Les nouvelles formes de réseaux urbains développés par les écoquartiers

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À Brétigny-sur-Orge, un projet d’écoquartier conçu par l’agence d’architecture JAM est révélateur d’une forme urbaine innovante.

Les nouvelles formes de réseaux urbains

développés par les écoquartiers Une question d’actualité Depuis le rapport Brundtland en 1987, les questions liées au développement durable ont investi le champ de l’architecture et de la ville. En 1992, les actes du sommet de Rio ont mis en avant la ville comme espace de réflexion fondamental sur les questions environnementales, et l’agglomération urbaine comme échelle pertinente de réflexion et d’action. En effet, l’habitat et la mobilité pèsent lourd dans les évaluations des impacts de notre mode de vie sur l’environnement. Pour la France, en 2007, les transports routiers sont les premiers émetteurs de CO2 (34 %), et les bâtiments résidentiels et tertiaires viennent en troisième position (22 %). Sur la question de la ville durable, les contributions de différents organismes et associations ont largement exploré la question depuis l’Agenda 21 local en 1992 et l’action du MEEDDAT (actuel MEEDDM) sur les écoquartiers en 2007 jusqu’au Grenelle de l’environnement en 2008. Enfin, le 22 octobre 2008, Jean-Louis Borloo annonçait la mise en œuvre du plan Ville durable et le lancement de l’appel à projets ÉcoQuartier et de la démarche ÉcoCité. L’affluence des réponses sur ces deux consultations ouvertes – 160 pour les ÉcoQuartiers et 19 pour les ÉcoCités – illustre l’engouement naissant du milieu professionnel et des villes françaises sur cette question. Il apparaît ainsi clairement que les questions de développement durable, qui sont au cœur de la pratique des architectes depuis le référentiel HQE concernant l’échelle du bâtiment, évoluent vers des questions urbaines. D’autre part, cette échelle est pertinente pour mettre en place des politiques alternatives en matière de gestion des réseaux urbains. Voyons les évolutions que cela entraîne. Le projet urbain L’actualité récente des affichages « éco-ostensibles » de certains projets d’aménagement de quartiers, ainsi que le risque d’une dérive technique des aspects du développement durable, nous

amènent à remettre le projet urbain au centre de la question dite des « écoquartiers ». Ainsi, nous préférons les appeler des quartiers durables. Car il y a un danger, celui de l’imposition d’un référentiel qui serait une injure à la pratique française du projet urbain : par exemple, l’obligation de démolir systématiquement des logements existants pour être éligible aux financements de l’État dans le cadre des projets de l’Agence nationale pour le renouvellement urbain. Il ne faudrait pas que l’évolution vers une norme HQE (haute qualité environnementale) pour les écoquartiers conduise à enfermer les questions de transformation urbaine dans un cadre caricatural, uniquement technique et indifférent à la variété des situations des villes françaises et aux relatives complexités des questions urbaines. Méthode Je propose de regarder cette évolution à partir de la pratique et de la culture du projet urbain, avec ses thèmes, ses méthodes et ses fondements tant historiques que pratiques. Cette pratique professionnelle interdisciplinaire répond à plusieurs considérations qu’il me semble indispensable de rappeler. Le projet urbain est fondé dans un rapport respectueux des particularités du contexte urbain et paysager dans lequel il s’inscrit, c’est un projet de fondation, c’est pourquoi les documents graphiques s’efforcent de représenter toujours les lieux dans leurs dimensions réelles. Le projet urbain exprime l’aménagement de l’espace en termes concrets. Il s’intéresse, quelle que soit l’échelle de sa représentation, à la forme et à la dimension des lieux. Il n’apporte pas une solution a priori, ni un projet reproductible ex nihilo. Sa finalité est de rendre l’espace aux usages et aux pratiques sociales. Le projet urbain pointe l’importance d’une réflexion à l’échelle de l’îlot parcellaire : dans le travail entre la parcelle et l’îlot, dans les relations entre l’intérieur et l’extérieur, dans les transitions entre l’espace public et l’espace privé, dans les niveaux de définition et de qualification architecturale. La démarche est donc globale, inclusive et complexe


