Agriculture

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SUPPLÉMENT AU JOURNAL DU 18 JUILLET 2016

1/3 Durant trois jours, en avant-première de la Foire de Libramont, nous vous emmenons à la ferme. Avec un regard 100 % féminin. Dans un univers en crise, en pertes d’emplois et de revenus, les femmes sont-elles devenues l’avenir de nos fermes ? Enquête auprès de femmes qui relèvent et symbolisent le défi du XXIe siècle pour l’agriculture.



RADIOGRAPHIE

Lundi 18 juillet 2016 3

L’(in)égalité de genre dans nos fermes

Agricultrices, la grande À la ferme, qui s’occupe de... émancipation en dix ans Les femmes

Les deux

Prendre les décisions relatives à l’exploitation

Elles ont plus d’enfants que les autres femmes et 80 % d’entre elles sont mariées. La plupart ont fait des études. Un quart d’entre elles travaillent hors de l’exploitation. Radiographie des agricultrices wallonnes. Catherine ERNENS

L

a Wallonie compte 11 550 chefs d’exploitation dont 1 832 femmes. 15 % de femmes sont donc à la tête d’une ferme. À Bruxelles, la proportion est la même : on trouve encore 22 exploitants dont 8 femmes. Un quart des agricultrices ont un emploi en dehors de l’exploitation. Moins d’une sur dix exerce même à temps plein à l’extérieur. Les agricultrices interrogées disent le faire par nécessité financière et par choix, envie ou volonté d’autonomie. C’est ce que montre une enquête réalisée par l’unité d’économie et développement rural de l’Ulg-Gembloux Agro-Bio Tech. Une étude similaire avait été réalisée dix ans auparavant. L’évolution est énorme. Ce monde d’hommes, conservateur et traditionnel, est en pleine émancipation. En 2004, les agricultrices déclaraient préférer travailler à temps plein sur l’exploitation si l’occasion se présentait. Aujourd’hui, même si le revenu complémentaire se révèle nécessaire dans la moitié des cas, d’autres motivations sous-tendent la poursuite d’un job hors de la ferme.

UN DIPLÔME SUPÉRIEUR Et pour cause. « Elles ont souvent un diplôme supérieur à celui du mari. On trouve beaucoup d’infirmières et d’institutrices », souligne Marianne Streel, la présidente de l’Union wallonne des agricultrices. Une évolution majeure. En 2004, les agricultrices de plus de 40 ans avaient rarement dépassé les humanités supérieures. Par ailleurs, 80 % des agricultrices ont aujourd’hui une for-

mation de base sans lien avec l’agriculture. La majorité passe par un emploi salarié (72 %) pendant en moyenne 7,1 ans avant de réintégrer une exploitation. Elles deviennent agricultrices par mariage avec un agriculteur. Le fait qu’elles soient issues d’une famille d’agriculteurs joue presque autant. L’envie et la passion viennent seulement en troisième place. « Ce côté systématique évolue. Avant quand on épousait un agriculteur, on était agricultrice. Aujourd’hui, les femmes veulent plus souvent leur autonomie financière », signale Anne Pétré, porte-parole de la FWA (Fédération wallonne de l’agriculture). Le maintien de l’emploi est le premier défi aujourd’hui, particulièrement pour les femmes. Quand il y a besoin d’aller chercher un emploi à l’extérieur, c’est madame qui s’y colle. Surtout depuis la crise du lait. Rude. « Quand on a trait pendant quinze ans, il est difficile de retrouver une place. Même quand elles sont institutrices, on ne les reprend pas. Elles font des titres-services », explique Anne Pétré. Pour ces femmes, comme pour les autres, la gestion du temps est le premier souci. Elles cherchent un équilibre entre vie de famille, travail, temps pour soi. Mais elles ressentent de surcroît un décalage entre leur charge horaire et le restant de la société. Les agriculteurs, hommes comme femmes, souffrent d’un manque de reconnaissance du grand public. Enfin, les agricultrices ont en moyenne 2,49 enfants, plus que la moyenne nationale située autour de 1,85 enfant par femme. La majorité sont mariées (88 %), 8 % sont célibataires, 3 % divorcées et 1 % veuves. C.Ern.

Nettoyer les étables

31% 20%

10%

34% 39%

Négociations bancaires

40%

23%

41%

9%

58% 90%

4%

64% 46%

Traire

Travail administratif 0%

5%

49%

S’impliquer dans 33% les réseaux professionnels L’utilisation des machines agricoles 8% 2%

Soigner les nouveau-nés ●

71%

Mettre en œuvre les décisions

Alimenter le bétail

Les hommes

34%

7%

58% 44% 21%

25%

17% 39%

56%

20%

40%

19%

60%

80%

100%

La répartition des tâches correspond généralement à une division classique du travail selon le sexe. Les femmes s'occupent majoritairement de tâches «invisibles» : travail administratif, les soins aux nouveau-nés, la traite. Les hommes s'occupent des travaux sur les champs, des machines agricoles et se rendent aux réunions. Toutefois dans 3 cas sur 4, les femmes participent aux décisions relatives à l'exploitation.

Source : Gembloux Agro-Bio Tech Université de Liège

Patience et douceur avec les animaux Les verdicts de jurys populaires sont comme des clichés d’une certaine mentalité. Le 30 avril 2010, Albert Poncelet, accusé d’avoir assassiné par égorgement son ex-femme, a été acquitté aux assises à Arlon. Les jurés ont estimé que l’agriculteur avait été harcelé par son ex-femme. Ils ont retenu la provocation et la contrainte irrésistible. Le divorce souhaité par Geneviève Lambert mettait par ailleurs à terre l’exploitation. Sexisme et conservatisme au cœur du milieu agricole ? L’enquête menée par l’ULg-Gembloux montre une division nette des tâches. Chaque membre réalise ses propres tâches

mais reste à disposition pour un coup de main. Beaucoup précisent qu’elles se sentent interchangeables alors que leur mari ne l’est pas. 90 % disent assumer la majorité des tâches ménagères. L’assignation des femmes au travail domestique limite leur temps disponible pour le travail agricole. Si les femmes sont souvent responsables de la charge administrative, paradoxalement, ce sont les hommes qui se rendent aux séances d’information. La traite et le soin aux veaux sont très souvent assumés par les femmes. Elles justifient cela par leurs qualités de patience et de douceur avec les animaux. - C.Ern.


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PORTRAITS

Madeleine Renard, à Beausaint

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Madeleine fait la traite de toutes les vaches seule depuis 19 ans La traite des vaches reste très souvent le domaine réservé ou partagé par les femmes. Une tâche connotée comme plus féminine mais qui n’est pas de tout repos. C’est la vie de Madeleine Renard, l’infatigable.

J

eans serré, coupe de cheveux à la garçonne et élégant chemisier à fleurs. Madeleine dégage de la table de sa cuisine Ponpon, son chat. Le félin va rejoindre Kousto, le chien tellement âgé qu’il traîne une patte sur quatre, et Pomme, l’autre chat de la demeure. « Mais on en a bien vingt qui circulent sur l’exploitation. Tout le monde vient les abandonner chez nous », sourit Madeleine Renard, agricultrice à Beausaint, près de La Roche, dans le Luxembourg. Madeleine et sa ferme, c’est une jolie histoire d’amour, assez classique. La trajectoire bien tracée dans les sillons de la terre. « Mes parents l’étaient et j’aimais. J’ai eu la chance de rencontrer un agriculteur. Voilà. On a d’abord travaillé à trois ménages, avec ses parents à lui et son frère ». Depuis treize ans, elle travaille seule avec son mari sur une ferme qui n’appartient plus qu’à eux deux. Elle a bien un diplôme de secrétaire parce que son père estimait qu’il fallait faire « un peu d’études, quand même ». Mais l’appel de la traite a été le plus fort.

« IL FAUT DES MUSCLES »

ÉdA – Jacques Duchateau

« On commence à voir des divorces en agriculture mais c’est rare. » Madeleine Renard est née dans une ferme, a épousé un agriculteur et est devenue agricultrice. Un parcours qui reste souvent la norme. Mais désormais les épouses peuvent être cotitulaires de l’exploitation.

Madeleine a toutes les vaches en main. Elle fait toute la traite seule. Matin et soir. Depuis toujours. « C’est deux heures le matin et deux heures le soir, sept jours sur sept. On ne peut pas y couper ni déplacer. Cela fait 19 ans que je le fais. Ça demande des muscles », souritelle fièrement, en levant ses petits bras. La ferme, elle l’a construite elle-même, avec son mari, avec la famille. Quand Madeleine dit qu’elle fait tout, c’est tout. Y compris les papiers. « Mon mari ne fait que les papiers PAC de déclaration de superficie », précise-t-elle. « Ça me prend du temps et c’est stressant parce qu’il ne faut pas d’erreur. » Madeleine est impliquée à 100 % dans la gestion du troupeau, dans les inséminations. « Mon mari, lui, fait l’entretien du bâtiment. Il a tout construit ici. Même notre maison. Et il m’a refait toute une salle de laiterie moderne rien qu’avec du matériel d’occasion qu’il a trouvé. Il est très fort. Moi, j’étais à la bétonneuse. Grâce à ça, et en trouvant du matériel d’occasion, on n’a pas dû s’endetter comme d’autres. »

