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Vieillissement : notre société bat en retraite

EdA - Jacques Duchateau

L’Avenir enquête

Supplément au journal du 13 février 2014


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JEUDI 13 FÉVRIER 2014

Et si on rêvait, le temps d’un instant ?

Environnement

Le chiffre

ANALYSES

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témoins offrent leur regard sur le vieillissement

Dominique VELLANDE

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urables, globales et inclusives : voilà le trait d’union qui devrait caractériser les politiques futures face au vieillissement de notre population. Ce souhait s’exprime au fil de l’éclairage des témoins de ce supplément. Durables parce que les effets pernicieux de politiques, fussent-elles nimbées de générosité, peuvent apparaître plusieurs années plus tard. Le logement, par exemple : avoir valorisé à ce point l’acquisition se révèle aujourd’hui désastreux. Globales parce que les solutions trop ciblées gagnent en lisibilité ce qu’elles perdent en efficacité. Des mesures dédicacées à des tranches d’âge peuvent répondre à des besoins spécifiques mais présentent souvent le défaut d’une approche systémique. L’emploi en est la parfaite illustration : toutes les mesures exhalent bruyamment un renoncement à une vision d’ensemble du marché du travail. Enfin, ceux qui prennent la parole dans ce supplément en appellent à des solutions inclusives. Soit des politiques qui n’opposent pas les uns aux autres. Les idées qui mettent du lien plutôt que de la distance entre générations, il y en a pourtant beaucoup. Ce supplément en suggère quelques-unes. Histoire d’éviter une société qui bat en retraite. Et si on rêvait le temps d’un instant ? ■

«Notre société augmente la dépendance de ses seniors» L’interview Comment faire en sorte que l’allongement de la vie soit utile à tout le monde ? C’est la réflexion d’AGE, une plate-forme rassemblant 165 associations représentant quelque 300 millions de seniors à travers l’Europe.Secrétaire générale d’AGE, Anne-Sophie Parent propose une réponse : adapter l’environnement pour réduire la dépendance des seniors.

Vieillissement : toute l’enquête

Cette semaine

« Ce qui est terrible, c’est qu’on ne comprend pas qu’un environnement adapté à une population plus âgée permet à celle-ci d’être plus autonome. On produit donc de la dépendance et puis on reproche aux seniors qu’ils coûtent cher. » Anne-Sophie PARENT

Lundi 10 février : un Belge sur deux aura bientôt plus de 50 ans. Nous vivrons une situation inédite dans notre société. Mardi 11 février : notre regard aggrave le vieillissement. Une enquête menée par « L’Avenir » en collaboration avec l’ULg montre à quel point nos perceptions sont tronquées. Le vieillissement est associé à un tas d’éléments négatifs. Mercredi 12 février : notre législation est-elle adaptée à cette évolution démographique ? Quel est l’état de richesse ou de précarité chez les plus âgés ? Jeudi 13 février : dans ce supplément, sept témoins privilégiés de notre société et de son vieillissement offrent leur regard.

Retrouvez le dossier complet sur lavenir.net

Interview : Dominique VELLANDE

Anne-Sophie Parent, notre société est-elle prête à vivre cette transition démographique ? Non, parce qu’on n’a pas écouté les démographes et personne n’a voulu voir cette vague qui allait passer de l’autre côté de la barre du monde des actifs. La Belgique est-elle la seule à n’avoir pas anticipé ce phénomène ? Certains pays européens ont vu clair plus vite et ont adapté leur système de pensions ou de soins de santé. Mais je dois admettre que la crise a réveillé les retardataires et a remis cette question au premier plan. Et pas que pour les finances publiques : de nombreuses personnes avaient préparé leur retraite en capitalisant dans des fonds privés : dans certains pays, une bonne partie de leur argent a fondu comme neige au soleil parce qu’on a joué au poker avec. Trente ans d’économie qui partent en fumée pour des gens qui arrivent à la retraite : c’est catastrophique. La solution dont on parle est l’allongement de la durée de la carrière… Nous ne sommes pas contre, et c’est vrai

qu’avant la crise, on aurait allongé d’un an à un an et demi et tout était réglé. Ceci dit, le défi est avant tout de permettre aux travailleurs âgés de rester sur le marché du travail. On leur dit : faites de la place aux jeunes… Oui, c’est ce qui a fait qu’on a envoyé plein de gens en préretraite, surtout parce que les employeurs estimaient qu’ils coûtaient trop cher. Mais le drame, c’est que l’accès au marché n’a pas été pour autant plus accessible aux jeunes. Il y a une détérioration sensible de la qualité des emplois. La solution doit donc être plus globale ? Évidemment, les jeunes sont les seniors de demain. En Italie, ils étudient jusqu’à trente ans parce qu’il n’y a pas de boulot. En Espagne, ils finissent par s’exporter : ils sont bien formés, parlent plusieurs langues et l’Allemagne les accueille à bras ouverts sans avoir investi un euro dans leur éducation. La machine s’enraye. Le système de « Flex-sécurité » a-t-il fait ses preuves ? L’idée était géniale et a très bien fonctionné au Danemark. Le principe est simple : on assouplit les règles d’embauche et de licenciement. Mais dans le second cas, l’entreprise a une obligation importante d’accompagner le travailleur licencié pour qu’il retrouve vite un boulot. Le système était coûteux mais fonctionnait. Le problème, c’est que dans d’autres pays, le lobby des employeurs n’a vu que l’opportunité d’assouplir les règles de licenciement et pas le reste. La crise économique n’a évidemment pas aidé à aller dans l’autre sens. En quoi les solutions politiques globales ont-elles fait défaut ? Le court terme est la vision dominante. Et pourtant, on se rend compte que des effets pervers peuvent apparaître plus tard. En Belgique, c’est le cas du logement. On a encouragé l’accès à la propriété. Très bien. Cela signifie que de nombreux seniors se retrouvent dans des maisons unifamiliales devenues trop grandes mais que le prix des appartements est devenu tellement cher qu’il ne leur est plus possible de troquer leur maison ina-


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Des opportunités

Anne-Sophie Parent :«Il est urgent que notre société adapte son environnement au vieillissement de la population.»

Le vieillissement pourrait contribuer à créer de l’emploi Quelles sont les opportunités du vieillissement ?

Mettre en œuvre tout ce qui permet d’avoir une société dont l’environnement est mieux adapté pourra permettre de créer de l’emploi. Et pas que pour les seniors. Tout le monde pourra y trouver son compte. Croyez-vous dans des solutions intergénérationnelles ?

Prenez un match de football ou une marche Adeps : on y trouve tous les âges et personne ne se pose la question. Même si le phénomène avait déjà démarré avant, la crise a réveillé les consciences : on redécouvre la valeur de la personne âgée. Davantage dans les pays où on souffre beaucoup. Les seniors savent comment faire à manger sans que ça coûte cher. Ils savent réparer un vélo. Pour des jeunes qui ont plutôt le réflexe de jeter quand ça ne va pas, des échanges se redécouvrent. Et en plus, la solidarité va dans les deux sens. Je suis plutôt optimiste, à cet égard. ■ D.V.

Si j’étais politique

Taux d’emploi des seniors : parmi les plus bas d’Europe Quelles devraient être les priorités en Belgique ?

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ÉdA – Jacques Duchateau

ugmenter le taux d’emploi des travailleurs âgés et, en particulier, des femmes de 50 ans et plus (le taux d’emploi des seniors en Belgique est parmi les plus bas dans l’Union européenne). Il faut aussi prévoir des mesures de transition pour atténuer les dégâts collatéraux de certaines réformes sur des groupes plus vulnérables (notamment les femmes) et encourager les investissements visant à créer un environnement adapté au vieillissement de la population. Un nombre croissant de personnes âgées seront dépendantes d’autrui pour leur vie quotidienne en raison du manque d’accessibilité de l’espace public, des transports, des services,... Ce n’est pas le cas dans les pays qui ont incorporé le concept de design-forall. Il faut préserver un bon niveau de soins de santé à un coût abordable en améliorant la prévention et la prise en charge des malades chroniques. ■ D.V.

daptée contre un appartement pourtant bien plus petit mais à proximité des services dont ils ont besoin. On renforce donc leur dépendance et, au final, ça coûte plus cher à la société.

