à chœur ouvert Le Chœur de Chambre de Namur fête ses 25 ans. Récit d’une rencontre avec l’un des plus prestigieux ensembles de chant choral. Par Juliette Goudot Illustré par Olivier Spinewine Sept gravures sur plexiglas J’ai pris le train un jeudi matin. Un matin froid et lumineux au sortir de l’hiver. Gare du midi à Bruxelles, travailleurs, passagers, étudiants se mêlent dans un anonymat qui ne me déplaît pas. Ce n’est pas à leur rencontre que je vais. Chacun passe sans se voir tandis que dans ma tête résonnent des échos de musique baroque, quelques lectures sur ce monde que je découvre, agrippant des morceaux de temps musical, quelque part entre le profane et le sacré. Le train démarre, et avec lui les souvenirs d’un café matinal avec Jean-Marie Marchal et Patricia Wilenski, qui font vivre le Chœur depuis Namur. Baryton, Jean-Marie chante dans l’ensemble depuis sa création, et en a pris la direction administrative en 2001. Aujourd’hui, c’est moi qui vais à leur rencontre. (La belgitude du Chœur) De cette conversation chaleureuse dans un café bruxellois, quelques semaines avant le voyage namurois, je garde en mémoire les yeux verts de Patricia, la voix enveloppante de Jean-Marie qui raconte leur grande aventure. Celle du Chœur. Une histoire commencée il y a vingt-cinq ans (et même un peu plus) avec Emmanuel Poiré, que tous appellent familièrement Manu et que je m’apprête à rencontrer. Ainsi que Leonardo García Alarcón, l’Argentin et fringant Directeur artistique du Chœur, qui a succédé au chef français Jean Tubéry en 2010. Je ne les connais ni l’un ni l’autre. J’ai simplement regardé, avant la rencontre, quelques photographies du jeune chef argentin ; et ce qui m’a frappée d’emblée, c’est l’énergie de son regard, l’enthousiasme de ses gestes. Le souffle qui l’habite. En vingt-cinq ans, de nombreux chefs ont travaillé avec le Chœur de Chambre de Namur. Une quarantaine de chefs invités, du Belge Pierre Bartholomée à l’Anglais Timothy Brown, en passant par les Français JeanClaude Malgoire ou Christophe Rousset. Seuls quelques-uns, comme Pierre à chœur ouvert 1
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Cao ou Denis Menier, ont été directeurs artistiques permanents. Parmi eux, Leonardo est désigné par tous comme un prodige. « Avec lui, c’est l’aventure » m’avait dit Jean-Marie, ajoutant : « Leonardo a fait progresser le Chœur de manière étonnante. Progresser, c’est bien. Mais on ne doit pas non plus oublier d’où l’on vient ». En route pour la belgitude du Chœur. Arrivée à la gare de Namur, Jean-Marie vient me chercher en Mini Cooper. Nous remontons rapidement la rue vers la Citadelle, quittant peu à peu le centre ville pour les hauteurs. « Nous sommes assez isolés ici. C’est bien pour la concentration. Mais pas toujours pour notre visibilité dans la ville ; enfin, on ne va pas se plaindre, nous avons un tel panorama ! » remarque le Namurois en garant sa voiture devant l’ancien pavillon de chasse qui abrite le siège du Chœur depuis 1993. Dans le matin encore froid, Jean-Marie me signale que les sangliers sont descendus presque jusqu’au pavillon, pour retourner la terre, chercher des glands, « pour eux aussi, l’hiver a été rude ». Je trouve ça étonnant, cette maison à la lisière. En bordure de forêt. Comme un appel vers le passé. Une frontière sans cesse brouillée entre la musique passée et présente. Cette réflexion sur le temps sera au cœur de ma conversation avec Leonardo. Le pavillon du Chœur repose sur le territoire de la Citadelle, véritablement morceau d’Histoire à l’abri de l’ancienne forteresse qui a vu défiler Blanche de Namur ou Philippe le Bon, les comtes namurois ou les ducs de Bourgogne. Démilitarisée