Guide for my family
KAPOOR Ã
VERSAILLES
by Laurent MARLIN
Sommaire Editorial Versailles et l’art contemporain S’ouvrir à l’oeuvre kapoorienne Les (r)évolutions de la Sculpture Rouge sang et réflexion : les obsessions d’un artiste La création d'objets incertains Les Jardins ou la démesure d’une oeuvre hors norme 6 oeuvres pour une relecture de Versailles Et le sexe dans tout ça?
Editorial En juin, j’ai eu le plaisir de déambuler avec Odile dans les jardins de Versailles pour voir l’exposition Anish Kapoor. Dans l’ordre de notre parcours : les deux célèbres miroirs : « C-curve » et « Sky-Mirror », la corne d’abondance « Dirty Corner », le vortex d’eau « Descension » et le cube « Sectional Body preparing for Monadic Singularity ». A mon grand regret, à cause d’horaires décalés, nous n’avons pu voir le canon « Shooting into the Corner » installé au Jeu de Paume,. Je n’avais jamais vraiment compris, avant cette visite, la nature réelle des jardins de Versailles. Bien plus qu’un simple lieu de promenade, il faut les voir comme une oeuvre d’art à part entière. A la fois globale et totale. Et alors que j’admirais les sculptures de Kapoor, les jardins me sont soudain apparus comme la plus extraordinaire réalisation artistique du 17 ème siècle : l’oeuvre démiurgique d’un génie hors norme. Effet recherché du travail exposé par Kapoor ou coïncidence fortuite? Sur le moment, je n’en savais rien et j’ai été incapable de partager cette découverte avec ma soeur. Ma méconnaissance de Versailles y était certes pour quelque chose mais aussi, plus inattendue, celle des oeuvres de Kapoor! J’étais depuis longtemps fasciné par l’artiste mais que savais-je réellement de son travail? Du contexte de cette exposition? De ses intentions? Si peu en vérité! La polémique sur le « vagin de la reine » avait parfaitement joué son rôle de buzz mondial en lançant l’expo, mais au détriment du sens et de la valeur artistique des oeuvres présentées. Sans compter l’autre polémique, récurrente celle-la, sur la présentation d’oeuvres d’art contemporaines dans un lieu patrimonial comme Versailles. Jeff Koons, Murakami et maintenant Anish Kapoor! Ces stars mondiales de l’art sont suspectées d’utiliser la notoriété d’un lieu aussi universellement connu pour faire monter la valeur de leurs oeuvres (appartenant souvent à des collectionneurs richissimes) ainsi que leur valeur personnelle et non pour y produire un travail adapté au lieu… Si j’apprécie de découvrir les oeuvres d’un artiste de manière naïve, ce n’est pas vraiment le cas d’Odile qui adore les visites guidées au point d’en avoir fait un site web qui marche d’ailleurs très bien. J’ai donc réalisé ce livret pour approfondir ma propre connaissance et réflexion des oeuvres de Kapoor, des Jardins de Versailles et fournir à ma soeur ce qui constitue à ses yeux la plus value d’une bonne visite culturelle : un guide. Laurent Marlin
VERSA ET L’ART CON
ILLES TEMPORAIN
Après Jeff Koons, Xavier Veilhan, Takashi Murakami, Bernard Venet, Joana Vasconcelos (photo ci-contre), Giuseppe Penone, et Lee Ufan, Anish Kapoor est le 8ème artiste à s’exposer à Versailles. Cette politique d’exposition d’art contemporain à Versailles, lancée par Christine Albanel et poursuivie par ses successeurs à la présidence du château, a fait l’objet de vifs et passionnants débats en France et ailleurs. Quelle place accorder à la création vivante dans des lieux historiques? Quelle place donner au patrimoine dans une société moderne? Quelle mise en scène du passé, pour quelle relation au présent? Comment parvenir à concilier conservation du patrimoine et création artistique et les faire cohabiter dans le respect des lieux, des artistes et des publics? A ces questions, encore débattues à ce jour, s’ajoute celle de la compétition internationale que se livrent désormais les grands établissements culturels pour être les mieux classés et reconnus. De telles expositions et leurs fréquentations deviennent ainsi autant des produits d’appels que des enjeux stratégiques visant à obtenir plus de notoriété et donc plus de financements publics et privés. Pour les établissements culturels et les artistes qui participent à ce monopoly mondial d’accumulation de notoriété, l’exposition d’une star de l’Art dans un lieu patrimonial célèbre est devenu LE must. De polémiques construites de toutes pièces pour faire le buzz comme le balloon-dog de Koons ou les mangas de Murakami, en vraies réussites artistiques d’intégration patrimoniale comme l’exposition de Joana Vasconcelos, Versailles s’est imposé, au fil des ans, comme une étape incontournable des stars du négoce de l’Art contemporain et un révélateur des tendances du marché mondial en y apportant sa visibilité et son aura. Après tout, Versailles reste ce que Louis XIV en a fait : un maitre étalon des arts de son temps.
