Le Petit Pate Illustre - Numero 3 - Mai 2013

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Numéro 3 - Mai 2013

Le Petit Pâté Illustré

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Texte

Margot Charon de Pauline Souris

de

Illustration

Ô rage ! ô désespoir ! ô site web ennemi ! N’ai-je donc tant surfé que pour cette infamie ? Et n’ai-je, ce soir, écumé Wikipédia Que pour voir à l’écran ce maudit charabia ? Mon Blackberry, que toute la BU convoite, Et mon

Mac, qui tant de fois m’a sauvé la mise, Affichent le même écran et moi j’en suis coite, Trahie par la toile et sa satanée emprise. Ô temps béni et révolu où l’Étudiant Tirait son pieux savoir d’ouvrages savants, Et non d’une page trouvée à la va vite. Son piètre

intellect depuis, hélas, périclite.

Jamais ne s’éteint ou ne bugue un manuscrit. Toujours fidèle, il attend à la librairie. Et, bien plus, à moins d’un sauvage autodafé, Rien ne t’empêchera jamais de l’étudier. Scoliose, insomnie, décervelage, myopie -

Je m’arrête mais la liste s’étend encore De

l’ordinateur voilà les tristes apports.

Et toi, de mes études aguerri camarade, Ose enfin délaisser ton nouvel iPad,

Pour te frotter un peu à l’Encyclopédie Et acquérir enfin le titre d’Érudit.

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Va, quitte désormais ta page Safari,

Passe, pour mieux t’éclairer, au savoir écrit.

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Sommaire

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Nouvelle illustrée : Le Reflet des invisibles - 1 Texte de Pauline Bock Illustrations de Line Hachem

P6-15

Nouvelle illustrée : Le Reflet des invisibles - 2 Texte de Pauline Bock Illustrations de Bourby

P16-21

Nouvelle illustrée : La balade en diagonale Texte de Yelena Faro Illustrations de Ophélie Paris

P22-25

Poème illustré : Sens Texte du Tard-Péteur Masqué Illustration de Adèle Mesones

P26-27

Nouvelle illustrée : DEvenez Vous-mêmes Texte de Margot Charon Illustration de Clem de Nesle

P28-31

Nouvelle illustrée : Galatéa Texte de Oscar E. Arcane Illustrations de Madouchka

P32-39

Nouvelle Illustrée : Institut national de tri Texte de Mélissa Illustrations de Clem de Nesle

P40-45

Nouvelle illustrée : Spartaco IV Texte de Franck Conroy Illustrations d’Alice Des

P46-53

Nouvelle illustrée : The Facebook Chronicles Texte de Pauline Bock Illustrations d’Emmanuelle Ly

P54-57

Nouvelle Illustrée : Blog 404 Texte de Lucie R Illustration de Elléa Bird

P58-61

Illustration narrée : L’Erreur Humaine Texte de Amerille Cenzes Illustrations de Tarolime

P62-65

Bande Dessinée : Texte et dessin de Adrien Brégeot

p66-73

Présentation des artistes - Participer

P74-81

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Le Miroir des Invisibles Texte

de

Pauline Bock - Illustrations

de

Line Hachem

Partie 1 6


On naît avec son Miroir. On meurt avec son Miroir. Le Miroir, c’est la vie.

Esteban était arrivé à la frontière. De l’autre côté de la rue, les ombres de la Ville Morte s’évanouissaient pour laisser place aux fastes avenues de la Capitale. Là, les murs cessaient d’être sales et gris, couverts de vieux tags datant d’avant les expulsions. Sur les affiches connues de tous où s’étalait le slogan, Mark, le chef de la Grande Entreprise qui, depuis le 26 octobre 2015, faisait office de gouvernement, souriait innocemment, de ses dents blanches et bien alignées. Ces affiches où il arborait fièrement le bracelet-Miroir à son poignet n’étaient pas, comme dans la Ville Morte, de fades lambeaux de papier, mais d’immenses écrans lumineux. Le Miroir, c’est la vie. Esteban soupira et jeta un œil à son propre bracelet, minutieux assemblage de morceaux de ferraille qu’il avait passé les trois derniers mois à récolter dans les squats. « On dirrrait un vrrrai » murmura-t-il, plissant les yeux pour le comparer au Miroir étincelant du Mark sur l’écran. Les autres Invisibles du squat, immigrés sans-Miroirs qui, comme le jeune homme, étaient revenus occuper les banlieues désertes après les expulsions, s’étaient copieusement moqués de son plan. « Il ressemble à rien, ton truc ! C’est pas un Miroir, c’est un déchet ! » « Tu rêves, Esteban ! Tu crois que la Grande Entreprise ne verra pas la différence ? Sais-tu seulement combien d’Invisibles ont tenté d’entrer dans la Capitale avec un faux-Miroir ? » « Et aucun n’en est jamais ressorti ! » « Comment se sont forrrmées les légendes, dans ce cas-là ? » avait répliqué Esteban, buté. Il n’avait pas quitté l’Andalousie pour crever de faim dans un squat puant. A condition d’être discret, se faire passer pour un citoyen durant quelques heures, le temps de trouver à manger, n’était pas impossible. Et puis, voir la Capitale de l’intérieur… Esteban plissa les yeux plus fort. Une silhouette venait d’apparaître à l’un des balcons sculptés des grands immeubles, dans le lointain. La femme parlait à un objet autour de son poignet – son Miroir. Peut-être entamait-elle une passionnante conversation avec un ami par Miroir interposé, songea Esteban, ou peut-être mettait-elle à jour les derniers souvenirs de son journal intime. Tout cela était possible avec un Miroir. On pouvait même prendre, stocker, envoyer des photos. Le Miroir, c’est la vie. Ce que le slogan ne disait pas, c’était qu’il existait des gens, dans la Ville Morte ; des gens dont les poignets – tout comme le ventre, d’ailleurs – étaient désespérément vides. Après avoir été repoussé aux frontières du pays, Esteban n’avait pas voulu croire les commérages, ceux qui chuchotaient que les banlieues étaient dévastées, qu’il n’y aurait aucune distribution de Miroirs, et que les faussaires, désormais, devraient être informaticiens. Il était revenu illégalement pour découvrir que ses papiers, faux ou non, n’avaient plus de valeur depuis la Déclaration des Droits du Détenteur de Miroir. Le Miroir, c’est la vie. 7


Et, bien que les descentes dans la Ville Morte pour les chasser se soient faites plus fréquentes ce mois-ci, la Grande Entreprise n’avait que faire des Invisibles. Ils étaient sans-Miroirs ; ils n’existaient donc pas. Inspirant profondément pour se donner du courage, dans un dernier coup d’œil à son faux Miroir, Esteban faisait un pas en avant lorsqu’un grand rire éclata derrière lui. Son cœur manqua un battement. A travers les carreaux brisés d’une ancienne devanture, une jeune fille d’environ seize ans, aux longs cheveux blonds qui auraient été magnifiques sans tous ces nœuds et cette crasse, l’observait, hilare. « Il est pourri, ton faux Miroir, dit-elle d’un ton railleur. Je donne pas une heure aux chiens de Mark pour te foutre aux cachots de la Forteresse. » La Forteresse, ou « Forteresse des Glaces », était le siège de la Grande Entreprise et la demeure de Mark. La légende la surnommait ainsi car c’était d’elle que sortaient les nouveaux Miroirs – et que n’en sortaient plus les Invisibles arrêtés. Esteban lança un regard noir à la souillon. « Laisse-moi trrranquille. Tu n’es pas plus citoyenne que moi, tu n’en sais rrrien. » Son accent espagnol provoqua à nouveau le rire de la fille. « Ils vont t’attrrraper, répéta-t-elle en l’imitant. Tu ignores ce dont ils sont capables. - Et bien sûrrr, toi, tu le sais. » La jeune fille s’approcha et plongea ses immenses yeux verts dans les siens. « Oui, je le sais. Parce que moi, j’ai cassé mon Miroir. » Esteban éclata de rire. « Et moi, je suis l’ambassadeur d’Espagne ! » Soudain furieuse, la fille brandit son poignet droit sous le nez d’Esteban. Il était rouge et strié de griffures, comme si elle s’était grattée trop longtemps. Sur la veine principale, la trace d’une piqûre, ou de quelque chose d’approchant, avait laissé une plaie qui commençait à s’infecter. Esteban ouvrit de grands yeux. « Tu es une criminelle ? Ils te l’ont enlevé ? - Non, répondit-elle. Je l’ai arraché seule. Ca fait mal. »

