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« Ce qui était, au départ, un conflit local limité à l’Ukraine est devenu une guerre par procuration, non déclarée, entre l’OTAN et la Russie » �����
« Ce qui était, au départ, un conflit local limité à l’Ukraine est devenu une guerre par procuration, non déclarée, entre
l’OTAN et la Russie » : extraits du Monde - P. Lellouche
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Joe Biden et jens Stoltenberg sécrétaire général de l’OTAN.
« Les renforts américains à l’OTAN, oubliés depuis la fin de la guerre froide, sont à nouveau de retour, visibles partout en Europe centrale et orientale, accompagnés par le renforcement de la présence militaire d’autres alliés, comme la France. La Suède et la Finlande sont en train de rejoindre l’OTAN, rompant avec une très longue histoire de neutralité… »
« Ce qui était, au départ, un conflit local limité au Donbass et au statut de l’Ukraine est devenu non seulement une guerre extrêmement destructrice au cœur même de l’Europe, mais aussi une guerre par procuration, non déclarée, entre l’OTAN et la Russie, qui peut à tout moment déraper… »
« Pour comprendre cette spirale continue vers l’escalade, il faut garder à l’esprit les éléments suivants : la caractéristique première de cette guerre est qu’elle est d’abord une guerre de l’émotion, qui se joue par les images, amplifiées chaque jour par le formidable talent d’acteur du président ukrainien, Volodymyr Zelensky. Celui-ci est passé maître dans cet art qui consiste à culpabiliser la totalité du monde occidental, parce que les démocraties n’en font pas assez, jamais assez, pour les défendre, lui et son peuple, présentés comme la première ligne de défense contre les attaques ultérieures de la Russie à l’encontre du reste de l’Europe démocratique. Ce qui se joue n’est rien de moins qu’un « remake » de la seconde guerre mondiale. Kiev, c’est Londres sous le Blitz. Zelensky est Churchill, Poutine est Hitler et Biden est Roosevelt, qui fait renaître le « prêt bail de 1941 » « Une des caractéristiques extraordinaires de cette guerre est de voir les puissances les plus importantes du monde occidental, à commencer par les Etats-Unis, déléguer à M. Zelensky la définition des buts de guerre. Comme l’a redit ces derniers jours le conseiller à la sécurité nationale américain, Jake Sullivan : « Notre travail est de leur donner tous les outils dont ils ont besoin pour qu’ils soient dans la position la plus forte possible. » Pour quoi faire ? Nul ne le sait, ou en tout cas n’ose le dire publiquement, de peur d’être immédiatement convoqué au tribunal des Munichois… »
Cette abdication volontaire sur les buts d’un conflit engagé avec la superpuissance rivale, détentrice de 5 977 têtes nucléaires, est pour le moins problématique, sachant que le rapport des forces sur le terrain ne peut pas permettre à l’Ukraine de reconquérir le Donbass par ses propres moyens, et encore moins la Crimée. Dans ces conditions, nous sommes donc face à une mécanique infernale, qui pourrait se résumer comme suit : l’agression russe est aussi féroce qu’insupportable, mais les revers initiaux de l’armée russe n’ont fait que durcir la volonté du Kremlin de l’emporter coûte que coûte. En face, les Ukrainiens demandent sans cesse plus d’armes et de solidarité, y compris l’entrée dans l’UE.