On construit encore de nouvelles gares qui seront inaccessibles pour beaucoup de gens. C’est de la folie. L’accès à la propriété n’était donc pas une bonne solution ? Être propriétaire constitue un complément de revenu à l’âge de la retraite. Mais si on regarde les Pays-Bas, 30 % du logement est public et locatif. Cela facilite la fluidité entre occupants et donc on répond nettement mieux aux besoins de la population. Et pourtant, le taux de pauvreté dans ce pays est l’un des

plus bas d’Europe. Vous parlez d’un environnement pour tous. Vous visez quoi ? Des choses très concrètes. Prenez l’accès aux transports en commun. En Europe, il existe 52 hauteurs de quai dans les gares : nous plaidons pour une harmonisation et un accent plus soutenu à l’égard des personnes à mobilité réduite. Soit dit en passant, ce n’est pas que l’affaire des seniors. C’est pour cette raison que nous parlons de « villes amies de tous ». Êtes-vous entendus ? Des choses commencent à changer mais on construit encore de nouvelles gares qui seront inaccessibles pour beaucoup de gens. C’est de la folie. Quels sont les freins ? On part toujours du constat que l’accessibilité maximale coûte cher. Prévoir une porte d’appartement de 80 cm de large plutôt que 60, c’est plus coûteux lorsqu’il faut faire des

transformations. Si la norme devient 80 cm, les économies d’échelle seront au rendezvous. On ne comprend pas qu’un environnement adapté à une population plus âgée permet à celle-ci d’être plus autonome. On produit donc de la dépendance et puis on reproche aux seniors qu’ils coûtent cher. Les seniors représentent un « marché » important pour beaucoup d’industriels… Certains l’ont compris depuis longtemps. Leur but, c’est de dire : proposons à ceux qui ont les moyens de payer tout ce qu’ils désirent. Notre position, c’est de dire : faisons en sorte que notre environnement permette aux seniors de rester autonomes le plus longtemps possible. Comprendre cela, c’est accepter aussi l’idée qu’on investisse dans cet objectif y compris des fonds publics. On arrive alors à un débat qui dépasse le cadre des pensions ou de la protection sociale. Car ce qu’on paye en améliorant l’environnement, c’est ce qu’on économise en soins de santé ou d’accompagnement. ■


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Et si on soignait enfin le bien-être des plus âgés ?

Le chiffre

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50 % des plus de 85 ans seraient déments

«Dans ma salle, toutes les dames ont perdu dix centimètres en taille parce que personne ne s’est intéressé à elles au moment de la ménopause. Moi, quand j’aurai 80 ans, je veux que toutes les femmes de ma génération puissent se tenir droites. Il n’y a pas de raison de devenir bossues. Cela peut se prévenir.» Thierry PEPERSACK

Santé

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ans vingt ans, il n’y aura quasiment plus que des vieux dans les hôpitaux. Il faudrait s’en rendre compte aujourd’hui. Révolutionner tout ça. Changer de modèle. Investir. Mais le modèle de financement tel que nous le pratiquons dans notre pays freine cette évolution. Les hôpitaux vivent globalement des actes techniques. Ce sont ces derniers qui sont rémunérés. Mais une médecine qui prend son temps avec un patient, qui est dans le dialogue, ne l’est pas, ou très mal, comparativement. Entre les spécialistes d’un organe et les spécialistes de la généralité, comme les gériatres, il y a encore du chemin à faire, des ponts à créer, des habitudes à bousculer. Il reste de nombreux préjugés sur la gériatrie. Peu de jeunes médecins optent pour cette voie. Ceux qui le font sont majoritairement des femmes que cette approche humaine et globale séduit plus. Les gériatres rendent des services tout aussi utiles que les cardiologues. À quoi sert-il de sauver un cœur, si c’est pour repartir dans une vie où l’on reste à moitié bien ? Notre médecine a beaucoup investi pour soigner les enfants, les jeunes, guérir des maladies dévastatrices. Enfin, et seulement, elle s’est intéressée aux plus âgés. À quoi sert une médecine qui permet d’allonger incroyablement la longueur d’une vie, si cette même médecine n’offre pas de réponse pour que ces années gagnées soient vécues dans le bien-être ? ■ C.Ern.

« Nous nous occupons d’une personne globale, avec toutes ses fragilités » L’interview « Allez voir le docteur Pepersack », m’avait-on dit. « Il a une vision décapante et interpellante de la manière dont on doit soigner les aînés. En plus, ce qu’il prône, il le met vraiment en œuvre. » On a poussé la porte de l’Hôpital Érasme. Et on a entendu et vu à quel point c’était vrai.

● Interview : Catherine ERNENS

Repères

Gériatrie, une médecine jeune La gériatrie est très jeune. C’est en 1987, sous l’impulsion de Jean-Luc Dehaene, une législation permettra la création, petit à petit, de structures pluridisciplinaires pour les personnes âgées fragiles au sein des hôpitaux. Ce n’est que depuis 2005 que cette discipline est reconnue comme une spécialité à part entière, nécessitant une formation de 6 années complémentaires au diplôme de médecin. «Nous sommes pionniers dans ce domaine, en Belgique. Nous avons de l’avance sur le reste de l’Europe», souligne Thierry Pepersack. Les hôpitaux belges ont actuellement tous développé un «programme de soins pour la prise en charge du patient gériatrique». Cette volonté politique est toutefois encore confrontée à la pénurie de médecins spécialisés en gériatrie. Quelque 300 gériatres sont reconnus comme tels, dont environ 140 d’expression francophone et 160 néerlandophone. La Belgique compte dès lors en moyenne 1,64 gériatre pour 1000 personnes âgées de 65 ans et plus. La Suède, l’État européen le plus investi dans ce domaine, en compte plus de 4,30 pour 1000 personnes de plus de 65 ans. C.Ern.

Thierry Pepersack, vous êtes chef de service à l’Hôpital Érasme, de l’Université Libre de Bruxelles. Vous êtes l’un des pionniers en gériatrie, médecine mal connue. En quoi consiste-t-elle ?

Il s’agit d’une médecine interne adaptée à la fragilité du patient. On s’intéresse aux personnes âgées fragiles. On évalue leur état de santé de manière préventive en consultation et en hôpital de jour, on les soigne de manière globale en hospitalisation. Vos patients sont donc fragiles.

Oui. Mais la fragilité n’est pas une maladie. C’est un état. L’état de fragilité dont s’occupe la gériatrie n’est pas une question d’âge. Il peut apparaître dès 60 ans mais se rencontre surtout à partir de 80 ans. Toutefois à 90 ans, on peut ne pas être fragile. Cinq critères définissent cet état de fragilité : la perte de poids, la perte de masse musculaire, la sensation de fatigue, la sensation d’épuisement avec le manque de résistance à l’effort, le ralentissement de la marche. Or, la fragilité augmente généralement avec l’âge. Le gériatre travaille pour que cette fragilité ne devienne pas une incapacité. Car la bonne nouvelle, c’est que cet état

de fragilité est un phénomène dynamique. On peut l’inverser. On peut soigner la fragilité. Comment ?

La gériatrie est une approche globale, pas seulement celle d’un organe. Quand les personnes arrivent chez nous pour être hospitalisées, c’est en urgence. Mais il n’y a pas que cette urgence. Il y a un contexte global et social sur lequel il faut travailler. Ces personnes ont aussi, souvent, perdu leur conjoint ou leur animal de compagnie. Nos patients ont un peu de tout. Si on ne soigne que l’organe malade, c’est une catastrophe. Nos patients ont entre 6 et 10 maladies. Peuvent-ils rentrer chez eux sans qu’on ait soigné l’ensemble ? Non. C’est à cela que sert la gériatrie. Comment s’organise votre service ?