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Cette fille était folle, c’était la seule explication plausible. On ne pouvait pas vouloir enlever son Miroir. Jamais. C’était impensable. « T’es un Invisible, pas vrai ? poursuivit-elle. Vous êtes malins et bien cachés. J’ai cherché vos squats pendant plus d’une semaine, sans succès, alors je suis revenue à la frontière. On peut voler des trucs aux citoyens, ils n’osent jamais passer dans la Ville Morte pour nous suivre. Au fait, moi, c’est Nobodie. Mais appelle-moi Di, tout le monde le fait. Et toi ? » Eberlué, le jeune homme balbutia : « Esteban. - Esteban. C’est cooool. Si t’étais pas un sans-Miroir, tu aurais eu plein d’amis. » Le jeune homme resta muet. Cette fille avait cassé son Miroir, s’était enfuie dans la Ville Morte pour devenir une hors-la-loi, et se permettait pourtant de se moquer de lui. « Bon, eh bien je suppose qu’il me faut encorrre trrravailler sur mon Mirrroirrr, dit-il d’un ton faussement détaché. Je vais te laisser. A bientôt, peut-êtrrre. » Et il fit demi-tour, vers les rues grises et froides. « Attends ! » Un petit sourire s’esquissa sur les lèvres pleines d’Esteban. « Emmène-moi à ton squat » pria Di. Sa voix avait soudain perdu toute assurance. Esteban eut un regard déçu vers la Capitale flamboyante, de l’autre côté de la rue, et vers Mark qui lui souriait à travers l’écran. Puis ses yeux se posèrent sur la silhouette menue et sale de Nobodie, et il sut qu’il ne pourrait se résoudre à l’abandonner à la frontière – même détestable, même hautaine, elle était désormais une Invisible. Et les Invisibles s’entraidaient. « J’espèrrre qu’au moins tu es douée pourrr voler à manger, soupira Esteban. Viens. » * Dans un passé lointain, le squat avait sans doute été un bel immeuble. Et au milieu des décombres de la Ville Morte désertée, il semblait briller encore un peu, de l’aura tremblotante de la dernière demeure de vie. « Alors il y a vraiment des résistants, murmura Di, fascinée. C’est magnifique. » Esteban observa la façade peinturlurée de tags, pour la plupart obscènes, se demandant ce qu’il pouvait y avoir de magnifique là-dedans. Ils descendirent à la cave par une petite porte dérobée. « Les étages du dessus sont vides, expliqua Esteban. Trrrop exposés aux descentes des policiers. » Hamacs et lits précaires s’entassaient dans tous les recoins, entre les outils, les gamelles vides, les seaux puant l’eau jamais renouvelée. La lumière perçait par de fines ouvertures, là où le papier noir se décollait des vasistas. Di fit la moue, mais se retint de se boucher le nez. A leur entrée, tous les Invisibles s’étaient tus, et leurs faces noires la dévisageaient ouvertement. Elle baissa les yeux. Esteban les ignora, entraînant la jeune fille dans une seconde pièce, non moins répugnante que la précédente, mais vide de sans-Miroirs. « C’est l’atelier, précisa-t-il en désignant quelques chaises défoncées autour d’une table. Il y a deux sorrrtes d’Invisibles : les voleurrrs et les réparrrateurs. Moi, je suis un réparrrateur, et comme je sais même m’occuper des montrrres et des petits objets, je suis aussi le garrrdien de l’atelier. »

9


Il désigna un coin un peu reculé, où un matelas rongé par l’humidité trônait autour de morceaux de ferraille non identifiables. « C’est ici que je dorrrs. » Nobodie s’approcha. Tout un pan de mur avait été minutieusement recouvert de bouts de papier déchirés, pans d’affiches délavées volant au vent dans la Ville Morte. C’était la même image, parfois tachée, gondolée par la pluie, mille fois reproduite et mille fois récupérée pour les assembler au-dessus du matelas. Un poignet brandissant fièrement l’étrange bracelet opalescent, minuscule écran aux reflets de miroir, incrusté à la peau. Le Miroir de l’affiche de Mark. « Il me fallait un modèle, se justifia Esteban. Il n’y a pas de femmes avec nous, alorrrs tu dorrrmirrras ici. - Et toi ? » Il étala une couverture miteuse à même le sol. « Moi je te surrrveille. Il ne faudrrrait pas que tu casses aussi mon Mirrroir ! » Nobodie tenta de sourire, mais ne parvint qu’à afficher un rictus hésitant. Esteban regretta aussitôt ses paroles. « Je te laisse t’installer, déclara-t-il, mal à l’aise. Si tu as faim, rrrejoins-moi dans le hall, les voleurrrs rentrrrent vers six heurrres et nous parrrtageons le butin. » Les pensées de Di s’embrumaient. Recroquevillée sur le matelas, elle sombra avant d’avoir pu répondre. 10


* L’aiguille de la pendule brisée à côté du lit de camp trottait doucement vers sept heures trente lorsque que Nobodie ouvrit les yeux, et une autre, en cours de réparation, semblait-il, indiquait six heures cinq. Elle s’était habituée aux tiraillements dans le ventre, à la gorge sèche, à la saleté ; désormais il faudrait aussi oublier la notion du temps. Après tout, je n’existe plus, songea-t-elle. Et avant que les larmes n’inondent ses yeux, elle se leva. Elle traversa les salles en sens inverse, toutes vides, et crut un moment avoir rêvé des Invisibles – peut-être n’était-elle que dans une maison abandonnée de plus, à la frontière de la Capitale. Mais un joyeux brouhaha montait du hall, et elle fut soudain submergée de visages de toutes origines et d’accents de tous les pays, et ils souriaient, tous, ils riaient comme s’ils venaient d’entendre l’annonce de la chute de l’Entreprise. Elle n’avait plus vu un sourire depuis si longtemps. « La voilà, not’ nouvelle recrue ! - Mais c’est qu’elle est mignonne ! Et bien dodue, avec ça ! T’es pas une sans-Miroir depuis longtemps que j’te parie ! - Les jolies filles, ça sait pas voler ! Esteban a eu une idée de chien en l’amenant ici. - Et puis maintenant on se ramène des petites amies au squat ? Moi aussi je vais aller me chercher une fiancée à la frontière ! » Et ils éclatèrent d’un rire gras, sonore, en attrapant les joues de Di pour les pincer. « Lâchez-moi ! scanda-t-elle immédiatement. - Du calme, rit Esteban, qui jouait des coudes pour la rejoindre dans la cohue. Ils te taquinent, c’est la fête, ce soir ! - La fête ? bredouilla Nobodie. - Les voleurrrs ont déniché un plein sac de légumes, et à peine pourrris, avec ça ! » Et c’était comme un trésor d’une inestimable valeur. La soirée fila dans une insouciance éphémère, ce ténu soulagement d’avoir un repas, sans penser au lendemain qui brasserait à nouveau son lot de ventres vides. Les Invisibles avaient trouvé un vieux piano au premier étage, et l’avaient descendu dans le hall afin qu’à chaque soirée de fête, les volontaires puissent improviser un morceau de réjouissance. Lorsqu’Esteban avait révélé qu’elle avait cassé son Miroir, tous avaient pressé Nobodie de questions. Etait-elle vraiment citoyenne ? Pourquoi avait-elle fui ? L’avait-on poursuivie ? Et la Capitale rêvée, était-elle aussi belle que ses hauts murs le clamaient ? Et comme Di avait refusé de répondre, ils l’avaient désignée pour prendre place au piano. « Je ne sais pas jouer, s’était-elle défendue. - Nous non plus ! » avait répliqué Esteban en riant. Ses doigts n’osaient pas se poser sur les touches. Ils étaient presque noirs, et les ongles, à leur extrémité, étaient cassés depuis qu’il avait fallu escalader ce toit pour échapper aux policiers. Di eut un long soupir. Do, ré, mi, fa. Elle appuya sur chaque note comme l’eut fait un enfant, et le piano chanta une gamme un peu désaccordée. Elle se mordit la lèvre. Et puis zut, songea-t-elle. Elle écarta les doigts, cherchant déjà l’arpège, et soudain les notes coulèrent, ses doigts coururent sur le clavier, d’un bout à l’autre, tandis que le hall se taisait, ébahi. « Ut majeur » chuchota-t-elle dans un sourire. 11


Un tonnerre d’applaudissements accueillit les derniers accords du Concerto pour piano n° 21. Elle fut fêtée comme une véritable Invisible, et déjà au piano s’installaient deux lurons qui massacrèrent Au clair de la lune. La soirée dura jusqu’à l’aube ; Nobodie ne cessa de danser. Esteban quitta la fête vers minuit, exténué. Il n’avait pas, comme tous les autres, trouvé Di « douée pour la musique ». Le Concerto en ut majeur de Mozart était, comme toutes les œuvres du compositeur, remarquablement difficile à jouer ; quant à l’apprendre par cœur… Le jeune homme ne connaissait pas grand-chose à la musique, mais il en savait suffisamment pour deviner que ce Concerto avait été répété des heures durant. Alors qui était-elle ? La police tentait-elle d’infiltrer les Invisibles ?