« Plus nous livrons des armes et affichons une solidarité sans réserve, plus les buts de guerre annoncés à Kiev deviennent ambitieux, et plus il faut livrer d’armes pour y parvenir, augmentant ainsi davantage encore les risques de dérapage ou d’escalade. » « Plus la guerre dure, plus elle prend des dimensions mondiales par ses conséquences énergétiques, économiques ou alimentaires, et plus l’Occident en général risque de se trouver isolé par le reste de la communauté internationale. Le fait est que, malgré les résolutions de l’ONU votées par une majorité de pays, des nations représentant 4 milliards d’individus au moins sur cette Terre, et la moitié de la production mondiale, sont en fait plus proches de la Russie et de la Chine que des Etats-Unis et de leurs alliés. » « Dans ce contexte, la décision des trois pays fondateurs de l’UE, dont la France, d’envoyer un signal fort à l’Ukraine en lui accordant un statut de candidat immédiat, si elle peut se comprendre pour des raisons politiques à court terme, n’en entraîne pas moins toute une série de conséquences à moyen et long terme, qui sont pour le moins problématiques. »
« Cette décision entérine le lobbying bureautique intense de la Commis-
sion européenne au détriment des Etats, mais aussi le poids désormais dominant des Etats-Unis et du Royaume-Uni sur une décision ma-
jeure pour l’avenir de l’UE. Elle renforce aussi le poids des pays les plus proches de la Russie, comme la Pologne ou les Républiques baltes. Sans compter le fait que l’Ukraine n’est absolument pas prête à entrer dans l’UE, et que cette candidature pose problème par rapport à tous les autres pays, notamment ceux des Balkans, qui sont eux-mêmes candidats à la candidature depuis des années. » « Le point essentiel est que l’intégration de l’Ukraine dans l’UE à ce stade revient à placer la charrue avant les bœufs sur le plan géopolitique. Pour le comprendre, il faut garder à l’esprit que la création même de la Communauté européenne, en 1955, lors de la conférence de Messine, formalisée deux ans plus tard dans le traité de Rome, n’a été possible que parce qu’avait été mise en place précédemment, en 1949, la garantie américaine sur l’Europe par le traité de l’Atlantique nord. C’est le socle de sécurité commun qui a permis l’intégra-
tion économique et politique euro-
péenne. » « Dans le cas de l’Ukraine, c’est l’inverse qui se produit : le pays est en guerre, son statut entre l’OTAN et la Russie n’est pas réglé… et pourtant, l’UE va prendre l’Ukraine sous son aile, c’est-à-dire s’engager à la reconstruire, mais également, en vertu de la clause de sécurité mutuelle prévue dans les traités, à assurer sa sécurité le moment venu. »
« Du point de vue américain, cela
est tout bénéfice : l’Amérique retrouve son plein leadership en Europe,
elle vend son gaz naturel liquéfié à la place du gaz russe, elle va livrer des dizaines et des dizaines de milliards de dollars d’armements aux Européens, le tout en abandonnant la charge de la reconstruction de l’Ukraine aux mêmes Européens. » « Un tel développement de la guerre en Ukraine sera-t-il acceptable par les peuples du Vieux Continent dans la durée, dès lors qu’ils en auront compris toutes les implications, eux qui, dès la prochaine rentrée, seront confrontés aux conséquences directes sur le plan économique et énergétique… »
« Il est donc indispensable de poser enfin le débat sur les buts de cette guerre et de cesser de déléguer cette question cruciale uniquement aux décideurs de Kiev, dans un processus interne dont on ne sait absolument rien, d’ailleurs. L’intérêt national commande d’obtenir au plus vite un ces-
sez-le-feu et l’arrêt du conflit, avant que les choses ne dégénèrent davan-
tage, et que nous nous retrouvions avec une escalade que nous n’aurions pas souhaitée, sans les moyens de la contrôler. Le seul point positif des livraisons d’armes massives accordées jusqu’à présent à l’Ukraine, c’est qu’elles offrent potentiellement une monnaie d’échange, à la fois face aux Ukrainiens et aux Russes, pour obtenir un cessez-le-feu. »
« Pour les Ukrainiens, un tel cessezle-feu sera de toute façon insuffisant, puisqu’il s’accompagnera inévitablement de concessions territoriales. Il sera tout aussi insatisfaisant pour les démocraties, car il sera la reconnaissance d’un fait militaire, en violation de toutes les normes internationales, avec, à la clé, une zone démilitarisée instable qui ressemblera à celle qui sépare les deux Corées depuis soixantedix ans, mais qui jusqu’à présent assure la paix. »
« Face à cette option de realpolitik, il est bien sûr possible de faire prévaloir, comme depuis quatre mois, la morale et la nécessité de punir l’agresseur. Or, cette option suppose de gagner la guerre dans les termes énoncés par les Ukrainiens et certains de leurs alliés les plus remontés contre la Russie : à savoir récupérer tous les territoires occupés du Donbass à la Crimée, et aussi se débarrasser du régime de Poutine en forçant, par la défaite de l’armée russe, une crise politique majeure à Moscou.
Mais il serait illusoire que de penser une telle issue comme atteignable sans une implication massive des Etats-Unis et de l’OTAN sur le terrain, laquelle nous entraînerait, tels les somnambules de 1914, vers une
troisième guerre mondiale. »