au début du xx e siècle, la Citadelle entre Sambre et Meuse retouchée par Vauban sous Louis XIV est devenue un lieu de mémoire classé au Patrimoine exceptionnel de la région wallonne. Où résonne désormais le chant choral. Quand on sort de la voiture, une odeur de terre humide agrippe l’air encore froid. Jean-Marie salue quelques collègues. Ceux de la fédération chorale amateur À Cœur joie, qui partage les locaux du Chœur de Chambre. Visite des lieux, quatre bureaux en enfilade, une ambiance conviviale, une odeur de café et des archives qui s’empilent sur les étagères. Plus loin, la Partothèque du Chœur, une pièce étroite baignée de lumière qui rassemble des milliers de partitions anciennes conservées et numérisées chaque jour par Georges David, afin d’alimenter un immense réseau européen de partitions musicales. À l’étage, une salle de répétition « trop petite, et à l’acoustique pas vraiment adaptée » remarque Jean-Marie, « mais on fait avec ce qu’on a! ». Le cadre du pavillon, bucolique et surprenant, l’emporte sur la modestie de l’installation. Qu’importe. C’est d’ici désormais que le Chœur rayonne, et dans le bureau de Jean-Marie trophées et récompenses s’accumulent. Grand Prix à chœur ouvert 4
de l’Académie Charles Cros en 2003, Prix Liliane Bettencourt de l’Académie Française en 2006, Octave de la musique Classique en 2007, 2011, 2012 et 2013 ainsi que de nombreux Diapasons d’or sont venus couronner leurs enregistrements. Une soixantaine de disques pour des centaines de concerts. Depuis Namur, Jean-Marie et Patricia consolident les liens avec les hauts lieux de rayonnement de la musique dite ancienne, comme le festival d’Ambronay (lieu culte de la musique baroque situé entre Lyon et Genève), ou le Centre de musique baroque de Versailles. Des lieux magiques, où le Chœur de Chambre de Namur fait résonner chaque année les œuvres de compositeurs wallons du xviiie siècle, comme André-Modeste Grétry ou FrançoisJoseph Gossec. La défense du patrimoine wallon reste une préoccupation du Chœur, tout comme la découverte de partitions inconnues. « Tout en gardant la personnalité vocale du Chœur, le rôle d’un directeur artistique est de l’emmener vers des découvertes musicales. De ce point de vue, Leonardo remplit parfaitement son rôle. C’est un découvreur de musique. On ne dira jamais à quel point les baroqueux sont anti-conservateurs. Qui avant lui connaissait Falvetti ? » me fait remarquer Jean-Marie. Le regard encore ébloui par le succès du Déluge universel et du Nabucco, deux oratorios d’un compositeur sicilien inconnu, Michelangelo Falvetti, ressuscités à Ambronay en 2010 et 2012. Et qui ont vu les ventes de disques multipliées par quatre. « Falvetti, c’était l’émeute ». Je demande à Jean-Marie de m’en dire plus. La découverte de Falvetti a une histoire, me répond-il, que Leonardo vous fera découvrir. Face à ce succès grandissant, Jean-Marie s’évertue aussi à maintenir la belgitude du Chœur : « La moitié du Chœur reste belge. C’est une volonté de notre part. On aime repérer les talents belges. De nombreux jeunes sortent chaque année des écoles de musique, et ils sont face à une concurrence extrême. On a envie de travailler avec eux, via des master class ou des collaborations. C’est un devoir pour nous de participer à l’implantation locale de notre musique auprès des jeunes chanteurs. N’oublions pas que la soprano belge Sophie Karthäuser est passée par chez nous au début de sa carrière ». Il est temps de voir, comment tout cela a commencé. Jean-Marie me laisse en tête à tête avec Manu Poiré, qui vient d’arriver. (Manu Poiré, l’artisan) Il s’installe tranquillement, silhouette longue et encore agile malgré ses quatre-vingt quatre printemps. Quelque chose de juvénile qui subsiste. Un physique ascétique malgré son goût pour la table et le bon whisky. « On commence ? » demande celui qui a fait de Namur l’une des capitales du chant choà chœur ouvert 5