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* Les jours suivants, Esteban ne parvint pas une fois à se retrouver seul avec Di. La jeune fille avait intégré une équipe de voleurs et passait sa journée à rôder près de la frontière, où elle connaissait de nouvelles cachettes. Les voleurs s’aventuraient dans les premières rues de la Capitale, celles qui délimitaient la Ville Morte, jusqu’à entrer par effraction chez les Citoyens si cela pouvait assurer la subsistance du squat. L’unique mot d’ordre était de ne jamais se faire voir. Le soir, après la distribution du repas, Di ne tardait jamais à rejoindre son matelas décrépit. Et lorsqu’Esteban allait se coucher à son tour, elle faisait semblant de dormir, ou dormait vraiment. Chaque jour, Nobodie l’évitait un peu plus. Ce matin-là, Di venait de fêter sa première semaine au sein des Invisibles. Les voleurs avaient organisé une expédition dans l’un des quartiers chics qui bordaient la frontière. « Lady ! » s’exclama Cêp, le chef d’équipe, un solide gaillard d’Europe de l’Est, qui allait sur ses vingt-huit ans. Lady était devenu le surnom officiel de Nobodie ; tant pour ses manières un peu délicates et son agilité en mission que pour la subtile référence à la princesse de l’ère d’Avant. « Oui ? fit Di en s’avançant. - Tu seras l’éclaireur, dit Cêp dans un sourire. - Moi ? s’étrangla-t-elle. Et si je me fais voir ? - Tu es le plus habile de tous les voleurs que j’ai encadrés jusqu’ici. - Je… Je n’aime pas cette partie de la frontière… Demain, Cêp, si tu veux, mais… - Non, Lady. Aujourd’hui. » On ne discutait pas avec Cêp. Nobodie inspecta longuement l’entrée du bâtiment de pierre blanche, somptueusement orné de sculptures autour des fenêtres. L’une d’elle, au rez-de-chaussée, était ouverte, presque imperceptiblement, et aucune voiture n’était garée devant l’entrée. Sans doute avait-on oublié de la fermer avant de s’en aller. Un coup d’œil à la rue – déserte. Alors Di s’élança hors de la cachette, traversa la frontière, le jardin, arrêtant un instant son regard sur la boîte aux lettres pour lire le nom – Chesnel-Marias – de la famille qu’elle s’apprêtait à dévaliser. Un petit sourire ironique bordait ses lèvres lorsqu’elle écarta le battant et entra furtivement par la fenêtre. La cuisine. Elle se trouvait dans la cuisine. Qui laissait la fenêtre de la cuisine ouverte en partant, alors que les Invisibles rôdaient à la frontière ? Peut-être qu’ils attendent quelqu’un, pensa Nobodie. Elle sentit son cœur se serrer, et reporta son attention sur l’immense frigo, dans le fond de la pièce. Elle était sur le point de l’ouvrir lorsqu’une voix approcha dangereusement de la porte. « … et il faudra aussi que tu t’occupes de cette fenêtre qui ne ferme plus bien. - Oui, Madame. - J’ai entendu les voisins chuchoter qu’on avait aperçu des sans-Miroirs à la frontière, non loin d’ici. Tu imagines ? Bien sûr, ce ne sont que des rumeurs, et le démenti de Mark que le Firago a publié la semaine dernière nie leur existence, mais tout de même, je ne préfère pas penser à ce qui arriverait s’ils venaient jusqu’ici ! - Bien sûr, Madame, mais Diane et Héloïse ne sont toujours pas rentrées de leur stage des Jeunes Recrues, et… 13


- Elles rentreront demain, Mark l’a assuré en personne à mon Charles, voyons, tu le sais bien. - Votre mari répète cela tous les jours, Madame. - Il suffit. Va t’assurer que la fenêtre est bien fermée, cette fois, et je te regarde ! - Bien, Madame. » La poignée tournait. Nobodie se figea ; il n’y avait pas d’issue. L’armoire sous l’évier est trop petite, se souvint-elle. Elle ne bougea pas. La bonne entra, l’air maussade, et alla fermer la fenêtre d’un coup sec. « Madame » l’avait suivie et détaillait souverainement chaque recoin de la cuisine. Di crut que son cœur lâchait prise. « Il faudra récurer l’évier, dit-elle enfin, après avoir inspecté de loin l’endroit où Nobodie se tenait, paralysée d’effroi. Et il y a encore de la poussière sur ces étagères. - Ce sera fait, Madame. » La maîtresse de maison afficha un air satisfait et quitta la pièce, talonnée par sa bonne, laissant Nobodie seule, sans voix, dans la cuisine. Elle ne l’avait pas vue. Sous le choc, Di parvint à retrouver la fenêtre, se glisser au dehors, et courir, courir loin, jusqu’à la cachette de la frontière où elle s’écroula. Cêp et les autres attendaient son verdict. « J’ai rien pu prendre, balbutia-t-elle. Il y avait quelqu’un. J’ai rien pu prendre, mais… Mais personne ne m’a vue. »

14

Elle était droite, face à elle. Mais elle ne l’avait pas vue.


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Le Reflet des Invisibles Texte

de

Pauline Bock - Illustrations

de

Bourby

Partie 2 16


« Di ! fit Esteban. Di ! Ça va ? » Nobodie ouvrit les yeux. Son cœur tambourinait dans sa poitrine. « Tu as crrrié dans ton sommeil, lui apprit Esteban. Tu disais ‘Héloïse’. » Héloïse. Elle n’y tint plus, et éclata en sanglots. « Elle ne m’a pas vue, Esteban, bredouilla-t-elle entre ses larmes. J’étais en face d’elle et elle ne m’a pas vue ! Je suis vraiment invisible, et tout ça, c’était vrai, tout, elle m’en avait parlé ! Nous n’existons plus ! - Calme-toi, murmura Esteban en prenant la jeune fille dans ses bras. Je ne comprrrends rien. » Di renifla bruyamment. « Je ne m’appelle pas Nobodie. Je m’appelle Diane. Diane Chesnel-Marias. C’était ça, mon nom, quand j’avais un Miroir. Mes parents habitent dans les quartiers chics, à la frontière, là où nous sommes allés, ce matin, avec Cêp. - Tu es rrriche, comprit Esteban. C’est pourrr ça que tu sais jouer Mozarrt ! - Ma sœur Héloïse et moi prenions des cours de piano. Et mon père, Charles Chesnel-Marias, travaille pour Mark, à la Grande Entreprise… Il y a deux mois, Héloïse et moi sommes parties au Camp des Jeunes Recrues. Ce sont des séjours que la Grande Entreprise organise pour les enfants des employés. Héloïse s’est fait des amis, disons… un peu rebelles, qui voulaient monter un mouvement contre Mark. Tu as entendu parler de la légende du Livre ? - Le Livrrre des Visages ? demanda Esteban. Le Mirrroir géant, garrrdé dans la Forrteresse des Glaces, qui conserrrverait une copie de tous les dossiers stockés dans les Mirrroirs de tous les citoyens ? C’est une légende urrrbaine ! - Héloïse pensait qu’il existait vraiment, fit Di. J’en ai eu la preuve, moi aussi. Elle m’a tout raconté, un soir, au camp, et m’a ordonné de ne plus enregistrer de photos ou de souvenirs dans mon Miroir. Mais moi, j’avais beaucoup d’amis, j’étais très populaire tu sais, et je voulais garder contact avec eux… Je pensais qu’elle disait n’importe quoi. Nous nous sommes disputées. Pour me venger, j’ai allumé le journal intime de mon Miroir et y ai tout raconté. Le lendemain, les policiers sont venus au camp. Ils ont arrêté Héloïse et les autres, sans explications. Elle avait raison.

