(Watt ever the weather I’m a)
LUCKY LOOSER Photographies d’Emma Pick
Le Goûteur Chauve
(Watt ever the weather I’m a)
LUCKY LOOSER
Photographies d’Emma Pick
Le Goûteur Chauve
漏 Le Go没teur Chauve, 2011 www.legouteurchauve.com
Faut pas s’avouer vaincu. Faut battre la chamade à mort. Faut surtout pas s’enfer.
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Il n’y aura pas de miracle. Pas plus que de miraculé. C’est la valse du pire, la danse macabre des souvenirs. Ce sont les joyeuses funérailles d’un ciel rougi qui se couche pour ne plus jamais se relever. C’est une marche militaire à vingt centimètres du sol. Un poilu dont les poils ne pousseront plus. Un joyau dont la joie sera perdue. Que sais-je encore. Se plonger dans l’harmonie parfaite de sa mémoire, c’est dantesque et ça ne sert à rien. Je reste en reste. La partie est terminée. Game over. Je perds connaissance. (Entre autres)
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Et sa mère la pute qui balade son orgueil sur le port et les allées marchandes de mon deuil. Il lui suffira d’un instant, d’une poignée de minutes tout au plus, pour faire de ma peau un linceul. Ses ongles sont forgés d’un métal increvable. Elle balaiera ensuite mes états d’âme de ses tentacules aiguisées, envahira mon for intérieur, me crèvera sur place avant même ma mort officielle. Je suis terrassé. Le dégoût me plaque contre un mur, me racle la joue contre le crépis. Je reconnais ce couloir, cette odeur. Ça y est. Ça me revient. C’était... c’était une seconde d’inattention lascive. Une seconde qui a duré des mois. Trame. Conspiration. Drame. Désillusion. Désert. Et j’avais perdu mon nez. (Entre autres) Ainsi que ses fonctions salvatrices : Renifler l’arnaque. Sentir le coup partir. Je ne l’ai senti qu’arriver.
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Couloir donc. Mes pas sur le plancher. Ça couine. Une force invisible me traîne par le col dans un escalier scabreux. Je ne me débats pas. L’ascension est houleuse, douloureuse. Mon dos cogne brutalement l’angle de chaque marche. Une fois arrivé au grenier, on me lâche enfin. Un amas de cartons poussiéreux jonche le sol. Ceci est ma mémoire. Des souvenirs non triés épars. Ma vie entière. En vrac et embuée au milieu d’un troupeau de moutons indisciplinés. Je grimace, ça grince. Ambiance chaotique. J’avance, ça glisse. Une trappe intelligemment placée me fait dévaler une pente cahoteuse. Me voici à la cave. C’est un comble. C’est sombre. Et pas d’ascenseur dans ce monde-là. Tant pis. Allons-y. À tâtons. À reculons.
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Je transpire toujours autant. J’ai arrêté de tâtonner car rien n’est palpable. Tout est de l’air. Du vent. Tout simplement. Et pas de celui qui caresse les hormones en vous chuchotant le printemps. Immobiles dans l’ouragan, mes organes frappent à la porte. Ils veulent s’entretenir avec moi. Je tends le tympan, leur langage est un charabia monstrueux. Ma concentration s’étiole. J’ai perdu autre chose. Je sais. J’ai perdu le poil de la bête. De la bête de sexe. (Entre autres)
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Soyons un tant soit peu honnêtes : Une propriété n’était pas ma priorité. Maintenant je sais. Rien n’est acquis. Rien n’est à moi. Certes j’étais acquis. Mais là, à qui est moi ? Et pourquoi rien n’est à moi ? Je ne veux pas de réponse. Comme tout le monde, j’attends. Ce n’est que partie remise. Partie de jambes en l’air. Ça va de mise. Ça va de pair. Et pendant que ça baise dans les buissons, mes yeux se baissent sur mon caleçon. Je pense que ma libido ne va plus bien. Je crois que j’en perds mes poils pubiens.
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Pour tuer l’ennui, je zone. J’aide les comptoirs à tenir debout. Et je cause des heures à la tireuse. J’entreprends le fût. J’aborde un sous-bock. Sabordage. Raillerie de mes contemporains. Aïe. Ai-je l’air liquide ? Je me dégrade. Je bois de la limonade. Mets-y un peu de vodka. Ma voix détraquée creuse des tranchées entre eux et moi. Mes artères sont des sillons rayés jouant une musique bancale. Je ne parle plus. Le monde entier est inatteignable. Je me remets à bégayer. Un de mes pieds se perd dans un trou sans fin. L’autre maintient un pantin. Mes bras se sont raccourcis. Ma langue s’est pendue. Du goudron et des plumes.
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Je suis l’idiot Nadjones et je vole au secours de personne Absolument personne et pour cela Je prends des risques inimaginables en équilibre Sur une corde rongée par la chaleur Je survole un ravin d’une soixantaine de mètres Des vautours passent et rapacent Des crocodiles mettent la table Et si je parviens de l’autre côté Un champ entier de reptiles affamés.
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Je me demande à quoi sert tout ce cinéma. Ces histoires qui démarrent sur des chapeaux de roue pour finir le bec dans la boue. Le sang bouillonne partout ailleurs que dans mes veines. Ce qui me rend livide. Qui va m’ébouriffer le crâne à présent que je suis chauve ? Qui va me prendre la main maintenant que je l’ai perdue ? Qui va me couper les ongles des pieds?
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Allez bisous je vous embrasse stop faites de beaux rêves stop il est tard je vais me coucher stop dans le lit du canal stop avant qu’il ne soit gelé stop bonne nuit je vais me vautrer stop dans ses draps souillés stop me jeter stop dans ses bras tailladés. Pas de réponse. Ça dort.
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Prochaine action : hurler. J’ouvre la bouche, contracte violemment ma gorge et en serrant les fesses, je presse mes abdominaux de toutes mes forces. Aucun son ne sort. Un souffle d’air chaud s’échappe de moi avec peine. Au contact du froid, il se transforme en bulle de brume ridicule. Elle s’évapore aussitôt. Silence de mort. Un craquement. Je sursaute. Un hérisson mouillé vient de se faire écraser sur la chaussée.
Chacun sait la météo fragile. Ce jour-là, elle était insoupçonnable. Une giboulée en plein mois de juillet. Je me fissure, me défigure, me défragmente. Je perds des membres. (Entre autres)
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