« TOUT À DEUX » Ces deux-là forment une belle équipe, ten-

dresse comprise. « Je dis toujours à mon mari “ toi sans moi, ce serait difficile. Moi sans toi, ce serait difficile. ” Les seules petites brouilles qu’on a sont professionnelles. Mais on fait tout à deux et on décide tout à deux. » Madeleine est contente d’être désormais cotitulaire de l’exploitation. « Avant si on venait à divorcer, le mari gardait tout le quota laitier pour lui, par exemple », dit-elle en regardant son mari ,qui ne bronche pas. Alors, elle poursuit : « On commence à voir des divorces en agriculture mais c’est rare. Avant ,c’était complètement impossible. Les femmes n’avaient aucun statut. » Madeleine et Philippe ont trois enfants : Denis, Françoise et Marie. Et quatre petits-enfants, dont deux vivent à Bruxelles « une sale ville toujours embouteillée », grogne-t-elle. Son mari s’arrête. Dans sa poche arrière droite, il a glissé un Sillon belge. Il s’informe beaucoup. « Mais aussi du côté des journaux français, souvent mieux faits. Ils montrent des nouveaux exemples de ce qui se pratique. » Mais la France, ce n’est pas la même mentalité. « Les agriculteurs français sont plus cool, ils aiment partir en vacances, avoir du bon temps. Le Flamand, lui, il travaille jour et nuit. Nous, on est un peu entre les deux. On travaille beaucoup mais on s’arrête parfois », philosophe l’agriculteur aux mains calleuses et aux yeux doux. Madeleine est une bosseuse et une consciencieuse. Au milieu de salle de traite propre comme un sou neuf, elle se lance dans un long plaidoyer. Les critiques sur les agriculteurs sifflent à ses oreilles. « Oui, c’est une exploitation traditionnelle mais très raisonnée. On n’utilise que les fertilisants de la ferme et le maïs n’est pulvérisé qu’une fois par an. Nos vaches sont à l’herbe à l’extérieur. » Madeleine n’en dort pas quand une vache est malade. « On travaille avec du vivant, on n’est jamais tranquille. Mais surtout : on ne s’en fout pas. Dites-le. » -C.Ern.


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LES

Lundi 18 juillet 2016 5

ÉPOUSES

Julie Dehoust, à Vieux-Genappe

Julie a troqué sa toge d’avocate pour des bottes d’agricultrice La ferme pédagogique est l’une des options de diversification qui offrent une rentabilité et un métier à part entière aux épouses d’agriculteur. C’est le choix de Julie Dehoust. la lumineuse.

D

es bambins hauts comme trois pommes se pressent dans la belle grange pour boire un jus de pomme avant d’aller voir l’étable des taureaux. La crèche parentale de Limelette est en visite. Une guide touristique ukrainienne aussi. Elle veut créer un programme de visite du Lion de Waterloo le matin et de la ferme du Prévôt à Vieux-Genappe l’après-midi. « Elle dit que les touristes en ont marre de Bruxelles », explique Julie Bodart-Dehoust, la propriétaire et animatrice des lieux. Dans la ferme de Julie, ça se bouscule. « Voir des vaches et des chèvres, ça les rend dingues. Rien qu’avec les demandes des écoles, il y a moyen de remplir l’agenda. C’est 90 % des écoles de Bruxelles qui viennent. Et 90 % des maternelles, explique Julie. Il n’y a plus tellement de fermes. Les gens sont fous pour revenir à la ferme. » Julie, sous son visage doux et joliment féminin, a le côté « cash » des gens de la terre. Elle est « du milieu ». Elle est née dans une ferme. Mais elle a étudié le droit « parce que j’aimais étudier et que je suis nulle en chimie, sinon j’aurais fait agro. » Dans la foulée, elle fait le barreau. Elle y reste sept ans avant de faire un burn-out. « C’est un milieu horrible, pourri, hypocrite », dit-elle, avec un franc-parler qui ne souffre aucune nuance. De cette période-là, elle a gardé une amie. C’est tout.

« AVEC MES TRIPES » Retour à la case ferme. Elle opte pour l’accueil champêtre sur le modèle de sa belle-mère. « Je suis bien mieux là-dedans, avec mes bottes qu’avec ma toge, appuie-telle. Je gagne aussi bien que comme avocate en travaillant six mois par an. Les milieux d’avocats ne paient pas aussi bien qu’on ne

croit. C’est aussi pour ça que je l’ai fui », précise la jeune femme de 35 ans. Mais elle a des journées bien remplies. Elle démarre à six heures du matin pour faire les devis et termine dans la soirée « Et c’est sept jours sur sept. En saison, on n’arrête pas une minute. » Aller voir les animaux, caresser les lapins, faire le tour des vaches, voir comment on trait, donner à manger aux taureaux… Une ferme pédagogique, c’est ça. Et c’est un concept qui fait un carton, du moins dans le Brabant wallon. « J’ai engagé quelqu’un cette année parce qu’avec les quatre enfants, c’est un peu chaud. Mais les gens préfèrent être accueillis par la fermière, commente Julie. Et puis, je sais que c’est mieux avec moi parce que je le fais avec mes tripes. Mes instits, elles sont contentes quand c’est moi. »

« AU NIVEAU QUALITÉ DE VIE, IL N’Y A PAS PHOTO » Le salon de Julie donne directement sur l’étable des chèvres par une grande baie vitrée. Sur le bahut, quatre grandes lettres en bois qui forment le mot « home ». Pour le reste, tout est moderne et rangé dans sa maison neuve. Quelques papiers, un tracteur miniature et des Lego. C’est tout ce qui traîne. Julie, avec son mari Sébastien, a quatre enfants : Clémence (9 ans), Lise (6 ans), Fanny (20 mois) et Bastien (4 mois). « Quand j’étais avocate, je les récupérais à l’arrache à la crèche ou à la garderie. Maintenant, je suis à 3 heures 15 à l’école et ils passent la fin de journée dehors. Au niveau de la qualité de vie, il n’y a pas photo », explique cette mère de famille nombreuse. Si Julie adore ses bottes, ses enfants, sa vie à la maison, elle n’en est pas moins une femme active et créative. Elle a créé l’agro-golf : les gens font du golf au milieu des vaches. « Ça marche pas mal. RTL est venu filmer il y a pas longtemps. » Elle lance à présent une formule du type KohLanta à la ferme pour les brûlages de culottes ou anniversaires entre amis. « Ma maman ne faisait rien à l’extérieur. C’était le modèle. Elle ne connaissait rien d’autre. Elle faisait sa soupe tous les lundis. Papa rentrait et mettait ses pieds sous la table. Il n’a jamais pris une casserole en main de sa vie. Ça fait cliché mais c’était comme ça », se souvient Julie. - C. E r n .

ÉdA – Jacques Duchateau

« Papa, lui, n’a jamais pris une casserole en main de sa vie . C’était comme ça. » Après avoir travaillé sept ans comme avocate, Julie Dehoust est revenue travailler sur l’exploitation. Aux côtés de son mari, elle propose une ferme pédagogique qui rencontre un vif succès.


6 Lundi 18 juillet 2016

REGARDS

Sandrine Dans, animatrice à RTL

« Elles doivent aimer la campagne et accepter les horaires difficiles » « Le statut de la femme a bien évolué mais la famille reste une valeur prioritaire en milieu agricole », explique Sandrine Dans. Depuis cinq ans, l’animatrice arpente nos fermes à la recherche de candidates à l’amour qui se fera dans le pré.

«M

on beau, toi tu vas être magnifique tout à l’heure », dit-elle en caressant un âne. L’animatrice-vedette de RTL démarre pour la cinquième année le tournage de L’amour est dans le pré. La campagne, et les candidats au grand amour, occuperont son été, un jour sur deux. Sandrine Dans connaît désormais les recoins et secrets d’une multitude de fermes à travers la Wallonie. On la retrouve dans une ferme près de Jodoigne en plein shooting photo.

ÉdA Mathieu Golinvaux

« Ils mettent rarement leur bébé à la crèche » Treize bébés sont nés grâce à L’amour est dans le pré qui en est à sa huitième saison. Le succès de l’émission ne faiblit pas. Loin d’être une émission qui défend la cause ou met en lumière les problématiques agricoles, L’amour est dans le pré n’en reste pas moins une belle carte de visite pour le monde agricole. Et une mise en lumière sociologique. « Le succès de l’émission est basé sur une double quête universelle, celle de l’amour mais aussi le fantasme du retour à la vie au vert, défend Anne Franck, coproductrice de l’émission. Il y a de belles valeurs dans le monde agricole : les animaux, la campa-

gne, la liberté, être son propre boss. » Pour le reste, « en 8 ans, on rencontre de plus en plus d’agriculteurs qui ont un autre métier en plus de celui de la ferme. C’est un milieu où la vie familiale est en tête des valeurs. Ils mettent rarement leur enfant à la crèche, par exemple, note Anne Franck. Mais on ne peut pas faire de généralisation sur la place de la femme dans les fermes. Il me semble que c’est de plus en plus en phase avec la société actuelle. » En tout cas, L’amour est dans le pré parvient à au moins un résultat positif : « 60 % des agriculteurs ne sont plus célibataires après l’émission. » - C. E r n .

femme parvient à les comprendre, elle a déjà fait la moitié du chemin vers leur cœur. Ils veulent bien tout donner sauf une chose. Elle ne doit pas leur demander de quitter leur ferme. Les agriculteurs sont comme les marins. Leur ferme est leur port d’attache. À côté, ce sont souvent de grands romantiques qui se cachent. Le célibat leur pèse. Terriblement. Ils n’osent pas tous le dire. Certains avouent qu’une fois qu’ils ont fini les tâches, ils se retrouvent seuls avec personne à qui parler et c’est dur. Ils me disent aussi que parfois on les prend pour des fous parce qu’ils parlent avec leurs bêtes.