L’acc
L’ŒUVRE KA
La première sculpture de Kapoor à laquelle j’ai été confronté, un peu par hasard, c’est le « Cloud Gate », la Porte des Nuages, située au Millenium Park de Chicago. Mon rapport à cette oeuvre a été tout à la fois indirect, par le truchement de photographies, et esthétique, choqué autant que séduit par la beauté formelle de cette graine d’acier reflétant le ciel et la skyline de la ville. Depuis, j’en suis tombé amoureux. The Bean, le « Haricot », est célèbre dans le monde entier, pour sa photogénie
ès à
POORIENNE
unique qui offre aux regards du public présent sur place une expérience réflexive peu commune et à ceux des photographes d’innombrables possibilités visuelles... Le génie de Kapoor est tout entier dans cette oeuvre : il fait entrer la sculpture dans notre propre champ sensoriel autant qu’il nous fait entrer dans la sculpture elle même. Et c'est cette rencontre inédite, cette osmose fluctuante qui défini à mes yeux l’Oeuvre Kapoorienne.
DE BERNINI Les (r)évolutions
La révolution des sentiments
Gian Lorenzo Bernini dit Le Bernin (1598-1680) contemporain de Le Nôtre, utilisa sa parfaite maitrise de la pierre, pour suggérer, d’une manière jamais atteinte avant lui, le mouvement, la texture de la chair. Le premier, il réussira à transcender les sentiments humains les plus puissants comme l’extase pour les imprimer dans la matière. Avec lui, la sculpture n’est plus seulement la représentation d’un corps, elle devient l’expression de sentiments.
A KAPOOR de la sculpture Si Anish Kapoor est considéré comme l’un des plus grands artistes contemporains, c'est parce qu’il fait partie de la très courte liste de ceux qui, dans l'histoire de la sculpture, ont dépassé et redéfini les frontières de leur art.
La révolution de la distance
Alberto Giacometti (1901-1966) fera franchir à la sculpture une nouvelle étape en abolissant la distance et le temps, en rendant la sculpture autonome vis à vis de son créateur et du spectateur. La révolution de la perception
Markus Raetz (1941) travaillant sur la dualité réalité-irréalité des formes, il déconstruira la sculpture pour en transposer la réalité dans la perception qu'en a le spectateur.
Alexander Calder (1898-1976) conférera une nouvelle dimension en à la sculpture en mettant l'espace lui même, au centre de l'équilibre de ses oeuvres et franchira l’étape du mouvement, le façonnant et l’emprisonnant vivant dans ses sculptures.
La révolution du mouvement
" Je ne veux pas réaliser une sculpture qui ne soit qu’une forme, cela ne m’intéresse pas vraiment. Ce que je veux faire, c’est une sculpture qui traite de la croyance, de la passion ou de l’expérience "
Anish KAPOOR
DU ROUGE SANG À LA
REFLEXION Les obsessions d’un artiste hors norme Mettant au coeur de sa démarche artistique la nature organique et spirituelle de l’expérience humaine, Anish Kapoor explore tout à la fois la matière, la forme, l’intériorité de la sculpture et son rapport au monde pour créer des objets en mesure d’entrer en résonance avec notre expérience concrète d’un univers instable, en perpétuel mutation, à la fois trop grand et trop complexe pour être appréhendé dans sa totalité. Jouant des dualités et oppositions entre couleurs internes profondes et reflets de l’environnement, entre matière brute et polie, matière et esprit, conscient et inconscient, visible et invisible, entre plein et vide, Anish Kapoor introduit au coeur de ses oeuvres, devenues de véritables paysages du corps et de l’âme humaine, l’expérience sensorielle et spirituelle, éminemment intime, de chacun de nous.
