Milos Forman est mort. Ou comment la musique rend le cinéma cinématographique.

Milos Forman est mort. Ou comment la musique rend le cinéma cinématographique.

Laurence Saquer 2018 Consultable sur https://thecamerabehind.wordpress.com/2018/04/14/ milos-forman-est-mort-ou-comment-la-musique-rend-lecinema-cinematographique/ La playlist de l’article est disponible sur Spotify.

-----Amadeus, oui.

Vol au-dessus d’un nid de coucou, oui aussi.

Mais pour moi, Hair.

Hair tout d’abord. Mon premier film préféré. J’ai 10 ans quand je le découvre en rediffusion à la télévision. Mes parents ne contrôlent pas ce que je regarde. J’ai donc vu Hair et découvert Milos Forman en étant toute petite.

J’ai vu de images belles, entendu des sons joyeux et pas toujours compris les paroles des chansons sous-titrées (…).

Selon moi, un film réussi est un film qui « a une bonne chanson de début de film », celle qui vous fait voler audessus du monde et vous laisse le visage collé contre la vitre, à sa redescente. Tu ne comprends pas ce qui t’arrive, en principe, avec « une bonne chanson de début de film ».

Elle dit « accroche-toi ».

Aquarius est une ritournelle magique, une petite pépite faite de lignes de basse, de cuivres, de phases ascendantes et d’envies de voyager autour du monde. La beauté.

C'est la chanson du début du film Hair de Milos Forman.

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Sur Aquarius, il y a les corps qui dansent dans Central Park, les jeans terreux qui se perdent dans des jupons en velours moiré de couleur parme, des bras qui s’enroulent en s’élevant vers le ciel, des bouches qui se frôlent et se sourient, des jambes qui s’étendent et s’étirent comme de grandes échasses en recherche d’équilibre, des mouvements tout en lenteur habités par une sourde énergie… Il y a aussi Renn Woods, femme sensationnelle autour de laquelle tourne la caméra de Forman. Elle chante et elle est comme une déesse au milieu de tous.

LA scène d’ouverture de Hair.

J’ai 10 ans, je suis collée devant ma télévision. Mes parents travaillent, mes sœurs sont je ne sais où et je suis seule à la maison. Et je jure que le monde aurait pu s’arrêter de tourner. J’en ai encore des frissons rien qu’en l’écrivant.

Des frissons, du début du film à sa fin.

Oui parce que dans un bon film, il doit aussi y avoir « une bonne chanson de fin de film ». « Une bonne chanson de fin de film » est une chanson qui sait clore tout ça, qui sait faire comprendre au spectateur que ça y est, la quête arrive à son terme, tout ça va se terminer. Personne n’aime quand une chose agréable se termine. Alors « la bonne chanson de fin de film » doit aider à faire en sorte que cette fin soit la moins difficile possible.

Elle clôt la quête du héros, qui n’est finalement pas celui que l’on croit. Dans Hair, la scène finale - et sa chanson The Flesh Failures (Let the Sunshine In) - est spectaculaire à plusieurs niveaux : • •

Un film sur les hippies se termine dans un cimetière.

Le personnage de Berger, qui a rendu possible les retrouvailles de Claude, militaire en escale à New York avant son départ pour le Vietnam et de sa petite amie, arrête pour une fois de rigoler. Berger, le hippie joyeux qui excite les femmes de la haute bourgeoisie en remuant ses fesses sous leurs yeux lors de diners de charité où ses amis et lui s’invitent pour rigoler un peu, et bien, le mec arrête de rigoler.

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La musique qui enveloppe cette fin tragique et qui porte le message politique de l’injustice de l’engagement des Etats-Unis au Vietnam est d’une force incroyable : elle est composée de telle sorte qu’elle laisse entendre que malgré tout, un espoir est possible.

Il faut regarder cette scène, écouter la musique, oublier Julien Clerc et aller au bout de l’histoire, lèvres tremblantes ou pas, gorge nouée ou pas, histoire au bout de laquelle, malgré tout, un espoir est possible.

