La sensibilité structurelle d'Elado Dieste

Page 1

LA SENSIBILITÉ STRUCTURELLE D’ELADIO DIESTE

A P P R O C H E S T H É O R I Q U E S D E L’A R C H I T E C T U R E EC O L E NAT I O N A L E SU P É R I E U R E D ’ AR C H I T E C T U R E D E GR E N O B L E



Alors que la relation qui lie l’architecture à l’ingénierie en France tend à se marquer d’une nette séparation de nos jours, l’oeuvre de l’uruguayen Eladio Dieste nous montre que les deux disciplines restent intimement liées. Son objectif : construire de manière esthétique et adaptée à partir de prototypes structurels élaborés et économiques. Trop peu connu dans le monde occidental, il marque fortement l’Amérique latine de par son approche ingénieuse de la construction en briques armées (ceramica armada) au cours de la deuxième moitié du XXème. Une technique de construction bien particulière qu’il va inventer et perfectionner tout au long de sa vie. Dieste excelle dans son domaine grâce à sa capacité de revenir aux principes de base de la construction et de la composition structurelle plutôt que de s’appuyer sur les codes internationaux des nouvelles méthodes de construction appliquées à l’époque. Ce retour aux bases lui permet de trouver des réponses aux formes qui correspondent le mieux aux nécessitées programmatiques de chacun de ses projets. L’ingénieur s’applique donc à un processus de construction fondé sur des principes simples, accessible à tous. Il laisse au lecteur de ses projets une envie d’en connaître un peu plus sur ses méthodes appliquées à ces structures types, du fait de leur apparente simplicité et de leur fascinante capacité à franchir de longues portées. Grâce à sa technique, il a su mettre en œuvre avec audace des prototypes structurels qu’il a ensuite adapté à de nombreux projets architecturaux. La plus part de ses projets, aussi modestes soient-ils, possèdent de nombreuses qualités de composition : Les proportions de l’ensemble, l’élégance du matériau mis en œuvre (la brique en terre cuite uniquement), le détail de la forme et surtout, l’usage conscient de la lumière. 1


Dieste est indéniablement un grand ingénieur, mais il n’en est pas moins un architecte. Jouant sur les deux disciplines, sont travail de recherche et d’expérimentation m’amène à me poser la question suivante : Comment Eladio Dieste, à partir de l’élaboration d’un prototype structurel neutre, parvient à l’aboutissement d’un modèle architectural sensible ? Modèle qu’il appliquera dans ses projets à l’aide d’un matériaux unique. Selon le dictionnaire, du grecque ancien prôtótypos : originel, primitif, le prototype est un exemplaire incomplet et non-définitif de ce que pourra être le produit ou l’objet final. Il sert à valider le bien fondé d’un concept.1 La notion de modèle, elle, est définie par ce qui est donné pour servir de référence, de type. Ces deux notions s’appliquent dans un processus qui va attribuer un caractère fini et définitif à un élément de recherche. Le processus étudié dans cet article s’accompagne d’une transformation. En effet, E. Dieste travail à partir de notions fondamentales et neutre issus d’un ordre mathématique, pour aboutir à un résultat architectural qui induit la notion de sensibilité et de vécu. Tout au long de l’article, je vais étudier, a travers l’analyse d’un modèle structurel appliqué dans plusieurs projets, ce processus d’architecturalisation qu’Eladio Dieste applique dans son œuvre. Le modèle étudié est la voûte auto-portante, mise en œuvre dans le projet d’une maison individuelle et dans celui d’un entrepôt d’usine. Dans un premier temps je vous parlerai de la responsabilité de l’ingénieur, illustré par l’invention d’un prototype structurel unique : la voûte auto-portante en brique armée. J’aborderai dans cette partie trois notions fondamentales du travail de l’ingénieur qui sont le contexte, la notion d’économie cosmique et la conscience de la forme. Puis je m’attarderai sur la mise en œuvre de cette structure dans le projet architecturale. Notamment par l’analyse de deux projets bien différents : la maison de Dieste et un bâtiment industriel.