LA CRÉATION D’ OBJETS
INCERTAINS
Evocatrices mais sans jamais figurer la réalité, les sculptures d’Anish Kapoor déconstruisent nos perceptions pour devenir ce que Julia Kristeva appelle joliment des « objets incertains » dont l’interprétation ne peut être univoque. Objets aux limites floues et pénétrables, non circonscrites à l’oeuvre proprement dite et qui, au final, nous incluent comme partie de l’oeuvre elle même.
C ’e st n o t re e x p é r i e n ce p e rs o n n e l l e, organique et viscérale du Monde qui se trouve projetée dans ces sculptures, qui l’ingèrent en elles, la régurgitent pour nous la rendre, transformée, déformée, amplifiée et ainsi changer notre perception du monde.
Les Jardins de
LA PUISSANCE
Il faut imaginer ce que pouvait représenter la découverte d’un lieu comme Versailles à une époque où plus de 90% de la population était assujettie aux nécessités de survie. Le choc émotionnel produit par la vue et la visite des Jardins devait être immense, même pour les rois et reines des cours d'Europe! Depuis les mythiques jardins suspendus de Babylone, jamais l’Homme n’avait affiché à une telle échelle et avec une telle maitrise, sa domination de la Nature. Réalisés hors de toute nécessité alimentaire ou utilité pratique, les Jardins donnent à voir une nature entièrement soumise à la volonté et au plaisir d'un homme.
Versailles ou
DÉMIURGIQUE
Mais qu'ils soient dédiés aux plaisirs et marivaudages d'un roi et sa cour ou aux calmes et sereines promenades du public moderne, les Jardins sont bien autre chose que ce qu’ils semblent être. Ordonnés, sereins et rassurants en apparence, ils sont en réalité, pour ceux qui ont l'expérience du pouvoir, une extraordinaire démonstration de force brute. Ici s'exprime de manière symbolique mais très concrète la puissance d'un roi qui dispose à sa guise de ressources quasi-illimitées pour dompter la Nature et faire de même avec ceux qui ne le reconnaitraient pas comme l'égal du Soleil lui même.
Les Jardins de
LA DÉMESURE D’UNE
Bâti sur la vision d'un homme au nom du bon plaisir d’un autre, ce lieu composite fait d'espaces verts, de scènes d'eau et de sculptures, vieux de près de 400 ans et dans lequel déambulent les touristes venus du monde entier, est en réalité le fruit de l’intervention de plusieurs artistes bien que l’ensemble soit attribué, dans la mémoire collective, à André Le Nôtre. Lequel se fâcha avec Louis XIV lorsqu'il voulu s’en attribuer la paternité. Les Jardins sont l'expression du pouvoir mais aussi de la démesure de l’ego. Celui d’un Roi tout d’abord qui a voulu et rêvé cet endroit tout au long de son très long règne. Et celui d’un jardinier ensuite qui a donné corps et vie au rêve d’un Roi et su imposer, pour la postérité, son nom en tant que réalisateur (au sens moderne de réalisateur de film), de ce qui est d’abord et avant tout une oeuvre collective.
Versailles ou
ŒUVRE D’ART TOTALE
Si on regarde les Jardins sous le prisme d'une oeuvre globale visant à produire un effet particulier sur le visiteur, alors ces 830 hectares de verdure, d'eau, fontaines et sculptures, sont certainement l'oeuvre d'art la plus ambitieuse et la plus singulière du 17ème siècle. Le choix du Jardin plutôt que du Château pour exposer, s’explique par le désir d’Anish Kapoor de se confronter à cette oeuvre monumentale qui, comme la sienne, a l'ambition de transformer notre perception du monde. Le Jardin n'est pas ici un simple décor, un écrin à la présentation de son travail. Kapoor instaure un dialogue entre ses oeuvres et le Jardin, nous forçant à une relecture de ce dernier et par là même à vivre autrement l'expérience d'une promenade de découverte de ses oeuvres à lui, dans ce lieu rêvé par un roi et entretenu depuis par toute une nation comme l'expression de son génie propre.
La magie d
C-CU
es reflets
RVE
Reflétant la façade du château sur sa face externe, le C-curve, miroir incurvé d’acier poli, renvoie à la célèbre galerie des glaces. Laquelle est située à l'intérieur, exactement en face, dans l'alignement de la Grande perspective. Ses miroirs furent réalisés à une époque où leur production était un exploit hors de prix. Faisant se télescoper dans son reflet : extérieur et intérieur, passé et présent, le C-curve courbe le temps, l'espace et la ligne architecturale du château pour mettre ce dernier enfin à taille humaine.