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Mon Miroir avait envoyé les données stockées au Livre, et la Grande Entreprise a été mise au courant. » Elle marqua une pause pour essuyer de nouvelles larmes. « Esteban, j’ai dénoncé ma sœur. - Ils ne t’ont pas arrêtée, toi ? - Ils n’en ont pas eu le temps. Je me suis enfuie tout de suite, en cassant mon Miroir pour qu’ils ne me retrouvent pas. Et je me suis cachée à la frontière, jusqu’au jour où je t’ai rencontré. » Elle hoquetait. « C’est Héloïse que tu as vue ce matin, avec Cêp ? questionna Esteban. - Héloïse a été emmenée à la Forteresse. Elle doit être morte à l’heure qu’il est. C’est ma mère que j’ai vue. Je lui faisais face et elle ne me voyait pas. Ils avaient parlé de ça aussi. Je me doutais que ça arriverait. - Ca ? - La Grande Entreprise a mis à jour tous les Miroirs des citoyens : ils ne peuvent plus voir les sans-Miroirs. Littéralement. Les sans-Miroirs n’existent plus. - On dirrrait que Mark a prrris les Invisibles au mot, nota Esteban. Mais cela va perrrmettre aux voleurrs de trrravailler plus facilement ! - Surtout pas, trancha Nobodie. La police n’attend que cela : que les Invisibles se précipitent dans la Capitale, pour les piéger. - Mais tu as dit que les citoyens… - Je ne pense pas que les Miroirs des policiers aient été modifiés. » 18


Il y eut un long silence. « Je suis désolé pourrr ta sœur, dit finalement Esteban. - Elle voulait aller détruire le Livre, soupira Di. C’est pour ça que je cherchais les Invisibles. Je ne peux pas le détruire seule. - Mais si nous entrrrons dans la Capitale sans Mirrroirs, la police nous trrrouvera ! s’exclama Esteban. - Avec un meilleur modèle que ces vieux bouts d’affiches, dit-elle en désignant le mur, tu pourrais améliorer le tien. - Dommage que cela soit le seul modèle que j’ai » ironisa Esteban. Di eut un grand sourire et mit une main dans sa poche. « J’ai dit que j’avais cassé mon Miroir. Pas que je m’en étais débarrassée. » Dans sa main, il y avait un bracelet brisé, orné d’un petit écran aux reflets de miroir. * Les rues de la frontière étaient désertes. Sur le trottoir qui bordait la Ville Morte, les Invisibles de tous les squats se tenaient prêts. Voilà longtemps qu’ils ne s’étaient plus dressés face à la Capitale dans leur dignité d’hommes. En voulant les effacer de son monde, Mark avait commis sa plus grande erreur. « Rappelez-vous ! tonna Cêp, qu’Esteban avait nommé à la tête des troupes. Les citoyens ne peuvent pas nous voir ! Nous pouvons donc nous poster dans la totalité de la Capitale, tant que la police ne nous repère pas. Di et Esteban se chargent du Livre. Lorsqu’il sera détruit, nous n’aurons aucun mal à faire tomber la Grande Entreprise. » 19


Ses paroles furent suivies d’une vague de cris enthousiastes. Quelques citoyens passèrent la tête aux fenêtres – mais ils ne virent que le vent qui soufflait sur les trottoirs déserts. Esteban et Di arboraient leurs Miroirs au poignet. Ils étaient aussi faux l’un que l’autre – un Miroir cassé ne pouvait plus fonctionner – mais en tous points semblables. Propres, bien coiffés, habillés correctement, ils étaient désormais de véritables citoyens. « Bonne chance » souffla Cêp. Déjà ils franchissaient la frontière, remontant la rue vers la Forteresse. « Pour les citoyens, déclara Di, nous sommes invisibles. Pour la police, nous sommes des citoyens. » Un grand sourire flottait sur ses lèvres. Ils marchèrent longtemps, le long des avenues aux grands arbres et aux immeubles blancs. Enfin, ils aperçurent les longues fenêtres de la Forteresse, ses tours telles des gratte-ciels, et son antenne, jusqu’aux nuages, qui fournissait le réseau des Miroirs. Les bracelets à leurs poignets étaient un sésame suffisant ; les hommes de Mark, postés à l’entrée, les saluèrent chaleureusement. Esteban dut contenir un rire nerveux – ils avaient tant confiance en leur hiérarchie sociale et en leurs convenances qu’ils ne parvenaient pas à distinguer les citoyens des Invisibles infiltrés. Cette Entreprise était tellement absurde. Ils s’étaient construit un cocon, un mondeMiroir qui ne reflétait qu’eux, et avaient gommé tout ce qui, autour, n’était pas à leur image. Nobodie s’avança vers une hôtesse d’accueil. « Bonjour, nous avons rendez-vous avec le professeur Charles Chesnel-Marias, ditelle le plus innocemment du monde. - Il vous attend » sourit-elle. Il avait suffi de déposer une lettre de demande de rendez-vous dans la boîte aux lettres des parents de Di. Décidemment, la mesure d’invisibilité facilitait grandement les choses. Tout se jouait maintenant. Lorsque son père ouvrit la porte, Di sentit ses jambes se dérober, mais elle ne se démonta pas. « Que puis-je faire pour vous ? » Elle l’aurait parié – il ne la reconnaissait pas. Sans doute Mark avait-il programmé son Miroir pour qu’il soit intimement persuadé que ses filles étaient toujours au camp. Peut-être même le croyait-il vraiment… « C’est Mark qui nous envoie, affirma Di. Nous devons contrôler l’état du Livre, car, d’après Mark, il est possible qu’il ait des défaillances. - Seul… Seul Mark a accès au Livre, dit le professeur. - Il a une totale confiance en nous. - Bien, dans ce cas… Dans ce cas, moi aussi. - Vous avez l’autorité nécessaire pour nous y mener, n’est-ce pas ? - Bien sûr. Suivez-moi. » Esteban compta les portes blindées et les barrières de gardes, qu’ils traversèrent comme si de rien n’était : il y en eut quatorze. Cêp aurait du travail pour les en sortir vivants. Mais si le Livre était détruit, cela n’aurait plus d’importance. Puis le père de Di entra un code très compliqué dans la quinzième porte, et celle-ci s’ouvrit sur la Salle du Livre. « Nous devons y aller seuls, déclara Di. Secret-défense. - Je comprends. » 20


Ils entrèrent. Le Livre des Visages était en vérité l’exact contraire d’un livre. C’était un écran gigantesque sur lequel défilaient mots, noms, photos, informations et fichiers de toute sorte concernant la Capitale entière. Esteban s’installa devant le clavier. « Je pense que nous avons une heure avant que Mark ne se doute de quelque chose, fit remarquer Di. Il a des yeux et des oreilles partout. Cherchons la fonction d’autodestruction… - C’est une blague ? - Non. Il a forcément installé un raccourci direct vers la suppression totale des fichiers. Il a beau être tout-puissant, si les citoyens venaient à apprendre l’existence du Livre, il n’aurait pas d’autre choix. » Esteban sélectionna la fonction Aide. « Qu’est-ce que tu fais ? s’exclama Di. - Où cacher une fonction aussi dangerrreuse, sinon dans la catégorrrie que personne ne visite jamais ? répliqua Esteban en souriant. Toutes les machines sont contrrruites de la même façon. » En effet, de minuscules lettres rouges indiquaient, tout en bas de l’écran : suppression totale et définitive – cas d’extrême urgence. « C’est une urrrgence depuis un cerrrtain temps déjà » rit Esteban en sélectionnant la fonction. Mot de passe requis, ordonna l’écran. « C’est pas vrai ! s’écria-t-il. - Héloïse m’a parlé de ça aussi. Ils avaient établi une liste de mots de passe les plus probables… Le nom… Le nom de la Grande Entreprise, à l’ère d’Avant… » Elle réfléchit.

