• MODE : DORIANE VAN OVEREEM / ETUDES STUDIO • MUSIQUE : ANNA O F T H E N O R T H / E Q U AT E U R / H O U D I N N E / CO U T E A U X S U I S S E S / M O N A M O U R A D O U R / D I S T O R T I O N CO P E N H A G U E / D E K M A N T E L A M S T E R D A M • C I N E M A : LO C A R N O F E S T I V A L / U N S O I R A U F E S T I V A L D E C A N N E S / S A I N T L A U R E N T • C U LT U R E G R A P H I Q U E : A L E X A N D R E G O D R E A U / G R E M S / R O M A I N L A U R E N T / B A S TA R D G R A P H I CS • CO R R E S P O N D A N C E : S R I L A N K A • ·1·
Taylor McFerrin + chaMberlain + oyha mardi 28 octobre 19h - 23h30
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Je ne vais pas vous mentir, je suis ravi que l’été soit enfin terminé. Pas seulement parce qu’avoir traversé une dizaine de fois la France et l’Europe sous une météo bipolaire est au fond aussi passionnant qu’épuisant, mais parce que la fin de saison laisse entrevoir un magnifique crépuscule qui s’étale sur de longs mois. Comme un enfant capricieux excité par une journée au parc, le soleil refuse de se coucher avant de lentement céder aux berceuses de la nuit. Alors que j’enlève mes chaussures, j’y retrouve au fond les souvenirs de mon été mouvementé : du sable belge, une tache de champagne cannois, un cheveu blond, un poulet thaïlandais, un thaïlandais, du chocolat suisse et un fan de Fauve qui, à côté de ses pompes s’était glissé dans les nôtres pour les voir miauler partout leur blizzard, à nous en donner des haut-les-cœurs. Oui, j’ai de grands pieds. Il était temps de se poser et d’occuper mes nuits noires en remplissant mes pages blanches. Après avoir passé l’été à toucher du doigt mes artistes préférés, je me suis dit que j’allais passer l’hiver à doigter les touches de mon clavier à la recherche de nouvelles coqueluches dans cette immense et absurde matrice qui renferme autant de pépites que de coquilles vides : Internet. Le web est un endroit curieux, on peut en trois clics y faire des rencontres délicieuses, de la norvégienne Anna Of The North au suédois Yung Lean dont le rap futuriste met un sérieux coup de vieux à une concurrence faussement alternative et finalement très consensuelle, tout comme l’on peut se perdre dans une blogomégalo-sphère, qui à force de suivre le chemin tout tracé du sacro-saint « bon goût » finit par tourner en rond. C’est pourquoi c’est la gorge nouée (normal me direz-vous pour un nœud pap’) que je vous annonce l’arrivée imminente de ma propre URL. Rassurez-vous je m’exprime déjà bien assez sur ces pages pour vous en imposer d’avantage. Non, cette fois la parole est donnée aux artistes dans un terrain de jeu virtuel où les genres se croisent et se superposent. Imaginez une chanteuse française s’accoquiner d’une robe italienne devant le regard amoureux d’un cinéaste japonais, vous avez compris l’idée. Au théâtre des rencontres improbables, nous vous faisons la promesse de pousser tout le monde sur le devant de la scène.
Max Ltnr
Rédacteur en chef
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R E DAC TEUR E N CH EF
DI REC T EUR ART I ST I QUE
Max Ltnr
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Eric Rktn
Ombeline Descheemaeker, Amélie Warnault
Douglas McWall, Aurelien Doubrere, Gidi Van Maarseveen, Robin Galiegue, Delphine Mouly, Alexandre Godreau
CONT RI BUT EURS
CHEF DE PR OJE T S / E VÉN E M E N TIE L
MU S IQ U E
CO NCEPT I ON GR APHI QUE
CHARGÉ DE DÉVELOPP E M E N T
C INE MA
P R O DUC T I ON ÉVÈNEME NT I ELLE
CHARGÉ DE S REL AT I ONS AN N ON CE U RS
Floris Yvinou
Lise Beuve, Tristan Baldi, Mathieu Koehl
C U LTU R E G R A PH IQ UE
Thomas Devoddère, Shani Mac-Gomez
Victor Tessier
Axelle Munier
Baptiste Pépin
Thomas Tourancheau
Thibault Dury
PART E NARI AT S / REL AT I ONS PRE SS E (l enoeudpapcont ac t@gmail.com ) Paris : Adeline Bustin, Loren D. Jones Lille / Belgique : Marjorie Acquette
et surtout Jarco pour sa musique lascive et sa patience. Un grand grand merci à nos contributeurs qui sont aussi nos yeux et nos oreilles : Claire, Ivanka, Delphine, Manon, Pierre -Yves, Marine, Paul, Lucie, Charly, Amaur y. Nos partenaires : Le Social, Le Magazine, Le Glazart , Cecilia et l’Espace B, le Zig Zag, le Showcase, Romain et La Cave Aux Poètes, Thomas et la Maroquinerie, Alberic et le Be Street ! Les labels Pias, la Coop, Numbers, XL, Desobéissance qui roule à toute allure, les artistes qui ont donné de leur temps pour contribuer à notre futur site internet . On n’oublie pas ceux qui nous suivent de loin : Aurore et SFR, Maxime et la Mission, Charles et HIM, Valentine et Carlsberg, Massita, Anthony Lapoire. Et tous ceux qui m’excuseront de les avoir oubliés mais qui se reconnaitront dans ces mots.
La rédaction décline toute responsabilité quant aux opinions formulées par ses auteurs dans leurs articles. Aucun élément de ce magazine, ne peut être reproduit , sans l’autorisation écrite de l’auteur.
RE M E R C IE ME NTS Une nouvelle marche que Le Nœud Pap’ n’aurait pas pu franchir sans nos chers (et tendres) : Lisette, Tristan, Mathieu (saut c’est) Koehl, Edouard, Thomas (même s’il est en retard), Consti, Baptiste en goguette dans les pays du grand nord, Floris et sa caméra re venus en France, Amélie, Ombeline et D. Vicky (D. pour Dior et non Dark), Adeline aka Jolie Jolie, et les nouveaux qui entrent dans l’aventure : Loren, Axelle, Marjojo et Snoup Doug. Mais aussi le soutien de la famille de cœur, ce bon vieux Schutz. William, Re nault et toute l’équipe de We Love Words : Lucie, Paul, Gregor y, Hermine, merci pour Cannes c’était « immersif et passionnant ». Les Couteaux Suisses : Ben, Eugénie, Sylvain et leur accueil toujours chanmé au Cabaret Vert . Claire de Dour, u n plaisir comme chaque année, Simon pour ses nuits électriques, la famille Schollier, Cozmoze. Merci à Etienne des Wesh, Quentin, Delphine, Doubi, Robin, Gidi, Alexandre, Victoria et Er wan de Be ware
COUVERT URE Model : Zelig Wilson Photographe : Adam Peter Johnson Nœud confectionné sur-mesure : Little Jou Direction Artistique : Eric Rktn / Max Ltnr Conception Graphique : Victor Tessier
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CINEMA
NATURE PEINTURE : ROULETTE RUSSE : À L’AFFICHE : C’ÉTAIT MIEUX AVANT : ÇA CREUSE : LENDEMAIN :
8 12 16 20 22 26
Anchorman : La Légende De Ron Burgundy Melancholia Saint Laurent Persona Locarno Festival, Dans La Peau D’un Juré Un Soir Au Festival De Cannes
MODE
LE DRESSING : LE DRESSING : EMBEZZLER : ที่สวยงาม : À LA PAGE : EN TÊTE À TÊTE : ÇA CREUSE :
32 34 36 48 56 60 64
Homme Femme Gidi Van Maarseveen Robin Galiegue Études Studio Doriane Van Overseem La Tendance Minimaliste
CULTURE GRAPHIQUE
LOCAL HEROES : 70 LE NŒUD PAP’ VU PAR : 76 À LA PAGE : 84 À LA PAGE : 88 À LA PAGE : 94 ÇA CREUSE : 98 DERRIÈRE L’OBJECTIF DE : 104 106 108 110
Emeric Trahand Alexandre Godreau Grems : « Rappeur, Graffeur, Designer... » Romain Laurent Bastardgraphics Urbex Amanda Charchian Clara Nebeling Jocelyn Catterson Nastasia Dusapin
MUSIQUE
114 REVIEWS EN TÊTE À TÊTE AVEC : 120 LA CLAQUE : 124 EN TÊTE À TÊTE AVEC : 126 LOCAL HEROES : 132 ÇA CREUSE : 136 HOT SPOT : 140 REPORT : 142 146 154 158 160 164 170 174 176 180 LENDEMAIN : 184
Anna Of The North Houdinne Couteaux Suisses Equateur Boston Et Le Rap US Social Club, Nouvelle Formule Beauregard Festival Distortion Festival La Route Du Rock WECANDANCE Dekmantel Festival Dour Festival Le Cabaret Vert Les Nuits Secrètes Le Printemps De Bourges He llfe st Raconte Moi Un Concert, Avec We <3 Words
PAUL DE PONE
CHRONIQUE : Hastag 188 Vapowave CORRESPONDANCE : 194 Sri Lanka ·5·
CINÉMA
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路7路
NATURE PEINTURE par Mathieu Koehl
ANCHORMAN: LA LEG
les plus grands évènements locaux : défilé de mode pour chats, l’heureux gagnant du saut de grenouille, ours brun à l’attaque d’un photomaton (...). Véritable « dieu » de l’information et présentateur vedette de la chaîne locale, Ron Burgundy et son équipe font soudainement face à la nouvelle promotion de Veronica Corningstone pour qui la présentation du JT devient un objectif à atteindre. Autant dire, un modernisme féminin qui s’invite avec professionnalisme dans une tribu masculine qui perd alors tous ses repères. Voilà des hommes en perdition, charmeurs, « lourds », « très lourds », amoureux, professionnels, excentriques, en proie à des situations plus enfantines les unes des autres… l’idiotie masculine au sommet de son art pour 1h34 de « barge ». Un film idiot ça détend... et encore ça dépend, mais un grand film idiot c’est de la semi-intelligence. Si le schéma narratif s’écoule avec simplicité et sans originalité particulière : incipit, déroulement, chute puis élément de résolution pour la délivrance finale. L’idiotie et
Titre original : Anchorman : The Legend of Ron Burgundy Date de sortie : 18 mai 2005 Réalisateur : Adam McKay Acteurs : Will Ferrell, Christina Applegate, Paul Pudo
Direction San Diego et sa chaîne locale : KWN Channel 4. Il est le boss de l’information, il a de la gueule et sa voix ferait ronronner n’importe quel blaireau. Il, est : Ron Burgundy. « Essai micro 1- 2 / 1-2» : « Tchao Tchao Bambino - Tchao Tchao Bambino – Je nique New-York Je nique New-York ! Les chaussettes de l’archiduchesse sont-elles... » L’info. en direct c’est du sérieux, c’est un auditoire, c’est de l’exclusivité mais c’est avant tout une véritable équipe de professionnels au service de l’information qui couvre
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GENDE DE RON BURGUNDY les talents d’interprétations ont eux, une saveur mémorielle. Un film qui reste dans les mémoires : ça peut avoir du goût ! On définit trop simplement l’idiotie à un caractère qui apparaît sans intelligence.
nouvelle esthétique ? Sans doute pas nouvelle. Un remède pour âme morose en tout cas.
Un film idiot ça détend... et encore ça dépend, mais un grand film idiot c’est de la semi-intelligence
L’idiotie est alors seule, abandonnée à sa propre définition. Pourtant, il suffirait de penser à Jean-Claude Van Damme et à son concept de 1+1=1 et c’est une tout autre philosophie qui apparaît. En plaçant « l’idiotie » dans l’art, soit inversement : l’art de l’idiotie, là on redéfinit le concept et la définition. Tu me suis ? S’ouvrir à l’idiotie dans ce « Présentateur Vedette » c’est certes, l’accepter d’une part (et ce n’est pas donné à tous !) mais c’est surtout se laisser submerger par l’idée que l’enfantin à 40 ans c’est plutôt funky et qu’Adam McKay est un sacré malin pour sa première réalisation cinématographique. L’intelligence de l’idiotie artistique, une
Bien que nos sociétés contemporaines n’aient jamais vraiment accepté de saisir, de voir là où l’idiotie se situait et bien ici, dans ce registre artistique, cinématographique, l’idiotie se valorise et s’accepte volontiers car maîtrisée avec brio ! Pour réussir à jouer ce jeu « d’idiots-intelligents », plusieurs tactiques : s’entourer d’un groupe d’acteurs qui forment une osmose des plus sincères. Pas de hasard lorsque la bande Will Ferell, Paul Rudd, Steve Carell et David Koechner sont nominés la même année du film lors des MTV Movie Award pour la meilleure équipe dans un film. Chacun des personnages joués a son propre charisme et répond parfaitement au registre souhaité. Tout est une question d’équilibre et de tonalité d’expressions. L’on peut si vite tomber dans le « navet » dans ce type de film. s’amuser par les interprétations. Il faut dire que la fine équipe d’acteurs s’est amusée d’improvisation tout au long du tournage quitte à réenregistrer des scènes une dizaine de fois. La franchise de l’humour quand tu es acteur, cela n’a pas de prix. Enfin, pour conduire à la perfection ce jeu, rien de meilleur que d’être « appuyé » par un réalisateur dont la carrière s’est construite dans une troupe d’improvisation théâtrale dans le quartier de Old Town à Chicago. maîtriser la saveur de « l’espace temps » souhaitée jusque dans les moindres détails. La fine équipe s’inscrit à la perfection dans les années 70. Un accoutrement d’époque pour une assise temporelle.
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Tout l’attirail du parfait séducteur de ces années est de la partie : des moustaches brossées avec délicatesse, des mocassins en cuir blanc à boucle en argent, des costumes et cols de chemises inventés par la société américaine de l’époque (façon Brooks Brother*)... tout y est dans les moindres détails.
La rentabilité de ce « 1h34 » ? - S’affranchir du politiquement correct lorsque « l’intelligence de situation » est au rendezvous. L’interprétation, reine de la création, règne en maître avec passion pour une belle dérision de la télévision.
s’appuyer sur une question sociétale de fond.
FIN.
C’est une base narrative on ne peut plus sérieuse qui nous est proposée ici et qui est loin du caviar humoristique proposé. Par delà l’humour postiche voulu et parfaitement retranscrit dans les différents rôles, le film et l’histoire narrative rendent hommage à Jessica Savitch. Décédée en 1983, présentatrice et reporter de la PBS Frontline, elle dû combattre le machisme masculin dans le secteur audiovisuel de l’époque. Réparation et évolution sociétale, elle su imposer son style et son professionnalisme au petit écran. Une recette explosive et énergique pour une comédie plutôt réussie. Quant à son visionnage, si pour l’intellectuel ce type de comédie peut apparaître comme une déculotté de la dignité, reposons-nous sur « la parole vraie » de Jean-Luc Godard : « La télévision fabrique de l’oubli, le cinéma fabrique du souvenir. »
*Brooks Brother : Première marque de vêtement des EtatsUnis (1818), Abraham Lincol, Andy Warhols ou encore les membres de Nirvana étaient des inconditionnels de la marque.
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ROULETTE RUSSE par Mathieu Koehl
MELANCHOLIA
l’infini, n’offrant qu’un intérêt très limité. Les premières images de Melancholia, ces tableaux apocalyptiques présentant l’homme face à une nature déréglée, aussi belle qu’angoissante, posent les bases de l’atmosphère pesante du film : un premier plan serré sur Kirsten Dunst au milieu d’une pluie d’oiseaux morts, puis plus tard d’une nuée d’insectes, des plans fixes présentant les protagonistes perdus dans un vaste domaine surplombé par deux astres, des planètes en mouvement, et un rapport cosmique entre Dunst et la nature… On replace bien ici l’humain au cœur d’un univers à l’aspect divin, mystique, en soulignant une notion essentielle tout au long du film : l’isolement face à l’inévitable, et l’inconcevable. Melancholia est découpé en deux chapitres, prologue mis à part, présentant tour à tour Justine (Kirsten Dunst) et Claire (Charlotte Gainsbourg), deux sœurs aussi différentes que complémentaires, issues d’une famille très aisée, et leur sentiment intime face à la trame principale du film : l’imminence de la destruction de la Terre par collision avec la planète Melancholia.
Titre original : Melancholia Date de sortie : 10 août 2011 Réalisateur : Lars Von Trier Acteurs : Kirsten Dunst, Charlotte Gainsbourg, Alexander Skarsgård
Ainsi le premier chapitre nous invite à la réception donnée en l’honneur du mariage entre Justine et Michael (Alexander Skarsgård), dans le fabuleux domaine de Claire et de son riche mari. Étrange atmosphère, dans cette gigantesque
Lorsqu’on aborde le cosmos, et donc souvent le rapport de l’humain à l’infiniment grand, et en même temps à une essence divine puisque méconnue et presque inconcevable, il semble impossible d’exprimer les sentiments qui se bousculent dans nos cerveaux d’hommes. Si pour ma part ce rappel de l’absurdité et de l’aspect négligeable d’une vie au regard des mécanismes qui régissent le monde me rassure en quelque sorte, d’autres sont pris de vertiges et associent grandeur de l’univers à une terrible sensation d’isolement. Le film catastrophe est une matière passionnante à explorer, malheureusement enterrée dans des schémas répétés à
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bâtisse, alourdie par un sentiment d’incompréhension totale au sein de cette famille déboussolée. Un père de famille lunaire, autocentré et fuyant, une mère aigrie, froide et hautaine, et même un patron très sûr de sa réussite et envahissant… On assiste à une tentative pour donner le change, encore un peu plus, dans un univers social en ruines. Justine elle-même semble
souffrir d’un certain mal, forçant son entourage à satisfaire ce qui apparaît d’abord comme une série de caprices, et qui se transforme devant nos yeux en un besoin d’évasion, de solitude, et de rapprochement avec la terre. Justine n’est jamais à ce qu’elle fait, et semble dotée d’une force phénoménale, qu’on déduit du côté charismatique de ses disparitions, en même temps que d’une fragilité physique : elle est sauvage et désintéressée, et semble avoir accès à un degré de conscience différent de ses semblables. Elle désertera même le lit conjugal en cette nuit de noces après avoir satisfait (car c’est réellement le cas ici, la gestuelle de Dunst lors de cette scène filmée de loin ne laissant aucun doute à ce sujet) une pulsion minutée dans le golf du domaine, avec un sous-fiffre de son patron. On évoque Mélancholia dans cette partie avec légèreté, se préparant à admirer la planète lors de son passage près de la Terre, excluant verbalement la probabilité d’une collision.
ces tableaux apocalyptiques présentant l’homme face à une nature déréglée, aussi belle qu’angoissante, posent les bases de l’atmosphère pesante du film
Le second chapitre se concentre d’avantage sur Claire, mariée à un Michael plutôt intolérant, enfermé dans ses certitudes très affichées, et mère d’un fils semblant marcher dans les pas de son père. Claire est très dévouée à sa sœur, et met tout en œuvre pour que celle-ci se sente entourée et rassurée, alors qu’elle-même sent monter une angoisse et
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de terribles doutes au sujet de la collision. Justine semble d’abord, à travers le regard de Claire, s’enfoncer de plus en plus dans la dépression, ne quittant plus son lit et ne vivant que grâce à sa sœur, au grand dam de Michael. Pourtant rapidement, Justine semble rayonner de calme, de sérénité, d’acceptation, même : elle est finalement en paix avec la fin
du monde, qu’elle sait arriver. La cérémonie est terminée depuis longtemps, et les quatre protagonistes, perdus dans l’immense domaine, s’apprêtent à connaître l’issue de la rencontre de Melancholia avec la Terre. Il se passe beaucoup de choses dans Melancholia, il faut
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cosmiques, son travail sur la symétrie et ses filtres de couleurs, sa bande originale (du Wagner, pourtant ! - qui se marie merveilleusement bien à l’esthétique du film) à celle de l’approche de la catastrophe dans les esprits des protagonistes, le film est une pièce unique, un courant artistique à part entière. Le philosophe et psychanalyste Slavoj Žižek, très érudit en matière de cinéma, parle de l’ « optimisme profond » de Melancholia, qui est pourtant un film catastrophe : il y a réellement, dans l’attitude de Justine, son acceptation de la fin du monde, une vision qu’on pourrait qualifier d’optimiste, par opposition à la résignation morbide, « cassons-tout et profitons avant de disparaître ». L’analyse complète de Žižek donne d’ailleurs quelques clés essentielles pour saisir l’essence de Mélancholia et les influences de Lars Von Trier.
le ressentir pour le croire. Outre les luttes internes entre comportement en société et nature profonde, l’expérience spirituelle infligée par la possibilité de la fin du monde et le lien psychique entre les êtres humains et leur planète, Melancholia expose la beauté de la fin, beauté physique et idéologique. De l’esthétique pure du film, ses plans
Je ne compte plus le nombre de personnes m’ayant affirmé que Melancholia était lent, barbant, pénible, fade… Il s’agit toujours de savoir ce que chacun recherche dans un film. De mon point de vue, Melancholia offre une poésie à couper le souffle, des acteurs totalement impliqués dans cette superbe spirale à sentiments, et offre une approche longtemps attendue du film catastrophe ; pas besoin de Tour Eiffel détruite en 4K, d’action fumantes et de sexe torride en guise de prise de conscience. Lars Von Trier le prouve en deux heures et dix minutes, en me captivant et me terrifiant plus que jamais.
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À L’AFFICHE par Lise Beuve
SAINT LAURENT maîtriser les codes de la période que l’on fait revivre pour pouvoir les dépasser. Ici, la difficulté est double car Bertrand Bonello doit aussi connaître et maîtriser l’univers et l’œuvre du créateur. Il s’en sort à merveille, son film respire les années 60-70 et Anais Roman, la costumière avec laquelle il avait déjà travaillé sur L’Apollonide, a su recréer toutes les somptueuses pièces du grand couturier français.
Titre original : Saint Laurent Date de sortie : 24 septembre 2014 Réalisateur : Bertrand Bonello Acteurs : Gaspard Ulliel, Jérémy Renier, Léa Seydoux, Louis Garrel
Deuxième surprise : la performance incroyable de l’un de mes acteurs français préférés, Gaspard Ulliel. Lui qui campe habituellement, des rôles assez classiques, d’homme plutôt virils, montre à travers son interprétation très personnelle d’YSL, toute l’étendue de son talent. Le risque majeur avec un tel rôle est de tomber dans l’imitation. Gaspard évite le piège avec brio, son jeu est juste, à aucun moment le personnage n’est sur-joué. L’égérie Chanel est un YSL époustouflant, touchant, beau et surtout très crédible. Il explique que le travail de préparation a été très compliqué. Pour s’imprégner du personnage, maitriser sa voix et sa gestuelle, il a fallu de nombreuses heures d’écoute, d’observation et un immense travail sur son corps qui ne lui appartenait plus. Pour l’anecdote, c’est Gaspard Ulliel lui même qui dessine les croquis dans les scènes de dessin. En fait, Bonello a su trouver les acteurs justes pour incarner ses personnages. Et quelle idée de génie que de penser à Louis Garrel pour interpréter Jacques de Bascher de Beaumarchais! Les deux acteurs aussi charismatiques l’un que l’autre forment un couple explosif et terriblement sexy.
Bonello ? Un biopic sur Yves Saint Laurent ? Vous êtes sûrs ? Le réalisateur le reconnaît, il se méfie des biopics et lorsqu’on lui a proposé de faire un film sur le créateur français, il n’a pas été immédiatement emballé. Ce n’est que plus tard, lorsqu’il prend conscience de toutes les possibilités visuelles (costumes, décors) et le potentiel romanesque qu’un tel sujet lui offre qu’il se lance, et c’est avant tout la perspective de réaliser un film qui a pour cadre les années 60-70 qui le motive. Faire un film d’époque n’est pas chose facile, il faut
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Le portait d’un créateur fragile et tourmenté. Bonello met le personnage a nu, au propre comme au figuré. Il montre la défonce, les orgies, les traumatismes du créateur et la difficulté de devoir constamment créer. Le jeu de Gaspard Ulliel retranscrit très justement la timidité du personnage qui sourit mais ne rit jamais et dont humour est toujours dans la retenue (« Endive Wharol »). YSL est constamment filmé dans des univers clos (ses appartements, son atelier ou en boîte de nuit). Les rares scènes d’extérieures se passent la nuit. Saint Laurent semble complètement coupé de la réalité. Un plan en splitzscreen au début du film, montre d’ailleurs, avec des images
d’archives, un monde en ébullition à cette époque et un YSL absorbé par ses robes et ses croquis, nullement affecté par ce qu’il se passe dehors. Bien qu’enfermé dans sa bulle, le créateur était aussi visionnaire, et emprunt de son époque puisqu’il a su créer les choses au moment où elles devaient l’être. Avec son smoking par exemple, il a révolutionné la vie de la femme au moment où celle-ci aspirait à se libérer. A travers sa relation à Loulou, Betty et sa mère, Bonello montre aussi très justement l’amour d’YSL pour les femmes et son désir viscéral de les embellir.
Un puzzle dont le tout nous échappe. Le film de Bonello est un objet complexe. Il est d’abord complètement déstructuré, flashbacks et flashforwards s’entremêlent, on se perd dans le film tout comme YSL se perd dans sa propre vie. Le point culminant du film est l’année 1976, c’est le point d’orgue de la carrière d’YSL où il réalisera son « défilé de peintre », c’est aussi le moment où l’on s’approche le plus du mental du personnage dans le film. Bonello filme les détails (la matière, les petites mains qui confectionnent les robes, les objets, les visages des mannequins, les dessins, les croquis, les chaussures, les cols) et ce n’est qu’à la fin, lorsque nous prenons du recul que nous pouvons voir l’ensemble et sa cohérence. C’est lui même un artiste, il joue avec les couleurs et compose ses plans à la manière d’un peintre. Chaque plan est un tableau. Le défilé final, qui est un vrai feu d’artifice, fait tantôt penser à un tableau de Mondrian de par la découpe du cadre et
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à un Pollock tant les tissus colorés volant dans tous les sens évoquent la touche vive d’un peintre. Grâce au jeu des flashbacks et flashforwards, le réalisateur parvient à faire de la mort d’YSL, une non mort comme pour signifier qu’un tel créateur est immortel. Et rien de tel que d’achever son film sur le sourire timidement narquois de Gaspard Ulliel pour assoir encore plus le mythe Saint Laurent. Génial.
est académique, terne et raconte la vie d’YSL en restant fidèle au personnage. Saint Laurent est un film libre, pop, faste, avec plus de matière et de profondeur. L’un raconte, l’autre créé. L’un est une esquisse, l’autre est une œuvre. Une œuvre qui représentera d’ailleurs la France aux Oscars 2015. Clap Clap Clap.
Saint Laurent est bien plus qu’un simple biopic, c’est un véritable film sur la création, un pont entre les arts (dessin, couture, peinture, artisanat, photo). Le film de Jalil Lespert
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C’ÉTAIT MIEUX AVANT par Tristan Baldi
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chose ou quelqu’un hors de la scène, oubliant planches et public. Vogler ne parlant plus, elle est suivie par une infirmière, Alma (Bibi Andersson), et les deux jeunes femmes vont se lier d’amitié, se complétant l’une l’autre dans leurs désirs inassouvis. Alma, source intarissable de confessions de plus en plus intimes, se dévoile sans cesse à Elisabet, qui, à défaut de parler, l’écoute. Mais face au mutisme d’Elisabet, Alma va devenir de plus en plus agressive, sensible au moindre rictus décelé sur le visage d’Elisabet, comme si elle supportait de moins en moins l’image que lui renvoie la comédienne. Les deux femmes semblent petit à petit se confondre, cherchant chacune dans l’autre une personnalité qu’elles envient, ou qui manque à leur personnalité propre.
Titre original : Persona Date de sortie : 18 octobre 1966 Réalisateur : Ingmar Bergman Acteurs : Liv Ullmann, Bibi Andrsson, Margaretha Krook, Gunnar Björnstrand
J’avais un vague souvenir, des images d’un film de Bergman que j’avais regardé distraitement quelques années auparavant et qui m’avait laissé perplexe, voire un peu moqueur. Il s’agissait du Septième Sceau, et je ne doute pas qu’en le visionnant aujourd’hui mon opinion d’alors se ferait la malle. Parce que Persona a bousculé tous les sentiments que j’avais ressentis jusqu’alors en regardant un long métrage, dans la forme comme dans le fond. Elisabet Vogler (Liv Ullmann) est frappée de mutisme lors d’une représentation d’Electre. Scène étonnante qu’un regard qui s’éternise, en apercevant ou en cherchant quelque
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Ainsi de bagarres en scènes presque érotiques, de sursauts violents en signes de compréhension, le miroir se brise et les deux reflets se cherchent. Le rapprochement psychique des caractères, le débordement d’Elizabeth sur Alma va prendre de telles proportions que les personnages vont finir par se ressembler physiquement. En somme, leur quête d’identification passe par une forme de destruction par assimilation. La trahison sera essentielle dans ce film, lorsqu’Elisabet rédige une lettre évoquant les confessions d’Alma. Cette dernière, lisant la lettre déjà décachetée (probablement par Elisabet, dans le but non avoué de pousser Alma à la lecture), transformera sa hargne en tentant de rendre Elisabet toujours plus dépendante de ses soins. Ce flirt entre amour et haine, presque sado-masochiste, cette recherche d’identité à travers l’autre, confèrent au film de Bergman une poésie grandiose, sur des bases philosophiques. La plus grande force de Persona est pour moi la complémentarité du fond et de la forme. Un rythme lent, propice au trouble et à la transe, installe un jeu
entre l’image et la parole, le mutisme et l’abandon. Bergman utilise beaucoup de gros plans, de contrastes lumineux. La psychologie des personnages se retrouve indéniablement transposée à l’écran, notamment avec ces surexpositions de blancs laiteux, auréolant les actrices d’une sorte d’essence divine, tout en faisant ressortir le contour flouté de leur identité. Parfois le film semble être un roman photographique, une succession de portraits mis en opposition jusqu’à se confondre. Il y a d’ailleurs cette scène folle où l’on voit les deux visages ne faire qu’un seul, de façon si photographique que l’image m’a renvoyé au fameux battement de paupières, unique mouvement du film La Jetée de Chris Marker. Persona, mot étrusque signifiant « masque de théâtre », ou représentant en latin la personne et le personnage, est une grande œuvre cinématographique qui ne sera pas vécue de la même façon par deux personnes différentes. Mieux encore, à chaque nouveau visionnage du film nous découvrirons de nouvelles sensations, de nouvelles explications, avec toujours cette poésie débordante, le talent de ces deux actrices, le côté fragmenté du film, et ces plans incroyables.
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ÇA CREUSE par Delphine Mouly
LOCARNO FESTIVAL, DANS LA P
C
et été j’ai décidé de m’éloigner un moment du flux sonore estival pour reposer mes abducteurs. C’est ainsi que je franchis mes Alpes suisses pour passer dix jours au festival du film de Locarno, l’un des plus importants et anciens rendez-vous du cinéma d’auteur.
Histoire de mettre ma cinéphilie à l’épreuve et surtout, de m’imposer une certaine rigueur dans cet exercice, j’avais décidé de poser ma candidature pour intégrer le jury des jeunes. C’est donc seule que je débarquais sur la riviera helvète, la veille du lancement des festivités. Le deal était le suivant : avec 32 autres étudiants nous étions nourris et logés pendant deux semaines avec pour mission de s’assujettir aux crus visuels de l’année et d’attribuer un certains nombre de prix. Pour rendre la tâche plus réaliste, on nous sépara en trois jurys, en parallèle aux trois jurys officiels, chacun attribué
aux trois compétitions officielles. Je choisis les Cinéastes du présent qui regroupait les premières et secondes oeuvres de jeunes cinéastes, avec la curiosité de voir des films peu distribués et l’espoir que ceux-ci me rassurent sur la relève du cinéma indépendant. Au-delà des quinze films imposés, lorgnés depuis nos sièges de jurés, le programme était chargé : workshops, conférences de presse et réunions de jury. Sans oublier tout le reste de la programmation qui incluait entres autres, en plus des longs et des courts métrages en compétitions, un programme dédié au cinéma sub-saharien, une rétrospective Agnes
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PEAU D’UN JURÉ Varda, Mia Farrow et Jean-Pierre Léaud inaugurant le festival par une projection des 400 coups sur la grande place, des films de Kieslowski, la venue de Garrett Brown - inventeur de la steady cam - et donc l’occasion de savourer The Shining sur grand écran. Finalement, de 10 à 20 heures, j’enchainais les films en régénérant ma vitamine D lors des trajets entre les salles. Le soir, il me restait juste le temps de courir chercher une pizza, des bières et de rejoindre mes potes sur une des 8’000 chaises de la Piazza Grande pour les projections en plein air, qu’il pleuve ou qu’il vente (nb : j’ai fait partie de la trentaine de personnes ayant survécu pendant 45 minutes devant Les plages d’Agnes en pèlerine sous une pluie torrentielle à 22h). Avec un bilan de 50 films en 10 jours, je commençais à avoir les synapses qui grésillaient dès que j’apercevais
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un semblant d’image bougeante. Malgré cet effet postmarathon, j’avais le même sentiment qu’un dimanche soir de weekend trop dansant : j’avais des crampes mais j’en ai eu pour mes attentes. Je repartais avec l’impression qu’à Locarno le public se sentait aussi bien que les professionnels. La croisette suisse décomplexait et confondait jeunes réalisateurs, étudiants à calepins, figures légendaires du cinéma et familles nombreuses. Un paysage anachronique à l’italienne où pouvaient se croiser Varda et Jason Schwartzman, à l’abri de toute déferlante de paparazzi. Ici la nouvelle vague semblait ne s’être jamais arrêtée, continuant de vibrer sur les rives du lago Maggiore.
