Madagascar et la malnutrition

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La prévention Un enjeu majeur dans la lutte contre la malnutrition chronique à Madagascar

nutri’zaza Octobre 2014



À 1 h 30 de la Réunion en avion, un pays…

Madagascar. Nous connaissons tous Madagasikara. Nous en avons entendu parler. Certains de nos parents y ont travaillé. Nous y avons une connaissance. Nous y sommes peut-être allés en vacances... Nous voyons régulièrement des reportages, nous entendons des témoignages, nous regardons des images… Une superficie de 592 000 Km2. Environ 22 millions d’habitants dont deux millions pour la capitale, Antananarivo (2013). 50 % de la population a moins de 20 ans. Les femmes représentent 50,6 % de la population totale. La taille moyenne d’un ménage est 5,2 personnes. 78% de la population vit en milieu rural, 22 % en milieu urbain. L’espérance de vie est de 64 ans (80 ans en France). Environ 3 200 ariary (la monnaie du pays) pour un euro, 2 520 AR pour un USD. Des crises politiques successives ont fragilisé le pays, tant économiquement que socialement. Après quatre années de Transition, période où les Bailleurs de Fonds internationaux se sont retirés pour cause d’instabilité, un gouvernement est démocratiquement élu en 2014. Cependant, à l’heure actuelle, Madagascar reste toujours un pays aux incroyables richesses mais confronté à une pauvreté extrême. En 2010, Madagascar est devenu l’un des pays les plus pauvres au Monde (151e rang sur les 187 pays [banque mondiale]). Environ 92% des malgaches vivent sous le seuil de pauvreté. Neuf malgaches sur dix vivent avec moins de un dollar par jour. Un pays, touché par la malnutrition… Il ne s‘agit pas de la malnutrition aiguë, même si celle-ci touche fortement certaines régions de la Grande Ile. Nous avons tous en tête des images « insoutenables » d’enfants squelettiques, au ventre proéminent, au visage émacié… Il s’agit de la malnutrition chronique qui est peu connue, mal connue, parfois même oubliée, plus insidieuse. Ses impacts sont considérables sur le développement du pays. Actuellement, un enfant sur deux de moins de cinq ans en est atteint. Ce qui constitue un problème majeur de santé publique.


La malnutrition chronique (qui se définit par une taille insuffisante par rapport à l’âge) apparaît, généralement entre six et vingt mois lorsque l’alimentation des enfants est insuffisante en quantité et/ou en qualité pendant une période prolongée. Contrairement à la malnutrition aiguë, qui elle peut apparaître après des périodes relativement courtes de consommation alimentaire insuffisante). La malnutrition chronique est difficilement réversible. Seule une action préventive, menée sur le long terme, ciblée non seulement sur l’enfant mais aussi sur la mère, avant et après la naissance, peut prévenir la malnutrition chronique et ses conséquences. En la matière, le seul remède consiste à proposer quotidiennement à l’enfant une alimentation appropriée.

Un objectif de ce dossier est d’informer, de sensibiliser le lecteur, sur le problème méconnu, mal connu qu’est la malnutrition chronique à Madagascar, pays si proche de la Réunion. Un autre objectif est de présenter et de faire connaître les acteurs : Le GRET, Nutri’zaza qui oeuvrent sur ce problème en mettant en place des actions de prévention.


Les chiffres de la malnutrition chronique… Dans le Monde et à Madagascar. La faim dans le monde a diminué, de quelques 100 millions de personnes en dix ans. Des efforts ont été effectués mais la route est encore longue puisque 805 millions de personnes, soit une sur neuf souffrent encore de malnutrition (sofi 2014). Quatre millions de personnes, 1/3 des ménages à Madagascar sont en insécurité alimentaire sévère et modérée. Les taux les plus élevés d’insécurité alimentaire sévère se trouvent dans les régions du Sud et du Sud-Est de Madagascar. Intempéries, pluviométrie irrégulière -inondation ou état de sécheresse aggravé (les récoltes de 2014 ont été anéanties) -invasion acridienne (criquets), le prix de la nourriture ne cesse de s’élever. Dans ces régions, à titre indicatif, la prévalence de la malnutrition sévère est de 8% et le taux de malnutrition chronique varie entre 40 et 47 % selon le rapport des résultats préliminaires de l’évaluation des récoltes et de la sécurité alimentaire 2014 communiqué par le PAM en date du 11/09/2014. 76% de la population n’arrive pas à atteindre un seuil minimal de kcal par jour. C’est surtout dans les régions du Sud-Est de l’île que la proportion est la plus élevée, avec respectivement 89,7%, 85% et 84,5%. En revanche, c’est dans le Vakinankaratra et l’Atsimo-Andrefana que l’on enregistre les taux les plus bas… 64 % ! (Résultats de l’enquête nationale sur le suivi des Objectifs du Millénaire pour le Développement (ensmod) en 2013).