Nous avons une approche globale avec une équipe pluridisciplinaire formée spécifiquement aux plus âgés. Un kiné, un diététicien, un ergothérapeute, un psychologue, un assistant social… La gériatrie est un beau modèle psychomédicosocial. On soigne la qualité de vie des plus âgés. On ne s’occupe pas que d’un organe malade mais d’une personne. C’est le plus beau métier du monde. Le département de gériatrie, c’est quand même aussi un mouroir.

C’est l’inverse. Un an après le passage des patients en gériatrie, la mortalité est de 24 %. En «salle d’organe » (la cardiologie, par exemple), la mortalité est de 48 %. Nos patients passés en gériatrie seront moins souvent mis en maison de repos ou réhospitalisés. C’est aussi une question de finances publiques. Chaque contribuable paie 15 000 € par an avec ses impôts pour financer un patient dans une maison de repos et de soins. On peut tout soigner ? Tout prévenir ?

Les vraies limites à bien vieillir aujourd’hui sont le tabac, l’obésité et la sédentarité. Nos hôpitaux sont remplis en hiver de personnes bronchitiques qui étouffent la nuit en rapport à une bronchite chronique tabagique et de maladies cardiovasculaires. Et l’obésité favorise le développement des démences. En Belgique, dans les études les plus pessimistes, à 85 ans, 50 % des personnes sont démentes. À 80 ans, 90 % des personnes souffrent de ma-


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17 000 fractures de hanche l’an

Ce n’est pas normal de tomber parce qu’on est âgé ! Le docteur Thierry Pepersack plaide, insiste, prévient : c’est dans la prévention qu’il faut mettre aujourd’hui les moyens. Avant le drame. Avant, par exemple, la chute conduisant à une fracture de hanche chez la personne âgée. Et le gériatre d’expliquer : « Les gens ont moins d’équilibre en vieillissant. Si votre grand-mère est moins stable, c’est normal. Mais si elle chute, ça ne l’est pas. Deux tiers des chutes sont susceptibles d’être évitées. On compte 17 000 fractures de hanche par an en Belgique. Nous, en gériatrie, on récupère ces patients bien souvent, trop tardivement alors qu’aucune prévention n’a été instaurée en amont. S’il y a chute, c’est peut-être lié à un problème de cataracte qu’il s’agit de repérer et d’opérer avant la chute. Il faut lutter contre le fatalisme. Ce n’est pas normal de tomber parce qu’on est âgé. Mais la moitié des plus de 60 ans prennent, entre autres, un somnifère qui va leur faire perdre l’équilibre s’ils se relèvent la nuit. » ■ C . E rn .

Quand j’aurai 80 ans

ÉdA – Jacques Duchateau

La souffrance est toujours une urgence médicale

«Seuls 30 % des plus de 80 ans reçoivent du calcium et de la vitamineD. Or quasi tous en ont besoin», dénonce le Dr Pepersack.

ladies chroniques. L’exercice physique est favorable pour tous et pour tout, y compris les fonctions cognitives. On prépare son vieillissement à la naissance, et même avant : si la maman fume et boit, elle met en péril le bébé. Mais nous sommes génétiquement programmés pour vivre jusqu’à, en moyenne, cent ans. Après cent ans, les cellules cessent de se répliquer. À cent ans, il y a un «suicide programmé » (apoptose) des cellules qui ne se reproduisent plus. Mais avant cela, tout est possible. On peut tous espérer vivre jusqu’à cent ans ?

Oui. Au XXe siècle, l’espérance de vie a fait un bond de 30 ans. C’est du jamais vu et c’est grâce à la médecine et à l’évolution psychosanitaire. Mais les fumeurs, les obèses et les personnes sous antidépresseurs pendant des années se préparent à mal vieillir. Et les deux écueils face auxquels on est encore désemparés, et pour lesquels il faut investir, sont la démence et l’arthrose. Tout le reste peut être dépisté et soigné. C’est ici qu’intervient le gériatre.

Voilà. Une personne de 80 ans qui vit chez elle

va encore avoir huit ans de vie devant elle. Mais elle sera quatre ans, bien, et quatre ans, grabataire, parce qu’on n’aura pas traité en amont son problème d’ostéoporose, d’hypertension, de diabète… Mais si à 80 ans, on lui donne du calcium, de la vitamine D, on l’incite à sortir, à faire de la kiné, elle pourra vivre huit ans en échappant à une complication de l’ostéoporose comme la fracture du col, et donc rester autonome. Pourquoi cela ne se passe-t-il pas mieux, alors ?

La gériatrie est une science relativement nouvelle et la formation des médecins de famille aux concepts de la gériatrie (détection de la fragilité, reconnaissance des syndromes gériatriques, compression de la morbidité) reste probablement encore insuffisante. Or ce sont eux qui sont en première ligne pour promouvoir la prévention. Les personnes âgées ont des symptômes atypiques. Elles peuvent faire une pneumonie sans faire de température, par exemple. 20 à 30 % des admissions des plus de 80 ans sont liées aux médicaments administrés parce que les médecins méconnaissent les interactivités des médicaments chez des patients fragiles.

On dit«ma petite dame, vous avez mal mais vous n’êtes plus une jeune fille». On entend cela tous les jours. Cela fâche Thierry Pepersack. «Je ne veux plus entendre ça. C’est de la maltraitance et de la banalisation de la souffrance. La douleur ne fait pas partie du vieillissement. La douleur signe la présence d’une maladie (tassement vertébral sur ostéoporose par exemple) et non du vieillissement en soi. Il convient donc de rechercher la cause de la douleur et la traiter. C’est une urgence médicale qu’il s’agit de soigner. Toujours. Si on ne le fait pas tout de suite, la personne se replie, ne bouge plus et son état se complique. Dans ma salle, toutes les dames ont perdu dix centimètres en taille parce que personne ne s’est intéressé à elles au moment de la ménopause. Elles ont fait de l’ostéoporose. Moi, quand j’aurai 80 ans, je veux que toutes les femmes de ma génération puissent se tenir droites. Il n’y a pas de raison de devenir bossues. Cela peut se prévenir. Les vieux de demain ne seront pas ceux d’aujourd’hui si on fait de la prévention, si on traite toutes les fragilités, si on prend le temps.» ■ C.Ern.

On donne trop de médicaments aux aînés et on en oublie aussi.. Les prescriptions inappropriées de médicaments sont un gros souci.

Oui. Y compris la sous-prescription. Seuls 30 % des plus de 80 ans reçoivent du calcium et de la vitamine D. Or quasi tous en ont besoin. Et on oublie de s’intéresser à leur contexte de vie. 12 à 30 % des plus de 80 ans sont maltraités, essentiellement psychologiquement. Mais dans 5 % des cas, c’est physiquement. Si on ferme les yeux, c’est la loi du silence. À 80 ans, la dépression est vécue comme une maladie honteuse. C’est une question de génération aussi. C’est comme si vous leur disiez qu’ils avaient la syphilis. Aux garçons de 84 ans, on a appris à ne pas pleurer. Or la dépression affecte gravement la vie des personnes. Si vous ne la détectez pas, c’est de la maltraitance. Ou prenez l’incontinence. Un patient hospitalisé est coincé la nuit, il appelle, on ne vient pas, il fait dans son lit. On va lui mettre des langes le reste de sa vie alors que c’était un accident. C’est de la maltraitance. Et puis, la gériatrie doit aussi s’occuper de la famille et prévenir le burn-out des familles. ■


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Maltraitance

Et si on changeait aussi de vocabulaire ?

