UNE PROMENADE
bruno
legeai
Tu demanderas aux enfants ce qu' ils en pensent Ils veulent toujours la neige sans doute étais-je comme eux, à présent j' attends qu' elle ne vienne pas
La tentation est certaine de rendre belle cette poussière inutile,mais allons,les pieds détrempés & les mains gelées Lui, l' enfant, il est heureux il court il glisse il tombe J' avance lentement métronomiquement même laissant de mes pas une trace exacte & profonde qui ne durera pas Tout est gris Peut-être aiment-ils que l' horizon soit rapproché ils ont la vue si perçante que l' infini s' accorde mal aux murs de tous les jours
Il se baisse il prend à deux mains une grosse motte de neige & veut Non ! tu me laisses tranquille lui ai-je dit j' ai ma gueule renfrognée des mauvais jours il n' a pas insisté Pour quelques heures il visera le tronc des arbres & secouera des branches provoquant ses rires & ses cris Qui a prétendu que la neige était silencieuse ? Nous allons plus loin dans la forêt où personne n' est allé depuis quelques jours ou semaines Les voix portent quelques mètres
& s' évanouissent Tantôt je marche devant tantôt derrière Je l' appelle Ne t' éloigne pas, la rivière coule en contrebas, de l' eau encore, une eau sans merci en témoignent des fleurs en plastique ficelées sur un arbre que nous avons vu tout-à-l'heure Un arbre ressemble à un arbre mais celui-ci conserve une histoire tant qu' on se souviendra J' ai dû sourire ou rire même Nous devions traverser un grand fossé d' écoulement Je suis passé le premier pour tendre la main & l'aider
Mais cela n' est que réconfort Il serait allé dans l' eau & la boue jusqu' à la taille Ceci est plus que tendre une main glacée pour me suivre L' illusion faillit lui & moi nous surprendre (j' ai envie de rire, oui, encore) Il comprendra dans longtemps ce rire j' ai préféré ne rien dire & nous avons marché encore La limite de la forêt est proche
Puis nous passerons le long d' une plantation, des arbres encore, cette fois plantés au cordeau La neige bave sur mon visage l' appareil photo que je protège comme je peux ruisselle Je n' aime pas ça je l' essuie soigneusement en le couvrant du mieux de mon corps je n' ai que lui Mon fils a les mains rouges dans quelques jours elles auront gonflé s' écorcheront & saigneront il retiendra des larmes comme il pourra Le village est désert un village sans enfant, donc A moins qu' ils ne soient empêchés de s'amuser & regardent par la fenêtre
attendant d' être grands Alors ils n' auront plus le coeur d'y aller Même pas un chien les rues brillent mais noires quelques voix inaudibles passent au-dessus de nos têtes dans les fils du téléphone Nous longeons sur quelques centaines de mètres une route mais je n' aime pas à la vitesse du pas sur ces tracés trop simples Nous irons à gauche à travers champs & ce sera plus court Où que l' on soit il faut penser au retour Toute cette poussière blanche me dégoûte, poussière sans durée venue pour quelques heures quelques
jours, cendre glaciale avec laquelle je tente malgré moi de bâtir ce souvenir Ai-je été enfant de mon temps ? Mon fils n' est pas encore d' âge à me le demander j' ai si peu de mémoire, je n' ai pas de réponse Comme si ma vie refusait obstinément ce principe du piétinement Pourtant j' ai échoué moi aussi dans la traversée du temps qui brode à l' infini le même passage De refus en renoncements j' ai certes diminué l' inutile mais ce qui reste ne sert à rien Il oubliera cette promenade, mon fils, où nous aurons marché côte à côte si loin l' un de l' autre
à moins qu' un jour une histoire semblable ne lui arrive Comment s' appellera son enfant ? Le verra-t-il avec les yeux & si peu de coeur que j' en aie ? Il faut escalader encore la colline & redescendre quelques kilomètres jusqu' au village Il est fatigué on ne peut s' arrêter en plein champ renoncer déjà & se tuer sans rien faire Tout le charme de la neige n' y peut rien En peine allons
encore, plus tard on oubliera Toute ma mémoire repose sur ces mauvais moments tout ce qui reste, ce qui n' était sans doute ni le pire ni le meilleur, ces épisodes hors continuité inclassables me manquent Un vieil homme dans sa camionnette nous regarde avec insistance comme si marcher sans destination devait l' étonner Il disparaît
après le virage le moteur dure quelques instants encore Quand il repassera nous serons déjà à la maison séchés changés il boira un chocolat Tout sera à recommencer