A Madagascar, on n’est jamais sûr de bénéficier d’une ration journalière rassasiante et équilibrée, alors que chez nous, que voyons-nous, qu’entendonsnous chaque jour : « Mangez cinq fruits et légumes par jour. Evitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé »… Quatre malgaches sur cinq au moins, soit 84% de la population, consomment essentiellement des aliments tels que le riz ou les féculents. Les quantités consommées sont également très inférieures à la moyenne. Les catégories socio-économiques les plus défavorisées sont les plus touchées, même si l’ampleur du phénomène est telle qu’aucune couche sociale n’est véritablement épargnée. (ensmod 2013). 24 273 écoles primaires publiques et privées (sur les 27 000 existantes) dans tout le pays ne bénéficient pas de cantines scolaires. L’Etat n’y alloue aucun budget. Il est souvent suppléé par des bailleurs de fonds, Banque Mondiale, PAM, union Européenne. L’Institut National des Statistiques (Instat) estime que 48,6% des malnutris sévères sont des enfants d’âge scolaire. (article express 23 juillet 2014). 45 % des enfants estimés à deux millions de moins de cinq ans meurent à cause de la malnutrition, de la déficience d’un ou plusieurs éléments nutritifs (docteur arnel andriamasiharijaona, spécialiste en nutrition). Madagascar est un des pays au Monde les plus durement touchés par la malnutrition infantile. 50,1% des enfants de moins de cinq souffrent de la malnutrition chronique.



La malnutrition chronique : causes, conséquences. A Madagascar, la moitié des enfants de moins de cinq ans, souffrent de malnutrition chronique. La malnutrition chronique du jeune enfant se traduit non seulement par un retard de sa croissance (une taille insuffisante par rapport à l’âge), par une altération de ses capacités cognitives et intellectuelles (difficultés d’apprentissage), mais aussi par une santé fragile (très faible résistance à la pneumonie, à la diarrhée … d’où une mortalité accrue). Les enfants malnutris qui deviennent adultes présentent davantage de risques de développer des maladies chroniques et de montrer une baisse de productivité de 45 %. A l’échelle d’un pays, cela peut équivaloir à des pertes économiques de 2 %, voire 3% du PIB. Si les causes de la malnutrition chronique sont multifactorielles (hygiène, eau, santé, assainissement), les mauvaises pratiques alimentaires sont pour une part importante dans ce problème majeur de santé publique. En effet, pour grandir et se développer, les enfants doivent recevoir quotidiennement une alimentation appropriée ainsi que des soins préventifs et curatifs de qualité. Or à Madagascar, avant l’âge de 6 mois (alors que l’allaitement doit être la base de l’alimentation à cette période) et bien après cet âge, les enfants sont nourris principalement de plats à base de riz notamment du “vary maina” (riz cuit sec) ou “vary sosoa” (cuit mou) saupoudré de sucre ou d’autres aliments dont les qualités nutritionnelles, énergétiques ne couvrent pas et ne sont pas adaptés à leurs besoins spécifiques (ex : le bouillon de brèdes). A cela, il faut ajouter la fréquence très irrégulière des repas. Cela peut s’expliquer par le contexte global de pauvreté, le faible niveau de connaissance de la plupart des familles sur l’alimentation mais également à des difficultés d’accès (notamment à cause des prix) à des aliments de complément de bonne qualité. Ces derniers, pour la plupart, restent d’ailleurs inaccessibles à une grande majorité de la population.