Sandrine Dans, comment voyez-vous la place de la femme dans les fermes ? Moi, j’avais des arrière-grands-parents qui étaient agriculteurs. Ils avaient une ferme Le mariage est important pour eux. dans la province Ils disent généralede Luxembourg. ment qu’ils ne On m’a beaucoup sont pas contre. raconté. Mes Certains, plus ra« Aujourd’hui, les jeunes grands-parents en res, veulent absoagriculteurs ne recherchent ont fait une mailument le mariage son de campagne par conviction replus forcément quelqu’un au cœur d’un villigieuse. Mais ils pour travailler avec eux. lage ardennais, endésirent déjà telletre Neufchâteau et ment une vie de Les femmes ont leur Florenville. Donc couple que le mapropre métier. » je sais ce qu’était la riage, c’est la cerise vie à la ferme. À sur le gâteau l’époque, quand quand ça arrive. on épousait un agriculteur, on devenait forcément agricul- Vous parlez des agriculteurs avec tendresse. trice. On ne pouvait pas faire autre chose que Oui. J’ai beaucoup de tendresse pour les agris’occuper de la ferme. C’était un métier qui se culteurs parce que ce sont eux qui nous nourfaisait par deux. Et les femmes étaient de la rissent. C’est un métier très difficile. On ne se main-d’œuvre. Aujourd’hui, les jeunes agri- rend pas compte de tout ce qu’on leur doit culteurs ne recherchent plus forcément quel- quand on pousse notre caddie au supermarqu’un pour travailler avec eux. Les femmes ché. Ça me fait l’effet « madeleine de Proust » ont leur propre métier. C’est un statut qui a d’aller dans une ferme. évolué pour plein de raisons. Les machines ont donné un sacré coup de main. Et puis, il Votre image est liée au monde agricole. Ça faut être lucide, ça permet d’avoir une rentrée vous convient ? Ce n’est pas très glamour… financière en plus avec un travail extérieur. Parfois on m’appelle « la dame qui fait l’amour est dans le pré » et ça me va. Moi, je C’est un milieu qui reste assez traditionnel. ne suis pas très glamour au départ. Ce n’est Beaucoup de jeunes agriculteurs me disent pas très glamour mais c’est vrai. C’est ce qu’il qu’ils rêvent de voir leurs enfants rentrer y a de plus important dans la vie. De nos manger à midi, pouvoir courir à la ferme, jours, tout le monde peut être glamour en faimonter dans les tracteurs. Faire revivre ce sant un selfie et en mettant un filtre dessus. qu’eux-mêmes ont vécu. Mais ils ne veulent pas forcément une femme à la maison. Votre émission gomme la dureté de la vie agricole. Par exemple, aucun candidat producQuel type de femme recherchent-ils ? teur de lait ne s’est présenté cette année parce La caractéristique de base, c’est qu’elles doi- que c’est la crise et que l’heure n’est pas à vent aimer la campagne, le côté authentique. conter fleurette devant une caméra… Et accepter les horaires difficiles et décalés C’est vrai. Mais on fait de la téléréalité axée d’un agriculteur. En fait, ils cherchent sur- sur l’amour. On ne fait pas du reportage sur le tout quelqu’un qui les comprend. Si une monde agricole. -C.Ern.


AUTOPSIE

Lundi 18 juillet 2016 7

La main-d’œuvre non familiale augmente

Même la diversification n’est 60% d'emplois agricoles perdus en 30 ans plus la solution miracle

Globalement, un faible pourcentage de la population belge travaille dans l'agriculture. L'agriculture, dans l'économie belge, représente 0,8% du PIB (produit intérieur brut) contre 1,13% en 1980.

Les rentrées piquent du nez. Les femmes, souvent elles, sont poussées vers l’extérieur pour gagner de quoi survivre. Le modèle productiviste a montré toutes ses limites. Autopsie d’une inexorable perte d’emplois dans nos fermes.

Main-d’œuvre (effectif) 60 141

1,75 1,68

46 076

D

es périodes de crise comme aujourd’hui font péricliter des exploitations. Or, avec le modèle d’aujourd’hui, quand la crise sera passée, l’exploitation aura été absorbée par le voisin. Il n’y aura pas de retour possible et l’emploi sera perdu. « La diversification a été, il y a quinze ou vingt ans, le chemin typique pour que l’agricultrice puisse vivre de l’exploitation. Mais ça demande des investissements et en période de crise, il n’y a plus d’argent », explique Marianne Streel, présidente de l’Union wallonne des agricultrices. La perte d’emplois dans le secteur agricole est continue depuis 1950, depuis la révolution technique avec l’arrivée des tracteurs et des machines. Le besoin de main-d’œuvre diminue en conséquence. « Cette mécanisation joue pour les grandes cultures et pour la traite. Le seul secteur qui résiste un peu est celui de la production de légumes. Et encore, note Philippe Baret, professeur en agronomie à l’UCL. On a un problème d’équilibre au sein des exploitations. De plus en plus d’agriculteurs tombent en faillite . »

« LE MODÈLE COINCE » Pourtant, le modèle qui continue à être soutenu est celui du “ plus on produit, plus on gagne ”, installé avec la PAC (politique agricole commune). Le modèle qui prévaut aujourd’hui est celui de l’agriculture de masse comme aux États-Unis avec qui nous nous situons en concurrence. « Et cela risque de continuer comme ça . C’est un choix politique. On pourrait soutenir un autre modèle à plus petite échelle, plus durable, avec du renouvelable. Le

1,78

32 614

modèle productiviste coince mais ceux qui se posent des questions restent minoritaires », dénonce Philippe Baret. Le système agricole doit alimenter les hommes sur toute la planète et il faut s’assurer que ce soit toujours possible dans 50 ans.

« ON DEVRA PAYER PLUS CHER » Comment enrayer cette perte d’emplois et de qualité ? Difficile. « On n’a pas d’observatoire de l’agriculture. On a laissé les choses aller sans les mesurer », réplique Philippe Baret qui a lancé une chercheuse sur la production maraîchère pour trouver des réponses. Le constat est clair : si on veut une culture sur de petites surfaces, avec deux personnes par hectare, cela nous coûtera plus cher. Pour produire 50 paniers bio par semaine, il faut un emploi temps plein sur la même période. Si la personne travaille 40 heures par semaine à 10 euros de l’heure, vous devrez débourser 8 euros par panier rien que pour couvrir la main-d’œuvre. Avec ça, aucuns autres frais n’est payé et aucun bénéfice n’est réalisé. « Si on veut une agriculture locale et respectueuse de l’environnement, on devra payer plus cher », appuie Philippe Baret. En 1950, 30 % du budget d’un ménage était déboursé pour la nourriture. Aujourd’hui, ce n’est plus que 13 %. Il faut être honnête : dans le même temps, des emplois ont été créés dans la chaîne alimentaire. On consomme plus sophistiqué qu’avant. Mais l’agriculture, la base de ce que nous mangeons, ne cesse de perdre des emplois au profit du rendement. -C.Ern.

1,59

1,58

24 315

23 214

22 849

2010

2012

2013

1,56

Main-d’œuvre par exploitation 1980

1990

2000

Entre 1980 et 2013, le secteur agricole a perdu 60% du nombre de travailleurs qu'il occupait. En parallèle, parce que les exploitations ont énormément augmenté en taille, on a une très légère hausse du nombre de travailleurs par exploitation : de 1,63 travailleur en 1980 à 1,97 travailleur en 2013. D'autre part, la main-d'œuvre non familiale, qui était anecdotique, augmente : de 3,9% en 1980 à plus de 20% en 2013.

Jusqu’en 2005, elles étaient sans profession Depuis toujours, elles travaillent huit à dix heures par jour, au moins, sur l’exploitation sans avoir un revenu. Seules 16 % des agricultrices sondées dans l’enquête perçoivent un salaire pour les tâches qu’elles effectuent. C’est généralement le système du pot commun qui prévaut. Plus que cela. « Jusqu’en 2005, elles étaient sans profession ou femme au foyer. Donc elles n’avaient droit à rien, aucun droit individuel alors qu’elles font un vrai travail professionnel », témoigne Anne Pétré, porte-parole de la Fédération wallonne des agriculteurs. Depuis dix ans, le statut de conjoint aidant a tout changé. « Ce

statut a permis la reconnaissance du travail effectué mais aussi un statut social propre et complet. Elles ont aujourd’hui des avantages sociaux comme tous les indépendants tels que la pension, les prestations familiales, les soins de santé, l’incapacité de travail ou la maternité », explique Christine Leborne du service d’étude de la FWA. Autre outil neuf : la cotitularité, qui offre au conjoint-aidant la possibilité d’une gestion en commun de l’exploitation. Souci : si les agricultrices connaissent leur statut, elles n’ont pas une connaissance approfondie de ses implications. - C.Ern.


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SUPPLÉMENT AU JOURNAL DU 19 JUILLET 2016

2/3 Durant trois jours, en avant-première de la Foire de Libramont, nous vous emmenons à la ferme. Avec un regard 100 % féminin. Dans un univers en crise, en pertes d’emplois et de revenus, les femmes sont-elles devenues l’avenir de nos fermes ? Enquête auprès de femmes qui relèvent et symbolisent le défi du XXIe siècle pour l’agriculture.



RADIOGRAPHIE

Mardi 19 juillet 2016 3

L’agriculture séduit moins les jeunes

La pénurie de successeurs 7 agriculteurs sur 10 n'ont pas de successeur donne leurs chances aux filles 42% 32%

Si on naît toujours agriculteur, on le devient de moins en moins souvent. La transmission traditionnelle, bien ancrée, entre un père et son fils est en chute libre. Du coup, les filles deviennent des chefs d’exploitation potentielles. ●

C a t h e r i n e E R NENS

«J

e pense qu’on peut donner goût à l’agriculture aux enfants, dès le premier âge », dit une agricultrice. « Si ma fille le souhaite, elle pourra reprendre l’exploitation », dit une autre. La transmission des fermes est un énorme problème. Les agricultrices qui ont des enfants souhaitent que leurs enfants reprennent dans 59 % des cas, 30 % ne savent pas. Du souhait à la réalité, il y a cependant bien des difficultés. Pour dix agriculteurs qui s’arrêtent, il n’y a plus que deux exploitations qui sont reprises telles quelles. Les huit autres disparaissent au profit de l’extension de celles qui existent déjà. Pour de multiples raisons, dont un problème de rentabilité, la transmission père-fils n’est plus automatique comme ça l’a été pendant des décennies. On naît agriculteur mais on ne le devient plus forcément. « Aujourd’hui, les enfants – garçons ou filles – ne se sentent plus “ obligés ” de reprendre l’exploitation. C’est un choix », explique Anne Pétré, porte-parole de la FWA.