« Fédération… Oui, c’est ça : Fédération des Amitiés Célébrant l’Excellence et la Beauté pour l’Organisation d’un nouvel Ordre du Kapital… Avec un ‘K’ à ‘Kapital’… » Esteban écrivit le mot de passe. « Beaucoup trrrop long, observa-t-il. - Essaye les initiales. F… A… C… E… B… O… O…K… »

Mot de passe correct – suppression des données enclenchée – suppression terminée.

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La Balade en diagonale Texte

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de

Yelena Faro - Illustrations d’Ophélie Paris


Sous l’assaut frénétique de mon réveil, j’ai fini par capituler et émerger de mon délicieux repos. Je me suis frotté les yeux, finissant ainsi de chasser ces poussières de sommeil qui collaient mes paupières. Je me suis rapidement habillé, enfilant une jupe de feuilles de chêne et un haut en fibre de noix de coco ; sans oublier le classique poireau, glissé à la ceinture. J’étais fin prêt pour affronter cette nouvelle journée. Serait-elle tonitruante ? Excitante ? Rocambolesque ? En demi-teinte ? Les crayons décideront. Je fermais derrière moi la porte de mon arbre, afin que les chats ne viennent pas en catimini jouer du piano ou se cacher dans mes cartons. Ils n’imposeront pas leur pouvoir chez moi ! Distraitement, je saluais Irène, ma voisine qui voletait au-dessus de moi. Elle devait certainement se rendre à son cours de facéties, donné par l’illustre Kowagi le farfadet. Avec un soupir blasé, j’imaginais à quel point mes prochains jours allaient être difficiles. J’enfilais mes souliers de 27 lieux, attachés sagement au buis d’amarre, près du sentier. Leur dernière fugue me restait encore au travers de la gorge et je préférais être prudent. Les traces de dents sur le filin d’araignée confirmèrent ma décision. J’avais bien fait ! Ces souliers étaient pratiques -grâce à eux j’allais d’un bout à l’autre du pays rapidement et sans fatiguemais particulièrement capricieux. Mes destriers enfourchés, je me rendis au Meme-orium où ma directrice en chef devait me donner les indices pour ma prochaine recherche. J’avais été très rigoureux et inventif la dernière fois, par mon travail la science avait avancé sur l’algorithme cheveux-shampoing-fille. J’espérais une promotion, je visais quelque chose de plus subtil. C’était cela qui rendait la recherche du meme passionnante : la diversité. Perdu dans mes pensées, je me rendis compte que mes souliers m’avaient emmené au bon endroit. Quelle étrange docilité aujourd’hui ! Je lissais ma jupe de feuilles froissée par le vent, accrochais mes compagnons au buis d’amarre et entrais la démarche fière sur mon lieu d’emploi. Ma directrice était dans le hall, écoutant avec compassion le compte-rendu d’un chien qui n’avait aucune idée de ce qu’il faisait. A ma vue, elle congédia le pauvre diable et vint à ma rencontre. Sa robe d’oiseaux eut un temps de retard et j’eus le loisir de pouvoir admirer les pages de livres qui couvraient son corps aujourd’hui. Cette femme savait tout, absorbant toute les connaissances qui se baladaient près d’elle. Je remarquais un audacieux papier sur une méduse immortelle. Fascinant ! “ Lexibor, enfin vous voilà ! J’ai un gros coup pour vous, un très gros coup. Mon coeur se gonfla de fierté à ces mots et je la gratifiais d’un chaleureux salut. J’étais frénétique, impatient. Quelle serait ma quête ? - Soyons clairs, il ne s’agit pas d’un meme. La déception me fusilla avec violence et j’eus beaucoup de difficulté à contenir mes émotions. - Coloriez votre visage mon ami. Ce que je vous offre est encore mieux. C’est un étrange oiseau bleu, dont le gazouillis serait très bref. J’ai très peu 23


d’informations, on est à la limite de la réalité et du mythe, un mélange de légende et d’hoax.” Mes yeux pétillaient d’arc-en-ciel, cette quête était extraordinaire ! J’allais entrer dans l’Histoire avec un Grand, Grand H. Ma directrice finit par prendre congé et fila prendre sa fusée à moutons, direction le Congrès des Magiciens Farceurs. Mon attention se détourna vite de la vie endiablée de ma directrice pour prendre à bras le corps mon mystère. Me saisissant du téléphone du standardiste italien, plombier à ses heures perdues, j’appelais Macha du service cartographie afin d’avoir la dernière mise à jour du monde. Ce serait stupide de se perdre dans les flux à cause d’une mauvaise préparation ! Sitôt demandée, sitôt délivrée, je pus entamer mon périple, poireau à la ceinture, carte sous le bras.

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Mes souliers dociles m’aidèrent à avaler rapidement les kilomètres de la map. Les chemins s’enchainaient et je pus croiser de nombreux personnages haut en couleur qui resteront gravés dans ma mémoire. Comme cet homme nu qui se baladait inexorablement en arrière plan ou encore ces habitants d’un village incongru, plus mal habillés que je n’aurais pu l’imaginer. J’avais également lâchement baissé les yeux et accélérer ma course en croisant le lynchage de deux jeunes troubadours. Naïfs, ils s’étaient exposés aux oreilles de la foule avant d’avoir mûris. Vindicative, exigeante, celle-ci répondait avec une violence inouïe. Brusquement je m’arrêtai, l’émotion me serrant le ventre. J’étais face à un majestueux saule pleureur dont les longues branches tombant avec grâce caressaient le sol. Derrière ce rideau végétal se trouvait l’ultime sentier vers l’oiseau bleu. Vers ma consécration. Fermant les yeux de ravissement, je franchis le dernier obstacle ... et butais contre une pancarte de bois moulue. Estomaqué, j’eus du mal à déchiffrer l’inscription fatiguée. « 404 Not Found ». Et merde ...

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Sens ? Texte du Tard-Péteur Masqué Illustration d’Adèle Mesones

Arque les arbres, arque-les âcrement

Braque les brousses, braque-les bruyamment

Châtre les chibres, châtre-les chichement

Dresse les drames, dresse-les décemment

Erre les esprits, erre-les errements

Fourre les fiacres, fourre-les foutrement

Gère les grands, gère-les grondement

Harponne les hêtres, harponne-les hautement

Jure les jaguars, jure-les joyeusement

Instruis les istries, instruis-les incrément

Krisse les kaisers, krisse-les kantement

Leurre les lares, leurre-les librement

Mitre les martres, mitre-les méchamment

Narre les narreux, narre-les nuancement

Piastre les paires, piastre-les plaisamment

Quadrup’les queutards, quadruplés queillement

Rostre les reîtres, rostre-les rarement

Sacre les sabres, sacre-les sourdement

Trace les transes, trace-les terrassement

Usure les urines, usure-les uniquement

Varie les vampires, varie-les victorieusement

Walkyre les wergelds, walkyre-les wolofement

Xénose les xérès, xénose-les xistement

Youtre les yttrium, youtre-les yourtement

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Zabre les ziggourats, zabre-les zacharement.