Le chiffre

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voir un autre regard sur la vieillesse peut supposer le recours à un vocabulaire alternatif. Car le champ sémantique est lourd de sous-entendus. À commencer par la notion même de « vieillissement de la société ». À l’époque où cette dénomination est apparue, elle n’était pas innocente dès lors qu’il fallait inspirer plus de fécondité. Agiter le spectre du vieillissement comme un épouvantail en l’associant à une forme d’obsolescence était donc stratégique. En tout cas, ce n’était pas neutre. Mais que penser du terme de « placement » en maisons de repos ? Reste-t-on encore une personne lorsqu’on fait l’objet d’un « placement » ? Là encore, la barque du sens commun est aussi chargée que stigmatisante. Le vocabulaire usuel devient encore plus curieux lorsqu’une personne âgée vit chez elle. On parle alors de « maintien à domicile ». Parler de maintien ne suggère-t-il pas une forme de contention voire même de coercition ? Singulier, non ? Les sceptiques ricaneront et rappelleront, sans avoir vraiment tort, que depuis que les sourds ont été rebaptisés en malentendants, leurs capacités auditives ne se sont pas améliorées. Encore ne faut-il pas confondre le politiquement correct et le simple respect. ■

70 %

« La vision de la personne âgée qui retombe en enfance est prégnante. À Pâques, on met des poussins dans de très nombreuses maisons de repos. Pas sûr que ce soit le choix des résidents… »

des cas de maltraitance sont décelés en milieu intra-familial

Valentine CHARLOT et Caroline GUFFENS

Déshumanisation, rentabilité, facilité : les nouvelles menaces L’interview Sous la douceur du propos, il y a une colère sourde. C’est l’indignation qui a conduit deux jeunes femmes à créer l’ASBL «Le Bien Vieillir», à Namur.Indignation de voir à quel

par flirter avec la maltraitance.

Comment se traduit l’âgisme que vous dénoncez ?

Et surtout que la prise en charge

Interview : Dominique VELLANDE

Valentine Charlot et Caroline Guffens, votre regard sur la façon dont les personnes âgées sont traitées vous indigne à ce point ?

Confiance

Un chiffre à relativiser car le nombre de personnes en institution est très inférieur à celui de celles qui n’y sont pas. « La maltraitance est définie par une violence, physique ou psychique, qui s’exerce dans le cadre d’une relation de confiance », précise le responsable de Respect Seniors. L’association reçoit 2 000 à 3 000 appels par an. Mais une enquête réalisée auprès de personnes âgées faisait état de 25 % de celles-ci s’estimant victimes de maltraitance. D.V .

Ce regard est-il mal intentionné ?

plutôt que l’accompagnement finit

pas la place qu’elles méritent.

Chez Respect Seniors, association chargée par la Région wallonne de détecter et trouver des solutions aux cas de maltraitance, on rappelle que les situations de maltraitance de personnes âgées sont observées plus souvent dans le milieu familial. « 70 % des appels que nous recevons proviennent de personnes qui ne sont pas en institution », explique Dominique Langendries, directeur de Respect Seniors.

Oui et non.Nous y avons travaillé et nous avons vu. C’est ce qui nous a décidées à proposer des formations pour les professionnels. Mais ils ne sont pas les seuls à devoir changer de regard : l’entourage familial a un rôle à jouer. Il ne faut ni idéaliser le domicile ni diaboliser les maisons de repos. Non.Tout part de bons sentiments.C’est d’ailleurs pour cette raison que le changement est difficile.On entend parfois des professionnels dire : «Je traite cette personne comme si elle était ma mère». Le biais, c’est que cette phrase traduit une projection de ses propres valeurs : on agit pour le bien de l’autre mais sans lui donner la capacité de donner son avis.

point les personnes âgées n’ont

D.V.

Maltraitance intrafamiliale

des maisons de repos ?

Oui, clairement.Notre combat ne vise pas les maltraitances évidentes.Elles existent mais nous luttons avant tout contre celles qui ont fini par devenir plus insidieuses et surtout banalisées. Quel est le fil rouge de votre démarche ?

D’abord, il faut en finir avec la question de l’âge et parler de personnes et de leurs besoins.Il faut aussi accepter qu’il y a des vieillesses et non un modèle qui s’impose à tous. Concrètement ?

Cela commence par combattre des clichés solidement ancrés.Comme considérer qu’il est normal de servir de la nourriture en bouillie à des personnes de 85 ans.Ce que nous observons, c’est un déni de l’autonomie de la personne.Cette idée qu’à partir d’un certain âge, une personne n’est plus capable de savoir ce qui est bon pour elle, nous ne sommes pas d’accord. Vous visez plus particulièrement l’environnement

Cet âgisme induit d’abord l’idée qu’il n’y a qu’une bonne façon de vieillir.Il y a comme une forme d’injonction : quand on a 65 ans, on voyage, on est inscrit à un club de sports, on a des amis.À défaut de cela, deviendrait-on un «mauvais vieux» ? Un raté ? Quelle existence et quelle considération la société nous octroiet-elle encore ? N’est-ce pas un peu caricatural ?

Pas du tout.La vision de la personne âgée qui retombe en enfance est prégnante. Bavoirs, langes, bouillie, incapacité à discerner les dangers et sécurité.À Pâques, on met des poussins dans de très nombreuses maisons de repos. Pas sûr que ce soit le choix des résidents. Vous parliez de maltraitance insidieuse…

Il faut d’abord être d’accord sur un principe : le fait d’être âgé ne vous retire en soi aucun droit et les besoins dépassent le fait d’être logé ou nourri.Il y a d’autres besoins : le contact, la reconnaissance. Ces besoins, pourtant fondamentaux, sont rarement rencontrés dans beaucoup d’institutions. Pourtant, les maisons de repos se sont modernisées, non ?

On peut parler d’une certaine professionnalisation. Mais pourquoi les construire dans des endroits isolés plutôt qu’au cœur des villes et des villages ?Pourquoi ressemblent-elles si souvent à des hôpitaux avec des chambres en


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JEUDI 13 FÉVRIER 2014 Caroline Guffens et Valentine Charlot ont été indignées par la réalité dans certaines maisons de repos.

Grosses structures

On place les gens comme des cageots d’oranges

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es responsables de l’ASBL « Le bien vieillir » se désolent de voir le développement du marché des maisons de repos. « On voit sortir de terre de gros ensembles. L’individualité y est niée à tous les étages et dans tous les coins. Ce sont des entreprises qui gèrent les personnes comme si elles étaient des cageots d’oranges. On voit une dérive énorme où c’est l’anonymat qui règne », expliquent Valentine Charlot et Caroline Guffens. Faut-il privilégier les petites structures ? « A priori oui mais nous sommes conscientes que ce n’est pas la direction qui est prise. Ce sont évidemment des raisons économiques. Pourtant, si on accepte que l’âgisme a un coût énorme pour la société, le principe de petites structures avec un accompagnement mieux ciblé et pas une prise en charge qui prive la personne de toute autonomie, peut tenir la route, même financièrement. » ■ D.V.

Si j’étais politique

On distribue des dispenses électorales à la pelle

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ÉdA – Jacques Duchateau

econnaître l’autonomie de la personne âgée, c’est aussi lui permettre d’exercer sa citoyenneté. «Comment expliquer que l’on distribue des dispenses électorales à la pelle dans les maisons de repos ?Le message aux personnes, c’est : “ Vous n’avez plus rien à dire ”. Parfois, on ne demande même pas aux personnes si elles ont envie d’aller voter.On part du principe que ça va les embêter et qu’elles seront contentes de recevoir cette dispense », expliquent les responsables de l’ASBL «Le Bien Vieillir.» Mais cela ne suffirait pas. «Retirer la cloche et dire que ça va aller tout seul, c’est ridicule. Il faut que les politiques viennent dans les maisons de repos et pas que pour serrer des mains.Ils doivent venir exposer leurs idées. Ce serait une belle occasion pour ces mandataires de constater que leurs beaux discours sur le qualitatif de l’accompagnement ne se traduisent pas par des moyens importants.Généralement, on préfère mettre l’argent dans le curatif. Les accompagnements respectueux, qui demandent de se questionner sur les comportements, d’essayer de les comprendre pour en supprimer la cause ne sont pas encore assez répandus.Contention, sécurité et surmédication sont encore trop souvent utilisés ». ■ D.V.

enfilade dans des longs couloirs ? Dernièrement, on a pu voir dans une nouvelle construction où, dans toutes les chambres, les télés étaient fixées en hauteur : on partait du principe que les personnes devaient être couchées pour la regarder. On n’est finalement pas loin d’un retour aux hospices.Mais dans une version un peu plus moderne.

c’est une organisation qui doit être rentable.L’équilibre financier réclame une gestion rationnelle. Prendre quelques minutes pour parler avec un résident qui a le cafard, c’est transgresser le principe d’une toilette minutée.