2

Définition selon wikionaire, prototype, http:// fr.wiktionary.org/wiki/ prototype, consulté le 29/10/2014 1


Figure 1 : Le jeu de la lumière naturelle dans l’église de San Pedro Eladio Dieste innovation in structural art, Princeton Architectural Press, New York, 2004, p65.

3


La

responsabilité de l ’ ingénieur

« Dès que j’ai commencé à travailler sur la conception et la réalisation de structures en 1942, je me suis demandé pourquoi construisons nous ainsi ? Pas tant sur les ressources que nous utilisons ou les techniques que nous appliquons, mais plutôt sur le point de vue philosophique de la construction, quel est le fondement de notre activité ? » Comme toute œuvre majeure de l’ingénierie, les structures de Dieste résultent d’intuitions et de certitudes profondes, issues d’une observation sensible et consciencieuse du monde qui nous entoure. Eladio Dieste peut être considéré parmi les grands ingénieurs de l’innovation structurelle pour sa conduite en 3 points. En effet, son travail de réflexion se s’appuient sur trois notions fondamentales.

DIESTE Eladio dans son essai : Architecture and construction, Eladio Dieste Innovation in Structural Art, Princeton Architectural Press, New York, 2004, p 182 2

Dans un premier temps, il intègre la notion du contexte. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, les méthodes de construction ne sont alors que le prolongement naturel des méthodes utilisées au Moyen Age et à la renaissance. Cependant, la révolution industrielle marque une rupture dans cette lente évolution. Elle introduit de nouveaux matériaux structurels et de nouvelles méthodes de construction. Cette révolution s’établit largement en Europe et en Amérique du nord au cours du XXe siècle mais l’importation de ces nouvelles technologies se retrouve inadaptée à la réalité économique des pays d’Amérique latine. En effet, ici les moyens destinés à la recherche scientifique et industrielle sont très faibles. Dieste, dès le début de sa carrière décide alors de profiter au maximum des ressources naturelles et humaines de son pays. Il se lance dans la conception de structurelle en brique de terre cuite, un matériau largement répandu en Uruguay à l’époque. Dieste s’inscrit dans le prolongement des travaux de Freyssinet, Candela et Isler, sur la structure des coques minces. Le développement technologique du béton armé en Europe lui permet de transposer un type structurel destiné initialement à un nouveau matériau ductile : le béton, vers un matériau modulaire et traditionnel, la brique. Son travail est donc une réponse judicieuse aux difficultés économiques 5

Fressinet, Candela et Isler sont trois ingénieurs qui ont énormément apporté dans le développement du béton armé, notement dans la précontrainte du ferraillage 3


et technologiques de l’Uruguay. Les coques qu’il conçoit tout au long de sa carrière présentent une résistance mécanique équivalente à celles construites en béton, mais moins sujette aux déformations grâce à son module d’élasticité plus faible que celui du béton. La technique hybride de Dieste représente un compromis entre méthode traditionnelle artisanale de mise en œuvre de la brique et technologies moderne de mise en tension des armatures (la précontrainte). Ses projets représentent autant la pensée moderne que le savoir-faire local. Dans un second temps, l’ingénieur aborde la question de l’économie. En effet, depuis cette révolution industrielle, les nouvelles techniques de constructions nous permettent de tirer le maximum que peut nous offrir un matériau (finesse d’une dalle de béton, porte-à-faux...). Mais cela induit de très lourds bilans économiques : des coûts de construction astronomiques, une quantité de matière allouée à la structure monstrueuse, le besoin de techniques de mise en œuvre avancées...

