Cet aspect renvoie à la manière dont les garçons et
les filles sont éduqué·e·s dans une société où le comportement sera dissocié selon le genre dès la naissance. En effet, des études montrent que les petits garçons seront habitués à se battre face à
une situation et à faire face tandis que les petites filles seront encouragées à fuir le danger. Cette dissociation genrée se retrouve aussi
à
travers
la
littérature,
les
représentations
cinématographiques, les jeux vidéo… C’est pourquoi on remarque que la stratégie de fuite sera plus fréquemment
mobilisée par les femmes, tandis que la stratégie de combat apparait comme une attitude socialement interdite. De plus, c’est
un comportement propre aux générations les plus ‘‘jeunes’’, contrairement à la stratégie d’évitement évoquée par des femmes
de générations supérieures, marquant l’apprentissage récent et l’apparition progressive de ce mécanisme de défense, par les femmes.
La stratégie de miroir consiste en la copie du comportement dit
‘‘d’homme’’. Faire carrière veut dire vouloir exister dans un
monde d’homme. Il faut donc en être un, ou passer pour tel auprès de ses semblables.
« Des femmes sont dans la question de la 67
Être architecte et femme
domination et sont comme un miroir aux hommes. Au départ, ce sont des femmes que je trouve fascinantes. Et au bout d’un moment je me rends compte qu’il y a ce truc de pouvoir, de domination. » « T’as des femmes qui se comportent vraiment comme des hommes. » « Huet considérait que Girard et Gangneux, qui étaient quand même ces fameuses femmes qui avaient réussi à se faire une place comme pionnière dans un milieu d'hommes, et ben il considérait qu'elles se comportaient comme des hommes. C’était des hommes quoi. Ça c'est, je ne le dis pas comme lui, mais c’était quasiment sa citation texto quoi. » Cette stratégie est propre à une génération de femmes. Avant
2000, il était difficile, encore plus qu’aujourd’hui, d’exister en tant
que femme architecte : « On voit très bien aussi que certaines femmes de 60/65 ans ont dû se plier ». En montrant que des comportements dits ‘‘d’homme’’ pouvaient tout à fait être des
comportements de femmes, quitte à les exagérer, « T’as encore tout ce côté-là, de ces femmes qui devenaient dragon et qui étaient parfois pire que les hommes » ; certaines féministes des années 1920 à 2000, s’émancipaient de leur condition de femme :
« Dans mon temps au contraire si on voulait être un minimum féministe il fallait être dans les codes masculins. » Par miroir, j’entends donc le fait de copier les codes sociaux
masculins et virilistes, tels que le besoin de se mettre en scène :
68
« Edith Girard c’était vraiment quelqu’un. C'était, enfin voilà c'était une grande gueule, c’était une starchitecte75 comme Ciriani... enfin
voilà, ce genre de personnage. » ; la dureté : « Dans la pratique je
remarque que les femmes qui réussissent la plupart du temps sont très dures, avec elles-mêmes et avec les autres. » ; ou encore le style vestimentaire : « Même si je vais m’habiller en jupe, je vais m’habiller
en noir et je vais m’habiller de manière très neutre, je n’aurai pas de froufrous ou de petites fleurs. ».
La stratégie de camouflage apparait en corrélation de la stratégie
de miroir. Elle consiste à vouloir casser les clichés de genre liés aux femmes, par le comportement et/ou par l’apparence, et s’en
éloigner le plus possible afin de ne pas être associé comme telle.
Dans une vision binaire du genre, où seuls le masculin et le féminin existent, on aura donc tendance à dire que la volonté de
ne pas être perçue comme femme consiste par opposition à être perçue comme homme :
« Je me rappelle d’une collègue à moi qui était hyper branchée sur le numérique, c’était le début du numérique à l’époque, moi j’ai fait mes études au début des années 2000 donc c’est l'introduction dans les écoles des outils numériques. On travaillait encore avec des zips qui sont des grandes disquettes comme ça très épaisses pour pouvoir mémoriser les projets. Et elle, elle voulait vraiment être la meilleure en numérique, même meilleure que les gars alors que c’était plutôt les gars qui aimaient
Contraction du mot « star » et « architecte ». Terme utilisé dans le milieu de l’architecture pour désigner celles et ceux ayant réussi sur le devant de la scène publique. 75
69
Être architecte et femme
bien faire des trucs à l’ordinateur. […] On voulait montrer qu'on était les meilleures, pour montrer qu’on n’allait pas être cantonnées à faire de la déco» D’un point de vue plus actuel et moins binaire76, je dirais que
cette stratégie montre une volonté de vouloir casser les codes et
s’en échapper, pour ne pas subir de stigmates liés aux femmes. Camoufler son genre, afin de ne pas perturber la perception et donc les agissements des interlocut·eur·rice·s. En architecture
plus particulièrement, j’identifie cette stratégie dans la revendication d’une différence, en cherchant à montrer qu’on ne
rentre pas dans le moule de l’architecte unique, de l’architecture modèle :
« Je me présente toujours comme enseignante chercheur. […] Je ne me dis pas architecte parce que quelque part je pense que je suis quelqu'un qui aime mon profil d’enseignante chercheur et que je le revendique. C’est à dire que je revendique qu'un enseignant chercheur ait une place en agence. Donc je n’ai pas envie de dire que moi je, je dis que je travaille l'architecture différemment. » Une enseignante chercheuse en ENSA et maîtresse d’œuvre b.
Les stratégies externes
Lorsque les stratégies internes, ne suffisent pas ou plus, rentrent en jeu les stratégies que nous appellerons ‘‘externes’’. Ces stratégies reposent sur la mobilisation d’éléments extérieurs à la
76
Ne pas considérer le genre comme binaire : masculin/féminin, mais fluide.
70
femme, qui permettent donc de soulager la charge mentale* que
peuvent induire les stratégie internes. À travers mes entretiens
j’en distingue deux : le statut professionnel et le rapport de domination par la séduction.
Le statut professionnel se traduit en stratégie par l’ambition d’acquérir une position de pouvoir stable qui, une fois atteinte, ne
permet pas de se libérer des bâtons mis dans les roues, mais de lâcher prise et avoir le sentiment d’être intouchable :
« Maintenant en fait que j'ai finalement eu ce poste de prof et que je suis habilitée à diriger les recherches, et là c'est bien une réflexion de femme je pense, je me sens maintenant détendue par rapport à ça, je n’en ai plus rien à cirer, mais aussi parce que j'ai fini par conquérir une place où je sais qu'on pourra plus, même s’ils le font je m'en fous maintenant, parce que il y en a beaucoup qui le font hein, me faire un procès en légitimité. Donc ça c’est très féminin, d’avoir besoin de se raccrocher à la place durement obtenue pour se rassurer sur sa valeur. » Une enseignante chercheuse en ENSA « À la fin de ma carrière, je suis devenue un petit peu intouchable […] Je pense qu’il y a des choses que je me permets de faire. Disons qu'il y a des choses que je peux faire un peu… plus tranquillement… qu’avant. Faire un peu d’autodérision, ne pas me prendre trop au sérieux… faire des, comment dire, des clins d’œil à tel ou telle étudiant étudiante enfin, être plus dans des relations de proximité. Je pense que j'ai moins besoin d'affirmer une différence, une distance, une
71
Être architecte et femme
supériorité… Je pense que je peux être davantage dans l'échange un peu plus égalitaire. » Une enseignante chercheuse en ENSA Le rapport de domination par la séduction quant à lui, est autant une question de femme que d’homme77.
« Ah mais je vois des jeunes filles dans l’audience, bonjour mesdemoiselles, je suis content de pouvoir vous accueillir dans cette école, est-ce qu’on vous a déjà dit que vous ne deviendrez pas architecte ? En fait, ce qu'on observe c’est que dans les écoles il y a quelques jeunes filles, mais elles sont entourées de tellement de jeunes hommes intéressants et brillants qu’elles en épousent un et en général elles arrêtent leurs études en cours de route. » Discours d’accueil des nouveaux étudiant·e·s de l’école d’architecture de Bordeaux, 1976 Cette citation, qu’on n’entendra plus de nos jours, mais qui n’en reste pas moins frappante, pose les bases de notre constat : les
hommes seront architectes et les femmes seront leurs épouses. Pour l’homme, le rapport de séduction ne sera pas engagé comme
stratégie. Il est vécu comme un aspect qui n’impacte pas la
carrière où alors de manière positive quand c’est le cas : « Dans
tous ces couples-là, c'est quand même l’homme qui a le gros poste, c’est
lui qui est en studio, c’est lui qui a la grande place au labo et c’est lui qui est le plus avancé dans sa carrière. » ; « Mes collègues hommes allaient avoir beaucoup plus de temps pour préparer le concours et
l'avoir avant moi ». Certains, détenant une position de pouvoir
77
Nous nous placerons ici dans une vision du couple hétérosexuel cisgenre.
72
élevé, pourront même profiter de ce rapport de domination par la séduction dans la sphère professionnelle78 :
« Quand j’étais salariée, clairement j’étais dans une grosse grosse agence et clairement il y avait un rapport de séduction. Enfin ce n’est pas le bon mot mais il y avait en gros les chefs de projet, chef chef, qui avaient entre 50 et 60 ans, il y avait les architectes recrutés qui avaient entre 25 et 30 ans ce qui était mon truc, et je voyais tout le jeu. Enfin, moi je venais de me marier donc j’étais pas du tout dans ce truc là, mais je voyais qu'il y avait tout un truc de drague très fort. Au début je me disais mais ohlala toutes ces nanas qui vont le soir boire des coups avec eux… et en même temps je voyais que ça fonctionnait comme ça. Alors moi je me suis barrée au bout de 2 ans, mais j’ai vu combien en fait c'est facile de jeter la pierre aux filles, mais… et c'était vraiment des remarques genre ‘‘Ça serait bien que tu retires ton pull…”, des trucs quotidiens, où en fait, si on joue pas le jeu… y en a qui ont joué le jeu jusqu’à coucher avec ces garçons et tout ça, qui n’hésitaient pas après à en parler. Alors c’était jamais des garçons de notre âge, c’était toujours ces mecs qui avaient entre 50 et 65 ans » Une maîtresse d’œuvre
BOURDIEU (1998) « Les ‘‘vocations’’ sont toujours, pour une part, l’anticipation plus ou moins fantasmatiques de ce que le poste promet (par exemple, pour une secrétaire, taper ses textes), et de ce qu’il permet (par exemple, entretenir un rapport de maternage ou de séduction avec le patron). Et la rencontre avec le poste peut avoir un effet de révélation dans la mesure où il autorise et favorise, à travers les attentes explicites ou implicites qu’il enferme, certaines conduites, techniques, sociales, mais aussi sexuelles ou sexuellement connotées. ». p.83-84 78
73
Être architecte et femme
Les hommes de pouvoir peuvent aussi profiter de ce jeu de
séduction, dans les sphères étudiantes influencées par le rapport
hiérarchique professeur-élève, où les violences sexistes et sexuelles envers les étudiantes sont fréquentes : « J’ai vu certains enseignants jouer, que ce soit dans leur rapport de séduction aux
femmes » ; « Je me rappelle de ma prof de socio qui me disait qu’elle
était arrivée à la socio après avoir fait des études d'architecture, elle avait fait le début de l’école des Beaux-Arts à Paris, elle me parlait de droit de cuissage à l’époque ». Ces situations sont souvent décrites à
demi-mots : « Ces profs qui de temps en temps avaient des relations
avec leurs étudiantes » ; « Certains professeurs, souvent hommes, souvent âgés, avaient une attitude… que j'ai envie de qualifier de déplacée, mais en tous cas une attitude différente avec les femmes » ; « J’ai pas échappé à certains profs qui, encore une fois je généralise parce que c’est quand même très peu de cas, mais c’est quand même quelques
cas d’enseignants hommes pour lesquels on est pas crédible parce qu’on est une femme et qui tout de suite, pas en vous sexualisant, ça ce serait exagéré de dire ça, mais en tout cas vous font plus de remarques. ».
Pour la femme, les stratégies liées aux rapports de domination à travers la séduction ‘‘subies’’79 permettront l’émancipation, la visibilisation, l’accès à des postes ou l’assurance d’une certaine protection.
Le terme « subir » est employé dans le sens où la construction sociale impose ces agissements aux femmes. Néanmoins, l’expérience peut ne pas être vécue comme traumatisante où aliénante car pouvant être perçue comme naturelle : BOURDIEU (1998) « Les dominés appliquent des catégories construites du point de vue des dominants aux relations de domination, les faisant ainsi apparaitre comme naturelles. » p.55 « Inconscient historique donc, lié non à une nature biologique ou psychologique, et à des propriétés inscrites dans cette nature, comme la différence entre les sexes selon la psychanalyse, mais à un travail de construction proprement historique » p.79 79
74
« Le monde du travail est ainsi rempli de petits isolats professionnels […] fonctionnant comme des quasi-familles où le chef de service, presque toujours un homme, exerce une autorité paternaliste, fondée sur l’enveloppement affectif où la séduction, et […] offre une protection généralisée à un personnel subalterne principalement féminin […], ainsi encouragé à un investissement intense, parfois pathologique, dans l’institution et celui qui l’incarne. » Bourdieu, La domination masculine, 1998 Dans le cadre du couple d’architectes, cette stratégie peut mener
à l’invisibilisation car « souvent on remarque que c’est l’homme qui garde les contacts lorsqu’un couple en agence se sépare ».
« J’ai interviewé beaucoup de femmes enseignantes qui ont commencé, qui n’étaient pas nécessairement archi, mais qui ont commencé à enseigner dans les écoles d’archi, donc dans l’après 68, au tout début. Même s’il y avait beaucoup de sexisme, même si on pouvait leur faire beaucoup de remarques, mais bon ça se faisait tellement ouvertement, socialement c’était normal ‘‘Ah tu es belle, tu es mignonne, je suis content que tu sois dans mon bureau…’’ elles avaient quand même une place très rapidement, parce qu'elles bossaient beaucoup donc elles faisaient avancer les choses. D’autres m'ont beaucoup raconté comment elles ont quand même dû passer par le rôle de maîtresse. Énormément ont été en couple. L’histoire du couple en architecture est très importante. Est-ce que vous pourriez préciser pourquoi justement cette question du couple est si importante ? Parce qu’elle fonctionne à plusieurs niveaux. De un, elle a permis à des femmes qui n'étaient pas architectes,
75
Être architecte et femme
mais qui auraient voulu l’être, de pratiquer des formes d’architecture. Deux, elle a permis à des femmes qui étaient architectes d'avoir une place dans le milieu de l'architecture à un moment où être femme ne pouvait pas donner l’accès à l’architecture. Trois, elle a mis dans l'ombre des femmes. C'est à dire que quand Denise Scott Brown nous dit que le prix Pritzker est donné à Robert Venturi et qu’elle n'a pas reçu le titre, ça veut dire qu'on ne reconnait pas tout le travail qu’elle a fait avec lui. Or lui, durant la remise du prix, il a dit ‘‘Le travail je ne l'ai pas fait seul, je l’ai fait avec Denise.’’ Donc cette question du couple elle est très ambivalente parce que à la fois elle visibilise, et à la fois elle invisibilise. À la fois elle légitime, elle reconnait et elle permet de donner de la place et à la fois elle hiérarchise le rôle de chacun en valorisant l’homme. » Une enseignante chercheuse en ENSA
Même si les femmes ne sont plus officiellement
illégitimes à exercer une carrière d’architecte – depuis 1895, soit 125 ans de ‘‘liberté’’ – les bâtons dans les roues de leurs charrettes, et les stratégies à mettre en place pour faire avec, nous rappellent
que le chemin est encore long80. Cette différence genrée,
particulièrement visible à travers la question de la séduction, est
indicatrice du rapport de force (in)visible qui existe entre les hommes et les femmes. Cela place les femmes en situation de
minorité de pouvoir, dans les sphères de l’enseignement, de la
BOURDIEU (1998) « Les changements visibles qui ont affecté la condition féminine masquent la permanence des structures invisibles » p.145 80
76
pratique et de la politique, où les hommes peuvent emprunter les voies ‘‘normales’’ et les femmes doivent faire un choix entre les voies ‘‘faciles’’ de la séduction ou ‘‘difficiles’’ du travail.