Avez-vous le sentiment qu’il existe néanmoins des structures idéales ?

Plus la personne est dépendante et plus le financement public est élevé.C’est un cercle vicieux car il inhibe les efforts que l’on peut faire pour éviter qu’une personne devienne dépendante.

Idéales, certainement pas. Mais nous rencontrons de plus en plus des endroits où on réfléchit davantage. Des lieux où la personne revient plus au centre des préoccupations. Ce sont des maisons où le collectif n’écrase pas l’individu. Mais souvent cette réflexion est liée à la personnalité de la direction. Le personnel ne peut-il pas également apporter des changements ?

Nous sentons une grande résignation chez les professionnels.Certains ont des idées puis se découragent.Ils ont le sentiment de ramer à contre-courant.Et puis, une maison de repos,

L’équilibre entre rentabilité et humanité est sans doute difficile à trouver…

Un exemple pour illustrer ?

Il y a un tas.On dit à la personne :«Vous avez besoin de kiné» puis on la met sur une chaise roulante pour se rendre au cabinet : ça prendra trop de temps si on l’accompagne alors qu’elle sait encore marcher mais lentement. C’est un peu une révolution, ce que vous voulez ?

Non, nous ne croyons pas à une révolution mais plutôt à des évolutions. On ne changera

pas le monde en un instant. Nous ne sommes d’ailleurs pas très optimistes car nous percevons comme un recul. Par contre, l’augmentation du nombre de personnes âgées est une opportunité pour concentrer davantage de réflexions et d’actions pour leur rendre une vraie place. Cela peut paraître théorique…

Non.Prenez le cas de la maladie d’Alzheimer.Elle véhicule un tas de stéréotypes.On peut très bien vivre avec cette maladie pendant des années.Mais les gens l’associent à de la démence dans son sens commun : folie, perte de raison, comportements indignes, violence.Même les malades eux-mêmes ont cette impression.Nous avons des patients qui nous disent :«À votre avis, quand est-ce que je vais devenir agressif ?» C’est une erreur terrible de vouloir tout raccrocher à la maladie. Elle devient alors un prisme qui peut se résumer à cela : «Si elle est triste, c’est parce qu’elle est malade.Si elle crie, c’est sa maladie.»Alors que l’explication peut franchement se trouver ailleurs. ■


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« Allonger l’âge de la retraite pour tous, c’est diminuer le nombre de personnes âgées qui peuvent jouer un rôle utile à la société. Je préfère un système de seconde carrière accessible à ceux qui le souhaitent. »

Et si on s’était complètement trompé ?

Le chiffre

BÉBÉS

11,5 naissances par 1 000 habitants

Michel LORIAUX

Natalité

N

otre société ne serait-elle bonne qu’à réduire en miettes les acquis liés autour de la solidarité entre les individus ? Serait-elle devenue tyrannique au point de pulvériser toute idée d’harmonie entre générations ? La réponse est non. D’autres combats ont permis des avancées. Depuis l’après-guerre, les femmes ont acquis une place plus légitime, une égalité mieux reconnue. Les personnes handicapées ont elles aussi bénéficié d’un meilleur accompagnement. D’une vraie place. Comment expliquer alors qu’en ce qui concerne la personne âgée, des signes de régression sociale puissent ainsi apparaître ? L’analyse de Michel Loriaux apporte une réponse éclairante : on s’est trompé de cap, tout simplement. En déployant vainement des trésors d’imagination pour galvaniser les géniteurs et les génitrices, on a perdu un temps précieux en occultant l’inéluctable d’une société vieillissante. On a traité ce vieillissement comme s’il se résumait à une maladie. À un ensemble de symptômes qu’il suffisait de traiter. Sans organiser une société mieux adaptée à son évolution démographique. Mais acquiescer à ce constat intellectuellement séduisant suggère aussi l’urgence de solutions adéquates. Car, dans cette hypothèse, un temps précieux a été perdu. ■ D.V.

« L’obsession de la dénatalité nous a empêchés de voir clair » L’interview Cela fait des années qu’il rame à contre-courant des thèses natalistes. Professeur émérite de l’UCL, le démographe Michel Loriaux analyse une société qui refuse son vieillissement. Une société qui, aveuglée par une politique résolument nataliste, se retrouve avec des générations sous tension et non connectées.

Interview : Dominique VELLANDE

une conjoncture particulière et qui a de fait un peu augmenté la natalité. Mais le mouvement long était plutôt une natalité baissière. Cette politique nataliste, c’était quand même du bon sens, non ?

Pour la comprendre, il faut se rappeler qu’elle est d’abord synonyme de survie.Il fallait des bras pour travailler la terre et se nourrir. Cette vision est encore fort présente alors qu’elle est dénuée de fondement dans notre société depuis bien longtemps. La politique migratoire n’était rien d’autre : nous n’avons pas assez d’enfants, faisons venir de la main-d’œuvre, le résultat sera pareil. Pourquoi avez-vous refusé cette thèse ?

J’étais de plus en plus préoccupé par cette image que le vieillissement était considéré comme un mal.Alfred Sauvy parlait d’un «cancer social», d’un «mal anesthésiant ». Il parlait d’une société qui risquait de perdre son dynamisme et que la gérontocratie allait s’installer. C’était bien argumenté et donc difficile à combattre. Mais vous l’avez quand même combattu…

Michel Loriaux, est ce que le vieillissement de notre société est un vrai problème ?

Bruxelles

11,5 bébés pour 1 000 habitants Le taux de natalité se calcule par le nombre d’enfants pour 1 000 habitants. En Belgique, les derniers chiffres de l’Iweps évoquent un taux de 11,5 %. Une légère disparité entre Flandre et Wallonie : la première atteint 10,8 bébés/1 000 habitants tandis que la seconde arrive à 11,2. C’est à Bruxelles que ce taux dépasse largement cette moyenne avec un score de 16,2 enfants pour 1 000 habitants. Ce qui fait de notre capitale l’endroit qui «vieillit» le moins de la Belgique. Le seuil de renouvellement (le nombre de naissances s’équilibre avec le nombre de décès) est de 2,1 enfant par femme. La baisse de la natalité frappe surtout le Japon avec un taux de 8,10 enfants/1 000 habitants.Et c’est de fait le pays le plus concerné par le vieillissement de sa population. A contrario, les champions de la natalité se trouvent au Nigeria et au Mali avec respectivement un taux de 49,62 % et de 49,38 %.D.V.

Évidemment que non.Même le vieillissement individuel n’est pas un problème fondamental. Aujourd’hui, on ne parle plus que de la charge des pensions.C’est exagéré. Comment revenir à une pyramide des âges plus équilibrée ?

Ce n’est pas un objectif en soi.Nous sommes encore pétris par le principe que la solution se trouve dans une natalité croissante.Cela fait plus 40 ans que je dis le contraire. Pour quelle raison ?

Après la guerre, on a rapidement parlé du vieillissement de la population. Et à l’époque, la Wallonie vivait une situation plus délicate que la France. Alfred Sauvy, un démographe français, avait été appelé au chevet de la Wallonie et son rapport fit grand bruit.Il était alarmiste : si les Wallons ne refaisaient pas des bébés, on courait à la catastrophe. Le baby-boom a été une réponse, non ?