Mon palmarès Cinéastes du Présent : Navajazo
Buzzard
de RICARDO SILVA
Un deuxième film plus que prometteur, porté notamment par son incroyable anti-héros. Punk et drôle.
Un documentaire vertigineux sur Tijuana à travers ses fantômes, entre pornographie de l’amour, rapports anarchiques et auto-dérision violente.
de Joel Potrykus
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THEY CHASED ME THROUGH ARIZONA
de MATTHIAS HUSER
Un ouvrier est chargé de démonter toutes les cabines téléphoniques de la région suite à la faillite de son usine : une métaphore de la Pologne post-industrielle portée par des plans accaparants.
LOS HONGOS
de OSCAR RUIZ NAVIA Cali, Colombie, des beaux arts aux radios pirates, la révolte.
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LENDEMAIN par Paul de Pone
UN SOIR AU FESTIVAL DE CAN
Y
avait-il un meilleur endroit où je me devais d’être ce soir? Non assurément. Et pour la peine, une escapade à Cannes valait bien un lever aux aurores. Pour rien. Par un caprice de la fonction publique, je fus une fois de plus l’otage d’aiguilleurs du ciel et de leurs revendications qui ne m’empechaient pas de dormir, mais qui pour le coup auraient pu me faire rester plus longtemps au lit. J’optais donc pour le train, et celui qui a dit «le plus important n’est pas la destination, mais le voyage» ne s’est pas coltiné les 6 heures qui me séparaient de la Côte.
WHO’S WHO MENTAL Tout avait été pris en charge et mathématiquement calculé pour que mon enjaillement soit optimum, du chauffeur qui me conduisait toute la nuit, au lit moelleux du cinq étoiles loué aux abords de la ville, je comptais bien réduire mes questions aux besoins les plus basiques, à commencer par savoir où se trouvait le mini bar. Mon interrogation fit un flop. Devant le retard accumulé, il fallait se préparer à monter les marches pour la projection de «Timbuktu»
d’Abderhamane Sissako, non sans avoir mangé un copieux repas au Majestic, composé d’une douzaine de plats parmi lesquels du poulet farci, du poulet farla, des cuisses d’animaux en voie d’extinction baignés dans des sauces mazoutées aux gouts exquis. Le chauffeur m’abandonna au pied des marches et d’une étendue de photographes qui m’observaient, tournant frénétiquement les pages d’un who’s who mental pour se rappeler si j’étais connu ou non. Dans le doute, certains me prirent en photo, d’autres
des postures d’hommage posthume au personnage de Charlot
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NNES
me sommèrent de dégager du champ, obstruant leur vue sur l’équipe du film immédiatement a ma suite. Je profitais du moment, prenais la pose, osais un selfie, montais les marches dans une hâte contenue, sans pour autant aller jusqu’à des salutations royales à la foule massée de part et d’autre des barrières blanches. Il était fort probable que certains des photographes présents fussent plus connus que moi à cet instant.
raison.
la salle était a moitié remplie par les officiels, les vigiles ouvrirent alors les entrées a ceux possédant des accréditations, le premier de ceux-là fut un homme grimé en Charlie Chaplin, tapis rouge oblige, visiblement habitué à l’exercice du cliché mondain, offrant des postures d’hommage posthume au personnage de Charlot.
Je ne sus jamais ce que valaient les autres films en compétition officielle, ni pourquoi la salle applaudissait les logos de distributeurs qui apparaissaient a l’écran. Ce qui est sûr, c’est que ce fut une claque qui dura deux heures. Deux heures où notre monde moderne et les traditions entrèrent en collision, où l’esprit rebelle des habitants de ce village africain tentaient de concilier leurs habitudes aux exigences parfois absurdes d’un islam oppressant. Cela pouvait très facilement tomber dans un pathos entendu. Au contraire, le film était porté de manière assez inattendue par une petite fille, qui comme moi essayait de garder sa candeur. Pendant ce temps, au dehors, les flashs continuaient de crépiter, dans l’indifférence d’une salle immergée.
De mon côté, je n’avais pas lu le synopsis de Timbuktu, ni fait le point sur la filmographie du réalisateur, pour en rester candide, comme un végétarien devant son premier tofu. A
Standing ovation une fois le film terminé, accolades et pleurs de joie pour l’équipe du film. Cela dura, cela dura longtemps. Il fallut attendre que les acteurs sortent pour
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en faire de meme, la nuit était encore jeune, et lui faire des avances pour le moins pédophiles n’était pas de refus.
DU QUIDAM AUX PAILLETTES Les voitures officielles procédaient à un étrange ballet avec les taxis sombres, et seules les lumières vertes sur leur toit les distinguaient les unes aux autres. Dans les rues, le même défilé au rythme des talons aiguilles sur le macadam de la croisette, des tuxedos avec des mecs en dessous accompagnant des filles en robes de créateurs. Dans les yeux de tous, ce show off, cette sensation qui vous faisait penser que tout était possible, que du quidam aux paillettes il n’y avait qu’un pas, pour peu que l’un d’eux soit sur le tapis. C’était ça, Cannes.
La foule se répartissait sur les deux bars dont l’un était extérieur. En fait, il n’y avait qu’une seule pièce cloisonnée, le reste étant un vaste rooftop sur trois niveaux de vue: la fenêtre des voisins trop proches, la terrasse dans la rue en face, et au dessus encore le reste de la ville et ses lumières qui se confondaient avec les étoiles, combien de personnes voyaient ce que j’avais sous les yeux a ce moment? Dans l’ascenseur pour repartir, on me dit que j’avais de la chance de dormir dans un cinq étoiles. Cannes connaissant un succès toujours grandissant, attirrait plus que jamais les étrangers dans son marché du film en parallèle, mais également son festival indé annexe, pour tous les gouts. Forcement, il n’y avait pas assez de place pour loger toute cette peuplade cinématographique, et certains étaient obligés de se débrouiller comme ils pouvaient. Je me dis que c’est peutêtre aussi ça, Cannes : devoir dormir en smoking dans une berline climatisée de location.
des tuxedos avec des mecs en dessous accompagnant des filles en robes de créateurs
Je tombais par hasard sur l’entrée du Silencio délocalisé de Paris, en ayant beau montrer patte blanche et chemise assortie, cela ne suffisait pas. Une des personnes nous accompagnant reconnut Salma Hayek et intima au vigile de nous laisser passer dans le hall éclairé par une LED rouge, attendant l’ascenseur. Un groom du futur nous ouvrit, portant deux clés en guise de boucle d’oreille. Personne ne sembla s’en plaindre, au contraire, j’envisageais meme de répéter l’idée, avant de me rendre compte que je n’avais qu’un crayon sur moi. Et je suis douillet.
MANEGE CLINQUANT Au quatrième étage d’un bâtiment surplombant Cannes, la fête battait son plein, emmenée par un dj inconnu qui enchaînait subtilement des morceaux de r’n’b jamais putassiers, mais suffisamment aguicheurs pour faire lever les bras, coupettes de champagne comprises, onduler les corps, commander des bouteilles d’alcool plus fort que le volume sonore. Le monde du cinéma et celui de la musique ne sont pas si éloignés, et c’est pour cela que les deux entretiennent une l’une de miel qui s’éternise depuis la nuit des temps. Autour de moi l’on parlait synchronisation pub, bande originale, potins. Certains avaient raté la projection de ce soir a cause de cette grève, d’autres avaient commencé un contre festival en discutant dans leur train à l’arrêt forcé. Qu’ils furent présents physiquement ou non, tous étaient sur la croisette dans leur tete, et moi au milieu, j’observais ce manege clinquant accoudé à ma fatigue naissante.
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NO
LE
EUD PAP
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MODE
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LE DRESSING
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COMMON PROJECTS
ETUDES STUDIO
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DEZSO BY SARA BELTRAN
FILLES À PAPA
FINLAY & CO.
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MARY KATRANTZOU
MÖDERNAKED
TSUMORI CHISATO
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CARIN WESTER
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EMBEZZLER
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par Gidi Van Maarseveen
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ที่สวยงาม
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par Robin Galiegue
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À LA PAGE par Amélie Warnault
ETUDES STUDIO
C
ette jeune marque en vogue qui résonne peut-être déjà dans votre tête cache plus d’un tour dans son sac. Ce label contemporain conjugue à merveille l’Art et la Mode, et possède un langage vestimentaire bien à lui. Le web et les technologies n’ont jamais été aussi inspirants qu’aujourd’hui, et pour la marque, c’est une vraie source d’inspiration sacralisée. Distinguée, pointue et pleine de fraîcheur, tous les ingrédients sont alors réunis pour que chaque pièce devienne de vrais objets de désir. Présentation de ce label tendance en cinq points.
Naissance et Fusion
LA piÈce phare de la marque
Etudes Studio est un vrai label parisiano-new-yorkais fondé en 2012 par Jérémie Egry et Aurelien Arbert. Elle n’est pas qu’une simple marque de fringues, c’est un réel support de créations et de ressources contemporaines. Celle-ci a vu le jour grâce a la fusion naturelle de la marque Hupsext ainsi que la maison d’édition JSBJ déjà tenues à l’époque par les deux créateurs. Etudes Studio apparaissait alors comme la continuité logique. Au résultat, des silhouettes léchées, pointues, mais pas que. Si ce n’est pas déjà fait, Etudes Studio sera votre nouvelle lubie du moment.
Vous allez craquer, on en est sûrs. On sait bien que ce label singulier ne vous laisse sûrement pas de marbre, surtout lorsque votre regard rencontre les chapeaux phares de la marque. Ces drôles de chapeaux nommés « Midnight », avec une forme un brin old school, mais par dessus tout ultra élégants. Tous moulés en laine feutrée, dans des tonalités propres au label : bleu cobalt, jaune citron, ou encore gris tourterelle.
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Des collections inspirÉes du web worldwide La marque propose des silhouettes unisexes, résolument modernes et pointues à souhait. Les collections sont toutes plus fascinantes les unes que les autres, contemporaines et futuristes, domptées d’imprimés graphiques. Le dernier défilé Printemps-Été 2015 intitulé « Tunning » offre des totals-looks motocross et d’inspiration mécanique. Les mannequins étaient alors parés pour conduire une voiture de Formule 1 : casque de moto, gilet parka de haute sécurité et lunettes de sport. C’est justement ces looks si decalés qui font de la marque un nouveau langage à part entière. Si on observe bien toutes les collections, une évidence se soulève: Etudes Studio s’inspire intelligemment et use de notre langage contemporain. Des imprimés puisés dans la première ère du web worldwide : des écrans qui plantent, des ondes brouillées, des câbles USB ou encore des téléphones portables à clapet. Tous ces objets qui nous sont si bien familiers sont pourtant (presque) la clef de leur succès. Etudes Studio n’en néglige pas moins pour ce qui est de la forme, on retrouve à chaque saison des coupes amples et volumineuses qui nous offrent de somptueux drapés. Etudes Studio est alors designée comme l’une des
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marques les plus contemporaines du moment.
Des livres d’artistes contemporains Même si la marque se veut minimaliste, ses activités artistiques ne le sont pas pour autant. Parce que la marque est bien trop créative pour n’imaginer que des vêtements, Etudes Studio est beaucoup plus. Elle allie multiples facettes : textile, atelier, photographie et édition, un ensemble qui ressemble quasi à un mode de vie. En plus de proposer des livres d’artistes (déjà sept « Etudes Books » sur la photographie contemporaine), la marque offre également ses services créatifs via l’agence la plus branchée du moment : Mr L’Agent.
Des collab’ pointues Les deux créateurs à la pratique multidisciplinaire jonglent sans cesse entre Paris et New York à la recherche de nouveaux artistes afin de s’associer le temps d’une collection. Leur dernière collaboration ? Ce mois-ci, c’est avec l’artiste canadienne Jessica Eaton qu’ils ont conçu des motifs uniques grâce à un processus peu commun : celui de la « polarisation croisée ». Le résultat est une fois de plus à l’image de la marque, à la fois graphique et puissant. Des tonalités bleutées mêlées à des orangés sur des chemises impeccablement coupées. Vous avez d’ailleurs sûrement aperçu cet été, la collab’ avec la marque SUPER, où des motifs de leur collection précédente recouvrent pleinement des lunettes de soleil minimalistes. Mais Etudes fait régulièrement appel a plusieurs artistes pour chaque imprimés et construction de ses vêtements, tels que Pia Howell, Robin Cameron ou encore Manuel Fernandez. Cependant, ils ne souhaitent pas simplement créer un projet qui aille au delà d’une marque de designer, mais plutôt effacer les frontières entre les différentes disciplines créatives pour aborder un nouveau lifestyle dans sa globalité, là ou la Mode et l’Art ne font qu’un. Une marque en vogue, qui n’a pas fini de nous plaire.
ETUDES STUDIO
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EN TÊTE À TÊTE
DORIANE VAN OVEREEM
par Amélie Warnault - photos par Servan Edem Ilyne
O
n sait bien, vous en avez marre du monochrome et des couleurs sombres dans les défilés, sur les blogueuses modes, dans les vitrines, et on en passe ! Vous voulez un peu de pep’s ? Plus de couleurs ? Ok. Pas de soucis, en voici, en voilà. On vous présente alors la talentueuse Doriane Van Overeem, diplômée en stylisme et créations de modes à La Cambre (Bruxelles). Rencontre avec cette jeune créatrice pétillante qui possède un univers bien à elle. Au programme ? Couleurs acidulées, silhouettes fraîches et décalées, imprimés fleuris ou paillettes étincelantes, Doriane nous aspire dans son atmosphère féérique dompté de bonne humeur. univers? Je me suis officiellement lancée en septembre 2013. Je décris mon univers comme fun, décalé et revendicateur. En plus de faire de « beaux vêtements », il est indispensable à mes yeux d’avoir quelque chose à dire, s’approprier un message fort. Je crois que la mode a ce pouvoir, comme tout autre medium artistique. Et ton style vestimentaire dans la vie de tous les jours ? J’y intègre toujours une note de couleur, d’imprimé, de
Hello Doriane, peux-tu nous en dire un peu plus sur toi ? D’où viens-tu et comment concrètement es-tu parvenue à être créatrice aujourd’hui ? J’ai étudié à La Cambre en stylisme et créations de mode(s), diplômée en juin 2013, je décide de lancer ma propre marque quelques mois après. J’ai toujours baigné dans l’univers du vêtement grâce à ma mère, passionnée de brocantes, qui m’a initiée aux belles pièces bien finies et travaillées. Depuis quand t’es tu lancée et comment définirais-tu ton
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paillettes ou les trois réunis ! Je m’habille énormément en seconde main. J’ai beaucoup de vêtements griffés ou pas dégotés en brocante, comme une veste Vivienne Westwood, des pantalons Comme des Garçons, mon sac Delvaux, etc. Étant créatrice et au courant du système de fabrication plus que crapuleux aujourd’hui, je ne soutiens pas les grandes chaînes en consommant leurs produits « jetables », je préfère donner une seconde vie aux vêtements. La chanteuse de R&B Ciara portait ton pull en mohair lors de la Fashion Week de New York, comment as-tu appris la nouvelle ?
de Ciara, je n’en revenais pas ! Le plus souvent, quelles matières privilégies-tu ? J’essaie de garder des matières naturelles, voire nobles, quand le budget le permet. C’est très difficile en tant que jeune créateur de rester compétitif avec les grandes marques haut de gamme, surtout quand on veut favoriser un savoir-faire local en gardant une fabrication belge, ce qui me tient beaucoup à cœur et exceptionnel aujourd’hui ! Avoir des matières nobles, produire en petite quantité et en Belgique ne permet pas toujours d’être moins cher car nos moyens sont limités.
JE NE SOUTIENS PAS LES GRANDES CHAÎNES EN CONSOMMANT LEURS PRODUITS « JETABLES », JE PRÉFÈRE DONNER UNE SECONDE VIE AUX VÊTMENTS
C’était pendant le Fashion Week de Paris, en octobre 2013. J’ai appris la nouvelle tout à fait par hasard, je n’étais au courant de rien. Avec La Cambre, nous avons eu la chance exceptionnelle de pouvoir vendre une sélection de nos pièces chez Opening Ceremony à NY, LA et Londres. À ce moment-là, je cherchais des photos de mes pièces sur Google pour un événement et je suis tombée sur la photo
On a pu constater que ton crédo était la couleur et les motifs, quelles sont tes sources d’inspiration ? J’ai toujours baigné dans un univers fantastique et féerique. Ma première collection s’inspirait du personnage de la reine, emblématique dans les contes d’enfants. La prochaine
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arrêter d’avoir peur du regard des autres ! Le comble du mauvais goût selon toi ? S’habiller pour plaire aux autres et trahir sa personnalité et ses envies. As-tu des projets pour l’avenir ? Surtout continuer de vivre ma passion tous les jours et pourquoi pas en vivre et être vendue à travers le monde. Enfin, on a craqué sur tes créations, où peut-ton se les procurer ? Pour le moment, je prends personnellement les commandes en charge via email car je n’ai pas encore de points de vente. J’offre aussi un service sur mesure !
saison SS15 s’inspire du personnage de la sirène, c’est donc quelque chose qui sera récurrent à travers toutes les saisons. Au niveau de la couleur, c’est aussi un statement qui est important pour moi. J’apprécie la prise de risques et oser être différent est la manière dont j’ai grandi, dans le monde actuel, nous avons besoin de couleurs pour égayer notre quotidien ! Des créateurs favoris ? Dries Van Noten atteint un certain niveau d’excellence, pour moi il n’a jamais fait de faute de goût. J’aime beaucoup son travail. Une bonne expression belge, une fois ? Pour ça, il faut demander à ma mère qui une vraie « brusseleer » pure souche ! Mais soit dit en passant, j’en ai marre des blagues sur les belges, c’est bien un truc de français ça ! C’était pesant lors de mes études à La Cambre, car j’étais parfois la seule belge. Une tenue fun pour cette rentrée ? N’importe quoi dans lequel vous vous sentez bien, il faut
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DORIANE VAN OVEREEM
www.dorianevanovereem.com
ÇA CREUSE
par Ombeline Descheemaeker - crédits photo : Léa Colombo
LA TENDANCE MINIMALISTE
T
u portes des chaussettes apparentes dans tes baskets Stan Smith? Tu possèdes des pièces unies en néoprène ? Tu as des sous-vêtements un peu sporty ? Il faudrait de la chirurgie pour te retirer les birkenstocks des pieds ? Parfait, cet article est pour toi.
Jacquemus SS 2015 Je me souviens d’être tombée sur ce documentaire, il y a longtemps, filmé à la fin des années 1990. Rick Owens, ou encore Jil Sander, rouages de la vague minimaliste de l’époque, étaient interviewés, et paniquaient : c’est la fin. Il annonçaient leur rachat par de grosses Maisons (Prada, LVMH, etc.) pour sauver leur marque de la faillite. John Galliano, Jean-Paul Gaultier, Marc Jacobs, Dsquared, eux, éclataient et surprenaient le public par leur extravagance, leur bling, et leurs créations complètement délirantes. Finies les couleurs monochromes, les coupes brutes et les tissus légers, place aux robes en papier journal, ou les total looks digne du Moulin Rouge. Je vous demande maintenant de regarder autour de vous en 2014. Y a-t-il encore des filles en jogging Juicy Couture ?
D’autres avec un total look jean Guess by Marciano ? 2014, retour du minimalisme ? Oui, je sais, la légende urbaine « la mode a un cycle de vie », mais pas vraiment. C’est plutôt, le retour d’une vieille idée qui a émergé il y a longtemps, et qui maintenant jouit d’un nouvel attrait et d’une fraîcheur. C’est plutôt « la mode est une boule de neige ». Chaque génération y apporte sa couche. Les inspirations des années 90 dans la mode sont tellement sans fin que c’est sans surprise que nous voyons tous cette décennie refaire surface. Mais alors moi je me demande, qui ? Pourquoi ? Comment ? Comment se fait-il que de jeunes designers qui n’étaient
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Il faut savoir cependant séparer les moutons, sur qui un look minimaliste pourrait paraître artificiel - puisque ledit mouton a pour but de suivre avec enthousiasme les tendances marquantes -, et les autres qui ont l’air d’être nés avec pour cette simplicité et le portent avec un naturel, à faire pâlir Anna Wintour. Et nous, entre deux, qui ne savons pas trop où nous situer. Car, c’est vrai, l’idée de troquer nos vêtements des années 00’s un peu voyants et de presque mauvais goût (ne mentez pas, nous voulions toutes ressembler à Avril Lavigne) contre une tenue simple et confortable paraît tout à fait alléchant. Mais aussi, parce que une grande variété de vêtements dans notre garde robe ne nous offre pas obligatoirement plus d’options. On se rappellera le Project 333 de Courtney Carver, qui consistait en défi hyper-minimaliste : s’habiller avec 33 articles pendant 3 mois. Mais aussi le cliché de la garde-robe française à 5 morceaux. Organiser sa garde-robe et glisser vers un dressing parfait, simple et uni, n’est pas si simple que cela en à l’air. Cela requiert une organisation, et un esprit synthétique de compet’. Ces filles dont le look et le lifestyle paraît si simple, sont en fait de grosses machines de guerre. Vous connaissez ce dicton vieux comme votre grand-mère pas sur le marché de la mode dans les 90’s, ont décidé soudainement de s’y inspirer et de continuer la lancée de cette tendance ? Pour la énième fois depuis que la mode est devenue un concept à part entière, les créateurs quittent une phase de grunge, baroque ou extravagant, pour re-glisser vers l’ère des choses simples. Bretelles fines comme des spaghettis, matières nobles, coupes brutes et nettes, sous-vêtements subtilement apparents, cou et épaules dévoilés, mais surtout, usage de couleurs unies. Et la liste des designers est sans fin : le retour des sous-vêtements CK, Jason Wu, Alexander Wang, Helmut Lang, Saint Laurent, Chalayan, Céline, tous quasiment, sont victimes de cette tendance sans fin. Du coup, la grande distribution est sous l’influence aussi. Et du coup, ta collègue soi-disant-fashion, ou ta voisine de pallier aussi. On voit fleurir dans les rues des jeans « boyfriends » décontractés, des hauts écourtés audessus du nombril unis, des sandales birkenstock, et des bijoux discrets : tous sont des conséquences du courant omniprésent qu’est la simplicité.
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Jil Sander SS 1999
« Less is more » ? Ce dicton ne s’applique pas qu’aux vêtements. C’est aussi une philosophie qui s’imbrique parfaitement dans notre ère. L’attirance vers un habillement plus simple est également parfaitement inspirée d’une attitude envers le fait de collectionner les vêtements. Envers le fait de surconsommer des vêtement. De sur-consommer tout court en fait. C’est donc indirectement un critique de la société de consommation. Mais là, je pars trop loin. Du coup, on prend conscience que cette vieille tendance n’est pas seulement vestimentaire, mais elle vise à épurer et opter pour un mode de vie moins matérialiste. Alors, tous ces designers qui produisent du simple et du minimaliste de nos jours, suivent une ligne directrice presque réglée par le marché et les tendances de consommation. S’en rendent-ils compte ? Alors, ce n’est on ne peut plus clair, la mode, a toujours été simple. La mode a toujours été sobre et minimale. Et la mode, le sera sans cesse. Alors gardez vos fringues.
Helmut Lang FW 1993/1994 · 66 ·
Balenciaga FW 1999 路 67 路
CULTURE GRAP
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PHIQUE
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LOCAL HEROES
EMERIC TRAHAND
par Thomas Devoddère
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ans cette rubrique local heroes, nous avons pris l’habitude de vous présenter des artistes locaux dont nous avions fait la connaissance au cours de nos vagabondages régionaux. Mais pour ce cinquième numéro, nous avons décidé d’élargir un peu notre champ de vision et de satisfaire notre condition de magazine culturel artistique cosmopolite. Le Noeud Pap’, formule trois en un.
Du coup, on s’est incrusté grâce à la magie d’internet en plein centre de New York le temps d’une interview, en compagnie de Emeric Trahand. Directeur artistique qui excelle dans l’art de l’image.
expérimentations plus abstraites publiées il y a peu lors de la refonte de son portfolio, on ressent l’évolution croissante de la satisfaction d’une envie artistique de plus en plus présente.
D’origine française, Emeric, Takeshi ou alors encore Still On The Run, s’est forgé une réputation dans le monde de la photomanipulation grâce à sa participation à diverses expositions collectives en ligne. Désormais, il vit pleinement de sa passion entre contrats et travaux personnels. Développant et affinant année par année sa maîtrise des techniques de l’image.
Dans ses premières réalisations, c’est la sensation de vouloir bien faire les choses. Chaque élément incombant à la création de ses illustrations sont placés sous un contrôle totalitaire. Des lumières aux couleurs en passant par la composition, il excelle dans cette sainte trinité de l’image qui font de son travail un modèle d’élégance et de maîtrise. D’abord repéré pour cela, il enchaîne les contrats de Asher Rot à Nike en passant par Asics ou encore RedBull, son style plaît et fait de lui l’un des directeurs artistiques les plus
De son style hyper photoréaliste de ses débuts à ses
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prisés du moment. Depuis quelques temps, on peut affirmer avoir observé un changement plutôt radical dans sa manière d’aborder l’image. Toujours très en accord avec le soucis du détail et le perfectionnisme de ses débuts, il garde la même touche d’élégance dans le traîtement de l’image avec une approche plus abstraite. Toujours très fort dans la composition, il s’appuie d’avantage sur un travail géométrique et symétrique, basé sur l’assemblage de formes simples avec lesquelles il compose un ensemble des plus complexes à réaliser. Plus symétrique, plus ordonné, le travail d’Emeric s’est affiné. Marquant sa révolution créative. Du coup, on a voulu en découvrir plus sur lui, comprendre les raisons de cette révolution créative, puisque face à autant de talent, on ne pouvait que vouloir satisfaire notre curiosité.
Dans la rubrique local heroes, on aime suivre le parcours d’artistes régionaux. Dans ton cas, on peut dire que tu as réussi à t’émanciper de cette étiquette puisque aujourd’hui, tu résides et travailles à plein temps en plein centre NYC. Avec le recul, il y a de cela quelques années, avachi sur ton canapé à Sainté, t’aurais pensé pouvoir débarquer dans la grande pomme y vivre pleinement de ta passion de l’image ?
Quand je suis parti à New York, les choses se sont faites assez vite, assez instinctivement. Je n’avais pas vraiment envisagé ou anticipé à l’époque. Ca m’est simplement apparu comme une bonne chose à faire. Still on the run, c’est un peu une histoire de ?
C’est assez compliqué de résumer bientôt 8 ans
de travail en quelques lignes, mais je crois que la constante derrière ce parcours est la remise en question permanente en terme de style, de compétences, d’environnement, et une volonté assez forte pour ne pas laisser tomber. L’industrie graphique a beaucoup changé en quelques années, la compétition, mon éducation artistique et goût en général aussi. Il y a aussi eu l’expatriation qui est très compliquée aux Etats Unis, et puis les aléas de la vie qui s’ajoutent à ça... Essayer d’équilibrer le tout en permanence, de réinventer constamment mon métier au milieu de tout ça, je crois que c’est un peu de ça Still On The Run. Vivre dans l’émulation créative qui englobe New York, ça doit quand même pas mal faciliter l’inspiration, non ? C’est une ville qui reste tout de même assez unique pour des créateurs.
C’est une ville à double tranchant. Evidemment, j’y trouve beaucoup de sources d’inspiration, j’ai accès aux plus grandes expos, j’ai la chance de connaître des artistes vraiment talentueux et je ne nie pas l’unicité de New York à ce niveaux là. Il faut cependant garder en tête que c’est une des villes les plus chères au monde, et je ne suis pas persuadé que la pression financière permanente autorise beaucoup d’artistes à pouvoir y vivre. New York depuis 3 ou 4 ans est aussi en train de s’uniformiser, les personnalités s’effacent au profit des tendances, des quartiers entiers sont rénovés, des classes riches envahissent Brooklyn ou autres, enlevant une part d’âme à la ville au passage. Dans ce contexte, je ne suis pas certain que New York reste un terrain fertile pour les créateurs beaucoup plus longtemps.
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Comment as-tu fait le pont entre Saint Etienne et New York, une simple envie personnelle ou alors une opportunité professionnelle ? J’imagine qu’entre temps il y a tout de même dû avoir quelques escales à droite et à gauche ?
A vrai dire, j’avais New York en tête depuis un moment quand une offre de travail s’est offerte à moi. La réalité a été beaucoup plus compliquée, le travail ne s’est pas totalement concrétisé comme je l’entendais, et j’ai dû pas mal me bagarrer une fois sur place pour pouvoir rester et faire les choses, ça a pris des années à vrai dire, mais je ne regrette rien. Aujourd’hui, tu vis de tes activités de directeur artistique, dans pas mal de domaines d’après ce que j’ai cru comprendre. Tu peux nous dévoiler un peu ton champ d’action au sein de ton activité professionnelle ?
Je travaille beaucoup avec des studios motions à Manhattan sur de la pub télé ou des effets spéciaux, ce genre de choses. J’interviens en tant que DA ou designer. Ce n’est pas nécessairement un métier qui me passionne tous les jours, mais je dois payer mes factures et je suis heureux d’avoir développé un réseau ici qui me permette ça. Je travaille également toujours via mes agents sur différents projets prints ou éditoriaux, et essaye quand je trouve du temps de continuer à faire du travail personnel. Tu as commencé en faisant des flyers pour des soirées étudiantes, il y a de cela quelques années maintenant, et le moins qu’on puisse dire, c’est que t’as fait un sacré
bout de chemin depuis. Qu’est-ce qui t’a poussé à rester devant ton écran et ouvrir photoshop à cette époque ?
Je crois qu’à l’époque, il était essentiel pour moi de bidouiller quelque chose avec un aspect créatif. Je n’avais pas forcément fait des études en rapport quelconque avec cet univers, et je sentais bien que
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artistique depuis un an ou deux. Je n’essaye pas d’y voir beaucoup plus qu’un effort pour essayer de nouvelles choses, techniquement et visuellement. J’essaie de me sortir du tout photomontage réaliste qui ne m’intéresse plus vraiment. Je crois que la sérénité et sobriété que tu trouves dans mon travail, sont simplement des choses que j’ai en moi depuis longtemps mais que je n’avais pas toujours su exprimer visuellement. J’aime les choses de plus en plus épurées, même si je dois avouer qu’atteindre ce genre d’équilibre sobre dans un visuel requiert encore plus de travail. On sait, et ça n’a pas été très difficile à deviner, Takeshi, que tu es très inspiré par la culture nipponne. Ca se ressent énormément dans tes visuels de par la sobriété et l’élégance que tu proposes. Tokyo, prochaine escale ?
Je dois avouer que je ne m’imagine pas forcément vivre à New York toute ma vie, même si je m’y plais beaucoup. Si je dois envisager une autre destination, je crois que le Japon a la priorité. Tokyo pas forcément, mais le Japon oui.
j’étais en train de me planter de direction. Et puis, j’ai été vraiment pris de passion en découvrant le travail d’autres gars du milieu, et les possibilités de Photoshop.
En parlant de voyages et de rencontres, tu fais partie de ses illustrateurs qui ont pu bénéficier du soutien de communautés artistiques, de par ta participation aux packs ou de par tes features sur le net. Penses-tu
On te suit depuis tes premières participations à DepthCORE (collectif d’art digital), à l’époque où tu développais une toute autre imagerie dans tes visuels. Aujourd’hui, tu explores une nouvelle façon de travailler. Still on the run, c’est donc aussi un peu se renouveler sans cesse ?
Je crois que créativement je m’ennuie assez vite, et je suis d’un naturel insatisfait alors je continue d’explorer. J’ai également été beaucoup copié à une époque et par des gens pas toujours super intéressant, alors je me suis dit que si mon travail plaisait autant à ce genre de mecs, c’est que j’étais à côté de la plaque. L’update de ton portfolio nous a sacrément marqué. De par la qualité de ce qui y est exposé, mais aussi et surtout de par la créativité qui émane de tes projets. Ton sens de la composition et des couleurs y est pour beaucoup. Comment arrives-tu à dégager cette impression de sérénité et sobriété dans des visuels qui sont pourtant extrêmement travaillés ?
Merci, j’apprécie beaucoup le soutien. Ce nouveau portfolio est un peu le résultat d’une certaine confusion · 74 ·
qu’aujourd’hui, le net est devenu un outil indispensable pour la promotion de son travail, mais aussi pour sa progression ?
Oui et non. Les règles sur internet ont changé. Il y a Instagram qui a littéralement remplacé les blogs, les magazines, et le besoin même de créer un portfolio. J’y vois une dérive assez triste, avec une consommation instantanée du travail des artistes, un tendance généralisée pour la consensualité, et une recherche de la notoriété comme but ultime au dépend de toute démarche artistique véritable et intègre. Je pense qu’un illustrateur, s’il se doit de participer à cette promotion sur les réseaux sociaux, ne doit pas le faire au détriment de contacts et réseaux professionnels plus traditionnels, en coulisse. On sent que tu as passé un cap dans ton approche artistique depuis peu. Il y a quelques temps ton travail s’apparentait beaucoup aux domaines du concret et du quotidien. Aujourd’hui, on peut affirmer que ce n’est plus le cas avec une approche plus abstraite et cosmopolite. Tu penses pas avoir un peu trop step up le game comme on dit par ici avec l’udapte de ton portfolio ?