« J'ai été invitée à un diner avec des acteurs extrêmement représentatifs du Grand Paris il y a à peu près 2 mois et la personne qui m'a invité, je lui envoie un texto pour la remercier à la fin du diner et elle me renvoie un message en me disant ‘‘Merci, belle présidente et en plus tu parles bien”. Sur le coup j’ai été hyper choquée ! C’est quelqu’un qui m’apprécie beaucoup pour ce que je dis […] mais on sent que le rapport de force, par une espèce de fausse séduction, existe encore entre quelqu’un qui s’estime à l’endroit où il a le droit d’être, et moi qui grimperais des choses que je n’ai pas le droit de grimper ! » Une présidente de l’Ordre des architectes, échelle régionale
Les femmes doivent encore apprendre à exister dans un
milieu dominé par les hommes, comment renverser ce rapport de
domination ? Le chapitre D traite de la question de la
représentation, et introduit des réponses à cette question qui est centrale.
77
Être architecte et femme
CHAPITRE D
LA REPRÉSENTATION DES FEMMES EN ARCHITECTURE
Comment sont représentées les femmes en architecture, dans les images, les discours, les références et les modèles ? Qu’est-ce que cela produit ?
1.
Un manque dans les représentations a.
Parmi les illustrations de femmes
La première fois où une étudiante cherche des grouillots81 à
mettre sur ses dessins est sûrement la première fois où la question de la représentation des femmes la frappe. Lorsqu’elle recherche
« silhouette femme png » et « silhouette homme png » sur Google image, voici ce sur quoi elle tombe :
Un ‘‘grouillot’’, remarquons par ailleurs que le mot est uniquement utilisé au masculin, désigne le petit personnage placé sur une coupe où une perspective, permettant d’animer le dessin et de créer un rapport d’échelle entre le corps humain et le bâtiment. 81
78
79
Être architecte et femme
On peut remarquer que les femmes sont majoritairement
sexualisées (surlignées en bleu). Les autres figures proposées représentent des femmes sur-féminisées (jupes, talons…). Les choix ne sont pas variés et correspondent à une image de femme stéréotypée. Trouver une figure adéquate nécessite donc de la
recherche. L’homme est représenté en tenue de travail (costume
et cravate) où en tenue ‘‘neutre’’ et ne nécessite pas de temps de
recherche supplémentaire. Ce constat fait référence au concept
de male gaze. Théorisé en 1975 par la militante féministe et
cinéaste Laura Muley, il désigne les schémas de représentation
(films, livres, dessins…) établis du point de vue de l’homme hétérosexuel. Ils sont caractérisés par une tendance à réifier ou sexualiser les corps féminins et placer les figures masculines dans
les positions dominantes. Ce rapide exemple permet d’introduire
les difficultés auxquelles les femmes font face lorsqu’il s’agit de trouver des références féminines. b.
Parmi les références théoriques82
Lors de mes entretiens, une des questions portait sur les modèles d’architectes qui étaient enseigné·e·s à mes enquêtées. Dans un
trombinoscope présenté pages 41 à 43, nous voyons qu’une seule femme est citée : Edith Girard. Puis, dans un sondage posté sur
la page Facebook « Primo Archi », regroupant des architectes et étudiant·e·s en architecture, majoritairement français, de toutes génération, j’ai demandé aux actuels étudiants de me donner quelques noms des architectes les plus cités en école. Des 2481
Ici seront mobilisés les témoignages des 3 typologies d’enseignantes parmi les enquêtées : projet, ‘‘autres disciplines’’ et chercheuse. 82
80
votes, pour 41 réponses au 18.02.21, 4 femmes sont citées (dans l’ordre relatif au nombre de voix) : Zaha Hadid (17), Anna
Heringer (2), Edith Girard (2) et Manuelle Gautrand (1), comptabilisant 22 votes soit 0,9% des voix.83
Même si un·e enseignant·e a la volonté de diversifier son corpus, iel se retrouvera face à la difficulté de l’accès à ces références : « À
l'origine on avait mis Edith Girard, au quai de la Loire, mais on l’a virée parce qu’on n’avait pas les documents, et comme les étudiants avaient pas accès à la bibliothèque on a été obligés de la virer. ». Faire
des recherches représente alors un travail et des efforts supplémentaires :
« Je n’ai pas fait cet effort-là. Peut-être parce qu’il était plus compliqué, qu'il fallait faire plus de recherches etc. Et que quand on commence à enseigner bah on a 10 cours à monter en même temps. » Une enseignante chercheuse en ENSA « Aujourd'hui quand j’en discute avec mon copain, il me dit qu’il ne fait pas un cours où il parle d’homme sans parler des femmes qui ont fait le projet avec eux, il me dit que pour chaque grand projet où il y avait un homme mis en avant il y avait une femme. Et donc lui il a fait cet effort là où il recherche, et ça demande beaucoup de travail. » Une enseignante en ENSA J’observe lors de mes entretiens, une raison de cette difficulté
d’accès aux données. Comme me le confie une enquêtée,
83
Voir résultats complets du sondage en annexe 4 pp.159-160
81
Être architecte et femme
architecte et enseignante chercheuse en ENSA, spécialisée dans
l’histoire des femmes en architecture, « la vérité, c’est que l’histoire de l’architecture elle est à réécrire ! Donc aller construire un cours avec
des connaissances qui n’existent pas, bah c’est compliqué. […] Je me
heurtais aux difficultés dont je vous parlais c’est à dire qu’il manque. Il manque des travaux quoi ». Les architectes dont on entend
parler, ce sont ce·lles·ux dont on peut lire les livres. Et les architectes ayant beaucoup publié sont majoritairement des
hommes. Donc sans livres sur les femmes, on les enseignes plus
difficilement. Le contenu des expositions sur l’architecture et leurs architectes montre aussi ce manque de connaissances. Je
citerai ici deux expositions tenues à la Cité de l’architecture. La première, « La villa de mademoiselle B » du 8/03 au 30/04 2011,
« sensée présenter le travail, ou des projets d'habitation conçus par des femmes architectes mais c'était hautement caricatural ! Enfin déjà tout l’environnement de l'exposition était rose » où la personnage
principale, mademoiselle84 B, est incarnée par la célèbre poupée Barbie. La seconde, « Portraits d’architectes », mise en ligne en
2010 et actualisée en 2020, est une exposition virtuelle « composée de plus de 400 documents conservés dans les collections du Centre
d’archives d’architecture du XXe siècle, ou, pour certains, prêtés pour
l'occasion par les architectes représentés ou par leurs ayants droit, [et] a pour objectif de donner un visage à des personnalités de l’architecture
du 19e et 20e siècles à découvrir ou redécouvrir. »85 Parmi les 122
Suppression du terme rentré en vigueur dans l’administration en 2012 car sexiste. En effet, à une époque il était utilisé pour identifier les femmes n’ayant pas de mari, les différentiant donc des ‘‘dames’’. Ce terme n’a pas d’équivalent masculin, la société considérant que ces messieurs le seraient peu importe leur statut matrimonial. 85 Exposition virtuelle « Portraits d’Architectes » sur le site de la cité de 84
82
architectes, ingénieurs ou groupement d’architectes présents dans
l’exposition, une seule femme est présentée : Marion Tournon-
Branly. Pourtant elle ne fut pas la seule à cette époque. Ces expositions sont donc rapidement clichées ou incomplètes, dû au manque de connaissances sur le sujet des femmes architectes.
Ce manque de documentation historique vient de deux raisons,
entres autres, qui s’entrecoupent. La première, non pas parce que seulement des hommes construisaient à cette époque, mais parce
que beaucoup de femmes exerçaient en couple, étant l’une des
rare possibilité pour une femme de pratiquer (rappelons que ce n’est qu’en 1900 que l’accès aux concours pour les études
d’architecture fut autorisé aux femmes) : « On ne parlait que de
Venturi et pas de Denise Scott Brown alors que finalement à part le premier ouvrage de Venturi après elle participait à tout le reste. » ; « On disait Venturi, on disait pas Venturi Scott Brown » ; où sous la
tutelle d’architectes maitre d’œuvre masculins lorsqu’elle furent
autorisées à avoir un diplôme : « Il y a énormément de femmes qui
travaillent dans les agences de mec. Les agences d’archi il y a énormément de nanas salariées, c’est une architecture qui est quand
même produite par des femmes, qui effectivement n’apparaissent pas,
y a pas leurs noms, mais ce sont quand même elles qui dessinent, qui
vont faire les plans. » ; « À l'agence les patrons étaient des hommes, mais on était garçons, filles, chefs de projet, c'était plutôt les filles d’ailleurs qui étaient chef de projet » ; faisant systématiquement
disparaitre les femmes des discours, au profit des hommes, malgré le fait qu’elles aient tenu un rôle tout aussi important dans
l’architecture et du patrimoine
83
Être architecte et femme
le projet86.
La seconde, est qu’elles se retrouvaient invisibilisées par les médias, croyant que ce n’était pas un sujet lorsque les femmes
n’étaient pas architecte, ou n’étant pas intéressés par leur travail,
le pensant inférieur à un travail d’homme étant donné qu’ils furent ceux à se mettre en scène87. L’absence des femmes dans les
discours participait aussi à cette image, et cette pensée est toujours tenace :
« J'écris très régulièrement dans une revue, qui s’appelle D’A, D’Architecture, j’écris depuis presque 20 ans. Je m'entends très bien avec le rédacteur en chef, je pense que je peux publier à peu près ce que je veux quand je veux. Dans cette revue, depuis 3 ans, il y a [ce professeur et architecte connu] qui fait une rubrique, qui s’appelle ‘‘les grands entretiens” (insiste sur grands ironiquement). Alors, cette rubrique elle me sort par les yeux. C’est des GRANDS entretiens avec des GRANDS architectes. Ça fait 3 ans, il doit en être à 25
À ce sujet, voir le livre d’Alice Friedman (1998) Women and the making of the modern house : a social and architectural history, qui montre comment les ‘‘petites’’ ont participé au travail des ‘‘grands’’. Ainsi que le film documentaire de Joseph Hillel (2019) Rêveuses de villes, retraçant le parcours de 4 pionnières de l’architecture : Phyllis Lambert, Denise Scott Brown, Cornelia Hahn Oberlander et Blanche Lemco van Ginkel, invisibilisées par leurs collègues masculins (tel que Mies Van der Rohe) devenus des stars. 87 Ce commentaire soulève les questions suivantes : Pourquoi les femmes ne se mirent pas en scène à cette époque ? Volonté où possibilité ? Apporter des réponses nécessiterai l’analyse des schémas de mise en scène à l’époque, et comparer l’accessibilité des hommes et des femmes à ces systèmes. Voir à propos de ces systèmes le livre de Beatriz Colomina (1998) La publicité du privé. Ce travail nécessite aussi l’analyse de la psychologie de la femme, où comment l’apprentissage des codes sociaux ne la fait pas se placer au centre des discours mais plutôt en retrait. 86
84
entretiens, il n'y a jamais eu une femme ! […] Et... je supporte plus la réponse que me fait le rédacteur en chef quand je lui dis ‘‘Attends mais tu te rends compte, il n'y a toujours pas une femme’’, je lui dis de temps en temps... il me dit ‘‘Mais cite-m’en une ! Y en a pas...’’ et qu’il ne se rende pas compte qu’en disant ça, il se rend pas compte. Il se rend pas compte juste qu'ils ont établi des critères qui font que peut-être ça ne nous intéresse pas, et que la Grande architecte, et le Grand entretien en fait on s'en fou quoi (rires) […] Et donc voyez une revue comme D’A qui est quand même une revue intelligente, ou justement Stéphanie [Dadour] a pu faire un dossier comme elle le voulait, avec autant de pages qu'elle voulait, sur cette questionlà, bah cette revue-là, en même temps... elle fait son grand entretien… bah avec Dominique Perrault machin, et elle reraconte en fait l’histoire qu'on m'a servi en première année… » Une enseignante chercheuse en ENSA c.
Parmi les figures d’architecte88
En plus des illustrations et des références enseignées, l’absence
des femmes se ressent parmi les enseignantes. Les femmes ont plus de difficultés à accéder aux postes de titulaire que les
hommes, ce que l’on peut observer à travers les chiffres89 et dans
les témoignages : « Je suis arrivée 2ème, deux fois de suite, derrière
Ici seront mobilisés les témoignages des 3 typologies d’enseignantes parmi les enquêtées : projet, ‘‘autres disciplines’’ et chercheuse. 89 Pourcentage de femmes titulaires en écoles d’architecture : « Paris Belleville 34%, Lille 25%, Paris Malaquais 30%, Nancy 58% (mais sur un très petit nombre de professeurs, 12, d’où le chiffre élevé par rapport aux autres écoles), Grenoble 23%, Toulouse 29% ». Chiffres établis par une enquêtée, après observation sur les sites internet des écoles respectives. 88
85
Être architecte et femme
quelqu’un. La première fois c’était un homme de 63 ans qui avait eu
sa thèse depuis 6 mois, moi ça faisait 12 ans que je l’avais, il a eu le
poste, la 2ème fois il avait pas la [mot incompréhensible] » ; « J’ai
vu que jusque-là j’ai passé 4 fois le concours, et jusque-là, en TPCAU, à chaque fois on prenait un homme. Je me souviens il y a 3 ans il y avait 14 postes, sur les 14 postes de TPCAU on a pris 13 hommes, 1 femme et un non-pourvu. ».
De la théorie et du corps enseignant découle donc une absence de modèles, auxquels les jeunes femmes en école d’architecture peuvent avoir besoin de s’identifier. Les féministes parlent de rôle
modèle90. Les conséquences de cette absence de femme peuventêtre très fortes pour les étudiantes, allant parfois jusqu’à impacter leur futur :
« Il y a eu à Francfort l'année dernière une exposition sur les femmes architectes en Allemagne au 20ème siècle. Et moi j'ai trouvé ça complètement saisissant, enfin moi ça m'a un peu bouleversée en fait, de voir des photos de femmes travaillant dans leurs agences, et je me suis rendue compte à quel point l'expérience était commune et combien vraiment ça me faisait un effet très étrange, vraiment un truc de, comment ça se fait que j'ai pas ces images-là en tête et vraiment, là, avec mes recherches de thèse, même la semaine dernière je trouvais encore des articles de presse sur des femmes qui ont exercé dans les années 70/80 en France, et je me dis mais, il y avait déjà ces femmes qui
La première femme à être identifiée comme telle par les féministes sera Olympe de Gouge. S’en suivrons de nombreuses autres (De Beauvoir, Veil…). À travers ce concept, les féministes parlent du role model comme un symbole d’influence et d’inspiration. 90
86
travaillaient dans les métiers de l’architecture, et ça m'est tellement pas connu, tellement pas familier en fait, c'est ça. Que moi ça me fait très étrange, ça me met un peu mal parce que je me rends compte que c'est quelque chose auquel j'ai pas eu accès donc moi aujourd’hui je me projette pas du tout dans la maitrise d'œuvre, enfin je fais des missions ponctuelles pour des collègues architectes mais c'est vraiment très réduit comme activité, mais je me rends bien compte que, enfin je pense que le fait, que je me projette pas dans ce domaine-là, dans cette activité-là de l’architecture, je pense vient en partie du fait que quelque part ça m'a toujours paru un peu impossible je pense. » Une maîtresse de conférence en ENSA Cette idée de possibilité ressort dans plusieurs témoignages. Le
fait de voir des personnes auxquelles on peut s’identifier, donne le sentiment de possibilité d’y parvenir, et donc une plus grande
confiance en soi, on parle ici d’empowerment* : « En tout cas pour moi j'ai pas eu de modèle. J'ai pas eu de modèle au sein de l’école, au
sein du projet qui soient des femmes et qui me permettent de me dire
c'est possible. » ; « Plus que l’envie, avec vous on a senti que c’était
possible »91. Ce qu’on observe lorsqu’à l’inverse les schémas sont renversés :
« On a une personne qui travaille avec nous, un salarié à l’agence qui fait sa HMONP92, qui est un
Une élève à Emmanuelle Andreani, raconté lors de la table ronde du colloque « Dynamiques de genre et métiers de l’architecture, de l’urbanisme et du paysage » 04.02.21 92 Habilitation à la Maitrise d’œuvre en Nom Propre. Permet de signer des permis de construire. S’obtient après un Diplôme d’architecte d’État (DEA, obtenu suite à un parcours licence-master en 5 ans) en un an d’étude. Sans cela les architectes restent subordonné·e·s à un détenteur ou détentrice de HMONP. Il serait par 91
87
Être architecte et femme
homme, l’autre jour il a passé sa HMONP et dans le jury il n’y avait que des femmes, et ça s’est très mal passé et il m’a dit ‘‘Mais tu te rends compte, je me suis retrouvé face à 6 femmes, c’était dur” et je lui ai dit ‘‘Ben voilà, bienvenue dans notre monde’’.» Une maîtresse d’œuvre Renforçant l’importance du besoin de pouvoir s’identifier à ses professeurs :
« Je crois beaucoup à l’enseignement qui protège et qui arrive à te détacher de l’angoisse du quotidien. Rôle de protection, tu représentes quelque chose de très fort pour eux. […] Cette figure-là [de femme architecte] elle est pour moi hyper importante, que les étudiantes aient une femme référente architecte qu’elles ont eu comme prof et qui pour elles leur donne des clés, même si la prof ne parle pas de la question du genre, mais de comment elle est, comment elle fait. Les mecs ils ont que des référents mecs qui leur montre comment être, comment faire, par contre les jeunes filles, les étudiantes elles ont personne » Une enseignante de projet en ENSA
Parmi la ‘‘jeune’’ génération, il est plus fréquent que les étudiantes ne se sentent pas impactées directement, car elles assistent à une
féminisation progressive du métier : « Je pense qu’on se disait, les
choses sont en train de changer et on fait partie du changement […]
J’avais quand même confiance en moi et je pensais que je pouvais très bien réussir, monter une agence, construire etc. c’est pas parce que j'étais
une femme que je réussirais pas, pas du tout, et bien au contraire ».
ailleurs intéressant de connaitre la répartition genrée des déten·deur·trice·s de HMONP parmi la population des architectes français·e·s.