Non, ce fut juste une courte période ?C’était

Oui, en parlant de «révolution grise ».L’idée, c’était de dire que vieillir était d’abord une chance, tant sur le plan individuel que collectif.Cela me paraissait plus cohérent : on saluait les progrès de la médecine, pourquoi fallait-il en stigmatiser les résultats ? Je pensais aussi qu’une société qui vieillit peut mieux s’adapter à son environnement collectif. Et donc vous proposiez quoi ?

Il fallait changer le paradigme : adaptons notre société à son évolution démographique et non l’inverse. J’admets que c’était plus facile à dire qu’à faire.Mais c’était aussi plus facile d’augmenter les allocations familiales du troisième enfant ou de faire venir de la main-d’œuvre étrangère que de changer profondément le fonctionnement de la société. Avez-vous été entendu ?

Pour être honnête, en partie seulement.C’était vraiment très sensible.Beaucoup de gens ironisaient.Quand on me croisait, on me disait : «Comment va votre révolution grise ». Je me disais : « Merde, es-


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Une solidarité invisible

Michel Loriaux : « Il faut des reconquêtes » Vous prônez plus de solidarité entre générations. Qu’est-ce qui coince ?

Ces solidarités sont à reconstruire car elles sont basées sur des échanges aveugles. Le contrat social n’est plus clair, il s’est effiloché. Quand les protections sociales ont été acquises, c’était à l’issue de combats avec des objectifs clairs. Aujourd’hui, ce sont des acquis qui sont devenus naturels. Et donc le fossé se creuse entre générations. C’est l’individualisme que vous remettez en cause ?

Il est lié au bien-être. Je ne juge pas. Mais les gens ont le sentiment qu’ils doivent avant tout jouer leur carte personnelle. La solidarité est vécue comme un artifice voire un frein à l’épanouissement personnel. Se sentir solidaire, cela semble opposé à la sacro-sainte liberté individuelle. Il faut donc des reconquêtes pour un mieux-vivre ensemble. ■ D.V.

Boucs émissaires

On a expulsé la mort à tous les étages. Sauf un… Est-ce que les difficultés du vieillissement de notre société sont liées à son rapport à la mort ?

Je le pense profondément. Auparavant, la mort était présente à toutes les étapes de la vie. Elle était quasiment distribuée de façon homogène. De nombreux enfants mouraient, des femmes décédaient en plein accouchement, des tas de maladies ne se soignaient pas.

ÉdA – Jacques Duchateau

Ce n’est plus le cas aujourd’hui…

Et c’est évidemment une chance, les progrès de la médecine ont fini par quasiment évacuer la mort de tous les étages de la vie. Il ne reste plus que les personnes âgées pour cristalliser ou incarner le côté inéluctable de la mort. À cet égard, je pense même qu’elles en sont devenues des boucs émissaires. Un peu comme si on leur reprochait de mourir. Regardez tous les discours sur les progrès de la médecine : ils entretiennent cette idée d’immortalité. ■ D.V.

À73 ans, Michel Loriaux persiste et signe : organisons notre société en fonction de sa démographie et non l’inverse.

pèce d’enfoiré… ».Avec le recul, je pense que ma faiblesse, c’est d’avoir mis trop en avant les avantages d’une société vieillissante et d’occulter les inconvénients.Mais il fallait faire bouger les lignes. Qu’est-ce qui a changé depuis ?

Tout d’abord, la médecine a fini par se pencher sur les personnes âgées.Auparavant,

Déjà après la guerre, le vieillissement de la société était considéré comme un mal. Alfred Sauvy parlait d’un cancer social. tout le monde s’en foutait : les enfants et les jeunes étaient la priorité. Même si la médecine considère encore trop souvent la vieillesse comme une série de problèmes à traiter.Mais bon, il y a aussi d’autres bonnes choses qui sont apparues : comme davantage de respect de l’autonomie de la per-

sonne âgée. Par contre, je suis plus pessimiste sur les relations entre générations. Là, j’ai même tendance à dire qu’on a régressé depuis quelques années.La crise que nous vivons a crispé l’intergénérationnel. Mais au moins, le dogme de la natalité à tous crins est un peu estompé…

Pas vraiment.Là aussi, j’entends certains discours natalistes revenir en force. Même la Commission européenne a fait des rapports pour asséner qu’il n’y a pas de croissance économique sans croissance démographique.C’est d’une brutalité incroyable. Pourquoi ?

Allez expliquer cela aux pays du Sud ! Ils font des enfants sans pour autant vivre la croissance économique. Les modèles que l’Europe persiste à prôner sont basés sur des liens de causalité : pas d’enfants, pas de richesse.C’est complètement archaïque comme raisonnement. Et pourtant, ces discours trouvent toujours des échos favorables. ■

Si j’étais politique

Que les personnes âgées fassent une OPA sur le social Comment traduire votre analyse en actes politiques ?

Tout d’abord, il faut encourager bien mieux les projets intergénérationnels. Pas que de façon cosmétique. Deux, à force de parler des retraites, on risque de détricoter tout le système.Les publicités pour les pensions extralégales sont exagérées et stigmatisantes. Mon troisième souhait, c’est organiser davantage la société pour réduire les inégalités entre les gens.Donc aussi entre personnes âgées.Le fossé se creuse terriblement. Quatre : les pays nordiques ont mieux réfléchi sur la place des personnes âgées que chez nous.Notamment au sein des entreprises où le travailleur âgé a encore une vraie place. Chez nous, on a baissé les bras, même les syndicats. Enfin, travaillons sur l’idée d’une deuxième carrière. Il y a des tas de secteurs que l’État abandonne faute de moyens et que le privé n’investit pas faute d’une rentabilité garantie. Moi je dis : «Que les personnes âgées fassent une OPA sur tous ces secteurs !» Notamment dans le social. ■ D.V.


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Et si les jeunes envoyaient promener les pensions ?

Le chiffre

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Pensions

Q

uel monde nous préparons-nous ? Le poids démographique donne un sentiment d’étouffement aux nouvelles générations. On ne peut écarter le danger d’une révolte, à terme. Les conflits aujourd’hui se limitent à quelques plaintes étouffées. Mais jusqu’à quand ? Les Golden sixties, leur pleinemploi, leurs droits à la prépension, risquent de faire baver d’envie. Les droits (dits) acquis des plus âgés pourraient devenir une bombe sociale si on presse les plus jeunes comme des citrons pour les maintenir. Des plus jeunes qui verraient dans le même temps rétrécir leur propre accès aux mêmes droits. Et ceux qui savent déjà aujourd’hui qu’ils auront un mal fou à comptabiliser 45 ans de carrière commencent à gémir. Le chômage des jeunes monte. La précarité augmente. Les conditions sociales se lézardent. Et pourtant, les enfants de la période « dorée » (« les baby-boomers ») restent les maîtres. L’ordre établi ne sert que leurs propres intérêts et la jeunesse désespérée est en train de perdre confiance. On ne peut pas faire fi des conflits de génération à venir. Les anciens devront alors, tôt ou tard, rendre des comptes. Qu’avezvous fait pour rendre nos et vos pensions payables ? Qu’avezvous imaginé pour maintenir un système de financement des pensions, et des vieux jours de manière globale ? ■ C.Ern.

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«Il faut faire un “ pacte des vieux jours ” comme on a fait le “ pacte scolaire ”. Un pacte qui lierait tous les partis responsables pour vingt ans. Donc pas de chambardement à chaque élection, certainement pas sur le plan institutionnel, si on veut faire face aux enjeux démographiques.» Mark EYSKENS

millions d’immigrés par an : ce que l’Europe devrait accueillir, selon Mark Eyskens

«Le plus gros problème, c’est le manque d’immigration» L’interview A l’heure où la Suisse envoie promener l’immigration et crée le malaise en Europe, Mark Eyskens ose. Face au vieillissement démographique, il prône l’immigration de masse, mais sélective. Mark Eyskens, 80 ans, aussi flamand que vieille France, est l’un des «grands sages» de notre pays. Il prône des politiques stables et durables. Mais il n’hésite pas à déranger.

