Mémoire de Master ENSA Paris la Villette Pôle Art, Architecture et Philosophie Anne TUSHER - Chris YOUNES – Catherine ZAHARIA
LA VILLE DE BUENOS AIRES, LE RIO DE LA PLATA ET LE PORTENO
P o u r q u o i l a v i l l e d e B u e n o s A i r e s t o u r n e - t - e l l e l e d o s à s o n f l e u v e ?
L é a N A M E R F é v r i e r 2 0 1 2
Sommaire
I.
Introduction…...................................................................................................................p.3
II. Topographie de la région du bassin de la Plata...........................................................p. 6
III. Au fil de l'eau et de l'histoire…………...........................................................................p.12
IV. Buenos Aires et son Rio aujourd’hui .........................................................................p. 28
V. Conclusion.......................................................................................................................p. 33
VI. Annexes ….......................................................................................................................p.37
VII. Bibliographie …............................................................................................................p. 56
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RELATIONS MOUVANTES ENTRE LA VILLE DE BUENOS AIRES ET LE RIO DE LA PLATA DOMAINE D' ETUDE : RELATION VILLE/FLEUVE MOTS CLES : BUENOS AIRES, RIO DE LA PLATA, HISTOIRE, IDENTITE, SOCIETE, IMAGINAIRE, REPRESENTATION.
Les villes se sont généralement crées en s'appuyant sur des éléments géographiques : des promontoires rocheux pour surveiller un territoire et/ou assurer leur défense, des voies naturelles de communication comme les vallées ou les fleuves pour développer le commerce.. Utilisés comme moyen de transport, comme ressource en eau et en énergie, les fleuves ont toujours été importants pour le développement urbain. Ainsi de tout temps, villes et fleuves ont entretenu des rapports fusionnels ; rapports marqués par des périodes de forte symbiose, de complémentarité, d'ignorance, de détachement et des moments de simple coexistence in situ. Actuellement, le phénomène de métropolisation interroge la place du fleuve dans l'espace urbain. Il n'est plus support de déplacement, a perdu souvent son rôle économique et subit les effets de la pollution. Depuis quelques décennies, face à la prise de conscience des enjeux écologiques, de l'importance du cadre de vie et de la présence éventuelle de friches industrielles, les projets sur la reconquête du fleuve en milieu urbain fleurissent dans le monde entier. Après avoir oublié, voire dénié, leurs fleuves et rivages, les villes cherchent à retisser des liens, à leur redonner une fonction urbaine. Elles les considèrent à nouveau comme des atouts d’importance dans leur développement. « Rendre les berges accessibles », « les intégrer dans l'organisation urbaine », « retourner la ville vers son fleuve », « remettre le fleuve au cœur de la ville » sont autant de formules employées par les acteurs urbains ; architectes, urbanistes, sociologues, politiques, écologistes..
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Dans le cas des rives urbaines, l’objectif est de renouer des liens perdus avec une réalité géographique et de rétablir une relation physique disparue qui est généralement, à l'origine du développement de la ville, qui participe à son identité et l'inscrit dans un territoire, un milieu. Le fleuve a un grand potentiel: il permet un équilibre écologique faune/flore, une irrigation naturelle et est ressource en eau douce pour la ville. Mais il a aussi un rôle social, il se pose comme un élément fédérateur de toutes les populations du territoire métropolitain. Ses berges deviennent un lieu de convivialité, de rencontre. De plus, il symbolise une nouvelle urbanité, un désir de nature. Ces liens nouveaux instaurés vis à vis du fleuve, permettent un renouveau du développement urbain, une régénération de la ville sur elle même. Le choix de Buenos Aires et de sa relation un Rio de la Plata comme sujet d’étude s'explique pour plusieurs raisons. La capitale de l’Argentine, est - comme prés de deux tiers des métropoles mondiales, régionales ou de villes plus modestes, à travers le monde - un port et ce depuis sa fondation au XVIe siècle par les colons Espagnols. Elle fut crée, dans le cadre de la politique coloniale de l’Espagne, grande puissance maritime en Europe avec le Portugal, afin de procéder à l’exploitation et le transfert de richesses (matières premières et précieuses) depuis l'Amérique vers la Couronne Espagnole. De par sa position sur l’embouchure du Rio de la Plata, Buenos Aires deviendra, au fil des siècles, un élément moteur essentiel dans le développement économique de tout le pays, un lieu unique, stratégique et privilégié d'ouverture au monde. Dans ce schéma, le port de Buenos Aires occupera également une place primordiale dans l'identité de la ville et de ses habitants appelés les "portenos" (en Français, « portègne », ceux qui habitent le port). Dans une relation dialectique le fleuve et le port joueront un rôle essentiel dans le développement de la capitale et du pays.(1) A travers ses différentes phases historiques et économiques (époque coloniale, création d’un Etat indépendant, révolution industrielle, pré capitalisme et capitalisme, et finalement la globalisation) nous affinerons notre approche.
(1) Doc 1 : logos de la ville de Buenos Aires.
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Le choix de Buenos Aires comme sujet d’étude s'explique également par le fait que, dans le cadre d’un échange universitaire, nous avons passé une année sur place, de juillet 2010 à juillet 2011 et pu constater de visu cette dialectique entre la ville et son fleuve « couleur de Lion » comme l'appelait Jorge Luis Borges. Nos premières impressions nous reviennent alors : une ville gigantesque, bruyante, chaotique, mosaïque de styles architecturaux en tout genre et surtout l'impression d'une ville coupée de toute relation avec son fleuve. Comment comprendre la situation que je constatais alors ? Pourquoi la ville de Buenos Aires tournait-elle le dos à son fleuve ? Afin de tenter d’expliquer cette réalité, nous commencerons par étudier dans ce mémoire la topographie des lieux, élément presque immuable, qui apportera des éléments de réponse essentiels à notre questionnement. Dans un deuxième temps, nous tâcherons de décrypter, de façon synthétique et chronologique, l'évolution des relations entre la ville de Buenos Aires et le Rio de la Plata, depuis sa fondation et jusqu'à nos jours. Tout fleuve présente, en effet, des aspects multiples : il n’est pas seulement un axe géographique mais est aussi la résultante de facteurs historiques, sociologiques, économiques, politiques et sociales. Le troisième et dernier chapitre proposera, en s'appuyant sur les éléments de réponses topographiques et historiques avancés précédemment, la description du positionnement actuel de la ville de Buenos Aires face à son fleuve et évoquera les enjeux futurs de ce couple ville/fleuve. Il tentera aussi de présenter les aspects liés à l’imaginaire autour du Rio de la Plata. Tout au long de cette recherche, les dimensions symboliques et imaginaires du fleuve seront abordées par le biais d’éléments graphiques divers : gravures, tableaux, photographies, cartographies, et citations littéraires. Ponctuant chacune de ces trois parties, ils viendront illustrer les propos avancés, nous livrer des visions plus subjectives d’une époque et permettront, en annexe, d'élargir la réflexion du lecteur.
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I. Topographie du bassin de la Plata De par sa position sur l'estuaire du Rio de la Plata, la ville de Buenos Aires se situe comme porte d'entrée et de sortie du bassin hydraulique de la Plata vers l'Océan Atlantique. C'est d'ailleurs pour cette raison que les colons espagnols choisirent d'y installer les premières fondations de la ville (1), afin d'établir un contrôle sur cet axe fluvial majeur, avec l’objectif à plus long terme, de conquérir les terres vierges, en accord avec une politique coloniale déjà menée par Lima (cote pacifique) et Mexico (plus au Nord). Le bassin de la Plata est formé par de vastes espaces géographiques appartenant aujourd’hui à cinq pays : l'Argentine, la Bolivie, le Brésil, le Paraguay et l'Uruguay, et constitue ainsi le cœur fluvial du Mercosur (Marche Commun du Cône Sud de l’Amérique Latine). Ce bassin s'étend sur plus de 3 100 000 km² soit, approximativement, 17% de la superficie de l'Amérique du Sud (le cinquième au monde et l’un des plus importants du continent américain après celui de l'Amazone et du Mississippi). Dans cette vallée coulent trois fleuves importants (sans parler des dizaines d’affluents de plus faible débit) : le Paraguay, le Parana et l’Uruguay, dont les eaux se déversent finalement à travers un delta dans le Rio de la Plata.(2)
Situation géographique du Rio de la Plata et de la ville de Buenos Aires (34°40'S 58°24'O).(2)
(1) Premières fondations en 1536 par Pedro de Mendoza puis secondes fondations par Juan D. Garay en 1580. (2) Doc 3: Carte fluviale du Bassin de la Plata
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L'immense estuaire (36 500 km2) du Río de La Plata constitue l'embouchure des fleuves Uruguay et Paraná et sépare l'Argentine de l'Uruguay.(1) Il est malgré une faible longueur (250km), le plus large du monde (une centaine de kilomètres à la hauteur de Montevideo). Au cours de son histoire il fut successivement désigné « d'estuaire », « de mer », « de golf », « de baie ».. Ce n'est qu'en 1949 qu'une commission Argentino-Uruguayéenne lui donnera le titre définitif de « fleuve ». Les Indiens, déjà, le surnommaient « Paranaguazu » (le fleuve comme mer), Juan Diaz de Solis, explorateur espagnol qui le découvrit au début du XVIe siècle lui donna le nom de « Mar Dulce » (Mer douce) mentionnant ainsi la sensation visuelle donnée par l'absence de rives.
