Uberisation

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MARDI 5 JANVIER 2016

UBERISATION :

LES CONTOURS DU CHANGEMENT

MOD E D’E M PLO I

Cinq jours pour comprendre l’uberisation

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berisation : c’est l’un des nouveaux mots de 2015 mais c’est 2016 qui verra la traduction concrète de ce néologisme. Tout converge pour que cette année découvre l’explosion de ce modèle économique. La rédac­ tion de l’Avenir a jugé utile de s’arrêter pour explo­ rer un phénomène qui, il y a un an, aurait pris des allures de science­fiction et qui aujourd’hui, émerge de façon tantôt capillaire tantôt franche­ ment tentaculaire. ■ Aujourd’hui Comprendre les contours du changement Mercredi

Comment la numérisation est devenue l’accélé­ rateur de l’uberisation. Jeudi Comment le citoyen devient à la fois producteur et consommateur. Vendredi Entre résignation et rébellion, les entreprises clas­ siques développent des stratégies d’urgence. Samedi Le monde politique, partagé entre la fascination et l’inertie.

L’ANALYSE

UBERISATION

DE LA SOCIÉTÉ

2016, l’année où l’économie basculera dans le capitalisme 3.0 Les taxis d’Uber qui plongent sur les capitales mondiales ou bien Airbnb qui affiche plus de nuitées que le groupe Hilton : l’économie du partage se serait bien passée de ces deux emblèmes encombrants. Trop tard : quasiment tout devient « uberisable ». On vous explique pourquoi. ●

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OMMENTAIRE par D omi ni q ue VELLANDE

Demain, nous serons tous des indépendants C’est lors de la crise grecque qu’on les avait découverts. Des gens qui, quoique fonctionnaires ou salariés, n’avaient plus assez de quoi vivre. On les voyait conduisant un taxi (déjà…), travailler comme barman en soirée ou encore bosser comme déménageur durant leur week-end. En l’espace de quelques mois, ce qui relevait de la disgrâce et de la pauvreté est devenu l’emblème d’une forme de réussite. Les petits boulots restent évidemment une source de revenus mais sont désormais nimbés d’une sauce entrepreneuriale. Le travail intérimaire avait déjà semé les germes de la flexibilité. L’uberisation la sanctifie. Dans un grand carrousel où se rencontrent des clients toujours plus pressés et une offre qui entend s’y adapter. Ce qui n’aurait pu qu’être le challenge permanent de la vente en ligne devient la norme du travail réel. L’entreprise physique passe pour une lourdaude face à cette accélération. On lui demande d’être agile mais elle ne pourra jamais l’être suffisamment. Car, de toutes parts, elle découvre avec effroi que des auto-entrepreneurs lui taillent des croupières en travaillant plus vite, moins cher et surtout sans intermédiaire. L’auto-entrepreneur s’est affranchi de toutes ses peurs. Celles du lendemain, celles de la protection sociale. En ne comptant plus que sur lui-même. Demain, nous serons peut-être tous indépendants.

5 janv ier

Le troc a toujours existé. Ici, les technologies de l’internet ont fourni un levier extraordinaire au système.

Dominique VELLANDE

ien n’échappera à l’uberisation de la so­ ciété. Les puristes n’aiment guère ce néologisme et pourtant il traduit par­ faitement la brutalité d’un système suscepti­ ble de bouleverser des pans entiers de l’éco­ nomie traditionnelle. Partons donc de ces deux géants Uber et Airbnb pour comprendre ce qui se passe. Et pour décoder les raisons qui font qu’Uber est devenue la première société mondiale de taxis sans posséder une seule voiture et pour qui travaillent plus d’un million de chauf­ feurs indépendants. Ou encore pour expli­ quer comment Airbnb est en quelque sorte la plus grande chaîne hôtelière du monde alors qu’elle ne possède aucun lit. Ces deux mammouths qui valent aujourd’hui des milliards de dollars parta­ gent une caractéristique avec tous les ac­ teurs de cette nouvelle économie : leur en­ treprise se résume à une plateforme numérique. C’est sur cette plateforme que se joue le principe de l’offre et de la demande. Pas besoin d’un réceptionniste, d’un bon de commande : tout se passe entre celui qui of­ fre le service et celui qui en a besoin. Toutes les transactions se font en temps réel. « Ce qui est frappant, c’est que ce type d’éco­ nomie avait un ancrage local. On peut même dire que ces échanges sont primaires voire ar­ chaïques. Le troc a toujours existé. Ici, les techno­ logies de l’internet ont fourni un levier extraordi­ naire au système qui devient duplicable à l’échelle de la planète », explique Pietro Zidda, professeur en marketing (Université de Na­ mur). Mais cette offre n’a de sens que si le con­ sommateur lui­même y adhère. « Le change­ ment, c’est que le consommateur est un peu entré en résistance. Il veut toujours satisfaire un besoin mais sort des codes habituels : c’est l’accès qui

compte et moins celui de la propriété. C’est sur­ tout le cas des jeunes pour qui l’acquisition n’est plus une valeur fondatrice. » On pourrait saluer les vertus d’une écono­ mie expurgée du consumérisme effréné. Pietro Zidda l’admet : « Il y a en effet un tas d’initiatives qui vont dans ce sens. Et pas néces­ sairement dépendantes de la technologie. En Al­ lemagne, des gens mettent un post­it sur leur boîte aux lettres pour signaler qu’ils ont besoin d’une foreuse. Ou bien qu’ils ont un vélo à donner. Et ce phénomène existe partout : les services d’échanges locaux, les groupements d’achats,… ». Le ver est dans le fruit Les fruits de l’économie du partage sont pourtant atteints d’un ver qui les ronge à une vitesse exponentielle : la monétisation. « L’esprit créatif qui anime cette économie est fortement influencée par les start­up de la Sillicon valley. Pour ces jeunes entreprises, le but, c’est d’abord de faire du business. Et donc du bénéfice. Avec un modèle économique abouti : une petite commission est perçue sur chaque transaction et comme ces dernières sont nombreuses, on arrive rapidement à gagner un gros paquet d’argent. » Et sans doute est­ce là le principal écueil : une économie qui était née en se posant comme alternative au capitalisme est en fait « récupérée » par ce dernier. « Cette récupéra­ tion est partielle. En fait, il faut parler de deux types d’économies. Celle qui se pratique dans le marché et qui est monétisée. Et celle qui reste hors marché et qui ne passe pas nécessairement pas la monétisation », nuance Pietro Zidda. C’est la première qui fait l’objet de toutes les atten­ tions : le capitalisme 3.0, comme on le sur­ nomme, déboule comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. 2016 va en décou­ vrir les inquiétantes conséquences. ■


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