Interview : Catherine ERNENS

Mark Eyskens, comment allons-nous payer les pensions des générations futures ? N’avons-nous pas été imprévoyants ?

Systèmes

Répartition et capitalisation En Europe, les systèmes de financement des retraites diffèrent selon le pays. À une extrémité du spectre, on trouve les pays ayant adopté un pur système de répartition, dans lequel les retraites d’aujourd’hui sont entièrement payées par la population active (comme en Belgique). À l’autre extrémité, se trouvent les pays où chaque habitant met de l’argent de côté pour sa retraite et où le montant de celle-ci dépend du rendement des placements. Le système des Pays-Bas, unique en son genre, est intermédiaire. Il est l’un des systèmes où le poids historique des fonds de pension, même s’ils sont facultatifs, est le plus important. Les retraites complémentaires représentent 32 % du total des retraites, en étant accessibles à 85 % des salariés du secteur privé. Ce poids des retraites par capitalisation n’a pas d’équivalent en Europe continentale. Par ailleurs, l’Etat néerlandais garantit une pension de base plus ou moins équivalente à nos pensions versées par l’État belge. C.Ern.

Il est vrai que, par rapport à nous, les Pays-Bas ont constitué d’immenses réserves. Elles étaient extrêmement bien gérées jusqu’il y a cinq ans car elles ont souffert énormément de la crise. Donc notre système de financement des pensions n’est finalement pas si mauvais à condition qu’il y ait autant de jeunes actifs que de pensionnés. Ce ne sera plus le cas.

Non. Pour cette raison, pour payer les pensions avec les cotisations sociales, pour renouveler les générations, il faut qu’il y ait assez d’immigrés qui ont plus de deux enfants. Or, aujourd’hui, les politiques d’immigrations, au niveau européen, sont extrêmement désordonnées. Il faut que les gens comprennent : l’immigration est peut-être un problème mais le manque d’immigration est encore plus un problème. Je le dis souvent à mon ami Herman Van Rompuy (président du Conseil européen), l’Europe devrait mettre en place une immigration sélective comme le

font les États-Unis depuis longtemps. Il faudrait faire entrer chaque année 2 millions d’immigrés en Europe pour combler les déficits. Deux millions d’immigrés par an. C’est énorme.

Quand j’explique ça lors d’une conférence, j’entends toujours un cri d’horreur traverser la salle. Pourtant, regardons les choses en face. Aujourd’hui, un habitant sur cinq en Flandre est immigré. À Bruxelles, ce sont deux habitants sur trois. Et en Wallonie, un habitant sur quatre. Donc notre société est multiculturelle, déjà aujourd’hui. Ce qu’il faut réaliser, c’est passer de la multiculturalité à l’interculturalité. Mais la Belgique est multiculturelle depuis des millénaires. J’espère d’ailleurs que dans le cadre de notre confédéralisme de coopération, pas dans un confédéralisme séparatiste bien sûr, nous puissions promouvoir l’interculturalité entre les Belges. J’ajoute que l’immigration devra aller de pair avec l’émigration. Nos jeunes, brillants diplômés, doivent pouvoir partir travailler à l’étranger. J’entends bien les parents et grands-parents se récrier en disant qu’ils veulent avoir leurs petits-enfants près d’eux, et non en Californie ou que sais-je. Mais notre monde est devenu un village. Il faut le voir et l’accepter. Et les vieux nationalismes du XIXe et du XXe siècle sont des concepts totalement obsolètes. Comment peut-on encore parler de peuple flamand dans ce contexte ? Comment, en effet ? C’est à vous de nous l’expliquer.

On évolue vers une loyauté à étages. Il est normal qu’on aime d’abord sa famille, sa commune, sa région, son pays et l’Europe qui est aussi notre patrie. Mais ce sont des loyautés déconnectées des conceptions d’ethnies et de races. Les États-Unis ont réussi leur multiculturalité. Plusieurs nationalités s’y côtoient et ils se sentent tous parfaitement américains. Nous ne ferons pas le melting-pot américain en Europe mais un saladier bien mélangé, avec plusieurs couches, et beaucoup de mayonnaise. Mais donc pour vous, l’évolution démographique, le vieillissement n’est pas une catastrophe.

C’est un grand succès d’abord. La médecine a fait des progrès extraordinaires. Le propos du docteur Alexandre m’interpelle beaucoup à


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80 ans et 51 livres

«Nous avons instauré l’épargne-pension individuelle. C’est devenu un succès qu’il faut maintenir. Il faut maintenant s’intéresser à l’assurance groupe pour tous », plaide Mark Eyskens.

« Moi, je prendrai ma pension après ma mort »

I

l y a eu le Mark Eyskens Premier CVP (avril-décembre 1981), le Mark Eyskens ministre (de 1976 à 1992), sans oublier le professeur d’économie à la KULeuven. Il y a aujourd’hui le Mark Eyskens, conférencier, penseur et écrivain infatigable. Il a publié l’an dernier son 51e livre dans lequel il part à la rencontre des détenteurs du « pouvoir » et de l’ « autorité » au XXIe siècle. Avec ses 80 ans et tous ses cheveux blancs, il se porte comme un charme. Un exemple pour la « quatrième génération ». On le lui dit. Il sourit. Ses seules limites aujourd’hui sont un manque de chauffeur et de secrétaire. Et encore, côté secrétaire, il use des technologies les plus en pointe pour se simplifier la vie : il dicte ses textes à un système informatique qui les transcrit instantanément. Par contre, conduire sur de longues distances ou en étant coincé dans les bouchons, devient plus difficile à son âge. Mais cela le freine à peine. « Moi, je prendrai ma pension après ma mort », s’exclame-t-il fièrement. ■ C . E rn .

Transhumanisme

«On pourrait atteindre 200 ans avant la fin de ce siècle»

M

ÉdA – Jacques Duchateau

ark Eyskens a lu son livre avant de traverser la France pour l’écouter : le docteur Laurent Alexandre, auteur de «La mort de la mort». «On dirait de la science-fiction, et pourtant…, glisse Mark Eyskens. Le transhumanisme est en train d’émerger. » Le transhumanisme ? C’est un mouvement culturel et intellectuel international qui considère que le handicap, la souffrance, la maladie, le vieillissement ou la mort subie sont inutiles et indésirables. Dans cette optique, les penseurs transhumanistes comptent sur les biotechnologies et sur d’autres techniques émergentes. Le neurobiologiste Laurent Alexandre promet ainsi la vie éternelle à terme. Il explique que «la longévité devrait fortement augmenter à partir de 2020-2025. On devrait réussir à vivre jusqu’à 200 ans avant la fin du siècle. On attend des avancées majeures grâce aux manipulations génétiques et à l’utilisation thérapeutique des cellules souches humaines afin de traiter certaines pathologies incurables. Le fantastique développement de la technomédecine décuplera la rapidité du développement de la médecine. » ■ C.Ern.

ce titre. Doubler notre espérance de vie, on dirait de la science-fiction. Et pourtant, l’émergence d’une transhumanité fait du chemin (voir cadrée ci-contre).

L’idée est que tout le monde travaille au moins 45 ans. Si certains veulent arrêter avant, il faut des sanctions financières au niveau de la pension légale. Vous pensez qu’il faut mener des politiques natalistes ? Les allocations familiales sont régionalisées. La Flandre pourrait le faire.

Je n’y crois pas. Les allocations familiales sont très importantes. Éduquer un enfant coûte cher. Mais ce n’est pas un peu d’argent en plus qui va convaincre. Le meilleur contraceptif, c’est la prospérité. Quand on gagne bien sa vie, on préfère aller aux sports d’hiver ou au Club Med plutôt que de faire un troisième ou

un quatrième enfant. Les politiques n’ont-ils pas manqué de vision jusqu’ici pour prévenir les conséquences du vieillissement ?