DIESTE Eladio, Eladio Dieste Innovation in Structural Art, Princeton Architectural Press, New York, 2004, p186 L’ingénieur nous donne sa définition du terme dans son essai Architecture and Construction 4

5

Ibid, p187

Eladio Dieste nous parle, à travers son œuvre, d’une économie structurelle. Mais pas seulement au sens financier du terme. D’un sens indépendant de l’argent. Ses constructions suivent un réel engagement économique au sens cosmique du terme, c’est à dire en accord avec « le sens profond de l’ordre naturel de l’évolution ». Est cosmique tout ce qui est relatif au cosmos, à l’univers, à son ordre général. L’ingénieur entame donc une démarche fondée sur l’économie de matière, de moyens de mise en œuvre et de savoir faire. Il introduit la notion de simple nécessité. Pourquoi construire avec plus de matière qu’il n’en est nécessaire ? Au travers de ses nombreuses réalisations, Dieste élabore donc un principe de construction très simple, que n’importe quel ouvrier peu qualifié pourrait mettre en œuvre. Enfin, le point le plus important dans la conduite de Dieste est la conscience de la forme. « Il n’y a rien de plus noble et élégant que la résistance à travers la forme ». La grande résistance des structures sur lesquelles il travaille dépendent entièrement de leur forme. Leur stabilité est pensée par 6


la géométrie de leur structure et non par une maladroite accumulation de matière. En corrélation avec le principe d’économie, c’est la géométrie de leur surface et non l’épaisseur de leur section (leur masse) que les constructions de Dieste assurent leur excellente résistance. L’étude de la résistance par la forme et le juste rapport entre matière et géométrie va lui permettre de concevoir de nombreux prototypes structurels. D’une apparente simplicité, d’une grande ingéniosité et d’un très faible coût de construction, ils seront mis en œuvre dans de nombreux projets très diférents. Parmi ces prototypes figure la voûte auto-portante. L’utilisation du matériau brique induit un comportement en compression (uniquement) car il ne supporte que son propre poids. C’est pourquoi Dieste introduit la précontrainte dans ses structures et élabore dans les années 60 un prototype qui permettra de franchir des portées conséquentes et d’offrir d’impressionnants porte-à-faux. Il développe donc la voûte auto-portante en céramique armée. Dans sa réflexion, Dieste se base sur la conscience de la forme et n’hésite pas à reprendre les principes géométriques de base. Il utilise (comme Gaudi l’a fait avant lui) la géométrie inversé pour dessiner sa structure. En effet, la forme directrice de sa voûte sera la caténaire renversée. En d’autres termes, c’est la courbe obtenue par une chaîne suspendue entre deux points soumise uniquement à son propre poids. La courbe une fois renversée révèle un arc allongé soumis à une simple compression. De section constante, ces directrices caténaires s’alignent le long de génératrices rectilignes qui forment de longues poutres. Ces poutres reposent sur une série de deux poteaux qui assurent l’équilibre de la structure, la précontrainte dans la poutre génératrice permet la mise en œuvre d’un port-à-faux spectaculaire (par effet de tyrans). Les voûtes sont associées deux à deux et Dieste utilise des poutres aux-vents précontraintes aux extrémitées pour reprendre les poussées horizontales. Concernant la mise en œuvre de sa structure, la responsabilité de l’ingénieur prend encore une fois bon sens. La construction de voûtes auto-portantes fait appel à un savoir-faire minimal. L’ingénieur peut ainsi s’entourer d’une petite équipe de maçons peu qualifiés pour expérimenter la 7


a.

c.

Figure 2 : Série de schémas de principe de la voûte auto-portante : a. la résistance par la forme b. la courbe parfaite c. la directrice caténaire d. la poutre : génératrice longitudinale e. la précontrainte dans la voûte f. l’ensemble structurel Plans et coupes GRINO, Sylvia, « Reference : Eladio Dieste, 34° de lattitude sud », Le moniteur Architecture, n° 107, mai 2000, Redessin à la main, Léo-Paul CHOREL Document numérisé

b.

d.

e.

f.