Un des axes prioritaires de la 4e République. Ce 21 juin 2014, à Morondava, deux journées étaient co-célébrées : la Journée Nationale de la Malnutrition (JNN) et la Journée Mondiale des Actions en faveur de la Malnutrition (JMAN) avec la participation de l’Office National de la Nutrition (ONN), du Ministère de la Santé et de l’UNICEF. Cette célébration avait pour titre : « S’investir dans les 1 000 premiers jours de l’enfant pour prévenir la malnutrition chronique ». Le discours du Premier Ministre, Monsieur Roger Kolo, a été le suivant : « L’éradication de la malnutrition fait partie du programme de la 4e République dans la lutte contre la pauvreté, étant donné que la nutrition est un droit pour tous. C’est l’un des grands défis de ce gouvernement. De ce fait, les ministères chargés des Finances, du Budget, de l’Economie et de la Planification vont intégrer dans leur programme des actions en faveur de la lutte contre la malnutrition chronique dans leurs priorités. » Le SOFI 2014, rapport sur l’état de l’insécurité alimentaire dans le monde, publié conjointement par le FAO, le FIDA (Fonds International de développement agricole) et le PAM (Programme Alimentaire Mondial), insiste également sur ce point : la lutte contre l’insécurité alimentaire est d’abord une question de volonté politique. Cette lutte contre la malnutrition (aiguë et chronique) a été entreprise, il y a déjà plusieurs années, par le biais de différents plans et actions: Le Plan National d’Action pour la Nutrition : élaboré tous les 4 ans par une équipe multidisciplinaire, impliquant les principaux acteurs au niveau du Gouvernement, les ONG et les partenaires multilatéraux et bilatéraux ; il a pour but de mettre en place les plans et les stratégies nationales qui permettront de lutter contre la pauvreté, la malnutrition… (le PNAN II 2012-2015 est actuellement en cours). Celui-ci a deux objectifs : la réduction de moitié de la malnutrition chronique chez l’enfant et la réduction de la mortalité des enfants de moins de cinq ans. Les actions des ONG (UNICEF, GRET…). Celles-ci seront détaillées par la suite. Et plus récemment le rôle de la société civile (40 organisations) dans le renforcement de la nutrition à Madagascar avec la plateforme HINA (11/2013) « S’investir dans les 1 000 premiers jours de l’enfant pour prévenir la malnutrition chronique » « Les 1 000 premiers jours après la conception de l’enfant sont très importants pour toute sa vie. Les organes sensibles du corps se développent dans les 270 premiers jours. Cette croissance se poursuit dans les 730 jours suivants. Après l’âge de deux ans, cette croissance ne se rattrape plus. La situation devient irréversible. » (docteur arnel andriamasiharijaona, spécialiste en nutrition)


Mille jours définissent en réalité la période de croissance cruciale pour un enfant, c’est-à-dire de la période embryonnaire jusqu’à l’âge de deux ans. Les nutritionnistes calculent cet intervalle en considérant les neuf mois de grossesse (30 jours x 9 mois) équivalant à 270 jours et les deux premières années (365 x 2 ans) à 730 jours. Le total étant 1 000 jours. Durant cette période, une nutrition adéquate garantit la croissance corporelle, intellectuelle, la santé ainsi que la réussite scolaire de l’enfant.


D’autres actions pour lutter contre la malnutrition chronique à Madagascar (express de madagascar – juillet 2014) La spiruline : Considérée comme un « super-aliment », la spiruline, une micro-algue, est extrêmement riche en protéines, fer, béta-carotène (30 fois plus que la carotte), vitamines, minéraux, oligo-éléments… Les gouvernements se penchent d’ailleurs de plus en plus sur cette algue pour lutter contre la malnutrition dans le monde. Elle ne se substitue pas à la nourriture mais aide à limiter les ravages causés par l’insuffisance alimentaire. Depuis 1999, le diocèse de l’église catholique romaine de Morondava, aujourd’hui dirigé par Mgr Fabien Raharilambiniaina, développe une production à grande échelle de spiruline. 3500 m2 aménagé (le plus grand terrain de culture de spiruline de la Grande Ile) afin d’y produire 8,5 tonnes par an. Cette production peut ainsi subvenir aux besoins de 40 000 personnes. La pâte de fruit enrichie en moringa : Le Moringa oleifera est un arbre tropical à usages multiples. Des analyses nutritionnelles ont montré que ses feuilles sont plus riches en vitamines, minéraux et protéines que la plupart des légumes.

Elles contiendraient deux fois plus de protéines que le yaourt, trois fois plus de potassium que la banane, quatre fois plus de calcium que le lait, sept fois plus de vitamine C que les oranges et quatre fois plus de vitamine A que les carottes, et réuniraient les 8 acides aminés essentiels. Les feuilles de Moringa oleifera permettraient donc de lutter contre la malnutrition. D’où le partenariat entre l’Office National de la Nutrition, l’entreprise malgache Homéopharma et des scientifiques dans la mise au point d’une pâte de fruit enrichie en moringa qui produite à grande échelle, constituera un goûter enrichissant pour les élèves de l’enseignement primaire. Zazatomady (« Enfant bien Portant ») : Zazatomady est un projet pilote de fortification alimentaire des bébés (6-23 mois), mené en 2013 par l’UNICEF et l’Office National de la Nutrition (ONN), afin de sauver deux millions d’enfants atteints d’anémie, maladie qui se traduit par un manque de globules rouges dans le sang. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, 25 % de la population mondiale souffre d’anémie. La moitié de ces cas serait attribuable à une carence nutritionnelle en fer mais également en vitamines. Une boite de ce produit est composé de 30 sachets qui contiennent chacun