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ral. Le Chœur aura été la grande affaire de sa vie. Un succès qui le réjouit, véritablement : « Aujourd’hui on est considéré comme un des meilleurs chœurs d’Europe. Le calendrier se remplit à deux ou trois ans d’échéance. On a réussi notre pari et ça me rend heureux ». À la retraite depuis 2001, Manu Poiré dit toujours « on » en parlant du Chœur, qu’il suit dans toutes ses pérégrinations. « Je suis un passionné. Je ne me contente pas d’aller au concert, j’assiste aussi aux répétitions! » confie ce jeune homme né en 1928 dans un petit village de la Gaume, sur la frontière française. « Je ne sais pas si vous connaissez, c’est la Lorraine belge. Nous étions une famille nombreuse de dix enfants, mon père était instituteur et organiste à la Paroisse. La radio n’existait pas, la télé non plus, alors le soir on se réunissait à la veillée, et on chantait. Mon père nous faisait chanter des vieilles rengaines traditionnelles : le ciel, ses colombes d’azur, de vermeil… j’ai toujours baigné dans ce climat de chant polyphonique, puisqu’en famille on chantait déjà en polyphonie! ». Manu avoue ne pas aimer la variété : « je ne connais que Brel. Le reste me fatigue ». C’est la musique classique qui habite sa vie. Très tôt. Après les veillées en famille, il intègre les chorales d’institut pendant ses études, qu’il renforcera de cours de piano à Namur, avec l’organiste de la cathédrale. « Le piano me passionnait, mais je n’en joue plus depuis que j’ai trois doigts bloqués » s’attriste-t-il rapidement. Manu est ensuite nommé éducateur au collège de la Hulle à Profondeville, dirigé à l’époque par le baron Empain, qui lui met le pied à l’étrier. « Empain était un mécène. Il m’a demandé d’organiser des stages pour former des directeurs de chorale. C’était après la guerre, les temps avaient changé ; dans les paroisses on ne chantait plus en latin mais en français. Il fallait aussi restructurer tout ça pour les chorales profanes. Assez vite on a recruté des chefs, et on s’est affiliés au mouvement À Cœur joie dirigé en France par César Geoffray. J’avais moi-même créé une chorale externe à Namur, les Compagnons du Champeau en 1959. Et on a créé comme ça le réseau À Cœur joie Belgique ». Une initiative qui fleurit encore aujourd’hui puisqu’il existe 250 chorales À Cœur joie en Fédération Wallonie-Bruxelles. Dans les années Soixante, les rassemblements de chorale deviennent de plus en plus importants, le sémillant Manu a l’idée de lancer les Semaines chantantes pour créer de grandes œuvres. Le public est au rendez-vous, Namur devient une ville incontournable du chant choral et accueille les fameuses rencontres internationales Europa Cantat (en latin « l’Europe chante ») en 1967 et 1982. « Les Semaines chantantes et les Europa Cantat à chœur ouvert 8
ont profondément marqué les Namurois. Imaginez trois mille choristes, trois orchestres symphoniques, deux orchestres de chambre, vingt solistes, trente pianos, dix clavecins… Chaque soir, la grande salle de cinq mille personnes était remplie. Ça faisait du monde! » se souvient-il, comme si c’était hier. En 1984, c’est donc très naturellement que Manu Poiré fait le bilan. Et pèse le poids de Namur dans le rayonnement artistique de la Wallonie. Liège a l’orchestre philharmonique et l’opéra, Mons l’orchestre de chambre, Charleroi la danse. Namur doit pouvoir avoir une vraie structure pour le chant choral. Avec l’aide de Jean-Louis