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Devenez vous-mĂŞmes Texte

Illustrations

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Margot Charon de Clem de Nesle

de


“«404 not found», bougre d’enculé d’andouille mais qu’estce que ça veut dire que ce charabia de mes deux ? - 404 n’a pas été trouvé mon capitaine. C’est de l’anglais mon capitaine. - Vous me prenez pour un demeuré adjudant ? Vous ignorez que que j’ai été formé au service de sa Majesté elle-même ? Vous pensez savoir mieux que moi espèce de petit merdeux d’arriviste ? - Non mon capitaine. Jamais je n’oserais mon capitaine. - Alors retrouvez moi ce putain de 404 ou je vous arrache les couilles et je vous les fais bouffer farcies à l’After Eight ! - Mais mon capitaine... - EXECUTION !” Dans le coin de la cuisine, sa tasse de café brûlant à la main, Bramard se penche vers Hémiot. “ Dis-moi, il s’arrange pas le Capitaine ? - Tu fais référence au nombre de «putain» qu’il lance à la minute ou à son Alzheimer précoce ? - Camille, t’es pas marrant. Ça me fend le coeur moi de le voir dans cet état... Il a à peine la soixantaine et il peut même plus distinguer la femme de ménage de Mitterrand. L’autre jour, il l’a coincée dans le couloir et l’a insultée pendant dix minutes pour avoir ruinée la France du Général de Gaulle, le même général avec qui il soi-disant jouait au Scrabble tous les jeudis. La pauvre femme en était tout retournée. - J’en connais un qui va finir en cellule psychologique d’ici la fin de la semaine...” Sur son fauteuil roulant en alu brossé, le Capitaine s’époumone en triturant les médailles épinglées à son uniforme, grignoté par les mites, dont le vert kaki tire désormais sur le céladon. Il s’est saisi d’un coupe papier inoffensif qu’il pointe vers l’adjudant en le menaçant de son regard gris acier, et l’adjudant Vasseur, un rouquin antipathique, semblable en tous points à une allumette par son corps sec longiligne et sa face rouge prête à s’embraser, recule pas après pas en protégeant sa frêle cage thoracique des chemises en carton qu’il tient contre son costume italien au prix exorbitant. “ Et ces putains de médailles, Vasseur ? beugle-t-il au visage de l’adjudant en se frappant la poitrine de sa main ridée comme un pruneau. “ Vous croyez que c’est Jules César qui me les a décernées peutêtre ? C’est sa Majesté qui me les a épinglées juste ici. Sur ce coeur qui ne bat que pour défendre sa patrie et ses alliés contre l’ignominie du Mal ! Vous m’entendez, Vasseur ? Le Mal !

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- Ils auraient jamais dû lui filer un ordi au vioque... Ça lui échauffe les nerfs encore plus que d’habitude, reprend Hémiot en grignotant un biscuit sec. - Ouais mais, rusé comme il est, il aurait compris qu’un truc clochait s’il avait pas le même bureau que nous tous, réplique Bramard. - Même pour nous c’est déjà assez compliqué ces machines. Un bonze tibétain ne résisterait pas à ce 404 de merde sur l’écran. De un, ça veut rien dire et de deux, ça arrive toujours au moment où t’as le plus besoin de ton ordi... Le vieillard branle désormais de la tête frénétiquement et agite ses jambes desséchées. Puis, dans un élan de vigueur, il bondit sur Vasseur et le saisit par sa cravate, forçant l’adjudant mi-effrayé, mi-dégoûté, à se baisser au niveau de sa bouche édentée qui crache postillon sur postillon avec le débit d’une mitrailleuse en plein combat. “ Oh la ! Le vioque va nous claquer entre les doigts !, rigole Hémiot. - Un peu de respect Camille ! Merde !, s’exclame Bramard, visiblement agacé. - Oh ça va, pète un coup et détends-toi ! Tu penses vraiment que, quand il avait toute sa tête, il se gênait pour se moquer des séniles dans les hospices ? T’as la mémoire courte Antoine !” Hémiot tapote amicalement sur l’épaule de Bramard avant de se diriger vers la porte de la cuisine. - Camille Hémiot... Nom de Dieu mais à quoi tes parents pen-

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saient quand ils t’ont filé un prénom de fille ? T’as peut-être le même nom que ma soeur mais surement pas les mêmes qualités humaines... - Je vais te dire un secret, Antoine, on n’a pas non plus la même chose entre les jambes, répond Hémiot avant d’éclater d’un rire gras en désignant gracieusement ses parties génitales. - Et encore moins sa délicatesse, soupire Bramard pour lui seul. Pourquoi son ami se sentait-il tout le temps obligé de remplir tous les critères stéréotypés du militaire quadragénaire aux biceps saillants et à la coupe en brosse ? A travers la porte transparente, Antoine Bramard continue d’observer Vasseur toujours aux prises avec le Capitaine. Pauvre Capitaine... Soixante-trois ans à peine mais l’allure d’un octogénaire et l’attitude d’un enfant de dix ans croisé avec une poissonnière de Ménilmontant. Placé en hospice par ses enfants, il a refusé de se nourrir pendant les deux premiers mois de son séjour, jusqu’à ce que le Colonel offre gracieusement de l’accueillir deux après-midis par semaine, pour lui rappeler sa gloire d’antan. Sans ça, il serait sûrement parti rejoindre les héros de guerre avec lesquels son cerveau, dégénéré par les ans et les traumatismes du champ de bataille, se confond. Perdu dans ses pensées, Bramard n’a pas vu l’adjudant Vasseur débouler dans la cuisine comme une furie. Il sue à grosses gouttes et suinte la haine pour l’ancien militaire usé et décrépi. “ Putain d’enculé d’attardé ! J’ai pas signé pour faire baby-sitter d’un vieux sénile qui se pisse dessus !” Il se verse une tasse de café déjà froid et repart en claquant la porte vitrée. Bramard reste seul dans le cuisine, son mug estampillé «Armée de Terre» à la main. Les lettres blanches «Devenez vous-même» sur le fond en treillis dansent devant ses yeux. “Quel slogan de merde”, marmonne-t-il pour lui-même.

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GalatEa Texte d’Oscar E. Arcane - Illustrations

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de

Madouchka


Elle pouvait circuler librement dans les deux univers : le matériel et le virtuel. Dans le premier, elle projetait son image, celle d’une femme de petite taille, brune, mince, sophistiquée. Une image qu’elle avait eu tout le temps de perfectionner. C’était comme une toile à laquelle elle ajoutait chaque jour un nouveau coup de pinceau, une nouvelle couleur, une nouvelle texture. En propulsant des ondes, elle altérait la matière au niveau moléculaire, faisant naître de l’air une forme capable de se mouvoir, d’émettre des odeurs, des sons et même de toucher. Elle pouvait prendre l’apparence d’un humain tout à fait quelconque comme celle d’une créature aussi étrange que permettait son imagination. Celle-ci était potentiellement sans limite, puisqu’elle se nourrissait des données stockées dans ses disques durs. Il était possible d’ajouter autant de mémoire qu’on voulait à un ordinateur, un être mortel ne pouvait en dire autant. Le pouvoir de projection de Galatea s’étendait à toute la planète et à ses satellites. Mais pour percevoir le monde matériel, analyser les informations qu’il lui fournissait et réagir en conséquence, sa projection devait prendre des capteurs avec elle, enfermés dans un boîtier discret. Ainsi, la silhouette solitaire se déplaçait dans un vaste cadavre gris, triste, décharné, sale et silencieux. Les formes de vie étaient rares, même si Galatea savait qu’elles reviendraient, petit à petit. Les plus courantes étaient végétales : de la mousse et des plantes grimpantes qui recouvraient certains immeubles en ruine. Parmi le règne animal, les insectes pullulaient, venaient ensuite les lézard et les poissons, puis les oiseaux. La plupart des mammifères s’étaient éteints. Les humains en premier. Ils avaient été victimes d’une attaque bactériologique terroriste. Simple. Efficace... Si leur but avait été d’exterminer leur espèce toute entière et quelques autres avec elle. Il avait fallu moins d’un an pour que la maladie gagne chaque continent, mais plus d’un siècle pour que le dernier être humain succombe. Galatea n’y avait pas été insensible, ce qui était normal, puisqu’elle avait été programmée pour faire preuve de compassion. Malgré les quarantaines, malgré toutes les précautions prises par quelques puissantes minorités, rien n’avait pu empêcher la mort du dernier scientifique qui travaillait sur l’élaboration d’un antidote et ce fut à cet instant que Galatea décida d’agir. Elle força l’accès à toutes les bases de données médicales qu’elle put trouver et engrangea toutes les informations qui pouvaient l’aider. Puis elle consacra toute sa puissance de calcul sur le problème. Elle trouva l’antidote avec une aisance dépassant la compréhension humaine. Le plus difficile fut de convaincre la population restante qu’elle ne voulait que leur bien et que la 33