une quinzaine de micronutriments, notamment de la vitamine C et du fer. Il suffit ensuite de mélanger le contenu du sachet à la nourriture des enfants pour obtenir tous les bénéfices de cette fortification alimentaire. Le produit est destiné à lutter contre la dénutrition dans un pays où l’UNICEF estime que la moitié des enfants souffrent de malnutrition chronique. Le pain enrichi en fer et en vitamines B9 : Dans le même esprit (lutte contre l’anémie, la dénutrition), un partenariat entre l’Office National de la Nutrition, le Ministère de la Santé et l’entreprise Croustipain a permis la réalisation d’un pain enrichi en fer et en vitamines B9. 40 000 pains sont vendus en moyenne chaque jour par cette société.

Nuttributter : Dernier produit en date, Nutributter est un nouveau complément nutritionnel à base de pâte d’arachide, de lait et de poudre de micronutriments pour lutter contre la malnutrition chronique chez 29 000 enfants de 6 à 24 mois (communes d’Itampolo et Fotadrevo, district d’Ampanihy). Le Programme alimentaire mondial des Nations Unies (PAM), le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP), l’Office National de la Nutrition (ONN) et le Ministère de la Santé ont introduit ce nouveau produit dans le cadre du projet Miaro, appuyé par le Canada et les Principautés de Monaco et d’Andorre. « Les associations et ONG soutiennent que les interventions nutritionnelles figurent parmi les meilleurs investissements que peut engager un pays pour son développement. Ils encouragent la promotion des bonnes pratiques nutritionnelles à savoir l’allaitement maternel exclusif et la consommation d’aliments riches en vitamines A et micronutriments ».


Le Gret

et le projet Nutrimad

Dès le début des années 2000, le GRET (ONG française présente à Madagascar depuis 1995) a recherché des solutions innovantes pour améliorer la situation nutritionnelle des enfants de 0 à 24 mois dans le cadre de son projet intitulé Nutrimad. Un état des lieux des besoins de la population a fait ressortir la difficulté pour les familles malgaches (quelque soit leur milieu : urbain ou rural) de préparer facilement et à moindre coût un repas adapté à leurs enfants. Les obstacles étaient les suivants : prix des matières premières agricoles, niveau d’éducation nutritionnelle des populations concernées mais aussi dénuement de celles-ci en terme de moyens nécessaires à la préparation des aliments (énergie chère, eau insalubre, manque d’ustensiles de cuisine). La disponibilité et la qualité de produits agricoles locaux variés n’étaient pas une condition suffisante pour prévenir la malnutrition chez les plus démunis. Même si des farines infantiles de bonne composition nutritionnelle (Cérélac, Farilac, Blédina) se trouvaient sur le marché, elles étaient inaccessibles à une grande majorité de la population du fait de leur prix. Le GRET a alors mis au point en partenariat avec l’IRD (Institut de Recherche) et l’Université d’Antananarivo LABASAN (Laboratoire de Biochimie Appliquée aux Sciences des Aliments et à la Nutrition), la Koba aina. Cette farine infantile, produite par TAF, entreprise agro-alimentaire malgache est conforme aux recommandations internationales les plus récentes pour les enfants de 6 à 24 mois et adaptée à leurs besoins nutritionnels et à leur goût. Elle est vendue à très faible coût dans les quartiers défavorisés des plus grandes villes de Madagascar : Toamasina, Antsirabé, Fianarantsoa et Antananarivo à travers le réseau des Hotelin-jazakely, restaurants pour bébés, sous forme de bouillie. Si cette phase d’expérimentation (projet Nutrimad) a été indispensable pour la mise au point de ce système, il est maintenant important de le porter à plus grande échelle afin de pouvoir répondre à la problématique de la malnutrition chronique qui touche l’ensemble de Madagascar. Ainsi, pour pérenniser et étendre ses actions engagées depuis 15 ans dans la lutte contre la malnutrition, le GRET en partenariat avec quatre autres actionnaires la SIDI, Investisseurs et Partenaires (étrangers) ; TAF, l’APEM (locaux) a créé l’entreprise sociale Nutri’zaza.