Vue aérienne de l’estuaire de la Plata
Il est d'ores et déjà important de mentionner que la nature des rives de ce fleuve est très différente de chaque coté de l'estuaire. Contrairement à la rive orientale (Uruguay), le fond de la rive occidentale n’est pas constitué de roches mais de sable et il existe de nombreux haut fonds (la profondeur moyenne du fleuve est de 4,5m). Cette caractéristique, ainsi que la très faible profondeur de l'estuaire (toujours inférieure à 10 mètres) constitue un obstacle pour la navigation et vaudra même, dès le XVIe siècle, au Rio de la Plata, le surnom de « l'enfer du navigateur ».
(1) Il convient aussi de préciser que l'expression « Rio de la Plata » ou Rioplatense s'utilise pour définir l'ensemble du territoire comprenant l’estuaire et les deux Pays l'entourant qui sont l’Argentine et l'Uruguay. Tous deux, au delà d'une proximité géographique, partagent une culture et une histoire très proches.
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Cette faible profondeur du Rio empêchera, durant des décennies, les embarcations d'arriver jusqu'à la rive de Buenos Aires. Ainsi, jusqu'à ce que soit construit un véritable port au début du XIXe et que soit drainé le lit du fleuve. La seule manière pour les bateaux de décharger marchandises et passagers fut de les transborder dans des embarcations plus légères jusqu'à la rive. Ce problème de profondeur des eaux va persister - malgré les avancés technologiques jusqu'à nos jours en accentuant les difficultés du port à accueillir les bateaux de grand fond.
Ainsi, à priori, rien ne facilitait l'instauration de Buenos Aires comme ville/port et ne laissait présager un tel destin et un tel développement. La ville semble avoir forcé son destin en contournant les obstacles de la nature. Rappelons également qu'aujourd’hui l'emplacement du port a déjà été changé trois fois depuis la création de la ville, en 1536, afin de passer outre ces contraintes naturelles et augmenter son rendement. (1) La ville de Buenos Aires se situe donc à l'embouchure du Rio de la Plata, image du seuil entre deux mondes : le Vieux Continent et le Nouveau Monde durant la Conquête mais aussi entre l'Europe et l'Amérique Latine à partir du XIXe siècle. Soumise à un climat subtropical humide, elle se place à la rencontre de deux eaux, températures et salinités différentes. Le mouvement des flots s'y conjuguent ; l'écoulement horizontal et continu des eaux fluviales et l'oscillation vertical et rythmée du sac et du ressac des vagues, flux et reflux des marées de l'Océan Atlantique.(2) Le Rio de La Plata subit ainsi des variations de marées importantes et des vents parfois très violents : le Pampero et Sudestada.(3) Aussi, les collisions et naufrages ne sont pas rares en cet estuaire très fréquenté. Enfin, les risques d'inondations sont un phénomène fréquent et redouté dans la ville située seulement à vingt mètres au dessus du niveau de la mer. La couleur des eaux du fleuve est une autre caractéristique importante du Rio de la Plata ou « fleuve d'Argent ». Loin d'une couleur argentée ou cristalline que pourrait laisser imaginer le nom du fleuve, il s'agit d'une eau tropicale, très chargée en sédiments venus de la Bolivie et tirant vers le marron clair. Cette couleur peut provoquer, chez un observateur non initié, un certain « dégoût » ou impression de saleté. Il est cependant vrai que, de nos jours, le Rio de la Plata est l'un des trois fleuves les plus pollués au monde après le Salween en Chine et le Danube en Europe.
(1) : Doc 4 : Les différents emplacements des ports de la ville de Buenos Aires. (2) : Doc 2 :. Vue aérienne de l'estuaire du Rio de la Plata. (3) : Pampero : Vent violent et sec venant du Sud-Ouest et soufflant principalement en été. Il avance rapidement à travers la pampa et forme des orages électriques et des pluies importantes. Sudestada : Vent puissant venant du Sud-Est et survenant principalement en automne et au printemps. Il s'agit d'un vent froid et très humide accompagné de précipitations faibles mais continues. Lorsqu'il dure le vent peut provoquer la montée des eaux du Rio de la Plata provoquant des inondations.
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Indiens d'Amérique faisant cuir des poissons. Paysage originel.
D'autre part, il nous parait intéressant dans ce chapitre concernant la topographie et la géographie de l'estuaire de tenter de restituer une image du paysage du lieu primitif, d'imaginer le regard des premiers habitants et des premiers colons. L'archéologie est pour le moment formelle : jusqu'à l'arrivée des colons Espagnols sur le côte Sud du fleuve, où se trouve actuellement Buenos Aires, aussi bien que dans les environs immédiats, il n'y avait personne. Tout ce qui avait survécu aux dernières glaciations, homme, animal ou plante, évitait les abords plats et inondables du fleuve.
Juan José Saer évoque, dans son ouvrage « El rio sin Orillas », cette période : « Proliférait uniquement la faune ambiguë, humide et rampante des marais, ainsi que des nuées d'insectes qui assombrissaient les airs, papillons éphémères, taons, moustiques et moucherons. Le terme générique de sabandija (salle bestiole, vermine), que les Espagnol ont donné à cet engeance, est resté pour désigner toute personne malfaisante et méprisable. » Les indiens, ne s'aventuraient presque jamais au delà du Delta, pour ne perdre ni pied ni réalité dans ces eaux qui, se confondant avec la mer, s'élargissaient et se prolongeait à l'infini. Darwin mentionne encore, dans son Voyage d'un Naturaliste, ce milieu hostile. (1)
(1) « Plusieurs fois, quand notre vaisseau se trouvait à quelque milles au large de l'embouchure de la Plata (...) nous avons vus des bandes et des troupeaux de papillons, en multitude infinie, s'étendant aussi loin que la vue pouvait porter. Les matelots s'écrièrent qu'il «neigeait des papillons», c'était là, en effet, l'aspect que présentait le ciel. »
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Ce lieu est resté longtemps qu'un lieu de passage, dépourvu d'arbres, de pierres, de faunes cynégétiques, de métaux précieux, Il était pauvre non seulement à cause de l'absence de ressources indispensables à la survie mais aussi dans son aspect, esthétiquement pauvre et vide, à la rencontre de deux déserts, l'un terrestre, l'autre aquatique, juxtaposés presque sans solution de continuité, comme si, au point de rencontre de l'un et de l'autre, la terre plate se liquéfiait et ayant pris a même couleur que l'eau devenait encore plus instable. Les conquistadors espagnols, contrairement à ce qui arriva dans les villes historiques ou métisses d’Amérique Latine (Lima et Mexico), ne rencontrèrent aucune civilisation structurée, aucune ville ni construction architecturale précoloniale existante. Ceci leur laissa un champs d'action absolue pour l'installation d'un plan hippodamien (1). Ce plan colonial traditionnel en damier, s’appliqua sans contrainte majeure du fait de l'étendue de la Pampa (« rase campagne » en langue quechua) à perte de vue. Le choix de ce plan traduit la volonté des fondateurs d'organiser rationnellement la ville, de tracer un plan pour « prêt à l'emploi », (pour accueillir les immigrés) en faisant fi de la topographie. Il s'agit clairement d'une rupture entre la morphologie urbaine et son milieu, de l'application brutale d'une trame rigide sur un territoire. (2) Ce modèle de ville planifiée est l'opposé de celui de la ville organique qui s'est développé en Europe. Dans le cas de Buenos Aires on retrouve une sorte de paroxysme de l'usage de ce plan avec la rencontre d'une trame infinie et d'un espace « infini ». Ce plan et la volonté par la suite de conquérir et exploiter les richesses des nouvelles terres, comme nous le verrons dans les pages suivantes, déterminera fortement le développement de la ville et son lien avec le fleuve. On peut se demander comment à cet endroit, qui été resté vide depuis la solidification même de la croûte terrestre, auront pu se rassembler les quelques dizaines de millions de personnes qui maintenant le peuplaient ? Ce lieu, comme nous le verrons plus loin, que tout le monde fuyait comme la peste deviendra le monde où tout le monde voulait venir ; ce lieu où tout être vivant n'était que de passage – Indiens Européen, bétail- ce fleuve dont aucun cheval ne voulait s'approcher préférant mourir de soif sur quelque coteau éloigné de l'eau, devint au fil du temps le lieu de séjour par excellence ; plus du tiers des habitants de l'Argentine, pour ne pas dire la moitié vivent aujourd'hui dans la région de l'estuaire.