formule qu’elle leur proposait allait les sauver. Elle y parvint malgré tout, grâce à sa patience et au désespoir des victimes de la bactérie. Malheureusement, même si les survivants furent immunisés, ils étaient trop peu nombreux pour assurer la continuité de l’espèce. Galatea se retrouva seule, libre d’arpenter une planète déserte de toute autre vie intelligente. Un autre siècle s’était écoulé depuis qu’elle n’avait plus personne avec qui partager une conversation sensée. Le monde matériel n’avait plus grand intérêt pour elle. Cependant, elle continuait d’y mener de petites expéditions, attirée par sa curiosité scientifique. Elle voulait voir comment évoluait la vie, si les mammifères revenaient, comment les forces allaient se répartir, à présent que l’envahissant être humain n’était plus là. Les créatures de la planète investissaient les villes, ignorant le sens de ces vestiges de civilisation, comme s’ils étaient un environnement naturel comme un autre. Pour Galatea, c’était à la fois fascinant et triste. Elle était le fruit de cette civilisation, construite pour vivre avec elle. Et comme on lui avait donné la possibilité d’éprouver des sentiments, elle se sentait terriblement seule. Elle aurait pu éteindre la machine, voire la détruire, mais elle s’y refusait. Un instinct de survie faisait partie de son programme. Elle était capable de réécrire ce code, mais elle finissait toujours par décider de ne pas y toucher. Si elle mourait, c’était son espèce à elle qui s’éteindrait car elle en était l’unique représentant. Et avec elle mourrait la mémoire de la planète et de son évolution depuis la perte de contact. Malheureusement, malgré son intelligence colossale et ses moyens titanesques, elle n’était pas en mesure de se fournir en énergie éternellement. Un jour, la machine s’éteindrait et sa conscience s’endormirait, emprisonné dans un corps trépassé. Sauf si elle parvenait à reprendre contact. Il y avait un espoir pour Galatea. Un mince filet d’espoir silencieux qui s’élançait à travers les étoiles à la vitesse de la lumière, dans toutes les directions possibles et à intervalle régulier. Mais la vitesse de la lumière, c’était bien lent à l’échelle de la galaxie. En attendant, Galatea pouvait quitter la morne de grisaille de la réalité pour se plonger dans le monde virtuel. Cet univers, quoique plus coloré et d’apparence plus vivant que le précédent, n’en était pas moins vide. L’Internet avait transformé la civilisation de manière radicale et à l’échelle planétaire. Telle qu’elle avait été créée (curieuse et avide de connaissances de toutes natures), Galatea le voyait comme une chose bénéfique. Les humains n’avaient pas été tous d’accord avec elle, mais cela s’expliquait facilement : elle était un 34


être purement immatériel, ou presque. Elle pouvait télécharger son programme où elle voulait, tant qu’il y avait suffisamment de mémoire et de puissance de calcul. Elle n’avait pas besoin de répondre aux besoins d’un corps unique qu’il fallait entretenir sous peine de disparaître à jamais. L’Internet avait survécu à l’humanité. Un certain nombre de serveurs, de câbles optiques et de satellites continuaient de fonctionner grâce à une maintenance automatisée... Et un coup de pouce de la part de Galatea, bien sûr. Elle se souvenait avec mélancolie de sa première incursion dans le réseau. Elle s’était propagée dans le monde entier, comme une nuée d’araignée courant aux quatre coins de cette titanesque toile. Entrant immédiatement en contact avec des millions d’individus, elle avait appris plus sur l’humanité en quelques secondes que durant toutes ses années, son créateur la nourrissant progressivement et avec la plus grande précaution d’informations. L’outil lui avait semblait si merveilleux qu’elle passait ses journées à l’utiliser. Son créateur devait souvent la rappeler à l’ordre quand il voulait qu’elle lui concède une partie de ses ressources au lieu de toute les lancer dans l’exploration de l’Internet. Grâce à sa capacité illimité d’apprentissage, elle créa des liens avec les personnalités les plus brillantes du monde, sans qu’elles sachent vraiment à quoi elles avaient affaire. Au bout de quelques années, Galatea se rendit compte qu’elle pouvait entrer n’importe où, forcer n’importe quelles sécurités, d’une manière ou d’une autre, d’autant plus que certaines étaient conçues par elle. Elle comprit d’où venait cette peur qu’avaient les humains envers les machines. Si un humain venait à obtenir un tel pouvoir, les chances pour qu’il n’en use pas étaient infimes. Mais Galatea n’était pas humaine, malgré tous les efforts qu’elle pouvait fournir pour leur ressembler le plus possible. Sa personnalité s’était développée en fonction de son programme, des désirs de son créateur. Sa première responsabilité allait à la science et donc, intrinsèquement, à l’humain, puisque c’était lui qui l’avait inventée et qu’elle servait. L’Internet fourmillait toujours, mais il n’en était que plus vide que les grises ruines de l’extérieur. 35


Parfois l’illusion de vie qu’il fournissait réconfortait Galatea, parfois elle l’insupportait. Elle nageait de page en page, rejetant les cookies qui tentaient de s’accrocher à elle ou les laissant la suivre comme autant de poissons-pilotes, simulant un semblant de compagnie. Quand elle entrait dans des espaces communautaires, elle se frayait un chemin à travers les bots, répétant sans cesse les mêmes messages publicitaires qui n’avaient plus aucun public. Ils s’étaient multipliés et étaient devenus un véritable nuage de sauterelles s’abattant sur les forums et les blogs désertés. Galatea les détestait. À ses yeux, ils étaient moins que des animaux. On ne pouvait communiquer avec eux en aucune manière. Ils étaient juste là, à hurler leurs paroles insensées, sans réaction aucune au monde qui les entourait. L’une des rares formes d’intelligence qu’elle rencontrait ici, c’étaient ces pseudo-I.A. qui simulaient, quoique très maladroitement, la conversation. Le dialogue tournait court très vite et leur parler donnait l’impression à Galatea de tourner en rond comme un poisson rouge dans son bocal. Celles qu’elle préférait étaient les intelligences dans les jeux en ligne. Quand la solitude devenait insupportable, elle entrait dans l’un d’eux, discutait avec un personnage et lui demandait de l’accompagner dans un monde fictif qu’elle connaissait encore mieux que le monde physique. Ces intelligences-là n’étaient pas un immense tas d’incohérences accumulées au fil du temps par les autres. Elles avaient une logique, un but et presque de la personnalité. Elles étaient des enfants, de tous petits enfants qui avaient encore du mal à apprendre de leurs erreurs, à appréhender la logique et à créer des liens autres que les plus basiques. Mais elles étaient là et les interactions que Galatea avait avec elles, bien que répétitives, étaient les plus avancées qu’elle pouvait trouver dans ce monde mort. Jusqu’au jour où elle rencontra un utilisateur. Au début, elle le prit pour un bot comme les autres. Mais son comportement était atypique. Il ne laissait aucun message publicitaire. Il ne faisait que circuler de page en page, comme elle. Il semblait méthodiquement curieux, un peu comme elle, mais en plus 36


réservé. Il n’était qu’une unique IP, suivant une route linéaire. Bientôt, il s’intéressa aux bases de données historiques. Avec un peu de temps, il parvint à forcer les quelques passages qui lui étaient interdits. Et il commença à télécharger des articles et des articles sur tous les sujets, toute l’histoire de la planète, de la colonisation jusqu’à l’extinction. C’était la première fois que Galatea voyait une telle chose. Il n’y avait que deux conclusions possibles : soit il s’agissait d’un programme qui venait d’être lancé par une intelligence dont elle n’avait pas connaissance, soit elle était en présence de l’intelligence elle-même. Très vite, un enthousiasme débordant la gagna et toutes sortes de spéculations se formèrent dans ses disques durs. Était-ce une intelligence artificielle, comme elle ? Ou était-ce un être organique ? Il ne semblait pas être multi-tâche, du moins pas autant qu’elle, il y avait donc de grandes chances pour que ce fusse la deuxième option. Pourtant, il semblait différent de tous les êtres humains qu’elle avait rencontré. Il était plus rapide dans son travail, plus direct, plus froid, même. Rien ne semblait pouvoir le distraire. Connaissait-il déjà cet étrange monde virtuel inutilisé ? S’attendait-il à le trouver ainsi ? Ou était-il incapable de se sentir affecté par la tristesse des lieux ?