DE

PRÉFÉRENCE À UN GARÇON

Dans l’enquête réalisée par l’université de Liège-Gembloux auprès des agricultrices wallonnes, 81 % des exploitations sondées sont des reprises. Trois fois sur quatre, l’exploitation reprise provient de l’homme. « Ceci montre que la forme domi-

nante d’installation reste encore celle d’une transmission préférentielle à un garçon, note Judith Du Faux, chercheuse en économie et développement rural, à Gembloux Agro-Bio Tech. Mais aujourd’hui la pénurie des successeurs bouleverse les schémas classiques. Du coup, les filles peuvent saisir cette chance si elles le souhaitent. » Et plus d’une se lance effectivement.

LE BOOM DE L’AGRICULTURE AU FÉMININ Dans l’enquête réalisée par Judith Du Faux sur les agricultrices wallonnes, 37,5 % des exploitations ont été reprises par une femme chez les agricultrices interrogées de moins de 35 ans. L’agriculture au féminin est en plein boom dans les jeunes générations. Un changement de mentalité est en route. Le milieu agricole a été longtemps assez fermé, méfiant et un peu ironique face aux femmes qui prenaient la tête d’une ferme. Les cas de « bizutage » étaient assez fréquents par le passé. L’étude de 2004 avait mis en évidence que la majorité des femmes n’étaient pas du tout épaulées à leur arrivée dans la ferme par l’ancienne génération. Si elle ne provient pas du milieu agricole, elle devait apprendre sur le tas. L’étude de 2014 montre qu’il en est toujours ainsi mais que cela se passe un peu mieux. -C.Ern.

15%

Ont un successeur

9,8% N'ont pas de successeur

Ne savent pas qui pourrait leur succéder

Ne sont pas concernés par une succession

Dans les 12 832 exploitations wallonnes, seules 2 035 ont désigné un successeur (15 %). Dans 4130 fermes, il n'y a pas de successeur (32 %) et cela concerne une fois sur quatre un agriculteur de plus de 50 ans. Dans 42% des cas, les agriculteurs disent ne pas savoir qui pourrait leur succéder. 22 % des agriculteurs qui ne savent comment organiser la succession sont des exploitants de plus de 50 ans.

Pas de vacances pour 1 agricultrice sur 2 L’agriculture est le choix d’une vie que les jeunes ne veulent plus forcément avoir. « On peut partir en vacances en faisant appel aux services de veille et d’aide. Mais cela reste compliqué quand on travaille avec du vivant. Moi, j’ai des cultures, si je pars, je ferme mon ordinateur et c’est bon. Une étable avec 50 vaches, on ne la ferme jamais », témoigne Marianne Streel, la présidente de l’Union des agricultrices wallonnes. Travailler en agriculture, c’est donc une sorte de sacerdoce, même si les

femmes revendiquent plus souvent leur droit à des temps de loisir. Selon l’enquête réalisée par l’université de Liège-Gembloux auprès des agricultrices wallonnes, la moitié des agricultrices wallonnes sondées prennent des vacances. Et environ la moitié des agricultrices s’accordent des moments pour réaliser des activités qui ne sont pas en lien avec leur métier. Les agricultrices plus âgées prennent plus de vacances que leurs cadettes, ce qui s’explique en partie par la possibilité de laisser un de leurs enfants s’occuper de la ferme pendant leur absence. - C.Ern.


4 Mardi 19 juillet 2016

PORTRAITS - L

Marianne Streel, à Rhisnes

Marianne a repris l’exploitation à 24 ans, seule avec deux bébés Relever le défi de porter une exploitation jusqu’au succès et d’élever deux nouveau-nés jusqu’à l’âge adulte ; en étant seule pour faire face. C’est l’histoire Marianne Streel, la combative.

D

es bottes ont été abandonnées au pied de l’escalier en compagnie d’élégantes chaussures à talons. Marianne Streel est cultivatrice à Rhisnes. Depuis trois ans, elle est aussi la présidente des agricultrices wallonnes. Une femme courageuse, déterminée et une destinée assumée. Sa petite Philippine a un mois et son petit Pierre 16 mois quand l’accident tragique arrive. Le mari de Marianne meurt dans un accident sur la route. La jeune femme a 24 ans, deux nouveau-nés et une ferme sur les bras. Il faut décider quoi faire. Très vite. Elle fait front. Elle engage un ouvrier. Et la voilà partie. Elle en parle aujourd’hui sans larmes. « C’est tout sauf une pleurnicheuse », glisse Anne Pétré la porte-parole de la FWA (fédération wallonne des agriculteurs). « Il est décédé le 3 mai et, en juillet, il fallait tout payer sans avoir la moindre rentrée. C’étaient de gros chiffres. J’étais paniquée de vider les comptes et de sortir de la sécurité que j’avais comme salariée », se souvient Marianne. « Mais j’avais besoin de retourner aux sources. Ce n’était pas un choix économique mais sentimental. Je ne l’ai jamais regretté. Ça m’a permis de m’organiser pour les enfants. Être agriculteur apporte un grand bien-être et des difficultés. »

« EN CE TEMPS-LÀ J’OBÉISSAIS »

ÉdA – Jacques Duchateau

« Avant on demandait juste de produire. Aujourd’hui, on doit être multifonctionnel. C’est hyperimportant en agriculture d’être formé et informé. » Marianne Streel travaillait pour un notaire lorsque son premier mari est décédé. Elle a repris, seule, toute l’exploitation en main. Aujourd’hui, elle est à la tête de la fédération des agricultrices wallonnes.

Après des études en sciences juridiques, Marianne aura effectué un stage chez un huissier de justice. « C’est ce que je voulais faire. Mais mon mari ne voulait pas de deux indépendants. J’ai donc été travailler pour un notaire. En ce temps-là, j’obéissais. Ou j’étais très amoureuse, je ne sais plus », dit-elle en riant. Quand le petit Pierre est né, le mari estime qu’il a désormais besoin de Marianne à mi-temps sur l’exploitation. Elle s’exécute jusqu’au jour où son univers s’écroule. « Après le décès, j’ai reçu l’aide d’énormément de monde. Le secrétaire de l’Alliance agricole et mon papa ont fait énormément. Et toutes les autres agricultrices ! Il y a eu énormément de solidarité. » La jeune femme est alors restée seule pendant huit ans avant de se remarier avec un instituteur, Gilles. « Il est ma roue de secours comme le sont de nombreuses conjointes. En cas de stress, je l’appelle », souligne-t-elle, joyeuse et apaisée. Avec Gilles, elle a eu un troisième enfant. Seule maîtresse à bord de son exploitation, elle a essuyé les jugements d’un milieu clairement patriarcal. « Ça jasait. On disait

dans mon dos que j’allais me casser la figure et qu’il y aurait des terres à reprendre. Mais ça a marché et j’ai gagné en respect », raconte Marianne. « Je n’ai jamais été sur le tracteur. Mon papa ne voulait pas, il voulait que je m’occupe des enfants. Pourtant, le tracteur ça m’aurait plu. »

« IL FAUT ÊTRE ARMÉ » Faire les moissons seule avec des enfants, ce n’est pas simple. « C’était un petit souci quand je recevais un coup de fil à 4 heures du matin pour aller sur les champs montrer la parcelle où le camionneur doit épandre. Je laissais les petits seuls dans leurs lits. À 25-26 ans, je n’étais pas fière », dit-il en rosissant un peu. Combien de fois n’a-t-elle pas dû partir dare-dare sur un champ avec le maxicosy devant et le siège enfant d e r r i è r e ? Aujourd’hui, elle en rit. « Heureusement que j’ai eu la formation que j’ai eue. J’ai pu très facilement rentrer dans les papiers et la comptabilité », épingle-t-elle encore avant de reprendre sa casquette de présidente. « Le défi d’aujourd’hui, ce n’est plus seulement le contact avec la terre et les petits oiseaux. Il faut être armé point de vue administratif. Avant on demandait juste de produire. Aujourd’hui, on doit être multifonctionnel. C’est hyperimportant en agriculture d’être formé et informé », prévient-elle, en jetant un œil plein de fierté vers les modèles que sa fille, qui termine des études de stylisme, est en train de photocopier. Militante dans une agriculture conventionnelle, Marianne sort un instant ses griffes. « Les nouvelles demandes environnementales, les législations, les normes sont un véritable défi, ditelle. On a parfois l’impression que le public a une mauvaise connaissance de comment on fait déjà dans les exploitations, déplore Marianne. L’agriculture wallonne est sans doute la plus encadrée et la plus contrôlée au monde. On lave plus blanc que blanc même par rapport à ce qui est demandé aux autres pays européens. » – C.Ern.


-

LES

Mardi 19 juillet 2016 5

FÉMINISTES

Véronic Stas, à Aubel

Véronic trait les vaches entre deux réunions politiques Traire les vaches matin et soir, ne pas avoir peur d’un tracteur. Mais aussi militer à l’extérieur pour la cause des agricultrices et en politique. C’est la vie de Véronic Stas, la bouillonnante.

U

ne carte des « amis de Lourdes », trois cruches à l’ancienne. Un smartphone dans une coque rose fluo. Véronic Stas-Schillings apporte le café qu’elle pose au milieu de la grande table en bois de son salon où règnent l’ordre, la bonne humeur et un ordinateur. Dans le hall d’entrée, des tracts de la « Bande des Félait », pour défendre le lait « avec les agricultrices ». Coquette et pleine de vie, les cils noircis et les ongles manucurés, Véronic est une agricultrice bouillonnante et engagée. Les 110 vaches du cheptel doivent être traites tous les matins. Debout à 5 heures. Entre deux heures trente et trois heures de travail. Et rebelote à 17 heures jusqu’à 19 h 30-20 heu res. Parfois (souvent) Véronic s’éclipse de sa ferme située à La Clouse, hameau de la commune d’Aubel, en région liégeoise. Madame a des réunions. « Je sais que Marc (son mari) et Thomas (son fils) sont là pour tout faire », dit-elle.