Sur sa face interne, tournée vers le Jardin, le C-curve crée en son creux un espace plus vaste que les limites de sa propre géométrie. Un espace dans l’espace, sorte de nouvelle dimension qui joue avec la taille de l'ego du spectateur, se saisie de son regard et dérègle son « optique » du monde en retournant l'ordre des choses. La grande perspective de Le Nôtre se trouve ainsi projetée vers le ciel, infiniment plus grand qu’elle, nous obligeant à redéfinir notre vision du Jardin et du monde.
La force symbo
SKY-M Pour Le Nôtre, la lumière est un élément du décor, au même titre que la verdure. Dans ses compositions, il équilibre les masses d’ombre et de clarté en utilisant les bassins pour y refléter la lumière. Le Sky mirror et le C-curve forment un ensemble équivalent pour Kapoor. Jouant des effets de lumière, ils introduisent une nouvelle réflexion de l’espace et du mouvement entre le Château et le Jardin. Situé entre les Parterres d’eau et de Latone, le Sky mirror, installé sur un immense trépied, instaure un mouvement vertical de l'espace et de la lumière là ou le C-curve, installé à même le sol, induisait un mouvement horizontal. D a n s l ' a l i g n e m e n t d e l a G ra n d e perspective qui va d’est en ouest et suit la course du soleil, Sky mirror capte sur sa face incurvée le soleil se levant du Château et reflète sur sa face bombée le soleil se couchant sur le jardin. Renvoyant en reflets distordus, la course du soleil dans le ciel, Sky mirror déconstruit le mythe du Roi Soleil tout en modifiant notre vision de la grande Perspective.
lique du Soleil
IRROR
Sky mirror est placé de manière à surplomber le bassin de Latone et la Grande perspective. Dans la mythologie grécoromaine, Latone s'unit à Jupiter et accouche d'Apollon, Dieu de la beauté et de la lumière, ainsi que de Diane, Déesse de la Nature. Dans le Jardin de Le Nôtre, Apollon représente le Roi Louis XIV. Disque solaire autant que jupitérien, Sky mirror apparait comme un dieu moderne qui s'unit au Jardin/Latone et donne vie à une nature emplie de beauté et de lumière. Elle apparaît dans l'univers clôt de son reflet, petite « Terre » suspendue dans le ciel et flottant au dessus du château, réduite, comme lui, à des dimensions humaines.
Les secrets d
DIRTY
es entrailles
CORNER «Je voulais créer quelque chose d'obscur, de désordonné, dans ce paysage qui est l'ordre même, où, par la vision si nette de Le Nôtre, les collines ont été aplanies pour donner l'illusion que l'eau se déverse sur vous, pour servir le pouvoir du roi et son image. Je voulais mettre au jour ce qui est sous la surface des choses, comme des fouilles, si vous voulez.»
Anish KAPOOR
Certains y ont vu un vagin mais on peut tout aussi bien y voir une corne d’abondance géante, abandonnée et rouillée, critique sous jacente d'un rêve de toute puissance qui n’est plus. Déchets normalement invisibles sous le Tapis vert, d’un jardin propre et lisse en apparence mais dont la réalisation et l'entretien coûta la sueur et le sang de milliers d’hommes. Trompe rouillée aspirant les sombres secrets de Versailles et ses résident(e)s. Secrets du pouvoir et d’alcôves qui se dissolvent dans un désordre de rouille, de pierres et de sang. "Sale coin" représente le chaos qui s’oppose à l’ordre maitrisé du jardin. Or le chaos est source de vie, laquelle prend naissance de la Femme. Vagin d'une reine qui prend sa revanche ou porte-voix des silences et secrets oubliés?
Le dévoreur
Desce
Après C-curve et Sky mirror jouant des et Descension en fouillent les sombres les secrets enfouis et oubliés de la plonge dans les exigences profondes et
d'énergies
nsion
lumières et reflets du Jardin, Dick Corner entrailles. Dick corner étalait à la surface construction des jardins quand Descension opaques de leur maintenance.