88
Mais on voit, à travers les témoignages, à quel point la présence
de femmes en école d’architecture, parmi les professeurs et les références, peut avoir un impact positif sur les étudiantes :
« Edith Gérard était quand même un personnage, c'est quelqu’un qui marquait ses étudiants. […] Je l'ai eu bon dans l’équivalent de la Licence, c’était une femme qui était assez… mais elle rassurait beaucoup les étudiantes parce que elle avait à la fois une très grande féminité, elle en jouait énormément, et puis en même temps c’était une architecte maitre d'œuvre, sérieuse, sur les chantiers, qui a beaucoup construit, qui enseignait extrêmement bien, enfin moi c'est un très bon souvenir ! » Une maîtresse d’œuvre « J’ai lu le livre de Dolores Hayden, ‘‘The grand domestic revolution’’, et c'est un livre qui m’a énormément marquée où j'ai compris que les raisons pour lesquelles j’étais en design, en archi, dans ce milieu-là, étaient celles dont elle parlait mais je ne m'en rendais pas compte. […] On peut dire que dès ma première année de master, donc vers 2003, là je pouvais me dire féministe. » Une enseignante chercheuse en ENSA
La présence accrue de femmes parmi les représentations en
architecture (théories et enseignantes) n’est pas seulement bénéfique aux étudiantes, nous allons voir qu’elle permet aussi de lutter contre la solitude dans la sphère professionnelle.
89
Être architecte et femme
2.
Sororité vs Boy’s club
Les femmes peuvent se sentir seules dans leur profession, c’est notamment ce que me confie une enquêtée ayant des fonctions au conseil de l’Ordre :
« Je n’ai pas de relai de personnes qui soient les même que moi, qui se reconnaitraient à travers moi et donc qui pourraient être des soutiens dans une action parce qu’on a le même profil professionnel. Aujourd'hui je suis seule et quand je prends position je suis seule. » Une présidente de l’Ordre des architectes, échelle régionale Car en architecture, nous n’observons pas encore de sororités93
systémiques. Ces propos sont confirmés lors du colloque
international « Dynamiques de genre et métiers de l’architecture, de l’urbanisme et du paysage » du 4 et 5 février 2021, où la
DEE (2021) « La mot ‘‘sororité’’ a existée pendante des siècles, jusqu’à ce que l’académie française au 17ème siècle, au momente de la création de l’académie française, l’interdite de dictionnaire. Des hommes prennent la décision de le faire disparaitre du langage. Cela a comme effet de faire disparaitre de nos imaginaires l’idée que les femmes puissent s’allier. La mot, interdite de dictionnaire, est par conséquente interdite de langage et de pensée, tandis que la terme opposée se retrouve dans les valeures de la république « liberté, égalité, fraternité ». Si la femme n’existe pas dans les mots, c’est qu’elle n’existe pas dans les pensées et donc dans les actes. » propos exprimés à la féminine universelle (langage féministe, discours subversif de la règle de grammaire établie au 18ème siècle « le masculin l’emporte sur le féminin ») par sa créatrice Tiphaine Dee, dans son IGTV Instagram « Sororité ? Qu’est-ce que c’est » du 16.02.21 – Du 18 au 21 mars 2021 seront organisés les « Sommets de la sororité » par Julie Marangé et Cécile Fara, co-fondatrices de Feminists in the City, projet ayant pour ambition de sensibiliser le public au féminisme, « mouvement incompris, faisant l’objet de nombreux stéréotypes, [freinant] les avancées pour l’égalité ». Aux moyens de master class, ateliers en ligne et visites guidées dans les villes, elles « [questionnent] la place des femmes dans l’histoire et la culture et [transforment] les regards sur la ville et la société ». Propos tiré du site internet de Feminist in the City 93
90
solidarité interprofessionnelle a été soulignée par son importance
dans l’impact sur la carrière de l’architecte, et par le besoin urgent d’en créer une. Des sororités commencent néanmoins à
apparaitre à l’échelle de certains corps enseignants, dans des
disciplines majoritairement enseignées par des femmes, telles que les domaines de la recherche :
« Je crois que je suis dans un milieu qui est quand même très majoritairement féminin. On a presque inversé les choses, je me trouve quelques fois dans des groupes où on a un homme pour 10 femmes, oui il y a une inversion assez radicale. Est-ce que cela a un effet spécifique ? Oui, on se le dit souvent entre collègues femmes. On a un rapport au travail qui est spécifique, un rapport aux tâches qui est spécifique aussi. » Une enseignante chercheuse en ENSA À l’inverse, nous pouvons observer comment la représentation majoritaire des hommes, dans les différentes sphères de
l’architecture, leur permet de s’organiser et de garder des postes de pouvoir entre eux, au détriment de femmes.
« Les relations entre collègues dans une école ou même dans un champ, c'est un milieu qui s’auto construit ! Donc d'entre soi, où les uns nomment les autres, donnent des promotions etc. Là, là on commence à se rendre compte qu'on est une femme quand on se pose des questions de carrière. C’est bien ça le truc, c’est que, intellectuellement, on a l’impression que tout va bien puis dès que ça devient des questions de carrière, là on se rend compte que c’est plus compliqué ! » Une enseignante chercheuse en ENSA 91
Être architecte et femme
Un Boy’s Club, est « un groupe serré d’amis-hommes qui se protègent
entre eux »94 où existe une question de pouvoir politique. L’effet boy’s club ressort dans les différentes sphères de pouvoir, telles que dans les écoles d’architecture, à tous les niveaux. Lors des jurys de nomination de poste : « À la fin de l’année j'ai dit ‘‘Ça ne peut pas se reproduire de cette façon-là, je veux embaucher quelqu'un’’. Et là, la brochette de patrons, hommes blancs, aux commandes de l’école, bien placés dans les instances, a décidé d'aller trouver pour moi la personne qui était la mieux. Et que c'était eux qui avaient un poulain à placer et que je n’avais pas droit au chapitre en fait. Que c’était eux qui allaient décider. Donc j’ai dit non, je ne suis pas
Définition tirée du livre « Le boy’s club » de Martine Delvaux (2019) aux éditions du remue-ménage. « Le boy’s club politique est le plus visible, Sandrine Rousseau l’a dénoncé récemment sur Mediapart, quand elle dénonce Olivier Duhamel et Gérald Darmanin de l’avoir empêchée d’accéder à un poste de pouvoir à Science Politique. Mais il y en a des plus petits comme dans le secteur de la musique (lire l’article Mediapart « L’industrie qui n’aimait pas les femmes ») ou la ligue du lol, composée de mecs trentenaires ou moins, qui volaient les idées de femmes militantes pionnières tout en les excluant du cercle des gens ‘‘cools’’ par la moquerie ou du harcèlement. On peut le voir exister à tous les niveaux, dès qu’il y a une concentration de pouvoir détenu par les hommes. Les conséquences sont multiples (liste non-exhaustive) : silence imposé quand ils agissent mal pour ne pas ‘‘se griller’’, solidarité avec leurs confrères quand les accusations de violence sexistes et sexuelles sortent, cooptation entre eux sur les postes de pouvoir, donc rien ne change. Dans les évènements récents, le plus édifiant reste la nomination de Gérald Darmanin au ministère de l’intérieur, malgré les critiques au nom du respect des victimes de violence sexistes et sexuelles et de l’exemplarité en politique, Jean Castex a dit qu’il le nommait ‘‘en son âme et conscience’’ et Emmanuel Macron qu’il avait eu une discussion avec lui ‘‘d’homme à homme’’. » explication tirée de la story Instagram du 13.02.21, du compte militant @preparez_vous_pour_la_bagarre. Les boy’s club sont aussi mis en lumière par le groupe d’action féministe La Barbe. 94
92
d'accord je veux décider moi avec qui je veux travailler. Puisqu'on embauche quelqu'un, la moindre des choses c'est que ce soit moi qui fasse le profil de poste, que ce soit moi qui embauche et en gros, je veux bien que vous m’aidiez à décider mais je veux décider avec qui je vais bosser. Il a fallu se battre pour ça, il a fallu que je fasse une espèce de lettre ouverte signée par tous les copains que j’avais réussi à me faire à l'école en un an et être un peu soutenue par les personnes qui comptaient dans les instances parce que ils ne voulaient pas me laisser décider de mon propre avenir. » Une enseignante de projet en ENSA Ou dans les rapports entre professeurs : « L'année dernière, il y a eu un collègue homme qui était le coordinateur de L3, qui a décidé de se défouler sur moi. Et en gros j'ai servi de bouc émissaire à son envie de faire son petit chef […] Ce qu'il s’est passé très concrètement c'est que, plus les années passaient, plus mon atelier de master au printemps avait du succès, tout simplement je pense parce que j'étais respectueuse des étudiants, et résultat, mes collègues de L3, avec lesquels j’étais en concurrence en master au printemps, eh ben ils me critiquaient de plus en plus en disant en gros que j'étais trop gentille, je donnais des notes trop sympa en L3 et que en gros c'était pour ça que j'avais du monde en master. Plutôt que de se remettre en cause évidemment c'est plus simple. Et donc, l'une des premières années où ça s'est passé c’était un prof un peu aigri, un peu isolé qui s'était mis à me critiquer comme ça donc c’était facile. Et puis, il y en a eu 2/3 autres qui s'y sont mis. […] J'en ai pris plein la gueule. […] Je me suis fait lapider en
93
Être architecte et femme
public, et après les deux autres qui étaient d'accord avec lui en ont remis une couche […] ils se sont permis de venir rejuger les travaux de mon atelier dans mon dos. Je suis partie de Lille et j'ai fait une demande de mutation après ce comportement. Alors après, parmi les 3 qui se sont défoulés sur moi, de fait il y avait une femme. Et de fait le... le bouc émissaire que je suis devenu ce n’était pas non plus une critique sexiste mais moi je trouve que ça y ressemblait quand même un peu. Parce que dire que je suis trop gentille, c'est quand même me traiter, c'est me traiter de maman quoi ! C'est me traiter de femme en fait. [...] Et ce professeur il a une place particulière dans l'école ? Oui et non. C’est, si je peux dire que je suis encore une jeune parmi les profs, il a mon âge ce prof. Exactement la même génération. La grosse différence c'est qu'il est élu au conseil d’administration depuis des années et des années. Après ça, il n’est pas non plus président du conseil d’administration, ou président de la commission pédagogie... voilà, il est pas dans les décideurs, en revanche, il a une agence qui monte, qui marche bien, et il est copain avec le directeur qui évidemment est un ancien enseignant de l'école, et donc pour faire très simple, il fait partie de la brochette des patrons de l’école. Donc ils lui donneront toujours raison contre moi. Toujours. […] Elle avait vraiment un grand intérêt pour moi cette école. Mais je ne peux pas rester dans un endroit où je me fais harceler. Et ça sera toujours lui qui gagnera, toujours. Lui il est en pleine ascension, moi je restais un satellite. Et puis, évidemment minoritaire. » Une enseignante de projet en ENSA
94
Le poids du statut apparait dans ce témoignage comme un
élément amplificateur des boy’s club. De plus, il nous montre que les boy’s club peuvent aussi avoir comme effet d’accroitre la compétition entre les femmes. Parce que le groupe des puissants
est masculin, certaines femmes, pour essayer de l’intégrer,
n’hésiteront pas à rabaisser leurs collègues en adoptant la posture des groupes de domination, qui se réfère à la stratégie de miroir, décrite dans le chapitre C.
95
Être architecte et femme
La question de la représentation des femmes en
architecture révèle donc plusieurs normes genrées. Entre autres, le male gaze et les références théorique enseignée majoritairement
masculines. Elle nous montre aussi la nécessité du role model auprès des étudiant·e·s, vecteur d’empowerment, apporté par la
diversité que peux présenter le corps enseignant, tant par leur personne propre que par le contenu qu’iels enseignent. Cette question soulève aussi l’absence de sororité systématique parmi
les praticiennes, qui font face aux privilèges que s’entre procurent
les hommes au moyen de boy’s clubs, comme nous avons pu voir dans les témoignages.
« Tous les jours, depuis des siècles, des hommes sont nommés parce qu’ils sont des hommes. Faites semblant de l’ignorer, messieurs, mais bien souvent, si vous êtes en place, c’est juste parce que vous êtes des mecs. Elle est là la discrimination positive, par ailleurs. Se permettre de l’exercer et de la réfuter, c’est toute la perversité du système sexiste. » Alice Coffin, Le Génie Lesbien, 2020, p.28
Grâce
au
poids
institutionnel
qu’assurent
les
statuts
professionnels élevés, comme le poste d’enseignant·e titulaire, les
femmes peuvent par ce biais « construire une classe aussi soudée que celle d’en face »95, et renverser le rapport de domination que j’ai pu
observer dans la sphère de l’enseignement actuel. Car être
Daisy Letourneur dans le séminaire de PRECIADO (2020) « Une nouvelle histoire de la sexualité » 95
96
enseignant·e titulaire en école d’architecture veut premièrement
dire avoir « réussi le concours national et [être] fonctionnaire à vie. Et surtout ça veut dire [avoir] été reconnu·e par ses pairs au dernier
degré de qualification. ». Tandis que lorsque ce n’est pas le cas,
l’enseignant·e « [n’]existe pas du tout dans les structures. Dans les écoles, [iel] existe à peu près pour personne ». Si l’on reconsidère les
chiffres d’hommes occupant les postes de titulaires en école d’architecture96, on voit apparaitre le pouvoir institutionnel qu’ils détiennent. Nous allons nous concentrer en particulier sur cette sphère qu’est l’enseignement dans le chapitre suivant.
96
Voire contextualisation
97
Être architecte et femme
CHAPITRE E
LES FEMMES QUI ENSEIGNENT L’ARCHITECTURE
Comment les femmes se sont imposées dans le milieu de l’architecture ?
Quels ont-été les processus similaires qui ont accompagné cette
féminisation ? Comment l’enseignement de l’architecture se trouve modifié ? En quoi les mentalités évoluent face à ces nouvelles pratiques
? Quelles sont les structures qui résistent à cette évolution ? Comment la question du genre prend place en architecture, sous l’impulsion de femmes ?
1.
Un autre genre prend place dans la profession a.