« THOMAS VEUT REPRENDRE AU GRAND DAM DE SON PÈRE » « Les femmes font souvent la traite parce que c’est moins physique, reconnaît Véronic. Il faut bien sûr brosser et racler les caillebotis. Mais c’est plutôt les hommes qui le font. La traite c’est moins lourd, surtout avec les salles de traite qu’on a de nos jours. On ne doit plus porter des cruches de lait pleines. Mais les hommes peuvent se débrouiller sans moi. » Thomas, le cadet de la fratrie, a 24 ans et a décidé de reprendre l’exploitation… au grand dam de ses parents. « Il travaille avec nous depuis cinq ans et il n’en démord pas. Mon mari a essayé de le dissuader. Avec la conjoncture actuelle, ce n’est vraiment pas un

soulagement de le voir reprendre », soupire Véronic. L’aîné Jonathan n’a jamais été attiré par le bétail, plutôt par le matériel. Le contraire de Thomas pour qui le bétail est sa passion. Quant à Carole, elle n’hésite pas à prêter main forte à la ferme, lorsque son travail le lui permet « parce qu’elle aime ça ».

« J’ALLAIS SUR LE TRACTEUR. C’ÉTAIT CHOUETTE » Véronic est tombée dans la cruche de lait petite. Enfant, elle devait aider ses parents après l’école. « Mes enfants aussi ont fait ça. Ils étaient demandeurs. L’été ils adoraient. » Elle a travaillé un peu à l’extérieur, « au début », dans une clinique, en cuisine. Puis, elle s’est consacrée à la ferme. « Je m’occupais de la traite, d’entretenir les bâtiments. J’allais sur le tracteur dans les champs. C’était chouette. Parfois j’ai eu un peu peur dans les talus, c’est très pentu par ici, dit-elle en riant. Je participais beaucoup pour changer les vaches de parcelle, faire l’ouvrage. Puis, on a eu les enfants. On a construit la ferme nous-mêmes. Mon mari est assez doué. (Elle respire de fierté). Les enfants ont grandi. J’ai eu besoin d’avoir des contacts. » Elle s’est investie alors dans le comité de parents de l’école et dans l’union des agricultrices. Elle est désormais présidente des agricultrices de la province de Liège. « C’est très enrichissant. Parfois, on s’apitoie sur son sort, rien ne va. Mais là on voit que c’est une aventure pour tout le monde et qu’on n’est pas les seuls à galérer. » Elle est, enfin, devenue conseillère communale à Aubel, aux côtés du bourgmestre Jean-Claude Meurens. Depuis deux ans, elle est aussi administratrice de la coopérative laitière. Un destin d’agricultrice moderne. « Ma maman aurait aimé faire participer à l’union des agricultrices. Mais papa ne voulait pas, se souvient Véronic. Il la voulait à la ferme. C’était une autre époque. » À la ferme, elle fait un peu les papiers « mais mon mari aime bien avoir son nez dans tout et que tout soit bien en ordre et complété. En fait, on fait tout à deux. On vit la ferme en famille et en couple. Quand on est à table, on parle de la ferme : faucher ou pas ; quelle est la météo. La météo, c’est le grand sujet ». Véronic reconnaît que si son mari était aussi actif qu’elle à l’extérieur, il y aurait un problème. « Mais il est heureux dans son exploitation », tranche-t-elle. – C.Ern.

ÉdA – Jacques Duchateau

« Quand on est à table, on parle de la ferme : faucher ou pas ; quelle est la météo. La météo, c’est le grand sujet. » Véronic Stas n’a peur de rien, participe à la traite et adore « mettre son nez hors de la ferme ». Elle fait ce que sa mère n’a jamais été autorisée à faire : militer en faveur des agricultrices.


6 Mardi 19 juillet 2016

REGARDS

Femmes seules en agriculture

« J’ai trouvé des femmes touchantes avec un courage incroyable » Elles sont femmes et seules sur leur exploitation. Michel Loriaux les a photographiées pendant un an et demi. Il a rencontré des femmes qui ne se plaignent jamais. Témoignage. © Michel Loriaux

© Michel Loriaux

E

lles sont agricultrices et céliba- chez le coiffeur et se maquillaient pour être plus taires. Elles sont rares. Elles exis- jolies sur les photos. Pas forcément pour aller tent. Le photographe Michel Lo- aux champs, mais sinon ce sont des femmes soiriaux a accompagné pendant un gnées », explique encore Michel. an et demi ces femmes seules en agriculture. Il les a suivies des journées en« IL Y A UN PROBLÈME tières pour capturer leurs faits, gestes et DE MACHISME » émotions. Le résultat de son reportage Le projet est né avec la rencontre d’une photo est visible à la foire de Libramont, au agricultrice ardennaise lors de l’émission bar « VIP ». « Je pensais trouver des femmes tristes et dé- « crash-test » réalisée sur une idée de Mimunies. Pas du tout. J’ai trouvé des femmes avec chel Loriaux et diffusée par la RTBF lors des un courage incroyable, témoigne Michel Lo- élections 2014. L’angle féminin lui tenait à riaux. Elles n’étaient pas seules par choix. Elles cœur. « Dans leur travail, je n’ai pas vu de différence avec les hométaient soit veuves, mes. Par contre, ensoit séparées. Mais tre agricultrices elles ne se plaielles s’aident, elles gnaient jamais. El« L’air de rien, ils mettent se soutiennent. les étaient très loin des bâtons dans les roues, Mais il y a un prode l’émission blème de maL’amour est dans ne donnent pas la bonne chisme, dénonce le pré de RTL : elles information à l’agricultrice. Michel. Ça agace n’étaient vraiment les hommes de voir pas dans cette dyIl y a encore une mentalité. » une femme s’en sornamique-là. » tir seule sur une exLe photographe ploitation. L’air de note au contraire rien, ils mettent des combien les femmes sont difficiles à aborder. « J’en ai sollicité bâtons dans les roues, ne donnent pas la bonne une vingtaine. J’ai essuyé beaucoup de refus. Le information à l’agricultrice. Il y a encore une milieu est fermé. Et puis, je suis quand même un mentalité. » Et de raconter l’histoire de Michèle qui homme et ce sont des femmes seules. Il n’y en a que quatre qui ont été suffisamment “ extraver- voulait rentrer un taureau à l’étable pour le ties ” pour que je passe du temps avec elles. » Le faire vacciner. « Elle n’y est pas arrivée. J’ai vu résultat est émouvant. « Elles étaient tou- son visage. Elle était vraiment triste de ne pas chantes, féminines. J’en ai vu qui passaient vite avoir la force physique d’un homme. » -C.Ern.

Odile Monfort, vétérinaire à domicile

© Michel Loriaux

Odile Monfort est vétérinaire « gros bétail » entre Ciney et Dinant. Elle a 28 ans. Née dans une ferme, à Clavier, elle voulait rester dans le milieu mais elle aimait apprendre, les sciences en particulier. Si elle a migré à Thynes, c’est pour suivre son mari… luimême fermier. L’agriculture, on naît dedans, on est dedans. « Ce n’était pas impératif qu’il soit agriculteur mais c’était logique. Et ça nous fait une passion commune. Je l’aide comme vétérinaire. Je fais les inséminations, les césariennes… Mais je n’ai pas de tâches dans la ferme », explique Odile. Pour le moment, le couple loge dans un appartement. Les beaux-parents d’Odile habitent et exploitent toujours la ferme. « Ce n’est pas simple, les fermes avec les parents et le fils », sourit Odile. Enceinte de son second enfant,

Odile envisage d’arrêter pour élever ses enfants… « L’idée plaît beaucoup à mon mari. Il est pour que je travaille à sa ferme. Et puis, j’ai bien aimé, enfant, vivre à la ferme avec toute la famille dehors, tous ensemble. J’aimerais faire vivre ça à mes enfants. Je pourrai être vétérinaire à la ferme, dit-elle en souriant. Donc je ne ferai pas une croix sur six ans d’études. » En attendant, la jeune vétérinaire exerce avec bonheur. « Les fermiers sont assez protecteurs. Ils ne sont pas tous complètement rustres. Je suis bien reçue. Le fait que je viens moi-même d’une ferme joue beaucoup. Ils savent que je ne suis pas complètement à côté de la plaque. Maintenant pour tenir le rythme, la cadence, en hiver quand c’est plus hard, les hommes s’en sortent peut-être mieux. » - C.Ern.


Mardi 19 juillet 2016 7

AUTOPSIE

Les petites fermes sont absorbées

Elles sont médiatrices dans 67 % des fermes ont disparu en 30 ans les conflits de succession Nombre d’exploitations 37 843

Une transmission sur deux se passe (très) mal. Les femmes jouent un rôle-clé pour faire circuler la parole entre générations lorsqu’il s’agit de parler de l’avenir d’une exploitation agricole.

«L

es mères jouent le rôle de médiatrices lors des transmissions aux enfants. Elles sont plus dans la communication, la médiation entre les différents membres de la famille que les hommes », signale Marianne Streel, la présidente des agricultrices wallonnes. Les agricultrices sont donc précieuses pour amortir les chocs dans les familles. La transmission des entreprises familiales est compliquée. Quand il s’agit d’une exploitation agricole, ça l’est plus encore. Les problèmes de financement et la particularité des baux à ferme s’ajoutent au cadre familial pas toujours évident, avec plusieurs générations qui peuvent se partager la même exploitation. Les conflits de générations sont fréquents. De plus en plus de jeunes femmes et d’épouses travaillent à l’extérieur. Cela suppose aussi de nouveaux équilibres dans le cadre de la gestion et l’administration de l’exploitation. Et puis, un divorce met en péril le boulot, l’exploitation et la transmission. Autant dire que si une séparation est un tremblement de terre pour tous les couples, dans un couple d’agriculteurs, c’est un séisme.