LA SOIF INSATIABLE DES JARDINS ET FONTAINES OU
LE DÉFI DE L'EAU
La construction de Versailles a absorbé une grande part des ressources du pays et les dépenses pour les systèmes d’alimentation d’eau du Jardin (30 km de canalisations souterraines) représentèrent à elles seules un tiers de l'ensemble. Sous Louis XIV, les jardins consommaient bien plus que toute la consommation d’eau de Paris. Et la quasi-totalité des ressources en eaux de toute la région ne suffisait pas à satisfaire les besoins. D'où l'importance du Grand canal pour André Le Nôtre. Construit sur un ancien marécage situé plus bas dans le parc, il reçoit l’eau s’écoulant des fontaines situées dans les jardins en amont. Eau pompée puis renvoyée au réservoir placé sur le toit de la grotte de Thétys afin de réalimenter les fontaines. Transformant ainsi l'ensemble Jardin/Grand Canal en système hydraulique fonctionnant en circuit fermé. Mais les pertes importantes dans les canalisations font, encore aujourd'hui, que l'eau reste un défi permanent du Jardin.
Installé à fleur de terre, entre le bassin du char d’Apollon (figurant Louis XIV) et le Grand canal (réceptacle de toutes les eaux du Jardin), Descension est un tourbillon perpétuel d'eau noire, marbrée d’écume blanche, duquel émane un profond et sourd grondement. Vortex liquide menaçant d'aspirer dans son chaos primitif tout ce qui entre dans son champ d'attraction, Descension permet de percevoir la véritable nature du Jardin : un puit sans fond absorbant toutes les ressources environnantes au nom de sa seule existence, un dévoreur d'énergies, trou noir figurant le pouvoir obscur du Roi Soleil.
Sectional body
Monadic S
Gottfried Wilhelm Leibniz (1646 - 1716) contemporain de Le Nôtre et de Louis XIV, est considéré dans toute l'Europe comme le plus grand intellectuel de son temps. Philosophe, scientifique, mathématicien, logicien, diplomate, juriste et philologue, il est l'inventeur du concept métaphysique, souvent mal compris, de monade. A ses yeux, c'est la plus petite unité qui soit. Indivisible, âme "sans porte ni fenêtre", mais avec pour "singularité" d'être toute entière hors d'elle même, ouverte à l'infinité même de l'univers tout en contenant sa multiplicité infinie.
preparing for
ingularity
"Section d'un corps préparé pour…". Situé au centre du bosquet de l'Etoile, hors de la Grande perspective mais au même niveau que Dick corner, le cube de Kapoor figure tout à la fois cette "singularité monadique" ouverte à l'infinité des interactions possibles des corps (tout en les contenant toutes) et la mise à nue de l'âme secrète des bosquets, ces lieux autrefois très appréciés par la cour du Roi pour y jouir discrètement de plaisirs charnels. Abstraction corporelle autant qu'organique, c'est aussi la pièce la plus manifestement explicite des 5 œuvres exposées dans les Jardins.
Cube noir traversé de part en part de boyaux rouges filamenteux, évoquant des vaisseaux sanguins aux orifices de tailles et formes variées, cette œuvre de Kapoor, au titre leibnizien, est la seule que l'on puisse pénétrer, offrant ainsi la sensation d’être au cœur d’un gigantesque être vivant.
Incarner la
Shooting int «Je me suis permis une incursion à l'intérieur, dans la salle du Jeu de Paume, là d'où est partie la Révolution française, où ont été prononcés les mots "liberté, égalité, fraternité", un symbole du pouvoir encore imprégné d'une formidable tension (…) qui interroge sur les violences de notre société contemporaine.»
Anish KAPOOR
violence
o the corner
Après avoir pénétré l'intimité des plaisir secrets du Jardin avec "Sectional body…", cette installation située au Jeu de Paume, c'est à dire hors du Jardin et du château de Versailles proprement dit, suggère que c'est justement le scandale des plaisirs royaux qui a fait basculer la France dans la révolution en 1789, hors de la royauté. "Tirer entre les coins", traduction littérale du titre de l'œuvre de Kapoor, dessine un fatras sanglant dans l'angle de deux murs blancs. Un canon y tire des cylindres de cire grasse, de couleur rouge sang, éclaboussant les murs et entassant dans le coin, une matière qui évoque de la chair écorchée vive ou les entrailles palpitantes d'une charogne victime d'une hémorragie qu'aucun remède ou pouvoir politique, fut-il royal ou républicain, ne semble en mesure de stopper. C'est l'ère de la Terreur.