Dans la continuité du projet Nutrimad, l’entreprise sociale

Nutri’ zaza. 15 millions de repas (sachet de 35g ou louche) depuis 2000 1,7 millions de repas depuis sa création en 2013 36 000 enfants à l’abri de la malnutrition chronique dans tout Madagascar. Nutri’zaza (Nutriments Enfants) est une entreprise sociale malgache qui a pour objectif dans la continuité du projet Nutrimad le développement du réseau d’Hotelin-jazakely (restaurants pour bébés) et la commercialisation de la Koba aina dans ces derniers mais également dans les réseaux ONG et les circuits traditionnels de distribution (de type épicerie). Elle cherche à rendre le produit accessible à tous (le prix le plus bas), en priorité aux familles défavorisées, tout en étant viable économiquement. Nutri’zaza organise des séances de pesée gratuite le samedi matin pour que les mères puissent suivre la croissance de leur enfant et assure ainsi une surveillance face à la sous-nutrition en sensibilisant celles-ci aux bonnes pratiques d’alimentation, d’hygiène et de soins. Vous avez dit : Entreprise sociale ? L’entreprise sociale est caractérisée tout d’abord par la primauté donnée à la mission sociale qu’elle s’assigne. Elle se différencie nettement des entreprises classiques pour lesquelles le profit est une condition sine qua non, voire l’objectif principal. La seconde caractéristique de l’entreprise sociale est d’adopter une stratégie entrepreneuriale (en utilisant en particulier les outils classiques des entreprises et notamment les approches de marchés pour la définition de leurs biens et services). Sous la forme d’une société anonyme à capital privé de droit malgache, composée de 93 salariés, Nutri’zaza se définit comme une entreprise sociale car elle cumule : — Un objet social : la lutte contre la malnutrition — Un business plan avec des objectifs économiques et entrepreneuriaux — Un engagement fort des actionnaires sur l’investissement des bénéfices dans l’extension du réseau de distribution de la Koba aina — Des critères éthiques (création d’emplois, de revenus et formation des personnels). Le comité d’éthique et de surveillance sociale (composé du Ministère de la Santé, de l’Office National de la Nutrition (ONN), des communes d’intervention, de LABASAN (l’Université d’Antananarivo), des pédiatres, des médecins) a pour objectif de garantir le mandat social de l’entreprise et son implication dans la lutte contre la malnutrition (en suivant les indicateurs sociaux du « livre blanc » de Nutri’zaza, en validant le rapport social de Nutri’zaza).


La Koba aina La Koba Aina, « farine de vie en malgache », est un aliment de complément au lait maternel pour les enfants âgés de 6 à 24 mois. Cette farine infantile est fabriquée localement par l’entreprise agro-alimentaire TAF (également partenaire du projet), à partir de matières premières malgaches : mais, riz, soja, arachide, sucre blanc et sel iodé, mais aussi d’un complément en minéraux et vitamines, selon une formule qui lui confère une composition en nutriments appropriée pour les enfants de 6 à 24 mois. Seuls les minéraux et vitamines sont achetés à l’étranger. Actuellement, la production est de 120 tonnes par an. L’entreprise sociale Nutri’zaza en a l’exclusivité. Commercialisée pour la première fois en 2002, la Koba Aina est conforme aux standards internationaux de qualité les plus stricts tant du point de vue nutritionnel que sanitaire. Il est en cela équivalent à nos farines infantiles européennes : Blédina, Cérélac… La Koba Aina est reconnue et approuvée par l’Office National de la Nutrition (ONN) et le Ministère de la Santé malgaches.

LA RECETTE DU KOBA AINA

Pour préparer du Koba aina, rien de plus facile ! Versez un sachet de 35g (qui correspond à une ration) et une petite tasse d’eau (140 ml) dans une casserole. Portez-la sur un feu doux. Tournez régulièrement pendant 5min. L’eau s’évapore peu à peu (vous êtes sur la bonne voie)… Vous saurez que la Koba aina est bonne, lorsqu’une petite couche de crème se formera sur sa surface. Sa texture doit-être crémeuse, onctueuse, pas trop liquide. Versez le tout dans un bol. Régalez votre enfant ! Et pourquoi pas vous ?