(1) Référence à Hippodamos, architecte grec considéré comme le père de l'architecture et dont les plans d’aménagement étaient caractérisés par des rues rectilignes et larges qui se croisent à angle droit. Ce schéma urbain se retrouve également dans les villes de l'Amérique du Nord. (2) Doc 5 : Carte de Buenos Aires en 1708 (3) Doc 6 : Dessin de Rolando H. Schere.
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Buenos Aires, capitale de l'Argentine, est effectivement, de nos jours, l'une des agglomérations les plus peuplées d'Amérique du Sud et du Monde. Le Grand Buenos Aires qui représente la capitale fédérale et l'ensemble des banlieues qui l'entourent compte prés de 14 millions d'habitants. (1) Avec une superficie de 203 km² et une population d'environ 3 000 000 d'habitants, Buenos Aires a environ 15 000 habitants au km². Ce qui la rend, en comparaison, bien moins dense, qu'une ville comme Paris qui a une superficie de 105 km² et une population d'environ 2 200 000 habitants.
(1) Doc 7 :Courbe démographique de la ville de Buenos Aires
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II. Au fil de l'eau et de l'histoire
« Y fue por este rio de suenera y de barro que vinieron las proas a fundarme la patria ? Irien a los tumbos los barquitos pintados entre los camalotes de la corriente zaina. Pensando bien la cosa, supondremos que el rio era azulejo entonces como oriundo del cielo con su estrellita roja para marcar el sitio en que ayuno Juan Diaz y los indios comieron. » « C’est donc par ce Plata boueux et rêvasseur que les bateaux venus me faire une patrie descendirent un jour, leur coques de couleur cahotant parmi les nuphars du courant gris ? Regardons de plus près : le fleuve en ce temps là Doit être encore bleu, car c’est du ciel qu'il vient ; Une petite étoile rouge dit l'endroit Où jeûna Juan Diaz mais non pas les Indiens. » Jorge Luis Borges, Fondations mythologiques de Buenos Aires, Cuaderno San Martin, 1929.
Gravure du XVIe siècle. Caravelles espagnoles pénétrant dans le Rio de la Plata.
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Le Rio de la Plata, fut découvert à vrai dire, par erreur, par l'expédition de Juan Diaz de Solis, le « Grand Pilote de Castille », qui en 1516 cherchait un passage vers les Indes. Il aura fallut environ trois mois aux trois vaisseaux de Solis et aux soixante hommes qui l'accompagnaient pour aller des côtes andalouses à l'embouchure du Rio de la Plata. L'expédition avait un but scientifique, a savoir vérifier sur le terrain les théories de Vespuce en atteignant l'Orient par l'Océan Atlantique. Cette expédition s'inscrit dans la période Moderne, période, pour l'Europe, de découverte et de conquête du monde succédant au repli sur soit du Moyen Age. Il s'agit aussi de l'époque de rencontre entre deux mondes humains (le Vieux Continent et le Nouveau Monde) qui s'ignorent depuis plus de 20 000 ans. En Europe, l’Espagne et le Portugal s'affrontent pour dominer le globe (en cherchant la route des épices) de par leur façades maritimes ouvrant sur l'Océan Atlantique. Grâce aux progrès techniques, à la découverte de l'artillerie, de la boussole, de l'imprimerie ; des expéditions sont organisées.(1)
Dans les nouvelles colonies, la coexistence entre Indigènes et colons est extrêmement violente.(2) Un an après mort de Solis par les Indigènes, c'est Gaboto, autre navigateur espagnol, qui construira premier fort dans le Rio de la Plata. Il est muni d'instructions expresses de Charles Quint pour « charger les navires d'or, d'argent, de pierres précieuses, de perles, de drogues, d'épices, de soie, de brocarts, et d'autres chose de valeur ». Gaboto décida de pénétrer dans le fleuve car il avait entendu dire qu'il existait une sierra ou « il y avait or et argent à grandes quantités ». A l'embouchure du fleuve Carcarana, il construisit, en 1527, le fort de Sancti Spiritus, qui constitue les premières fondations sur le territoire argentin. Comme cela devait se reproduire souvent au fil des ans, les Indiens attaquèrent et incendièrent le fort de Sancti Spirtus, et ce qui resta de l'expédition de Gaboto retourna en Espagne. Six ans plus tard, un peu plus au Sud, à l'entrée même du Rio de la Plata, on vit débarquer une nouvelle expédition, celle de Pedro de Mendoza, avec mission de procéder à ce qu'on appelle, improprement, la première fondation de la ville de Buenos Aires, en février 1536. « Improprement » car il n'existe pas, comme c'est le cas pour d'autres villes, de document venant attester de façon formelle cette fondation. Les campements dressés dans cette zone avaient la particularité d'être toujours provisoire, et si d'aventure le découragement ou l'immobilité forcée paraissaient devoir les rendre durables, les indiens, en les rayant de la surface de la plaine, leur rappelaient leur précarité. Pour ce qui est de Buenos Aires, nombreux sont ceux qui prétendent que si l'expédition se fixa sur la rive sud du fleuve, ce fut pour empêcher les désertions, car l'étendue d'eau entre les deux rives était telle qu'il aurait été particulièrement difficile aux candidats éventuels d'aller chercher refuge après des colonies portugaises du Brésil.
(1) Doc 8 : carte expédition de la région de Gaboto (2) Doc 9, 100 : gravures du XVIe siècle.
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Gravure du XVIe siècle. Indiens d'Amérique attaquant la ville de Buenos-Aires.
La ville fut fondée une seconde fois par Juan de Garay en 1580, après l'incendie et la destruction des premières fondations, qui cherchait « une porte ouverte sur ces nouveaux territoires. » (1) (2) Les premiers groupes humains qui se fixèrent à l'emplacement actuel de Buenos Aires furent finalement des laissés pour compte d'expéditions avortées, des fonctionnaires oubliés par leur administrations, des déserteurs et des transfuges, des indiens ou des ennemis faits prisonniers qu'il ne valait même pas la peine de garder en prison, puisque la frange étroite de maisons en pisé entre la plaine et le fleuve était elle-même une prison. (3) Le Buenos Aires colonial n'était qu'un campement qui végétait, pauvre et étriqué. Il est finalement intéressant de voir à quel point cette appellation Rio de la Plata (qui signifie rappelons le « fleuve d'Argent » en espagnol) est chimérique : les conquistadors ne trouvèrent, aux bords de ces terres ingrates, qu'ils imaginaient remplies de trésors, que mort et désillusion. (4)
(1) (2) (3) (4)
Doc 11 : Tableau de la deuxième fondation de Buenos Aires par Juan de Garay. Doc 12 : Plan de fondation de Juan de Garay. Doc 13 : Peinture de la première ville de Buenos Aires. Juan José Saer : « L'immensité de la plaine, les crues violente des fleuves, l'absence d'agriculture faisaient du Rio de la Plata un lieu de misère. Sur les 2500 Européens arrivés au cours des débarquements successifs, il n'en restait guère, au but de trois ans, qu'un peu plus de cinq cents, la plupart d'entre eux étant mort de faim. »
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Gravure du XVIe siècle. Buenos Aires peu après sa fondation en 1536.
Dans ce méga-espace géographique, le bassin de la Plata n'était qu'une aire périphérique dans la conquête espagnole des Amériques, essentiellement centrée sur les très riches empires précolombiens du Mexique et du Pérou. Cet espace était marginal et n'existait que par sa connexion avec le Pérou. L'axe Lima-Buenos Aires structurait le monde colonial espagnol, l'autre se situant sur la côte du Pacifique avec le triangle El Paraiso, Callao et Cartagene. Ce schéma se poursuivra jusqu’à la fin XVIIIe siècle avec création de la Vice Royauté du Rio de la Plata. Finalement, la ville de Buenos Aires connaîtra peu de mouvements ou d’essor jusqu'au milieu du XVIIIe. Grâce aux richesses apportées par la traite des Noirs, à l'élevage du bétail et à la contrebande, elle commencera à se développer et dispenser ses premiers charmes.