Dans ce lieu très symbolique de l'Histoire de France, il n'existe aucune référence féminine. Aucune femme n'est présente dans le tableau du Serment du Jeu de paume peint par Merson d'après une esquisse de Jacques-Louis David De manière abstraite mais très brutale, l'œuvre de Kapoor figure cette violence faite aux femmes, mais aussi à toutes les victimes de l'Histoire, en lui donnant une consistance effrayante, crûment mise en scène. Son canon, objet phallique par excellence, souille les murs virginaux du coin blanc, devenu l'incarnation d'une vuIve mainte fois violée, suintante d'éjaculat et menstruation mêlés.
Et le sexe dans tout ça?
LE VAGIN DE LA REINE Cinq mots pour faire le buzz et obtenir une couverture médiatique mondiale! Cette utilisation maligne et cynique des médias pour toucher toute la planète Art est aussi un pied de nez de la part d'un artiste qui joue sur les faux semblants et le caractère non univoque de ses œuvres pour créer des labyrinthes de signifiants. Dirty corner, ce "sale coin" figurerait ainsi tout à la fois la mise en lumière d'un passé obscur et honteux et un vagin. Similitude et intimité des choses que notre société considère comme sales et qu'il convient de mettre à l'abri des regards et des pensées. Sous le tapis vert des convenances bourgeoises. La présence de cette sculpture à Versailles a donc, comme on pouvait s'y attendre, fait l'objet d'une vague de protestations et sera même vandalisée. Mais est-ce réellement un vagin? L'ironie est là justement! Dirty Corner, corne d'acier rouillée, de pierres déterrées et de terre couleur sang, avale, tel un aspirateur, tout ce qui se dit et traverse le chaos des réseaux sociaux pour finalement n'être que le reflet
du discours médiatique sur elle même : miroir d'une histoire obscure et honteuse qui, contrairement à C-curve et Sky mirror, n'a nul besoin de réfléchir la lumière pour nous renvoyer à nos sombres contradictions! Car le sexe est bien présent ici à Versailles dans l'œuvre de Kapoor. Et son travail consiste à montrer comment celui-ci en arrive à contaminer t o u t e l a ro ya u t é p o u r déboucher sur la Révolution française et l'expulsion du corps de la femme de l'Histoire de France et de son espace public! Il y a donc bien le vagin d'une reine à Versailles. Probablement celui d e la rei ne Mari e Antoinette qui s'était approprié Versailles autour de l’univers des plaisirs et du sexe. Mais pas là où on croit le voir. Il est présent dans une œuvre bien différente : "Sectional Body Preparing for Monadic Singularity", située dans les bosquets du Jardin. Et jamais cette dernière n'a été montré du doigt alors que ce vagin s'exhibe sous nos yeux. Tout l'art de Kapoor est là. Dans cette évocation non figurative qui met à jour nos contradictions inconscientes.
Et le sexe da
LE PENIS
Il y a quelque chose de paradoxal à ce que des oeuvres heurtent par leur possible charge sexuelle alors que l'espace public en est rempli : de la tour Eiffel aux obélisques, les symboliques phalliques des constructions et représentations du pouvoir ne manquent pas. Ce qui semble déranger presque à chaque fois, c’est l’introduction d’autres symboles, relatifs eux à la féminité ou à l’homosexualité. Or Dirty Corner est de ce point de vue réversible. Il peut figurer tout aussi bien un pénis qu'un vagin comme le montre, de manière éloquente, la photo ci-contre.
ns tout ça?
DU ROI ?
Ce que Kapoor montre c’est que si les formes féminines sont bien présentes dans les espaces publics, comme cette Vénus Callipyge dans les jardins de Versailles, le sexe féminin en est lui totalement absent car sans pouvoir officiel. Ainsi, tout ce qui peut renvoyer à une prise de pouvoir de la féminité dans l'espace public est considéré comme scandaleux par une société structurée autour des formes de la virilité masculine.
Parcours de l'exposition KAPOOR
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CrĂŠdits photos Laurent et autres
1 : C-curve 2: Sky Mirror 3: Dirty Corner 4: Descension 5: Sectional Body preparing for Monadic Singularity 6 : Shooting into the CornerÂ