On est en retard par rapport aux pays scandinaves. On y paie beaucoup d’impôts mais avec une grande liberté économique et d’entreprendre. Mais, en Belgique, on ne doit pas trop se plaindre. J’espère que le prochain gouvernement prendra le taureau par les cornes et non pas la vache par le pis (rires). Il faut des réformes et maintenir le cap pendant 20 ans. Donc, il faut une stabilité suffisante du pays. Il faut faire un «pacte des vieux jours » comme on a fait le «pacte scolaire ». Un pacte qui lierait tous les partis responsables. Donc pas de chambardement à chaque élection, certainement pas sur le plan institutionnel, si on veut faire face aux enjeux démographiques. Qu’ont fait les générations politiques précédentes par rapport au vieillissement ?

Nous avons, par exemple, instauré au-delà de la pension légale, l’épargne-pension individuelle. C’est devenu un succès qu’il faut maintenir et poursuivre. Il faut maintenant s’intéresser à l’assurance-groupe dont certains travailleurs bénéficient mais qui reste très discriminatoire. Comment démocratiser l’assurance-groupe ? Ce n’est pas simple. Si la croissance est de 5,6 % par an comme dans les Golden sixties, on pourrait. Mais on est loin de ça. Alors ?

L’idée est que tout le monde travaille au moins 45 ans. Si certains veulent arrêter avant, il faut des sanctions financières au niveau de la pension légale. Ceci étant, il faut tenir compte du fait que le travail est dur, fatiguant, répétitif pour beaucoup. Il y a beaucoup de burn-out. Donc il faut aussi réformer la manière dont on travaille. Pour les plus âgés, il faut leur permettre de travailler autrement. On évolue vers le bureau à domicile. Cela humanise le travail, le rend moins lourd. ■


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La citation

Conclusion

« Quasiment 50 % des bébés sont aujourd’hui accueillis par les grands-parents contre 33 % dans des crèches. Si les grands-parents faisaient la grève de l’accueil une semaine, ils bloqueraient toute la nation ! » Philippe ANDRIANNE

O

n mesure leur pouvoir d’achat. On soupèse le poids de leur financement. On contemple leurs rides. On s’émeut de leurs défaillances. On a oublié de considérer nos aînés comme des ressources vitales, surprenantes, innovantes. Cet apport invisible mérite d’être connu, soutenu et développé. Dans une société interâges, les seniors ne seront pas un problème, ils seront une solution. Car ils contribuent déjà à notre économie sociale et solidaire. Et au-delà, ils constituent un capital humain inexploité. Le vieillissement lance un défi à nos modèles de vie individualistes et capitalistes. Nous en sortirons grandis si nous ne laissons personne sur le bord de la route. Ni les jeunes ni les anciens. Notre pyramide démographique est en boule ? Réjouissonsnous. C’est le moment de réinventer l’organisation de nos familles et de toute notre société. C’est le moment de remettre tout en question et de se tendre la main entre générations. C’est le moment de réenchanter nos liens humains. ■ C.Ern.

Réalisation Dossier réalisé par Catherine Ernens et Dominique Vellande. Photos : Jacques Duchateau. Graphisme : Hélène Quintens et Christian Hick.

Ils seront 30 % et il va falloir tenir compte de leur avis L’interview Chez Eneo, ils font un tas de sports et de loisirs. Mais de plus en plus, ils dressent la liste de leurs revendications politiques et sociétales. Philippe Andrianne a pris en 2012 les commandes de ce mouvement, anciennement Union chrétienne des pensionnés. Interview : Catherine ERNENS

Philippe Andrianne, vous êtes le secrétaire politique du mouvement social des aînés, Eneo. Quel est le sens de ce mouvement social mais aussi politique ?

Il existe une attente des aînés de voir leurs spécificités prises en compte, ils ont des revendications. Mais en même temps une réflexion politique globale. Nous demandons par exemple un renforcement de la pension légale. On veut, pour chaque re-

L’arrivée des conseils d’aînés

Citoyens engagés

Les pensionnés entre 55 ans et 70 ans forment la génération sandwich, écartelée entre l’accueil des petits-enfants et l’aide à leurs parents plus âgés

ÉdA – Jacques Duchateau

Et si les seniors devenaient une chance ?

Consulter les aînés ? Petit à petit, l’idée s’introduit. Les premiers conseils consultatifs dans les communes ont vu le jour début des années 90. Côté conseil d’aînés, il a fallu attendre 2006 pour que la Région wallonne s’y intéresse et leur donne un cadre légal un peu clair. Il y a aujourd’hui des conseils consultatifs d’aînés dans la moitié des communes wallonnes, mais rien sur Bruxelles. «Nous voulons à l’avenir que ces comités deviennent obligatoires partout et soient consultés obligatoirement, pas seulement quand cela arrange les élus», indique Philippe Andrianne, d’Eneo. Ces comités se heurtent à un désintérêt ou une opposition de certaines communes, et aussi à une difficulté à recruter assez de membres de plus de 60 ans. Côté fédéral, c’est encore plus récent. Le Conseil consultatif fédéral des aînés a été installé le 27 novembre 2012. Jusquelà, il existait un comité consultatif uniquement pour le secteur des pensions. Ce dernier a disparu au profit d’un organe aux compétences plus larges. C.Ern.

traité, 90 % du revenu minimum garanti pour que ce soit suffisant pour une carrière complète, régime salarié. C’est indispensable pour payer la maison de repos. Mais en demandant l’augmentation des pensions, on réfléchit à la possibilité de financer. On a des pistes concernant la fiscalité de l’épargne ou des loyers qui toucheraient d’ailleurs une partie plus aisée des aînés. Mais tous ont conscience qu’il s’agit de juste solidarité. La vieillesse a beaucoup évolué. Avant, on était pensionné à 65 ans avec une espérance de vie de 8 ans. Aujourd’hui, dans un mouvement comme le nôtre qui est le plus important en Wallonie, nous avons trois générations d’affiliés. Les 55 à 65 ans ; les 70 ans et plus et les plus de 80-85 ans. Les aînés sont tous aussi engagés ?

Les aînés sont des citoyens plus ou moins actifs selon leur âge et leurs capacités. Mais ils sont souvent engagés. On ne mesure pas assez ce qu’ils donnent à leur famille, leurs petits-enfants, financièrement et en temps. Quasiment 50 % des bébés sont aujourd’hui accueillis par les grands-parents contre 33 % dans des crèches. Si les grands-parents faisaient la grève de l’accueil une semaine, ils bloqueraient toute la nation ! Et ils sont

nombreux à intervenir pour permettre aux jeunes d’acquérir leur logement. On décrit trop souvent les aînés soit comme deshappy-fewquifontdescroisières,soit comme des poids lourds pour la société. Les pensionnés entre 55 ans et 70 ans forment la génération sandwich, écartelée entre l’accueil des petits-enfants et l’aide à leurs parents plus âgés toujours en vie. Et ils veulent se faire entendre.

Ils estiment qu’on n’entend pas assez leur voix. Or ils vont devenir 30 % de la population. Il va falloir tenir compte de leur avis. Faut-il créer un parti politique des aînés ?

Non. Je crains même que ce soit dangereux. Un tel parti deviendrait vite poujadiste parce qu’avec l’âge on a tendance à se replier sur soi, à se figer sur ses idées, ses difficultés. Faut-il imposer des quotas d’aînés en politique, comme pour les femmes ?

Si on faisait déjà sauter les barrières d’âge, ce serait pas mal. Dans les administrations publiques, à 67 ans, vous devez démissionner. C’est antinomique parce qu’on dit vous devez bosser jusqu’à 65 ans mais l’engagement public est limité dans l’âge. Il est important que les partis politiques mettent des plus âgés sur leurs listes. ■


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