Pour être très honnête, 80% du travail que je produis n’est pas sur mon portfolio. Un portfolio pour moi est
simplement un effort pour démontrer une certaine compétence et une originalité. S’il peut attirer l’attention, son travail est fait. Je pense qu’un bon directeur artistique ou client ne dois pas y voir une limitation en terme créative, mais plutôt l’inverse. Quand ce n’est pas à Paris sur les murs de galerie Corner44, où est-ce qu’on peut te retrouver ?
Je n’ai rien de concret en terme d’expo. Si je dois exposer quelque chose, une série de visuels, je veux vraiment que ça participe d’une véritable démarche, , d’une recherche, pas simplement mettre sur les murs des impressions de travaux divers. C’est quelque chose que j’ai en tête, on m’a proposé quelques espaces notamment ici à New York, je n’ai simplement pas eu le temps nécessaire pour envisager quelque chose de sérieux. On te remercie d’avoir répondu à nos questions !
Merci à vous encore une fois pour l’opportunité de présenter mon travail.
EMERIC TRAHAND
www.behance.net/takeshi www.facebook.com/emerictrahand www.cargocollective.com/stillontherun · 75 ·
LE NŒUD PAP’ VU PAR
ALEXANDRE GO
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n cherchait qui pouvait réinterpréter notre précieux pour cette cinquième édition du « Nœud Pap’ Vu Par… » et cette fois-ci, on a décidé de confier à Alexandre Godreau la réalisation de l’illustration. Et par la même occasion, on en a profité pour lui poser des questions et lui tirer le portrait en quelques lignes. Maniaque de l’illustration avec une passion pour l’informatique, l’encre de son rotring ne pouvait que faire face aux retouches de la plume de sa suite Adobe. Aussi à l’aise dans l’image vectorielle que dans le dessin traditionnel, l’univers d’Alexandre nous a surtout marqué de par le style particulier de son trait sur papier. On avoue une préférence pour ses travaux réalisés uniquement à la main, avec un cachet particulier. Mais on apprécie également la propreté de son traîtement digital, qu’il affectionne particulièrement. Trèves de bavardages et place aux présentations.
Salut Alex, comment ça va en ce moment ? Pas trop crevé ? Hello, ça va très bien merci ! Nan jamais crevé on a pas le temps pour ça… Et toi comment tu vas ? Ca va, ca va ! Comme tu le sais, nous sommes friands d’exclusivité en tout genre chez le Nœud Pap’, tu pourrais nous filer les grandes lignes du tome 1 de « Alexandre Godreau « par Alexandre Godreau ? Tout a commencé le jour ou mon père à rencontré ma mère… Pas si loin ? Okay ça marche... Alors en fait je dirais que ça a commencé quand même assez tôt pour moi la passion pour le dessin, depuis ma tendre enfance je n’arrête pas de dessiner. Ensuite, j’ai enchaîné l’école primaire et
collège pour enfin intégrer un lycée d’art pour faire une formation dessinateur en arts appliqués. À l’époque j’aimais l’architecture, c’est ce qui m’a mené à la fin de ses 3 ans à intégrer l’école supérieure d’architecture de Paris, où je ne suis resté que très peu de temps. Et après une année à bosser pour moi, j’ai fait une école de com’ pour intégrer par la suite une agence ! Soup, c’est donc un allias, ton autre toi, ta moitié créative, le début de ma phrase à rallonge... Mais j’ai quand même remarqué que cet autre toi avait la sale manie de décortiquer membres par membres l’anatomie de pas mal d’êtres vivants, plus si vivants. C’est un peu chelou quand même, tu trouves pas ? C’est carrément chelou même ! Mais c’est difficile
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ODREAU d’expliquer à quel point c’est bon de dessiner des intérieurs d’animaux. Et puis même si beaucoup de personnes le font c’est toujours cool de voir les rendus en fonction du style de chacun ! Mise à part cette passion qu’on pourrait tout de même qualifier d’assez spéciale voire morbide, on doit avouer que tu es plutôt très habile lorsqu’il s’agit de découper au 2B toutes sortes de carcasses. Comment est-ce que tu procèdes en général pour finaliser une illustration ? Généralement mes illus commencent par un idée que je vais poser par sketch dans un de mes books, ensuite je repasse le dessin à l’ordi avec ma tablette et Illustrator pour enfin ajouter couleurs, ombres, lumières et details ! Plutôt basique comme procédé mais d’une efficacité évidente ! Tu jongles entre 2B, rotring, et la plume d’illustrator. Au final, tous ses ingrédients font partie intégrante de la recette du Soup ou alors t’as une petite préférence pour un de ces condiments ?
Quand on parcourt ton portfolio, ce qu’on remarque, c’est un gros effort d’observations et de recherches jumelés à un trait qui t’es facilement rattachable. Combien de temps tu passes à te documenter et observer avant d’illustrer ?
Je vais répondre réponse 2 et 3. Je crayonne de temps en temps mais ce n’est pas mon domaine de prédilection. je suis plus à l’aise avec un feutre noir et ma tablette ! Je préfère les rendus plus tranchés avec de bons contours !
Tout dépend de l’illustration. La plupart du temps je ne fais que des illus « flash », rapidement dans les transports ou à la terrasse d’un café qui ne me prennent que peu de temps. Mais d’autres fois je prends le temps de me documenter en
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Parlons un peu de ton illustration pour le Noeud Pap’ ! Tu peux nous expliquer un peu ce qui s’est passé par la tête quand on t’a proposé de participer à la chronique du « Nœud Pap’ Vu Par... » ? Lorsque vous m’avez contacté pour l’illustration je me suis dis O.K. : Nœud pap’ / Dissection ! C’est parti j’ai enfilé mon tablier, saisi mon stylet et hop hop ! J’espère que le résultat vous aura plu. Je crois savoir que tu vois plein de choses défiler actuellement, qu’est-ce que tu retiens de l’actualité graphique de ces dernières semaines ? Oula ! Ça, c’est une question difficile ! J’ai l’impression de voir des milliers de projets par jour, mais aimant assez l’illu et la nourriture je dirai la Collab de Tyrsa avec la Patisserie Liberté autour du Tyrsamisu. Quelques bonnes adresses à partager ?
allant chercher des références qui pourrait matcher avec le rendu que je veux. Après niveau temps, c’est plus quand j’ai fini que j’arrête de chercher ! J’ai vu qu’en ce moment tu t’amusais à tester de nouveaux médiums. Des techniques plus traditionnelles pour retranscrire sur toile ce que tu crées à l’écran. Tu penses quoi de cet élan créatif qui pousse de plus en plus d’artistes digitaux à revenir à des techniques plus traditionnelles ? J’adore ça ! Effectivement j’ai testé y’a pas longtemps l’acrylique et c’est vraiment cool ! Adieu pomme + Z, chaque coup de pinceau est plus ou moins définitif. Mais ça a du bon, ça permet de prendre plus son temps et de réfléchir à deux fois avant de tracer. Pour ce qui est de l’élan créatif personnellement je trouve ça cool les rendus digitaux sont de plus en plus simples à réaliser avec toutes les aides dans les logiciels alors que là, c’est la technique qui prime ! Sur quoi tu as préféré travailler ces derniers temps ? Je bosse en ce moment pour un sticker mural géant de 4 mètres de large sur 1m50 de haut environ pour le resto « Tough Burger » à Boulogne sur le thème des vikings et des burgers et faut l’avouer c’est un vrai kiff !
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Artistiquement, j’aime beaucoup découvrir de nouvelles choses et on sait tous que peu de lieux sont vraiment cools pour ça. Alors je dirai la galerie L’Attrape Rêve que j’aime beaucoup pour les artistes qui y passent. Gustativement B&M Burger pour des Hamburgers de folie. Lecturalement (tout le monde sait que ça ne se dit pas de toutes façons), je dirai ARTAZART un shop rempli de bouquins tous plus
LE NŒUD PAP’ VU PAR
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ODREAU
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funs les uns que les autres sur les bords du canal St. Martin. On te remercie d’avoir pris un peu de ton temps pour nous et on te laisse une ligne pour présenter tes excuses à la faune terrienne ! Chère faune, toutes mes excuses, je te dis à demain pour de nouvelles tranches de rires autour d’un verre ! Nœud Pap’ merci de m’avoir reçu et à bientôt je l’espère !
ALEXANDRE GODREAU www.alexandregodreau.com www.behance.net/_soup
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À LA PAGE par Thomas Devoddère
GREMS : « Rappeur, graffeur
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igure atypique dans le paysage artistique français, dans notre dictionnaire, “Grems” est très certainement ce qui se rapproche au plus près de la définition du talent à l‘état brut.
Un diamant qui a su polir un nombre impressionnant de facettes au fil d’une carrière plus que garnie. Force de propositions et d’innovation, Grems est un élément perturbateur qui porte à ébullition bien plus d’un projet mené sur plusieurs fronts : la musique et l’image étant les frontières qu’il s’amuse à repousser toujours plus loin.
des plus grand artisan de la vague alternative du rap en France. Avec la volonté affichée, mais surtout assumée, d’inscrire son nom dans l’histoire de la musique française, Grems dresse assez vite le constat bien morose d’une scène hip hop bien trop frileuse : fade et sans saveur. Jouant d’un héritage qui n’est pas le sien, ou alors qui n’est plus le sien. “On ne rappe pas en France. On rappe en français.”. C’est vous dire si nos esprits si critiques de pauvres petits français sont inspirés.
LE CONSTAT BIEN MOROSE D’UNE SCÈNE HIP-HOP BIEN TROP FRILEUSE
Rappeur, graffeur & designer, plusieurs casquettes qui proviennent toutes d’une culture hiphop dont on ressent profondément les codes en l’homme, la personne.
Itinéraire d’une des voies les plus sinueuses que nous connaissons. Papa du rap français, Grems est à ce jour et à demain l’un
C’est au début des années 2000 et aux côtés de Le 4Romain que le déclic a lieu. Inspiré par ses vagabondages hors de l’hexagone, Grems découvre au travers d’artistes comme
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graffeur, designer... »
Moodyman un style musical nouveau pour lui : une house aérienne et légère qui irait jusqu’à faire rougir le pape de plaisir à l’idée des battements langoureux qui s’abattent dans les temps, lentement, lentement, lui permettant de rebondir sur chaque kick en y apposant ses images engagées, ou tout au moins personnelles. A partir de là, sa vision du rap s’articule alors autour d’un esprit de ce qu’il y a de plus “deep”, autant sur la forme que le fond. Sur la forme, puisqu’en 2005 il invente le DeepKho en compagnie de son compère Le 4Romain. Une expérience musicale qui semble avoir convaincue, parce que ça dure depuis quasiment 10 maintenant... Sur le fond, puisque Grems ne conçoit pas qu’un texte ne
puisse rien raconter. Le rap est une thérapie par laquelle il exprime sa vision des choses en fonction de son époque. Revendicateur mais aussi et surtout très personnel dans ses textes il conçoit pas le concept de « kicker », qui rime simplement à lâcher des mots dans le vent. Si nous nous sommes si longtemps attardé sur le parcours musical de Grems dans cette partie culture graphique, c’est parce qu’elle fait partie intégrante de son rapport à l’image, et du métier qui le fait vivre au quotidien maintenant : le graphisme et la direction artistique. Mais également parce qu’on ne pouvait négliger tant de talent.
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Cette imagerie “griffée Grems” joue un rôle important dans le personnage qu’il incarne musicalement. Des clips qu’il réalise parfois lui même pour son propre compte ou des prints qui lui servent pour la promotion visuelle de ses projets, la marque Grems s’exporte. Et tant mieux pour lui puisque aujourd’hui, d’après ses propres mots, on ne peut plus vivre de la musique, tant son système est vérolé et cadenacé. Du coup, pour vivre, Grems se transforme en Michaël, designer, graffeur, qui excelle autant dans l’art de l’image qu’il excelle avec les mots dans ses albums. Une musicalité qui se ressent dans son style pictural de Grems, puisqu’on
fait face à pas mal de codes de la culture hip hop dans ses visuels. D’une part puisque ses mêmes images servent à sa musique, et d’une autre parce qu’un homme est ce qu’il est, et Grems, il est hiphop. Le graff reste l’un des pêchés mignons de cet artiste aux multiples facettes, mais on peut aussi retrouver des travaux plus institutionnels sur la Grems Industry, qui sont également plus nutritifs aussi on pense. Le style Grems, c’est une écriture particulière, un amour pour les mots qui se retranscrit également pour cette passion de la typographie, qu’il réinterprète à tour de bras au fil de ses
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explorations graphiques.
fois le temps venu.
Mais c’est également une explosion colorée qui mêle carrés, ronds et triangles, qu’ils soient bleus, blancs ou rouges. Quand on vous disait que ses images et sa musique étaient liées… En même temps, sa musique, c’est un peu lui, alors ce serait étonnant de ne pas retrouver certaines similarités.
Outre son habilité bombe à la main et posca dans l’autre, il expose également toute l’étendue de la richesse créative de ses idées en participant à la direction artistique de pas mal de ses clips. Autant dire que Grems se pose en tant qu’artiste polyvalent, jouant de toutes les cordes à son arc pour atteindre son objectif : développer de réels projets artistiques.
De son travail illustratif résulte quelques collaborations, et certaines assez étonnantes. Toujours dans la performance, Grems démontre pour Swatch et carbure pour Scott en vidéo, les sex tapes sont disponibles sur son portfolio. Toujours acteur, il bouge pas mal et collabore avec quelques agences mais également de plus en plus avec le géant américain qu’on ne présente plus : OBEY. En galeries, sur les murs dans nos villes, ou alors sur un tour bus qui ferait crever d’envie n’importe quel groupe, le Grems s’affiche partout, s’exporte partout. Même sur textile, Grems pose marque, enfin jusqu’en 2013 où il arrête toutes activités avec Usle, la marque de vêtements qu’il a lancée quelques années auparavant. Une page qui se tourne pour en annoncer une nouvelle. La boutique est fermée, mais nous sommes sûrs que derrière le volet clos, des gens s’affairent à nous préparer quelques surprises une
Ce portrait pour en venir sur le point essentiel qui a guidé toute notre rédaction, Grems est un homme d’image. Un esprit ultra créatif qui a compris que lui seul était à même de comprendre les rouages de l’univers qui l’entoure. Habile sur de nombreux tableaux, acharné du travail, c’est à force de persévérance qu’il est parvenu à contrôler totalement l’identité publique qu’il est devenu aujourd’hui. C’est libre artistiquement parlant qu’aujourd’hui il s’épanouit, autant dans le monde de l’image que dans celui de la musique. Grems, extraterrestre du paysage artistique français.
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À LA PAGE par Thomas Devoddère
ROMAIN LAURENT
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llons-y joyeusement, continuons d’atteindre sereinement l’objectif fixé dans le cadre de la sortie de ce cinquième numéro : zoom sur le travail de Romain Laurent, ce deuxième français de la catégorie culture graphique exilé dans la big apple. Bim ! Lexique placé et outre cette introduction modèle du piètre investigateur de l’image que je suis, abordons les présentations de ce photographe trentenaire afin de capturer l’essence du travail. Bow...Bow !
Né dans les Alpes et originaire d’Annecy précisément, pour les plus intéressé-e-s, il finit diplômé de la prestigieuse école des Gobelins ainsi que de l’ENSAAMA. Dont les noms seuls suffisent à la présentation. On pouvait donc vite deviner qu’avec un tel parcours, le bonhomme se frayerait sans trop de soucis son petit bout de chemin sur la voie de la réussite.
C’est beau dit comme ça, mais ça prend réellement tout son sens quand on fait face à ses clichés.
Le travail de Romain Laurent se détache des autres photographes sur de nombreux points, entre prouesses techniques visuelles et concepts méchamment travaillés, cette formule fait de lui l’un des talents émergeants les plus inspirants du moment.
On aurait aussi pu tomber sous le charme des clichés issus de “In Depth”, qui revisitent l’absurdité des aléas de notre quotidien.
Nous, on l’assimile un peu à un dictateur de l’image, plaçant sous son contrôle chaque petit élément composant son visuel, rien n’échappe à la vision qu’il a du projet. Le résultat est techniquement impressionnant et fichtrement propre, dégageant tour à tour sentiments d’élégance et de pureté.
Dans nos séries favorites, on aurait pu pencher pour Tilt, avec cette force du cadrage et cette capture torturée de la perspective.
Finalement, on a décidé qu’on ne pouvait pas s’enfermer dans une bulle après avoir découvert “Something Real”, et on a décidé d’élargir l’horizon à plus d’un nuage. Vous l’aurez compris, chez Romain Laurent, ce qu’on aime, c’est Romain Laurent. Bisous. Ce qu’on remarque avant tout dans son travail, c’est qu’il
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tourne principalement autour de l’exploration urbaine mettant en scène diverses situations absurdes. Il y confronte non-sens et réalité pour en faire la norme de son travail, ce qui fait toute la force de son univers. On ressent à la fois l’attention et le soin apportés à la réalisation de l’image, dont chaque détail est passé au crible, mais aussi et surtout toute la préparation en amont qui tient plus du concept que de la réalisation. Une image belle qui devient alors une image forte. Ca laisse envieux. De ses projets photographiques aux gifs animés, il n’y a eu qu’un pas qui lui a ensuite servi de pont pour l’emmener vers la vidéo. Tout est une question d’évolution en fait, Romain est une sorte de Darwin de l’image, mutant dans le but de survivre face aux exigences des demandes du monde moderne. Première étape de cette mutation photographique : le GIF. Y’a pas si longtemps que ça, et c’est pas une connerie, certains ont prétendu que le gif était devenu un mouvement artistique porté par l’essort d’internet. On en pense ce que l’on veut, mais dans ce cas-là, on affirmera qu’il y a GIF et
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GIF. Celui avec ce con de chat, et celui de Romain Laurent. One loop portrait week, c’est une idée qui a macéré dans son cerveau quelques temps afin qu’il ne se lance le défis de poster toutes les semaines pendant un an, un portrait animé. En parallèle à son travail de photographe, il retrouve le goût à l’expérimentation et l’impulsion créative plus qu’à un brief longuement réfléchi. Au lieu des journées entières prévues pour un shooting, il passe une heure à capturer l’instant qu’il retouche dans la foulée pour la diffuser directement sur son tumblr. Et c’est le même rituel chaque semaine depuis un petit moment maintenant ! Ce qui donne un ensemble de captures toujours très décalées, qui puisent encore plus de force dans l’absurdité grâce aux boucles enregistrées. On pouvait se douter que cette soif d’expérimentation n’avait pas pour ambition de s’étancher tout de suite, et entre l’image fixe et l’image à moitié animée, il fallait bien corser le mélange en passant aux degrès supérieurs, et donc à la vidéo. Tout commence avec Burnout, une série qui mêle vidéo et photographies, un premier pas vers ce nouveau média qui annonce dans la foulée l’arrivée de futurs essais.
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Suite à Burnout, Hermès lui confie la réalisation d’un spot publicitaire mettant à l’honneur la nouvelle collection de la maison de mode parisienne. Un projet qui démontre avec réussite qu’il est parvenu à trouver un compromis entre ses images figées et ses images animées. On retrouve l’univers photographique très urbain et épuré développé dans ses photos, puis l’esprit des gifs postés sur son tumblr avec ces changements de vêtements répétés. Pour nous, cette campagne marque réellement l’évolution du photographe au vidéaste. Ce monsieur de l’image montre donc qu’il faut parfois se montrer entreprenant pour faire bouger les choses dans un milieu qui s’embourbe de temps en temps un peu trop dans les codes de la facilité du déjà vu. Je finirais ce papier en affirmant penser qu’on appelle ça un visionnaire, et qu’on aimerait en découvrir tous les jours des talents comme ça au Nœud Pap’.
ROMAIN LAURENT
www.romain-laurent.com www.romainlaurent.tumblr.com · 93 ·
À LA PAGE par Thomas Devoddère
BASTARDGRAPHICS
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n tant que magazine digital, on n’oublie pas nos racines et on aime rendre hommage de temps en temps à cet espace infini qui nous a vu naître, même souvent en fait. Aujourd’hui, on va commencer nos leçons des arts de l’internet. Ce pop art 2.0, vous verrez, un jour, ils en feront toute une histoire, gardez ça en mémoire. Parole du Nœud Pap’.
Prêchons, prêchons, mais surtout pressons nous de vous présenter Julien Rivoire, allias “Bastardgraphics” dans le vortex. Bastardgraphics, c’est un studio de création visuelle basé sur Lyon, qui mêle plusieurs médias mais qui excelle principalement dans l’illustration et la 3D. Principalement, parce qu’il excelle dans bien des choses encore. Mais y’a des trucs qu’on se doit de garder dans le domaine du privé. Des limites à ne pas franchir, m’voyez ?
Une logique qui s’inscrit dans son époque. On a été frappé par l’univers qu’il développe, très en accord avec son hébergeur, si on peut se permettre le jeu de mots. Dans ses visuels, on ressent toute une inspiration provenant des méandres d’internet et des codes visuels que nous, petits humains, lui avons attribués au fil des années.
UNE INSPIRATION PROVENANT DES MÉANDRES D’INTERNET
Depuis 2001, Julien développe son activité professionnelle enchaînant toutes sortes de projets. Ce qui nous a marqué sur son site, vitrine de son talent, c’est le style particulier qu’il dégage dans ses images. Composées par des formes simples, ses illustrations sont basées sur un travail qui mêle harmonie des couleurs et logique des formes.
On a un peu l’impression de faire un retour vers le futur quand on découvre les travaux de cet artiste lyonnais. Ambassadeur visuel de la génération 8-bit et Super Nintendo, les travaux de Julien fourmillent de clins d’oeil à cette époque qui renvoie aux prémices de l’ère informatique. On a trouvé son process d’autant plus intéressant puisqu’il confronte à la fois la technologie de nos jours, utilisant
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certains logiciels de 3D des plus poussés disponibles sur le marché. Julien joue entre deux époques pour dépeindre son univers, l’imagerie de ses trente dernières années. Néanmoins, on avoue préférer largement cela à des prints 8bit, c’est pas que c’est laid, mais c’est plutôt moche. Du coup, en plus d’une image inspirée par les codes partagés par une génération toute entière, Julien pousse le vice encore plus loin en jouant avec les possibilités que lui apporte sa vitrine d’exposition.
Comme on vous le disait un peu plus haut, ses illustrations explorent avant tout les possibilités que lui offrent les logiciels de 3D. Avec des rendus extrêmement colorés aux dégradés parfaitement maîtrisés, il modélise des scènes qui misent avant tout sur un impact graphique. Qu’il s’agisse de situations, mises en scène ou alors d’illustrations plus abstraites, il conserve la même approche graphique, significative de son talent.
SES PROPRES SKILLS GRAPHICS DE BÂTARD. EXCUSEZ-MOI.
Il crée en fonction d’un concept très ancré dans l’univers qu’il a développé. Il tire sa force et son épingle du jeu grâce à cette démarche, qui ne s’apparente plus à de la simple création de prints, mais à une logique évolutive marquée par les moyens de son temps. Du coup, il anime ses créations, un peu à la manère d’un Magritte en ajoutant une touche d’absurde qui tourne en boucle, grâce à la magie des gifs, grâce à la magie d’internet. Pour le moment.
Quand on est tombés sur son folio, on a directement rattaché son univers à celui de Marble. Mais en attendant de voir ce qui n’est pas encore, on vous invite à en découvrir plus sur ses travaux en faisant un tour complet des activités de ce lyonnais, djé.
Malgré ce thème très présent et au final très commun à tous, Bastardgraphics a su y apposer sa propre touche, ses propres skills graphics de bâtard. Excusez moi.
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www.bastardgraphics.com www.facebook.com/bastardgraphics.fanpage
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ÇA CREUSE par Shani Mac-Gomez
URBEX
Si je vous dis urbex, vous allez sans doute me répondre : pilule miracle pour lendemain de cuite. Hé bien non. L’urbex, c’est l’exploration urbaine. C’est pénétrer dans des lieux interdits au public. C’est courir comme un dingue parce qu’un gardien veut te donner la fessée à coup de tonfa. Ce mouvement est né de la création de la propriété privée, et de l’envie ô grandissante de se faufiler là où personne n’est invité à boire le thé. L’exploration urbaine telle que nous la connaissons actuellement a vu le jour grâce à Philibert Aspairt, au début du XVIIIe siècle. Une légende ce type, le petit Jésus des cataphiles ! Son corps a été retrouvé onze ans après le début de son expédition dans les abîmes parisiennes. D’ailleurs, le saviez-vous ? Les catacombes ont été fondées afin de placer les ossements du cimetière des Innocents, qui à l’époque n’était plus qu’un flot de putréfaction et une station balnéaire pour microorganismes. Pas dingue pour les habitants du quartier... Si jamais tu te balades dans Paris, que tu te retrouves dans la rue Henri Barbusse, sous tes pieds se trouve la stèle de
Phiphi. Fou ! Cette course d’orientation un peu foireuse a tout de même donné des idées. De sombres inconnus, tels que Paul Eluard ou encore André Breton, ont proposé une alternative aux guides traditionnels de Paris et organisent la première exploration urbaine en 1921. Ils s’aventurent alors dans l’église Saint Julien le Pauvre. See different. Le premier à trouver un petit nom à cette pratique c’est Jeff Chapman, aussi connu sous le pseudonyme ‘Ninjalicious’. Ce canadien est le créateur du magazine Infiltration (cf. infiltration.org), ainsi que d’un guide, Access All Areas, qui contient les règles que tout urbexeur s’engage à respecter. Grosse émulation donc outre-atlantique. Mais tout prêt de mon chez-moi lillois s’est aussi propagé le mouvement. Suite au déclin industriel en Belgique, plus particulièrement en Wallonie, de nombreux édifices sont abandonnés... Pour le plus grand plaisir des urbexeurs... Parfait ! J’ai pris mon sac et ma plus belle tenue faite de haillons pour aller prendre un bon bol d’air amianté. Direction
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Bruxelles afin de rencontrer Laurent, Myrtille, Yohan et Axel. Covoiturage, tramway, pieds, apéro ! Bonjour Laurent, bonjour Myrtille – une bise, pas deux – fontaine de bière et réunion au sommet du salon. Alors, qu’a-t-on de prévu ? Centrale thermique au beau milieu de la campagne luxembourgeoise et petit hôtel à la localisation encore incertaine... L’urbex c’est pas que du sport, c’est aussi de la course d’orientation. Mais pour se mettre dans de bonnes conditions et préparer son réveil plus que matinal, allons arpenter les rues du plat pays by night ! On a bu. Trou noir. 7h15, réveil. Odeur de caféine et d’herbe. Brouillard. Endolorie sur les sièges de la voiture, je fais la connaissance d’Axel, binôme inconditionnel de Laurent. Alors Axel, t’es qui toi ? Enfant des friches industriels, toujours le premier en haut des édifices. Axel l’intrépide. Et toi ? Yohan, un vieux de la vieille, urbexeur de high level, graphiste et papa. Et pourquoi pratiquent-ils l’urbex ? Pour l’adrénaline, pour voir des choses qui n’ont rien à voir avec le quotidien... Et surtout pour prendre des photos. Laurent Burnier lui s’est inscrit à des cours du soir pour apprendre la photographie. Il fallait développer un thème : il a choisi l’urbex. Et il est littéralement tombé dedans. Il a dû faire ses preuves afin d’intégrer un réseau d’adeptes. Et ça, c’est pas évident. Afin d’éviter toute visite
malintentionnée, comme des casseurs ou taggeurs, les adresses ne s’échangent pas aisément. Faire de l’urbex, c’est un peu comme partir en free party : faut choper l’info pour savoir où aller. L’urbexeur a deux grands mots d’ordre : respect et protection. Dans les lieux qu’on visite on ne casse rien, on ne vole rien. Même pas ce manteau trop kitsch qui va moisir dans une armoire à tout jamais. L’urbex est aussi un milieu hostile... Il y a des petites rixes entre urbexeurs. Les gros puristes, ceux qui sacralisent des lieux et dictent aux visiteurs leurs règles. Et les autres, qui pratiquent l’urbex simplement par loisir. C’est pas la folle ambiance, mais parfois, de belles rencontres se font. Laurent a contacté Yohan via internet, et ça a tout de suite marché ! L’urbex, c’est aussi de l’amour. C’est redevenir un enfant, c’est descendre dans la cave d’une maison de chasseur, c’est aller chercher un ballon de foot envoyé dans un camp de manouches, c’est essayer de savoir pourquoi la vie a déguerpi de ces lieux. C’est aussi être en colère contre ces sites qui s’effritent alors qu’ils pourraient être réinvestis. Sans doute est-ce la chose qui révolte le plus les urbexeurs : un patrimoine aussi bien artistique qu’immobilier qui part en fumée. Qu’il s’agisse de somptueuses tapisseries du XIXe devenues lambeaux, ou encore de vieux hôtels délabrés, tout pourrait être protégé et entretenu afin d’apporter quelque chose à la communauté.
· 99 ·
Nous sommes arrivés au Luxembourg. C’est parti pour la première visite : des hauts fourneaux. Dès les premières minutes, tous sortent leurs appareils et bombardent l’intérieur de l’un d’eux. Le bâtiment est dans un état déplorable... Et j’ai peur que tous ces trucs nous tombent sur la tête... Je décide de sortir un peu, et là, une silhouette se profile à quelques mètres ! Ni une, ni deux, je file. Mais rien ne s’est passé. Après avoir marché à pas de loup dans la pampa aride, nous nous retrouvons face à un petit trou, dans un tas de terre énorme. On doit rentrer par là. En y regardant de plus près, je me suis aperçue que le sol était à six mètres plus bas. Un bordel sans nom, la terre qui s’écroule, nous qui manquons de glisser. En effet, l’urbex c’est sportif et plutôt dangereux. Mais ça valait le coup, je me sens toute petite au milieu de ces infrastructures élancées, colossales. Au détour d’un escalier moisi, je décroche d’un plafonnier une carte, celle d’une collégienne. En regardant par terre, un morceau de t-shirt. Sans commentaire. Dans les sous-sols, les pièces ne sont plus que débris de verre, miettes de canapés et doux poèmes. « Anarchie pour la vie » ou « Faites la guerre, nique ta mère ». Les fautes en plus. En repartant du site on a rencontré d’autres urbexeurs, des ados. Ça ne fait que me conforter dans l’idée que ce mouvement touche de plus en plus de gens... Et toutes les tranches d’âge. Entre deux maisons une seringue et un peu de viande avariée, ça ne donne pas trop envie d’y passer une nuit avec petit dej’ compris...
Un petit bijou. Tout était quasi intact. Je pénétrais dans une salle de réception où des verres traînaient encore sur le bar. Je fouillais dans les papiers et suis tombée sur des lettres d’amour. Séquence émotion. Sur les étagères de la cuisine, des bouteilles d’huile et de vin n’avaient pas bougé. Je montais un escalier où des registres effeuillés ne m’indiquent aucune date qui pourrait expliquer un départ précipité... Dans les chambres, quelques vêtements jetés sur le lit. Un après rasage au-dessus du lavabo. Mais qu’est-ce que ça fout encore là ? Pourquoi sont-ils partis ? J’ai aussi eu le plaisir de voir une chambre complètement moisie, du plancher au plafond. Encore quelques photos et l’après-midi touche à sa fin. Même s’il était déjà tard, les garçons n’ont pas cessé de scruter le paysage, en quête d’une maison abandonnée... Ça nous a valu trois arrêts. Soit c’était barricadé, soit encore occupé. Dommage.
Dans les sous-sols, les pièces ne sont plus que débris de verre, miettes de canapés et doux poèmes. « Anarchie pour la vie » ou « Faites la guerre, nique ta mère »
Nous sommes bien restés trois heures ici. Le temps d’entrer dans le lieu, d’installer le matériel (ils travaillent tous avec un pied), d’inspecter chacune des pièces, de prendre une multitude de clichés... Je comprends mieux pourquoi les prix des photos est élevé. Yohan m’a confié que sa passion, dont il ne peut vivre, interfère souvent avec sa vie de famille. Il part des week-ends entiers à sillonner la Belgique, l’Allemagne... Et à son retour : nettoyage du matériel et traitement photo. Soit un temps monstrueux. A peine le temps d’une cigarette que nous sommes de nouveau sur la route. On a parlé à Axel d’un hôtel abandonné. J’étais beaucoup moins rassurée que lors de la première visite. Ici, il y a un voisinage, et peut être même une alarme, qui sait... Mais encore une fois, rien ne s’est passé.
Bilan de la journée : pas de course poursuite, un temps au beau fixe, plein de photos... et pas mal d’énergie dépensée ! Certes, ont a respiré de l’amiante pendant toute une matinée. Enfin, nous sommes encore en vie, rien à signaler. Je vous invite à découvrir leurs travaux sur laurentburnier. com et le flickr d’Axel Urbex. Si vous passez sur Bruxelles, le tandem expose sa collection « Obsolescence urbaine » au Standby au 72, rue de Namur.