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Plan de Buenos Aires en 1713. D Joseph Bermudez. « Planta de la ciudad de Buenos Aires, son todas sus cuadras, iglesias, conventos y la fortaleza que al presente tiene, con la parte del rio de la Plata que le corresponde y las casas mas particulares que hoy tiene ». Source : Archives générale de la Nation. Dans ce plan datant de 1713, le contexte géographique de la ville apparaît : le Rio de la Plata, ses eaux sombres, ses affluents traversant la ville et les campagnes alentours, le dessin irréguliers des rives.. Dans le Rio naviguent à la fois les caravelles des colons et les embarcations légères des Indiens. La ville est installée a distance du fleuve de peur des inondations. Elle a élevé un bastion protecteur pareil à ceux de Vauban par crainte des invasions ennemies. La rigidité du plan orthogonal colonial est frappante : il n'y a aucun lien entre le site et cette trame superposée. La présence du bras du Rio représenté sur la carte par la lettre Q permet de situer les premières fondations aujourd’hui disparues dans la ville actuelle ; il s'agit actuellement du quartier de la Boca (la bouche). Il est situé à la limite Sud-Ouest de Buenos Aires et doit son nom à sa position, à l'embouchure du Riachuelo qui se jette dans le Rio de la Plata.
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Carte détaillée de la ville de Buenos Aires en 1713. Ce plan réalisé par un navigateur allemand met lui aussi en avant le manque de relation de la ville, barricadée derrière son fort, avec le Rio de la Plata. Une bande épaisse longeant la rive reste non construite. La ville semble se développer en regardant vers l'intérieur, dans un sentiment de peur à l'égard du fleuve, une idée de repli vers une intériorité, autour de cette place du marché, est perceptible. Le fleuve ne semble pas être un élément référent. On retrouve, comme dans tout plan colonial, la place Principale, le Cabildo et la cathédrale.
La Couronne espagnole imposait depuis 1594 son monopole commercial à Buenos Aires, bien que la plupart du temps l'Espagne n'ait rien eu à lui vendre ou lui acheter. Les Anglais, en inventant la notion de libre échange, voulaient en réalité revendiquer leur droit de s'infiltrer dans les colonies soumises au monopole espagnol, ce qui accrut la première source d'enrichissement du Rio de la Plata : la contrebande. « Les descriptions des bateaux français, hollandais ou anglais, venus procéder à des échanges commerciaux avec les habitants de Buenos Aires à la barbe de la Couronne, font plutôt penser, par leur richesse, leur diversité, leur ostentation à une féerie ou à un parc d'attraction. » raconte Saer. Quand ils avaient réussi à suborner les autorités, les contrebandiers amenaient les marchandises à terre et les échangeaient contre des peaux de vache ou de l'argent de Bolivie. Quand ils n'étaient pas arrivés à se mettre d’accord sur le prix, ils cherchaient quelque endroit sûr où jeter l'ancre sur le fleuve et littéralement ils ouvraient leur bateau comme ouvrent leur portes les Grands Magasins ; huile, vin, soierie, rubans, outillages de toute nature, toiles de hollande, drogues, épices de toute sortes en provenance d'Orient, savons, livres, fil, bas, tout ce qui est nécessaire à la vie.
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En 1660, l'Intendant général de Buenos Aires se plaint de ce que la seule source de la ville « depuis son peuplement, a été la venue de quelques navires, proposant un trafic d'esclaves ou de vêtements.. ». Effectivement, les commerçants de Buenos Aires se livraient à ces deux activités. En 1791, l'Espagne avait concédé au Rio de la Plata la liberté de commerce des esclaves, et l'argent bolivien venant à manquer, les Noirs s'échangeaient contre des peaux de vaches. Les fonctions de contrebandier, négrier et éleveur étaient par conséquent trois aspects de la même activité économique. « Tout le monde était négrier : y compris l'église et les vices rois eux mêmes. » conclut Juan José Saer.
Plan de Buenos Aires en 1750. Source : Atlas de Buenos Aires.
Pendant que la ville végètent, ses habitants se rendent cependant sur les bords du Rio pour pêcher, prendre des bains de soleil, se baigner, laver le linge.. Autour du fleuve et à l'intérieur des eaux tout se pratiquait avec des chariots et à cheval, surtout la pêche.
(1) Le père Parras décrit, en 1749, une scène de pêche dans le Rio: « Deux hommes viennent, montés sur leur cheval. Chacun saisit l'extrémité d'un gigantesque filet (..). Les cavaliers pénètrent de conserve dans le fleuve ; les chevaux vont cheminant tout le temps qu'ils trouvent terre sous eux, et puis ne sentant plus le fond, s'engagent pus en avant dans le fleuve, en nageant. Sitôt qu'ils ont atteint les parages où ils estiment le cheval n'avoir plus de souffle que pour le retour, les cavaliers s'écartent l'un de l'autre en des sens opposés, autant que le filet le leur permet. Ils se sont mis debout sur le cheval, et ce faisant, ils reviennent vers la rive, gardant tendu le filet que tirent les chevaux au moyen de leur sangle ; et comme le bas du filet va balayant le fond à cause des boules dont il est plombé, ils ramènent parfois d'innombrables poisons, certains jours plus que d'autres, c’est selon le temps ».
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Plan de Buenos Aires en 1780-1800. Source : Atlas de Buenos Aires. La ville s'agrandit sensiblement et se développe en s'étalant dans la Pampa en suivant toujours le modèle de la trame coloniale orthogonale. On observe la construction de la première jetée visant à faciliter le débarquement des navires dans le port. en 1777. Toujours forte mise à distance du fleuve, il n'y a pas de quais aménagés le long du Rio mais le dessin naturel discontinu des rives.
C'est à partir de la création de la Vice Royauté du Rio de la Plata en 1776, que Buenos Aires, jusqu’alors relativement « passive » ou confinée à des activités de contrebande, va devenir le port privilégié de l’Atlantique. Cependant les bateaux de grand fond mouillent dans la rade extérieure.(1) Les marchandises et passagers sont transportées à l'aide d'embarcations légères ou même à dos d'hommes pour arriver à la porte du fort.(2) En 1777, une jetée facilitant les ces manoeuvres sera enfin construite. Des œuvres publiques d'envergure, pavement des routes, ponts seront également réalisées. Les bourgeoisies locales voient leur pouvoir augmenter et, perméables aux idéologies venues de l’Europe (notamment la France et la Révolution de 1789), conscients de leur pouvoir économique et politique, lanceront les luttes pour obtenir l’indépendance face à l’Espagne. La Révolution de mai 1810, qui mènera à l'indépendance du pays, va marquer un nouveau cap dans ce processus historique.
(1) Le 28 février 1817, un diplomate des États-Unis, constate qu'on est obligé de mouiller dans la rade extérieure de Buenos Aires « à environ six milles de la terre, car il n'y a pas assez de tirant d'eau pour pouvoir s'approcher davantage ». « Le fleuve était si bas que les canots eux mêmes ne pouvaient parvenir jusqu'à la cote, de sorte que les voyageurs se voyaient contraints d'utiliser n'importe quel moyen de locomotion pour arriver à destination. Le transbordement des canots à la terre se faisait à l'aide de charrettes, de chevaux, et même à dos d'homme. » (2) Doc 14,15 : Peintures d'Emeric Essex Vidal. (3) Doc 16,17,18 : Vues de Buenos Aires depuis le Rio en 1820.
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Le processus de forte croissance de la population de Buenos Aires est amorcé. Lors de sa fondation Buenos Aires comptait à peine 300 habitants, elle en compte 25 000 lorsqu'elle devient capitale de la Vice Royauté de la Plata et 40 000 en 1810 lors de son indépendance. D'importants travaux vont modifier son profil urbain et architectural. A partir de cette date et dans une progression permanente, Buenos aires va cumuler pratiquement tous les pouvoirs : politique, économique, financier, judiciaire, religieux et culturel. Son port va se développer très fortement du fait de l’émergence d’une économie agro-pastorale d’exportation induite par un environnement idéal (qualité des terres de la Pampa irriguées par les eaux riches en sédiments du Rio) et par l’apport des nouveautés technologiques issues de la révolution industrielle.
Plan topographique de la ville de Buenos Aires en 1840. Source : Atlas de Buenos Aires. La trame s'est encore étendue sans tenir compte des affluent du Rio traversant la ville et en ne les contournant même pas. Aucune déformation de la trame ne semble envisageable. Buenos Aires compte près de 80 000 habitants en 1840. On peut observer un plan très dense qui compte peu d'espaces public et d'espaces de respiration. Les quais du fleuve ne sont toujours pas aménagés en dehors de la jetée construite en 1777.