Si ça, ce n’est pas une émotion cinématographique…

C’était Milos Forman, mon premier réalisateur préféré quand j’avais 10 ans et je ne connaissais rien à rien. Mais j’avais ressenti un truc, les yeux grand ouverts devant la télé, un truc qu'une gamine de 10 ans ne comprenait pas vraiment mais ressentait ! C’est resté.

Et ça s’est même renforcé quand j’ai commencé à faire des liens entre tout, avec tout, que la musique creusait son sillon et devenait le vecteur de tant d’émotions. Cette découverte et ces frissons ont eu une suite.

Dans Hair, il y a Cheryl Barnes.

Elle y interprète la petite amie « officielle » de Hud, qu’elle appelle par son vrai prénom, Lafayette, lorsqu’elle vient lui rappeler, aux portes de Central Park, que Lafayette Junior, leur fils, a besoin de son père.

Hud aka Lafayette a l’allure d’un cowboy défoncé avec sa cape noire sur les épaules et ses longues plumes d’indiens, comme des extensions à ses oreilles. Il est grand et au milieu de ses amis qui observent cette femme malheureuse venue réclamer le dû de son fils qui pleure, il est encore plus grand… mais non moins minable lorsqu’il la bouscule pour la jeter hors de son nouveau monde.

C’est triste à en chialer. Parce qu’elle a raison. Parce qu’il est injuste et minable. Parce qu’il ne sait pas s’il est le père de l'enfant que porte l’autre femme qui est debout à côté de lui. Il laisse entendre qu’un autre pourrait l’être aussi.

Vive l’amour. L’amour minable et violent.

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C’est Cheryl Barnes qui est à l'entrée de Central Park et qui chiale en chantant.

C’est la même femme qui interprète une autre chanson d’un autre film sur l’Amérique. En sautant deux décennies, Cheryl Barnes interprète cette chanson de disco hardcore que l’on entend dans American Gigolo, lors d’une scène où Julian Kay - escort-boy interprété par un fringant Richard Gere bien sapé en costume Armani bleu ciel - se rend dans une boîte gay, non moins hardcore.

Il est encore question d’amour, mais cette fois-ci, il revêt la dimension de la passion.

Love and Passion est composé par Giorgio Moroder et c’est une chanson qui peut rendre fou tellement elle est bien.

C’est une vraie chanson cinématographique, elle va bien à Los Angeles, elle va bien au regard de Lauren Hutton qui dévore son escort-boy qui en devient fou, elle va bien à cet homme qui ressent, elle va bien à n’importe qui adore rouler vite en écoutant la musique fort.

Le pouvoir de la musique sur les images n’ont en fait pas besoin de cinéma : bien que Milos Forman et son Hair, sa « comédie musicale », m’aient éveillée à une forme de mise en images de la musique, la musique seule a fait le boulot.

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Un Claude qui crie le nom de son ami parti se faire tuer au Vietnam à sa place ; Une femme esseulée qui demande à son mari de ne pas abandonner son fils ; Un escort-boy esseulé à son tour, amoureux de sa cliente…

Tout ça, ce sont juste des histoires. Qui seraient moins dramatiques, moins cinématographiques sans le vecteur émotionnel qu’est la musique.

Milos Forman est mort. Cela éveille mes premières émotions de cinéma. Cela rend mélancolique. Cela me rappelle aussi qu’au même âge environ, la même année très probablement, j’ai regardé Midnight Express avec ma mère. Et que je me suis retournée les yeux grands ouverts vers elle lorsque Billy Hayes revoit la lumière du jour à la 4

fin du film, sur une musique de… Giorgio Moroder.

Encore un monde qui s'ouvrait...

Mais là, je n’ai plus le temps d’en parler. On est samedi.

J’ai des trucs à faire aussi.

-----Milos Forman est mort. Ou comment la musique rend le cinéma cinématographique Laurence Saquer Avril 2018 Consultable sur https://thecamerabehind.wordpress.com/2018/04/14/ milos-forman-est-mort-ou-comment-la-musique-rend-lecinema-cinematographique/

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