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LAURENT BURNIER / AXEL URBEX www.laurentburnier.com www.flickr.com/photos/axelurbex
· 101 · LE
NO
’ EUD PAP
DERRIÈRE L’OBJECTIF DE
L’ÉTÉ INDIEN
· 102 ·
Tu sais, je n’ai jamais été aussi heureux que ce matin-là, Nous marchions sur une plage un peu comme celle-ci, C’était l’automne, un automne où il faisait beau, Une saison qui n’existe que dans le Nord de l’Amérique, Là-bas on l’appelle l’été indien. Joe Dassin
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AMANDA CHARCHIAN
路 104 路
路 105 路
CLARA NEBELING
路 106 路
路 107 路
JOCELYN CATTERSON
路 108 路
路 109 路
NASTASIA DUSAPIN
路 110 路
路 111 路
MUSIQUE
路 112 路
E
路 113 路
REVIEWS par Eric Rktn, Floris Yvinou , Paul de Pone
On parlait en hurlant, on fumait nos premières cigarettes, buvait nos premières bières, et le weekend on partait dans un chalet à la campagne pour voir des potes qui avaient monté un groupe de rock dont on ne comprenait pas les paroles en anglais, eux non plus d’ailleurs. Le soir, on se perdait dans des brumes de plantes vaguement illégales, nos discussions couvrant le son des premiers corps frottant de filles et garçons montés
DEATH FROM ABOVE 1979
dans la mezzanine, et le grincement des
THE PHYSICAL WORLD
le monde, de le faire tenir dans nos mains,
Je me souviens de mes doigts moites,
faire ce que l’on voulait. C’est ça l’idée de
cinq heures d’affilées sur la manette de
cet album de DFA, et peu importe s’il arrive
Playstation à jouer à Tony Hawk, ce n’était
trop tard ou non, Jesse Keeler et Sebastien
pas raisonnable. Mais l’est-on vraiment
Grainger font toujours tout eux-mêmes,
lorsqu’on a 14 ans ? Tout ce qui comptait à
jusqu’à écrire leur bio, composer des
ce moment c’était d’enfin caler CE PUTAIN
musiques fulgurantes, se faire plaisir quoi,
DE 900° avec Tony. Dans le fond musical de
on verra bien demain pour tout ranger.
mes exploits, la bande originale de ce qui allait être mes standards d’adolescents :
JESSIE WARE
matelas. C’était notre façon de réinventer
TOUGH LOVE
de manière concrète, physique, et d’en
8 Septembre 2014 / Last Gang
Tough Love est étrangement bon. D’un côté toutes les instrus ont une touche un peu old school avec des sonorités sourdes, mélangées à une sorte d’électro mélodique, qui permet de donner une identité homogène à l’album. De l’autre, on peut aussi bien trouver des musiques entrainantes,
voire
dansantes,
que
des morceaux apaisants, ce qui donne
Unsane, THPS, Suicide Machines, merde,
à l’album de Jessie Ware une grande
je n’avais aucune putain d’idée de qui
diversité.
ils étaient ou ce dont ils parlaient, de comment on appelait ce genre de musique,
C’est impressionnant à quel point toutes
mais ça sonnait, ça sonnait fort et à toute
les chansons de l’album se ressemblent et
vitesse, comme nous sur nos planches
sont à la fois bien différentes les unes des
Chocolate ou Girl qui coûtaient un bras à
autres. Une chose est tout de même sûre,
nos parents. On essayait de se cultiver en
le résultat est réussi !
lisant Sugar, on n’assemblait finalement
Alors non, ce n’est pas l’album de toutes
jamais ce truck qu’on recevait en cadeau
vos soirées, pas celui sur lequel vous allez
d’abonnement, quelqu’un l’a déjà fait ? On
« booty shaker » ou lever les mains en
se foutait de pas mal de choses, mais pas
l’air, mais plutôt celui que vous pouvez
de ses après-midi à rider avec ses potes
apprécier seul ou lors d’une après-midi
dans des zones désaffectées pour faire
calme avec deux, trois amis.
comme dans Fully Flared de Spike Jonze, en espérant que les murs explosent quand
Les mélodies sont profondes et rappellent
on passait dessus. Mais les seules choses
un peu l’univers de Florence and the
qui faisaient du bruit étaient les voisins qui
Machine. La voix, elle, est formidable.
menaçaient au fusil, dérangés par nos cris
Jessie Ware la maitrise aussi bien dans
hystériques d’ados pré-pubères.
deathfromabove1979 · 114 ·
les tons graves que lorsqu’elle joue sur sa
puissance. On pense à Pink sur « Say You
A défaut de ne savoir qu’en faire, on
Love Me » ou London Grammar.
placera « Tyranny » dans un purgatoire mental, là où l’amour et la détestation ne
Une agréable surprise dans la droite ligne
font qu’un, auprès de Nicolas Cage, Paris,
de « Devotion », son premier album sorti il
le col roulé de Steve Jobs, Fight Club et
y a deux ans.
toute la filmographie de Woody Allen,
13 Octobre 2014 / PMR, Island, Interscope
le white russian, Jeremy Scott, acheter son pass vip en festival, les Wayfarer, le vapotage, la mdma, Terry Richardson, le pop art, le yoga, les food trucks, le curling, les lolcats, le 13h de Jean Pierre Pernaut,
JULIAN CASABLANCAS TYRANNY Tout casser. On parle ici d’un sauveur du rock des années 2000, d’un premier album solo touchant la perfection, ayant pour ambition de faire un disque de musique classique moderne. Que ferait-on après ça à la place de Julian Casablancas ? La même chose que lui, prendre un contre-pied magistral sous forme d’un truc immonde qu’on appelle « concept album ».
le porno, les Air Max, les headbands (mais pas les filles qui les portent), le cinéma 3D, les selfies, les nougats chinois, l’accent belge, les blagues de Chris Esquerre, les canettes de whisky coca, la saison 9 de Scrubs, les vinyles, n’importe quel livre de Fredéric Begbeider, n’importe quelle chanson de Lana Del Rey…Bref, un disque bien dans son temps avec des moments aussi géniaux qu’insupportables à l’image de « human sadness » et ses 11 minutes qui font beaucoup penser à une version gâchée de « Sing » de Blur, ne me
Né d’une réflexion à laquelle tout un chacun
demandez pas pourquoi, comme Mireille
adhère, le refus de la dictature, la privation
Mathieu « je ne sais pas, je ne sais plus ».
de la liberté (duh), Julian nous colle à la figure un gros doigt d’honneur long de
23 Septembre 2014 / Cult Records
douze titres qui se mettent des bâtons dans les roues dès qu’ils commencent à filer droit. Auto sabotage, peur du trop léché, quête de l’analogique viscéral, tout se confond dans des décibels de larsen, de distorsions, de mélodies prometteuses salies, où le seul point d’ancrage avec « Phrazes for the young » réside dans « River of brakelight » et cette impression que même derrière ce bordel dissonant, le control freak n’est jamais loin. Ironique. Une seule certitude, cet album sera sans aucun doute le meilleur, ceux des Strokes compris, que Casablancas défendra en live, jouant plus sur l’énergie animale que
jessiewaremusic
la finesse de ses solos de guitare.
· 115 ·
JulianCasablancas
REVIEWS
par Floris Yvinou, Eric Rktn, Baptiste Pépin, Paul de Pone et a toujours fonctionné sur le dyptique restrictions / rébellion, une rébellion pragmatique que l’on retrouve dans ces diamants bruts taillés par XL Recordings, lui conférant une utilité sociale que nous aurions du mal à comparer chez nous. Avec les années, le conflit s’est déplacé mais le label garde dans son ADN cette volonté de trouver des artistes excitants et entiers: Thom Yorke, les White Stripes, Peaches, MIA, Tyler The Creator. Autant
XL RECORDINGS
de noms qui évoquent chacun un univers distinct dans la mémoire collective. Si le
REDINHO
PAY CLOSE ATTENTION COMPILATION
label fête ses 25 ans aujourd’hui, c’est déjà
Vous aimez XL Recordings sans le savoir,
dans le futur, et avec des artistes comme
Ce soir je pousse la porte d’un de ces petits
et depuis longtemps, et vos parents
Jai Paul ou FKA Twigs dans ses rangs, on
clubs de Shoreditch, la salle est comble et
aussi, et eux non plus ne le savent pas. Au
sait que cette promesse sera facile à tenir.
les murs font perler la condensation. Une
final, personne ne sait grand-chose sur le label d’Albion, fondé en 1989 à la fin
dans l’espoir de les fêter une deuxième fois
25 Août 2014 / XL Recordings
REDINHO
fille me bouscule et me demande si je peux lui parachuter de la poudre d’escampette
du gouvernement Thatcher, en période
pour cerveau, je suis à sec et je me
de mesures drastiques et empêchant
demande : et l’amour bordel ? Elle fait
le développement
du clubbing et
une moue des lèvres, comme si je l’avais
l’expansion de l’acid house en Angleterre.
empêché d’être heureuse, comme si je lui
Au bon endroit, au bon moment : ce qu’on
avais gâché sa soirée, si je lui prends la main
a appelé le second summer of love était né,
ce soir, elle ne ressentira pas ses millions
et XL en fut l’un des fers de lance, diffusant
de nerfs s’activer, un par un à chaque nano
la musique rave à travers le pays, orientant
mouvement de mon doigt dans sa paume.
ses sorties pour les djs underground. Cette
Je suis triste aussi que l’on soit devenu des
techno passa le filtre de la capitale, elle
robots, que le digital love des Daft Punk ne
fut accélérée, combinée aux breakbeats
soit qu’une chanson. Autour de moi, des
hip hop, et donna naissance à la jungle, à
danses mécaniques et des mouvements
la drum’n’bass. L’intense bouillonnement
bien huilés en habits cintrés remuent sous
créatif alla de pair avec l’apparition des
des néons indifférents.
radios pirates comme Rinse FM, donnant
Une complainte vocodée part du dj booth,
un écho au grime, au dubstep, à toutes
elle dit « wouuuuh stay together », les
ces musiques hybrides dont XL se faisait
lumières noires brillent plus fort ou c’est
le défenseur, avec les premiers succès
moi ? Les gouttes aux murs ont des reflets
publics comme Basement Jaxx , The
glitch maintenant, elles ressemblent à la
Prodigy, et plus tard Dizzee Rascal et Wiley.
neige qu’il y a sur nos écrans télé quand
Pas de place pour le romantisme français à
on ne capte plus de chaines. Il pleut sous
la « je t’aime, moi non plus », l’histoire de la
ce plafond que nous pouvons toucher
musique anglaise est ancrée dans l’ennui
xlrecordings · 116 ·
les bras levés et la chaleur des corps fait
évaporer la sueur, je regarde vers le fond de
Ders (oui oui, le même Ders que dans la
la salle et ma vue est trouble, ces visages
série du trio branleur de Workhaolics). En
sont flous, et cette fournaise, ambiante.
fait, nous avons presque oublié que tout
Et pourtant, chaque note synthétique
ça était fictif, et que de mémoire seuls
m’électrise,
de
les Gorillaz ont eu une durée de vie aussi
couleurs me rappelle de vieux souvenirs
longue, musique comprise, mélange
: le documentaire Style Wars, l’odeur des
foutraque de country à la Beck produite
poscas, les mixtapes de breakbeats avec
une nouvelle fois par Odd Nosdam, co-
des bouts de Zapp & Roger… Le métal
fondateur du label Anticon, maison du rap
froid de ceux qui dansent à mes côté se
aussi excitant qu’absurde, Why ? en tête.
chaque
changement
fait mou, doux, chair, cotonneux. Je ne vois toujours pas bien les visages, mais on dirait qu’un sourire se balade d’une bouche à l’autre dans la foule, comme les mains sur ce clavier. Je ressors trempé
Tiens, c’est Movember bientôt, l’occasion
SERENGETI KENNY DENNIS III
comme si j’avais subi l’orage, ce qui n’est
Kool Keith avec Dr. Dooom, RZA avec
pas tout à fait faux. Décidément le mauvais
Bobby Digital, 2Pac avec Makiaveli,
temps anglais ne s’arrête pas aux portes
l’histoire du rap US est parsemée de
de leurs clubs.
rappeurs aux alter egos délirants, comme
22 Septembre 2014 / Numbers
de se laisser pousser la moustache, pour ressembler à Ron Swanson et râler sur la défaite de nos équipes locales préférées.
11 Novembre 2014 / Joyful Noise Recordings
si leur propre personne ne suffisait pas. Ils sont un sas de décompression pour parler d’autres choses ou pour arrêter d’être sérieux. C’est le cas de Kenny Dennis né dans le cerveau enfumé de Serengeti. Si je vous dis de vous créer un personnage, il y a de très fortes chances pour que vous fassiez comme dans Fight Club, une version améliorée de vous-même pimpée comme une voiture sous les mains de Xzibit : plus fort, plus beau, plus intelligent. Kenny est tout le contraire de ça, sauf si vous considérez qu’être conducteur de camions de 45 ans à la moustache proéminente est un standard de charisme. Que savons-nous depuis trois albums de lui ? Qu’il n’aime pas Shaquille O’Neal, mais que le softball c’est OK, que Scottie Pippen et Michael Jordan étaient des héros, que la benzedrine c’est cool, au point d’en être addict pendant 20 ans durant les 70s. Nous savons aussi que la vie de famille c’est pas toujours chouette avec sa femme Jueles,
Redinho
son petit frère Tanya ou ses potes Joji et
· 117 ·
serengetidave
REVIEWS
par Floris Yvinou, Eric Rktn, Baptiste Pépin, Paul de Pone une lueur d’espoir dans « Museum of love » avec ses paroles positives (un peu), et la formule LCD Soundsystem (beaucoup) : des claviers cheaps et des mélodies malines, emballé dans une naïveté bon enfant. Le premier album de Museum Of Love est un concentré de tout ça, toujours indécis entre le hochement de tête chez soi et le tapement de pieds devant un dj. Il est possible que des effets secondaires
MUSEUM OF LOVE
fassent apparition suite à une écoute
MUSEUM OF LOVE
hypnose bizarre dont on a l’impression de
Malgré la fin programmée et formalisée en vidéo sous le nom très évocateur de « shut up and play the hits », on sent que James Murphy a du mal à tourner la page LCD Soundsystem, pièce maitresse de son label DFA Records. Et on le comprend, James, pas facile de clôturer un chapitre
prolongée de cet album, comme cette s’extirper quand le disque se finit, à force de boucles de Korg tournant sans cesse, comme si vous vous rendiez compte que vous baignez dans l’eau. Et de la part d’un mec qui déteste la baignade, celle-ci vaut vraiment le coup.
YUNG LEAN Unknown memory Yung Lean a causé un impact, relatif ok, dans les jeunes cerveaux d’une génération pas à l’aise dans ses baskets. Définir cet impact, c’est prendre le risque de se noyer dans des vagues faites de dauphins digitaux, de vocoders détunés, de thé froid,
6 Octobre 2014 / DFA Records
des jingles de jeux vidéos… En résumé,
de douze années qui ont vu renaitre les
de tout ce que notre monde moderne a
éclats de l’indie-dance-punk (le vilain mot),
de pire et de meilleur en même temps, à
enfantant au passage nombre de rejetons
portée de souris.
sous influences du label new yorkais et de
Un an seulement s’est écoulé depuis «
groupes comme Liquid Liquid ou ESG.
Unknown Death », sa première mixtape,
« Coupez la tête il en repoussera deux
mais cela nous parait déjà si loin, peut-
» disait-on dans le mythe de l’Hydre de
être parce que lui et ses Sad Boys traitent
Lerne (et dans Captain America aussi). Si
du sentiment bizarre de sentir comme
LCD est bien mort, il a permis la naissance
un outsider permanent, un feel bad
et l’évolution de The Juan McLean et
universel et intemporel où tout le monde
Museum Of Love. Ce dernier a été formé
s’y retrouve. Ceux qui en parlent le mieux
par Pat Mahoney, inspiré d’une chanson
sont encore ses fans hallucinés sur
de Daniel Johnston, chanteur lo-fi que
Youtube : « Je ne comprends toujours pas
Beck et Adam Green portent dans leur
pourquoi j’aime cet album, une sensation
cœur certainement à cause de son côté
futuriste du temps et de l’espace, comme
no-folk et ses titres à l’humour noir, genre
si je voyageais et que ceci serait la playlist
« Don’t Let the Sun Go Down on Your
qui jouerait, pendant que des gens
Grievances », « Some Things Last A Long
prendraient des drogues en même temps,
Time » ou « Monster in Me » qui parle de
la vie est toujours pareille, je déteste la
Captain America (encore lui). Ce n’est pas
société, je ne veux plus grandir, les filles
la grosse marrade, mais il semble y avoir
dfarecords · 118 ·
sont mauvaises, les garçons stupides,
tout est merdique, je t’attends toujours, tu me manque tellement, aide-moi dieu, je déteste être Jésus, je t’ai déjà demandé un jour si j’avais voulu être Jésus ? ». Voilà une Madeleine de Proust du futur nous emportant dans un tourbillon de sentiments, quelque chose de candide, dont le point culminant #emotional se retrouve dans « leanworld », véritable hymne à l’ennui, quand à 4h du matin vous avez checké vos mails, vos séries en retard, ce moment où plus personne ne tweete dans la timeline de nos vies virtuelles. Yung Lean, Yung Gud et Yung Sherman se sont retrouvés catapultés leaders du cloud rap aux côtés de mecs comme Lil B, Main Attrakionz ou encore Clams Casino, une jeunesse qui creuse son trou dans les nuages chimiques violets plutôt que
NOE
U
D P AP’ E
dans le bitume du rap conscient, fédérant
L
ainsi hors des sentiers battus, du fan d’émo à l’edm en passant par les addicts de vêtements APC. J’essaye de trouver plus rassembleur que ce premier album au nom de « Unknown Memory », mais la seule chose qui me vient en tête, c’est la coupe du monde 98.
23 Septembre 2014 / Hippos In Tank
arizonaicedoutboys · 119 ·
EN TÊTE À TÊTE
ANNA OF THE NORTH
par Baptiste Pépin
T
els les paysages de l’Europe du Nord, la musique scandinave semble de plus en plus vaste de jours en jours : des fôrets verdoyantes par-ci, des lacs enneigés par-là, on a toujours autant de plaisir à s’émerveiller devant la diversité de la nature de nos voisins pas si lointains. Le même constat pourrait être fait ces des dernières années concernant leur scène musicale. Tantôt hip-hop avec Yung Lean ou Gucci, souvent pop avec Lykke Li, Mø ou El Perro del Mar, parfois electro avec Gidge et The Knife, il arrive même de trouver des ovnis comme la bassiste norvégienne Vilde Tuv. Les exemples pourraient se multiplier des pages et des pages durant, mais on vous passera cet ennui pour balancer le réel constat : la musique scandinave voire nordique est aussi éclectique que prolifique. Ne comptez pas sur nous pour s’en plaindre, et encore moins depuis que l’on a découvert au détour des heures perdues sur les internets, un nouveau projet qui a particulièrement attiré notre attention. Le nom du projet est plutôt explicite quant à sa genèse, mais il suffisait également d’en écouter les premières notes pour comprendre qu’une nouvelle venue sur cette scène venait de débarquer. Rencontre avec la porteuse norvégienne de ce projet, Anna of the North.
Salut Anna, tu peux nous dire qui tu es et nous parler de ton projet Anna of the North ? Anna of the North, c’est une collaboration entre moi-même, Anna Lotterud et mon producteur d’origine Néo-Zélandaise Brady Daniell-Smith. On est basé en Norvège, mon pays natal et c’est là qu’on fait de la musique tous les deux. Synth-pop, dream-pop, electro-pop etc. Comment qualifierais-tu ta musique ? Elle semble vraiment introspective par moment. Comment arrives-tu à ça et trouves-tu l’inspiration ?
A vrai dire on ne sait pas comment t’éclaircir là-dessus étant donné que c’est encore tout nouveau pour nous. Ca ne fait vraiment pas longtemps qu’on s’est lancé dans le projet. On ne sait pas vraiment ce qu’on fait d’un point de vue technique mais on sait comment on veut faire raisonner notre musique, alors on essaie plein de choses jusqu’à ce que l’on obtienne ce que l’on imaginait. C’est beaucoup une question d’essais et d’erreurs. Avec le morceau ILYAF, ta superbe reprise d’un tube pop des années 90, tu joues avec une véritable nostalgie mais on sent tout de même beaucoup de joie. Alors que
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l’on découvre une partie plus sombre de toi sur Sway et surtout le sublime Undervan. Comment expliques-tu cette différence ? Parce que comme tu dis, c’est un morceau des années 90, alors ça nous rappelle tout de suite notre enfance quand on n’avait pas encore tous ces problèmes d’adulte. A l’époque, si t’avais le cœur brisé par quelque chose, ça durait juste une petite heure puis tu passais à autre chose en choppant une bonne glace. Après Donna Lewis, tu vas nous sortir une reprise des Spice Girls ? C’est ce genre de musique que tu écoutais étant gamine ? Fuck yes (ndlr : la traduction ne s’imposait pas). Tes parents étaient du genre à te forcer à jouer des heures durant d’un instrument que tu détestais ou alors ils étaient là à te dire d’arrêter de massacrer ta flute en plastique ? Comment en es-tu arrivée à la musique alors ? J’ai vu des vidéos sur Youtube d’éléphants capables de jouer du piano bien mieux que nous deux réunis. Et comme je t’ai dit, on est vraiment tout nouveau dans la musique. On a juste commencé à collaborer il y a quelque chose comme 5 mois. On ne sait pas vraiment comment parfaitement
maîtriser un instrument mais on a plein de mélodies en tête et on essaie de concrétiser tout ça. Qui sont les artistes qui ont pu influencer ta musique ? On a fait pas mal d’interviews ces derniers temps et toutes les semaines on a une réponse différente. Cette semaine on a trouvé ce mec, J.K The Reaper qu’on a de suite adoré ! Comment est arrivée cette collaboration avec le label Honeymoon ? Tu peux nous les présenter d’ailleurs ? Bien sûr. C’est un label qui est base à Brooklyn qui est venu vers nous juste après que l’on ait posté notre toute première demo pour Sway. Ils font partie d’Atlantic et 300. Comment ça se passe pour la scène norvégienne aujourd’hui ? On te connait toi et l’incroyable Vilde Tuv mais pourrais-tu nous en dire plus ? Il y a beaucoup de black metal. Trop, beaucoup trop j’ai envie de te dire. Mais toi, tu as l’impression de faire partie d’une scène ? L’expression “scandipop” revient souvent. Peut-être que l’on fait partie de cette scène. Mais moi je veux juste une maison en banlieue avec une belle cloture blanche et un
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mari en train de tondre la pelouse tandis que je dis bonjour au voisin. C’est ça ma scène. Mais justement, on parle de plus en plus de cette fameuse “scandipop” et même si je ne suis pas tellement d’accord avec ce terme tellement il ne démontre pas la diversité réelle de la musique scandinave et même nordique d’ailleurs, comment expliques-tu que ces pays soient si influent sur la scène internationale ? Merde, on a l’air con maintenant, on vient juste de dire qu’on faisait partie de la scène “scandipop” ! Je crois que ce qui définit principalement cette « scandipop » c’est l’articulation un peu étrange de la langue anglaise mais aussi parce qu’il y a vraiment quelque chose de froid et nordique avec ce son. Tu vois ? C’est un terme général, comme pour hip-hop.
Tu vas loin mec. J’adore ! Bonne question… J’espère me déplacer sur une planche volante non ? Faut que la science se bouge là ! Ok, alors on revient à aujourd’hui. C’est quoi ton actualité ? Un EP pour bientôt ? Un album ? On ne peut pas vraiment te dire quand ou alors on va devoir te tuer. Ok, alors quand est-ce que tu débarques en France ? Je n’en sais rien. Les gars, vous n’avez pas un endroit où l’on peut rester ?
Ok, je vois. Et si je me ballade dans ton Ipod là, je vais écouter quoi ? Serge Gainsbourg. Sérieusement ! On adore ce mec. Je pourrais m’éclater toute la journée dans la bande dessinée de ce mec ! Vous faites de la vraie bonne musique vous les français ! On vous aime. Ok, on est en 2030 maintenant. Comment se porte le monde ? Et Anna of the North ?
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ANNA OF THE NORTH
www.facebook.com/annaofthenorth www.soundcloud.com/annaofthenorth
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LE
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LA CLAQUE par Eric Rktn
HOUDINNE
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0 ans séparent la soul des premiers morceaux vaporwave, 70 années sautées allègrement en un clic d’une demi-seconde. Et tout s’accélère encore, au point où on pourra bientôt vivre le revival d’un genre musical avant même qu’il ne naisse, grâce à des surdoués qui les assimilent et les interprètent de plus en plus rapidement, comme Houdinne et son premier contact avec Internet à 8 ans.
ENFANCE SCREAMO Atlanta, capitale de l’Etat de Georgie, USA. Dans le salon familial, Houdinne et son frère écoutent les bruits bizarres du modem qui se connecte et qui met un temps interminable. Le temps est compté pourtant, et leurs parents leur ont laissé l’ordinateur pour qu’ils puissent trainer sur le site de Cartoon Network pour y jouer à tous les jeux, c’est ça, son premier souvenir d’internet. Mais il aime aussi la guitare, et c’est à ses 11 ans qu’il forme The Revettes avec ses potes David et Dylan, mêlant des influences allant du blues au punk, ils décident d’appeler ça du Blunk. Puis il enchaine, chante et joue dans un groupe de screamo du nom de Silence Before Sunrise, puis commence à rapper des paroles sans sens dans le style de Hadouken pour son pote Sam de StankyxDank.
pour lui, à rapper sur tout ce qu’il écoute : de la musique classique, de la chillwave, du métal, l’inévitable vaporwave, la country, la musique électronique. Comme un passage obligé, c’est à ce moment qu’il se met à produire sa propre musique, sampler ce qu’il aime, sans aucune distinction. « Je ne peux pas dire que j’ai de vraies influences musicales, je suis plus influencé par ma journée que par un artiste spécifique, je n’ai pas de groupe préféré. J’ai toujours senti que je pouvais faire tous les genres de musique, parce que je les aimais tous, et que je les mélangeais ensemble. J’ai toujours eu une tonne de projets différents, Houdinne a commencé comme l’un d’eux, puis les gens ont commencé à aimer ça et ma musique a changé ».
Entre deux, il compose des chansons à la guitare acoustique
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WHO DINNE Ca serait trop facile, et Houdinne n’aime pas entrer dans une formule, ou plutôt il opte pour celle de la fuite en avant, samplant du Dimlite, le chant de « loving you » de Minnie Ripperton sur la musique classique de Johann Pachelbel, des phrases d’Ace Of Base ici, une rime de Britney Spears par-là, ou reprenant « damn » de Yung Lean dans une version plus-chill-tu-meurs. C’est d’ailleurs la première vraie ressemblance qui vient à l’esprit quand on écoute sa façon de rapper, et quand on lui en fait part, il préfère botter en touche. « À part la cover de « damn » non, on n’a pas grand-chose en commun, je ne vais même pas sur Tumblr ahah. J’aime mélanger les choses et qu’on ne sache pas où j’irai ensuite, c’est un peu l’explication de mon nom d’ailleurs « ya never know who dinne ». Sans le vouloir, Houdinne est un pur produit d’Atlanta, le bon côté, celui d’Outkast, DJ Screw et le gang Dungeon Family. Un melting pot décomplexé plus fun, à ne pas confondre avec l’Atlanta du rap de club comme le Dirty South, le Crunk, puis les prémisses de la trap music, avec tout ce que ça comprend en dentiers dorés et tuning de voitures. La faute à la géographie, pas assez eastcoast, et carrément pas westcoast. Usher, Waka Flocka Flame, Lil Jon appartiennent déjà à l’ancienne génération, trop tournés vers le succès commercial, trop moqués pour leur faux passé thug ou leurs habits vulgos. Il semblerait que la scène locale se renouvelle et que des noms comme Father ain’t shit, Mankey émergent doucement, mais sûrement. Le dernier en date c’est I Love Makonnen, remarqué par Drake, offrant un nouveau spotlight sur les talents de demain, dont Houdinne, gravitant dans ces cercles. Neufs mois lui ont suffi pour qu’il sorte trois mixtapes aux contours indéfinissables, ouvrant le spectre des possibilités à l’infini. A la vitesse d’un clic, que pourra-t-on dire de lui dans un an ? Que du bien on l’espère.
HOUDINNE
www.soundcloud.com/houdinne · 125 ·
EN TÊTE À TÊTE
COUTEAUX SUISSES
par Eric Rktn - crédits photo : Alexandre Soopafly
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errière le nom de Couteaux Suisses, un arsenal d’organisation, de compétences et de rigolades entres potes au service de la teuf. Et quand ils ne sont pas sur la capitale à faire des soirées Gabber ou Obey, ils investissent Le Temps des Cerises, mini scène cachée sous les arbres du Cabaret Vert, depuis maintenant quelques années. De Deephop Panel à Snap Records en passant par leur résidence au Social Club, le projet né en 2012 est en mouvement constant, tous comme les trois têtes qui le dirigent.
Parlez-moi de vous, parce que vous avez chacun des parcours assez différents. Sylvain : Tout a commencé un lundi…Non, je suis Sylvain, je travaille dans l’événementiel au sens large depuis un peu plus de dix ans maintenant. J’ai fait pas mal de postes pour pas mal de boites, j’ai fait de la régie, actuellement je fais la direction artistique du Social Club, et je m’occupe de faire du tour management pour le label Bromance entre autres, dans Couteaux Suisses, je suis directeur technique. Benoit : 26 ans, sensible, fragile, canadien…J’ai fait une licence en arts et culture par laquelle j’ai travaillé comme
barman dans un club à Lille (feu le Kiosk ndlr), là bas j’ai commencé à organiser des soirées qui ont bien marché. Après ma licence, j’ai voulu m’inscrire trop tard dans mon master et il n’y avait plus de places, du coup grâce à des rencontres que j’avais pu faire dans les soirées que j’organisais, il se trouve que j’ai commencé un stage d’un an chez Savoir-Faire qui s’occupait du Social Club en tant qu’assistant booking. Comme tous les stages, à la fin ils te disent qu’ils ne peuvent pas te prendre, c’est à ce moment qu’avec Sylvain et Eugénie on a décidé de monter Couteaux Suisses et de mettre nos compétences ensemble, dans le projet je m’occupe du pôle booking essentiellement mais aussi en directeur artistique.
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Eugénie : à la base je suis avocate, j’ai fait une spécialité « propriété intellectuelle » mais je me faisais chier, le quotidien n’est pas très drôle, j’ai besoin de voir du monde et j’ai commencé à m’investir dans des assos à Lille quand je faisais mes études. Je vivais avec Soopa qui était photographe pour Lille La Nuit à l’Epoque, puis pour Ouikeed, c’est là que j’ai commencé à faire pleins de concerts et découvrir la musique sous un autre angle. Et quand je suis arrivé à Paris, j’ai rencontré Sylvain qui faisait partie de Deephop Panel, je m’y suis impliquée en donnant des coups de mains. Au final, ça me plaisait bien, j’étais comme eux, je n’avais plus envie d’être avocat, je ne savais plus très bien quoi faire. J’essayais de faire des stages en juridique dans des labels. Mais les mecs qui y bossaient étaient plus jeune que moi, j’avais fait plus d’études qu’eux limite, donc me prendre en tant que stagiaire…On a donc monté Couteaux Suisses et je fais les trucs chiants : la banque, la gestion, les papiers quoi (rires).
qu’on a fait jouer au Social avec Skrillex. On s’est retrouvé en face de gens qui étaient intéressés par nos plateaux et l’univers musical du label. Plus les soirées avançaient, moins on bossait le côté label. C’est là où on s’est dit que faire de l’évènement pouvait être cool. Ce n’est pas facile à dire quand tu es jeune « on fait des soirées techno », et quand tu dis évènements, tu penses aux mariages, aux salons. On prend l’évènement dans toute sa dimension , on travaille par exemple pour Puma, Intersport, on fait des trucs où il n’y a pas forcément du public, ce ne sont pas forcément de grosses teufs qui durent toute la nuit.
Avoir un compte Believe Digital et verser 2.75 EUROS par trimestre à des artistes pour les écoutes, c’est pas super
Tu parlais de vos anciens projets dont Deephop Panel et Snap…Couteaux Suisses est un prolongement de ça ou c’est complètement différent ? S : je pense qu’ils partagent mon avis, en fait je ne suis pas du tout arrivé dans le monde de la musique par ce qu’on a défendu avant. Je travaillais sur de la production, j’ai aussi été roadie, vraiment sur l’exploitation. Benoit faisait ça également via son asso’, on était dans la création de soirées. On a un terrain de jeu dedans, où on se dit que les possibilités sont infinies dans les combinaisons, s’associer avec des marques, des blogs ou monter de nouvelle licences de soirées comme on a pu le faire avec Snap. Snap n’a pas été une sorte d’enfant raté, à la base c’était Snap le label, le moment où l’on s’est rencontrés avec Benoit à la fin de Deephop Panel. On s’est très vite rendu compte que par notre expérience, même si on adore la musique qu’on en consomme et qu’on en vend, on ne savait pas gérer ça, c’était trop relou et surtout il n’y a pas d’argent. Avoir un compte Believe Digital et verser 2.75€ par trimestre à des artistes pour les écoutes, c’est pas super. C’était une expérience enrichissante pour développer le label on a commencé à faire des résidences Snap au Social Club, et on s’est rendu compte que ça marchait super bien, les gens étaient plus réceptifs à ce que l’on mettait sur les scènes. Les artistes qu’ils n’écoutaient pas ou n’achetaient pas, on les faisait jouer et c’était beaucoup plus rentable, je pense à Climax
Du coup qu’elle est la direction artistique de Couteaux Suisses ? B : Ca dépend des envies et des occasions surtout… E : Ce qui est sûr, c’est que les mecs ont toujours voulu faire un truc super qualitatif. Moi qui m’y connais moins en musique, je vois parfois passer des budgets qu’ils font passer sur des djs que je ne connais absolument pas, des potes m’appellent après pour me dire « putain tu as fait jouer ce mec, c’est chanmé ». Financièrement, parfois ça ne marche pas forcément parce qu’il n’a pas la renommée qui va avec son cachet, mais en tout cas Sylvain et Benoit ne veulent pas sacrifier la musique. Par exemple, on a fait venir Sango il y a quelques mois alors que personne n’en avait entendu parler, ce sont des choses qui nous ressemblent bien, on n’est pas toujours gagnant mais on ne regrette pas. Quand on a dit à des gens qu’on allait faire une soirée Gabber à Paris, ils nous ont dit « mais n’importe quoi, on est à Paris, les gens n’attendent pas ça », on leur a répondu qu’on aimait bien et qu’au moins on allait s’amuser, c’est ce qu’on a fait, et on ne s’est pas tellement plantés. C’était un projet global qu’on avait eu avec une asso avec ces expos, la soirée, ça sortait de l’ordinaire. Encore une fois je ne crois pas qu’on va devenir riches en faisant de choses comme ça, mais c’est pas grave on est jeunes. Peut-être que plus tard on fera des concerts au stade de France parce qu’on aura envie de rouler en BMW, je n’en sais rien. B : après il faut savoir s’adapter, on a par exemple travaillé avec Obey. Même si c’est une marque urbaine, ils cherchaient un côté très léché, avec une musique à la Brainfeeder, le label de Flying Lotus. Ce sont des artistes qu’on aime énormément, et quand on fait un évènement avec un client
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on essaye de le faire vraiment en adéquation avec ce qu’il veut. E : Voilà, il faut séparer les évènements qu’on fait pour des entreprises qui doivent leur ressembler et nos licences de soirées.