L’arrivée des femmes97
Jusqu’à l’année 1900, les femmes n’étaient pas autorisées à s’inscrire au concours d’accès à la section architecture de l’école
des Beaux-Arts, par peur de dévaluation de la discipline98, comme en témoigne une lettre officieuse du directeur de l’école au ministère de l’instruction publique « La mesure qui rend
accessible l’École des Beaux-Arts aux femmes ne doit pas avoir pour résultat l’abaissement du niveau des études »99. Elles sont ensuite
plus de 675 inscrites, jusqu’en 1968, date de refondation de
l’enseignement et de création des unités pédagogiques d’architecture (UP) ; qui deviendront par la suite les Écoles
Ici seront mobilisés les témoignages des 3 typologies d’enseignantes parmi les enquêtées : projet, ‘‘autres disciplines’’ et chercheuse. 98 La féminisation d’une pratique est souvent synonyme de perte de valeur dans les sociétés patriarcales. 99 Archives nationales, fonds de l’École des Beaux-Arts, AJ/52/971, Rapport du directeur de l’École des Beaux-Arts au ministère de l’Instruction publique du 3 avril 1897, tiré de GIAQUINTO Violette, (2019) 97
98
Nationales Supérieures d’Architecture (ENSA) que nous connaissons aujourd’hui, titre acquis en 2005. À leurs débuts, les
étudiantes sont encore minoritaires « Bordeaux, donc en 76, je crois qu’on était 4 femmes ou 6 femmes sur les 120 premières années » ; « Belleville, on était par groupe de projet de 15 personnes, 15/20
personnes, […] j’étais la seule femme dans ce groupe de projet », mais
la proportion tend à s’équilibrer en région parisienne dans les
années 1980 - 2000 « Pas une majorité d’hommes, ça me paraissait assez équilibré. » (UP7) ; « Le moment où j’étais à Belleville, donc ma
promotion, 95, je crois qu'on était à peu près à l’équilibre. C'est à dire que c'était avant que les filles deviennent plus nombreuses. » ; « J'aurais dit une mixité quoi, vraiment une vraie mixité, une parité. Oui j'ai vraiment eu l'impression d'avoir eu autant de camarades
femmes que hommes. » (Versailles) ; « Plutôt la sensation d'une mixité dans les écoles, enfin en tout cas parmi les étudiants. » (Versailles). À
partir des années 2000, on commence à sentir une inversion, et
on le fait notamment percevoir aux jeunes femmes « Y avait plus de femmes, et c’était récent. C'était peut-être 55/45, ce n’était pas non
plus flagrant, mais je crois qu'on nous le faisait remarquer en nous le disant. On commence à avoir l’inversion dans ma promo, par rapport
aux promos d'avant. » (Paris Malaquais). Quelques années plus tard, les étudiantes deviennent majoritaires en architecture. Je rentre en 2015 à l’école de Paris Val de Seine, une des grandes
descendantes de l’école des Beaux-Arts, et je me souviens
d’environ 65 à 70% de femmes présentes dans l’amphithéâtre de rentrée.
99
Être architecte et femme
Quant à la parité parmi les enseignant·e·s, de plus en plus de femmes sont recrutées, notamment depuis la nouvelle règle de
parité des jurys pour le recrutement des enseignants-chercheurs (Décret de 2018 sur le statut des enseignants chercheurs)100 :
« Il y a cette volonté affichée du ministère de vouloir faire paritaire et c'est en tout cas matérialisé. Moi il y a 4 ans, quand j’ai passé le concours, les jurys étaient très masculins. Là maintenant, dans tous les jurys dans lesquels j’ai été, il y a au moins 40% de femmes. Ce qui change malgré tout la donne. Donc il y a cette volonté. ». Une enseignante de projet en ENSA Ce qui pouvait être plus compliqué avant ça : « J'ai eu mon premier poste de titulaire à l'âge de 38 ans, après être arrivée 2ème à l’oral, je ne sais pas… au moins 6 fois ! Derrière des hommes. Et l’année ou j’ai été nommée, le jury national, c’était en 2009, comprenait 24 personnes. C’était 24 hommes. » Une enseignante chercheuse en ENSA
On observe que la part des femmes est majoritaire en école
d’architecture parmi les étudiant·e·s. Nous avons vu néanmoins
dans les chapitres précédents que ce n’est pas encore le cas dans les sphères professionnelles même si nous constatons une évolution depuis les années 70.
100
DADOUR et POMMIER (2021)
100
b.
L’arrivée de la recherche
L’accès croissant des femmes à l’architecture s’accompagne de la complexification de la pratique architecturale et de son
enseignement101. On voit l’émergence de nouveaux métiers, tels que ceux de la recherche et des sciences sociales. Parce que ces domaines sont en marge de la maitrise d’œuvre et qu’à cette
époque les femmes sont écartées de cette discipline, comme le
montrent les chiffres102, ces portes latérales leurs permettent de
trouver une place dans le milieu de l’architecture, sans forcément être architecte. Ces domaines sont donc saisis par nombre d’entre elles. Deux enquêtées rendent compte des « actions discrètes, mais qui ont marqué durablement la vision et la pratique de l’architecture
en France »103 dans leur article à paraitre : Femmes sur la scène architecturale française. Nous citerons comme exemple quelquesunes de ces pionnières : Danièle Valabrègue, architecte, lance le programme de recherche et d’expérimentation PAN (Plan
Architecture Nouvelle), devenu Europan, visant à « promouvoir
les jeunes architectes et leur capacité d’expérimentation, mais aussi à les faire accéder à la commande en les mettant en relation, au travers
d’un concours d’idées, avec les maitrises d’ouvrage publiques. »104. Raymonde Moulin, sociologue, publie en 1973 un livre « ouvrant
la voie à la sociologie de la profession d’architecte »105 intitulé Les Architectes. Métamorphose d’une profession libérale. Ou encore Ann-José Arlot, architecte, fonde le Pavillon de l’Arsenal et le
En effet, les unités pédagogiques d’architecture réforment l’enseignement et permette à l’architecture de s’imposer en tant que discipline intellectuelle. 102 Voir chapitre D, paragraphe 1c. p.85 103 DADOUR et POMMIER (2021) 104 Ibid. 105 Ibid. 101
101
Être architecte et femme
dirige de 1988 à 2003, suivie de Dominique Alba jusqu’en 2012.
On voit apparaitre, en parallèle d’une représentation
féminine grandissante parmi les étudiant·e·s, l’émergence d’un
phénomène de féminisation des métiers de l’architecture qui s’observe par la supériorité numérique des femmes dans les
enseignements de recherche, de sciences humaines et sociales, d’histoire, d’arts plastiques etc. 2.
Des pédagogies qui s’opposent106 a.
Entretien avec des femmes
Une grande partie l’entretien portait sur l’enseignement dispensé. Sans désigner une pédagogie comme étant propre aux femmes, je distingue des techniques d’enseignement qui se croisent à travers les entretiens. J’ai donc dégagé plusieurs points communs, que je
mets en parallèle avec certains principes théorisés par les pédagogies féministes.
Ceux-ci ne sont pas propres à un enseignement féminin (des
hommes aujourd’hui portent et théorisent ces pratiques), mais constituent, dans ces cas, un fil directeur entre des profils générationnels et professionnels variés.
Ici seront mobilisés les témoignages des 3 typologies d’enseignantes parmi les enquêtées : projet, ‘‘autres disciplines’’ et chercheuse. 106
102
Je vais ici lister des principes de pédagogies féministes107, en les mettant en parallèle avec mes entretiens, afin de montrer que des liens peuvent exister entre théories féministes et enseignement de l’architecture :
Révéler la position située de l’enseignant·e : ne pas poser de vérité absolue à ériger en architecte modèle.
« J’essaie, dans les enseignements de projet dont j’ai la charge, de commencer les journées de projet par un cours qui dure 30/45min, assez court, et de faire un retour problématisé sur des notions qu’on aborde dans le projet. Et donc j’essaye de m’écarter de l’idée d’un modèle. Vous voyez, par exemple Loos, il était super intéressant, mais j’ai eu 12 cours sur Loos ou pareil sur Corbu ou autre. Mais voilà, de dire qu’on attrape une question, qu’on illustre éventuellement par des exemples et des démarches d’architectes, mais d’essayer de ne pas montrer des modèles. Moi je suis très précautionneuse avec l’idée de sortir de toute sorte d’idéologie et notamment j’ai un cours par exemple sur le Corbusier, mais qui est extrêmement critique sur le Corbusier et la ville et qui me permet d’illustrer un passage un peu plus large sur le modernisme. J’essaye de ne pas ériger des modèles auxquels il faut souscrire et adhérer, mais plutôt de problématiser les points. » Une enseignante de projet en ENSA
Tirées du volume 31, numéro 1, (2018) des recherches féministes (en ligne) « Pédagogies féministes et pédagogies des féminismes » sous la direction de Geneviève Pagé, Claudie Solar et Eve-Marie Lampron 107
103
Être architecte et femme
Valoriser l’esprit critique dans une optique d’autonomisation de
l’élève : ne pas poser de manière unique de faire l’architecture, amener l’étudiant·e à les découvrir et à choisir sa façon de faire, plutôt que d’appliquer celle de l’enseignant·e.
« En studio je pense que là c’était plus sur des questions de conception. Ça veut dire que quand les étudiants concevaient quelque chose, sans leur parler de manière… je pouvais poser des questions qui pouvaient les faire réfléchir sur des choses particulières. » Une enseignante chercheuse en ENSA « J’essaye, par exemple, de ne pas prendre le crayon. C'est à dire de ne pas dessiner quelque chose qui pourrait devenir le ‘‘bon exemple’’. » Une enseignante chercheuse en ENSA « Les étudiants devaient s'organiser entre eux énormément. Il y avait beaucoup de travail collectif à l'échelle du studio. C’est à dire que les étudiants devaient faire une maquette commune, ils devaient s’organiser entre eux pour faire un tas de petits exercices qui leur était demandé. » Une enseignante chercheuse en ENSA « J'essayais de plutôt accompagner les étudiants dans la construction de leur doctrine, de leur montrer qu'il y avait différentes voies possibles, que ce n’était pas à moi d'imposer la leur, et que c'était à eux d'expérimenter différents trucs et de voir dans quoi ils se sentaient le plus à l'aise. Et éventuellement de remettre un peu en cause leurs automatismes, pour essayer de construire une posture qui leur soit un peu personnelle. » Une enseignante de projet en ENSA 104
S’appuyer sur l’expérience vécue en tant que source de savoirs :
mobiliser les questions de sciences humaines et sociales au cœur du projet.
« Être dans les questions contemporaines et les questions de société. [L’étudiant·e] ne va pas résoudre les choses forcément avec son bâtiment, mais c’est bien [qu’iel] se rende compte dans quelle société il construit, dans quel espace. » Une enseignante de projet en ENSA « C'était une demande de [l’ENSA dans laquelle j’enseignais], mais qui finalement m'intéresse beaucoup et que je pense retransmettre [ailleurs]. Ils m’avaient demandé de travailler sur la programmation. C'est à dire que le semestre articule différentes phases, et qu'il y ait vraiment une phase de programmation avant la phase de conception. J'ai vraiment trouvé ça intéressant parce que évidemment, c'est la réflexion critique sur les usages, sur l’actualité des programmes, sur l’expérimentation à laquelle peut ouvrir un bâtiment, et donc c'est un peu le côté socio de la réflexion critique dans l’architecture. » Une enseignante de projet en ENSA
Valoriser des savoirs marginalisés : mettre en avant les acteurs et actrices de l’architecture qui sortent des canons.
« J’essaye d’être attentive, c’est-à-dire de diversifier [les références d’architectes mobilisées], de réactualiser, sans forcément effacer les anciennes mais en ajoutant des plus contemporaines et puis évidemment que j'essaye d'être attentive à donner des références femmes aussi. » Une enseignante de projet en ENSA
105
Être architecte et femme
« J'ai vraiment fait l’effort d’introduire le plus de femmes. » Une enseignante chercheuse en ENSA Valoriser l’horizontalité : réduire l’effet de hiérarchie. Ne pas
avoir l’enseignant·e de projet au-dessus des autres, mais partager les savoirs ; ne pas avoir l’enseignant·e au-dessus des élèves, mais
créer un échange et réduire la compétition entre étudiant·e·s. Valoriser l’interdisciplinarité, ne pas considérer une catégorie plus importante qu’une autre dans l’enseignement du projet.
« J'ai exigé qu’on ait une équipe interdisciplinaire avec des heures à répartition égales. Donc des paysagistes, on avait un constructeur, un géographe etc. Ils n’avaient pas des heures froufrous dans le studio, où ils venaient une fois nous faire leur correction et repartir, non ils avaient vraiment leur place » Une enseignante chercheuse en ENSA « Je mobilise la question de l’élan et du rebond. Ce que j’aime c’est qu’ils rebondissent, ils ne sont peutêtre pas d’accord mais on est dans un échange, dans une discussion et ils m’éclairent aussi justement sur le monde contemporain, comment moi je le vois mais comment eux le voient aussi. » Une enseignante de projet en ENSA « On rebondit et pour moi cet échange il est hyper important, il est hyper important évidemment dans le projet mais il est hyper important dans les cours magistraux. Parce que les cours magistraux c’est pas un savoir qu’on apporte, c’est, à un moment donné, comment faire pour que de ce savoir il y ait un débat qui se construise avec les
106
étudiants et qu’il soit éclairé aussi de leurs propres expériences. Donc moi c’est ce que j’essaye de construire. » Une enseignante de projet en ENSA Instaurer des modes de coopération différents : sortir de
l’enseignement type, proposer d’autres façons de penser le projet architectural.
« Alors parfois on met en place des dispositifs plus ou moins heureux. [Dans cette école], on a fait un truc pour jury intermédiaire. Pour chaque jury il y avait un étudiant avec nous. Ça changeait, il prenait la parole comme nous, et il avait le même temps de parole. Et comme ça les camarades avaient… et en fait les remarques étaient hyper pertinentes ! Vraiment c’était vraiment très très bien. » Une enseignante de projet en ENSA « On avait mis en place un système où les étudiants allaient dormir chez les habitants. […] Donc ils habitent avec des gens qui leur racontent des trucs sur la ville où ils habitent. Donc vous voyez que déjà, la hiérarchie ce n’est pas l’enseignant qui donne une commande mais ça vient un peu, ça vient beaucoup des habitants, mais aussi de la pratique de la ville. » Une enseignante chercheuse en ENSA « Un midi par semaine, on se retrouvait autour d'un repas en studio, on mangeait ensemble, et autour de ce repas, les étudiants devaient nous présenter soit des projets, soit des textes qu’ils avaient lus et qui pouvaient nous faire réfléchir en classe. Donc un moment plutôt convivial mais avec
107
Être architecte et femme
quand même un peu de nourriture intellectuelle. Et puis l’évaluation ne se faisait jamais devant un jury frontal, on était toujours en table ronde. On discutait des projets, on ne présentait pas son projet, on discutait du projet et les invités étaient souvent des archis ou des gens du milieu ; mais on avait aussi un, on ne les appelait même pas des jurys, je ne sais même plus comment on les appelait, mais on invitait soit les habitants, soit le maire de la ville, soit des élus à venir aussi discuter. Et les étudiants, il y avait 2 notes, parce qu’on était obligés de donner des notes, une qui était donné par les étudiants et une qui était donnée par les autres, hiérarchiquement effectivement, les enseignants. » Une enseignante chercheuse en ENSA Parmi ces enseignantes, certaines sont chercheuses et d’autres sont maîtresses d’œuvre. Les générations aussi varient (diplômées
entre 1985 et 2011). Leurs histoires diffèrent, pourtant, elles ont comme point commun une sensibilité ayant pu se développer à
travers l’expérience commune d’être femme. Sans forcément identifier les questions de genre, une femme sera confrontée à la société et intègrera des schémas invisibles qui l’influenceront dans
son parcours professionnel et personnel108. « On ne naît pas femme, on le devient »109, être femme est une construction :
« À travers l’expérience d’un ordre social ‘‘sexuellement’’ ordonné et les rappels à l’ordre explicites qui leur sont adressés par leur parents, leurs professeurs et leurs condisciples, eux-mêmes dotés de principes de vision acquis dans des expériences semblables du monde, les filles incorporent, sous forme de schèmes de perception et d’appréciation difficilement accessibles à la conscience, les principes de la vision dominante » BOURDIEU (1998) 109 Simone De Beauvoir 108
108
« Je pense qu’inévitablement, le fait qu’on ait subi des humiliations, qu’on ait été témoins de choses difficiles, que dans nos cours même on ait voilà, que forcément ça nous rend plus alerte je pense. Moi en tous cas, je sais que j’essaye de faire attention. Quand on analyse un texte, et je sais très bien que ceux qui vont parler en général ce sont plutôt les hommes, bah je fais attention à répartir la parole. Et je sais que ça, c’est dû à mon expérience. » Une enseignante de projet en ENSA Par ailleurs, on observe que ce sont « les femmes les interprètes les plus sensibles de la cause d’autres sujets opprimés »110. Cela vient du
fait qu’elles aient subi des oppressions et exploitations depuis des siècles. On retrouve, par exemple, de nombreuses femmes aux
premiers rangs des luttes féodales et des premières révolutions anticolonialistes, comme le montre Silvia Federici dans Caliban
et la Sorcière (2019). Retrouver des connexions avec les pédagogies féministes à travers l’enseignement ces femmes corrobore ce point.