REPRENDRE NE SÉDUIT PLUS Entre la nouvelle génération « qui n’en fait qu’à sa tête » et l’ancienne, parfois réticente au changement, ça se passe parfois très mal. Et puis, les jeunes sont moins séduits par l’idée de reprendre qu’avant. Motifs ? Les

difficultés financières, des contrôles trop contraignants, la charge administrative, le fait de ne pas avoir choisi son métier, le sentiment de décalage par rapport au reste de la société et la sensation que les petites exploitations ne sont pas à même de faire face à la concurrence. « Il faut anticiper les transmissions, préconise Alain Englebert, qui travaille pour « Family House » qui accompagne la transmission des entreprises familiales et des familles. Trop souvent, les entrepreneurs familiaux sont le nez dans le guidon et ne prennent pas le temps de préparer. Trop souvent on arrive à l’accident ou à la limite d’âge pour tenir physiquement une exploitation sans que rien n’ait été préparé. »

UN MANQUE D’ANTICIPATION L’agriculture n’est pas le domaine habituel de Family House. Mais toutes les entreprises familiales sont en butte avec des problèmes lorsqu’il s’agit de transmettre. « Une transmission de PME sur deux est un échec, poursuit Alain Englebert. On a essayé de comprendre pourquoi. On a réalisé qu’il y avait un manque d’anticipation et que des techniciens de la finance s’en étaient occupés. Or il faut d’abord s’occuper du côté humain. C’est ce que nous faisons. » Il existe, hélas, très souvent des conflits larvés qui ne sont pas exprimés. « Des transmissions se font sur des bases très instables et d’énormes rancœurs cachées », témoigne Alain Englebert. « Chaque famille est différente et répond à des contraintes et des exigences différentes. Il s’agit donc de s’adapter sans s’enfermer dans des carcans préétablis. » -C.Ern.

Évolution du nombre d’exploitations selon la superficie agricole utilisée en Région wallonne 2000

28,46%

24,10 %

47,44%

2013

29 178

13,00 % 22,78 % de 0 à moins de 10 ha de 10 à moins de 30 ha de 30 ha et plus

20 843

783 165

752 743

756 725

64,22%

14 502

13 301

12 832

12 894

740 885

Superficie agricole utilisée (en ha) 1980

1990

2000

713 812 713 606 714 749

2010

2012

2013

2014

67 % des exploitations belges ont disparu entre 1980 et 2014. En Wallonie, 3,3 % des fermes disparaissent chaque année. Cette diminution structurelle est « la » caractéristique majeure du secteur agricole belge. Les exploitations ne cessent de s'agrandir dans le même temps. En 34 ans, la superficie moyenne des exploitations a quasi triplé en Wallonie : de 20,8 hectares à 55,4 hectares.

Conseils pour anticiper une transmission Que faire pour que la transmission ou l’arrêt d’une ferme se passe bien ? Anticiper est le maître mot. On le fera de trois manières. 1. Avoir le courage de se poser les bonnes questions. Il faut savoir non pas ce qu’on veut transmettre mais pourquoi on veut le transmettre. « Il peut y avoir d’autres réponses que la transmission intégrale à une personne de la famille. » 2. Faire un bilan personnel. Il

faut s’assurer qu’avec le capital reçu, il sera possible de tenir le coup. Il faut examiner l’équité de la solution trouvée et sa tenue dans la durée. Il faut s’assurer que toutes les personnes concernées partagent une même solution. 3. Parler vrai. « Ce sont des questions un peu impertinentes que nous posons. Mais il faut assurer un parler vrai entre parents et enfants », conseille enfin Alain Englebert. – C.Ern.


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ATUCI00A


SUPPLÉMENT AU JOURNAL DU 20 JUILLET 2016

3/3 Durant trois jours, en avant-première de la Foire de Libramont, nous vous emmenons à la ferme. Avec un regard 100 % féminin. Dans un univers en crise, en pertes d’emplois et de revenus, les femmes sont-elles devenues l’avenir de nos fermes ? Enquête auprès de femmes qui relèvent et symbolisent le défi du XXIe siècle pour l’agriculture.



Mercredi 20 juillet 2016 3

RADIOGRAPHIE

De plus en plus de machines

Les tablettes, les drones et les 69 000 tracteurs en plus sur nos routes en 30 ans satellites arrivent sur les champs Nombre de tracteurs agricoles

On trouve quatre fois plus d’ordinateurs dans les fermes wallonnes en treize ans. L’agriculture 2.0 a mis du temps à arriver mais elle est en route. Et les femmes jouent un rôle moteur dans cette numérisation.

177 989

182 056

183 638

32795

162123 146 550

Catherine ERNENS

P

lus de 40 % des agriculteurs ont à présent un micro-ordinateur pour les besoins de l’exploitation. En 2000, à peine 11 % des fermes en avaient un. Les drones et les satellites sont entrés dans les fermes. Les cultures peuvent de nos jours être analysées au millimètre pour ajuster à la goutte près les interventions. Les jets de pulvérisation sont réglés à distance par satellite.

LE RÔLE MOTEUR DES FEMMES « Les agricultrices s’informent beaucoup sur le big data. Elles veulent d’abord savoir comment se protéger parce que ça leur fait un peu peur », explique Marianne Streel, présidente de l’Union des agricultrices wallonnes. Dans un univers où la méfiance est une seconde nature, la numérisation de toutes les données liées à une ferme entraîne des craintes. « Nous organisons des formations sur l’apport des nouvelles technologies dans l’agriculture familiale », souligne Marianne Streel. « Et les tablettes arrivent mais ce n’est pas évident parce qu’une tablette, c’est fragile et il n’y a pas de 3G dans les champs. » L’Agence pour l’entreprise et l’innovation (AEI) vient justement de distinguer l’Union des agricultrices wallonnes sur un projet sectoriel ambitieux qui prend en compte le Big Data et l’utilisation des drones. « Dans le monde agricole, les femmes jouent un rôle moteur notamment en matière de veille technologique et d’innovation », justifie l’AEI. Les nouvelles générations sont bien entendu

plus à l’aise avec la digitalisation. « La fracture numérique, c’est à 45 ans », confirme Anne Pétré, porte-parole de la FWA, la Fédération wallonne de l’agriculture. La Wallonie est à la traîne. Seules 45 % des exploitations utilisent le programme « C.E.R.I.S.E » (un portail Web qui reprend différents services qui touchent à l’élevage) en Wallonie contre 55 % en Flandre. « Ça veut donc dire que la moitié des fermiers wallons font encore tout par papier qu’ils envoient par la poste », calcule Anne Pétré.

UN TRAVAIL PLUS FIN « L’informatisation, le big data, le GPS en agriculture permettent à l’exploitant d’être plus fin dans ce qu’il fait et d’utiliser moins de produits, appuie Philippe Baret, professeur à l’UCL où il enseigne la génétique et l’agroécologie. Aujourd’hui, en France, il y a dans les champs des tracteurs sans chauffeur, pilotés par GPS. C’est extraordinaire du point de vue de la qualité du travail réalisé mais pas du point de vue de l’emploi. » Les innovations apportent aux agriculteurs une plus grande efficacité et une simplification du travail. À la foire de Libramont, les agriculteurs vont ainsi admirer des machines toujours plus grosses. « Mais on n’innove plus pour augmenter les rendements comme avant, signale Philippe Baret. Prenons le robot-traite qui simplifie radicalement la vie de l’agriculteur. La vache se trait elle-même. Mais il faut avoir les moyens de s’équiper et donc assez de vaches pour rentabiliser. » L’argent et la rentabilité sont la quadrature du cercle, fût-il numérique. ■

114 517

Nouvelles immatriculations 9 817

1977

1987

8 964

2000

10 692

2010

11788

2012

2013

Le nombre de tracteurs et des autres outils agricoles a augmenté de manière spectaculaire.

L’agriculture de précision, c’est l’avenir Depuis dix ans, d’intenses recherches sont menées à Gembloux, Liège et Arlon pour mettre au point une agriculture de précision informatisée. Les tracteurs, connectés par GPS, pulvérisent des doses différentes d’azote suivant la qualité du terrain. « C’est l’avenir, explique Marie Dufasne, seule femme parmi les hommes, qui coordonne les développements techniques et scientifiques d’AgrOptimize. Avec toutes les restrictions environnementales, l’agriculture devra être de plus en plus raisonnée et précise. L’outil que nous mettons au point permet de

réduire au maximum les produits appliqués sur les cultures. On prévoit l’apparition des maladies en localisant précisément à la parcelle près, et en croisant avec des données météorologiques. C’est innovant et révolutionnaire. » AgrOptimizeIl est une spin-off de l’ULg qui développe des outils d’aide à la décision. Marie Dufrasne mène ses recherches au campus d’Arlon. Scientifique dans l’âme, Marie Dufrasne est « agricole » de cœur. Son père, inséminateur, lui a donné le goût du milieu. « Puis le contact avec la terre, le vivant, j’aime C.Ern. ça. »


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PORTRAITS - LES

Fanny Lebrun, à Clavier

Fanny sème des graines d’espoir sur un petit hectare Les semences portent en elles l’avenir d’une agriculture de qualité. Mais la Belgique n’en produit quasi pas ellemême. Produire des graines bio pour ressemer nos terres, c’est le projet de Fanny Lebrun, l’audacieuse.