Peut-être que plus tard on fera des concerts au stade de France parce qu’on aura envie de rouler en BMW
S : C’est vraiment cette démarche, et pour le public ce sont des choses différentes, pluridisciplinaires qui n’ont pas encore été faites. Ca nous pousse à creuser, par exemple ne pas mettre forcément la musique en avant comme on l’a fait avec Phénomen où on a dû mettre du fooding et des expositions en marge de l’évènement, c’est à ce moment qu’on se rend compte des possibilités qui nous sont offertes. E : Les mecs sont quand même très orientés musique, la direction artistique reste ce qu’ils ont toujours aimé. Sylvain est arrivé aux Temps des Cerises à 22h, il a joué du hardcore, c’est Guestarach quoi, il a été élevé dans une rave party (rires). En parlant du Cabaret Vert justement où vous avez programmé une soirée au Temps des Cerises, quelle a été la place de Couteaux Suisse dedans ?
E : En fait, les espaces presse et VIP ici ont été montés par la boite de mon père où je bosse aussi. Un jour en discutant avec les mecs du Cabaret Vert je leur ai dit « votre petite scène avec du reggae c’est cool, mais on ne pourrait pas faire des trucs le soir ? » Ils m’ont dit qu’ils n’avaient pas le temps de gérer ça, qu’ils n’étaient déjà pas assez dans les équipes, à l’époque il n’y avait pas beaucoup de responsables. On a fait un projet et on l’a présenté à Christian Allex et Jean, les programmateurs du festival. La première année où on l’a fait, c’était en 2013 avec la Qhuit Party et la soirée du jeudi où on avait fait venir des djs. Cette année, le jeudi a été donné à nos potes du label Highlife, parce que c’est aussi l’esprit du Temps des Cerises. S’il y a des gens qui veulent y participer avec nous tant mieux, à la base on était les seuls à vraiment s’y intéresser. L’année prochaine on y récupèrera certainement une deuxième soirée. S : La programmation a été faite en adéquation avec ce qu’on avait déjà fait l’année dernière, l’idée n’était pas qu’on arrive avec nos gros sabots ou virer les mecs qui font du reggae, ils ont une place essentielle ici, on les a toujours intégrés dans notre politique de programmation.
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E : Mine de rien c’est galère, ça fait des années qu’ils viennent pendant les 4 jours de 14h jusqu’à la fermeture du festival. A la base si le Temps des Cerises existe, c’est grâce à eux. Ils font partie du décor. La scène a juste évolué, on a mis en place une loge, on arrive une semaine avant, on a mis du plancher des tables, ils ont une vraie scène avec un vrai soundsystem. Au départ c’était vraiment à l’arrache. Ca ne vous dit pas d’étendre cette petite scène pour en faire une plus grande pour les années prochaines ? E : Ça restera toujours limité au niveau sonore, on ne pourra pas aller plus loin. On est aussi limité par le site qui est exploité au maximum pour avoir la jauge qu’on a aujourd’hui. Ils ont fait énormément d’efforts et de travaux. Et c’est important que le festival reste en ville, c’est un lieu chanmé avec les remparts…On en a déjà parlé, mais on ne voit vraiment pas de possibilité d’insérer une nouvelle scène maintenant sur le Cabaret Vert. S : Je pense qu’on a réussi à la faire grandir différemment. Par exemple, la Qhuit Party qu’on a fait l’année dernière n’était absolument pas reggae, mais entrait parfaitement dans cette logique de partage, de rencontres inter-artistes avec le public. Ce qui est cool, c’est que même les artistes des autres scènes s’y intéressent vraiment parce qu’ils y trouvent quelque chose. On n’a pas envie de dénaturer cet esprit, c’est pour ça que de devenir une grosse scène avec des crash barrières et un public à 30 mètres, je n’y vois pas beaucoup l’intérêt. Là, on a eu la surprise de voir DJ Pone y clôturer la soirée en y jouant, jamais il n’aurait voulu refaire un set devant 5 000 personnes. Le Temps des Cerises est situé juste à côté du parking des tourbus, donc c’est la première que voient les artistes quand ils arrivent sur le festival, une espèce de petit endroit où ils se demandent « c’est quoi cette ambiance ? » (rires). On n’a pas envie d’y toucher, sauf pour le rendre plus confortable.
qui ne nourrissent pas seulement nos propres intérêts, mais aussi ceux du collectif. Benoit par exemple, est en place dans les réseaux de booking internationaux génère de l’intérêt pour Couteaux Suisses, pareil de mon côté et de celui d’Eugénie. E : Ce qui est atypique, c’est de travailler dans une société où les trois associés ne se voient jamais dans la semaine, même si on fait des réunions pour nos productions. On a essayé de noter ce qu’on faisait chacun dans la journée, ça n’a pas marché (rires). On n’a pas un concept très français en fait. Comme Allo Floride qui propose à des bookers indépendants de venir avec leurs artistes et de profiter de leurs compétences et leurs réseaux. S : Genre si tu veux rejoindre Couteaux Suisses, tu peux ! Mais c’était un projet planifié à la base ? S : En fait, on avait planifié le projet, mais pas nos orientations professionnelles. Par exemple, je n’avais pas du tout planifié de me retrouver à la programmation du Social Club, ce sont des concours de circonstances où il a fallu s’investir un peu plus dans ces projets. Ca a bouleversé ce qu’on voulait faire avec Couteaux Suisses. E : Par exemple, avant on faisait une soirée Snap par mois, maintenant on a baissé le régime. Là on devient plus des techniciens, on va travailler pour d’autres promoteurs de soirées. Il y a un côté sain à être prestataire pour d’autres, comme ça les soirées qu’on organise nous-même restent un plaisir avant tout, pas une obligation pour remplir une salle.
Ce qui est atypique, c’est de travailler dans une société où les trois associés ne se voient jamais dans la semaine
E : On peut améliorer les choses lentement, le temps que Couteaux Suisses grossisse aussi. Pour l’instant on est trois, avec un stagiaire cet année Virgile aka Silvio Daria qui a assuré. Qu’est-ce qui freine le développement de Couteaux Suisses pour l’instant ? S : On est surtout sur de vrais développements personnels
Et donc vous voyez comment l’agence Couteaux Suisses dans cinq ans ?
S : Confessions ! Je peux me mettre dans un isoloir pour répondre à cette question ? (rires). Honnêtement, je me posais la question, je crois que je ne me la pose plus pour la simple et bonne raison que je crois profondément en chacun de mes partenaires, je sais qu’ils font de grandes choses dans leur domaine de compétence et je sais surtout que je ne resterai jamais bien loin d’eux. Je pourrais arrêter de faire de la technique, élever des chèvres et faire du fromage et je suis sûr qu’on pourrait en faire quelque chose, Eugénie arriverait à les placer sur des salons par exemple. Notre nom c’est notre baseline, on
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propose tous types de services dans l’événementiel, je sais que Benoit est quelqu’un dont j’aurais besoin sur pleins de plans de ma vie professionnelle. Le statu quo de Couteaux Suisses, c’est que si tu veux bosser avec moi, tu dois bosser avec Benoit et Eugénie, voilà. J’ai toujours travaillé comme ça : tous les gens qui m’ont enseigné dans ce métier ont toujours marché aux relations humaines. B : Dans cinq ans, j’espère que j’aurais fait mon premier million ! En fait, c’est l’occasion qui fait le larron. Personnellement, j’ai toujours eu la chance de rencontrer des gens, que ce soit chez Savoir Faire ou même dans ma rencontre avec Sylvain. Je crois que ce qui nous rapproche, c’est qu’on est tous les trois pareil. S : c’est plus un état d’esprit en fait, il y a pleins de gens qui font partie de la famille Couteaux Suisses, comme Haribow qui a réalisé les fresques dans notre Espace ici au Cabaret Vert. Ce sont des potes qui ne savent pas vers quoi on avance, mais ils ont envie d’y participer parce que c’est l’aventure. Je voulais en savoir plus sur la soirée gabber que vous avez organisé, c’était pour rire ou vous êtes vraiment fans de Gabber ? B : C’était vraiment une envie ! Un jour on parlait avec Sylvain et on se disait qu’il fallait vraiment qu’on fasse une soirée gabber avec cette nouvelle scène neerlandaise qui mélange ça avec une espèce de trap, pour le coup c’est vraiment un truc de niche. On a eu la chance de rencontrer, comme quoi c’est toujours comme ça, Paul de Casual Gabberz qui organisait des soirées au Paris Paris, sans prétention mais hyper cool. Ca faisait deux ans qu’il bossait sur une exposition qui touchait à tout : mode, danse, musique et qu’il voulait faire au Point Ephémère. On avait une date en mars à laquelle on voulait faire ça à la Bellevilloise, du coup on s’est dit qu’il fallait qu’on mutualise nos compétences et qu’on fasse de cette soirée la première annonçant la sienne plus tard en mai. C’est comme ça que ça a commencé. Il n’y avait pas tant de gens de l’ancienne scène du genre, mais pleins de jeunes qui étaient à fond dessus.
vraiment plaisir, c’était la première fois depuis les soirées que j’organisais à Lille que j’ai eu un frisson comme ça, il y a vraiment eu un moment particulier. Au final, vous conseilleriez quoi à un mec qui veut se lancer dans l’événementiel et qui n’a aucune idée de ce qui l’attend ? B : Ne le fais pas, cours, pars dans l’autre sens, deviens notaire ! (rires). En vrai, s’il n’a pas d’idée c’est un peu gênant, il faut être quand même capable se lever un matin et de se dire « tiens, si on faisait une soirée gabber ? Ok, mais comment on la fait ? On ne peut pas juste faire une soirée comme ça ». Il faut juste se donner les moyens et foncer. Moi je suis content parce que je me lève le matin, je me dis que je fais un truc que j’aime, et je le fais avec plaisir. S : Si tu as envie d’apprendre et que tu n’as pas peur de te faire taper sur les doigts, parce que c’est ce qui te fait avancer, tu peux vraiment aimer ce métier. Salut c’est cool l’événementiel.
E : c’était bonne ambiance, pas une soirée tendance où on regarde la marque de tes baskets. B : c’était très spontané on a ramené DJ Rob qui est LE mec qui a créé le gabber à l’époque, mais aussi Panteros qui a clairement des influences parce qu’il a grandi dans le nord. On avait un peu cette caution historique en même temps que la nouvelle génération super excitante. On s’est fait
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COUTEAUX SUISSES
www.couteauxsuisses.eu/ www.facebook.com/CouteauxSuissesofficiel
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LOCAL HEROES
EQUATEUR
par Eric Rktn
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omme Kyo, ils ont parcouru le chemin, de l’Espace B où nous les avions invité pour notre première soirée live à la scène SFR du Printemps de Bourges 2014, ça fait une petite trotte l’air de rien. Charles et Nicolas peaufinent encore leur nouvelle version live d’Equateur, leurs nouveaux morceaux, l’occasion pour nous de prendre le pouls à chaud juste après leur passage.
Alors, votre sentiment ?
Que s’est il passé de nouveau depuis l’Espace B ?
Charles : C’était un premier live avec le batteur qui nous a rejoint il y a pas longtemps pour donner un côté un peu plus rock à nos productions, qui sont assez électroniques, spatiales. C’était un premier test, ça nous a permis de voir qu’on avait pas mal de petites modifications à faire pour les autres lives. En plus, il y a quatre nouveaux sons qu’on a integrés qui ne sont pas encore sortis, c’était aussi un test pour voir comment le public allait réagir.
N : on a sorti un EP qui s’appelle « the lava » avec un clip également. On est contents parce qu’il a pas mal tourné sur les blogs et les gens sont assez fidèles, c’est très réconfortant. Là on va être dans la préparation soit d’un futur EP soit un album. On a pas mal de maquettes, on va essayer d’avoir un album assez large sur les styles avec plusieurs humeurs différentes, comme un film en fait, avec différents rythmes.
Nicolas : Et pour voir comment on allait réagir nousmêmes.
C : Dans l’idéal pour l’album, on aimerait bien qu’un film d’animation soit monté et raconte un peu ce qu’on essaye d’évoquer dans nos musiques. On a été pas mal influencés par les groupes français comme Daft Punk qui avaient fait
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tout leur univers de cette manière.
Même l’esthétique du clip est assez particulière.
N : On aime bien tout ce qui touche à l’image et quand on compose de la musique on a toujours cette vision et la volonté de l’adapter en film, dans nos paroles, dans les compositions.
Romain : On a rencontré François (Kadavre Exquis), on avait travaillé avec lui pour le premier clip d’Aquila (leur premier ep ndlr), il nous avait été présenté par les deux réalisateurs de ce clip. On a décidé de continuer de travailler avec lui pour « The Lava ». On aime bien ce qu’il fait, la touche qu’il apporte. Il comprend bien l’univers futuriste, on a beaucoup de références en commun, c’était donc agréable de travailler avec lui et il est bon, c’est toujours cool. L’univers visuel a en majeure partie été pensé par lui, parce qu’il comprend ce qu’on veut, c’est facile de le laisser s’exprimer là-dessus.
Du coup quels sont vos films de références pour la musique d’Equateur ? C : Beaucoup de science fiction, des thrillers aussi. N : Bienvenue à Gattaca et l’Odyssée de l’espace, c’est un maxi classique. C : Une bonne série qui est sortie récemment, Helix, c’est pas mal. N : Ça touche beaucoup à la science fiction, tout ce qui se rapporte au futur. Par exemple « her », j’ai trouvé l’aspect assez sympa de ce coté futuriste. Et l’album d’Equateur racontera quelle histoire ? N : On ne veut pas trop en dévoiler parce qu’on voudrait vraiment trouver un réalisateur et écrire presque un script. Dans l’esprit, ça serait qu’on ne vient pas de cette planète, et notre planète aurait un soucis, on partirait en explorer d’autres…Ca va être quelque chose d’assez classique, mais on va essayer de trouver un univers, l’écrire comme un film, dans l’espoir que ça soit adapté dans une série de clips. En parlant de votre clip justement, vous pouvez nous raconter l’histoire de votre rencontre avec le réalisateur ?
C : Bravo, tu t’en sors très bien ! R : Merci, merci à tous. Au niveau de l’univers musical, Equateur fait référence à quoi ? C : on ratisse large, ça va de la musique classique au rock prog des années 70, en passant par la new wave avec ses côtés dark pour les synthés, et la pop qui pour nous symbolise la mélodie accessible , on essaye d’avoir cette touche avec des voix qui rendent ça plus ouvert. The Lava a été remixée ou pas ? Je ne suis plus sûr. C : Il y a eu un super remix de Zémaria qui est un groupe brésilien. Comme on aime beaucoup ce qui est minimal et deep, on a demandé à Remote, qui a également mixé notre EP. Il y aura aussi Rafael Murillo qui joue beaucoup au Rex, et Ibiza (rires). R : En fait, comme on fait beaucoup de dj set, l’idéal pour nous est de passer nos titres sous une nouvelle forme. Du coup c’est parfait pour nous d’avoir des sons adaptés au club. C : C’est un exercice qu’on aime bien faire également, on a remixé par exemple Sebastien Tellier officiellement, Pégase qui nous a remixé également, on en a d’autres en préparation. R : On a d’ailleurs remixé le projet musical de Kadavre Exquis , qui est très très bon. Et un autre remix pour Brandon Banal qui a rejoint le collectif Nouvelle New Wave on fait partie. On va jouer au jeu du « plutôt ou plutôt » C : Ah cool ! Plutôt live ou plutôt dj set ?
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C : Ni l’un ni l’autre.
Bière ou thé vert ?
R :: Plutôt dj set pour l’instant.
R : thé vert.
Plutôt photo de paysages ou selfies ?
C : bière, bière, bière.
C :: Photo de paysages .
Chat ou chien ?
R : Pareil.
R : Chat.
C :: Mais avec une très très jolie fille.
C : Chien.
Plutôt concerts ou clubbing ?
Et la dernière, cravate ou nœud pap’, attention il y a un piège.
R : Club. J’aime bien les collectifs qui font des soirées, où je sais qu’à chaque fois je vais découvrir de nouveaux artistes sympas, comme la Mamie’s ou certaines Bon Esprit avant. On va très rarement en concert sauf pour voir des artistes qui nous ont vraiment marqué comme Tame Impala. C : On va plus en club qu’à des lives en fait. Pop et électro ? C : Pop.
R : Nœud Pap’, sans hésitations. C : Nœud Pap’, on est avec vous les gars. Un dernier mot ? C : Vous pouvez acheter nos albums, nos vinyles, nos posters. Ou vous pouvez télécharger gratuitement sinon, mais achetez la ligne de vêtement qu’on va faire, la marque Equateur (rires).
R : Electro. Hipster ou bobo ? R : Ni l’un ni l’autre.
EQUATEUR
www.soundcloud.com/equateur www.facebook.com/EquateurOfficial
C : Pareil, impossible de choisir.
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ÇA CREUSE par Floris Yvinou
BOSTON ET LE RAP US
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oston. La ville la plus européenne des Etats-Unis pour certains, la plus agréable ville américaine pour d’autres, et peut être le pôle Nord pour les derniers. Boston fait parti de ces villes symboliques du continent de l’oncle Sam. New York, Chicago, LA, San Francisco, Boston, des noms qui en font rêver plus d’un sur le vieux continent
L’an dernier j’ai reçu un petit mail de la part de mon école m’expliquant que je faisais parti des élèves retenus pour vivre cette expérience unique. En tant qu’amoureux du rap, dévoreur de burger et grand fan de basket, je vous laisse imaginer mon état ! Un peu comme un gosse qui reçoit enfin le mini scooter électrique dont il a toujours rêvé. (Maman si tu me lis, je l’attends toujours !) Bon, ma vie on s’en moque un peu donc j’écourte ce passage : je prends l’avion, mange mon premier burger, me relaxe avec des « aides médicinales naturelles » et l’année peut enfin commencer. Un détail important à savoir à propos des Etats-Unis : leur amour de la musique est sans limite. N’importe quel type fan de Rap US (je parle même du style bien lourd façon Rick Ross) connaît ses classiques Rock et Pop, et inversement. Ce qui fait qu’un artiste comme Mac Miller peut chanter un
« Wonderwall » version acoustique en live et que toutes les personnes de la salle chanteront comme des asiatiques en salle de karaoké. (Ah oui, tous mes potes asiatiques étaient accros au karaoké, c’est pas une légende) Ce qui est bien avec ça, c’est que tout habitant de Boston apprécie le Hip Hop. Que ce soit au point de l’écouter à longueur de journée ou simplement pour s’ambiancer en soirée, vous pouvez être sûrs de trouver des morceaux de Rap sur l’ordi d’un « ricain ». Du coup c’est un vrai dépaysement : je pouvais enfin mettre du lourd lourd Rap US sans qu’un guignol me dise que c’est trop violent pour ses petites oreilles qui n’apprécient que la musique classique, Beyonce et Britney. Là bas le Rap US ce n’est pas juste un petit trip sur lequel tu bouges les bras de haut en bas en lâchant des paroles que tu ne piges pas, c’est une vraie culture, la culture Hip Hop. Je me répète, n’importe quel américain lambda connaît
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ses classiques. Qu’ils viennent des 90s ou de 2014, tout le monde sait ce qu’est du bon Rap et peut vous chanter plusieurs chansons en comprenant les paroles (même si c’est vrai qu’en étant natif, c’est tout de suite plus facile). Mais ça va au delà du simple fait qu’entendre du Hip Hop en soirée est vraiment stylé. Ce qu’il y a de bien c’est que cette mentalité influence toute la vie américaine : du nombre de concerts de Rap, à la vie étudiante, en passant par la bande originale de vos jeux vidéo préférés. Bon, le décor est planté. Il est temps de vous raconter quelques anecdotes un peu plus précises.
Ma première réaction, en tant qu’ancien étudiant au Mississippi, était « eh merde, le KKK a créé une filiale… ». Sauf que les mecs du KKK écoutent rarement du Hip Hop et ne se mettent pas en cercle autour d’un haut parleur Beats (en même temps j’en sais rien). Arrivé à leur niveau je me suis rendu compte que les bougs étaient en train de freestyle sur des instru, comme ça, en toute détente. Et ça pour le coup c’est un bon début de semestre ! Le soir je me renseigne sur l’identité mystérieuse de ses freeestylers des portes d’entrée. Coup de chance, mes colloc’ connaissent les « bons bails » et m’expliquent qu’il s’agit d’un club officiel de Boston University : BU Hip Hop.
Mon premier jour de cours à la Boston University, j’ai dû passer devant le bâtiment central de l’uni. C’est le bâtiment principal, du coup il y a toujours un peu d’animation. Mais cette fois-ci c’était vraiment étrange…
On s’arrête une petite minute là dessus non ? Une université de rang mondial, située à Boston, a un club officiel dédié au Rap et à la culture Hip Hop !
Juste après les portes d’entrée (oui parce qu’à Boston l’hiver on se les caille, genre c’est le pôle Nord, mais à Boston.. du coup il se passe rien à l’extérieur jusque mi Avril) je vois des mecs en cercle.
A Boston vous pouvez donc trouver un crew étudiant qui lâche des freestyles (je ne parle pas de faux freestyle français, ils improvisent la bas, rien n’est écrit à l’avance) ouverts à tous, une fois par semaine. Forcément j’ai rejoint le mouvement.
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Encore une fois, ça va plus loin que ça ! Ce même crew est composé de beat makers, de rappeurs et de chanteurs. De ce mélange naissent de beaux projets : - une mixtape (BUHH2 : The Rhetturn) de 18 titres avec quelques 50 personnes, plus ou moins amateurs, débutants ou plus expérimentés - le projection de « Freestyle : The Art of Rhyme » en compagnie de son réalisateur débarquant du Canada juste pour nous voir - des cours de danse, graffiti, etc. L’esprit de BUHH est celui d’une seconde famille pour tous ses membres. Que des personnes passionnées par la culture Hip Hop dans son ensemble, prêts à partager et recevoir, d’autres membres venant d’endroits différents. Que la personne soit un rappeur de haut niveau, un riche milliardaire, un mec du hood, une fille princesse, ça n’a pas d’importance. Une seule chose rassemble le club : l’amour du Hip Hop.
Jurassic 5, The Dilated People, Moosh & Twist, Jared Evan, Rockie Fresh, G-Eazy. Ce n’est pas ma playlist Automne mais les artistes que j’ai vus en l’espace d’un semestre. La ville entière est inspirante. Ca sent la culture Hip Hop à des kilomètres. Des mecs improvisent dans chaque coin de rue, d’autres font des spectacles sur les sons les plus fous que vous puissiez entendre. Les plus jeunes connaissent les anciens albums de Nas et les grand-mères bougent sur du Jay-Z. Au cas où ça vous intéresse, le retour à la réalité fut dur. Plus de crew, plus de lourd Hip Hop en soirée sans qu’un paumé ne me dise que c’est du son de racailles, plus de Boston. Mais bon, Paris c’est cool aussi, on a Booba… (ceci est ironique, le type pue vraiment le foin).
Vous associez ça à une infinité de concert de Rap Hip Hop, et me voilà aux anges ! Childish Gambino, The Underachievers, Dillon Cooper,
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HOT SPOT par Max Ltnr
SOCIAL CLUB, NOUVELLE FORMU
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’était l’un des événements de la rentrée pour les noctambules parisiens, le Social Club fait sa mue. Si le Social incarnait à la perfection l’essor de la musique électronique il y a quelques années, l’hyper compétitivité de la nuit parisienne et l’envolée de la scène techno historiquement symbolisée par le Rex Club et plus récemment par la Concrète ou le Zig Zag, a obligé le Social a revoir ses plans, et ce n’est pas pour nous déplaire. Une prise de risque qu’on se devait de saluer.
Exit donc les têtes d’affiche qui se suivent et ne se ressemblent pas, le Social fait désormais confiance aux jeunes et aux collectifs qui feront la nuit de demain. Le principe est simple : 4 nuits, 4 directions artistiques, 4 genres, 4 noms. Le mercredi « Wagner » sera réservé aux DJs et producteurs émergents sous la houlette des habitués Sylvain Guestarach, Jonathan Chane-Kane et Laura Perez. Les « Jeudi OK » quand a eux seront chaperonnés par Dactylo (Flash Cocotte, Trou aux Biches) et feront part belle à la communauté gay. Les vendredis « Hip Hop Friday » comme son nom l’indique seront destinés aux amateurs de hip-hop et emmenés par le collectif Yard. Enfin les samedis « House House House » seront présidés par Fred Agostini
qu’on ne présente plus (mais qu’on présentera quand même), à l’origine entre autres des soirées Respect et Ete d’Amour du Wanderlust. En thématisant ses soirées, le Social cible son public par tribus car le clubbing c’est aussi et surtout une histoire de tribus, et ça le Social l’a bien compris. Néanmoins à terme, les différents publics qui d’une certaine manière se seront réappropriés le club, seront amenés à se croiser, se mélanger (se reproduire ?) et pourquoi pas s’aimer pour former un melting-pot qui ne peut que faire la richesse du club. C’est en tout cas ce qu’espère la nouvelle équipe à la tête de cette institution dont les fantômes des fêtes
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passées hantent encore les comptoirs du bar (dont les tarifs ont d’ailleurs été revu à la baisse). Mais ce n’est pas tout, l’objectif est aussi de dépasser la simple fonction de « club », en proposant des performances ou des activités à l’intérieur même des locaux ou encore en invitant des marques à prendre les reines le temps d’une soirée. On pourra bientôt par exemple y réaliser quelques tricks de skate à l’occasion d’une soirée en partenariat avec une célèbre marque où une rampe sera installée. On pourra également profiter des nombreux jeux type baby-foot et ?? qui ont fait les beauxjours du Wanderlust cet été ou se faire tirer le portrait au photomaton. Au Social Club la fête a retrouvé une taille humaine, on peut maintenant lui faire du rentre dedans sans crainte qu’elle ne disparaisse voir si le clubber est plus beau ailleurs. Parce qu’au Social la fête a rendez-vous, 4 nuits par semaine (« c’est sa peau contre ma peau et je suis avec elle… et 4 nuits par semaine lalala lala ».
SOCIAL CLUB
www.parissocialclub.com/ www.facebook.com/parissocialclub · 141 ·
REPORT par Max Ltnr
BEAUREGARD FESTIVAL
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our être honnête, je ne pensais pas que Beauregard allait être l’un des highlights de mon été. Pour sa sixième édition le festival normand avait misé sur une programmation sans grandes découvertes, du moins c’est ce que je pensais. Parce que la force du Beauregard cette année n’était pas dans la découverte, mais dans la re-découverte. Retour sur un voyage dans le temps.
Arrivé jeudi je zap le concert de Stromae qui soyons honnête, malgré tout le bien que je pense de lui, ne vaut pas une journée de festival a lui tout seul. C’est donc vendredi que les douces hostilités commencent pour moi. Après le rituel de passage obligatoire : courses, récupérations de billets, installation du campement et tentative de mémorisation de la time-table qu’un passage au coin presse/vip aura vite fait de me faire oublié, la dégustation de vins locaux me semblant bien plus attrayante. Coupe du monde et match de l’équipe de France oblige, je ne rejoins pas le site avant la prestation de London Grammar qui bien que correct ne m’émeut pas plus que ça. L’un des avantage qu’offre Beauregard, c’est la possibilité d’assister à tout les concerts puisque les deux scènes ne jouent jamais simultanément. C’est là que commence le bal des immortels qui durera tout le weekend,
et c’est Blondie qui est désigné pour la première danse, qu’on se le dise Debbie Harry a peut-être pris quelques rides, elle n’a rien perdu de sa fougue. Les rappeurs d’IAM sont les suivant et ils régalent de leurs plus grands tubes un public qui n’attendait que ça et évidemment, tout le monde a dansé le mia. Le début de soirée se faisant sentir, il était l’heure pour nous de faire un arrêt au stand et reprendre des forces (ou en perdre) avant ce qui devait être le grand final électronique de la soirée. Shaka Ponk passe à la trappe, tant pis. Ca y est, la nuit est tombée, les enfants sont couchés et le public change doucement de visage, plus acnéique, plus transpirant, plus bruyant et parfois un peu plus con aussi. Je ne peux rêver de plus belle introduction pour Kavinsky,
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si je dois admettre que l’homme est un grand producteur, il n’en est pas moins piètre performeur et son set nous laisse franchement de marbre. Les deux frères de Disclosure concluront la soirée d’un live réussi et dansant sans être transcendant, qu’importe on ne demandait qu’à se défouler avant de finir la soirée. Samedi, le chaud, la soif, la dalle, y’a tout mais on a pas sommeil (Stromae déçu de nous avoir raté en début de festival s’est dit qu’il s’inviterait dans nos lignes en guise de vengeance, merde mais dégage). Malgré le réveil matinal nous ne bougeront pas avant le milieu d’aprèsmidi, préférant lézarder au soleil. Foster The People nous rappellent en live que le second album est souvent le plus compliqué, Angus & Julia stonnent alors que tout roule pour Paul Weller. Revoilà nos immortels : la performance de Portishead est magnifique et quand « Glory Box » résonne il m’est alors très difficile de ne pas tomber amoureux de la jolie blonde située deux mètres devant moi tant la musique nous provoque un lâché de phéromones général. Au fond de moi je me dis qu’elle doit penser la même chose de l’idiot à casquette à ses côtés. Encore un peu sur mon nuage, nous enchaînons avec Fauve. Le groupe français est une énigme pour moi, je m’étais laissé sincèrement saisir par les premiers morceaux avant de m’en agacer puis de m’en désintéresser. Le même phénomène s’observe en live, ils ne sont pas mauvais et je comprend aisément qu’une partie du public y trouve son
bonheur pendant que l’autre s’en exaspère ou les raille gratuitement. En revanche, croiser leurs têtes de mr-toutle-monde-mais-pas-n’importe-qui-quand-même à chaque festival où nous mettions nos pieds avaient fini par vraiment m’irriter.
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C’est Gesaffelstein qui a la lourde tâche de clore la soirée du samedi, celle où tout le monde lâche. Le « petit prince de la techno » (c’est pas moi qui le dit) traîne une réputation de mec froid et distant, mais surprise, c’est la claque. Il se donne, il transpire, on transpire, tout le monde transpire et quelques gouttes de pluie nous évitent la surchauffe. Les puristes de la techno vont bondir mais arrêtons l’hypocrisie, Gesaffelstein en live c’est quand même fat. Le dimanche ressemble à un dimanche, on se traîne en essayant naïvement de mener la gueule de bois d’une main de fer sur des jambes en coton. Nous décidons alors de profiter du beau temps pour aller faire un tour dans le (jolie) centre-ville de Caen, s’enfiler quelques burgers et savourer une bière, ou peut-être était-ce l’inverse. Nous assistons à notre retour à la prestation d’Agnes Obel, j’avoue ne pas être très à l’écoute de la belle danoise et seul quelques belles envolés retiennent mon attention. Les anglais de Breton, emmenés par un Roman Rappak en grande forme, font le show. C’est la deuxième fois que j’ai la chance de les voir jouer cet été te je dois dire que ces mecs là savent canaliser leur public. Mais le vrai grand moment de ce Beauregard sixième du nom fut incontestablement le live de monsieur Damon Albarn. L’ex leader de Blur est lumineux et sa joie de vivre irrésistiblement contagieuse, entre extraits de
son dernier album solo, quelques touches de Blur, un peu de The Good, The Bad & the Queen et forcément une belle part de Gorillaz où « Clint Eastwood » marqua le point culminant d’un weekend déjà réussi. On se dit alors qu’il sera difficile de faire mieux et pourtant John Butler et son trio, qui prenaient la suite, n’ont pas démérité. C’est vrai que c’est très beau mais les performances ahurissantes à la guitare de l’australien éclipse quelques peu sa musique. Vous connaissez sûrement ce sentiment où l’on est plus impressionner par les prouesses techniques d’un artiste que par la musique en elle même, c’est en tout cas comme ça que je l’ai ressenti. C’est au tour des Pixies, nos derniers immortels, de clore le festival. Un voyage de deux heures au sein de leur répertoire ponctué par une très belle interprétation de « Where Is My Mind » qui sonne alors comme un adieu. C’est fini pour nous, je terminerais par un merci. Merci John de nous avoir ouvert les portes de ton château, merci Beauregard pour cette belle parenthèse qui m’a fait un bien fou.