« Je pense que, effectivement en tant que femme, comme on connait les discriminations, on va être plus à même de se mettre à la place, pas forcément que des femmes, mais des autres minorités. » Les constructions sociales peuvent donc ressortir à travers les façons d’enseigner. Mais ces enseignements ne sont pas l’apanage des
femmes.
Par
exemple,
certaines
reproduisent
enseignements appris de leurs professeurs masculins :
110
Mariarosa Dalla Costa dans TOUPIN (2020) p.22
109
des
Être architecte et femme
« Je me souviens très bien de la bienveillance de l’enseignant qui m'a fait un peu croire que j'avais trouvé toute seule… enfin comment dire ! Qui se n’est pas mis en scène en train de m’amener vers la chose et du coup de ce qu'il m'a apporté en faisant ça. Et alors ce mec je pense que c'était vraiment... pas du tout un féministe ! » Une enseignante chercheuse en ENSA Ces pratiques, ici identifiées dans des discours de femmes, sont donc mobilisables par tous et toutes. Ces observations ouvrent la
question des subjectivités, liées à l’enseignement de l’architecture. Nous ne rentrerons pas en détails dans cette question car ce serait s’éloigner du sujet choisi pour ce mémoire. L’enseignement et ses
pratiques viennent en sous-partie seulement, où seules les femmes sont observées. Pour une vision plus nuancée de cette
question, il faudrait premièrement un échantillon beaucoup plus vaste, mais aussi interroger des hommes sur leur pratique.
« La question des subjectivités est très intéressante, la manière dont on fait l’archi c'est aussi la manière dont on a été construit, comment les expériences nous ont formés et ça j'en suis convaincue. » Une enseignante chercheuse en ENSA
On observe aussi que les façons d’enseigner décrites plus haut –
qui diffèrent de l’enseignement « classique » ou « scolaire » où les élèves sont habitué·e·s depuis la maternelle à suivre l’exemple d’un
maître sachant – peuvent être reçues difficilement par les étudiant·e·s :
110
« Après je ne vous dis pas que les étudiants adoraient ça hein. Il y en a qui n’aimaient pas du tout ce fonctionnement parce qu’ils n’y étaient plus habitués. Y en a qui commençaient à l’apprécier beaucoup plus tard dans le semestre, il y en a qui ne comprenaient pas le but. Ce n’était pas simple, c’était toujours des remises en question. C’est un modèle difficile à casser. » Une enseignante chercheuse en ENSA « Y a des étudiants pour lesquels ce n’est pas évident. Ils ont envie de venir, d’assister à ces cours là et en même temps ils sont perdus parce qu’ils sortent d’enseignements beaucoup plus dirigistes. Alors qu’avec moi l’enseignement repose sur eux. ». Une enseignante de projet en ENSA
Cet
enseignement
‘‘dirigiste’’
est
incarné
par
un
enseignement type en école d’architecture : celui hérité des Beaux-Arts.
b.
L’enseignement de type Beaux-Arts
Comme précisé plus haut, les femmes sont toujours peu à avoir acquis un poste de maitre de conférence, et encore moins de professeur. En 2018, en France, 3 postes de Professeur·e·s, toutes disciplines confondues, sont attribués à des femmes, sur les 44
pourvus111. On voit donc que les femmes ont encore du mal à
percer ce plafond de verre112, malgré la féminisation progressive
DADOUR et POMMIER (2021) À ce propos, voir le graphique en annexe 2a p.156 : ESRI (2020) Le plafond de verre dans l’enseignement supérieur dans les pays de l’union européenne en 2016, p.13 111 112
111
Être architecte et femme
de la discipline. Les postes d’enseignements placés au plus haut
de la hiérarchie sont donc en majorité tenus par des hommes. Parmi eux, existe un type d’enseignement patriarcal113 qui persiste, hérité de l’école des Beaux-Arts :
« Le rapport maitre-étudiant114, qui est hérité des Beaux-Arts, mais qui est de la part de ces enseignants une conviction. C’est à dire qu’ils sont convaincus que c’est comme ça qu'il faut faire […] qui renvoie à des normes masculines, la hiérarchie, le canon, il y a une manière de faire et c’est celle-ci, il faut l’apprendre pour bien faire après, elle passe par faire des maquettes, faire du dessin … » Une enseignante chercheuse en ENSA Cet enseignement pose plusieurs questions sur la persistance de
son existence. Premièrement, nous avons vu en partie 1 que les canons modernes se basent sur des théories aux normes genrées.
Cet enseignement m’est décrit comme une « vision très canonique de la profession » où les canons sont enseignés comme modèles
uniques115 : « On ne m'a pas enseigné autre chose et toujours des
L’école a toujours reproduit un système patriarcal, c’est-à-dire un système produit par des hommes, pour des hommes, dans lequel les femmes (et par extension les autres minorités de genre) sont discriminées. L’école des Beaux-Arts en est un exemple. BOURDIEU (1998) « Le principe de la perpétuation de ce rapport de domination […] réside […] dans des instances telles que l’Ecole » p.15 114 BOURDIEU (1998) « L’École […] continue de transmettre les présupposés de la représentation patriarcale (fondée sur l’homologie entre la relation homme/femme et la relation adulte/enfant) » p.119 115 Cet enseignement découle du principe de maitre à élève, où l’élève transmettra l’enseignement de son maitre comme vérité, permettant la perduration d’une lignée d’architectes (hommes). Pour une critique de ce système d’apprentissage, se référer à l’article de Deborah GARCIA, « Call Me Daddy », paru dans le magazine Log, winter/spring 2020, Expanding Modes of Practice, n°48 113
112
grandes figures. On en revient toujours un peu aux mêmes
[architectes enseignés]. ». J’observe alors que cet enseignement, suivi par les architectes interrogées et donc par leurs camarades de classes et actuels collègues de travail, peut résulter en une
difficulté à penser d’autres modèles de vie dans la pratique de l’architecture actuelle :
« Un jour, on avait un client qui avait un très petit appartement à réhabiliter. Donc peu de place, à Paris, donc il faut faire des choix. Et lui disait ‘‘Je n'ai pas vraiment besoin d'avoir un espace pour mettre une table, parce que je mange dehors la plupart du temps, quand je rentre il est tard, j'ai envie que ce soit tout bien intégré, que l’appartement soit bien lisse, donc on va plutôt mettre l’espace dans autre chose plutôt que dans une table pour diner.’’ Et un de mes collègues justement a dit ‘‘C’est super bizarre de pas vouloir une table, c'est quoi cette vision, peut-être qu’aujourd'hui il n’a pas envie, mais il aura envie plus tard, s'asseoir autour d'une table…’’ en mode justement famille nucléaire qui va diner le soir et il avait du mal à… En tout cas il y avait un petit peu de jugement dans la volonté de vouloir faire sa vie autrement que dans le schéma traditionnel. Et, ou, si on n'y est pas encore, bah on va vers ça parce que c'est ça le but d'une vie. […] La remarque de mon collègue, ‘‘Ce n’est pas comme ça qu'il faut vivre !’’ Alors que pourtant on est à l’écoute, enfin on est sur des projets sur mesure, et ben du coup ça veut quand même dire que s’il n’a pas un client en face qui lui explique pas concrètement son mode de vie, il va pas forcément… penser à inclure d'autres modèles. » Une maîtresse d’œuvre
113
Être architecte et femme
Et ces canons, qui étaient enseignés aux architectes de mes entretiens (donc entre 1976 et 2011) sont toujours les plus
populaires en école d’architecture aujourd’hui. Comme on le voit dans le sondage posté sur la page Facebook « Primo Archi », parmi la trentaine de résultats apparaissant dans le classement, 8
architectes correspondent aux 24 cités dans les entretiens116, tous font partie du top 10 (classement établi selon les votes au
sondage, en fonction de quel architecte a le plus de voix)117. Ce
constat me mène à me poser de nouvelles questions : Quel est l’impact
de
ces
modèles
toujours
présents
dans
les
enseignements ? Peut-on avancer que ces modèles représentent
l’existence d’une pédagogie qui transmet le modèle unique incarnant des normes genrées ? Qu’est-ce que cela implique pour
le futur de l’architecture ?... Ces questions ouvrent elles aussi un
sujet dépassant celui de mon mémoire et mériteraient d’être traitées dans d’autres travaux.
Deuxièmement, rappelons que depuis l’ouverture de l’école des Beaux-Arts en 1817, les femmes y étaient interdites jusqu’en
1897, sachant que l’accès à certaines disciplines leur était encore refusé. C’est le cas de l’architecture, dont l’autorisation à s’inscrire
au concours d’entrée leur fût définitivement accordée en 1900
(soit presque 100 ans plus tard). Selon Bourdieu (1998), « Les
changements visibles qui ont affecté la condition féminine masquent
Selon les réponses obtenues à la question « Quels étaient les architectes modèles qui vous étaient enseignés ? », pour les résultats, voir trombinoscope pp.41-43. 117 Voir sondage en annexe 4 pp.159-160 116
114
la permanence des structures invisibles »118. En effet « à travers les
espérances subjectives qu’elles imposent, les « attentes collectives », positives ou négatives, tendent à s’inscrire dans les corps sous forme de disposition permanentes. Ainsi, selon la loi universelle de l’ajustement
des espérances aux chances, des aspirations aux possibilités, l’expérience prolongée et invisiblement mutilée d’un monde de part en part sexué
tend à faire dépérir, en […] décourageant l’inclination même à
accomplir les actes qui ne sont pas attendus des femmes – sans même leur être refusés. »119. Nous pouvons donc considérer que cet enseignement porte en lui des codes qui peuvent continuer à
discriminer les femmes. J’observe par ailleurs que l’enseignement de type Beaux-Arts persiste dans certaines écoles :
« Dans certaines écoles comme Val de Seine, où je vois bien que le fonctionnement en début de cursus il repose encore sur un fonctionnement de type Beaux-Arts. » Une enseignante chercheuse en ENSA Récemment, on observe des revendications émanant de certains
enseignant·e·s adeptes de l’enseignement type des Beaux-Arts. Iels se plaignent de ne plus voir assez de praticien·ne·s parmi les
enseignant·e·s de projet : « La réforme de l’enseignement de
l’architecture a déjà entraîné une surreprésentation de la place des chercheurs dans les écoles d’architecture […] La conséquence directe est
la disparition progressive des enseignants …. TPCAU de projet et la nette réduction de la présence des architectes praticiens »120. Ces
BOURDIEU (1998) p.145 Ibid. p.88 120 Mails envoyés entre professeurs, un enseignant de Paris Malaquais et un autre 118 119
115
Être architecte et femme
architectes, craignent la perte d’un métier de « bâtisseur », soidisant que les pratiques intellectuelles représenteraient « un
véritable danger pour la formation de nos futurs architectes, car cette ‘‘évaporation’’ des praticiens s’accompagnerait d’une baisse de la
qualité des projets dont l’enseignement doit rester la materia prima des
Ecoles »121. Arguments voguant parfois même entre racisme et sexisme, « Je passe sur le jeunisme en vogue, le genre de rigueur (et bientôt la race à la mode) dans toutes les institutions »122, ces appels
à la résistance, lancés par des praticiens (enfants des Beaux-Arts) contre les théoriciens (‘‘nouveaux’’ arrivants), ont des effets négatifs sur les populations attaquées :
« Forcément, moi qui suis une femme, relativement jeune pour être recrutée, et qui ne construit pas au km2 […] oui je ne me suis pas sentie… […] je pense que beaucoup de mes consœurs et même confrères ont été affaiblis par tous ces débats qu’il y a eu. ». Une enseignante de projet en ENSA Néanmoins, derrière ces appels au secours désespérés, voyant leurs places privilégiées remises en question (« Ce système a créé un
véritable dérèglement des équilibres internes dans la représentation, la
hiérarchie et la place que chaque discipline doit occuper » ; « Les
institutions qui, sous couvert de non-discrimination en crée une autre,
réelle, envers ceux qui ne sont seulement que ‘de parfaits’ praticiens, efficaces et reconnus »123) nous pouvons voir que cette position perd
de Paris Val de Seine, 2020 121 Ibid. 122 Ibid. 123 Mails envoyés entre professeurs, un enseignant de Paris Malaquais et un autre de Paris Val de Seine, 2020
116
de l’ampleur dans les écoles, faisant écho à l’intégration de plus
en plus fréquente de divers corps de métiers dans l’enseignement
du projet architectural, enseignements portés en majorité par des femmes
comme
nous
l’avons
vu
précédemment.
Ces
enseignements viennent pourtant enrichir la discipline. Nous ne pouvons plus nous permettre de bâtir comme avant. La période
des grands ensembles, parmi tant d’autres, a engendré des manquements dans notre présent. Ces façons de faire ne correspondent plus aux préoccupations contemporaines et sont
par conséquent à laisser dans le passé. Poser une pierre n’est pas anodin, surtout lorsqu’on prend en compte la dimension
temporelle de l’architecture. Nous le voyons encore plus
aujourd’hui, à travers les crises écologiques et sanitaires que nous sommes en train de traverser124. L’apport de nouvelles disciplines
et manières de faire, plus transversales, plus systémiques, aident
l’architecte à intégrer à son projet toutes les sphères (environnementales,
politiques,
sociales,
économiques…)
touchées par l’action du bâtisseur, et perfectionnent son art de
faire. Grâce à la collaboration, l’architecte, qui n’a jamais été l’unique fabriquant de son œuvre (mythe transmis par l’enseignement des Beaux-Arts), apprend aujourd’hui à composer
avec tous les acteurs du projet. Faire le contraire serait fermer les yeux sur la société dans laquelle nous sommes en train d’évoluer.
Pour plus de précisions sur le rôle de l’architecture et de l’urbanisme et son impact négatif sur la société, révélé par la crise sanitaire du Covid19, voir le mémoire de Melissa PEREZ MONTELONGO (2021) « Prendre soin de l’espace urbain à l’heure du COVID-19 ». 124
117
Être architecte et femme
L’enseignement de la question du genre est une manière
d’introduire le sujet de l’hétérogénéité de nos sociétés, et le besoin d’y faire attention dans la pratique architecturale. 3.
Enseigner le genre et l’intégrer à la pratique « C’est à dire qu'il y a toujours eu des cours hors norme dans les écoles, dans toutes les écoles il y a les enseignants qui enseignent l’avant garde, qui enseignent les alternatives, qui enseignent le truc écologique dans les années 70 alors que toute la ville se construit en béton… Il y a toujours eu ça dans les écoles. Après, c’est des enseignants hégémoniques, ce n’est pas des enseignants dominants. Quand on pense à [cette école] on ne va pas penser à moi quoi. Il y a toujours des dominantes et il y a de la place pour les alternatives ». Une enseignante chercheuse en ENSA a.