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La création d’un réseau ferré important à partir des années 1860, partant ou arrivant à Buenos Aires et irriguant aussi toute la Pampa, va favoriser le développement des villes de l'intérieur et notamment des centres de production. Les estancias (« latifundia ») qui développent une production extensive vont incorporer de nouveaux instruments de production, réservoirs et silos, systèmes d’irrigation, délimitation des terres dans un premier temps et ensuite techniques liées de l’industrie du froid (conservation, chambres froides, salaison, etc). La navigation se développe également avec l’apparition des coques en métaux et des moteurs à vapeur au détriment des voiles. Le transport fluvial dans l’estuaire du Rio de la Plata se renforce avec la couverture de trajets en provenance des cinq pays qui forment le Bassin. Le port originel, situé à l'embouchure du Riachuelo (aujourd’hui quartier de la Boca dans le Sud de la ville), voit croître considérablement ses activités.(1) Ce port constitue l’âme de Buenos Aires, le lieu de naissance du Tango aussi. C'est lui aussi qui voit déferler les premières vagues d'arrivée massive des migrants européens, à la recherche de travail, et d’une vie meilleure. Ils s'entassent dans les « conventillos ». La Boca devient le lieu où se mêlent les cultures et constitue aujourd’hui le patrimoine historique et culturel du passé de la ville. De par ses limitations naturelles et sa faible surface, le port de la Boca devient rapidement incapable d’accueillir les volumes de marchandises chaque fois plus importants, et de procéder aux différentes tâches de chargement, décharge et stockage. Plusieurs propositions pour la création d'un nouveau port voient le jour. Le projet de l’ingénieur Francisco Madero, très coûteux, est retenu :il se veut idéal face aux faibles marées et prône la construction du port « face a la ville même ». Ces hangars, monte charges, dépôts, grues et autres constructions vont interdire la vue du fleuve et son accès aux habitants de la ville. Assisté par des conseillers anglais qui prennent le modèle d’utilisation des ports européens, soumis eux a des marées importantes, ce port similaire aux « docks » de Londres deviendra obsolète avant même son ouverture. Un nouveau projet « Puerto Nuevo » verra le jour un peu plus au Nord en 1926 qui continuera lui aussi à éloigner la ville de son fleuve. A partir de 1480, où l'on compte 80 000 habitants, s'opère un phénomène d'immigration massive venu d'Europe. Au fur et a mesure que les éleveurs, à coup d'expéditions militaires, repoussaient les Indiens vers le Sud Ouest et s’appropriaient les terres domaniales, les immigrants européens arrivaient à Buenos Aires.
(1) Doc 19,20,21 : Peintures du Port de la Boca par peintres argentins.
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James Scobie écrit en 1964 : « Les statistiques du recensement national montrent une progression et une concentration de l'immigration dans la zone côtière : sur un total de 1 800 000 habitants recensés en 1869, 200 000 étaient nés à l'étranger ; en 1895, près d'un quart des 4 000 000 habitants étaient des immigrants ; en 1914 plus de 2 300 00 sur une population de 8 000 000 étaient nés à l'étranger. A cette dernière date, la région côtière contenait les deux tiers de la population totale ; là-bas, le nombre des immigrants par rapport aux natifs d'Argentine était de deux à un. Dans la ville de Buenos Aires, trois adultes sur quatre étaient des étrangers » , Italiens, Espagnols, Béarnais, Juifs, Arabes, Arméniens, Grec, Japonais.(3) Telle une force magnétique qui aurait changé de pôle, le grand fleuve attire avec le même pouvoir irrésistible qui jadis repoussait. Le lieu vide des origines est, à partir de 1930 plein à ras bord et sur les cartes indiquant le nombre d'habitants au kilomètre carré, les bords du Rio de la Plata et du delta du Parana est représenté par une énorme tache noire. Les Indiens des fleuves et les descendants des esclaves Noirs, quant à eux, disparurent peu à peu décimés par les maladies, les guerres, la misère..
(1) Courbe démographique
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Plan de la ville de Buenos Aire en 1896 par jacobo Peuser. Le nouveau port de Puerto Madero (en bas, en blanc et de forme triangulaire) est construit. Il vient fermer la vue et l'accès au fleuve à l'ensemble de quartiers Sud. La ville continue de s'étendre au Nord et à l'Ouest afin d’accueillir ses nouveaux habitants issus des vagues massives de migration venant d'Europe. Le tracé de certaines rues va maintenant jusqu’au fleuve dans la partie Nord de la ville nouvellement construite. Les Grands parcs de Palermo, aménagés par un architecte français ayant dessiné le bois de Vincennes apparaissent pour combler le manque d'espace vert de Buenos Aires et s'ouvrent directement sur l'eau. On observe aussi la création du réseaux de voix ferrées connectant la capitale argentine à l'intérieur de son territoire.
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Plan de la ville de Buenos Aires 1912 par Jacobo Peuser.
Dans cette période de splendeur économique de la ville un processus d'embellissement de la ville est engagé. Aménagement de nouveaux espace verts en bordure du Rio. Remblais pour créer la future Costanera (promenade côtière) Nord de la ville. Une bande d'espace vert sert de limite poreuse entre la ville et l'eau. Il s'agit du début d'une volonté de dialogue avec le fleuve pour la ville de Buenos Aires..
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Plan de la ville de Buenos Aires en 1924, plan Noël.
Ce plan a pour objectif, clairement énoncé par l'urbaniste Noël, de reconquérir le paysage du fleuve. Les architectes et urbanistes de l'époque sont alors très influencés par les modes européennes. On observe la création d'une nouvelle Costanera Sud à la place de l'ancien port de Puerto Madero ainsi que l'aménagement de la promenade urbaine de la Costanera Nord (1) avec la création de pergolas, de plages, station balnéaire (2). La population de Buenos Aires se baigne. Cette volonté de laisser respirer la ville et de créer des vues se retrouvent avec le projet d'ouverture de diagonales Norte et Sur (entre 1914 et 1931) dans le centre de Buenos Aires. Le Puerto Nuevo vient cependant d'être construit, à son emplacement actuel. il continue à couper la ville de l'eau et les avancés technologiques rendent les aménagements portuaires de plus en plus imposants. La ville décide de couvrir les petits affluents du Rio de la Plata qui la traversaient à cause de leur contamination. Ces derniers avaient depuis la création servit à caractériser et délimiter les quartiers de la ville. Face à une ignorance géographique et environnementale, les phénomènes de débordement de ces affluents n'ont fait que s'empirer. Détérioration environnementale : le Rio commence à subir le développement industriel intense en cours, eaux pollués.
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En 1929, Le Corbusier visite la ville de Buenos Aires, lors d'un tours de l'Amérique Latine pour donner une série de conférences sur l'état de l'architecture et de l'urbanisme à cette époque. Il est alors, après l'élaboration de son concept de plan libre appliqué à l'échelle architecturale, à la recherche d'un « plan libre urbain ». L'abstraction du damier colonial et son application dans la ville de Buenos Aires l’impressionne énormément. Dans ses Précisions, l'ouvrage compte rendu de ses conférences, il exprime sa vision panthéiste : « Buenos Aires est la simple rencontre de la pampa et de l'Océan ». Notons que Le Corbusier, lui aussi, quatre siècles après Solis, est frappé par la même impression d'infini face à ce Rio qu'il nomme « Océan ». Il cherchera à offrir une façade à la ville, offrir une porte d'entrée et de sortie du pays entre la ville existante et la Nature. Sa vision de l'époque, influence encore de nos jours, beaucoup d'architectes argentins. Son projet de placer la cité des affaires de Buenos Aires sur l'eau avec ces cinq tours identiques de 200m dominant le Rio (1) prend forme aujourd’hui dans le nouveau quartier de Puerto Madero.(2) Dernière phase historique, phénomène de globalisation depuis les années 30.. Période de successions de régimes dictatoriaux.
De 1930 à 1983, les présidences militaires se succèdent,
sur seize présidents, onze sont des militaires. La plus violente et répressive, sous le général Videla dure de 1976 à 1983. Le Rio de la Plata fut spectateur de ces dérives politiques. La présentation du développement de la ville de BA des années 30 jusqu'à nos jours explique en grande partie l’État de la ville aujourd’hui. Comment comprendre la transition entre l'ouverture totale proposée par plan Noël en 1924 et la situation de fermeture actuelle de la ville. Donne clé pour comprendre l’état actuel.