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BEAUREGARD FESTIVAL
www.festivalbeauregard.com/ www.facebook.com/festivalbeauregard
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REPORT par Paul de Pone
DISTORTION FESTIVAL
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i vous nous lisez régulièrement, vous savez sans doute que nous sommes fous du Danemark et de Copenhague. C’est déjà la troisième fois consécutive que nous nous rendons au Distortion et comme à chaque fois l’expérience est différente, plus belle encore que l’année précédente qui elle même l’était plus que la première (oui c’est très bateau comme amorce mais ça n’en est pas moins vrai). Récit d’une semaine de vikings.
DAY ONE Arrivés la veille dans nos superbes quartiers : une chambre à partager à deux dans un appartement lui même à partager avec notre charmante aubergiste qui s’avérera être aussi sympathique qu’absente, nous décidons de partir à la recherche de nos accréditations. La chasse au trésor durera deux heures au cours desquelles on nous envoya d’un bout à l’autre de Norrebro - le quartier où les premières festivités avaient lieu - avant de finalement trouver le stand recherché. Pour vous donner une idée, plus d’une trentaine d’événements étaient organisés dans le quartier. C’est bien simple il y avait une scène tout les cinquante mètre, la fête était partout. Les street-party sont une institution ici et tout
est organisé dans le plus grand respect. On peut voir des milliers de danois faire la fête ensemble toute la journée et jusque deux heures du matin, dans la rue, sans constater le moindre débordement ou dégât. D’ailleurs la sécurité est inexistante, seulement tenue par de jeunes bénévoles et occasionnellement une patrouille de flics, mais nous y reviendrons. Après avoir passés des heures et des heures à jumper de scène en scène et patauger sur un pont occasionnellement transformé en labyrinthe de mousse (on en profite également pour chasser mousse à la main les plus belles filles que nous croisons, c’est beau l’innocence), on décide d’accorder un break a nos jambes et de nous poser dans un
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coin d’herbe où plusieurs jeunes prenaient l’apéro, nous les imitons. Skoll ! La nuit tombe et la journée a été éprouvante mais nous décidons quand même de passer une tête au théâtre de la ville où Jay Daniel et DJ Richards étaient programmés. Malgré une belle résistance la fatigue l’emporte et c’est après avoir fait les cons avec un sabre laser que nous rentrons nous coucher.
DAY TWO
Michael Jackson. Il nous semblait évident que la folie avait gagné les rangs des festivaliers, et qu’elle était contagieuse. Dans la cohue générale nous avions laissé tourner l’horloge et il fallait maintenant nous précipiter à l’adresse où la soirée officielle du festival avait lieu. La rumeur dit qu’une pool-party y était organisée. Arrivés sur place (un grand complexe hôtelier) , nous tombons sur un bénévole français rencontré la veille qui nous renseigne et nous confirme que la pool-party allait avoir lieu. Il nous conseille de rester près des barrières qui nous sépare des portes de la piscine. On s’exécute. L’heure fatidique arrive, seul les premiers pourront rentrer et certains sont déjà à moitié nus. Top départ, les barrières volent en une fraction de seconde et deux centaines de festivaliers déchaînés essayent de se frayer un chemin, il n’y en aura pas pour tout le monde. Par chance nous réussissons à rentrer. Aucun de nous deux n’avait de maillot de bain mais qu’importe, nous ne sommes pas seuls, d’ailleurs la grande majorité des baigneurs s’y élançait en sous-vêtement avec ou sans t-shirt. Dans l’un des pays qui abrite les plus belles femmes du monde, nous étions très, très bien tombés. Aucune restriction n’est en vigueur, alcool, tabac, tout passe et se consume. Du côté musique, le chef d’orchestre choisie pour cette joyeuse orgie n’était autre
Changement de quartier, même constat, mais cette foisci pas question de faiblir. C’est le quartier de Vesterbro qui accueille les street-party, toute articulées autour d’un immense boulevard. Les danois savent faire la fête, on passe du hip-hop à la house en quelques mètres. Des mecs jouent au bière-pong pendant que leurs potes dévalent la rue dans un cadi de supermarché, d’autres grimpent aux lampadaires pour se faire une vue sur les festivités qui s’étendent à perte. Nous tombons par hasard sur la légendaire blockparty organisée par Fatberry’s & Revolt : j’en avais entendu parler la première année, je l’avais cherché la deuxième et finalement, je l’avais trouvé la troisième. Nous y passerons une grosse heure habités par un sentiment de bonheur tout à fait étrange, communicatif. En se promenant nous remarquons qu’un parc municipal prend feu, du moins c’est ce que l’on pensait en voyant la fumée noire s’y échapper. En y entrant on se rend alors compte que des mecs avaient installés un tremplin qui finissait sa course dans un cerceau enflammé (le tout était sans-doute orchestré par un sponsor). Une petite dizaine de tarés s’élançaient les uns après les autres skate aux pieds, seuls quelques un réussissent leur atterrissage. A quelques mètre de là, un groupe avait escaladé le bâtiment (qui devait culminer à 2m50) qui abritait les toilettes publics avant de se jeter ivre dans un tas de buisson devant une foule hilare. Un peu plus loin un type en combi intégrale de gorille se prenait pour
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que Tomas Barfod (que je rêvais secrètement de voir jouer depuis un bon moment). Après avoir barbotés un (trop) long moment, nous rejoignons trempés (bah oui, pas de serviette non plus) la scène principale qui se situait dans le gymnase de l’hôtel. Cette petite aventure m’avait donné l’impression d’avoir sévèrement désaouler et je me plonge, une fois de plus ce soir là, tête la première et carte bleue en l’air vers le bar. Grave. Erreur. J’arrive tout de même à m’exalter sur le live de Todd Terje avant de sombrer dans le black-out le plus total. Pendant ce temps-là mon camarade bien plus sage avait lui fait la rencontre d’une charmante décoratrice d’intérieur finlandaise, c’est comme ça que notre duo allait se transformer en trio pour une petite partie de ce qui nous rester à vivre à Copenhague. Nous venions de passer vingtquatre heures complètement démente.
différentes, la fête commence en milieu d’après-midi et ne s’arrêtera qu’à l’aube du jour suivant. Après trois jours de fête ininterrompus, il va falloir être solide. Nous rejoignons en début de soirée notre amie finlandaise devant l’entrée du site et sympathisons avec un couple d’ami londonien qui passera une partie de la soirée avec nous. Nous passons les premières heures à se familiariser avec les lieux, s’arrêtant aux hasard sans connaître véritablement les artistes qui se produisent, c’est immense et nous ne voulons pas perdre de temps à chercher les scènes. L’organisateur du festival est français et ça s’entend dans la programmation. Nous passons d’abord voir Ivan Smagghe avant de filer aux côtés de Myd et Sam Tiba qu’on croise régulièrement. Le charme français opère et c’est ensuite à Hudson Mohawke de prendre la relève. J’ai vaguement essayé de convaincre mes amis d’assister au live de Mykki Blanco, mais le rappeur trans-genre a une demi-heure de retard et est visiblement défoncé, pas du goût de tout le monde, je n’insiste pas. Nous revenons ensuite sur nos pas de la veille puisque la salle d’escalade est l’une des scène ouverte, rien n’a changé. Ten Walls termine son live en fanfare pendant que Michael Mayer s’apprête à enchaîner. Comme la veille nous nous faufilons jusqu’à lui pour profiter pleinement du spectacle.
DAY THREE C’est vendredi mais j’ai l’impression qu’il est dimanche. Ca tombe bien c’est le jour qu’avait choisi les organisateurs pour lever le pied. Pas de street-party l’après-midi, j’ai le temps de reprendre des forces. La soirée a lieu dans une salle d’escalade près d’un ancien complexe portuaire où allait avoir lieu la final-party du lendemain. Le DJ booth est installé seul au premier niveau de la salle tandis que le public reste au sol. Les installations lumineuses sont incroyables, toute la salle est plongée dans un délire à la Gaspard Noé pendant que Skream puis Boys Noize distillent leur savoir. Il fallait qu’on les rejoigne, profitant de nos accréditations et de la crédulité du bénévole/sécurité, nous montons facilement à leurs côtés. Nous passerons le reste de la soirée perchés là-haut à profiter du son et de la vue qui à eux seuls valent bien de s’arrêter un moment.
DAY FOUR Ca y est, LA Final Party ! Plus de la moitié des artistes bookés pour le festival sont programmés ce soir sur douze scènes
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Je suis éperdu d’admiration pour ce mec et les quelques mots échangés avec lui me conforteront dans l’idée qu’il s’agit de l’un des DJs les plus sympathique qu’il m’ait été donné de rencontrer. Deux ans plus tôt quasiment jour pour jour, c’était déjà lui qui nous avait permis de monter au devant de la scène pour mon premier Distortion. Au Danemark au mois de juin, les premiers rayons de soleil font leur apparition entre trois et quatre heure du matin. C’est aussi l’heure à laquelle la plupart des festivaliers décident de rentrer. Le temps de dire adieu a nos compagnons d’un soir, nous décidons tout de même de faire un crochet sous la tente où Superpitcher se produisait. Quelques pas de danse plus tard c’est déjà fini. Il n’y aura pas de « day five » pour nous, si des afters sont organisés jusque midi, nous n’avons pas les ressources pour y assister, d’autant plus que notre avion décollait très tôt le lendemain matin. Au revoir Copenhague, on a déjà rendez-vous pour l’année prochaine.
DISTORTION FESTIVAL
www.cphdistortion.dk www.facebook.com/cphdistortion · 149 ·
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REPORT par Paul de Pone
LA ROUTE DU ROCK
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u 14 au 16 août avait lieu la 23e édition de la Route du Rock et aussi dingue que cela puisse paraître, c’était seulement la toute première fois que je trainais mes groles à St Malo. Des bottes, un K-Way, des bières et 200 km plus tard, on foulait les terres bretonnes prêt à planter nos tentes dans les pâtures du fort St Père. Ça vous dit on vous raconte ?
JOUR 1 A peine nos matelas gonflés que la pluie s’est abattue par kilolitres sur le fort St Père. Putain d’merde, il pleut dans la tente. Avec un sac plastique et du tarlatan, je bricole un petit pansement système D. Ça fera l’affaire. La pluie cesse. J’enfile mes bottes, et on se taille visiter le fort avec les potes. Il y a de la boue partout et croyez-moi, la boue de St Malo n’a rien à envier à la boue de Dour. La pluie reprend. Ça commence mal putain. Sous des trombes d’eau, la belle Angel Olsen ouvre les festivités. Quelques courageux planqués sous des ponchos et K-way colorés se massent devant la scène des remparts. L’américaine ne se laisse pas abattre par la situation, elle donne tout ce qu’elle
a et blague sur ce temps de chiotte. Nous on abandonne, on va se mettre à l’abri à l’espace presse. Il faut qu’on traverse un lac de boue d’au moins 10 mètres de long et monter un côte glissante de 45 degrés. On se croirait dans un vieux reportage d’M6 sur les entraînements de la légion étrangère. On a froid. La pop américaine de Real Estate nous réchauffe un peu mais la pluie nous a sacrément ramolli. On fait les 400 pas pour trouver un coin au sec ou poser nos fesses en attendant Caribou. Le temps passe au ralenti sous la pluie. Dan Snaith installe ses machines bien au chaud dans son jogging, on s’approche de la scène. Des bretons bien chauds chantent quelques chansons tandis que des bobos discutent musique « non mais moi j’ai choppé le leak de Our Love il y a au moins six mois… ». Le contraste est saisissant. Le live commence, tout le monde se tait. Une harmonie se créé
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la belle Anna Calvi. On a remarqué qu’il y avait deux genres de types qui profitaient de la route du rock : les futés, qui ont pensé aux bottes et aux K-way, et les nanards, pieds et torse nu, un verre de rouge à la main.
entre les voix, les instruments, les machines, les morceaux très dance, et les tubes. Caribou distille tout l’amour de son « Our love » sous un jeu de lumière sophistiqué. On danse, les pieds englués dans la boue, il faut jouer du bassin pour ne pas tomber dans les mouvements de foule et renverser notre bière diluée sur les cheveux de la nana postée devant nous. Ça valait le coup d’attendre. On sort des sables mouvant pour voir de plus loin ce qui fut le dernier concert de Darkside en France. D’ici le spectacle est grandiose, tout en contraste, en clair obscur et en contre jour. Nicolas Jaar est penché sur ses appareils tandis que Dave Harington câline sa guitare. La fumée de la scène se confond avec celle qui émane de la foule. C’est beau. Il pleut toujours.
Le fort St Père est plus pleins qu’hier et beaucoup de personnes sont la pour voir Portishead, 16 ans après leur premier passage à la route du rock. A 11h, Beth Gibbons entre en scène. Des les premiers accords de guitare et les premiers voix, on se sent transporté dans une tout autre dimension. J’entends deux femmes, la trentaine bien entamée, dire qu’elles attendaient ça depuis longtemps et qu’elles avaient l’impression de revivre leurs années lycées. Je savoure l’instant. La mise en scène est assez sobre, la douce Beth chante sous un halo de lumière théâtral les mains cramponnées au micro et les yeux à demi clos. Derrière elle trône un immense écran géant où des images tantôt graphiques, tantôt d’archives défilent. C’est déjà fini. Mais… Voilà que… Quelqu’un pose ses mains sur mes épaules et m’embarque. Qu’est-ce que c’est que ça ? On dirait une chenille géante… Les gens s’accrochent et déambulent à la queue leuleu chantant à tu tête « Accroche tes mains à ma taille, la chenille corsaire ne fait pas dans le détail ». Ca ne ressemble à rien mais la légende dit que cette
JOUR 2 L’atout de la Route du rock c’est son système de navette gratuite jusqu’à la plage de St Malo où on peut croiser quelques corsaires et déguster des galettes saucisses en regardant des concerts gratuits. Au fort, de la paille a été installée partout, ça pue la ferme mais c’est mieux que la boue. On se poste tranquillement devant la scène pour voir
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tee shirt Simpson, c’est bien notre bon vieux Mac qui rentre en scène. Les premières notes de Salad Days retentissent. Le soleil est revenu, tout le monde a troqué son K-way pour un sweat. Des fans du chanteur canadien sont agglutinés au premier rang, ils dansent et hurlent pour attirer l’attention du chanteur qui finit par communiquer avec eux avec les mains. Mac multiplie les jacqueries, il frappe le micro contre ses fesses, lance sa bière, chante avec sa clope au bec, lance des vannes à tout va et va même jusqu’à changer une corde de sa guitare tranquilou laissant ses copains improviser un petit bœuf. Deux montgolfières passent à ras de sol, la foule leur fait une standing ovation. Le spectacle est beau. Mac à l’air bien dans ses van’s, il se lance dans la foule. Moi qui suis pourtant un pro du crowd surfing, je dois reconnaître que Mac est le patron dans ce domaine. 10 minutes de bain de foule pendant lesquelles ses copains maintiennent la mélodie. Mac remonte et nous gratifie d’un « Et bhen dit donc vous aimez touchez des bites vous ? ». Ce fut l’un des moments forts du festival et on était prêt à admettre que la Bretagne… ça nous gagne.
chenille sans queue ni tête aurait atteint 3000 participants. Ils sont fous ces bretons. C’est l’heure de Moderat, ils ont du retard car l’équipe technique met du temps à installer et paramétrer les 5 écrans géants disposés en étoile. Un étudiant en ingénierie des arts (et ouais mec) m’explique que les 5 écrans sont commandés par un même ordinateur et que leur disposition permettra de créer l’illusion de la 3D. Il est fasciné par l’installation et moi par la précision de l’explication. Le concert débute. New Error. C’est jouissif. Ca monte en nous. C’est beau. Ce live est une savante combinaison des morceaux de leurs deux albums. L’acmé du concert, c’est indéniablement le morceau Milk dont la puissance nous envoie loin de la terre.
JOUR 3 Il serait grand temps de se décrasser. Dans la queue pour les douches, qui au passage étaient froides, pleines de boue et sans lumières (t’es un dur ou tu l’es pas), on entend parler de Moderat partout. « C’était le meilleur concert », « T’as été voir Moderat, c’était dingue ». Décidemment, le live des berlinois a mis tout le monde d’accord. Pas le temps de flâner, on se dépêche de rejoindre le site pour ne pas louper Mac Demarco. Son batteur, humoriste dans l’âme, termine son pitch d’introduction théâtral par un « Ladies and Gentlemen… Maaaatt DAMON ». Vieux Jean, casquette et
Tonton Baxter Dury enchaine, vêtu de son éternel costume et de sa chemise négligemment ouverte. Le mélange de classe et de nonchalance détonne, l’attitude du personnage fait rire. Il nous faut attendre encore, car notre prochain rendezvous c’est Jamie XX et ça s’passe bien après minuit. Le génie anglais fait danser tous les festivaliers et nous gratifie de tous ses plus beaux morceaux -Girl, The sleep Sound- et remixs -Sunset de The xx, Lion de Four Tet- . La seconde partie du set, plus disco, plus dance et moins Jamie XX nous laisse un peu perplexe. Pas grave, car Todd Terje est là pour clôturer la route du rock en beauté. Le norvégien transforme le fort St Père en danceflor et nous offre sans faire de chichi et très efficacement les morceaux géniaux de son premier album It’s album time. Si l’on avait deux choses à retenir de la route du rock 2014, ce serait avant tout la folie des concerts passés 23h mais aussi la belle saucée qu’on a pris pendant les deux premiers jours. Mais bon, il faut se rendre à l’évidence, la route du rock ne pouvait pas avoir et la meilleure prog de l’été et un temps de curé.
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LA ROUTE DU ROCK
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REPORT par Max Ltnr & Victor Tessier
WECANDANCE
L
e rendez-vous était coché depuis de nombreux mois, on m’en avait dit monts et merveilles, la deuxième édition du WECANDANCE Festival avait lieu les 9 et 10 août dernier sur la plage de Zeebrugge. L’occasion pour moi de vérifier si toute ces éloges étaient justifiées.
Fidèle à ma réputation je suis en retard … d’un jour. Certaines obligations m’ayant tenu à l’écart de toute fête la journée et soirée du samedi, pas une coupe de champagne, pas un gin tonic, rien, même pas l’ombre d’une chansonnette vaguement festive. Dimanche, c’est donc remonté comme un coucou que je fais route vers Zeebrugge et la Belgique que j’aime passionnément, pour sa bière, pour ses femmes (si si croyez-moi) et pour sa fête. A peine le temps de s’enfiler l’une de ses fameuses bières que je rentre avec mes camardes sur le site situé sur la plage. Il pleut et la majorité des festivaliers s’étaient réfugiés sous les tentes principales, à l’écart des quatre scènes où les premiers artistes commençaient à officier. Malgré tout quelque irréductibles en combi plastique s’affaissent devant les scènes verre à la main. C’est vrai que quand on a la dégaine d’un emballage bio-dégradable, l’alcool aide pas mal. En attendant que la pluie se calme je me renseigne sur
la journée de la veille, alors qu’est ce qu’on a manqué ? Apparemment, tout. Un de mes amis qui n’en est pas à son coup d’essai me confie avoir vécue la meilleure soirée de sa vie. La météo grisonnante ne rend pas hommage au lieu qui pourtant est superbement décoré à l’image du thème de cette année : Egyptian Love. Ah oui, WECANDANCE est un festival thématique, et si le dress-code n’est pas obligatoire, la majorité des festivaliers ont joués le jeu avec plus ou moins d’implication et mon œil ne peut s’empêcher de ricocher sur de superbes Cléopâtres et autres reines du désert, le nombril à l’air et les cheveux dans le vent. Le festival peut aussi se targuer d’avoir une sélection de restaurateur minutieusement choisi partout en Belgique pour rassasier la fameuse fringale du danseur, et à la tête de mes voisins de table, ça a l’air délicieux. Côté musique, Aguayo, DJ Harvey, Felix Da Housecat, Kink, RØDHÅD, Stwo et Sinjin Hawke sont les noms qui reviennent le plus souvent. Une partie des festivaliers avaient finis la nuit au WECAN’TSLEEP (l’after
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officiel mais payant du festival) pendant que l’autre partie se faisaient finir par la nuit sur le parking à proximité du site. Il doit être 15h30 quand la pluie se calme enfin et quelques rayons de soleils font même leur apparition. Il ne m’en faudra pas plus pour me jeter à corps perdu vers la scène hostée par Labyrinth Prod et l’H2O, je ne connais pas le DJ mais ayant passé le weekend a rongé mon frein, qu’importe. Un rapide coup d’œil à la programmation m’indique que Claptone et DJ Slow vont bientôt débuter sur les les scènes voisines. J’y ferais un rapide crochet avant de revenir sur mes pas, légèrement déçu. En route, j’aperçois deux chameaux taper discute sereinement au milieu d’une foule incrédule. Pourquoi pas. Il est 18 ou 19h quand la météo nous refait un caprice et que le vent se lève sensiblement. Trop même pour l’organisation du festival qui décide de fermer trois des quatre scènes par mesure de sécurité, ne laissant d’ouverte que « l’H2O Arena » (c’est le petit nom qu’on lui donnait) qui avait la chance de posséder des infrastructures en dur. Un décision qui ne manqua pas de révolter une partie du public. Personnellement cela n’allait rien changer à ma journée, j’y avais déjà passé la majorité de mon temps et je comptais bien y rester, mieux encore les festivaliers
étaient maintenant obligés de se rassembler pour une folle communion où un grandiose Ten Walls distribuait l’hostie. A partir de ce moment là, tout s’enchaîne à la vitesse éclair et je n’ai pas eu le temps de voir que la nuit était tombé et qu’il était bientôt l’heure de plier bagage. L’expérience est totale, musicalement, visuellement, gustativement. A mon humble avis ce genre de festival à 360° représente l’avenir de la fête où une simple succession de noms à la programmation ne suffit plus. Tale Of Us sont les derniers à se produire et leur remix de Caribou – Can’t Do Without You résonne comme un hymne que tout le monde s’approprie. Il est minuit, dans quelques heures la semaine reprend ses droits et la perspective de la journée de travail qui m’attend a vite fait de me refroidir. Pour vous donner une idée WECANDANCE est au teufeur ce que Disneyland est au gamin de 10ans. Plein les yeux plein la tête.
WECANDANCE
www.wecandance.be www.facebook.com/WECANDANCE.FEST · 159 ·
REPORT par Max Ltnr
DEKMANTEL FESTIVAL
C
hoisir de placer son budget dans un festival qui fête son deuxième anniversaire était certes plus risqué que de foncer une énième fois les yeux fermés à Dour ou n’importe quel autre nid gravitant autour de la capitale. Cependant, malgré son jeune âge, le Dekmantel attirait déjà une petite foule de spéculateurs, dont RA qui osait le classer meilleur festival à venir du mois d’août.
Derrière ce beau nouveau-né se cache le collectif / label Dekmantel qui, depuis 2009 s’est constitué un carnet d’adresse techno des plus enviables, leur permettant rapidement de collaborer avec certaines de leurs idoles de Détroit et d’ailleurs. Fidèles à leur adage « small festival, big names », les jeunes néerlandais ont réussi le pari d’une line-up à la fois pointue et fédératrice, où se mêlent harmonieusement artistes de leur label, figures de la scène techno UK et berlinoise, producteurs de Détroit, et quelques têtes d’affiches plus classiques mais néanmoins toujours aussi appréciables. En définitive, une barre suffisamment haut placée pour nous faire décoller en bande vers les bois d’Amsterdam afin de vérifier par nous-mêmes si la forme allait supporter un tel fond.
travers le line-up et - la scène principale mise à part - il y a toujours assez de place pour danser, condition nécessaire à l’épanouissement du néo-raveur contemporain. L’horaire diurne (13-23h) s’avère étonnement optimal (surtout quand on n’a qu’une tente à même le sol pour atterrir) et de toute façon la distance entre le lieu du festival et les afterparty (payantes !) eut vite fait de dissuader la plupart des plus endurants qui finirent par autogérer leurs propres afters sous la lumière grésillante des douches du camping. Les plus pressés s’improvisèrent même ingénieurs civils, sous les yeux de quelques flics désarmés, construisant des
Arrivés sur place, les dimensions se ressentent immédiatement : assez grand pour se permettre d’accueillir autant d’artistes, mais modeste dans son infrastructure. Une scène principale (RA), un chapiteau (XLR8R) et 3 petites scènes enfoncées dans les bois (Boiler Room, RBMA) avec à chaque fois la possibilité de s’étendre dans l’herbe tout en continuant à se remuer. La formule fonctionne : on se sent privilégié de pouvoir naviguer avec autant de facilité à
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ponts de fortune par dessus le canal pour accéder plus rapidement à leurs tentes. Une fois mis en route, le festival fut principalement porté par sa programmation sans trop s’essouffler, si ce n’est toujours moins que nous. On retiendra entre autres le vif set de Traxx, un Ben UFO subtil et entraînant en même temps, Talaboman qui nous ont surpris par la pertinence de leur coopération et la techno pointue d’Andrew Weatherall. La scène Boiler Room aligna quelques très bons épisodes : Joey Anderson qui avait déjà fait ses preuves la veille sur la scène XLR8R, Motorcity Drum Ensemble qui provoqua sans surprise un engouement général en fin de journée, le label canadien Mood Hut avec Hashman Deejay & Pender Street Steppers, Space Dimension Controller, Young Marco, etc.
furent donc largement tenues. Même trop largement car impossibles à apprécier pleinement faute d’horaires superposés. Faute tactique ou chance du débutant ? Quoi qu’il en soit le Dekmantel a relâché une horde de festivaliers pourri gâtés qui risquent désormais d’errer en quête d’une telle programmation pendant un bon moment.
Apogée inattendue du weekend : samedi après-midi, craignant une tempête, les organisateurs prirent la décision de fermer temporairement les trois scènes extérieures et mettant fin au set à peine amorcé de Jay Daniel et Kyle Hall. Moindre mal pour un plus grand bien, une fois la menace météorologique écartée, c’est un b6b inédit qui nous attendait dans la forêt. En effet, les deux jeunes producteurs de Détroit se sont agréablement greffés au set de leurs compatriotes du supergroupe Three Chairs (Theo Parrish, Moodymann, Rick Wilhite et Marcellus Pittman) nous consolant avec une performance de 6 heures portée par une foule de festivalier hypnotisés par un Theo Parrish particulièrement transportant. Pour ce qui est des promesses concernant le fond, elles
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DEKMANTEL FESTIVAL www.dekmantelfestival.com www.facebook.com/dkmntl
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REPORT
par Eric Rktn - Crédits photo : Victor Tessier
DOUR FESTIVAL
L
a Vallée de la Machine à Feu a beaucoup de souvenirs de vous, de moi. Qu’ils soient physiques ou matériels, nous avons tous cette chose en commun de repartir différents après Dour. Cela fait partie du deal sous-entendu contre lequel les festivaliers s’approprient le moindre carré d’herbe, la moindre parcelle de piste de danse en bois, en arborant des tenues improbables : comptez cette année deux légionnaires romains, trois pikachus, autant d’ours en peluche, avec tous la teuf en dénominateur commun, on n’est pas à Coachella non plus, même s’il y a beaucoup de bobs et de couronnes de fleurs.
Génération Majestic Casual, le public de Dour est éparpillé, zappeur, mais pas ignorant. La majorité d’entre eux étant même très exigeante, il suffit de jeter un œil à la programmation pour voir que ce ne sont pas les têtes d’affiches qui sont les rois sur quatre jours. Au contraire, ils ont même été relégués au premier et au dernier jour, comme si le festival souhaitait donner le maximum de visibilité aux découvertes, juste avant leur explosion au grand public. Pari gagné.
Chutes du Niagara & Diabolo fraise.
Je déboulais jeudi, en croyant pouvoir résister aux températures caniculaires juste avec une paire de lunettes et un orgueil en ombrelle, trop fin, laissant passer le soleil et ses coups dans mon cou. Je retrouvais des amis qui avaient déjà commencé la veille, sans aucune programmation, avec 30 000 autres festivaliers précoces. Que s’était-il passé ? S’étaient –il occupés en faisant des jeux de société assis dans l’herbe ? Avaient-ils fait un apéro dinatoire pour apprendre à se connaitre ? Toujours est-il que j’arrivais en retard pour Son Lux, mieux, en prenant soin de le louper de la première minute à la dernière seconde. Il y a des artistes comme ça, pour lesquels vous avez beau vous organiser,
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le répéter autour de vous, régler des alarmes et des réveils, vous les louperez quand même, et surtout aussi souvent que l’occasion se présentera. Pour Son Lux, le compteur tombait maintenant à quatre. Je ruminais cet échec dans le fond d’un canapé de l’espace presse, quand un petit bonhomme un peu rouge vint s’asseoir à côté de moi, entamant une interview avec Baron, un gredin comme Beware Magazine en compte des dizaines. Je balayais des yeux l’espace tout en bois, qui n’avait pas changé d’un poil depuis l’année dernière : ces mêmes néons aux lettres du festival, ce même confort du mobilier en cuir noir et cette impression d’open space au milieu de journalistes très sérieux qui vous regardaient de travers quand parliez un peu trop fort, le bar fait de bidons illuminés qui, pour des raisons que seuls les gens sobres comprenaient, n’ouvrait qu’à 12h30. Contre les tables servant à travailler, de l’autre côté de la clôture, les bruits du catering qui servaient à manger aux artistes, et puis ce mec à côté de moi, qui racontait vouloir travailler avec Bjork, être content de l’album de Sisyphus. Je compris alors trop tard qu’il s’agissait de Ryan Lott en personne parlant de Son Lux. Ma malédiction venait de franchir un niveau supérieur de frustration, de type « plus sous ton nez que ça, c’est ta moustache ».
formule courte de festival, ce même sentiment que j’aurai sur Rone, aussi bouleversant qu’un épisode de Fort Boyard. Mes inquiétudes se consumèrent dans une cigarette qui fait rire, et d’un coup tout ceci n’avait plus d’importance, ni la musique d’ailleurs. Je me surpris alors à m’asseoir à chaque concert, au milieu de la foule, pour observer les messes données par Mount Kimbie, Sinjin Hawke et Wave Racer. D’un coup, un garçon se jeta contre une des barrières, expulsant par sa bouche l’ensemble des boissons ingurgitées dans une imitation complètement acceptable des chutes du Niagara, bruit assourdissant compris, peut être tentait il de parler (crier ?) pendant l’acte. Une main sur la barrière, une autre sur le sol, il était dans un angle idéal à ma vue, me donnant une perspective digne d’un tableau hollandais, à moitié sous le chapiteau, à moitié sous le soleil, au milieu de gens qui ne regardaient pas â terre, trop hypnotisés par les boucles auditives des Mount Kimbie, se serrant dans les bras, se tenant les mains avec intensité. Le temps semblait s’être arrêté pour tout le monde, même pour le mec chutes-deNiagara qui restait immobile, certainement à juger du bien, du mal et des actions qui avaient engendré sa position improbable actuelle. On le laissa méditer là, le voyant lentement enfiler un bonnet, je n’osais pas lui dire qu’il faisait 32 degrés Celsius.
être roux et barbu n’est pas un handicap tant qu’on produit une musique qui fait l’unanimité
Consolation de luxe, je me pointais à temps pour Chet Faker, et vu la foule massée jusqu’en dehors du chapiteau, on peut considérer qu’être roux et barbu n’est pas un handicap tant qu’on produit une musique qui fait l’unanimité. Enfin sur papier cela sonnait bien. On avait du mal à retrouver l’intimité des chansons de Chet, même si le public chantait les refrains à gorge déployée. Peut-être la faute à cette
En changeant de scène, je devenais soudainement causant, croisant quelques amis qui hurlaient pour me répondre audessus des kicks industriels de Blawan. Son set était comme se retrouver à l’intérieur du cœur d’un robot qui battait très fort, et dont les résonnances métalliques vous faisaient penser que vous étiez également une machine. Comment
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un homme aussi petit que lui pouvait contenir autant de violence ? Avais-je atteint le point Godwyn musical de ce soir ? On me raconta qu’en dehors de ses sets, Blawan a une voix douce et est une crème de sociabilité, le genre de mec qui commande sans pression un diabolo fraise pendant que son public se cogne la tête de rage contre les poteaux, imaginant les choses les plus dark de la Terre : ai-je bien fermé ma voiture à clé en partant ? Y aura-t-il de la pastèque au petit déjeuner demain ? Depuis quand j’ai une vision fish eye ?