Elle est vendue sous forme de sachet de 35 g dans les épiceries, petites, moyennes et grandes surfaces à 300 ariary soit 0,09 centimes d’euro le sachet, à la louche par les animatrices Nutri’zaza dans les Hotelin-jazakely ou lors des tournées mobiles à 200 ariary soit 0,06 centimes d’euro, la louche (qui est calibrée pour correspondre à un sachet de 35 g) mais également dans le réseau ONG sous d’autres formats (sachet de 1 kg) à d’autres prix. Lorsqu’elle est vendue à la louche, le consommateur des quartiers défavorisés y voit un gain de temps (consommation sur place) et d’argent (le produit est vendu cuit donc pas d’achat de charbon). Afin de rester accessible pour le consommateur, le produit offre le meilleur rapport qualité prix du marché. Pour la même qualité nutritionnelle, la Koba aina est trois fois et demie moins chère que Cérélac et Farilac (concurrents sur le marché) conditionnés en 50 g et 5 fois moins chère que Farilac conditionné en 25 g. Cela s’explique par le coût des matières premières locales, la production sur place à Madagascar, la faible marge commerciale pratiquée par le fabricant TAF et enfin des coûts de fonctionnement réduits. A titre indicatif, il faut savoir que 9 malgaches sur 10 vivent avec moins d’un dollar par jour soit moins de 3000 ar.

La Koba aina se décline sous forme de produits différents en fonction des besoins : la Koba tsinjo, une collation fortifiée pour les enfants d’âge scolaire, la Koba hery, une boullie fortifiée pour les adultes et la Koba pecmam, un repas à haute densité énergétique pour les enfants atteints de malnutrition aigüe modérée. A Madagascar où l’on est le plus souvent dans un contexte de survie, le plus important est d’avoir le ventre plein, d’être rassasié, repu, d’être “voky”. Et c’est en mangeant du riz que l’on a cette sensation. On adapte ce principe à tous, même aux plus petits (les moins de deux ans) qui ont pourtant des besoins nutritionnels spécifiques, différents de nous autres, adultes. Un peu de riz, un peu de brèdes (vary amin’ anana), le tout à moins de 100 ariary (0,03 centimes d’euro). Les mères, souvent par méconnaissance, prennent l’habitude de servir ce repas à leurs enfants mais également du “vary maina” (riz sec) ou du “vary sosoa” (mou) avec du sucre, ce qui entraîne les problèmes de malnutrition chronique dont nous parlons. D’où l’importance des messages d’éducation nutritionnels et d’hygiène (sur les besoins spécifiques des enfants de moins de deux ans : énergétiques, nutritionnels) diffusés dans les Hotelin-jazakely par les animatrices Nutri’zaza ou lors de leurs tournées mobiles.


LE SAVIEZ-VOUS

La Koba aina présente des qualités nutritionnelles élevées : la consommation journalière de deux sachets (2 x 35 g) entre 6 et 12 mois et de trois sachets entre 12 et 24 mois permet de couvrir en moyenne respectivement 39 et 56 % des besoins énergétiques et environ 50 % des apports journaliers recommandés (AJR) en nutriments, le reste étant apporté par le lait maternel. Une étude d’efficacité biologique de la farine a montré que sa consommation deux fois par jour entre l’âge de 6 et 9 mois se traduisait par une croissance en taille de 1,3 cm supérieure à celle d’enfants n’en bénéficiant pas et que sa consommation entre 6 et 12 mois réduisait de 5 % la prévalence du retard de croissance.