Close, bourgmestre de l’époque qui suit le projet d’une oreille attentive, Manu Poiré crée le Centre de Chant Choral à Namur en 1987. Et, modeste, me fait remarquer que le premier centre de chant choral professionnel de Wallonie est une association asbl, pas le fait d’un seul homme. Le seul à pouvoir rivaliser côté francophone, avec l’ensemble du Collegium Vocale de Gand lorsque le Chœur de la RTBF est supprimé. Les premiers locaux investissent l’Hôtel de ville, avant de rejoindre la Citadelle en 1993. « La notoriété a suivi tout de suite, on est partis à Vienne trois mois après la création. On a été demandés par de grands ensembles, comme la Grande Ecurie de Jean-Claude Malgoire à Versailles. Au bout d’un moment, je me suis dit, pourquoi continuer à servir des orchestres ? il suffirait d’en créer un! ». C’est ainsi qu’en 1995 Manu Poiré crée Les Agrémens, l’orchestre baroque de Namur. Dirigé par Guy Van Waas depuis 2001, l’orchestre donne au Chœur une autonomie, et lui permet de vivre sa vie. Mais à l’entendre, ce qui enchante Manu le modeste depuis une dizaine d’années, c’est l’internationalisation du Chœur, et ses concerts prestigieux. « Le Chœur c’est pour moi comme un enfant qu’on lâche. Je continue à le suivre, à sillonner avec lui la France l’Allemagne, l’Angleterre, l’Espagne… chaque représentation est pour moi un événement. Vous savez, quand vous chantez devant des milliers de personnes, ce n’est pas rien. J’ai été heureux de pouvoir emmener le Chæur dans des festivals aussi importants qu’Ambronay ou Versailles. Ça fait vraiment quelque chose. Et puis aujourd’hui, il y a Leonardo. » Manu s’arrête un peu, comme s’il n’y avait plus besoin de dire, mais plutôt d’écouter la musique. Dans l’émotion, il a la pudeur des artisans. De ceux qui travaillent dans l’ombre. Avec foi. « Vous voulez me faire parler ? » s’amuse-t-il, « Mais je dis mieux les choses en musique. Une chorale, c’est avant tout un rassemblement, une participation humaine à quelque chose de beau. Cette musique, c’est la passion de toute ma vie, et je crois que j’ai réussi à la transmettre. Un peu comme la bonne chère! ».
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En 2001, au moment de passer la main, Manu a pu compter sur JeanMarie, sans s’encombrer de message. « Jean-Marie est musicien, musicologue, il a une grande compétence. Et puis il sait que le plus important à Namur, c’est cette fraternité qui caractérise le Chœur. La relation humaine est très forte, on ne vient pas seulement faire son boulot quand on chante. On se côtoie, on devient des amis. ». Manu n’en dira pas plus que ses yeux bleus qui pétillent. Il s’inquiète encore un peu, avant qu’on coupe l’enregistreur : « ça va, vous vous en sortirez ? » demande-t-il, espiègle, au moment où Jean-Marie passe la tête par la porte. « Leonardo est arrivé. Après, je vous emmène tous manger en ville », annonce-t-il, ne démentant pas la réputation de convivialité du Chœur. planches ii et iv
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(Leonardo García Alarcón, le fils prodige) D’abord, on entend son rire. Qui éclate comme du cristal. Dans les couloirs, on murmure déjà que « Leo est là ». Et lorsqu’on a face à nous ce jeune chef de 37 ans, le premier mot qui vient en tête, c’est la joie. La joie de son regard, de ses gestes, la joie avec laquelle il porte sa musique. Comme Manu Poiré, l’amour de la musique ancienne lui est venu très tôt, entre un père musicien et une mère peintre (« ça n’est pas un hasard si je m’appelle Leonardo » confie-t-il, amusé). Il commence le piano à six ans, découvre Mozart et Bach – son compositeur fétiche – et vers quinze ans quitte l’Argentine pour