Un réseau qui se créé125
Des cours incluant le genre dans la pensée et l’observation de l’architecture commencent à voir le jour sur la scène architecturale
française. Cette thématique est majoritairement portée par des femmes (ou individus identifié·e·s comme femme) et personnes
issues de la communauté LGBTQI+, en raison de leur
confrontation quotidienne à cette thématique126. J’ai pu le constater lors du colloque international « Dynamiques de genre
et métiers de l’architecture, de l’urbanisme et du paysage »,
Ici seront mobilisés les témoignages des 3 typologies d’enseignantes parmi les enquêtées : projet, ‘‘autres disciplines’’ et chercheuse. 126 Comme nous avons pu le voir pour le cas des femmes dans ce mémoire. 125
118
organisé par Stéphanie Bouysse-Mesnage, Stéphanie Dadour, Isabelle Grudet, Anne Labroille et Elise Macaire, avec un comité
scientifique à 86% féminin127 et où sont intervenu·e·s 30
personnes perçues comme femme sur les 33 intervenant·e·s128. Ce
colloque fait suite à d’autres actions similaires dans les écoles d’architecture – bien qu’il fut le premier à avoir une portée
internationale – telles que le cours intensif proposé à l’école de Paris Malaquais en février 2020 par Maé Cordier-Jouanne, Jean
Makhlouta et François Gruson : « Révéler le genre dans l’espace », la revue publiée par l’école de Paris Malaquais « Des féminismes en architecture » ou encore les cours optionnels
donnés par différent·e·s enseignant·e·s, comme ceux donnés par Stéphanie Dadour à l’école de Grenoble « Gender, feminism and
architecture » ou « Dénormer pour penser l’architecture » avec
Théa Manola. Un réseau commence donc à se créer entre les enseignant·e·s :
« Je sais qu'on est plusieurs enseignantes à en parler entre nous et on a tous des postes dans ces écoles donc je me dis que ça va changer. Et je pense que les
Comité scientifique : Lucile Biarrotte, Véronique Biau, Bernadette Blanchon, Stéphanie Bouysse-Mesnage, Karen Bowie, Pierre Chabard, Olivier Chadoin, Anne-Marie Châtelet, Stéphanie Dadour, Caterina Franchini, Charles Gadéa, Isabelle Grudet, Elise Koering, Anne Labroille, Nathalie Lapeyre, Nicky Le Feuvre, Elise Macaire, Catherine Marry, Delphine Naudier, Frédérique Patureau, Rebecca Rogers et Corinne Sadokh. 128 Intervenant·e·s : Carla Amat Garcia, Emmanuelle Andreani, Violette Arnoulet, Béatrice Auxent, Lucile Biarrotte, Chris Blache, Bernadette Blanchon, Stéphanie Bouysse-Mesnage, Lori Brown, Doris Cole, Anne Cormier, Ludivine Damay, Giuliana Di Mari, Claire Gautier, Alberto Geuna, Ahlem Ghezzali, Elizabeth Gossart, Julia Goula Mejon, Karin Helms, Anne Jarrigeon, Maria Katou, Elise Koering, Giulia La Delfa, Pascale Lapalud, Nathalie Lapeyre, Mary Pepchinski, Tanja Poppelreuter, Serge Proust, Alessandra Renzulli, Christine Schaut, Lidewij Tummers-Mueller, Olivier Vallerand et Corine Vedrine. 127
119
Être architecte et femme
étudiants s'en rendent de plus en plus compte, et qu'ils sont aussi demandeurs de ça. On est sur une voie, qu'elle tienne ! » Une enseignante chercheuse en ENSA « On commence à être une espèce de réseau d’enseignants là en France, où on se rend compte que chacun de notre côté on essaye de mettre en place des enseignements ponctuels et de vraiment faire rentrer la question du genre dans l’enseignement de l’architecture. Donc on échange là-dessus […] Stéphanie Dadour est vraiment à la tête de tout ça, elle a une vision assez synthétique de ce qui se passe dans les différentes écoles, et elle je pense que ça fait longtemps qu’elle essaye de mettre ça en place. » Une maîtresse de conférence en ENSA La question du genre commence par ailleurs à toucher les autres sphères de l’architecture :
« Dernièrement, j'ai l'impression qu'il y a quand même l’inclusion de la question du genre dans les approches institutionnelles. Là à Lyon par exemple, je crois que c'est à Lyon et dans certaines autres villes depuis, suite aux municipales là, il y a des équipes ‘‘genre’’ qui évaluent tous les projets urbains, avec une notation par rapport au genre » Une maîtresse d’œuvre « J’avais un tout petit peu participé au montage d'un dossier pour un des bâtiments des JO, et le promoteur, alors c’était que des femmes […] elles avaient un discours sur l’inclusivité, dans leur petit quartier qu'on faisait pour les JO. » Une maîtresse d’œuvre
120
Genre et ville est une plateforme d’innovation urbaine, où se
mêlent recherches et actions afin d’interroger et transformer « les
territoires par le prisme du genre de manière intersectionnelle, c’est à dire en incluant les questions de normes de genre, d’âge, d’origine sociale, culturelle, ethnique, d’identité, d’orientation sexuelle. »129. Les
villes et collectivités peuvent faire appel à eux pour former les
acteurs du territoire à la question du genre et son inclusion dans les questions urbaines. D’autres initiatives, comme les podcasts,
aident aussi à vulgariser les thématiques de genre en architecture et à sensibiliser sur ces sujets. Début 2020, Léa Brami et
Stéphane Bonnefond créent Interférences, « un podcast engagé, qui parle d'architecture mais pas que... ! [Leur] désir est de donner la parole aux jeunes, de [nous] faire découvrir ailleurs, [nous montrer] que, oui, l'architecture, c'est politique ! »130. Sur 18 publications, 5
incluent la thématique du genre. Un autre podcast, Drop the Kutsch, parle quant à lui d’interdisciplinarité, qui est une
question concernant une grande majorité de femmes, comme nous avons pu le voir précédemment.
Toutes ces actions sont nécessaires car on observe que beaucoup
d’architectes, notamment de jeunes diplômés, ignorent encore la
réalité de ces questions et les inégalités qui existent toujours entre les hommes et les femmes dans le milieu de l’architecture :
« Les deux jeunes avec qui on travaille sont des diplômé·e·s, une de Belleville et lui de Nantes, qui doivent avoir maximum 25 ans. Donc je suis arrivée en leur disant ‘‘Savez-vous, bon nous on
129 130
Présentation sur le site internet de Genre et Ville Présentation sur la page Sound cloud d’Interférences
121
Être architecte et femme
vous paye de la même manière, mais savez-vous qu’il y a énormément d'agences qui ne vont pas vous payer de la même manière ?’’ Alors au début ‘‘Ah bah non, nous on n'est pas de la même génération, vous comprenez pas, ça n’arrive pas…’’ puis petit à petit j'ai commencé à leur demander, parce qu’ils ont un cercle d’amis architectes très proches, ils sont à peu près 15, ils font toute leur vie ensemble, ils vivent en colocation, ils voyagent ensemble etc. et donc bah non finalement ils s'en rendent compte. Mais voilà, encore une fois on a dû parler du sujet, c’est à dire que ce n'est pas conscient. » Une maîtresse d’œuvre Ce qui est moins le cas parmi les étudiant·e·s, beaucoup plus
sensibilisé·e·s à ces questions d’actualité, « les sujets [de mémoire] sont libres, mais sur les 30 étudiants j’ai 18 filles et sur les 18 filles j’en
ai 6 qui travaillent sur l’architecture queer. ». On observe aussi que
les enseignements sur le genre aident les étudiant·e·s à identifier
les rapports de genre et à être moins naïfs face à des situations qui sont encore banalisées :
« À l’école il y en avait. Je vous ai raconté l’histoire de ce jury, alors justement quand cette histoire s'est passée et que mes cours sur le féminisme… bah les étudiants ont fait des liens. Il y a un cours d'histoire ou je commence en disant ‘‘Nommez-moi 5 femmes archi”, donc à part Zaha Hadid et des femmes en couple, Venturi, Lacaton Vassal, Odile Decq… personne n’était capable de m’en nommer. Donc au début, les gens qui disaient ‘‘Ah bah oui, mais ça change, nous on est jeunes, on est pour l’égalité’’… C’était un cours d’histoire que je donnais donc en 3ème année, donc au moment où cette affaire-là 122
[fait référence à l’histoire du jury] s’était passée, les gens font des liens, et ils commencent à comprendre. Et là, plusieurs éléments discriminatoires, de sexisme, sont ressortis, comme d’ailleurs ce qui se passe aujourd'hui dans plusieurs écoles notamment chez vous, donc ça ressort. » Une enseignante chercheuse en ENSA
Parce qu’iels savent être les act·eur·rice·s de demain, les
étudiant·e·s sont les plus à même de se sentir concerné·e·s par ces questions.
b.
We don’t take anymore bullshit
Parler du genre en architecture permet donc, en plus d’inclure les diversités d’existences à travers les projets architecturaux, de
sensibiliser les architectes aux inégalités encore existantes et aux
discriminations prenant place dans les écoles. Malgré ça, les
institutions ont toujours beaucoup de mal à se saisir de l’importance de cette question. Alors que ce sujet existe dans les sphères universitaires depuis plus de 100 ans, l’architecture semble encore être réticente à l’incorporation systématique de ce
sujet dans l’enseignement et la pratique, soit disant que l’architecture serait neutre131. Et même lorsque des personnes hautement placées dans les institutions veulent porter des
combats, il est difficile de s’imposer lorsqu’on représente une minorité. C’est ce que me raconte une enquêtée lors de notre entretien :
131
Ce qui est démontré comme faux en partie 1.
123
Être architecte et femme
« Bon là on se dit mais euh en fait les gens qui sont devant nous, ils sont tous pareils, c’est tous des hommes de 50 ans et moi qu'est-ce que je fais là, comment je vais pouvoir annoncer mes problématiques qui sont parfois très terre à terre, qui peuvent être de l’inclusivité, de l’insécurité des femmes, de la prise en compte de l’accessibilité en général etc. » Une présidente de l’Ordre des architectes, échelle régionale De ce fait, les réformes ont du mal à être mises en place, et les choses à changer lorsqu’on se retrouve confronté·e·s au un mur d’opposition des praticiens refusant de reconnaitre l’apport des métiers de la recherche.
C’est donc dans les cercles étudiant·e·s que cette question est aujourd’hui majoritairement mobilisée, en partie grâce aux apports des rares cours sur le genre, mais surtout dans la foulée
des mouvements actuels de société et de l’influence des réseaux
sociaux. C’est comme ça que nous avons pu voir apparaitre sur les différentes plateformes des initiatives étudiantes, voulant en finir avec cette culture discriminatoire passée sous silence. Dans la
continuité des actions lancées par le mouvement social #metoo en 2017, ou plus récemment par le mouvement des colleuses132, plusieurs pages Instagram aident aujourd’hui à visibiliser la parole
Le mouvement des colleuses déroge aux règles de l’espace public afin de faire entendre les voix des femmes victimes de féminicide (au départ appelé Collages Féminicides, lancés par l’activiste Marguerite Stern), puis s’est étendu à tout type de violence, subies par des femmes, ou personnes s’identifiant femme. Leur démarche militante consiste à coller des témoignages peints en lettres capitales noires, sur des feuilles A4 blanches, sur des murs dans la ville, sans autorisation afin de se réapproprier les discours publics (voir photos page suivante). Ce mouvement prend place sous forme de groupes dans de nombreuses grandes villes françaises et belges, et agissent en non-mixité choisie*. 132
124
des victimes de sexisme, de racisme, d’homophobie… qui se
passent en école d’architecture et d’art. Ces actions, en plus de soutenir les victimes, sensibilisent les architectes, pour qu’iels
prennent conscience du monde dans lequel iels évoluent. Les plus
populaires à ce jour sont @cesphrasesdarchi, @balancetonarchi et
@balancetacharette, ou @les.mots.de.trop pour les écoles d’art.
Ces combats en école d’architecture, à l’origine plus matériels,
ont pris place sur internet suite à la crise du COVID19. Ce qui
permit, entre autres, aux étudiants de toute la France de former
une communauté, de dénoncer collectivement ces agissements et de mettre en place des actions. C’est ce que nous avons pu voir à
l’école de Montpellier où les accusations ont mené le ministère à ouvrir une enquête administrative.
125
Être architecte et femme
126
Des médias commencent aussi à sonner le glas, comme on a pu
le voir dans l’article paru dans Le Monde, en novembre dernier133.
Par ailleurs, le ministère de la culture annonce mettre en place des procédures, qui actuellement se résument à la nomination
d’un membre de l’administration de chaque école au poste de
‘‘référent violences sexistes et sexuelles’’. Ce poste consiste
majoritairement en un travail administratif (dans les demandes faites par le ministère), à la création de cellules d’écoute et à la proposition de formations (obligatoires pour le personnel
administratif mais pas pour le corps enseignant). Ces préoccupations ont néanmoins comme effet positif de sensibiliser les directeurs et directrices à ces problématiques, qui vont donc être plus favorables aux initiatives étudiantes. J’ai pu l’observer à
Paris Val de Seine, où suite à la demande d’Alexandra Mallah et
moi-même, nous avons pu obtenir rapidement un rendez-vous avec notre directeur, qui résulta en la création d’un groupe de
prévention contre les violences sexistes et sexuelles : Réagir PVS. Malgré tout, les initiatives comme celle-ci restent encore entièrement à la charge de celles et ceux qui en font partie, et se
limitent à l’échelle de chaque école, comme c’est le cas des autres groupes de lutte, existant par exemple à l’école de Lyon. Ces initiatives nécessiteraient une mise en place institutionnelle afin de pouvoir systématiser les actions, encore aujourd’hui trop ponctuelles.
« En école d’architecture, les dérives de la ‘‘culture charrette’’ », Alice Raybaud, Le Monde, 19.11.20 133
127
Être architecte et femme
La féminisation de la profession, entamée dans les années
1900, commence donc à s’observer plus de 100 ans après l’accès des femmes aux écoles. Que ce soit à travers la croissance des pédagogies alternatives, ou l’inclusion timide des questions de genre, les femmes font partie d’un mouvement de refonte de la
profession, qui commence à faire sentir ses effets. Mais il faut
faire attention, car comme le signale une enquêtée à propos de la trop faible représentation des femmes dans des postes de
représentation et de direction : « il faut que ça prenne de l’ampleur. C'est quelque chose qui s’entretient de manière un peu inexorable. ».
128
129
Conclusion « Il n’y a rien dans le fait d’être femme qui puisse créer un lien naturel entre les femmes. « Être » femme n’est pas un état en soi, mais signifie appartenir à une catégorie hautement complexe, construite à partir de discours scientifiques sur le sexe et autres pratiques sociales tout aussi discutables. Conscience de classe, conscience de race ou conscience de genre nous ont été imposées par l’implacable expérience historique des réalités contradictoires du capitalisme, du colonialisme et du patriarcat. Qui compose ce « nous » ? » Donna Harraway, Manifeste Cyborg, 2007 [1985] p.39 La construction sociale des normes genrées s’est établie à travers les siècles, sous les impulsions des systèmes patriarcal et capitaliste. La société qui en émerge est donc basée sur des divisions diverses (de genre, de race, de classe…), qui permet au pouvoir en place de se maintenir, exerçant une stratégie du divide et impera, diviser pour régner. S’érige alors la figure du dominant : l’homme blanc hétérosexuel cisgenre valide, qui, dans un monde construit à son image, se dresse en symbole du neutre. Les normes genrées permettent donc la pérennité de ce symbole en discriminant les autres, celles et ceux ne correspondant pas à la norme et étant en position de minorité. Nous avons voulu dans ce mémoire, nous intéresser à une minorité en particulier, les femmes, dans un environnement particulier, l’architecture. Celles-ci, se construisent tout au long de leur scolarité sur des normes genrées, et nous avons démontré une continuité de ces discriminations basées sur le genre dans la partie B. Par conséquent, nous pourrions répondre à la question 131
« L’architecture et son enseignement sont-iels genrés ? » par l’affirmative, étant donné que l’architecture et son enseignement sont produit par des personnes influencées par des normes genrées. Finalement, là n’est pas la réponse apportée par ce mémoire, qui va à mon avis plus loin. Comme le dit une de mes enquêtée, « on est là comme des individus pour ce qu'on apporte, pour ce qu'on sait faire ». Alors que nous apporte ce mémoire mêlant féminisme et architecture ? Premièrement, il visibilise l’existence de certaines de ces normes (beaucoup sont encore à décrire), qui est la première étape sur le chemin de la prise de conscience des inégalités hommes-femmes. Nous avons vu dans le chapitre E comment les cours sur le genre permettent de sensibiliser les étudiant·e·s sur leur condition d’architecte, qui n’est pas neutre. Des devoirs traitant de ces questions offrent donc différentes pistes de recherches, dans notre cas qui abordent des questions sociologiques, historiques et pédagogiques, mais ayant le potentiel de questionner l’espace et l’architecture en elle-même. Tous ces travaux participent à la déconstruction de la norme actuellement établie, de l’homme blanc hétérosexuel cisgenre valide, au centre de chaque projet (c.f. Le Modulor). Mais l’idée n’est pas de détruire le modèle, comme il serait aisé de penser. Nous avons besoin de modèles auxquels s’identifier, comme vu dans le chapitre D, de personnages qu’on admire et qu’on respecte. L’idée est de déconstruire le mythe de l’architecte génie qui s’est fait seul, de l’homme comme unique schéma de représentation et de réussite. Car ces architectes reposent en réalité sur une toute une société, ayant fait d’eux les rois. En critiquant le modèle unique d’architecte, nous critiquons avec lui le système qui l’a mis en place.