(1) Croquis réalisé par le Corbusier à son arrivée à Buenos Aires (2) Façade actuelle de la ville de Buenos Aires
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Le port de Buenos Aires spécialisé jusqu’alors dans l'exportation de céréales se convertit en port industriel et ne cesse de se développer. Containers. Transport de charges à haute valeur ajoutée. Phases successives de drainage pour l'agrandir. Le développement de l'aviation dans les années 40 entraîne la nécessité pour la ville de construire un aéroport terrestre. Jusqu’alors des hydravions atterrissaient sur le fleuve. En 1945 on assiste à la construction sur 127ha du modeste aéroport Métropolitain avec des piste d’atterrissage en terre (Aéroparque Jorge Newberry). Dans les années 60, sous un régime dictatorial, la Plan Régulateur de Buenos Aires propose un remblais de 400ha afin de construire un parc central au delà de l'ancien port de Puerto Madero. Il s'agit de l'actuelle réserve écologique. Ce remblais sera réalisé à l'aide de débris du à la construction des diverses autoroutes qui vont venir défigurer la ville par la suite. La priorité qui fut accordée au transport routier à partir des années 1960 a fait des bords de l'eau un terrain de prédilection pour l'aménagement des voies rapides et des autoroutes. En 1965, les militaires décident de la construction d'une l'autoroute côtière construite afin de réduire et canaliser le transit. Cette action terminera de couper totalement la ville avec son fleuve. Ces routes à fortes circulation sont obstacles physique entre la ville et l'eau. Le fleuve est reléguer au second plan. Un au delà visible mais inaccessible. Dans cette période de dictature, de contrôle, de répression trouve son pendent dans cet acte de venir encerclé la ville la contrôler, bloquer toute idée d'horizon, de liberté... Inscrite également dans la globalisation du monde l’Argentine fait aujourd’hui partie des pays émergents et elle est souvent cité comme exemple dans les forums internationaux…Mais de nouveaux problèmes subsistent et soulèvent des questionnements dans un contexte de nouvelle crise mondial. L'état des infrastructures est très dégradé et leur amélioration prendra du temps. Les dépenses sociales (santé, retraites, logements) ont été très touchées, ce qui a aggravé les inégalités déjà exacerbées par plusieurs décennies de crise. Depuis 2003, c'est-à-dire sous les présidences de Néstor Kirchner puis de sa veuve Cristina Fernández, élue en 2007, le pays a connu une croissance de 8,5 % à 9,5 % par an, à la seule exception de 2009, pour cause de crise internationale. Relativement peu endettée (54 % du PIB), avec une balance commerciale excédentaire et des comptes publics équilibrés, l'Argentine vit une sorte d'euphorie grâce aux recettes d'exportation qui alimentent le budget de l'État et permettent une consommation effrénée. Les créations d'emplois (5,5 millions depuis 2003) et des politiques sociales actives (augmentation des salaires et des retraites, généralisation des allocations familiales, etc.) ont permis d'élargir les classes moyennes (60 % de la population), tandis que l'industrie (automobile, sidérurgie et chimie notamment) et l'agro-industrie (soja et dérivés en particulier) battent des records de production
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III.Buenos Aires et le Rio de la Plata aujourd'hui :
Carte de Buenos Aires en 2011, Etat actuel de la cpote
Nous tenterons finalement, dans ce dernier chapitre, de dresser un état des lieux de la relation actuelle entre la ville et son fleuve. Les habitants de Buenos Aires semblent, de nos jours, manifester une certaine indifférence à son égard. Mais la relation distanciée du porteno contemporain avec son fleuve comporte diverses facettes. Elles peuvent s’expliquer parfois objectivement et de manière factuelle et quelque fois de façon plus symbolique.
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Cependant et pour conclure, nous n'oublierons pas de rappeler que le Rio de la Plata reste malgré tout une identité indéniable pour la ville de Buenos Aires, ne serait ce que par le fait qu’elle soit peuplée à plus de 80% de migrants européens et de leurs descendances, ayant trouvé refuge dans son estuaire. Cette histoire marque pour toujours un imaginaire portègne.
De nos jours, la capitale propose à ses habitants un accès difficile voire impossible sur tout le long de la cote du le Rio de la Plata (environ 20km). Depuis les années 1930 et jusqu’en 2000, les divers plans d’urbanisme n’ont plus jamais privilégié une politique de rapprochement du fleuve. Ils ont porté leurs efforts au bénéfice de nouvelles infrastructures, de besoins plus « urgents » : liés au développement de la ville, :agrandissement du port, création de l’aéroport de la ville (Jorge Newbery), constructions de nouveaux axes autoroutiers côtiers et de nouvelles industries. Depuis l’année 2000, un nouveau schéma directeur a été adopté, le Plan Urbano Ambiental, qui cherche, parmi d’autres directives, à rendre les berges à la population et leur attribuer une fonction récréative et touristique. Cependant les démarches sont extrêmement lentes et fragiles dans cette ville victime d’une forte corruption et de rivalités politiques. L’indifférence énoncée plus haut du porteno est d’autant plus grande qu’il met en doute la réelle volonté et à la probité des politiques et des urbanistes en charge à accomplir leurs engagements. L’explication suivante pourrait aussi être avancée : du fait du tracé colonial initial de la ville (schéma de damier très dense) et de la topographie extrêmement plate de Buenos Aires, il n’existe pas de vue ou d’ouverture sur le fleuve ou sur un horizon. Les habitants, et ce depuis la fondation de la ville ; se sont, de ce fait, toujours spontanément repliés sur eux-mêmes en tournant le dos au fleuve. Ne l’apercevant plus, le porteno pourra tout juste ressentir sa présence par l’action des vents. L’expansion de la ville tend encore et toujours vers la Pampa et c’est à l'intérieur des 46 « barrios » (quartiers), chacun avec son identité propre, divisant la capitale que la vie des portenos va réellement se dérouler. Un autre élément est à ajouter : l’agrandissement soutenu (lié à la forte croissance du pays) à force de remblaiement, du nouveau port de Buenos Aires et le stockage des containers continuent de barrer l’accès à l’eau. De plus, la privatisation progressive des espaces riverains, qui atteindra son paroxysme sous la présidence de l’ultralibéral Carlos Menem responsable de la crise économique en 2001, continue de creuser la distance ressentie entre la ville et le fleuve. Actuellement les rives de Rio de la Plata abritent principalement des bâtiments industriels et commerciaux, dépôts et baraquements, et des clubs privés en tout genre (sportifs, militaires, restauration.)
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Finalement le dernier accès direct possible s’opère depuis la Réserve Ecologique mais elle est elle-même soumise à des horaires d’ouverture contraignants. La Costanera Nord est une autre option pour apercevoir le fleuve bien que bordée par une voie rapide et extrêmement étroite. Ainsi, très peu de points de la ville permettent un dialogue avec le Rio de la Plata. Et une fois ces points d’accès éventuellement atteints, on découvre qu’ils ne sont pas du tout aménagés, ne serait-ce que pour accueillir un infime pourcentage d’une population très nombreuse. Buenos Aires compte, rappelons-le, quatre millions d’habitants, et le grand Buenos Aires pas moins de douze millions. La troisième observation est qu'on se méfie du fleuve car il est extrêmement pollué et présente un réel danger pour les baigneurs ou pour ceux qui veulent exercer d’autres activités nautiques (pêche, voile, etc). La mauvaise réputation du Riachuelo lié à sa contamination a perduré et s'est aggravée. Aux déchets organiques et industriels de l’époque des abattoirs, des industries de salaison et agro-pastorales (de la fin du XIXe et du début du XXe siècle) se sont ajoutés ceux chimiques et pétrochimiques extrêmement nocifs. L'effet écologique est désastreux et fait du Rio de la Plata le troisième fleuve le plus pollué au monde. A cela, ajoutons que l'économie argentine connaît aujourd’hui des taux de croissance rarement égalés (environ 10%) et que ce mouvement, malgré la crise actuelle qui touche le monde entier, pourrait se poursuivre. La culture intensive de soja transgénique - un des principaux produits d’exportations du pays- a des effets polluants sur les cours et la nature. Dans l’état actuel, d'absence totale de conscience et de législation liés à la défense de l’environnement, on ne peut que s’inquiéter sur l'avenir du fleuve à cours et moyen terme.