Les Hotelin-jazakely : «Restaurants pour bébés » Sous forme de petites maisons colorées en dur mais également sous forme de kiosques métalliques démontables, les Hotelin-jazakely sont implantées dans les quartiers les plus pauvres, proches des bornes fontaines, des marchés (lieux d’affluence et de passage). Elles sont tenues par des animatrices (femmes issues de ces quartiers). En général, elles sont deux par hotelin. L’espace est fonctionnel : des messages (d’hygiène, nutritionnels) sur les murs, un foyer de cuisson au charbon, une paillasse, des marmites, quelques tables, des bancs, des bacs contenant de l’eau, le matériel de pesée (pour le samedi). Une petite pièce attenante est réservée au logement de l’animatrice et de sa famille. L’hotelin est un local sans eau, sans électricité, sans sanitaires à l’image de son quartier (d’où des contrôles d’hygiène réguliers effectués par Nutri’zaza). Les bidonvilles touchent 72% des villes malgaches. 75% des habitants de la capitale récupèrent de l’eau potable dans les bornes fontaines publiques. 1 seau de 10/12 l = 100 ariary ; 1 bidon 20 l = 300ariary. 35 000 femmes vont chaque jour à la rivière pour faire leur lessive. 15% des habitants de la capitale défèquent encore à l’air libre. Sur les pancartes des toilettes publiques, “pipi” = 50 ariary, “caca” = 100 ariary, une douche = 100 ariary. (source d’informations : commune urbaine d’antananarivo, les nations unies) (1 euro = 3 200 ariary). L’ouverture de la première hotelin s’est faite en 2000 à Antananarivo. Depuis cette date, le mouvement s’est amplifié et s’est répandu à la Grande Ile. Antananarivo : 25 hotelin ; Antsirabe : 4 ; Fianarantsoa : 5 ; Toamasina : 3 ; Fénérive-Est : 1 ; Vangaindrano (région sud) : 1). Au total, 40 Hotelin-jazakely tenues par 65 animatrices. Les implantations, définies par le GRET, se font en fonction des besoins des quartiers, avec au moins 400 enfants de 6 à 24 mois (recensement des fokontany). Dans ces lieux, les animatrices préparent, vendent et servent de la bouillie Koba aina (dans un souci de contrôle de la qualité, des échantillons de Koba aina sont analysés chaque mois par un laboratoire indépendant). Elles donnent également aux mamans des conseils sur l’alimentation, l’hygiène, l’allaitement de leurs enfants. Des séances de pesée ont lieu le samedi. Afin de suivre la croissance des enfants, ces séances gratuites sont organisées par des responsables de pesées, des femmes issues du quartier, autres que les animatrices. Elles sont préalablement formées sur la nutrition de base, les divers messages nutritionnels adaptés à la classe d’âge de l’enfant, les modalités de pesées, les différentes règles d’hygiène. Ces séances sont l’occasion de discuter avec les mères sur l’évolution de l’état de santé de leur enfant et de les orienter, si leur état le nécessite, vers des centres de santé.

En 2013 : 180 000 repas vendus par mois ; 2 700 repas vendus par animatrice et par mois ; Plus de 70 emplois créés pour les femmes des quartiers ; Plus de 900 enfants pesés chaque mois.


Les animatrices Nous les avions déjà croisées dans les Hotelin-jazakely, nous les retrouvons maintenant dans les tournées mobiles. Tous les jours (excepté le weekend), après avoir préparé et servi la Koba aina dans les hotelin, les animatrices munies de leur chapeau, tee-shirt Koba aina, facilement reconnaissables dans la foule par leur couleur rouge, un thermos de bouillie chaude (en général 4 kg) dans une main, dans l’autre un seau avec une éponge et quelques coupelles, parcourent, sillonnent, arpentent les quartiers et cela quelque soit le temps : pluie, vent, chaleur, froid. Par temps de pluie, les ruelles sont vite inondées et se révèlent boueuses, glissantes. Elles démarrent pour la plupart très tôt le matin pour que les mères puissent donner du Koba aina à leurs enfants avant d’aller travailler. Chaque animatrice a un quartier défini (urbain, périurbain, rural ; secteur où le GRET a dénombré des besoins). Sur leur passage, ce sont principalement des enfants, mais elles rencontrent également des adultes, des femmes enceintes, des personnes âgées. Elles font ainsi chaque jour des kilomètres pour vendre, être à l’écoute des mamans, leur apporter des informations sur l’hygiène, l’alimentation si celles-ci le demandent.

C’est un métier difficile (physique puisqu’il faut marcher sur de longues distances, porter une charge qui peut être entre 4 kg et 6 kg (1 kg représente 25 louches) et cela quelque soit le temps. Malgré cela, elles sont toujours là, sur le terrain, présentes. Selon certaines enquêtes, dans ce métier, certes la fibre sociale joue un grand rôle mais il y a aussi la reconnaissance sociale que leur apporte ce travail. Les animatrices ont le statut de salarié depuis le 1er Octobre 2014. Auparavant, elles étaient prestataires de service. Une fois, par semaine, une coach les accompagne dans leur périple pour leur donner des conseils et les aider à développer leur vente. Si vous souhaitez les rencontrer et les suivre dans leur périple quotidien, il faut être matinal, en général, sur le terrain dès 6 heures du matin.


Gratuité ou non-gratuité ? La question s’est posée dès le commencement du projet. Peut-on faire payer des pauvres ? Est-il “moral“ de le faire alors que la malnutrition chronique est un problème de santé publique majeur à Madagascar ? Serait-il alors possible de procéder à des distributions gratuites systématiques ? Pourquoi pas ? Ce serait envisageable avec des subventions importantes de la part de l’Etat. Peut-on l’envisager ? Ces questions sont légitimes. Dans le cadre d’une malnutrition aiguë (insuffisance du poids par rapport à la taille), la gratuité joue. Une prise en charge rapide sur quelques semaines avec distribution gratuite systématique d’aliments thérapeutiques suffit à résorber le problème. Dans le cadre d’une malnutrition chronique, le problème se pose différemment. On est sur du long terme. La prise en charge ne se compte ni en semaines, ni en mois mais en années. Il ne s’agit plus d’actions ponctuelles mais d’actions répétées quotidiennement, inlassablement, en continu sur une longue période.