l’Europe. Alors en pleine redécouverte du patrimoine musical baroque. « Ce mouvement de redécouverte de musique ancienne m’a fasciné. Beaucoup de choses se sont passées en Belgique et en Hollande à ce moment-là ». Leonardo étudie le clavecin à Genève, qui reste son port d’attache, d’où il dirige également son ensemble baroque, Capella Mediterranea. Avant que Jean-Marie Marchal lui propose, en 2010, de diriger également le Chœur de Namur. « C’est pour moi un honneur immense. Jamais je n’aurais pensé qu’une telle chose puisse m’arriver! l’apport de la Belgique en musique baroque est considérable » confie le jeune chef en pleine ascension. Celui qu’on appelle parfois le « Conquistador baroque » est un découvreur du temps, et cette réflexion me paraît être au cœur de son travail. « Je n’aime pas le terme de musique ancienne. La musique, c’est des sons dans l’air. Comme beaucoup de physiciens et de penseurs, je crois que le temps n’existe pas. Pour moi tout est circulaire. Il y a des ellipses dans l’espace, le temps fait partie de ces ellipses. La musique baroque permet un dialogue avec les autres époques, et tenir ce dialogue vivant est la passion de ma vie. » Sa grande obsession, dès lors, est de savoir comment les compositeurs et les publics disparus ressentaient cette musique. « Un auditeur du xve siècle n’avait certainement pas les mêmes besoins à chœur ouvert 12
qu’un auditeur d’aujourd’hui, mais je pense qu’il y a une continuité dans les émotions, et que c’est cette continuité qui est véritablement l’histoire de l’humanité. » Leonardo est un enthousiaste, au sens grec du terme. Comme animé par un souffle divin. Pour maintenir ce lien avec les époques passées, il s’inspire d’abord des arts plastiques parce qu’« eux seuls peuvent nous permettre de retrouver visuellement des époques disparues. Pour moi l’impressionnisme n’est pas né avec Monet. Toutes les œuvres sont impressionnistes, elles disent les réalités des hommes qui les observaient. Si on voit comme eux, alors on pourra entendre comme eux. Il faut regarder les gravures de Dürer pour comprendre comment jouer une Passion du xvie siècle ». Les arts populaires ne sont pas à négliger : « les musiques populaires, comme le tango ou le jazz, gardent le secret du contact direct avec le public. C’est là qu’il faut chercher si l’on veut ressusciter des émotions disparues. » Ce qui touche dans sa démarche artistique, c’est qu’elle est autant émotionnelle qu’intellectuelle. Il faut voir Leonardo sur scène. Ses bras se lèvent, retombent, gesticulent, tempo saccadé, tout son corps se fait instrument muet. « Si lorsqu’on joue, on est ému nous-mêmes, alors l’émotion se transmet au public. C’est une question de mouvement. L’émotion et le mouvement ont d’ailleurs la même origine dans le mot latin modus. » Et c’est de cette émotion qu’il veut nourrir le Chœur de Chambre de Namur, en musique sacrée ou profane. « J’aime faire parler les œuvres pour le monde d’aujourd’hui. Si c’est pour qu’elles restent endormies dans des bibliothèques, ça ne m’intéresse pas. Il faut savoir bousculer les partitions ». Je me souviens alors de l’histoire des oratorios retrouvés du compositeur italien Michelangelo Falvetti, que Jean-Marie n’a pas achevée. Leonardo me la raconte : « En 2000, un ténor de Palerme m’a offert une partition découverte dans une église sicilienne. C’était Le Déluge universel de Falvetti, une pièce d’une force incroyable d’un auteur alors inconnu. Je m’étais juré de la créer un jour. En 2010, une fois chef, c’est ce que j’ai fait. La résonnance avec notre époque est incroyable. C’est la grande crise économique. Certains mots des chanteurs ne sont pas achevés, parce qu’ils sont déjà