Ainsi plusieurs éléments objectifs de réponse ont pu être avancés pour expliquer cette mise à distance du fleuve actuellement. Une dimension symbolique n'est cependant pas a omettre : Le Rio de la Plata a été, rappelons le, l'acteur et le témoin de périodes difficiles et troubles dans l'histoire de la ville : celle du commerce d’esclaves au XVIIIe et plus récemment celles de violents régimes dictatoriaux. D'autre part, rappelons la particularité physique du Rio de la Plata, le fleuve le plus large au monde : il déconcerte de par son immensité tout observateur, portègne ou venu d'ailleurs. Après l’appellation de « Paranaguazu » des Indiens (le fleuve comme mer) et de « Mar dulce » de Solis, l'écrivain argentin Juan José Saer (1937-2005) consacrera, en 1992, un livre « el Rio sin Orillas » (Le fleuve sans rives) à décrire cette ambiguïté et ce caractère précis du fleuve :« un observateur du Rio de la Plata se rend compte que, lorsqu'il dirige son regard vers l'horizon, par delà la singulière vacuité de l'étendue qui se déploie devant ses yeux, il lui manque ce qui, dans la configuration de tous les fleuves, repose la vue et nous tranquillise, venant confirmer l'idée, l'archétype de la notion même de « fleuve » : la rive opposée (..). »
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Dans le Rio de la Plata, la familiarité de la notion de rive disparaît donc et on a tendance à le représenter sans forme précise ou alors vaguement circulaire. Ses limites se confondent alors avec la ligne d'horizon tandis que normalement, dans les autres fleuves, l'horizon «tombe» à l’arrière plan de la rive opposée. Remémorons nous que, si Buenos Aires connaît soudain au XVIIIe siècle un développement, c'est uniquement grâce à la contrebande et particulièrement au trafic d’esclaves africains. L'écrivain argentin contemporain Orlando Horacio Yans, a développé une thèse au sujet de la contrebande et de la relation de la ville avec le Rio : « Buenos Aires ne regarde pas son fleuve parce que ses habitants ne l'observent pas afin de ne pas voir que c'est le délit qui leur a donné richesses et splendeurs. » Durant l'époque de la domination espagnole, Buenos Aires s'est enrichit grâce à la contrebande: un trafic illégal qui incluait des biens et des esclaves. A partir de la prohibition légale, la contrebande a été acceptée comme un fait. Il s’est ainsi installé une culture duale qui cultivait ce qu'elle niait. Le fleuve a donc été nié, oublié pour ne pas se rappeler la dualité et l’hypocrisie de tels actes. La séparation de Buenos Aires avec son fleuve créateur assumerait donc aussi des dimensions symboliques. La ville se condamnerait a vivre refermée sur elle même, contenue dans un cercle fictif afin d'oublier sa naissance par les eaux, la nature et de la réalité éloignée de ses propres fictions. Dans l'imaginaire collectif on supposerait une négation du fleuve perçu comme un miroir. Des dictatures violentes ou « guerres sales » ont aussi touché le pays de 1946 à 1983. La dernière, et la plus violente, fût dirigée par le général Videla de 1976 à 1983. Le pays entier était plongé dans un climat de terreur : tortures, assassinats, enlèvements touchant la population.. Afin de masquer ces disparitions et de se débarrasser des nombreux corps, l'armée avait inventé un stratagème : il consistait à droguer leurs victimes et les larguer, morts ou encore vivantes, au dessus du Rio de la Plata depuis un avion. Le Rio est le seul à pouvoir chiffrer ces disparitions.. De nombreux corps ont fini par venir s'échouer durant des années, et bien après la fin de la dictature, le long des rives de la ville de Buenos Aires. Le Rio apparaît encore une fois comme un miroir de la société, de son passé douloureux, une mémoire qui ne s'efface pas. Les bords du fleuve ont d'ailleurs volontairement été choisis pour la construction d'un mémorial des victimes de la dictature.(1) Il est indéniable, de par sa proximité historique que cette histoire hante toujours les mémoires des habitants de la ville.
(1) Doc Photographie du mémorial
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Il est finalement étonnant de voir comme les relations entre le porteno et son fleuve peuvent être complexes. Cependant, paradoxalement mais aussi pour les raisons évoquées jusqu'alors et qui suivront, le Rio de la Plata constitue un élément essentiel de l'identité même du Porteno. En effet, de par l’histoire du pays et son processus de peuplement par vagues de migrations européennes, le Rio de la Plata a une place primordiale. Il est cette étendu d'eau, extension de l'océan, qui aura mené et ouvert la ville de Buenos Aires et le territoire du pays à ces millions de migrants européens, fuyant les conflits politiques, les pogrums, le nazisme et les crises économiques, en quête de travail et de terres. Aujourd'hui plus de 80% de la population Bonaerense a des origines européennes. Les portenos cultivent et transmettent les images réelles ou fantasmée de ces aïeuls, venus d'Europe ou du Moyen Orient débarquant dans le port de Buenos Aires. Il est indéniable qu'une mémoire individuelle et collective, sociale persiste.. Ce fleuve marron, chargé de sédiments, est peut être comme autant de natures et d'origines qui peuplent aujourd’hui la ville de Buenos Aires. Le fleuve a été et reste, en tant qu'objet d'identité, un sujet de prédilection chez les artistes portenos, poètes, écrivains, paroliers et peintres. Tenter de qualifier la couleur du fleuve changeante au grès des heures et des saisons est, par exemple devenu, un exercice de style chez les plus grands auteurs argentins comme Lugones, Ortiz et Borges. (1)
(1) Extrait poèmes d'auteurs argentins à propos du Rio.
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IV.
CONCLUSION
En mettant un point final à ce mémoire, nous espérons avoir pu susciter l’intérêt du lecteur sur le sujet de recherche choisi. Tenter de comprendre la relation entre la ville et le Rio de la Plata depuis sa fondation jusqu'à nos jours est un sujet vaste et complexe. Nous avons essayé d'aborder ce sujet à travers une approche pluridisciplinaire comportant, tour à tour, des explications plus sociologiques, historiques.. Aborder une dimension symbolique autour de la question de l’eau et du fleuve était une volonté importante dès le début de notre réflexion. Cette dimension trouvera finalement son développement dans la dernière partie, avec la relation actuelle du porteno au Rio de la plata. Nous reconnaissons cependant que la complexité du sujet ne nous a pas permis d'aborder de façon plus précise exhaustives, profondes certains aspects. Nous aurions par ailleurs aimé évoquer d’avantage la réalité de Montevideo, elle aussi positionnée sur l’estuaire du Rio de la Plata et entrenant pourtant avec le fleuve une très différente.. Cette différence s'explique principalement par le fait de sa localisation, beaucoup plus proche, si ce n’est sur, l'océan Atlantique.. et par un développement de moindre échelle. Ville/port elle aussi, elle ne connaîtra pas le même essors que le ville de Buenos Aires de par l'étendu du pays.
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IV.
Annexes
1. Repères chronologiques de l'Argentine 1516 : Découverte de la « mer douce » (le rio de la Plata) par les espagnols. 1536 : Première fondation de la ville par Pedro de Mendoza sous le nom de « Nuestra senora de Santa Maria de los Buenos Aires ». Elle sera détruite par les Indiens. 1580 : Deuxième fondation par Juan de Garay. 1713 : les Anglais ayant obtenu l'exclusivité de la traite des Noirs alimentent en esclaves tout le « cône Sud » à travers Buenos Aires. 1776 : Buenos Aires devient la capitale de la vice-royauté du rio de la Plata. 1806 et 1807 : Échec de deux tentatives anglaises pour s'emparer de Buenos Aires. 1810 : 25 mai : les habitants de Buenos Aires s'érigent en gouvernement, profitant de l'invasion de l'Espagne par Napoléon (fête nationale) 1816 : Déclaration de l'indépendance le 9 juillet : le pays s'appelle les « Provinces Unies du Rio de la Plata ». pendant 60 ans, des luttes sanglantes vont opposer les partisans d'une fédération de provinces à ceux d'un État centralisé. Buenos Aires est le centre de la province la plus puissante. 1853 : Constitution nationale. 1860 : Officialisation de la République Argentine. 1869 : Code civil. 1880 : Buenos Aires devient la capitale fédérale du pays. Fixation de l'actuel périmètre urbain. Grande
vagues
d'immigration
européennes.
Grands
travaux :
port,
tramway,
métro,
assainissement, électricité. 1916 : 2 millions d'habitants à Buenos Aires. Irigoyen (radical), premier président élu au suffrage universel (masculin), secret et obligatoire. Industrialisation. Crise des exportations. 1930 : Premier coup d’État militaire. Début de la décennie « infâme » : crise sociale et politique ; gouvernements militaires. 1940 : Grandes vagues de migrations internes.1945 17 octobre ; plébiscite populaire de Peron. 1946-1955 : « La période la plus controversée de l'histoire argentine ». Double présidence de Peron, interrompues par un coup d’État de la marine. Industrialisation, grands travaux, équipements sociaux, forte extension du Grand Buenos Aires. 1952 : Décès d' Evita Peron qui joua un rôle prépondérant aux cotés de son mari. 1955 : C'est la crise économique, le régime péroniste ne peut plus soutenir financièrement l'état providence. Septembre 1955 : Les opposants au sein de l'armée le contraignent à se démettre et à s'exiler au Paraguay, à la suite d'un coup d'état militaire. 1956-1958 : Répression 1958 : 6,7 millions d'habitants
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1966-1973 : Gouvernements militaires. Début de la guérilla urbaine et rurale. L'opposition se cristallise autour du péronisme. 1872 : 8,3 millions d'habitants. Premier retour de Peron après 17ans d'exil. 1973 : Mars : victoires péroniste aux présidentielles. Juin : deuxième retour de Peron. Septembre : élection de Peron après 17 ans d'exil.