Agence de voyage & ethnologie mineure Rajoutez ça sur le tableau noir de mes malédictions : j’ai encore raté Fakear. Mais pas son interview. Et il est agréable de voir que son discours n’a pas changé depuis la première fois où je l’avais croisé à Beauregard. Théo reste sincère, et je ne parle pas de la sincérité d’un mec qui est allé dans quelques pays du monde avec ses parents, trainant dans des villages
vacances, achetant des tongs en pneu fait main labélisées « ça fait marcher l’économie locale », et les bazardant à la poubelle une fois rentré à la maison, parce que pas pratique pour rouler en Smart polishée vers son cours hebdomadaire de yoga, non. Fakear a réussi à inventer la world music d’un pays qui n’existe pas, et beaucoup d’agences de voyage feraient mieux de calquer leur business plan sur son premier EP. Je filais du côté du Terril, nouvelle scène mise en place pour faire briller les collectifs locaux, c’est donc sans surprise que j’y retrouvais nos amis de La Classique, offrant t-shirts, live performances de graphistes et djs résidents, ambiance comme à la maison et musique généreuse avec une scénographie empruntée: une structure en dôme qui allait finalement bien avec le C massif, logo taillé dans le bois. Malgré un public peu nombreux, ceux présents ne faisaient pas la gueule, enchainant les danses sur des sets allant de la techno jusqu’à la french house. Le Terril ne sera malheureusement pas plus rempli le reste du temps, mais c’est bien là-bas que mon cœur tanguera le plus, noyé dans une houle provoquée
une imitation complètement acceptable des chutes du Niagara
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par la présence féminine devant, mais aussi derrière les platines. Le lendemain, le collectif de La Superette prendra les commandes, avec Liyo , Stef et un set rap plus ballzy qu’un bodybuilder sous stéroïdes. La même interrogation que pour Blawan se posera : Qui aurait pu se douter que ces filles charmantes distribuant leurs flyers étaient capables de basses si lourdes ? La nuit était tombée, et moi aussi. Un peu désorienté, je m’installais en plein milieu de conversations déjà engagées, les coupais, donnais un avis à côté de la plaque. Tout le monde semblait bien le vivre, et le courant passait plutôt pas mal, Baron sortit un enregistreur et le colla sous le nez d’une festivalière comme une glace deux boules qu’un père donnerait à son gosse. « Qui es-tu, que fais-tu ici, où est l’amour à Dour ? » Nombre de gens ce soir répondirent qu’ils étaient ici pour fêter leur bac, ce qui me fit poser deux questions, à savoir si l’obscurité était mauvaise pour ma perception de l’âge, ou si nous avions une inclinaison pédophile dont nous ne connaissions pas l’existence. Dans les deux cas, je prenais un coup de vieux, non, une wrecking ball de vieillesse directement dans les dents, comprenant mes clichés des années 90 bons pour la poubelle: baskets qui clignotent, yo yo, pogs, tamagotchis et corde à sauter. Pas de temps mort, je m’enfonçais au cœur de la teuf, au grand chapiteau Balzaal pour Claptone, Kolsch et leur jeu de lumières qui firent passer le château de Versailles pour
des guirlandes de Noël poussiéreuses. Les lasers tournaient, ma tête aussi. Autour de moi, chacun cherchait son point de fuite (en avant), son rythme binaire, un sol pas trop gondolé, de l’espace pour ses bras, des bouteilles d’eau pour son corps. La masse humaine moite s’uniformisait en un vaste mouvement commun, tous se sentaient fondre dans le même mouvement, mais personne n’en connaissait un seul morceau, du fond de la salle, les DOUREHHH de la foule commençaient à retentir, à répétition, de plus en plus fort, c’était pour ce moment qu’ils étaient là, artistes compris, car ils savaient ne le verraient jamais dans un autre festival, c’était peut-être ça l’amour à Dour.
Partouze douce & zoophilie prothèsée Je me réveillais à l’envers, ma tente ouverte, sûrement par réflexe de survie et en prévision d’un soleil qui taperait fort. A croire que mon état second devrait être le premier, ou l’inverse, je ne sais pas. Reste que les photos conservées dans le téléphone furent ma meilleure mémoire externe, injustement floues, affichant 15 clichés (soit 15 tentatives de photos) d’une fille dont je ne connaissais pas le nom. Dans les yeux de tous les festivaliers, un sentiment que la nuit n’avait pas été très clémente. Certains partaient en courant vers le Bar du Petit Bois pour s’allonger dans l’herbe, s’enfoncer dans un hamac, poser sa tête sur le ventre d’un pote pas trop maigre. L’impression d’intimité
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maternité, pendant que je filais à Shigeto, c’était presque la fin. Le peu que j’en entendis réveilla tout l’intérieur de mon corps, expérience étrange que ce live quand on connait l’histoire de son dernier album « no better time than now », comme une façon d’extérioriser physiquement tous les mauvais ressentiments, il y a du mystique, quelque chose de vaudou chez lui qui vous fait directement plonger dans sa tête. De son propre aveu, il annonça que ceci était « a message to myself , focusing on present », c’était comme suivre une thérapie de groupe menée par le malade, ce qui rendait son œuvre d’autant plus attachante, on en restait sans voix, comme devant The Hives, mais pour d’autre raisons. Cela faisait partie du package des choses qu’il fallait laisser à Dour. Les suédois, en bons chirurgiens n’ont pas leur pareil pour vous arracher vos cordes vocales, pour les agiter sous vos yeux, et si vous pogotez, c’est simplement parce que vous cherchez à les récupérer. Comme un dompteur face à des animaux sauvages, Howlin Pelle lâche des « shut the fuck up » arrogants après avoir demandé comment allait l’assistance, arguant qu’ils sont le meilleur groupe de rock du monde, et ils n’ont pas tort. à plusieurs revenait peu à peu dans cet antre du calme, ce temple du chill, et il ne serait pas étonnant qu’une partouze douce y naisse un jour. Chacun observait l’autre, l’air de dire « je sais ce que tu as fait hier, moi aussi, je ne te juge pas», ça fait beaucoup juste dans un clignement d’yeux, mais ça a l’avantage de simplifier les rencontres impromptues.
Je fis ainsi un tour au stand voix, où l’on m’en dépanna d’une d’occasion, un peu cassée, un peu rocailleuse, un peu suave en fait, mais pas pratique pour commander une glace au milieu de 40 000 personnes parlant, criant, pleurant, vivant. Pour couronner le tout, la pluie arrivé, avec force, je me rappelais le Dour d’il y a quelques années pendant quelques minutes, mes chaussures dans la boue, mes chaussettes dans la bouche, et une foule de bons souvenirs qui remontaient à la surface me firent sourire dans le vide de mes pensées.
il arrosa de champagne tout le premier rang comme s’il avait gagné le Grand Prix de Monaco
C’est ainsi que je fis la connaissance de A. Une fille qui me raconta que dans sa jeunesse, elle avait soulagé un chien en rut par l’intermédiaire d’une prothèse laissée là par un ami, puis de la même manière un chat avec un pinceau. M’ayant annoncé au préalable qu’elle était vétérinaire, cela ne m’avait pas choqué outre mesure, ou c’était peut-être sa caution crédibilité pour que je ne me pose pas plus de questions. Dans le festival, sous la chaleur oppressante, les pompiers juchés sur leur camion, tiraient à vaut l’eau (expression exacte pour ce cas), sur la foule, pas pour éparpiller une manifestions, mais bien pour rafraichir les assoiffés qui se ruaient sous les jets, ravis comme des zombies dans une
Sprint Sonique et animaux en plastique « je pars, mais je ne sais pas » : L’indécision d’Antoine le dimanche matin, avec d’un côté le raisonnable et l’appel du lit moelleux, de l’autre celui de la nuit comme un dernier baiser avant la rupture. La raison, la passion, la passion, la raison. La moitié de notre groupe fila, obligations du travail oblige, l’autre moitié se serra dans les bras comme pour s’encourager à continuer. Les dimanches de festivals sont toujours plus relax, tellement qu’on peut même se laisser
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aller à écouter du reggae. Mais pas à Dour, où les têtes d’affiches qui s’accumulent sur le planning ont des allures de sprint sonique cinq étoiles…Tout alla si vite, et il est plus que probable que la fatigue ait altéré ma mémoire. Je me souviens des visages devant Phoenix, avec la même expression que lorsqu’on visite un musée : on regarde en l’air, on est impressionné par la beauté de la chose. Puis on se martèle, on s’hypnotise une dernière fois avec Daniel Avery qui, fait étrange, semble communiquer avec la foule par sa musique, il lance une nappe synthétique, les DOUREUH se font entendre, progressifs. A leur paroxysme, Daniel répond et ajoute un kick vicieux, progressif lui aussi, et la foule reprend ses cris, ce manège dura tout le long de son set avec cette sensation finale que nous avions eu une discussion plutôt sympa, vivement le prochaine rendezvous galant. Quelques interludes flous plus tard, je retrouvais les derniers survivants aux côtés de Mr Oizo sur une scène, prêt à jouer. Un mec me tapa sur l’épaule en me demandant une clope, il parlait du nez avec un accent bizarre. Je levais la tête, c’était Boys Noize, venu soutenir la moitié de duo qu’il forme avec Quentin Dupieux sur Handbraekes. Ça sentait la fin dans tous les sens du terme, le public, les bénévoles, les journalistes, la sécurité, les hôtesses sexy
des stands d’alcool, les gérants de baraques à frites, les techniciens, régisseurs, tour managers et artistes restés là. Tous avaient en tête qu’il s’agissait des derniers instants d’un marathon long de quatre jours. Quentin leur donna ce qu’ils attendaient : un bon gros lâcher d’adrénaline, de joie, de cris, de n’importe quoi. Les filles exhibèrent leurs seins nus, des animaux en plastique volèrent dans l’assemblée, la sécurité ne vidait plus des bouteilles d’eau aux premiers rangs, mais balançait sans compter des canadairs de 5 litres sur une foule massée, Rémi qui accompagnait Oizo respecta le rituel habituel et arrosa de champagne tout le premier rang comme s’il avait gagné le Grand Prix de Monaco. Terminé. Je m’effondrais dans mon sac de couchage en essayant de faire le point, cela dura deux secondes avant que le sommeil me gagne. De courte durée, car un mètre plus loin dans un abri voisin au mien, j’entendis une discussion, qui se transforma en rires, qui se transformèrent en gémissements de plaisir alors que le jour se levait. J’ai trouvé l’amour cette année à Dour, il se trouvait dans la tente d’à côté.
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DOUR FESTIVAL
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REPORT par Paul de Pone
LE CABARET VERT
I
l y a plusieurs façons de parler de Charleville Mézières. D’abord la culture qu’on appellera noble en parlant de la ville comme celle qui vit naitre Rimbaud, sa clairvoyance rimée, ses poches trouées, son envie viscérale de s’évader. D’autres parleront de culture plus populaire et du fantastique festival de marionnettes qui ne cesse de prendre de l’ampleur depuis 1961, rassemblant presque autant de public que le festival d’Avignon (sauf que ces acteurs-là ont une gueule de bois permanente).
Il en est une autre tout aussi exaltante, c’est qu’en 2004 Charleville a accueilli la très prisée coupe du monde de boomerang pour la première fois en France depuis la création de la compétition en 1991. Une compétition d’ailleurs encore très jeune, qui n’en était qu’à sa huitième édition bien qu’elle ait lieu tous les deux ans, ouais les gars, on n’est pas des joueurs de foot fainéants. Etonnamment, les champions en équipe de la discipline n’étaient pas les australiens comme on pouvait le soupçonner, étant donné leur paternité du sport, mais les américains aux coudes à coudes avec l’Allemagne, talonnés tant bien que mal par des français manquant d’un rien de se hisser sur une marche du podium. C’était en position d’outsider que la France concourait en 2004 et qu’elle repartit vice-championne du monde en équipe, et où le
Razorback, club carolo-macérien reçut le trophée de la meilleure organisation sportive. Mathieu, notre photographe et résident de Charleville, avait déclenché ma curiosité à cause des boomerangs ornant son mur, m’expliquant rapidement les grandes lignes de ce sport inconnu mais non moins fascinant. Le calme régnait chez lui pendant que nous nous faisions une image mentale d’un kangourou frappé violemment par un de ces engins de mort aborigène. Au dehors, pas un bruit des 23 500 festivaliers par jours qui se pressaient dans les rues. J’exagère, le Cabaret Vert a cet avantage d’être un festival à deux pas de sa ville typique, où l’on peut s’y promener si l’on veut y voir la place Ducale, sœur jumelle de la place des Vosges à Paris, sans le côté bling bling, mais je m’égare. Bref, je revenais à Charleville,
CES ENGINS DE MORT ABORIGÈNES
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et j’étais content parce que je m’y sentais un peu comme chez moi, et parce que ce festival est avant tout une histoire de famille, d’amitié sur fond de conscience écologique. Tout est bon pour y arriver, des toilettes sèches aux cent paires de mains qui trient les déchets, récompensant ainsi le Cabaret en 2013 du « Greener festival » aka le prix prestigieux de niveau européen et mondial aka ils savent teuffer, ils savent trier aussi. Tout rapporter à la musique pour ce festival serait réducteur quand on tient les rênes d’une mécanique verte bien huilée depuis dix ans maintenant. Et la preuve d’une grande forme est sans aucun doute l’annonce du sold-out en camping dès le premier jour du festival, présageant d’un record de fréquentation qui ne tarda pas à exploser, la musique y était pour beaucoup, mais peut être que le sandwich de sanglier aussi, ou la bière locale, ou le stand de nos amis de Couteaux Suisses qui nous ont ouvert leurs portes et leurs bras une nouvelle fois.
que le groupe se défendait de faire. A raison, car ce n’était définitivement pas le cynisme qui guidait leur public, mais cette zone grise qu’ils avaient réussi à créer autour d’eux. Si bien qu’aller à un de leur concert, c’était se retrouver en face d’un groupe illimité scéniquement, mais aussi d’une audience qui avait lâché les chiens : des lapdances de filles montées sur des tables, des mecs déguisés en crocodiles qui pogotaient d’autres déguisés en infirmiers, et dans la foule Vadim, l’un des chanteurs qui distribuait des feuilles où y étaient imprimés des jeux, pendant que James montait sur le toit de la scène, agitant une branche en expliquant comment faire une bonne purée. On ne savait plus où poser le regard tellement tout autour de nous grouillait d’une vie étrange en totale roue libre.
COMMENT FAIRE UNE BONNE PURÉE
Avant tout, c’est une question d’accueil : du couscous familial aux sièges sur balcon, de la chambre d’enfant au dj set surprise d’un DJ Pone en forme, passant des classiques du rap sous les arbres intimes du Temps des Cerises. Que penser de Salut C’est Cool ? Que tout est dans le nom. D’une simplicité si frontale qu’on pouvait interpréter ça comme du second degré, comme une blague potache, ce
En interview ? Pareil, le groupe trouva un mec habillé comme Charlie et lui proposa de venir à leur second concert cette fois sur la grand scène, de se cacher dans la foule pour qu’ils puissent jouer à « où est Charlie » en vrai. Avoir autant d’idées à la secondes était usant, et on sentait le groupe fatigué d’avoir enchainé quatre interviews avant nous. Les réponses furent brèves, les questions confuses, et moi aussi je piquais du nez tandis que l’un d’eux jouait avec la feuille d’un yucca. Je les retrouvais quelques temps plus tard, James me dit qu’il avait fait une sieste et qu’il était à nouveau en forme, prêt à jouer. Le reste du groupe était en train de regarder le concert de Fauve sur la terrasse avec attention, c’était une scène surréaliste aux allures de grand écart qui se déroulait
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sous mes yeux. J’essayais de comparer la complainte de l’un qui chantait le désespoir d’une génération, et de l’autre une chanson qui disait que Tony Hawk était un extraterrestre tellement ses figures volaient haut. Mon cerveau explosa et se mis à me proposer des dilemmes du genre : du scotch ou des mobylettes ? Des chaussures bateau ou une danse de crabes humains ? Mes questionnements allèrent en empirant et atteignirent leur paroxysme le dimanche soir au camping, où un mec imita une limace sur une centaine de mètres, sous les cris de supporters enflammés, pendant que dans le fond une vingtaine de festivaliers frappaient sur un container poubelle avec ce qui leur restait de force et d’objets hétéroclites, en chantant uniquement avec des voyelles. Le futur de l’écologie était là, et il ressemblait à une sorte de techno acoustique vaudou dont aucun de nous n’avait la compréhension.
LE CABARET VERT
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REPORT par Max Ltnr
LES NUITS SECRÈTES
L
e Noeud Pap’ et les Nuits Secrètes, c’est une histoire qui dure. Ils étaient les premiers à nous faire confiance et c’est donc naturellement que nous leur rendons visite chaque année. Ce sont quelques 65 000 personnes (record de fréquentation) qui se sont rendus les 1e, 2 et 3 et août dernier à Aulnoye-Aymeries pour le festival qui confirme son retour en grâce avec une programmation qui alliait découvertes régionales, révélations françaises et stars internationales.
Le premier jour sera marqué par les belles prestations de nos français : Christine & The Queens fait le show et met une énergie folle dans une vraie performance où chant, danse et esthétique se mêle à la perfection, Orelsan (qui est un peu ici chez lui) et Gringe font monter le public en pression avec le rap qu’on leur connaît, quand à Surkin, son set électrisé et efficace avait fini des dénouer les dernières jambes réticentes. Mais la vrai attraction de cette première journée était berlinoise en la personne de Boys Noize. L’allemand supplée par les écrans de VJing situés derrière la scène tabasse le public de beats dont il a le secret. La Grande Scène tremble et les festivaliers avec, des immenses smiley jaune font leur apparition quand les premières notes d’ « Ecstasy » résonne. Qu’on se rassure, si le message peut sembler subliminal, il n’en est pas moins bon enfant et le public l’a bien compris. Les couches-tard finiront leur soirée à la Bonaventure – la salle entièrement dédiée aux afters du festival – où DJ Pone était programmé. Le deuxième jour est l’occasion de tester ou plutôt re-
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tester les parcours secrets qui font la singularité des Nuits Secrètes. Le principe est simple, les festivaliers embarquent dans un bus dont ils ne connaissent ni la destination, ni la programmation, surprise donc. Par chance nous avons la joie de découvrir que nos amis de Bodybeat (dont l’interview est à retrouver dans notre 4eme numéro) étaient au bout de la ligne. A notre retour et après une pause méritée à se prélasser au soleil sur la plage artificielle improvisée par le festival, nous nous rendons au Jardin (l’une des deux scènes) où Agnes Obel laissait opérer son charme devant un public forcement amoureux. Un danois peut en cacher un autre, ou plutôt plusieurs, puisque les scandinaves de WhoMadeWho distillaient ensuite leur pop électronique et terriblement dansante. Ces mecs sont de véritable bêtes de scène et sont complémentent déchaînés, nous l’étions tous. A mon sens, leur seule prestation méritait le déplacement. La nuit se terminera une fois de plus à la Bonaventure devant la techno de la belle et talentueuse Raving George suivi du jeune Valentin Marlin. Il n’y aura pas de troisième jour pour nous et c’est les jambes lourdes que nous quittons Aulnoye-Aymeries sans pouvoir profiter des dernières têtes d’affiche : Skip The Use, Chinese Man, Danakil, François &
The Atlas Mountains ou encore Salut C’est Cool. Une chose est néanmoins certaine, ce n’est que partie remise.
LES NUITS SECRÈTES
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REPORT par Paul de Pone
LE PRINTEMPS DE BOURGES
J
’avais compté quatre ans depuis ma dernière visite à Bourges pour le festival, quatre longues années où j’aurais eu le temps de vivre dix vies, mourir trois fois, ressusciter une seule fois, bref oublier mon passage au Printemps aurait été très aisé, mais les mauvais souvenirs ont la dent dure, et il n’existe pas de praticien assez talentueux à la surface de cette Terre pour vous l’ôter de la bouche.
STREET CREDIBILITY DE FÊTE FORAINE Ces souvenirs appartenaient au passé maintenant, l’indigestion aux oeufs par un membre des Crookers que deviennent-ils d’ailleurs ? - mon attente d’invitations qui n’arrivèrent que très tard, me faisant louper les 3/4 des concerts, et mon âme éparpillée ça et là aux quatre coins du festival. Mais tout cela était bien derrière moi et cette année pas d’entourloupes au programme, d’autant plus que le magazine pour qui j’écrivais s’était vu proposer de co-programmer un camion dj mobile.
Ils parlaient souvent de «scène» pour le décrire, ne soyons pas mégalo, si vous voulez savoir de quoi il avait l’air, imaginez un food truck passé entre les mains de fans du tuning et vous en serez encore loin. Mais il avait fière allure, et n’importe quelle baraque à frites du Nord aurait rêvé avoir des boomers de cette taille. Pas de jantes alu ou de becquets clinquant, mais 30000 watts bien tassés et une programmation à faire trembler l’ancienne capitale du Berry.
BOURGES SANS PLUIE, C’EST PAS BOURGES
Aussi rutilant fut-il, un camion reste un camion et quand le temps joue en votre défaveur, vous vous retrouverez seul, bien qu’au chaud, au milieu des enceintes qui vrombissent. Et c’est ce qui risquait d’arriver.
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Le temps n’était pas au beau fixe, on ne m’avait pas menti. Mais comme les locaux le disent si bien «Bourges sans pluie, c’est pas Bourges». A la réflexion, tous les festivals disent ça, certainement pour ajouter du pittoresque à l’ambiance, une excuse charmante que vous n’apprécierez que si vous êtes habillés en conséquence, ciré de rigueur. Pour ma part, je titubais déjà en débarquant à la gare, non pas à cause de l’alcool mais la succession de trois tapeculs sur rails que j’avais enchaîné, sans compter le matériel que je trimbalais comme un chameau dans un trek subsaharien. Check in d’usage, enchanté, serrement de pinces, tapes dans le dos, une vanne qui tombe à l’eau, tente plantée, bière commandée et moi derrière pour la siroter, tout rimait, j’étais prêt. Je décidais de faire un tour autour de notre désormais base, coincée entre une grande roue et un stand d’habits désignés par Booba, nous avions donc une street credibility de fête foraine, l’intitulé sonnait bien. Les familles en goguette n’en demandaient pas tant, en attente de leur tour de manège, elles se voyaient gratifier d’un dj set dubstep, pourtant réussi. Réactions mitigées, allant des mains sur les oreilles de leurs enfants à quelques pas de danse très hollandais volant des clubs. Aucune indifférence à l’horizon.
AMÔUR ET PÔLE EMPLOI. Je ne m’attardais pas, et fonçais visiter la cathédrale, ou m’abriter d’un temps capricieux, je ne sais plus. Il est toujours impressionnant d’entrer dans un lieu de culte
peu importe le contexte, et selon la majesté de l’endroit, n’importe quel athée se sentira coupable de la moindre faute à expier, abasourdi par des voûtes tutoyant le céleste qui nous perdent dans l’obscurité causée par des vitraux étonnamment petits. Claustrophobie religieuse, mêlée à une culpabilité naissante si vous lisez les posters ornant les colonnes: soyez généreux, aimez-vous, oubliez le préservatif. Autant de punchlines d’ecclésiastes vous faisant penser que vous avez quelque chose à vous reprocher. Je traversais la nef mains dans les poches, m’approchant du stand merchandising où s’agglutinaient cierges, chapelets et dévotes, qui parlaient du concert de Stromae plus tôt dans la semaine. Apres tout, elles aussi cherchent leur Père, peut on leur en vouloir? La nuit tomba plus vite que prévu, et Marklion accompagné de You Man du label Alpage s’installèrent aux commandes du camion, ajoutant de leurs loops électroniques un côté hypnotisant à la grande roue qui tournait, qui tournait, pendant que Charly du groupe Bison Bisou me parlait de l’absurdité de Pôle Emploi, mais aussi d’amour, son sujet préféré. Ce n’était pas pour rien qu’il avait monté un magazine du nom de Han Han, ce n’était pas pour rien non plus qu’a chaque publication je m’empressais de balader ma souris sur ces pages de romantisme innocent.
DES BPM COMME DES POKEMON. Perdu dans mes pensées, je ne vis pas tout de suite que tout le monde levait le camp pour faire honneur à la nuit, ailleurs.
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Loin de l’effervescence du centre, nous tombâmes au croisement de trois rues, avec au milieu une block party de type musique Motown, le genre qui déride les timides et fait exulter les fans de Soul Train. Je tentais des moves de danse avec mon voisin, qui ne répondit pas et se sauva en courant avec son sac à dos cramponné a son corps, je le suivis pour voir. A cinquante mètres, changement d’ambiance et soundsystem drum’n’bass, où les djs entassaient les BPM comme vous collectionnant des Pokemon, devant une foule les yeux rivés par terre, hochant la tête sous la capuche, cherchant des neurones tombés au sol. On me proposa très généreusement de finir la soirée dans un appartement non loin, il devait être 3h. Je demandais mon chemin et l’adresse d’une épicerie à un badaud.
des autres en portant des lunettes de soleil comme une vitre teintée sociale, cachant un regard médusant qui pouvait pétrifier ceux qui plongeaient leurs yeux dans les miens. En face de moi, Morgan du groupe Bel Plaine. Quand était-il arrivé? Nous avait-il entendus chanter faux? Le mal était fait. Nous parlâmes de son groupe et de leur superbe évolution live, à tomber par terre et à faire chanter les filles, mais nous discutâmes aussi audiodescription, son travail en dehors de la musique. Je me mis à penser aux blagues que je pourrais faire si un tel pouvoir m’était conféré, et la tête des gens qui me liraient. Étais-je encore ivre de la veille? Il était temps d’aller se calmer au fond d’une salle sombre et assis de préférence. C’est ainsi que j’arrivais au 22, pour y voir Rafael Gualazzi, prodigieux pianiste qui avait la fâcheuse tendance à faire cavaler ses mains sur les 72 touches, donnant l’impression de jouer dans un saloon pendant la ruée vers l’or. Le public était confortablement lové dans les sièges en mousse, mais on sentait l’envie de les dévisser du sol, bazarder ça dehors et user nos semelles sales. Un clin d’oeil et nous passâmes à une ambiance tamisée, Rafael prétextant essayer de jouer moins vite, où était mon peignoir?
hochant la tête sous la capuche, cherchant des neurones tombés au sol
Admirable. J’arrivais à l’after, ou à moitié fatigués et ivres, les occupants tentaient de chanter «New York I love you» de LCD Soundsystem, tandis que l’un, certainement plus ivre que les autres, tentait de le jouer au piano, puis ils tentèrent de regarder un clip de Todd Terje, mais la seule chose qu’ils purent faire convenablement ce soir-là fut d’aller se coucher.
AUDIODESCRIPTION ET NOTES DE FEUTRE. Il pleuvait encore dans ma tête lorsque j’ouvris les yeux le lendemain, n’ayant pas de parapluie mental, je me protégeais
Les notes feutrées se faisaient caresses et j’oubliais que je tenais un dépliant dans ma main, je m’oubliais, les gens autour, l’espace exigu, la voisine qui mangeait, la
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lumière du régisseur, l’obscurité de la salle, la pluie dehors. J’oubliais tout, sauf d’écouter son concert bien trop court qu’il terminera par: «This is the last song, I chose this one because...I wanted to, and Hem...well, no more reasons». Ce sera le seul moment de légèreté de la journée contrairement à la Rock’n’beat party et son artillerie lourde déployée.
L’HOMME, L’INTELLIGENCE, LA GUERRE Combo fatal des poids lourds de l’électronique française grand public, avec la puissance de feu d’un croiseur et des flingues de concours. Chacun y avait musclé son live, à commencer par Kavinsky et sa scénographie qui nous entraîna a toute berzingue sur une highway perdue dans un monde virtuel. Rien ne lassait, et certainement pas les morceaux qu’il jouait depuis maintenant quelques temps. Preuve de sa bonne santé, toute la salle chantait «Nightcall». Même salle, même public qui reprenait aussi les «hou ha» de «Pursuit» de Gesaffelstein à présent sur scène, réveillant les instincts primitifs tandis que des images plus noires que le beurre de mon oeil apparaissaient un peu plus à chaque kick, tabassant mon visage. Je voyais blanc, des flashes, du marbre, j’entendais le tonnerre aussi, je me brûlais, ah non c’était mon voisin qui me proposait un joint. Que disais-je?
Oui, de la fumée, des lumières comme des colonnes grecques autour de l’autel en or plaqué. La mort sans le dire, la religion sans le dire, la spiritualité, la noblesse, le sacré, le progrès, la vie, l’Homme, l’intelligence, la guerre, l’ésotérisme, le tout concentré dans une succession d’images qui défilaient dans une montée à une vitesse subliminale et soudain...L’Univers étoilé comme tableau de fin. Quand vous finissez comme ça, peu importe ce qui vous arrivera après, il vous faudra vivre avec cette image gravée dans l’occiput. Je vécus l’after comme si je n’y étais pas, et la vue des journalistes y faisant une farandole n’y changea rien, le trajet de retour non plus. Je rentrais chez moi, balançant mon paquetage à travers le salon dans un dernier élan de fatigue, exacerbé par cette nuit sans amour, gloire, ni beauté. Mon sac vola et explosa la table en verre avec fracas. Je m’installais dans le canapé et distingua ma place du printemps de Bourges d’il y a quatre ans au milieu des tessons. Il y avait encore un mot de Mr. Oizo dessus, écrit au marqueur: «je t’<3». Tiens, peut être que tout n’était pas si moche en 2010.
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LE PRINTEMPS DE BOURGES
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REPORT par Shani Mac-Gomez
HELLFEST
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n posant mes fesses à l’arrière de la voiture d’A. vendredi matin, j’eus le pressentiment de m’embarquer pour une aventure qui s’annonçait riche en émotions et en découvertes. Il est 9h30, et nous partons pour Clisson, un peu en dessous de Nantes. Mon timing est serré, je dois repartir samedi midi. Au préalable, je me suis dit que ce ne serait pas mal de s’abonner à la page facebook du Hellfest Open Air Festival. Qui sont ces festivaliers sur lesquels nous avons tant de préjugés ? Il y avait de tout sur cette page : des commentaires avenants comme « A demain pour l’apéro », d’autres moins « Dernière douche avant lundi »... (Je comprendrai plus tard quand je ferai coucou à une file de trente personnes alignée devant une cahute en plastique), et des choses assez louches comme « Message à tous : VAGIN ! ». Alors quand je me pose sur la banquette arrière, oui, ça fait comme aller à Disneyland pour la première fois. Les paillettes et Mickey en moins.
Après cinq heures de route plus ou moins infinie, station d’autoroute : petite oasis de pisse perdue au milieu de bitume et d’arbres naissants. C’est en enfilant mon premier café de la journée que je me suis rendue compte que nous n’étions pas les seuls pèlerins à se diriger vers le « plus grand festival métal de France » (musique de trompette). Des types barbus exhibent leurs fameuses vestes à patchs aux noms de leurs groupes favoris. J’aperçois un Iron Maiden, deux Iron Maiden, trois Iron... Pire que de compter les moutons.
