R&N 164 Saga Tarkett

Page 1

SAGA

TA R K E T T

De Monestier-de-Clermont au marché mondial Né de la fusion entre Sommer et Allibert, puis de Tarkett avec Sommer-Allibert, le Groupe Tarkett puise ses racines, il y a près de 130 ans, dans la détermination et l’esprit d’innovation de deux entrepreneurs français, qui sont à cette époque à la tête de modestes fabriques de province. Un siècle plus tard le groupe familial est devenu un des leaders mondiaux des revêtements de sol.

M

onestier-de-Clermont, un petit village de 700 habitants à l’aube de la première guerre mondiale. Agé d’une vingtaine d’années Joseph Allibert crée avec son cousin son entreprise de semelles intérieures pour les chaussures, en paille pour l’été et en laine pour l’hiver. « Je me souviens encore des semelles intérieures que je portais, en paille pour l’été, que mon grandpère fabriquait », confie Didier Deconinck, aujourd’hui Président du Conseil de surveillance de Tarkett. Envoyé sur le front en 1915, Joseph ouvre à son retour son propre atelier, son cousin lui, va créer ce qui deviendra ensuite le célèbre fabricant de doudounes Moncler.

Entre les deux guerres l’entreprise va faire travailler jusqu’à 130 personnes qui fabriquent 300 000 semelles par mois, distribuées dans toute l’Europe et les colonies françaises.

Sommer, spécialiste du feutre Parallèlement, dans les Ardennes se développe une florissante entreprise spécialisée dans la fabrication du feutre. Fondée à Mouzon en 1880 par Alfred Sommer, un teinturier venu de Meurthe-et-Moselle, elle se spécialise rapidement dans les thibaudes qui doublent l’épaisseur des tapis, les tapis feutrés et les chaussons. La première guerre mondiale a failli mettre un point final à cette réussite avec la destruction de la manufacture quelques

>>>

JUILLET 2015 Reflets & Nuances l 31


>>>

SAGA

SAGA TARKETT

LE S DATE S C LÉ S DE LA SAGA TARKETT

1880

Joseph Allibert se lance dans la fabrication de semelles intérieures

La manufacture de Mouzon à la belle époque

1912

années

1950

Invention du Tapiflex (revêtement de sol) par François Sommer

Naissance de la manufacture de feutre d’Alfred Sommer à Mouzon

Allibert entame sa spécialisation dans les fabrications plastiques

1953 décembre

1971

Naissance du groupe Sommer Allibert Incendiée en 1918, l’usine Sommer sera reconstruite par Roger, le fils du fondateur

Début de la conquête américaine

1986

1997

Le Groupe change de nom pour Tarkett

2003

2007 Introduction en bourse à Paris (Euronext) Famille Deconinck actionnaire majoritaire

Fusion de la branche revêtement de sols de Sommer Allibert avec la société d’origine suédoise Tarkett

2013

Actionnariat 50/50 Famille Deconinck et le fonds d’investissement KKR Production de revêtements de sol en vinyle aux USA dans les années 50

La publicité s’en donne à cœur joie pour vanter les vertus de la thibaude feutrée dans les années 30 32 l Reflets & Nuances JUILLET 2015


SAGA TARKETT

Francois Sommer

Joseph Allibert

jours avant l’Armistice et la mort d’Alfred Sommer en 1917, après avoir été détenue par les Allemands. Roger, le fils d’Alfred reconstruit patiemment l’usine dont les premières pièces sortiront en 1922. Durant les années 30, la société Sommer fabrique 60 % du feutre consommé en France. Elle est implantée sur un site de 35 000 m2 qui compte plus d’une vingtaine de bâtiments.

L’essor d’après-guerre La guerre est une période cruciale pour ces deux entreprises. Arrivé à Monestier-de-Clermont par les hasards de la guerre, le jeune Bernard Deconinck devient le gendre de Joseph Allibert. Il va progressivement prendre la tête de l’entreprise, à seulement 23 ans et sans aucune expérience industrielle. Il diversifie la production et l’oriente vers la fabrication d’objets en plastique : du chausse-pied des années 50 aux armoires pour salle de bain en passant par les pièces pour l’industrie automobile qui représenteront une part importante du chiffre d’affaires à la fin des années 60. Il ouvre de nouvelles usines d’abord à Grenoble puis à Méru au nord de Paris, rachète une entreprise spécialisée dans les bacs de manutention et les casiers à bouteilles à Gaillon et développe même une filiale à Francfort, en Allemagne. Pilote de chasse, résistant et Compagnon de la Libération, c’est François Sommer, fils de Roger qui va diriger l’entreprise avec son frère Pierre après la guerre. En 1953 il a l’idée d’un revêtement innovant qui marie plastique et feutre : Tapiflex, un tapis à surface de plastique appliqué sur un envers en feutre aiguilleté. Cette invention marquera le début d’un nouvel essor pour Sommer, qui va tripler son chiffre d’affaires en vingt ans grâce à ses revêtements de sol. A la fin des années 60 le groupe Sommer emploie 6 500 personnes, dont 5 200 en France, et compte 26 filiales dont 17 à l’étranger.