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avec des composants qui sont : l’espace public, le tissu urbain et l’architecture. Les projets de quartiers durables en France Cet article s’appuie sur une étude qui a pour objectif de restituer la manière dont la pratique actuelle du projet urbain en France intègre les questions de développement durable. Dans le cadre d’un travail collectif, regroupant sept architectes, nous avons élaboré une liste de thèmes qui nous a servi à définir ce que peut être un projet de quartier durable en France et à analyser ainsi une sélection de sept projets en cours dans les trois situations urbaines types : centre-ville, faubourg et périphérie 1. Les différentes thématiques qui nous semblent les plus importantes sont les suivantes : la participation des habitants et la gouvernance, l’attention au contexte, au site et au paysage dans lequel le projet s’insère, la gestion des conditions d’accessibilité au quartier et de mobilité interne, la question de la densité construite et de la compacité des formes urbaines, la mixité des fonctions urbaines et des usages, la gestion de l’eau de pluie, la consommation énergétique des bâtiments et la question de l’évolution de ces quartiers. Cette évaluation n’est évidemment pas une recette pour faire les quartiers durables, ni une grille simplificatrice. L’essentiel est pour nous d’enrichir la pratique du projet urbain au regard de ces nouveaux paramètres. L’analyse comparée confirme qu’il n’y a pas de projet idéal ni de champion du durable, mais certaines démarches exemplaires ou performantes sur certains thèmes. Cela dit, quelques thématiques apparaissent comme fondamentales dans la pratique du projet de quartier durable. La question de la nature en ville résonne comme une constante historique depuis les premières cités-jardins nées au xixe siècle. Cette présence végétale dans les projets, portée par le savoir-faire des paysagistes français, reflète une demande grandissante des habitants et illustre le retard de certaines villes françaises en la matière. Il se confirme aussi que l’îlot, qui ne peut pas être un quartier à lui seul mais reste un de ses éléments constituants, est une échelle de réflexion pertinente au regard des questions de densité, de mixité et d’évolution. D’autre part, des contradictions apparaissent entre différents thèmes et dispositifs, comme la compacité des formes architecturales et urbaines face à la nécessaire ouverture vers les apports solaires, la nécessité d’un maillage viaire qui distribue et découpe les opérations face à la continuité des espaces naturels exigée par la biodiversité, la recherche d’une certaine densité construite face aux espaces nécessaires au sol pour la gestion alternative de l’eau et les réponses à la demande de nature en ville, les emprises requises pour dessiner des espaces publics de qualité face à l’urbanité de la ville dense faite de proximité et de vis-à-vis. Tout cela ne fait que confirmer que les questions urbaines sont complexes et spécifiques aux situations et que l’on ne peut pas les résumer par des artifices ou des dispositifs techniques. La culture et le savoir-faire des professionnels sont indispensables pour embrasser ces enjeux de transformation de la ville. On

voit bien qu’il ne s’agit pas de trouver une solution miracle par un habillage écologique ou technique, ni d’apposer un label « écoquartier » sur des projets touchant à la réelle complexité de la fabrique de la ville. L’écoquartier de Clause-Bois-Badeau à Brétignysur-Orge, un projet exemplaire Dans le cadre de cette étude, le projet d’écoquartier à Brétignysur-Orge est apparu comme un exemple d’intégration intelligente du développement durable dans un cadre urbain ouvert. Les 38 ha développés depuis 2006 par les architectes urbanistes de l’atelier JAM 2, avec la SORGEM, vont voir leurs premières constructions émerger en 2010. Il est exemplaire dans bien des domaines concernés, et il a obtenu le 7 juillet 2009 le label de premier « nouveau quartier urbain » décerné par la région Île-de-France. Situé à 30 km au sud de Paris, le projet d’urbanisation du site Clause-Bois-Badeau doit permettre le développement du centreville par-delà le réseau ferré et, plus largement, l’accessibilité de la ville depuis la francilienne. Il s’intègre bien aux tissus urbains préexistants par la mixité des formes proposées et crée un pôle de commerces autour de la gare actuelle en réhabilitant le patrimoine industriel. Il s’appuie sur un parc de 13 ha qui ouvre le centre-ville sur la vallée de l’Orge. Ce projet retient notre attention par sa manière d’aborder les thèmes des quartiers durables préalablement énoncés. La récupération de l’eau de pluie à ciel ouvert Mais c’est surtout le thème de la récupération des eaux de pluie qui nous intéresse dans ce projet, car en proposant une solution alternative, dite d’hydraulique douce, il permet de sortir des logiques sectorielles qui sont l’apanage des réseaux techniques enterrés courants. Concrètement, il s’agit de favoriser l’infiltration en limitant les surfaces imperméabilisées, de récupérer et de stocker l’eau de pluie, et de ralentir les écoulements résiduels par l’allongement de leur cheminement. Si cette démarche n’est pas nouvelle, le dispositif devient une des composantes maîtresses des projets de quartiers durables actuels. Le cheminement de l’eau devient même la matrice du tracé du projet. Tout d’abord, cette démarche transforme en douceur le sol sur lequel le nouveau quartier doit se poser. En effet, si l’on veut récupérer l’eau de pluie à ciel ouvert, il faut la conduire dans des noues, sortes de fossés plantés, suivant des pentes douces et régulières. Or, ceci implique un réglage fin du niveau des plateformes à construire et de leurs articulations avec la voirie, afin que l’eau qui vient des toitures ou des sols imperméabilisés traverse les parcelles privées pour longer les voies publiques et rejoindre les espaces prévus pour son stockage temporaire, la rejetant ensuite à débit régulé dans le réseau public. Cette opération sculpte le sol au plus près du terrain naturel avec une attention particulière à équilibrer les déblais et les remblais, dans un souci d’économie afin d’éviter le transport des terres excédantes en décharge. Cette trame bleue se développe à deux échelles et permet la mise en place d’une armature paysagère qui l’accompagne. Tout