Je sens que je vacille malgré mon café de luxe. Bon, aller jusqu’à Nantes, c’est long. Mais aller jusqu’à Clisson, c’est pire que long. Des champs, des vaches, des moutons, des vaches, des champs... Et une multitude de tracteurs. Classique. J’étais assise à côté d’un type qui me racontait les anecdotes de l’année précédente. Ça promet ! Il y a des stands où tu peux acheter un cochon entier grillé à la broche à t’enfiler avec tes potes – tu peux commander des
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genre musical. Car il est vrai que nos pays voisins sont plus ouverts là-dessus... Enfin la terre promise : j’aperçois au loin une guitare géante sur un rond point. D’autant plus que des mecs en kilt sont chargés de la circulation... Pour sûr, je ne me suis pas plantée d’adresse. Tout est démesuré. Mais tout. Parce que finalement je suis arrivée et il est 20h... Partie à 9h de Lille. Le camping est encore, comment dire, pas à côté... A mon retour, je peux m’attaquer aux marathons. J’installe mon tipi, au milieu d’une centaine d’autres tipis qui ont exactement la même couleur et file direction une grande bâche remasterisée en cathédrale. Bienvenue aux portes de l’enfer ! Hum... je dirais plutôt du paradis : des culs en minishorts, des vikings se trémoussant dans des culottes de fourrure, des bars aux quatre coins de partout. What else ? Le Hellfest la nuit, c’est des flambeaux au-dessus des bars, une grande roue brillant de mille feux, les gens titubent d’extase à l’écoute de chants indomptés... Mazette ! Les décors sont délirants et vraiment remarquables. Au hellfest on a l’impression de se retrouver dans une ville imaginaire appartenant à une époque passée – une vieille voiture désossée à moitié enfoncé dans le sable - un abri militaire où
pinchers pour toi tout seul comme un grand (soit 1,5 litres de bière – soit une pataugeoire fort agréable lorsqu’il fait un temps aride, type sol de poussière, pas d’ombre à l’horizon). Sinon à la fin des concerts, comme dans tout festival, les noctambules imbibés s’ameutent sur le camping. Pour passer le temps, rien de tel qu’une bonne joute de caddys ! De grands gaillards s’affrontent sous les cris bestiaux de leurs groupies, « hou ! Hou ! hou » et des « bâââââââ ! ». Ça promet. Enfin le panneau indiquant Clisson ! Premiers pas sur le site. Ah non, pardon, sur le parking. Oui, tu sais, celui situé à 40 minutes à pieds de l’entrée. Pas loin de 35°C. J’ai pris mon sac, ma tente et mon courage à deux mains, et j’ai marché, longtemps. Sur la route des types s’amusaient à recouvrir la voiture de Ben Barbaud (qui n’est autre que l’organisateur) avec des cadavres de bières. D’ailleurs ce type ne s’est pas fait que des amis gentils trop mignons comme ces deux galopins. Il s’est aussi fait des ennemis à l’Assemblée Nationale. Sous la huée quasi générale, le député Patrick Roy défendait le projet de Barbaud et en profite pour dénoncer l’étouffement de la diversité musicale en France. Il accusait l’élite de mépriser le rock métal et pensait qu’il serait temps de débloquer des fonds afin de financer ce
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tu peux fumer des grosses clopes et t’enfiler un Jack Daniel’s posé sur un jéricane. Aussi, pour t’échapper de ce monde de brutes, le Hellfest te propose de déguster les produits du vignoble nantais au cœur d’un îlot de verdure. Une pointe de féerie sur cette terre hostile et semi-désertique. C’est là qu’on comprend que le Hellfest a un méga budget. Pas étonnant que le prix des pass soit si élevés (environ 180 euros pour trois jours, et j’ai entendu parlé de 45000 entrées par jour...). Mais le festival, malgré les habitants un peu sceptiques vis-à-vis de cette ‘foire satanico-déglingué’, apparaît comme une aubaine pour booster l’économie de la localité. Alors ni une ni deux, tous les commerçants se mettent aux couleurs du Hellfest ! En passant par E. Leclerc qui dédie tout un rayon à la bière pour l’occasion, le petit pmu qui vend des sandwichs dégueulasses, ou encore la SNCF... Ça m’a donné l’impression d’avoir fait une bonne action de dépenser du fric à Clisson. Ça fait genre bobocommerce-équitable-bonretourdekarma. Après l’épopée pour rentrer sur le site, manger un peu n’était pas superflu. Mais que choisir ? Mon cœur balance entre le Hellmeal, de la bouffe asiatique (avec un chat satanique en devanture), la rôtisserie de Satan, ou Chez
Youss, le rabzouz du coin qui s’est déplacé en exclusivité. Je me jette sur le stand vegan. Ouais, on a le droit d’être un peu New Age au Hellfest. Après cela, aller voire deux trois concerts ce serait pas mal. Je voulais absolument voir Rob Zombie, étant amatrice de ses films... Mais le problème c’est qu’au Hellfest, pour avoir la chance d’apercevoir la scène, il faut installer un campement la veille et préparer un assaut une heure avant le début du concert. Donc j’ai contemplé plein de cheveux, verts et pas mûrs. Pour Iron Miden, je suis venue. Je n’ai rien vu. Et j’ai été vaincue. La même sensation de confinement que dans le métro, mais avec beaucoup, beaucoup, beaucoup de gens. Cela dit plus tard dans la nuit, j’ai participé à un concert pour du vrai. Sceptiflesh. Tu connais ? Le chanteur porte une méga combinaison noire nervurée. Pourquoi ? Hum... J’ai aperçu un type arborant un énorme gode dans sa main droite et là j’ai fait le lien. Ces types ne font pas les choses à moitié. Ce groupe nous a fait un mix entre musique mystico-religieuse avec gros sons distordus, guitares qui crachent... je me sentais un peu comme magnétisée, tout bizarre. Même si les métalleux sont tout doux, leur langage musical n’est pas universel et ne fait pas l’unanimité à chaque fois... Le scream reprend très vite le dessus, même si la musique n’est pas dépourvue
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de mélodies agréables et de jolies voix. J’aurais pu me boire une bière devant le match de foot aussi. Hé oui, Hellfest rime aussi avec football. Un écran géant est mis à disposition afin de supporter nos petits chouchous. Et puis ça reste quand même une bonne excuse pour boire de la bière.. ! En quittant le chapiteau on a encore du faire du sport : slalomer entre les types ivres morts allongés un peu partout et rentrer au camping. Je pense que c’était une technique afin d’avoir la meilleure place aux concerts du lendemain. Une bonne sieste de quatre heures pour récupérer. Un matelas de cailloux c’est pas si inconfortable. Doux réveil fiévreux et ensoleillé. Vignes et arrière-trains impudiques, petits plaisirs beatnik de la vie. Il est 9h30 et pour mes dernières heures ici, rien de tel qu’un petit déjeuner au houblon accompagné d’un concert pour bien commencer la journée. Il faut dire que j’ai été surprise par Hark. Je suis pas une spécialiste, alors je vous laisse écouter. C’était vraiment cool, pas trop agressif. Et puis j’ai mis les voiles. Enfin, j’ai réussi à quitter Clisson trois heures après l’horaire qui était annoncé. Grève des trains. J’ai discuté avec un type, punk à chien loup de 20 ans, ancien sdf, accro à la huska et à la 8.6. Il m’a dit que le métal est un peu comme une thérapie. Il a confessé que la violence des sons lui permettait d’évacuer son stress
et sa colère. Le type qui jouait au sudoku à côté de moi a acquiescé et ajouté que « dans les concerts de reggae tout le monde se tape dessus, parce que la musique est trop lente, et qu’il ne se défoulent pas assez dessus, alors voilà... » A méditer... Alors, en résumé, comment survivre au Hellfest ? Il faut prendre une bonne crème solaire (je n’ai pas vu autant de gens brûlés depuis Koh Lanta), être un féru de bière, porter des boules quies si tu ne veux pas rien entendre... Et être un peu guerrier (je vous conseille d’aller voir les vidéos des danses typiques sur youtube...). Bon, si vous êtes vraiment allergiques au métal, pas la peine d’y mettre les pieds. En revanche, si tu te sens l’âme d’un aventurier, et que tu as envie de t’ouvrir à une culture un peu marginal (mais cela dit très variée), fonce ! Par contre, les pass se vendent comme des petits pains et ce, dès le mois d’août... Pour plus d’informations, va sur www.hellfest.fr. Ps : J’ai demandé à mon camarade Laurent de faire une petite playlist avec des choses plus ou moins connues, plus ou moins abordables pour les novices... Si le cœur t’en dit !
HELLFEST
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LENDEMAIN
RACONTE MOI UN CONCERT, A
Nuits Fauve aux Solidays Flemingrob « Un autre point de vue sur Fauve, histoire d’une découverte. » Les critiques adulent, assassinent, encensent, lynchent… Phénomène musical dans le paysage francophone ou énième comète façon groupe pour adolescents pré pubères, le débat est lancé via médias interposés dont le seul point commun est l’absence de demi-mesure dans un sens comme dans l’autre. Du haut de mes bientôt quarante piges, bercé aux sons des Bérus, de Miossec ou encore de Mano Solo, mes oreilles sont censés être éloignés du cœur de cible médiatique de ce fameux « spoken word ». Pourtant depuis que les premières mesures des fameuses « nuits fauves » les ont emplis plus d’un an auparavant grâce aux découvertes musicales du Mouv’, l’effet de fascination fonctionne à merveille. Profitant de leur passage aux Solidays avec ma chère et tendre, l’occasion est belle de se faire une idée plus précise sur ce collectif qui remplissait les salles avant même d’avoir commercialisé le moindre album. Déjà, dès l’entrée du festival, quelques t-shirts et quelques rumeurs dans les files d’attentes tendent à prouver que le public sera au rendezvous malgré la concurrence de Disiz, programmé à la même heure à l’autre extrémité de la manifestation. Afin d’avoir une place correcte pour assister à l’événement, nous arrivons donc une demi-heure à l’avance laissant –M- finir d’enthousiasmer le public de la grand scène. Et pourtant, malgré cette précaution, « ils » sont déjà là en nombre. Le fameux public de Fauve : jeunes pour la plupart voir très jeunes pour certains (ma dulcinée me faisant justement remarqué que nous pourrions techniquement être les parents de la majorité présente achevant ainsi de me miner le moral), approximativement autant de filles que de garçons et, surtout, proches de l’adulation béate. Proches des groupies moqués dans le grand journal lors des concerts des One Direction ou de Céline Dion, j’imagine sans peine, les cris hystériques « Faauve !!!!!!!!!!!!!! » qui vont fleurir d’ici quelques minutes. Sur scène, le decorum se met rapidement en place. Le visuel, déjà très présent dans les albums, emplit l’espace.
Indéniablement, les moyens sont là et le professionnalisme semble de mise. Encore une incongruité pour un groupe aussi jeune à l’opposé des formations de bars qui ont, quelquefois, bien du mal à franchir le pallier des grandes salles ou des grands événements quand le succès pointe le bout de son nez. Chaque test de son entraîne une crispation supplémentaire et inlassablement nous nous retrouvons entassés comme des sardines comme le dirait le saltimbanque de France télévisions. Une midinette filme déjà la totalité des préparatifs avec son smartphone dernier cri me laissant totalement dubitatif devant l’intérêt d’une telle action. Ma douce, d’humeur taquine, me murmure un « papy » à l’oreille devant mon air pantois et, globalement, il n’est pas tout à fait faux que je me sens un peu comme Jean-Pierre Bacri dans Violetta. Puis, le concert débute enfin ! Les traits des membres jamais montré dans les médias restent en contrejour du logo du groupe omniprésent. Une énergie folle s’empare de la scène. Les titres s’enchaînent, le son est bon, les paroles fortes et prenantes des albums envahissent l’atmosphère même si le tempo est beaucoup plus rapide que sur les disques. L’énergie est communicative ! Les bras se lèvent, le public reprends en cœur, seule ma voisine tente désespérément de tout filmer sans profiter du moment. Le culte de cette société où l’image est plus importante que l’émotion. L’apothéose arrive enfin sous la forme du fameux « Blizzard », le public est en liesse, le chanteur harangue la foule… « Tu nous entends le blizzard.. » et comme dans un stade de foot, tout le monde se met à avoir des pulsions subites d’emprunter des voies peu naturelles. Une dernière reprise du refrain au milieu de la nuit et les lumières s’éteignent. Le collectif salue une dernière fois son public avant que celuici ne l’abandonne rapidement pour migrer vers un autre groupe, plus ancien mais également en pleine période hype, Shaka Ponk. Pas de déception au final même si la conscience politique des Béruriers, la rage de survivre de Mano Solo ou les passions éthyliques de Miossec qui ont peuplé mon adolescence ont laissé la place à des hommes gris qui chantent banalement le quotidien. Mais que voulez-vous, je suis un vieux con ! Un vieux con qui aime de la musique pour adolescent pré pubère.
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AVEC WE LOVE WORDS LIMP BIZKIT AU BATACLAN Tromatojuice « Un concert réussi, le texte l’est aussi. A lire en musique. » 3 juillet 2014, je rentre dans le Bataclan pour aller voir LE groupe par lequel tout à commencé. Avant eux, j’écoutais Skyrock® pour faire comme tous les collégiens de ma petite ville de banlieue Lyonnaise. Puis, à mon arrivée au Lycée quelqu’un m’a mis Limp Bizkit entre les oreilles, et j’ai commencé à explorer des univers musicaux différents... Limp Bizkit au Bataclan ?! J’ai acheté ma place, incrédule. Moi qui suis allergique aux grandes salles, voir le groupe qui a rythmé mon adolescence dans une salle relativement petite, que demander de plus ? Le Bataclan est odieusement chaud en été. L’air ne circule pas et la température monte très vite. Je fais donc un détour par le bar avant d’aller prendre place. Ils ne servent pas de verre d’eau, seulement des mini bouteilles d’eau minérale à 3€ ! Je grince des dents et pose trois euros sur le comptoir. Je fends la foule déjà compacte pour me placer au milieu de la salle ; sur la ligne de démarcation entre les agités du pogo et les statues de sel. Je regarde autour de moi et vois quelques visages déjà croisés en concert, notamment cette fille avec son chapeau « Stitch ». Pas mal de trentenaires peuplent la salle, certains sont même venus déguisés en Fred Durst. Un rideau de velours rouge cache la scène. Le volume de la musique d’ambiance monte d’un cran ; le groupe se fait attendre. Dans la chaleur suffocante, le public s’échauffe. Quelqu’un crie « Et on dit merci qui ? ». Le Bataclan lui répond en chœur « merci Jacquie et Michel ! » La salle s’assombrit et le rideau s’ouvre enfin. Limp Bizkit entre immédiatement en scène orchestré par Fred Durst barbu, capuche rabattue sur le crâne, qui amorce la reprise Faith de George Michael. Wes Borland, guitariste extraterrestre, l’accompagne, peinturluré en noir et déguisé en quelque chose « d’une autre planète ». Immédiatement, la salle s’enflamme. La jeune femme derrière moi, me plante ses doigts dans la chair de l’épaule pour sauter plus haut. Elle hurle à pleins poumons toutes les paroles de
chaque chanson. A ma gauche un jeune homme tout en muscles décide d’enlever son t-shirt. Il n’est pas le seul ; le centre de la salle ressemble à une arène de gladiateurs aux torses nus et brillants de sueur. J’essaie de m’écarter un peu pour pouvoir profiter du concert en baignant dans ma transpiration. Le groupe enchaîne les chansons de son album Chocolate Starfish and the hot dog flavored water, faisant quelques rares écarts sur d’autres titres. Le choix de cet album datant de 2000 est une déclaration d’amour à un public fidèle. Fred Durst, serein, comme en famille, mène la salle par le bout du nez. Le public saute, hurle, interpelle le chanteur. Je jette un coup d’œil à gauche pour regarder où en est le tarzan transpirant. Disparu ; probablement parti chercher de la bière. La jeune femme qui se tient à sa place secoue la tête d’avant en arrière, faisant voler cheveux et gouttes de sueurs, le poing levé bien haut. La chanson lui plaît, elle se laisse aller. Elle saute plus haut et attrape le bas de son t-shirt. Elle commence à le soulever pour révéler sa poitrine, hésite, puis se ravise. En France, on ne montre pas ses seins pendant un concert. Il fait chaud et moite. Des verres en plastic à moitiés vides volent au dessus de nos têtes. Ça sent la bière et la sueur. Et puis le groupe entame Killing in the Name de Rage Against the Machine. La salle est déchaînée : le moment idéal pour aller chanter au milieu du public. Dont acte, Fred Durst, imperturbable, traverse lentement la salle, imperturbable. Des mains se tendent pour toucher leur idole, de grands sourires fendent les visages : pas de doute, l’homme à la casquette rouge sait satisfaire son public. Il demande un instant de silence. « Qu’est-ce que vous voulez entendre ? » Et c’est reparti de plus bel, jusqu’à l’amorce du fameux Take a look around, entendu dans Mission Impossible 2. Le chanteur demande à ses fans de s’accroupir, tout le monde obtempère. D’un signe de la main, il nous intime de maintenir la position pendant le premier couplet de la chanson. « Now I know why you wanna hate me... » Le refrain s’amorce, la distorsion de Wes Borland explose, la main de Fred se lève et la salle bondit d’un seul homme. « ...cause hate is all the world has even seen lately. » Une heure trente de concert sans interruption, sans rappel. La satisfaction se lit sur les visages ruisselant de sueur. La messe est dite.
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PAUL DE PO
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ONE
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CHRONIQUE par Paul de Pone
HASHTAG VAPOWAVE
J
e suis né trop tard pour avoir connu le minitel et les joies que procuraient ULLA, mais aussi trop tôt pour comprendre comment fonctionnait Myspace et tous ses habillages personnalisables. Ma génération était game boy / chouchous / jo jo / yo yo et d’autres noms à la syllabe double, que des jouets concrets assez loin du virtuel. Et puis un jour il a débarqué chez moi sous forme d’un forfait AOL 50h de surf, bien moins cher que de vraies séances de planche waxée à Biarritz.
Là a commencé le Peer to Peer, avec ses Kazaa, ses Win Mx, et les premiers cris de mes parents hurlant « COUPEZ INTERNET, JE SUIS AU TELEPHONE ». On ne va pas refaire le match, vous connaissez les success story d’artistes repérés sur internet qui ont cartonnés, comme Lorie, devenue une vieille milf dans les yeux de ta petite sœur, mais ce n’est pas le sujet.
#CHILL L’important de cette histoire est que « les nouvelles technologies de l’information et de la communication » ont transformé le monde en un « village global ». Et si j’utilise ces mots complètement ringards, c’est parce qu’en termes de musique on observe un
revival sévère de genres (et donc j’espère que ces termes redeviendront cools dans le futur). Parce qu’internet c’est le pays du lol et de l’anachronisme, on peut créer la musique qu’on veut et surtout où on veut. Les années 2000 ont vu ainsi naitre des vagues successives de bedroom producers comme autant de nouveaux vieux styles musicaux. Pour faire un lien de parenté là où je veux en arriver, il faudra donc commencer par la chillwave, qui comme son nom l’indique n’est pas une musique d’énervés transpirant d’avoir pris trop d’extasies dansant de manière épileptique sous des stroboscopes dans les sous-sols glauques d’une usine désaffectée. Non, prenez plutôt Toro Y Moi, Washed Out, ou « chunk of change », la première démo de Passion Pit destinée à sa copine de
#OKLM si tu es pointilleux, #POSEYYY si tu es Swaggman · 188 ·
l’époque, bref que de la musique pleins de bons sentiments fait par des mecs cools. Mais le cool n’étant plus assez cool, on l’a nommé le chill.
Comme de nombreux artistes comme les Arctic Monkeys ou Oasis, beaucoup composent parce qu’ils se font chier, samplent rapidos et postent leur morceau dans les flots de l’internet comme une bouteille qu’on espère trouvée. Si Lorie l’a fait, on peut le faire aussi, EASY. Attachée à la nostalgie de l’enfance et aux pubs MTV, cette génération d’artistes pille dans la soul de The Delfonics, dans les eighties Ryan Paris. La recette est simple : couper, mettre en boucle et en version screwed, comprendre ralentie (comprendre chill à nouveau) decontextualisant ainsi la chanson et lui donnant un nouveau sens. Le point de départ connu date de 2011 et « far side virtual » de James Ferraro, musicien expérimental qui décide de faire des sonneries pour téléphone portable, en pleine passion pour la musique d’ascenseur. Il les aime d’ailleurs tellement qu’il décide d’en faire un album. Badaboum, de cet accident la Vaporwave est née, sacralisée par le magazine Dummy dans un article aussi détaillé qu’une peinture de figurine Warhammer chez un nerd fétichiste.
Je n’irai pas à la fac. Je ne veux rien faire. Je veux juste twerker toute ma vie
La génération Chill (#OKALM si tu préfères, #OKLM si tu es pointilleux, #POSEYYY si tu es Swaggman) n’a qu’une envie : qu’on la laisse tranquille quand elle n’est pas en teuf où elle party hard du before jusqu’à l’after. Cette génération ne creuse plus autant musicalement que ses ainés, après tout pourquoi ? Il y a tellement de choix qu’on ne peut plus être attaché à un seul artiste, c’est pour ça que des channels youtube comme Majestic Casual existent. Même plus besoin de connaitre les artistes d’ailleurs tant que la playlist est chill et qu’on peut fumer sa weed entres potes, comme des hippies digitaux défendant une cause floue.
#ENNUI #EMOTIONS
Plus qu’une simple musique, cet univers ne pourrait fonctionner sans cette imagerie empruntée aux années 80, mélangée avec le futur. La pochette d’album de Ferraro l’illustre en arborant un Ipad et un Google Street View que beaucoup s’empressent de cataloguer comme « une critique vibrante de notre post modernisme et du capitalisme qui nous fait consommer », ce genre de discours lorsqu’il s’agit plutôt d’un romantisme futuriste. Ce sentiment est d’ailleurs commun aux producteurs de vaporwave, allant jusqu’à ne jamais révéler leurs noms IRL pour laisser les gens s’immerger dans leur univers, pas faux. Romantique, Jonathan Leandoer Håstad aka Yung Lean l’est aussi à sa manière. Et lui aussi a commencé la musique comme ça, sans plan pour le futur proche ou lointain, déclarant à 16 ans à Vice « Je n’irai pas à la fac. Je ne veux rien faire. Je veux juste twerker toute ma vie. ». Même s’il apparait plus tard sur les radars et qu’il est une sorte de pokémon évolué de la vaporwave, lui et ses Sadboys mettent le doigt sur un truc générationnel. Il suffit de regarder les commentaires de ses morceaux pour voir apparaitre des tonnes de « #SOSAD », « #EMOTIONAL », de gens qui exprimant une tristesse 2.0 alors que Jonathan parle de thé glacé, à prendre au millième degré venant des internets, ou pas, on ne sait plus, et c’est bien une preuve que tout le monde est au moins perdu. Yung Lean devient
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alors représentant de l’ennui d’une génération de mecs connectés qui ne sortent pas trop IRL (In Real Life) parce qu’il n’y a rien à faire dehors, et qui compensent dans l’URL en copiant collant des bouts de choses connues: dauphins, esthétique de jeux vidéo, fonds Windows 95. Tout ça parce qu’il s’est mis à rapper à 11 ans. Résultats : des millions de vues en postant des clips devant des écrans verts avec des bouteilles de soda japonais, arborant un teeshirt APC boudinant, roulant dans des voitures Renault atypiques, agitant son Blackberry a la caméra. Etre un sadboy, être triste n’a jamais été autant à la mode, avec ces filles qui se prennent en photo devant leur webcam. On en fait même de très bonnes expositions d’ailleurs.
Au bilan, ce qui pouvait être comparable en France avec un Fatal Bazooka a maintenant plutôt des allures de Fauve dans l’engouement qu’il suscite (contactez le magazine par mail pour envoyer vos lettres de menaces), sauf que snobisme romantique oblige, on préfère troquer les bobs contre des chaussures bateaux, et les incrustations vidéos par un clip à l’Ile de Ré. Oui, il existe encore des gens pour qui l’IRL signifie quelque chose.
#LUXURY ELITE Sans faux jeu de mots, tout ça c’est bien beau mais encore très vaporeux. Au détour d’un coin de l’internet j’ai rencontré Luxury Elite, une des pionnières du genre. LNP : Salut Lux, alors c’est quoi exactement la Vaporwave ? LUXURY ELITE : C’est absolument nostalgique, c’est ce qui me plait dedans. J’ai découvert ça en 2011, les temps étaient un peu durs, j’étais vraiment déprimée, la vaporwave était pile ce dont j’avais besoin. C’était comme un monde fantastique dans lequel je pouvais aller, rempli d’émissions télé qu’on diffusait tard le soir, j’avais le fantasme de devenir cette riche businesswoman. J’écoutais toutes ces musiques, posée dans mon penthouse je crois.
C’est un truc romantique très années 80, même si beaucoup des gens qui font cette musique sont nées au début des années 90. D’ailleurs je suis né en 1988, mais j’aime beaucoup regarder les programmes télé de ces années que je trouve sur Youtube ou par torrent. J’aurais aimé vivre dans ces pubs, MTV en est devenu l’emblème avec cette imagerie flashy, ces mecs et ces filles lookés, je suis à fond dans ce genre de trucs. La Vaporwave c’est ça en version audio, une musique de fond pour de la réclame. Ça énerve pas mal de gens qui disent des conneries comme : « vous samplez juste une chanson, il n’y a rien de spécial », alors que c’est vraiment comme si on était des enfants jouant avec des cassettes audio dans un magnétophone, en appuyant sur le bouton rewind pour l’entendre au ralenti. La vaporwave quelque part fait évoluer un morceau. Par exemple, Macintosh Plus a pris une simple chanson de Diana Ross et en a fait quelque chose genre paradis tropical qui dure sept minutes. Dan Lopatin a pris « Lady in red » et en a fait un hymne pour les surfers solitaires sur l’internet. Moi-même j’ai pris Michael Jackson et l’ai transformé en une intro de film à voir tard le soir. En parlant de Macintosh Plus, êtes-vous tous connectés les uns aux autres ou chacun fait de la musique dans son coin du monde ?
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LE : En fait, c’est en rencontrant en personne Macintosh Plus, des années avant que ne se forme le projet Laserdisc Visions, que j’ai été confrontée à ça pour la première fois, avant qu’elle ne compose l’album « New Dreams », juste après la naissance d’un autre de ses projets, nommé Vektroid.
à voir ! Ils se partageaient des liens d’autres artistes qu’ils adoraient, de mecs plus connus comme James Ferraro, OPN ou ceux du label the Olde English Spelling Bee, Outer Limits Recordings et Rangers. Je trouvais ça chouette d’en faire partie, même si à ce moment j’étais juste une fangirl qui ne faisait qu’écouter. Avec le temps, j’ai finalement trouvé le courage de m’y mettre, un an après, à peu près en même temps que sortait cet article de Dummy qui a mis un nom sur ce genre et l’a fait connaitre. J’ai rencontré beaucoup de gens en commençant Luxury Elite, et encore plus en lançant Fortune 500 (son label digital ndlr) parce que je recevais énormément de propositions pour publier des morceaux, ou parce que j’allais voir des artistes que j’aimais pour leur demander s’ils voulaient publier sur le label. J’ai connu personnellement presque tous ceux-là, on partageait et on se supportait énormément. On est comme une grande famille heureuse. Certains ont lâché l’affaire, ou sont partis créer leur clique de leur côté, mais malgré ça nous restons chacun très fans de l’autre, comme au tout début. C’est impressionnant de voir que la vaporwave n’est pas morte après des années de confidentialité , il semble y avoir encore un public fidèle.
Je la connaissais de Liz de SPF420, qui est devenue assez impliquée dans la scène Vaporwave. Nous sommes de très grands fans de Black Moth Super Rainbow, et je les ai rencontrées via le forum des fans. Vektroid m’a beaucoup inspiré, c’était frais et excitant et j’étais, je le suis encore, très admirative d’elles. Je les ai suivies à travers leurs nombreux projets et sorties à partir du printemps 2011, c’est là qu’a commencé le projet Laserdisc Visions. Il a fallu du temps pour que cette musique grandisse en moi, à l’époque j’étais à fond dans la chillwave, je veux dire, vraiment à fond dedans. Mais la vaporwave a tout balayé sur son passage.
LE : C’est sans aucun doute à cause des passionnés derrière cette musique qu’elle existe encore. Il y a encore des gens qui en écoutent pour la première fois et ça les inspire tellement qu’ils créent leur propre vaporwave. Il y a encore un public pour cette musique, et même si ce n’était pas le cas je pense que les gens qui la font continueraient parce qu’ils aiment cette communauté. Les gens sont très rapides à dire « la vaporwave est morte » et ça arrive parce que ces personnes ont été fatiguées d’en écouter quand le genre a explosé (et quand la vague s’est calmée, c’est un cycle) ou parce qu’elles sont sensible à toutes les opinions de The Needle Drop (blog équivalent de Pitchfork ndlr) et fondent leur opinion sur celle des autres.
La vie désillusionnée d’un yuppie dans l’Upper East Side, une bande originale détraquée de la Famille Kardashian
Une communauté existait déjà aux débuts du genre. Tu devais y être invité pour y rentrer, car les personnes qui en faisaient partie étaient ceux qui faisaient ce genre de musique (les gens les ont appelé les « firstwavers », je blague à moitié en les appelant les parrains). C’était un groupe Facebook que j’appellerai Xerox, rempli de gens passionnés par ce qu’ils faisaient. L’excitation était vraiment rafraichissante
La vapowave n’est pas morte, merde. Des gens en font encore et en écoutent encore. Ce n’est plus aussi à la mode parce que des gens ont changé de style, mais ça ne veut pas dire que c’est mort. Beaucoup gravitent encore autour et depuis trois ans maintenant.
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L’article de Dummy parlait d’une musique faite de conscience politique anti-capitaliste, anticonsumérisme, c’est vraiment ça ou juste un fétichisme des objets des années 80 ? LE : Je connais pas mal de gens qui ont parlé de l’accélération des technologies, du côté entreprise/corporation depuis la sortie de l’article de Dummy, mais en réalité je pense qu’il s’agit plus de nostalgie. Quand j’ai écouté de la vaporwave pour la première fois, certains albums avaient ce côté-là, comme The Internet Club, mais la plupart était plutôt comme Midnight Television et 18 Carat Affair, un voyage dans le temps vers un autre « années 80 ». Il n’y avait pas de politique dedans. C’était plus comme la vie désillusionnée d’un yuppie dans l’Upper East Side, une bande originale détraquée de Kim Kardashian, j’ai terriblement accroché. Peut-être que je vois ça d’une manière différente, je ne sais pas. Mais le point commun de tout le monde est ce fantasme où l’on va en écoutant cette musique, les années 80 sous lunettes colorées, avoir l’impression que tu es au bord de la célébrité dans un épisode de «The Rich and The Famous ». Dans un sens, ça te fait sentir glamour. C’est un truc pour s’évader, en tout cas pour moi. La vie peut être vraiment lugubre, surtout quand tu as des problèmes financiers et que tu luttes en vivant paye après paye. Cette musique c’est vraiment une distraction, comme la télé-réalité ou internet
en général. Je crois que l’article de Dummy a posé des bases étranges pour les gens, ça a été le début de conflits dans ce qui était déjà une niche du genre. Des gens ont tenté par exemple de dire que Saint Pepsi, ce n’était pas de la vaporwave, et on s’est fait tapé dessus quand le style est devenu populaire, ils appelaient ça de la « broporwave », alors qu’on faisait exactement le même genre de musique qu’au début, avant qu’on ne lui donne un nom. Tenter de donner une définition stricte et dire ce que tu DEVRAIS créer est bizarre. Les gens devraient avoir la liberté de faire ce qu’ils veulent avec leur musique sans sentir qu’ils franchissent des lignes pré déterminées.
La limite c’est que ça ne percera jamais vers le grand public
Qui est le plus gros producteur vaporwave maintenant selon toi ? Est-ce qu’il n’y a pas une limite à ce genre de musique qui sample beaucoup ? LE : Saint Pepsi est le plus connu, sans aucun doute. Il a tellement évolué et est maintenant signé sur un label. Il ne fait plus de la musique basée sur des samples, du moins ce que j’en ai entendu, mais il garde ces racines vaporesques avec un feeling 70s. Le meilleur des deux mondes à mon avis. Je fais un dj avec Luxury Elite bientôt ! Même si ça me parait compliqué parce que c’est très doux. La limite c’est
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changer une chanson et c’est amusant d’entendre ce qu’ils en font. Sampler n’est pas mauvais, c’est un procédé qu’on retrouve sous différentes formes, du hip hop à la chillwave à la pop, et ça ne rend pas l’artiste moins créatif. Ca peut même rendre la chanson meilleure, plus cool. Alors écoutez un album de vaporwave et laissez-le vous porter.
que ça ne percera peut être jamais vers le grand public, ne serait-ce qu’à cause des droits d’auteurs pour les samples, le genre est sa propre limite en fait, et c’est mieux comme ça. Ça me parait une bonne conclusion sur ce qu’est l’internet en général. LE : C’est ça, comme un bon film ou un bon livre qui fait voyager ton esprit dans une réalité alternative dont tu ne voudrais pas t’échapper, c’est l’essence de la vaporwave. Je ne vais pas me mettre à le mélanger avec ma vie en dehors de Luxury Elite, ni porter des épaulettes, un tailleur et un pill hat partout où je vais. La vaporwave ne m’habite pas 24/24h 7/7jours, ça serait ennuyant. Mais quand j’en écoute ou que j’en produis, tous mes soucis, mes craintes, mes peurs s’évanouissent pendant un moment. Et je me concentre juste sur la musique et l’imagerie que mon esprit crée, c’est vraiment agréable. Si je devais rajouter un truc, ça serait d’écouter ce genre de musique avec une ouverture d’esprit. D’apprécier les artistes qui transforment une musique en quelque chose de totalement différent, un changement de pitch, de vitesse, de paroles, de boucles…Tout cela peut significativement
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LUXURY ELITE
www;luxuryelite.bandcamp.com
CORRESPONDANCE par Aurélien Doubrère
C’est l’histoire d’un voyage où les trains n’en cachent pas d’autres. L’histoire de quelques mains qui ont le temps de brasser le vent. Le temps de la mesure battue par les cris stridents d’une ferraille d’un autre temps. C’est réel, je vous le jure. Chaque passager semble saisir la préciosité de cette traversée. Les têtes ébouriffées croisent leurs regards sans jamais pouvoir retenir l’esquisse d’un sourire. Tous ces inconnus savent. Ils savent que c’est l’instant, une communion imposée par la puissante nature. Nous, nous découvrons seulement, partageons simplement ces paysages époustouflants que nous offre l’île de Ceylan au Sri Lanka. Je ne savais pas que la réalité pouvait paraître aussi abstraite. Pourtant elle défile devant nos yeux, comme si nous avions pris un billet pour la séance de 15h. Dans la salle l’air est ventilé et la luminosité faible pour que l’on puisse ne rien rater. Avant le départ, un vendeur soufflait des pop-corn, je comprends maintenant pourquoi. Il n’y a pas de plus beau spectacle que ces arbres qui s’élancent au milieu de la jungle, ces forêts de cocotiers qui viennent se fracasser sur des vallées rocheuses improbables, ces collines à perte de
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SRI LANKA
S
eul, face à la nature dans un train en marche. Ce petit texte - extrait directement du carnet de notre voyageur représente le récit brut des sentiments multiples, nouveaux et parfois confus qui se croisèrent pour son auteur, essayant tant bien que mal de trouver les mots justes face à l’expérience qu’il est en train de vivre au cours d’un voyage traversant l’île de Ceylan au Sri Lanka.
vue. Ici le spectacle n’est pas une fiction. Un tunnel et le silence s’installent dans le noir complet, frappés par les cliquetis métalliques de la voie ferré. Puis soudain le vide. Le vide le plus coloré qu’il m’ait été donné de voir. Je suis soufflé, j’en ai les larmes aux yeux. C’est bien trop vaste et majestueux pour une seule paire de jumelle. Impossible à prendre en photo. Encore un tunnel dieu merci, je peux reprendre mon souffle. Il n’est pas facile d’essayer de retranscrire l’instant, je n’ai pas des yeux de caméléon pour autant. Je n’ai jamais été aussi petit et confondu dans la masse, la masse organique. Personne ne s’est jamais senti (et j’en perds mes mots) aussi libre que ceux qui avaient emprunté ce chemin. Le vestige de la sidérurgie coloniale a trouvé sa place, le squelette de nos mille et une pattes. Le silence règne et la beauté s’impose comme une évidence pour nous, fourmille de vie. Je le répète, comme une évidence. Merci je sais que ce texte n’est pas fini.
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