À

4 ans, Fanny chipe des capucines dans le potager de sa maman, pour les manger. Délicieuse expérience. À 18 ans, la voici à nouveau, par hasard, avec les mêmes petites fleurs plein la bouche. Elle se dit alors, mystère de la vie, qu’elle est faite pour l’agriculture. L’histoire se déroule en Australie où la jeune étudiante fait du… wwoofing. Comprenez, elle est logée et nourrie en échange de quelques heures de travail par jour et en compagnie d’autres jeunes comme elle. Elle y rencontre un agriculteur qui vit en autarcie, en se préparant à la fin du pétrole. Elle l’écoute, travaille pour lui, est fascinée. Il insiste sur l’importance des graines, en déplorant que les connaissances et la pureté en la matière se perdent. Un danger pour la planète.

DANS UNE ROULOTTE

SUR SON CHAMP AVEC SA FILLE

ÉdA – Jacques Duchateau

« L’an dernier, on a fait 25 000 sachets de semences. Tout à la main. » Fanny Lebrun vit seule avec sa fille de 4 ans dans une roulotte sur son propre champ. Avec patience et passion, elle cultive des graines bio qu’elle vend par internet ou dans des magasins spécialisés.

Le destin de Fanny a commencé là. À son retour, elle s’est lancée dans des études d’ingénieur agronome à Gembloux, a fait un bébé et a créé un potager pour cultiver des graines. « Les semences qui circulent sont de plus en plus des hybrides reproduites dans des grandes entreprises situées hors des frontières de la Belgique. Chez nous, il n’y a que moi et Semailles qui produisons des semences », explique-t-elle. Elle commence à travailler chez Kokopelli puis chez Semailles, deux opérateurs qui font des graines. Elle se passionne. Elle habite sur ses terres désormais, dans une roulotte en bois, version ultramoderne mais néanmoins confinée, fabriquée par son frère. Sa couche et celle de sa fille Jeannette (4 ans) sont en mezzanine au-dessus d’un espace unique à vivre avec grande baie vitrée donnant sur le champ et coin douche et toilettes. La précarité et la non-rentabilité, pour l’instant, est le prix de son projet fou. « J’ai une chance immense, explique Fanny, avec un sourire infini. Bruno a lu un article sur mon projet dans un journal et ça lui a donné envie de collaborer avec moi. Il m’a invitée sur ses terres. Lui fait des céréales en bio qu’il transforme en farine et désormais en pain. Et moi les graines. »

ELLE FAIT UN PEU RIRE

LES AGRICULTEURS DU COIN Fanny n’est pas née pas dans le milieu agricole. Son père était bouquiniste, sa mère ostéopathe. Elle fait « un peu rire les agriculteurs du coin avec son petit hectare de champ. Le monde agricole, c’est un autre monde. Mais moi je suis contente. J’ai produit trente variétés différentes de graines l’an dernier. » Les ventes se font souvent par internet ou dans certains magasins bio. Au moment de la Foire de Libramont, du côté de la petite foire. C’est même le meilleur moment de Fanny, celui où elle vend le plus. On lui demande si être agricultrice en solo avec une enfant ne lui fait pas peur. Elle répond que « oui, c’est un peu chaud. J’ai mis toute mon énergie dans ce projet et on s’est séparés, mon compagnon et moi. Il est musicien. Il ne comprenait pas qu’à certains moments, quand c’est la saison, il faut travailler jour et nuit quasi, dit-elle, avec des yeux lumineux et un peu fatigués. Toutes les graines viennent entre août et octobre. L’an dernier, on a fait 25 000 sachets de semences. Tout à la main. Heureusement, j’ai eu de l’aide. » Ses études en agronomie lui ont donné de bonnes bases en génétique. « Puis, ça fait une super carte de visite », dit-elle, enthousiaste, en grimpant sur une souche d’arbre. L’artisanat est total pour Fanny. Des ânes servent aux champs « parce que les tracteurs abîment les terres argileuses » et les récoltes se font au tamis. « Mais on pense acheter des bonnes machines et se professionnaliser assez vite . » Fanny cultive des semences. C’est un art en soi. Elle goûte les légumes pour repérer les meilleurs. Ce seront ceux-là dont elle récoltera les graines qu’elle conditionnera puis vendra. « Ce sont des graines bio et reproductibles et des variétés stables », conclutelle, fière. -C.Ern.


LES

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AVENTURIÈRES

Myrtille Janssens, à Forchies-la-Marche

Marie-Myrtille vend ses fruits et ses légumes dans une ancienne étable Les fruits et les légumes sont cultivés avec un soin particulier lorsqu’il s’agit d’une femme : les maraîchers le savent. Créer une entreprise agricole 100 % féminine, c’est l’aventure de Marie-MyrtilleJanssens, la joyeuse.

U

ne icône russe trône sur la cheminée au milieu de dessins d’enfants et d’objets épars. La toile cirée un peu usée du salon est parsemée de vaches, cochons et oies. Un calendrier du Crelan (l’ancien Crédit agricole) est épinglé au mur. Marie-Myrtille Janssens est maraîchère. Elle exploite seule, avec une ouvrière à mitemps, ses cultures de fruits et légumes. « Une entreprise féminine dans un monde masculin », dit-elle.

HOMMES NON-ADMIS La maraîchère a résolument renoncé aux hommes. « J’ai eu des ouvriers en saison. Mais il fallait se battre pour les faire travailler et ils voulaient me dire comment il fallait faire », raconte-t-elle. La jeune femme de 35 ans balaie une longue mèche poivre et sel qui se balance sur son teeshirt couleur framboise. « Et puis, j’ai constaté que les fruits et légumes cueillis par des hommes se conservent moins longtemps. Les mains des femmes sont plus délicates que les grosses paluches masculines. Et je ne suis pas la seule à le dire . » Le maraîcher voisin a fait le même constat. L’agriculture est pourtant « un monde calibré pour les hommes. J’ai parfois des difficultés à cause de ça, dit la jeune femme. Porter des sacs de 25 kg ou pour accrocher la remorque au Goupil (NDLR : tracteur électrique), il faut une force physique qui me manque . » Mais pour tout le reste, ça roule. Sa ferme se dresse à cent mètres de l’église de Forchies-la-Marche, dans le Hainaut. La bâtisse date du XVIIe siècle. Elle a été agrandie au fil des siècles. Marie-Myrtille, plantée dans ses courtes bottes couleur marron, montre les murs et chuchote, avec un air malicieux, « cette ferme raconte beaucoup d’histoires ». Agricultrice ? Parce qu’elle aime travailler

dehors. Et parce qu’elle a « toute une réflexion de société ». « Moi je dis aux clients, quand vous mangez mes légumes, vous gagnez de l’argent parce que vous avez moins de frais médicaux. Les produits bas de gamme transformés sont tous bourrés de sucre pour masquer le mauvais goût. » Elle poursuit : « A la Renaissance, être gros c’était être riche parce qu’il y avait trop peu. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Être gros, c’est être pauvre. » Bio ingénieure de l’UCL, Marie-Myrtille a repris la ferme du grand-père de son mari. Elle avait jusqu’alors exercé un tas de jobs administratifs. Elle se destinait à la recherche. « Le grand-père de Jean-François faisait les grandes cultures comme le froment ou le maïs. Ce n’est pas une reprise mais une création d’exploitation. Ce n’est pas facile. On n’a pas la génération du dessus pour nous donner les explications. »

TOMATES : SON POINT FORT Elle sort de sa chambre froide les légumes pour les poser sur l’étal de son magasin. Les tomates sont son point fort. Elle en cultive de toutes les sortes, tailles, couleurs imaginables. La variété de ses cultures est énorme. Aubergines, poivrons, panais, fèves, melons, potirons, moutarde, choux, fraises, framboises, groseilles… Et des myrtilles comme le nom de sa ferme « les jardins de Myrtille » parce que c’est son prénom. Ses parents l’ont assorti d’un « Marie » face aux récriminations des grands-parents devant un prénom si particulier. Elle-même a prénommé son petit de 5 ans d’un Fiacre « qui lui va comme un gant ». Fiacre est le saint patron des maraîchers, le nom d’une place à Charleroi (et d’une rue à Namur, NDLR). La jeune femme rit beaucoup, parle énormément sans cesser d’arracher des mauvaises herbes. Jean-François, son mari, travaille « à l’extérieur » dans une boîte de bio statistique. C’est lui qui ramène l’argent en attendant que les cultures soient rentables. La vente n’est pas évidente. Brabançonne d’origine, de Chaumont-Gistoux, Marie-Myrtille est déroutée par la mentalité du coin. « Quand ils connaissent, ils ne viennent plus. » Elle mise sur un projet de coopérative pour écouler sa production. Elle fait de l’agriculture raisonnée, et pas bio, pour les mêmes raisons, pour rester abordable au niveau des prix. -C.Ern.

ÉdA Mathieu GOLINVAUX

« Les fruits et légumes cueillis par des hommes se conservent moins longtemps. » Bio ingénieure, travaillant dans l’administration, Marie-Myrtille a repris la ferme du grand-père de son mari. Elle l’a transformée en exploitation maraîchère, en vendant ses fruits et légumes sur place.


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REGARDS

Élisabeth Simon, à Gaurain-Ramecroix

Élisabeth, avec sa ferme bio et collective, a été élue entrepreneuse de l’année D’une ferme reprise à trente ans presque par hasard, Élisabeth Simon a fait un domaine prestigieux, collectif et totalement éco-responsable. Une utopie bien enracinée dans les terres tournaisiennes.

E

lle avait trente ans. Son père était mort sans crier gare. Élisabeth Simon a dit oui. Elle a repris la ferme, seule. Elle a transformé le domaine de Graux, à Tournai, en un lieu assez fabuleux, résolument bio et collectif. Pourquoi avez-vous repris la ferme ? Je l’ai fait d’instinct. Mon frère était destiné à cela, pas moi. Mais il avait fait son chemin dans l’immobilier à Bruxelles. C’est une belle propriété. J’y suis née. Le lien avec les ancêtres était là. Cela s’est transformé en passion pour l’agriculture.