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« L'idée est juste de reconnaitre ça. D'enlever cette idée de masque, de génie, et de redonner à tout le monde sa place. » Une enseignante chercheuse en ENSA Deuxièmement,
il
met
en
lumière
l’hétérogénéité
de
l’architecture et de son enseignement. La variété parmi les
références à enseigner apporte des points de vues multiples et donnent à voir l’architecture sous d’autres angles. L’apports des autres disciplines de l’enseignement de l’architecture, tel que
l’histoire, les sciences humaines et sociales, la biologie… nous
permettent de prendre en compte l’entièreté des données
(historiques, sociologiques, environnementales…) d’un système et de l’appliquer à la conception de l’espace. L’ouverture de ces portes a aussi permis à beaucoup de femmes de s’imposer dans le métier, et elles représentent aujourd’hui une part majoritaire de
ces enseignements. Une chasse aux sorcières contemporaine apparait alors, morceaux d’une résistance face à la féminisation de
l’art de bâtir. À travers les époques, les arguments sont divers,
mais le but reste le même : maintenir une homogénéité dans la profession. Pourtant, nous ne pouvons plus réfléchir en terme individuel. « De plus en plus […] les projets sont explicitement ou implicitement collectifs, soit parce que les architectes travaillent à
plusieurs, soit parce qu’en fait, dans la conception, il y a toutes sortes de mains qui interviennent ». Et cette pluralité de mains, portant
une pluralité de disciplines, donne à l’architecte une pluralité de
points de vues, subjectifs, pour imaginer un espace les incluant tou·te·s, que ce soit dans la participation au projet où dans le programme. L’hétérogénéité du métier d’architecte et son
enseignement est une richesse, qui mérite d’être exploitée afin de pouvoir continuer à être éblouis.
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« Mais petit à petit, une autre possibilité de réponse à ces crises s’est imposée : la coalition – l’affinité, plutôt que l’identité. » Donna Harraway, Manifeste Cyborg, 2007 [1985] p.39 Enfin, il ouvre de nouvelles portes sur les champs d’actions possibles de l’architecte. Paul B. Préciado, philosophe et écrivain
ayant fait son doctorat en théorie de l’architecture, nous pose la question suivante lors de son séminaire au centre Pompidou en 2020 : « Comment pouvons-nous nous saisir de la représentation, pas
seulement dans l’inclusion d’une image minoritaire, mais comme performative ? C’est-à-dire qui produit les sujets représentés ? » Cette
question résonne dans notre discipline de par les réponses de représentation, d’espace et de programmation qu’elle évoque. Car l’architecture est aussi un outil de communication, vecteur d’idées
inspirées de la société, tissant des liens entre politiques et communautés. Les espaces ainsi créés peuvent ainsi prendre soin de
leurs
occupants,
de
l’environnement,
être
inclusifs,
révolutionnaires… afin de tenter de construire la planète toute entière en tant qu’unité de vie 134.
« Mon rêve révolutionnaire c’est que tout ça [le genre, la féminité, la masculinité…] n’ait plus aucun sens. » Adèle Haenel, table ronde du séminaire « Une nouvelle histoire de la sexualité », 2020
134
PRÉCIADO (2020)
134
135
Lexique Ces définitions sont institutionnelles (lorsque possible). Elles sont parfois agrémentées de commentaires usuels. Lorsque
mobilisé dans le texte, le mot est signifié par le signe à la première occurrence « * ».
Androcentrisme : « (du grec andro-, homme, mâle) mode de pensée, conscient ou non, consistant à envisager le monde uniquement ou en majeure partie du point de vue des êtres humains de sexe masculin. » définition Wikipédia. Anthropocentrisme : « Système ou attitude qui place l’homme [l’être humain] au centre de l’univers et qui considère que toute chose se rapporte à lui. » définition Larousse en ligne. Anthropocène : « Période actuelle des temps géologiques, où les activités humaines ont de fortes répercussions sur les écosystèmes de la planète (biosphère) et les transforment à tous les niveaux. (On fait coïncider le début de l'anthropocène avec celui de la révolution industrielle, au 18e siècle.) » définition Larousse en ligne. Biais : « Inclinations ou préjugés pour ou contre une personne ou un groupe, en particulier d'une manière considérée comme injuste. »135 définition Oxford Languages, de l’anglais « bias ».
135
Oxford languages « h » traduction libre
136
Binarité : « Qui met en jeu deux éléments » définition Larousse en ligne.
Dans ce mémoire, le terme fait référence à la façon dont le genre s’est construit autour de deux pôles : le masculin et le féminin. La non-binarité consiste en l’acceptation d’une composition du genre plus complexe.
Capitalisme patriarcal : pas de définition institutionnelle trouvé. Terme théorisé dans l’ouvrage de Silvia Federici, « Le capitalisme patriarcal » 2019. Systèmes qui se nourrissent l’un de l’autre. Ils produisent une hiérarchie de classe (ouvrier-patron) et de genre (homme-femme).
Charge mentale : « Ensemble des sollicitations du cerveau pendant l’exécution du travail » Monique Haicaut (1984). Elle permet de se rendre compte du rôle social imposé aux femmes et aux hommes. On remarque que dans notre société, elle pèse beaucoup plus sur les femmes (2 femmes sur 3 contre 1 homme sur 3 selon une enquête de l’Agence Intrépide). Selon cette même enquête, les couples hétérosexuels seraient plus impactés que les couples homosexuels. Pour des exemples de témoignage, voir la page Instagram @taspensea.
Cisgenre : « Se dit d'un individu dont l'identité de genre est en accord avec son sexe (celui qu'indique son état civil). » définition linternaute en ligne.
Apparu en 1994 sur le groupe en ligne « Usenet alt.transgendered » dans un message de Dana Leland Defosse.
137
Déconstruction : « Processus par lequel une personne admet que la société a construit des systèmes oppressifs et apprends à les déconstruire, à s’en détacher. Relié à la question de la norme. » définition Camille Kervella (2020), zoomclass sur « Sex in the city », mémoire d’architecture. Écoféminisme : « Met en relation deux formes de domination : celle des hommes sur les femmes, et celle des humains sur la nature. » définition Catherine Larrère (2012) « L’écoféminisme : féminisme écologique ou écologie féminisme ? », tracés. À la croisée de ‘féminisme’ et ‘écologie’, l’écoféminisme est le résultat de leur contraction par Françoise d’Eaubonne en 1972. Il fut ensuite utilisé comme outils de plaidoyer par les féministes anglo-saxonnes (Mary Mellor, Carolyn Merchant, Val Plumwood, Ariel Salleh, Karen Warren, Vandana Shiva pour ne citer qu’elles). D’Eaubonne utilisa deux pensées majeures de l’époque : celle de Simone de Beauvoir, démontrée dans Le deuxième sexe (1949) et celle dans La société contre Nature (1972) de Serge Moscovici.
Empowerment : « L’acte de donner à quelqu’un·e un meilleur contrôle sur sa vie ou sur la situation dans laquelle elle se trouve. »136 définition Oxford Dictionaries. Terme anglais que l’on pourrait traduire par empouvoirement ou capacitation, il désigne le sentiment de se sentir en possession de plus de pouvoir pour agir sur des conditions sociales, économiques, politiques ou écologiques. Généré à travers la confiance en soi, il peut être facilité par l’effet de groupe, et le sentiment d’appartenir à une communauté.
Oxford Dictionaries « The act of giving somebody more control over their own life or the situation they are in » traduction libre 136
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Féminismes : « Mouvement militant pour l'amélioration et l'extension du rôle et des droits des femmes dans la société » définition Larousse en ligne. « Il y a autant d’architecture que de féminismes » Apolline Vranken On parle le plus communément de vagues de féminisme (même si le terme est discuté) dans le sens où le mouvement dure dans le temps et s’étale sur une période de plusieurs années, en ayant lieux simultanément dans plusieurs pays du monde. Plusieurs courants s’en détache : tels que le féminisme matérialiste, différentialiste, poststructuraliste, marxiste, intersectionnel, transféministe, radical, antiraciste, cyborgien… Marquant un mouvement en perpétuelle mutation, attaché à des facteurs communs : l’égalité entre les sexes et l’oppression spécifique des femmes. Pour une sociohistoire des féminismes, de la Révolution française à nos jours, lire Pavard, Rocheford et Zancarini-Fournel (2020)
Féministe : « partisan[·e] du féminisme » définition Larousse en Ligne Genre : « Ensemble de traits communs à des êtres ou à des choses caractérisant et constituant un type, un groupe, un ensemble » définition Larousse en ligne. Construction sociale (homme, femme, non-binaire), en opposition au sexe biologique d’une personne. Une personne dont le sexe biologique ne correspond pas à son identité genrée sera appelée transgenre. Le terme nonbinaire est utilisé par les personnes ne s’identifiant pas à un des deux genre binaire homme-femme, pour plus de précisions voire les théories Queer (Butler, Warner, Wittig…). Le concept est formalisé par Joan Scoot en 1984.
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Hétéronormativité : « Désigne la norme hétérosexuelle prédominante dans la société. » définition de l’Internaute en ligne. Terme popularisé en 1991 par Michael Warner dans son travail sur la théorie queer.
Iel/iels : (néologisme) « Pronom de la troisième personne du singulier permettant de désigner les personnes, sans distinction de genre » définition Wiktionnaire. Ces pronoms résultent d’une contraction des pronoms « il » et « elle ». Ils sont notamment utilisés par les personnes non-binaires. Son équivalent en anglais est « them ». Son utilisation peut remonter jusqu’à des auteurs comme Shakespeare mais il fût théorisé et revendiqué par les féministes dans les années 70.
Intersectionnalité : « Méthodologie sociologique et féministe qui étudie les formes de domination et de discrimination non pas séparément, mais dans leur intersection, en partant du principe que le racisme, le sexisme, l’homophobie ou les rapports de domination sont liés. » définition Wiktionnaire Queer : « La théorie queer tente de déconstruire la pensée dichotomique en révélant que les normes sociales ne sont pas des “vérités” mais des fictions sociales. » définition Encyclopédie SAGE des études LGBTQ. « À l’origine, le queer est aussi, et surtout, un terme péjoratif relatif à l’identité de certaines personnes. Queer, en anglais « bizarre », « étrange », a d’abord été utilisé comme insulte envers les personnes homosexuelles ou transgenres. Réapproprié par celles-ci, le terme queer est aujourd’hui un terme parapluie réunissant l’ensemble des individus ne s’identifiant pas à la norme hétéronormative* et cisgenre, c’est à dire 140
à la norme qui place l’hétérosexualité et la cisidentité comme modèle à suivre. Le terme queer fait donc référence aux personnes s’identifiant parmi l’une ou plusieurs lettres du sigle LGBTQI+ (Lesbienne, Gay, Bisexuel, Transgenre, Queer, et Intersexe, le « + » désignant les autres identités hors de la cishétéronormativité). Un autre terme, moins en vogue aujourd’hui et davantage utilisé dans les milieux associatifs et militants, se rapproche aussi du queer : celui de transpédégouine. Ces différents termes désignent finalement les mêmes personnes. Le queer, lui, est plus élastique et possède un sens plus étendu : celui d’une vision autre. » extrait du mémoire de Clément Bailly Grosset « D’un Marais gay à un Paris queer », 2021. Mansplaining : « Expliquer quelque chose à quelqu’un·e d’une manière à suggérer qu’iel est stupide ; surtout utilisé pour décrire un homme expliquant à une femme quelque chose qu’elle sait déjà. »137 définition Cambridge Dictionary. Concept féministe né dans les années 2010 qui désigne une situation où un homme explique à une femme quelque chose qu'elle sait déjà, voire dont elle est experte, sur un ton potentiellement paternaliste ou condescendant.
Nature : « Le monde physique, l'univers, l'ensemble des choses et des êtres, la réalité : Les merveilles de la nature. » définition Larousse en ligne. Dans ce mémoire, le terme Nature sera utilisé en opposition à tout ce qui est défini comme humain où produit par l’action humaine.
Cambridge Dictionary « to explain something to someone in a way that suggests that they are stupid; used especially when a man explains something to a woman that she already understands » traduction libre 137
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Norme : « Règle, principe, critère auquel se réfère tout jugement. Ensemble des règles de conduite qui s'imposent à un groupe social. » définition Larousse en ligne.
Non-mixité choisie : « Pratique consistant à organiser des rassemblements, des événements ou des réunions réservées aux personnes appartenant à un groupe social considéré comme opprimé ou discriminé, en excluant la participation de personnes appartenant à d'autres groupes considérés comme potentiellement discriminants (ou oppressifs) conformément à la théorie de la domination sociale. C’est un outil militant qui permet d’aborder des sujets difficiles et de libérer la parole, d’éviter la remise en question de la part d’alié·e·s, de créer un espace bienveillant, de permettre aux personnes concernées de s’exprimer, et de s’organiser. » définition de l’association militante féministe AFUTÉ·E. Patriarcat : « Forme d’organisation sociale dans laquelle l’homme exerce le pouvoir dans le domaine politique, économique, religieux, ou détient le rôle dominant au sein de la famille, par rapport à la femme. » définition Larousse en ligne. Terme opposé : matriarcat.
Sexisme : « Attitude discriminatoire fondée sur le sexe [masculinféminin] » définition Larousse en ligne. Peut-être négatif : insulte, infériorisation, discrimination… comme ‘‘positif’’ : galanterie. Est sexiste cel·ui·le qui discrimine une personne à propos de son sexe.
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Valide : « Qui est en bonne santé, capable de travail. » définition Larousse en ligne. Terme utilisé pour définir les personnes aptes à mener une vie active sans problèmes dus à la construction de nos sociétés. En opposition aux personnes dites non-valides, soumises aux discriminations, préjugés ou traitement défavorables dues à leurs handicap physique ou mental. Dans sa critique de la société capitaliste, Paul B. Préciado parle de corps valide à produire et à reproduire et de corps invalide et donc non-productif à éradiquer.