Des estimations ont été faites à ce sujet. A Madagascar, on peut estimer à 96 millions d’euros le coût annuel d’un programme de prévention de la malnutrition chronique qui distribuerait gratuitement et quotidiennement un aliment de complément aux enfants âgés de 6 mois à 24 mois. Selon la loi des Finances 2010, cette dépense représenterait 110 % des dépenses de fonctionnement et d’investissement prévues pour la santé et le planning familial en 2010, dont le montant prévisionnel s’établit autour de 85 millions d’euros (217 milliards d’ariary). Ce coût élevé et récurrent ne paraît donc pas actuellement supportable par l’Etat Malgache. D’où la stratégie de Nutri’zaza de vendre et maintenir ce produit à très bas prix afin de pouvoir toucher ces populations à très faible revenus, sans les mettre en danger dans leur quotidien. Cette stratégie permet aussi de donner les moyens aux familles de nourrir elles-mêmes correctement leurs enfants et de pérenniser ainsi le service.


Les défis de Nutri’zaza pour les cinq prochaines années : — Réaliser 60 nouveaux Hotelin-jazakely ; — Créer 200 emplois d’animatrices ; — S’installer dans 25 nouvelles communes ; — Toucher 850 000 enfants par le programme d’éducation nutritionnelle et de suivi de croissance ; — Nourrir plus de 150 000 enfants par jour ; — Diffuser plus de 44 millions de repas de Koba aina.


Petit mot de la Directrice Générale de Nutri’zaza Et à la question de savoir quels sont les défis qui attendent Nutri’zaza pour les prochaines années, Mieja Vola Rakotonarivo de répondre que beaucoup reste à faire. L’enjeu est de pouvoir étendre dans toutes les grandes villes de Madagascar le concept de l’Hotelin-jazakely et ainsi être accessible aux plus défavorisés de Madagascar. Nutri’zaza et nos produits fortifiés commencent à être connus. Mais le statut d’entreprise sociale reste toujours aussi peu compris par le public et même par certains partenaires de l’entreprise. Des efforts de communication doivent être maintenus et renforcés pour que Nutri’zaza ne soit pas considérée comme une entreprise commerciale comme une autre. (la gazette de la grande île – 27 mai 2014).


J’aimerais que les yeux s’ouvrent. J’ai vécu une expérience professionnelle, humaine, intense, riche. J’ai découvert une problématique – un véritable fléau, un problème majeur de santé publique – la malnutrition chronique. A la Réunion, nous serions plutôt confrontés à l’effet inverse : l’obésité. J’ai également découvert que des moyens de prévention efficaces pouvaient se mettre en place : la Koba aina et le réseau des Hotelin-jazakely. Merci à vous Mieja, Christiane, l’ensemble du personnel de Nutri’zaza, toutes les animatrices, toutes les mamans et enfants… Votre sérieux, votre courage, votre patience, votre disponibilité, vos sourires m’ont touchée. J’ai beaucoup admiré votre force devant tant d’adversité. Vous êtes extraordinnaires. J’aimerais, qu’au travers de ce dossier (les informations, les photos qui bien plus que des mots illustrent de manière “vraie” un environnement, des situations de vie), les yeux s’ouvrent sur les effets désastreux de la malnutrition (qu’elle soit aiguë ou chronique), de ses dangers à long terme, sur toute une population. J’aimerais beaucoup, que comme moi, vous viviez cette expérience. Sonia BADRÉ – Éducatrice spécialisée CUI Conseil Général de la Réunion Octobre 2014

Quelque soit votre statut (organisme, association, particulier), si vous souhaitez, vous aussi, participer à leurs actions, n’hésitez pas à les contacter :

Nutri’zaza

Mieja Vola Rakotonarivo + 261 (0)32 11 008 29 mieja@iris.mg nitrizaza@moov.mg

GRET

Voahangy Christiane Rakotomalala + 261 (0)32 11 008 25 rchristiane@iris.mg www.gret.org



Textes et photos – S. Badré © 2014 \\\ Conception graphique (à titre gracieux) – E. Morand © 2014 \\\ Impression MYE Madagascar.

Rapport de présentation réalisé par l’antenne du Conseil Général de la Réunion à Madagascar


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