8


conception de cette structure, loin de toutes manipulations extrêmement complexes. La voûte est construite en une seule couche de briques liées les unes aux autres par un mortier dans lequel on loge les armatures, les briques sont disposées sur un coffrage qui sera déplacé le long des génératrices portion par portion. Les câbles de précontrainte vont ensuite être disposés par-dessus les briques puis être recouvert d’un mortier d’enrobage. L’extrême finesse et la légèreté des voûtes permettent de s’affranchir d’engin de levages performants. D’autre part, la méthode de précontrainte en boucle qu’il invente ne nécessite ni ancrage dans le sol, ni compresseur hydraulique puissant (deux techniques utilisées en occident non transposable en Uruguay à l’époque). Dieste invente alors avec ce prototype une solution structurelle autostable et économique, reposant sur une simple trame de poteaux réduite au minimum, offrant de remarquables porte-à-faux, dégageant une importante flexibilité d’aménagement au niveau du sol. Il va faire de ce prototype un élément modulable intégrant de nombreux projets architectural. au-travers desquels, je vais essayer de comprendre comment il parvient à attribuer à cette voûte auto-portante une grande sensibilité propre à l’Architecture.

La

sensibilité de l ’ architecte

« L’architecture éveille des émotions, le rôle de l’architecte est d’éveiller des émotions justes. » La frontière entre l’ingénierie et l’architecture est marquée par cette émotion que l’on peut ressentir au regard d’un édifice. Eladio Dieste nous montre qu’il n’est pas seulement un ingénieur mais aussi un remarquable architecte. La brique est un matériau noble qui a largement été utilisé dans l’histoire, mais presque uniquement en façade. On connaît bien ce matériau pour ses qualités thermiques et acoustiques, mais surtout pour les modénatures qu’offre son assemblement. La brique est passé à l’arrière-plan depuis la révolution industrielle. On pensait en avoir extrait tous les sens. Dieste nous prouve justement que non. La 9

Adolf Loos, Trotzdem, Ornements et crimes, Payot et Rivage, Paris, 2003, p 102-103 6


Figure 3 : L’enveloppe flotte au dessus du bâtiment Gare de bus de Salto, http://misfitsarchitecture.com/2014/03/13/ architecture-misfit-14-eladio-dieste/

10


révolution industrielle ne nous a pas permis d’inventer de nouveaux matériaux mais plutôt de les mettre en œuvre autrement. C’est pour ça qu’il décide de ne travailler qu’à partir de la brique, qui présente à elle seule, une sensibilité apparente très forte. Sa rugosité et sa couleur ocre lui donnent beaucoup de chaleur et son appareillement évoque la finesse du travail manuel. En cette deuxième moitié du XXe siècle, alors que toute la société moderne occidentale se lance dans la production architecturale de masse (qui sera plus tard accusée d’être trop froide et rigide), Dieste continue à chercher le compromis entre la sensibilité architecturale et la demande grandissante de nouvelles constructions. À partir de la lecture de deux projets dans lequel il introduit la voûte auto-portante, je vais tenter de comprendre comment cet ingénieur parvient à intégrer son prototype dans un projet architectural sensible. Je m’intéresse tout d’abord à son premier projet, sa propre maison. Construite entre 1961 et 1963 par Dieste lui-même, elle se situe dans les hauteurs de Montevideo. A l’époque, l’ingénieur vient tout juste de mettre au point son prototype structurel. Le terrain qu’il vient d’acheter est long et étroit. Les voûtes sont alors la solution parfaite. Se déployant sur la longueur, et reposant sur une simple série de poteaux, elles dégagent le sol de toute emprise structurelle encombrante. La maison s’articule autour de patios et offre ainsi de très larges ouvertures dans les murs, sans pour tant s’ouvrir totalement à l’extérieur. Il est question d’un juste rapport entre entre apport lumineux extérieur et intimité des pièces intérieures. De même, Dieste ne cherche pas à dévoiler le plan libre que permettent les voûtes autoportantes. Au contraire il marque la présence des murs massifs en briques, qui vont mettre en valeur par un jeu de lumière et de textures la finesse de courbes des voûtes. Dans le séjour, la grande ouverture révèle le profil de la caténaire. La lumière vient lécher la courbe et met en évidence le volume de la pièce. La brique gorgée de lumière 11