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INDEX DES ILLUSTRATIONS Couverture : collage
Produit par l’autrice (2020) Climate change and Feminists deconstructing man’s territory, dans Deterritorialization, Laure Manissadjian (2020)
Page 20 : illustration
Scan d’une broderie provenant du bar militant féministe intersectionnel queer (et culturel) « Bonjour Madame », 2020
Page 25-26 : dessins
1 : DI GIORGIO MARTINI Francesco, Homme de Vitruve, Carnets, Wikipédia 2 : DE VINCI Léonard (1490) L’Homme de Vitruve, Musée des sciences et des techniques Léonard de Vinci, Milan 3 : LE CORBUSIER (1945) Modulor, Fondation le Corbusier
Pages 41-43 : trombinoscope
1. Le Corbusier : KAR Ida (1954) National Portrait Gallery, Smithsonian 2. Adolf Loos : MAYER Otto (1904) Österreichische Nationalbibliothek, Bildarchiv Austria, Inventarnr. Pf 830 : D (1) 3. Rem Koolhaas : Auteur·e inconnu·e, Photo de profil du compte Facebook Rem Koolhaas 4. Robert Venturi : Auteur·e inconnu·e, amc-archi.com 5. Mies Van Der Rohe : ERFURTH Hugo (1934) 6. Peter Eisenman : MEHL Boris (2005) 7. Aldo Rossi : Auteur·e inconnu·e, monoskop.org (1970) 8. Alvar Aalto : BILD Ullstein, getty images 9. Louis Kahn : Hans Namuth (1971) National Portrait Gallery, Smithsonian 10. Bernard Secchi : Auteur·e inconnu·e, https://www.cca.qc.ca/fr/evenements/2838/bernardo-secchi-villes-sans-objetla-forme-de-la-ville-contemporaine 11. Frank Lloyd Wright : KARSH Yousuf (1945) National Portrait Gallery, Smithsonian 12. Edith Girard : DARUGAR Gitty (2019) 13. Henri Ciriani : ESPEJO CIRIANI Marcelle, travail personnel 14. Bernard Huet : LE MARCHAND Erwan, Cité de l’Architecture et du Patrimoine, archives d’architecture du XXème siècle 15. Walter Gropius : ERFURTH Hugo (1928) National Portrait Gallery, Smithsonian 16. Kenneth Frampton : Auteur·e inconnu·e, https://www.babelio.com/auteur/Kenneth-Frampton/105144 17. Christian Norberg-Schulz : Auteur·e inconnu·e,
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https://www.babelio.com/auteur/Christian-Norberg-Schulz/155091 18. Jean-Louis Cohen : Mandanarch, travail personnel 19. Leonardo Benevolo : Auteur·e inconnu·e, http://images2.corriereobjects.it/methode_image/2017/01/05/Cultura/Foto%20 Cultura%20-%20Trattate/benevolo-kS4D-U43270622180307RoE1224x916@Corriere-Web-Sezioni-593x443.jpg 20. James Stirling : SNOWDOWN Lord (1984) National Portrait Gallery, London 21. Renzo Piano : FEFERBERG Eric (2015) France Culture, Architecture 22. Alvaro Siza : JUAN BARBA José (2012) https://www.metalocus.es/en/news/alvaro-siza-vieira-recipient-golden-lion13th-biennale-di-venezia 23. David Mangin : PINILLA Carla, El Mercurio 24. Richard Serra : GREENFIELD-SANDER Timothy (1993) thebroad.org
Page 46 : icône
Panneau de circulation d’un passage piéton, site internet Handinorme
Page 50 : croquis
Produit par l’autrice (2021)
Page 79 : captures d’écran Google Image, 16.02.21
Pages 125-126 : photos personnelles
Produit par l’autrice (2020) Collages féminicides, Paris, juillet La 3ème photo est la façade de la mairie du 1er arrondissement de Paris
Page 135 : dessins
Haut : produit par l’autrice (2021) La femme de Vitruve Bas : CORDIER-JOUANNE Mahé (2018) Vitruvian queer
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Bibliographie •
LIVRES
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Exil éditeurs KOOLHAAS Rem, OBRIST Hans Ulrich, (2011), « Project Japan Metabolism Talks... », Koln, Kayoko Ota, Taschen Edition KOECHLIN Aurore, (2019), « La révolution féministe », Editions Amsterdam MATRIX, (1984), « Making Space, Women and the man-made environment » de Jos Boys, Frances Bradshaw, Jane Darke, Benedicte Foo, Sue Francis, Barbara McFarlane, Marion Roberts, Anne Thorne and Susan Wilkes MOSCOVICI Serge, (1972), « La Société Contre Nature », The Unnatural Society PAVARD Bibia, ROCHEFORT Florence, ZANCARINI-FOURNEL Michelle, (2020), « Ne nous libérez pas, on s’en charge, Une histoire des féminismes de 1789 à nos jours », La Découverte TOUPIN Louise, (2020), « Silvia Federici, Mariarosa Dalla Costa, Entretiens avec Louise Toupin », La crise de la reproduction sociale, Louise Toupin et les éditions du remue-ménage •
ARTICLES, REVUES, PUBLICATIONS, ESSAIS et MÉMOIRES
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CONFÉRENCES, SÉMINAIRES et COLLOQUES
4 et 5 février 2021 Colloque international « Dynamiques de genre et métiers de l’architecture, de l’urbanisme et du paysage », Laboratoire Espace Travail, ENSA La Villette, Paris, organisation : Stéphanie Bouysse-Mesnage, Stéphanie Dadour, Isabelle Grudet, Anne Labroille et Elise Macaire KERVELLA Camille, (2020), « Sex in the city_zoom class », visioconférence DADOUR Stéphanie, (2020), « Architects can do it, Des féminismes en architecture », Maison de l’architecture de Paris, visioconférence PRÉCIADO Paul B., (2020), séminaire « Une nouvelle histoire de la sexualité », avec (dans l’ordre des interventions): Pol Pi, Elisabeth Lebovici, Daisy Letourneur, Rokhaya Diallo, María Galindo, Virginie Despentes, Volmir Cordeiro, Léa Cheang, Elsa Dorlin, Françoise Vergès, Kengné Téguia, Nadège Beausson-Diagne, Naelle Dariya, Adèle Haenel, Centre Pompidou, 15 au 19 octobre 2020 •
DOCUMENTS AUDIOVISUELS
DROUELLE Fabrice, Campagne De René Dumont : L’Écologie Entre En Politique, avec Wartcher, A. [podcast] Affaires Sensibles, France Inter, 04/20/2020, 53min Disponible sur : <https://www.franceinter.fr/emissions/affairessensibles/affaires-sensibles-20- avril-2020> [accédé en avril 2020]. DROUELLE Fabrice, Le MLF : Chronique d’une lutte féministe, avec Pajot Clémence [podcast] Affaires Sensibles, France Inter, 03/06/2020, 54min Disponible sur : <https://www.franceinter.fr/emissions/affairessensibles/affaires-sensibles-06- mars-2020> [accédé en avril 2020]. HILLEL Joseph, (2019), « Rêveuses de villes », film documentaire KALOGRIDIS Laeta, (2020) Altered Carbon (saison 2), série télévisée, Netflix MEDIAPART, (2021) « Violences sexuelles : la musique doit réagir, entretien de Lénaïg Bredoux avec Pomme », Mediapart, [émission] À l’air libre, 18 min Disponible sur :
150
<https://www.instagram.com/tv/CLKQVhAB2mu/?igshid=134kgwncxusmd&fb clid=IwAR19MI2DRBPQEyo_t8mpoJ7Jbp3IL6cYwRyExzSJt3cjc1LDgIePXWzZ AXU> [accédé le 12/02/21] OGUNTALA Angela, Re-imagine the Future, TEDx Copenhagen [video en ligne]. Youtube, 04/10/2016, 1 video, 2min Disponible sur : <https://www.youtube.com/watch?v=dBBGlAqeDc&feature=emb_title> [accédé en octobre 2019] •
EBOOK
HARRAWAY Donna, (2016 [1985]), «A CYBORG MANIFESTO, Science, Technology, and socialist-feminism in the late twentieth century», University of Minnesota Press, ProQuest Ebook Central Disponible sur : <https://warwick.ac.uk/fac/arts/english/currentstudents/undergraduate/module s/ fictionnownarrativemediaandtheoryinthe21stcentury/manifestly_haraway_---_a_cyborg_ manifesto_science_technology_and_socialistfeminism_in_the_....pdf> [accédé en octobre 2019] •
SITES INTERNET
CITÉ DE L’ARCHITECTURE ET DU PATRIMOINE, exposition virtuelle « Portraits d’Architectes » https://expositionsvirtuelles.citedelarchitecture.fr/portraits_architectes/index.php DROP THE KUTSCH, podcasts, https://anchor.fm/dropthekutsch EFIGIE ATELIERS, association des jeunes chercheur·euse·s en études féministes, genre et sexualités, https://efigies-ateliers.hypotheses.org/2433 FEMINISTS IN THE CITY, https://www.feministsinthecity.com GENRE ET VILLE, http://www.genre-et-ville.org INSEE, Tableau de l’économie française, système productif, tourisme, paru le 26/03/2019 Disponible sur : < https://www.insee.fr/fr/statistiques/3676870?sommaire=3696937#titre-bloc-3 > INTERFÉRENCES, podcasts, https://soundcloud.com/user-82780937 LA BARBE https://labarbelabarbe.org.
151
annexes Annexe 1 : Grille d’entretiens I) Enseignement de l’architecture
1. Apprentissage personnel
- Dans quelle école et en quelle année avez-vous obtenu votre diplôme d’architecture ?
- Comment s’est déroulé votre scolarité ?
- Est-ce que le fait être une femme en école d’architecture a donné lieu à une situation particulière, ou vous auriez été renvoyée à votre condition de femme ?
- Pourriez-vous me décrire votre environnement scolaire (proportion H/F par ex) ?
- Est ce que le fait de n’avoir eu que des professeurs homme a créé une situation particulière ?
- Pensez-vous que le fait de ne pas avoir eu de professeure femme a eu un impact ?
- Quel regard portez-vous sur cela ?
- Pourriez-vous me décrire vos relations avec les enseignants (hommes et femmes) ?
- Avez-vous eu des enseignantes en projet ?
- Lorsque vous avez fait l’apprentissage de l’architecture combien de filles étaient étudiantes avec vous ?
- Pourriez-vous me décrire vos relations avec les étudiants/ les autres étudiantes ?
- Quels étaient les modèles d’architecte ou d’architecture qui vous ont été enseignés ? - Qu’en pensez-vous ?
152
2. Enseignement transmit
- Sous quel statut enseignez-vous ? - Quel(s) cours enseignez-vous ?
- Pensez-vous reproduire les modèles qui vous ont été enseignés dans votre enseignement ?
- Pensez-vous vous inscrire dans une certaine pédagogie ? Si oui, laquelle ?
- Quelle est la place accordée aux étudiant.es et étudiants dans vos enseignements ?
- Pensez-vous que votre enseignement différait de celui de vos collègues ?
- Pensez-vous que votre enseignement différait de celui de vos collègues ?
- Sur quels modèles architecturaux se base votre enseignement ? - Pensez-vous que votre enseignement reproduit une norme architecturale ? Laquelle ?
- Pensez-vous qu’il y a une dimension genrée dans
l’enseignement de l’architecture en France actuellement ? 3. Environnement de l’enseignement
- Avec qui avez-vous enseigné cette année ?
- Est-ce que le fait d’être une femme enseignante a donné lieu à une situation particulière ?
- Qu’est-ce que cela a de spécifique ?
- Pourriez-vous me décrire vos relations avec vos autres collègues (homme et femme) ?
- Avez-vous des relations différentes avec vos collègues hommes et avec vos collègues femmes ? - Pourquoi ?
- Quel regard portez-vous sur cela ?
- Comment décrieriez-vous votre environnement de travail ? 153
- Pensez-vous que cet environnement influence votre enseignement ?
- Auriez-vous un avis à porter sur l’enseignement de l’architecture actuel ?
II) Pratique de l’architecture 1. Expérience
- Comment pratiquez-vous l’architecture ?
- Avez-vous des exemples de projets sur lesquels vous avez
travaillée où le sujet n’était pas l’homme blanc dominant ou la famille nucléaire ? Ou le sujet n’était pas l’être humain ?
- Si oui : Pouvez-vous m’en parler ? - Pensez-vous qu’ils sortent de la norme ?
- Si non : Aimeriez-vous travailler sur de tels projets ? - A votre avis, quelle est la raison pour laquelle vous n’avez pas pu travailler sur de tels projets ?
- Pensez-vous que de tels projets sont bénéfiques/nécessaires, ou au contraire qu’ils ont tendance à isoler celles et ceux qui sortent de la norme ? Pourquoi ? 2. Avis
- Pensez-vous qu’il y a une architecture d’homme ? De femme ? Ou au contraire que l’architecture est faite par et pour tou·te·s ? Et pourquoi ?
- Comment décrieriez-vous une architecture masculine ? Féminine ? Universelle ?
3. Environnement de travail
- Pourriez-vous me décrire vos relations avec vos autres collègues (homme et femme) ?
- Avez-vous des relations différentes avec vos collègues hommes et avec vos collègues femmes ?
154
- Quel regard portez-vous sur cela ?
- Pourriez-vous me décrire vos relations avec les commanditaires (homme et femme) ?
- Avez-vous des relations différentes avec vos commanditaires hommes et avec vos commanditaires femmes ? - Quel regard portez-vous sur cela ?
- Est-ce fréquent d’avoir une commanditaire ?
- Trouvez-vous qu’il y ait une évolution dans ce domaine ? - Qu’en pensez-vous ?
- Pensez-vous qu’il y a une différence entre être architecte et être femme architecte ? 4. Général
- Pensez-vous que le modèle d’architecture dominant des
années d’après-guerre, que l’on pourrait qualifier de moderne était celui de l’homme blanc hétéro valide* ?
- Pensez-vous que ce modèle est encore diffusé de nos jours ?
- Est-ce que vous pensez que ces modèles-là étaient plus proche des minorités et de la nature* ?
- Pensez-vous que la période de mai 68 ait été une étape importante pour la place des femmes en architecture ?
- Que pensez-vous de la période des grands projets de Mitterrand ?
- Pensez-vous que des projets apparus dans les années pendant le quinquennat de Mitterrand représentent la domination du pouvoir capitalo-patriarcal ?
- Pensez-vous que ces projets sont assez discutés en école sous le sens critique ?
- Dans la pratique, est ce que ce sont encore des projets
dominants ou est-ce que les commanditaires se basent sur ces modèles ?
155
Annexe 2 : ESRI (Environmental Systems Research Institute)
« Chiffres clés de l’égalité homme-femme dans l’enseignement supérieur de la recherche et de l’innovation » (2020)
Annexe 2a : Le plafond de verre dans l’enseignement supérieur dans les pays de l’Union européenne en 2016, p.13
Annexe 2b : Proportion des femmes et des hommes au cours d’une carrière universitaire type en sciences et en sciences de l’ingénieur, entre 2013 et 2016, p.15
156
Annexe 3 : Archigraphie 2020
Annexe 3a : Nombre d’inscrit·e·s au tableau de l’Ordre, p.16
Annexe 3b : Proportion de femmes au sein de l’Ordre, 2000-2019 p.119
157
Annexe 3c : Pour vous occuper de votre/vos enfants, vous êtes-vous désinscrit·e·s de l’Ordre ? (réponses : oui), p.132
Annexe 3d : Avez-vous réduit votre temps de travail pour vous occuper de vos enfants ? (réponses : oui), p.134
158
Annexe 3e : Pensez-vous avoir été pénalisé·e sur le plan professionnel par le fait d’avoir eu un ou plusieurs enfants ? (réponses : oui), p.135
Annexe 4 : Sondage Facebook sur la page « Primo ARCHI », étudiants de la L1 au M2
2481 votes, pour 41 architectes cités au 18.02.21
« Si vous deviez me citer 2 ou 3 noms des archis les plus cités en école, ça serait qui ? »
Annexe 4a. : Pourcentage du genre* des architectes cités Sur la totalité des votes (soit 2481 voix), 4 femmes sont citées (Zaha Hadid (17), Anna Heringer (2), Edith Girard (2) et Manuelle Gautrand (1.) comptabilisant 22 votes soit 0,9% des voix.
159
Annexe 4b. : Pourcentage des architectes cités Ont été gardés ce·lles·ux ayant plus de 10 votes (soit 2389 voix). En bleu sont indiqués les noms des architectes étant ressortis dans les entretiens.
160
Dans ce mémoire, nous allons parler d’un microcosme, l’architecture, basé sur des normes genrées, où le neutre est masculin. Nous l’observerons en nous intéressant aux femmes sur les scènes architecturales, qui ont toujours eu du mal à y trouver leur place. Que ce soit parce qu’elles ont subi des discriminations basées sur leur sexe, parce qu’elles ont du mettre en place des stratégies - souvent insconsciemment, découlant de comportements sociaux intégrés depuis l’enfance pour exister dans un monde d’hommes, ou à travers les représentations - autant dans les modèles enseignés que parmi les practicienes, enseignantes comme maîtresses d’oeuvre. La représentation des femmes est en croissance, en correspondance avec l’arrivée de nouvelles façons de pratiquer et d’enseigner, qui petit à petit prennent place à côté de ceux qui auparavent donnaient la norme : l’enseignement de l’école des Beaux-Arts. Ce travail de recherche nous permet d’établir des habitus, relatifs à la façon dont les femmes se construisent en tant qu’architectes.
Mot clés : Femme - Féminisme - Architectes Enseignantes - Paris - Représentations - Genre