d’abord en traversant ou en longeant les îlots privés, de fines noues plantées dessinent des lignes d’échelle domestique qui contribuent à la mise en place de seuils et de filtres végétaux entre les espaces résidentiels et les espaces privés. Ensuite, ces noues alimentent transversalement des allées plus larges qui récupèrent les eaux de ruissellement des îlots et voies afin de les conduire vers le grand parc central et la prairie humide qui joue ici le rôle de bassin d’orage (cf. schémas p. 38). Ces jardins de traverse sont le support d’une armature végétale à l’échelle du site et contribuent à faire entrer la nature dans le quartier. Ce dispositif à ciel ouvert dessine une arborescence de l’eau, installant un micro-bassin versant, véritable milieu humide à l’échelle du quartier permettant de fertiliser les sols jusqu’au cœur des îlots construits. Quand on sait que la continuité des corridors verts est une donnée fondamentale de la biodiversité, on voit bien l’enjeu qui réside dans cette mise en réseau des espaces paysagers. Le travail sur la palette végétale fabrique un « terreau » de diversité végétale et de biodiversité. Ce cheminement de l’eau à ciel ouvert dans les projets urbains, dans des situations du privé vers le public, depuis les pieds des bâtiments jusqu’aux parcs, interroge l’échelle de l’îlot et tout ce qui peut faire support au chemin de l’eau. La définition dans le projet urbain des limites de parcelles, des cheminements traversants et de leur domanialité, des franges et limites d’îlots avec les voies publiques fixe le niveau d’ambition spatiale et qualitative de ces espaces interstitiels, la qualité de la ville en creux, la qualité d’une ville fertile. Là encore, il faut braver les habitudes et les répartitions des compétences sur les réseaux urbains. Un nouveau modèle de partage des responsabilités doit alors se mettre en place, car, si, sur le domaine public, les tuyaux enterrés sont des systèmes techniques financés et entretenus par l’agglomération, les systèmes paysagers alternatifs s’intègrent dans les espaces publics qui relèvent de la compétence de la commune. Autre difficulté, la mutualisation de la récupération de l’eau entre l’espace privé et l’espace public est possible dans le projet, et souhaitable, mais aujourd’hui elle reste contradictoire avec le règlement du syndicat de l’eau qui impose le rejet 0 à la parcelle

avec un débit de fuite de 1 l/s/ha. Espérons que l’argument financier puisse faire pencher la balance, car, en termes d’investissement, les dépenses engagées par ces systèmes alternatifs coûtent jusqu’à 50 % moins cher que les systèmes traditionnels, sans compter l’économie des bassins enterrés qui ne sont alors plus nécessaires. Nouveau paradigme urbain Les autres thèmes d’analyse des quartiers durables auraient pu faire l’objet d’un développement similaire, mais nous voyons bien déjà comment le développement durable peut monter le niveau d’exigence des projets urbains, quand c’est le cadre du projet urbain qui s’ouvre et intègre ces nouvelles données. En effet, il apparaît difficile de rajouter une couche durable sur un projet qui n’a pas pris en compte ces critères en amont ou qui n’offre pas les conditions favorables à leur intégration. Cette prise en compte impose un travail poussé et demande des compétences nouvelles, intégrées et non rapportées, dans une vision synthétique et spécifique. Les réponses ne sont pas forcément plus complexes, mais l’approche doit être plus fine et plus complète. La pratique de projet urbain se trouve complexifiée par une nouvelle manière de faire, avec de nouveaux partenaires, énonçant alors un nouveau paradigme. Laurent Hodebert

Page 38. Axonométrie générale du projet à Bretigny-sur-Orge par l’atelier JAM, avec schémas du réseau de récupération de l’eau de pluie à ciel ouvert (trame bleue) et de l’armature paysagère (trame verte) par L. Hodebert. Ci-dessus. Perspective sur le cours Clause, entre les nouveaux logements et le tissu existant, par INFIME. – 1. Projets de quartiers urbains durables en France, A.-L. Aubouin, C. Brunet-Moret, L. Delorme, H. Galifer, L. Hodebert, F. Ladonne, P.-Y. Péré, mémoire collectif de fin de formation à la HQE, ENSAPLV, Paris 2008. 2. Équipe de maîtrise d’œuvre urbaine : atelier JAM Architectes urbanistes mandataire, Latitude Nord paysagiste, Magéo-Morel BET VRD et Jéol éclairagiste.


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