Élisabeth Simon

Sciences spatiales au service de l’agriculture Dans les régions arides et semi-arides, l’élevage constitue la principale source de revenus des ménages. Dans ces régions, la sécheresse est la première cause de mortalité du bétail. Marie Lang, dotée d’un master en sciences spatiales, a mis au point un projet pilote de suivi du fourrage et des bétails par satellite au Kenya. « Le but est de créer un système d’assurance pour les éleveurs nomades. Quand des sécheresses surviennent, beaucoup de bétail meurt. Et ils ont besoin d’aide pour survivre. À partir d’images satellites, on prévoit la mortalité du bétail. C’est un outil d’un grand secours. S’il fallait aller sur le terrain chaque fois vérifier, ça prendrait des mois pour indemniser les agriculteurs », explique avec passion la jeune scientifique. Marie Lang croise des données

satellites avec des données statistiques pour permettre une prédiction d’une haute précision. Le projet se nomme Agricab. Son objectif est de développer un cadre pour améliorer les capacités d’observation de la Terre pour une meilleure gestion de l’agriculture en Afrique. « Notre projet se focalise sur le développement d’un indice prédictif de mortalité du bétail due à la sécheresse à partir des données d’observation de la Terre dans les régions arides et semi-arides. Un tel indice pourrait être utile dans des contextes variés tels que les systèmes d’alerte précoce ou les programmes de sécurité alimentaire. » Cette thèse, entamée à Mons, est réalisée avec le soutien de l’International Livestock Research Institute (Nairobi, Kenya) et du Vlaamse Instelling voor Technologisch Onderzoek (Mol, Belgique). C.Ern.

Être femme, être boss et faire de l’agriculture : vous n’avez jamais eu de souci ? C’est un métier d’homme. On vous regarde un peu de travers quand vous êtes une femme. Mais il faut du caractère et je ne suis pas soucieuse du qu’en-dira-t-on. Le fait de venir du monde de la finance a été plus marquant que d’être une femme. Vous avez d’ailleurs reçu le prix entrepreneur des Femmes Chefs d’Entreprise 2013. Ce prix m’a donné beaucoup de confiance. J’ai d’autres casquettes que celle d’agricultrice. J’ai développé un centre de conférences et événements. Et une petite société de construction. Chaque métier est pratiqué de manière durable. Dans notre centre de réception, on fait la fête de manière écoresponsable.

Vous êtes économiste. Vous avez hérité d’une ferme en agriculture conventionnelle. Les premières anComment se « Être agricultrice, nées, j’ai repropassent vos c’est se sentir responsable duit simplement contacts avec les ce qui s’est touagriculteurs de de l’avenir de la planète. jours pratiqué. votre région ? C’est produire Pendant dix ans, Je les connais de j’ai été en apprenmieux en mieux. de la nourriture et être fière tissage et en réJ’avais soulevé le de cette production. » flexion. Puis, à rêve de travailler force, je me suis avec des agriculrendu compte teurs d’ici quand que l’agriculture je suis passée en qu’on pratiquait était très critiquée, et à bio mais ça n’a pas pu se faire. juste titre. J’ai fait évoluer la ferme vers des méthodes naturelles. L’agriculture bio ne les séduit pas. C’est en train de bouger. C’est encore fraPourquoi cette évolution ? gile mais il existe un changement de soJe voulais une ferme idéale, une ferme qui ciété et même de la communauté agricole. s’occupe d’abord de nourrir les humains. Les barrières tombent. Les agriculteurs du J’ai calculé ce qu’il fallait produire pour coin commencent à m’acheter des proqu’un humain puisse manger toute une duits et trouvent que bio, c’est quand année. Puis, je me suis rendu compte que même de bons produits. ceux qui voulaient des terres ne les trouvaient pas parce qu’elles étaient trop chè- Que représente l’agriculture, pour vous ? res. J’ai ouvert ma ferme à ces porteurs de C’est produire de la nourriture et être fière projets pour produire des variétés diffé- de cette production. Être agricultrice, c’est rentes. se sentir responsable de l’avenir de la planète. Se dire qu’en étant écoresponable, Le bio, c’est ce qu’il y a de mieux ? on ne va pas arriver à nourrir 9 milliards On est plus qu’en bio. On fait du non-la- d’être humains, c’est un mythe. On a tout bour. On a réappris à travailler dans des ce qu’il faut pour y arriver si on le veut. sols vivants. C’est bénéfique. Nous avons des plantes en bonne santé dont nous de- Qui va reprendre ? vons moins nous occuper. Et à côté de la J’imagine une transmission non pas à une grande ferme à céréales, nous avons la ma- seule personne mais à un collectif. Je suis raîchère pour les légumes et les fruits ; des garante de la philosophie du projet. Je suis vaches ; des chèvres ; les apiculteurs, les la cheffe d’exploitation sur papier. Mais poules pondeuses et à chair. Nous allons tous ces porteurs de projets qui m’ont reouvrir la ferme à d’autres projets. joint sont indépendants. -C.Ern.


Mercredi 20 juillet 2015 7

AUTOPSIE

Le bio, un modèle qui innove

L’agriculture bio, un Le boom de l'agriculture bio en cinq ans supplément d’âme féminine 1287

1090

Nombre d’exploitations

L’agriculture bio gagne du terrain à un rythme incroyable. Chez les consommateurs, la part de marché est encore faible. Chaque année, de nombreuses agricultrices, plus encore que d’agriculteurs, font le pari du bio.

L

es agricultrices ont plus d’affinités avec le bio que leurs homologues masculins. De nombreuses études soulignent que les femmes, dans la société en général, ont une sensibilité à l’environnement plus forte. Elles sont soucieuses de fournir des aliments de qualité à leurs proches et très engagées dans l’éducation alimentaire de leurs enfants, à qui elles veulent transmettre un environnement préservé. Chez les agricultrices, c’est pareil. Celles qui ne sont pas en bio sont souvent plus attentives à la qualité des aliments qu’elles produisent que les hommes. Elles seront aussi souvent le moteur ou l’impulsion pour passer en bio. Parmi les moins de 40 ans, la proportion d’exploitations « féminines » certifiées bio est un peu plus élevée que celle des exploitations « masculines ».

UN PETIT MARCHÉ QUI GRANDIT L’agriculture bio gagne du terrain à un rythme incroyable. Les statistiques parlent d’elles-mêmes. Au 31 décembre 2015, la Wallonie comptait 1 347 fermes bios, ce qui représente 10,5 % des fermes wallonnes, soit une ferme sur dix. Cette dernière année, la Wallonie a vu s’implanter 60 fermes bios supplémentaires. Cela représente une augmentation de +4,7 % du nombre de fermes. Si on remonte un peu dans le temps, on remarque que le nombre de fermes bios a doublé entre 2008 et 2015, soit en sept ans. La superficie agricole utile consacrée au bio

779 44 878

INNOVATIONS SPÉCIFIQUES Le bio entraîne une innovation spécifique. On est moins dans une mécanisation spectaculaire. « En agriculture bio, il existe aussi des innovations mais il s’agit d’un autre modèle. On va inventer des interactions avec de nouveaux insectes. ce sont aussi des innovations mais d’un tout autre type », explique Philippe Barel, professeur en agronomie. ■ C.Ern.

54745

57429

61651 64437 +2,9 % entre 2014 et 2015

37695

Superficie agricole utilisée (en ha)

184

enregistre aussi une belle progression entre 2014 et 2015 : +2,9 %. 1 786 nouveaux hectares sont sous contrôle bio. La superficie sous contrôle bio atteint aujourd’hui 63 437 hectares, soit 8,7 % de la surface agricole utile en Wallonie. En 2005, elle était de 21,225 ha, la superficie agricole utile consacrée au bio a donc triplé en dix ans. Dans le même temps, on remarque que la surface agricole moyenne d’une ferme biologique en Wallonie est de 47,1 ha, soit un peu moins que la moyenne wallonne (56,9 ha). Chez les consommateurs, la part de marché des produits bio est encore faible. Elle représente 2,8 % du marché. Mais la consommation bio est ascension depuis 2008. En 2015, nos dépenses en produits bios ont augmenté de 18 % en un an. Le nombre de références ne cesse d’augmenter pour atteindre actuellement plus de 9 000 produits différents disponibles. La palette de produits bio s’élargit notamment avec du préemballé ou du préparé. Sans surprise, ce sont les familles aisées et les célibataires de plus de 40 ans qui consomment le plus de bio.

50 048

+4,7 % entre 2014 et 2015

1155

980

884

1347

37 5 998 583

61333

66 062

69 690

73134 73 642

77704

Nombre de bovins

51222 1987

1997

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

Le taux de croissance annuel moyen du nombre d'exploitations bio a été de 10% en Belgique ces cinq dernières années. Le nombre de bovins certifiés bio a augmneté de 44% en Wallonie ces cinq dernières années. Source : «Chiffres clés de l'agriculture 2015» Direction générale Statistique du SPF Économie

Quand le machisme fait mourir de faim Dans leur combat, les agricultrices wallonnes ne défendent pas seulement leurs propres droits mais aussi ceux des paysannes du monde entier. Le fossé hommes-femmes, encore béant au niveau mondial, coûte cher à la société et à la planète. En moyenne, les femmes représentent 43 % de la main-d’œuvre agricole dans les pays en développement. Or elles produisent moins que leurs collègues masculins alors qu’elles ne sont pas moins efficaces. Mais elles ont moins accès aux ressources agricoles. Et elles sont largement

discriminées : elles n’ont pas les mêmes droits pour acheter, vendre ou hériter des terres, ouvrir un compte épargne ou signer un contrat par rapport à ce qu’elles produisent. Si les femmes pouvaient avoir le même accès que les hommes aux ressources, elles augmenteraient de 20 à 30 % les rendements de leur exploitation. Ces gains de production, selon une étude de la FAO (l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), pourraient réduire de 12 à 17 % le nombre de personnes souffrant de faim dans le monde ! C. Ern.



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