Figure 4 : Séjour de la maison de Dieste : les voûtes structurent l’espace Eladio Dieste innovation in structural art, Princeton Architectural Press, New York, 2004, p28. Document numérisé

Figure 5 : Chevauchement des voûtes du Massaro Agroundustries. Elles forment deux porte-àfaux de 16,4m Eladio Dieste innovation in structural art, Princeton Architectural Press, New York, 2004, p115, document numérisé

12


donne l’impression que la toiture flotte au-dessus des murs de la maison. C’est la courbe de chaque voûte qui délimite parfaitement chaque espace dans la maison, indépendamment du tracé des cloisons. La lumière vient courir jusqu’aux arêtes formées par les poutres génératrices. D’autre part, le pré dimensionnement volumique de chaque voûte donne une hiérarchie dans l’intimité des pièces : plus réduite pour les chambres et plus imposantes dans le séjour. Dieste se permet même de percer celle qui vient s’étendre au-dessus du patio pour n’en laisser apparaître que la trame. Dessous, la lumière est alors filtrée et la voûte semble paraître d’une légèreté encore plus marquée. Dans ce projet, l’architecte réussit à donner à son prototype structurel un caractère privé, familial et chaleureux, par une savante mise en évidence de sa légèreté et par un jeu de proportions justement maîtrisées. Dans un tout autre registre, je m’intéresse maintenant aux bâtiments industriels de Massaro en Uruguay, conçut par Dieste en 1978. Dans ce projet, Dieste doit répondre à un programme de neuf mille mètres carrés combinant bureaux et entrepôts. Il introduit alors deux séries de cinq voûtes autoportantes reposant sur des séries de deux poteaux et une autre de trois voûtes reposant en équilibre sur une rangée unique de poteaux. Dans leur organisation spatiale, ces voûtes auto-portantes créent l’un des effets les plus spectaculaires de l’œuvre de l’architecte. Il les met en œuvre dans ce projet de telle manière à mettre en évidence leur légèreté malgré leurs dimensions monumentales. Leur présence met en scène le vide qu’elles contiennent sous un jeu de lumière saisissant. D’après Guillermo Wirland, la mise en évidence de la légèreté s’opère par « la volonté de se détacher du sol et de trouver la stabilité à travers un tionnement structurel clair ». La dimension constante des voûtes du projet et la présence d’une trame orthogonale de quelques poteaux donnent une claire lisibilité d’un projet d’une grande simplicité apparente. Comme si la coque ne pesait guère plus qu’une feuille de papier. 13

Guillermo Wieland, Mobilité et esthétique, L’harmattan, Paris, 2013, p 95 7


Le vide, lui, est particulièrement mis en évidence par la jonction des deux séries de voûtes qui viennent se superposer en leur extrémité en formant chacune un porte-à-faux impressionnant de 16,4m. C’est la différence de niveau entre les deux entités qui marque toute la subtilité de leur assemblage. En se chevauchant, elles laissent apparaître une fine ouverture sur le ciel dessinée par les courbes de la structure. Un fort et éblouissant contraste lumineux met en tension ces deux coques. Elles semblent alors léviter en exerçant mutuellement une contre-force magnétique. La lumière qui vient s’intercaler entre ces deux fines parois est ainsi matérialisé.On observe dans l’édifice une répétition de ces ouvertures dans la coque générant plusieurs contrastes lumineux marquants. Le visiteur prend ainsi conscience de la profondeur et de l’élancement de la structure longue de plus de 120m. En somme, Dieste rend ce projet industriel renversant par une subtile superposition des voûtes et un juste maîtrise de la lumière qui provoque une émotion chez le lecteur du projet.