L’humain au cœur de Sommer Allibert

SOMMER, PIONNIER DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE LA PARTICIPATION DES SALARIÉS

En 1971, par l’intermédiaire d’un banquier, Sommer propose à Allibert de s’associer. « Mon Pionnier dans père était réticent au début, l’intéressement des salariés, François Sommer en a fait raconte Didier Deconink. la promotion vis-à-vis des François Sommer a insisté et a pouvoirs publics dès les demandé à le rencontrer. Sans années 60. C’est même auprès du général de Gaulle héritier et malade, il souhaitait qu’il défend ardemment les assurer une succession capitavertus de la participation. Chez Sommer, cette listique et managériale. Les deux conviction va trouver très hommes partageaient tous les rapidement une illustration : deux des valeurs communes, l’intéressement va jusqu’à constituer 4,5 mois de notamment l’esprit d’équipe salaire en 1964. et le goût d’entreprendre. Ils venaient de petites entreprises de province qui s’étaient toutes les deux imposées dans leur domaine. Mon père a donc été touché par la demande de François Sommer et a accepté cette mission. C’est ce contact humain qui a donné naissance à Sommer Allibert. » L’accord est conclu fin 1971, François Sommer décèdera un an plus tard en laissant Bernard Deconinck à la tête de l’entreprise. Le Groupe va très vite se concentrer sur l’activité plastique et la production de revêtements de sol, de meubles, de pièces de voiture mais aussi de bacs de manutention et d’emballages de cosmétiques. Sommer Allibert connaît une croissance fulgurante et va tripler de taille entre 1972 et 1985. Il partira à la conquête de l’Europe, puis de l’Asie et du continent nord-américain, en prenant une participation dans une société canadienne de revêtement de sol en 1986, Domco. Huit ans plus tard cette société rejoindra le giron de Tarkett. D’acquisition en acquisition le Groupe renforce ainsi sa position sur le marché nord-américain. >>>

JUILLET 2015 Reflets & Nuances l 33


SAGA

TARKETT E N C H I FFRE S

2,4

milliards d’euros de chiffre d’affaires

12 000

collaborateurs dans le monde

en 2014

>>>

1,3

million de m2 de revêtements de sol vendu chaque jour

100

pays où se déroulent les ventes

34

sites industriels dans le monde

La fusion avec Tarkett

Une stratégie actionnariale familiale

Dans les années 90 le Groupe recentre progressivement son activité autour des revêtements de sol. Sa branche revêtements de sol fusionne avec la société germanosuédoise Tarkett en 1997. Tarkett Sommer devient alors le leader du secteur en Europe et le deuxième aux Etats-Unis. En 2000, l’entreprise cède sa filiale automobile et devient Tarkett en 2003. Ce choix stratégique permet de regrouper toute l’activité sous un seul nom et de bénéficier de cette marque mondialement connue pour continuer à se développer à l’international. Mais alors que reste-t-il de l’esprit d’entreprise qui animait à l’époque Alfred Sommer et Joseph Allibert, dans leurs petites villes de Mouzon et de Monestier-de-Clermont ? « Leurs valeurs sont toujours présentes dans le groupe et leur sens de l’entrepreneuriat continue à guider notre travail, affirme Didier Deconinck. De François Sommer nous gardons aussi le respect de l’environnement. Il était un chasseur, un vrai, respectueux de la nature, des animaux sauvages et conscient avant l’heure de l’importance du développement durable. » Une politique aujourd’hui revendiquée par le Groupe comme un pilier de croissance.

En 2007 le capital de Tarkett est réparti à parts égales entre la famille Deconinck et le fonds d’investissement KKR (Kohlberg Kravis and Roberts). Déjà présent dans les pays de l’Est (dont Russie, Ukraine, Kazakhstan), ainsi que dans les terrains de sports en gazon synthétique, le Groupe poursuit alors sa stratégie de conquête, et multiplie les nouvelles acquisitions : 19 entre 2007 et 2015, dont la dernière dans les moquettes en Europe (Desso). Aujourd’hui Tarkett est côté à la Bourse de Paris, la famille Deconinck reste l’actionnaire majoritaire et la relève semble assurée. « Tarkett est une affaire de famille, rappelle Didier Deconinck. Je fais partie de la 3e génération et la 4e se prépare à assurer cette continuité, en se formant à la fois sur les produits et les métiers mais aussi sur la connaissance de l’entreprise et des équipes qui y travaillent. Le travail de l’actionnaire est de partager une vision et des valeurs avec le management, d’assurer de manière durable la réalisation des projets de l’entreprise, tout en permettant à son personnel de développer ses talents. n

n © Crédits photos : photothèque TARKETT

34 l Reflets & Nuances JUILLET 2015

Le livre Monestier-de-Clermont terre d’entrepreneurs, réalisé grâce au soutien d’Eric Deconinck et rédigé par Bernard Freydier, retrace l’histoire de deux entreprises : Allibert, devenue Tarkett et Moncler, toutes deux issues du même village.


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.