engloutis dans l’eau, on entend des cris, c’est terrible. Et puis à un moment ça s’arrête, l’arc-en-ciel est là. » Pour le Nabucco, Leonardo n’a pas hésité à introduire des percussions et des instruments orientaux, inédits en musique baroque. Mais selon ses recherches, et dans les sources historiques de la Sicile, le métissage culturel dû à la proximité de l’Afrique du Nord confirme son hypothèse musicale : il y avait bien des percussions à Palerme. L’ouverture du Nabucco résonne ainsi véritablement comme un péplum de cinéma, emportant le public. « Comme à chœur ouvert 13
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un paléontologue serait heureux de ressusciter un dinosaure, nous ressuscitons des émotions, et celles-ci n’ont pas d’âge » confie Leonardo. L’Argentin compte poursuivre longtemps la route baroque avec Namur. Avant de s’ouvrir peutêtre un jour à la composition, ou à l’opéra lyrique moderne, naviguant à l’envie dans les boucles du temps musical. Le temps, justement, s’est suspendu un instant. Jean-Marie réapparaît dans l’embrasure de la porte, il nous emmène en ville pour un déjeuner tardif. Manu monte à l’avant de la mini Cooper, Leonardo et moi à l’arrière. Nous nous arrêtons au cœur de la ville au Temps des Cerises, un bistrot namurois typique aux nappes à carrés rouges et blancs. Autre ambiance, tout autant namuroise. Sur les murs, des dizaines de graffiti que les gens du cinéma déposent chaque année lors du fameux Fiff, le festival international du film francophone de Namur. Je distingue la signature de Benoît Poelvoorde, autre enfant de Namur, le héros de C’est arrivé près de chez vous, qui escaladait la Citadelle mosane à bicyclette au cinéma dans Le vélo de Ghislain Lambert. Après cette matinée à parler musique, les appétits se sont aiguisés. Au menu, du Cassoulet, du groin de cochon sauce Sambre et Meuse, de la Truite à l’Orval. On boit du vin rouge, on parle de musique et de cinéma, on s’interroge encore, on rit. Bientôt, le Chœur jouera à Bozar à Bruxelles : Leonardo livrera une série de tableaux musicaux, de Marin Marais à Rameau, en passant par Destouches ou Charpentier, en hommage au peintre Watteau dont les Fêtes galantes très xviiie siècle bruissent toujours d’une musique lointaine. « La musique est un langage universel » conclut Manu, avant de commander un whisky glace, son péché mignon. En sortant du bistrot pour rejoindre la gare, je regarde les silhouettes de ces trois hommes se détacher devant moi. Manu Poiré, Jean-Marie Marchal et Leonardo García Alarcón. Bon pied bon œil, Manu a déjà allumé une cigarette – une mauvaise habitude –, Jean-Marie et Leonardo discutent encore. Et leurs silhouettes flottantes m’apparaissent soudain comme les trois âges émouvants du Chœur de Chambre de Namur. La mémoire, la maturité et la jeunesse, comme les trois branches d’un même arbre musical. Où tinteraient ensemble Bach, Mozart, Grétry ou Falvetti. L’air soudain semble s’être radouci, le printemps approche. Il est temps à présent pour moi de reprendre le train. (Dates clés) 1987 Manu Poiré crée le Chœur de Chambre de Namur 1993 Installation du Chœur à la Citadelle de Namur 1995 Création de l’orchestre Les Agrémens 2001 Jean-Marie Marchal prend la direction du Chœur 2010 Arrivée de Leonardo García Alarcón
(Ils ont dirigé le Chæur…) Eric Ericson, Marc Minkowski, Pierre Cao, Jean-Claude Malgoire, Simon Halsey, Sigiswald Kuijken, Jean Tubéry, Pierre Bartholomée, Patrick Davin, Roy Goodman, Michael Schneider, Philippe Pierlot, Philippe Herreweghe, Peter Philips, Jordi Savall, Christophe Rousset, Eduardo López Banzo, Guy Van Waas, Leonardo García Alarcón…
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