Au travers de cet article et de l’analyse du travail d’Eladio Dieste, j’ai tenté de comprendre les clés d’un processus d’architecturalisation d’un prototype structurel. Étape pas étape, de la conception du modèle à sa mise en œuvre dans divers projets, j’ai pu comprendre que l’élément structurel de Dieste relèvait déjà une réflexion propre à l’architecture. Bien avant sa mise en place dans un projet. Le passage de du prototype structurel au modèle architectural s’opère autant lors de sa conception en tant qu’objet que pendant le dessin de son introduction dans un édifice. La responsabilité de l’ingénieur dans l’élaboration du prototype structurel, et l’organisation spatiale de ce dernier sous le jeu de la lumière sont les deux points clés pour obtenir une symbiose entre structure et émotions, mathématiques et poésie. Dieste réussit parfaitement à allier les deux. On peut le voir dans plusieurs autres projets utilisant d’autres prototypes structurels, comme par exemple dans l’église

14


d’Atlantida où il utilise des murs en surface réglés. Ou bien dans l’usine TEM de Montevideo où il met en place des voûtes gauches à doubles courbures qui permettent de franchir très longues portées et autorise des percées spectaculaires. Cependant, ce n’est pas l’architecture de Dieste que cette analyse vise à faire comprendre, mais plutôt la pensée architecturale qu’il nous enseigne. Dans laquelle toute action de notre part doit être mesurée et répondre à un enjeu. L’étude des constructions de Dieste m’amène sur la question de la soutenabilité et de la relation entre l’architecte et l’ingénieur. En effet, l’architecture n’est plus seulement génératrice d’émotion. Elle détient aussi un impact sur notre environnement. Aujourd’hui cette logique, qui se positionne entre approche globale et démarche locale est à prendre en compte dans notre vision de l’architecture. Non pas par manque de ressources ou manque de moyens mais par conscience et responsabilité des enjeux écologiques de notre époque. La relation entre l’architecte et l’ingénieur doit alors être resserrée. Dieste nous démontre que la structure d’un édifice est la principale responsable de sa soutenabilité et de son impact sur notre environnement et notre société au sens large. On peut retrouver cette conduite et cette pensée architecturale dans le travail de recherche du laboratoire CRATerre qui œuvre dans l’expérimentation d’un modèle de construction alternatif aux à ceux qui nous sont imposés par les logiques de marché actuelles.

15

CRAterre est un laboratoire de recherche de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble. Spécialisé dans l’étude de la construction en terre dans l’architecture contemporaine. 8


Figure 6 : Technique artisanale de mise en oeuvre des murs en surface rĂŠglĂŠe, http://www.bravepraxis. com/thematic/the-workof-eladio-dieste

16



B ib liogr aph ie Livres : JIMENEZ TORECILLAS, Antonio, Eladio Dieste : 1943 1996, 4ème édition, Junta de Andalucia, Sevilla, 2001 LOOS, Adolf, Ornement et Crime et autres textes, Payot et Rivage, Paris, 2003 PRELORENZO, Claude, Mobilité et Esthétique : deux dimentions des infrastructures territoriales, L’harmattan, Paris, 2013 SIMMONET, Cyrille, Robert Maillart et la pensée constructive, Infolio, Gollion, 2013 STANFORD, Anderson, Eladio Dieste Innovation in Structural Art, Princeton Architectural Press, New York, 2004 ANDALUCÍA. DIRECCIÓN GENERAL DE ARQUITECTURA Y VIVIENDA, Eladio Dieste: 1943-1996, Andalucía. Consejería de Obras Públicas y Transportes Articles de périodiques, revues : GRINO, Sylvia, « Reference : Eladio Dieste, 34° de lattitude sud », Le moniteur Architecture, n° 107, mai 2000, pp. 7281. SIMMONET, Cyrille, « Défendre une autre culture constructive », Architecture d’Interieur CREE, n° 277, mai 1997, p. 33 ROYER, Rémi « Architecture, écologie et développement durable, style ou démarche ? », Architecture d’Interieur CREE, n° 298, janvier 2001, p. 90-97

17


école nationale supérieure

d’architecture de grenoble léo-paul chorel janvier

2015


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.