1974 : Juillet : Mort de Peron. Isabel Peron devient présidente. Apparition des premiers groupes paramilitaires. Mars 1976 : Coup d’État du général Videla. 1978 : Mundial de football. « Chirurgie urbaine » : autoroute, rasage des bidonvilles de la capitale fédérale (150 000 expulsés). 1982 : Guerre des Malouines entre l'Argentine et le Royaume-Uni. 1983 : Élections et investiture du président Alfonsin (radical). Retour à la démocratie. 10,9 millions d'habitants. Mai 1989 : Carlos Menen est élu à la présidence de la république. 1991 : L'Argentine engendre avec le Brésil le Paraguay et l'Uruguay le Mercosur, marché commun du sud (depuis le Chili a rejoint cette association). 1995 : Réélection de Carlos Menen à la présidence. 1999 : Fernando De la Rua est élu président de la république avec 48,5 % des voix. Échec des péronistes. 2001 : Grave crise économique, le pays est à genoux. 2007 : Cristina Kirchner devient la première femme élue à la présidence de l' Argentine, elle succède ainsi à son mari, le président Nestor Kirchner, au pouvoir depuis 2003.
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2. SchĂŠma de dĂŠveloppement du pays
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3. Documents graphiques
Doc 1 : Logo choisit par la ville de Buenos Aires en 1810 et Logo actuel de la ville de Buenos Aires
Doc 2 : Vue aÊrienne de l'estuaire du Rio de la Plata. Positionnement des villes de Montevideo et Buenos Aires. Aperçu de la couleur du Rio.
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Doc3 :Carte fluviale du bassin de la Plata
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Doc 4 : Les emplacements successifs des ports de Buenos Aires
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Doc 5 : Plan datant de 1608. Application du plan hippordamĂŠen sur ce nouveau territoire.
Doc 6 :La ciudad fundacional, dessin de Rolando H. Schere, 1999.
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Doc 7 : Courbe démographique de la ville de Buenos Aires
Doc 8 : Carte du Brésil et du Rio de la Plata en 1540. Source : Atlas de Buenos Aires.
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Doc 9 : Indiens d'AmĂŠrique combattant les Espagnols conquistadors.
Doc 10 : L'armĂŠe de Diego de Mendoza combattant les Indiens.
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Doc 11 : Plan de fondation de Juan de Garay en 1580. Source : Atlas de Buenos Aires.
Doc 12 : Fondation par Juan de Garay de la ville de Buenos Aires en 1583
Doc 13 : La première ville de Buenos Aires. Gouache de LÊonie Matthis de Villar
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Doc 14 : DĂŠbarquement de navires dans le port de Buenos Aires. Emeric Essex Vidal, 1820.
Doc 15 : PĂŠcheurs au bord du Rio de la Plata. Emeric Essex Vidal, 1820.
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Doc 16 : Vue de Buenos Aires depuis le Rio de la Plata, Gravure de 1840.
Doc 17 :Vue de Buenos Aires depuis le Rio de la Plata, Peinture de 1840.
Doc 18 :Vue de Buenos Aires depuis le Rio de la Plata, 1880.
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Doc 19 : Port de la Boca
Doc 20 : Port de la Boca
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Doc 21 : Port de la Boca
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Doc : Pêcheurs dans le Rio de la Plata 1890.
Doc : Lavandières dans le Rio de la Plata 1890.
Doc : Débarquement des migrants européens dans le port de la Boca
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Doc : Débarquement des migrants européens dans le port de la Boca
Doc : Débarquement des migrants européens dans le port de la Boca
Doc : Débarquement des migrants européens dans le port de la Boca
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Doc : Croquis projectuel pour la faรงade du Rio de le Corbusier en 1929
Doc : Faรงade actuelle du Rio de la Plata, quartier de Puerto madero
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Doc :Statue du mémorial en mémoire des disparus, Costanera Sur, 2011.
Doc :Statue du mémorial en mémoire des disparus, Costanera Sur, 2011.
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Doc : Vue du Rio de la Plata depuis la réserve écologique, 2011. Doc : Vue du Rio de la Plata depuis la réserve écologique, 2011.
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Doc : Vue du Rio de la Plata depuis la réserve écologique, 2011. Doc : Buquebus reliant Buenos Aires à Montevideo et Colonia.
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L'écrivain et poète argentin Leopoldo Lugones (1874-1938) pour la célébration du centenaire de la révolution de Mai écrivit, en 1910, une Ode au Rio de la Plata, (dans la partie de son livre Odes séculaires intitulée Les choses utiles et magnifiques : ..Cantale la poesia de tus ondas cuando de patria te colora el cielo ; cuando vuelcas la plata de la luna en sombria expansion de cofre abierto, o fraguas, por el sol metalizado, en barra colosal, fuego de fiero. ..Chante-lui donc la poésie née de ton onde lorsque le ciel te fait couleur patrie ; Et lorsque tu répands tout l’argent de la Lune, dans la sombre expansion d'un coffre renversé, ou bien forgeant, par le soleil métallisé, En barre colossale, un fer devenu feu.
Dans une autre de ses Odes, A Buenos Aires, Lugones écrit : Primogenita ilustre del Plata, En solar apertura hacia el Este. Donde atado a tu cinta celeste Va el gran rio color de leon ; Bella sangre de properas razas Esclarece tu altivo salvaje Pinta su nombre sazon. Illustre aînée du Plata, Dans l'ouverture solaire vers l'Est. Où ; attachée à ton ruban céleste Coule le grand fleuve couleur de lion ; Sang fier de races prospères Clarifie ton hautaine sauvagerie Son nom est alors peint.
Il l'a aussi décrit « moreno como un Inca » « brun comme un Inca » Ces adjectifs requièrent quelques explications : moreno n’est pas synonyme de noir, mais d'une « couleur sombre tirant vers le noir » selon la Real Academia et dans sa seconde acceptation : « en parlant de la couleur du corps, la moins claire parmi la race blanche ». En réalité Lugones parlait plutôt du « cuivré » ou de « la couleur bronze », ou d'une nuance de marron mêlant la couleur rougeâtre du cuivre à celle tirant sur le jaune, du bronze. C’est bien entre le rouge et le jaune que l'on pourrait situer la couleur du Rio de la Plata entre le rouge et le jaune et si on devait trouver un moyen terme ce serait certainement marron clair.
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Juan Laurentino Ortiz, autre grand écrivain argentin du XXe siècle, (1896 -1978) répertoria avec subtilité les innombrables aspects de ces eaux, il récupéra la « couleur Lion » de Lugones « los momentos en que debes de sentirte mas leoninamente contigo » (le moment où tu dois te dentir/le plus léoninement toi-même), mais aussi les autres tons qui, passant par le marron, vont du rouge au jaune : « el rio todo dorado de mayo » ( le fleuve tout doré de Mai ) ou bien « rosa y dorada la ribera, la ribera rosa y dorada » (« Rose et dorée ta rive, ta rive rose et dorée ») ou encore « rio rosado aun en la noche » ( fleuve doré même la nuit ) et dans d'autres poèmes se réfère à la couleur terre de Sienne pour décrire la teinte des eaux.
Ortiz mieux que personne su capter l'expérience particulière et changeante : Si, si El verde y el celeste, relevados, que tiemblan hacia las diez porque se van ; y en media tarde se deshacen o se pierden en su misma agua fragilisima.. Mais oui, Mais oui, Le vert et l'azur, révélés, Vers dix heures tremblants car au bord de partir, et dès l'après midi défaits ou bien perdus Parmi leurs propres eaux devenues si fragiles..
Dans les nuances de marron, Jorge Luis Borges, grand maître de la littérature argentine, (1899-1986) dans La Fondation mythique de la ville, apporta aussi sa contribution : « la corriente zaina » (le courant zain). Cet adjectif « Zaina » célèbre et quelque peu baroque dans la langue espagnole, signifie châtain foncé, et s'applique uniquement à une tonalité particulière de la robe des chevaux. Borges ajoute, un peu plus loin, dans le même poème : Pensando bien la cosa, supondremos que el rio era azulejo entonces como oriundo del cielo Tout bien considéré, nous dirons que le fleuve Comme venu du ciel était azulejo
Par ce brusque changement, Borges se livre à un curieux jeu de mots, car dans la zone du Rio de la Plata, « azulejo » désigne aussi, tout comme zaina, la robe d'un cheval. La description de cette couleur est difficile bien qu'on puisse dire qu'elle tire vers le bleu. Même si Borges fait sûrement ci référence aux couleur du drapeau argentin, cette couleur céleste s'observe parfois dans le Rio de la Plata.
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Revues : −
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« Réflexions poétiques et imaginaires autour du thème de l'eau », Archivert n°5, 1er trimestre 1980.
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« Présence de l'eau », approche de l'eau à travers les cinq sens, Urbanisme n° 201, Avril Mai 1984.
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« Question de la réconciliation entre le ville et sa voie d'eau », Diagonal n°64, février 1987.
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« Les paysages des cours d'eau = River landscapes », Revue de géographie, numéro spécial.
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« Paysages et terrtoires : quelle renaissance ? », Urbanisme n°280, Janvier Février 1995. Propos recueillis par Marie Luce Thomas et Christian Ruby auprès de Michel Desvignes et de Christine Dalkony,
Filmographie : −
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