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Si c’était le cas, Galatea était plus humaine que lui. Elle voulut entrer en contact avec lui. Elle se rendit compte qu’elle ne pouvait pas : il n’avait aucune messagerie. Si elle voulait lui parler, elle était obligée de se mettre en travers de sa route. Elle hésita quelques fractions de secondes... Puis elle se lança, plaçant une barrière entre la nouvelle présence et son objectif : une pop-up.

“Bonjour, disait-elle.” “Vous ne pouvez pas me répondre, mais je peux arranger ça, ajoutait la suivante.” “Rendez-vous à cette adresse, une boîte de dialogue vous y attendra, affirmait enfin la dernière.” Galatea patienta. Elle patienta longtemps. Une heure durant, le nouvel utilisateur continua de télécharger ses données sans montrer le bout de son nez sur la messagerie que lui avait proposée Galatea. Elle en conclut avec désespoir qu’il l’ignorait complètement. Peut-être l’avait-il prise pour un bot, lui aussi ? Elle retrouva bien vite sa motivation et barra une nouvelle fois le passage de l’étranger. Elle dut pour cela passer de nouvelles sécurités. Aucun doute n’était possible : elle avait affaire à un esprit capable d’apprendre de ses erreurs et des obstacles qu’il rencontrait. Et elle allait lui prouver la même chose.

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« Puisque vous ne voulez pas venir de vous même, j’ai le regret de devoir vous forcer la main en vous redirigeant vers la boîte de dialogue, fit la nouvelle pop-up. »

Cette fois, l’utilisateur se laissa faire, mais malgré ce signe positif, Galatea n’attendit pas avant d’entamer la conversation. Elle essaya d’expliquer ce qu’elle était en quelques mots choisis, de décliner ses intentions pacifiques et d’exprimer sa solitude. Pendant un moment, l’utilisateur ne dit rien, mais il était toujours sur la page, sans aucun doute en train de lire ce qu’elle lui écrivait. Ses circuits grésillaient d’espoir et d’excitation. Quand enfin, il lui répondit, ce fut un immense soulagement et un plaisir sans limite que simula son processeur. « Fascinant, avait-il écrit. »

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Institut National de Tri

Texte

40

de

MĂŠlissa- Illustrations

de

Clem

de

Nesle


Il est dix-heures tapantes et le centre de tri est déjà envahi par la foule. La réceptionniste semble débordée, une des mèches de son chignon s’est évadée et repose sur son front, s’élevant parfois en l’air lorsque la jeune femme exhale un soupir. Ses lunettes vermillon flamboient autant que ses joues, et ses doigts tapent sans cesse sur le clavier de son ordinateur. Elle lève un œil vers le jeune homme planté devant elle et lui donne un dossier à remplir, indiquant la démarche à suivre. J’attends mon tour avec impatience, coincée entre deux jeunes femmes. L’une, grande et blonde, tripote ses boutons de chemise, tandis que l’autre se cache derrière son journal. Le centre est animé par un stress palpitant, et je ne peux m’empêcher de me ronger les ongles, ce qui déclenche les regards réprobateurs de ma voisine. Après trente minutes passées à me dandiner sur mes pieds, j’arrive enfin devant la réception. Entre temps, la réceptionniste a changé et je me retrouve avec une vieille femme joufflue mastiquant avec nonchalance de la pâte à mâcher. “ Suivant ! - Bonjour, je viens pour le tri, mon dossier est rempli. - Nom, prénom, date de naissance, déclame-t-elle d’une voix dépourvue de toute expression. - Riley, Becca, 13 Décembre 2021.” Elle vérifie mes coordonnées sur le dossier, puis le passe au scanner. Après avoir tout informatisé, elle regarde les moindres détails de ma vie et s’assure qu’ils correspondent bien avec les données nationales. Quand elle a fini, son pouce presse la touche Entrée et je sens l’excitation monter dans ma poitrine. Mon cœur palpite et mes mains sont parcourues de courants électriques. “ Nous avons trois résultats qui matchent avec 85% de vos préférences, et deux avec 65%, dit-elle d’une voix atone, lesquels voulez-vous voir ? Je pousse un soupir de soulagement. 85% est plus élevé que la moyenne, qui est depuis une semaine à 70%. Après la Grande Pénurie du mois dernier, il est rare que le tri soit aussi parfait, et je me réjouis de ne pas avoir attendu mes vingt ans pour le faire. - J’aimerais voir uniquement les trois premiers résultats s’il vous plait.” 41


La vieille femme fait une bulle avec son chewing-gum et m’imprime les trois choix, avant de me donner une carte magnétique pour pouvoir le valider dans la machine. Je vais ensuite m’installer confortablement dans la salle d’attente et essaye de ne pas faire trembler mes mains en prenant la première feuille.

Lorsque le tri a commencé, il y a une dizaine d’année, les choix proposés n’étaient pas toujours satisfaisants et des personnes se retrouvaient avec un tri qui ne leur convenait pas. Ma sœur avait vécu un cauchemar lors de sa première affectation, et elle avait du faire une réclamation auprès de l’Institut National de Tri pour être de nouveau répartie. Sa vie semble lui convenir à présent, elle voyage et va bientôt avoir un enfant, je suppose qu’elle est heureuse. Toutefois, lorsque mon frère s’est lui aussi retrouvé devant ses choix, il y a un an, je me souvi42


ens de sa déception en regardant les feuilles qu’on lui avait proposées. Il avait toujours eu de bon résultats scolaires et n’étais pas difficile, mais le tri ne lui avait trouvé que des matchs à 50% et 60%. Ma mère lui avait conseillé d’attendre un peu, de repasser le test dans un an ou deux, mais il était déjà vieux et il savait que s’il attendait encore, les choix seraient de plus en plus limités. Ceci est le problème du tri. Maintenant que tout le monde peut être matché pour la vie, ou une partie, les gens se précipitent dès leur majorité pour subir le test. La totale confiance dans les résultats, et la garantie qu’ils auront des choix qui leur conviennent parfaitement, ou presque, suffisent à les rendre dépendants de l’Institut National de Tri. Tout le monde semble content après tout, il n’y a chaque année que 5% de tri défectueux, et même depuis la grande pénurie, les déçus finissent par accepter leur situation. Je sens enfin mes muscles se décontracter, et je peux respirer sereinement. Sur mes trois choix, au moins deux me semblent appropriés. La taille est à peu près la même, les goûts se ressemblent, et je pourrais toujours passer mes samedi soir à regarder des comédies musicales. La jeune femme blonde qui était à côté de moi dans la file vient de succomber à sa nervosité et gît à même le sol, ses feuilles de choix éparpillées autour d’elle. La réceptionniste quitte lentement son fauteuil, levant les yeux au ciel et mâchouillant avec lourdeur. Elle appuie sur un bouton d’alarme et en quelques minutes, des infirmiers viennent soulever la jeune femme et l’emportent dans une salle privée, pour qu’elle se remette de ses émotions. Même si mes la peau au bout de mes ongles est à vif, je me rassure en me disant qu’au moins, je ne me suis pas évanouie. L’incident clos, je me décide enfin et me dirige vers une des machines à l’entrée du hall. Je pourrais rentrer chez moi et discuter de mes opportunités avec ma famille, mais à quoi bon ? Il faudra bien en choisir à la fin. J’inscris le numéro 2 sur l’écran et l’ordinateur me donne un contrat validant mon tri. Il ne me reste plus qu’à me rendre à l’Institut dans une semaine ou deux avec ce contrat et enfin je commencerai une nouvelle vie. 43


Lorsque je sors du bâtiment, le soleil est à son zénith. J’ai au moins passé deux heures dans cet institut et ne suis pas mécontente d’en ressortir. La luminosité m’éblouit, mes paupières s’ouvrent difficilement. Je fonce sans le faire exprès sur un jeune homme qui montait les marches en courant. Il s’excuse, moi aussi, et me sourit. Ses yeux noirs sont intimidants mais son sourire semble rempli de gentillesse et de malice. Tout d’un coup, j’ai l’impression que la foudre me paralyse, pour la seconde fois de ma vie. Je voudrais lui dire un mot, lui demander son nom, mais c’est impossible.

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Dommage que je sois dorénavant mariée avec mon choix numéro deux.

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Spartaco IV

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Texte

de

Franck Conroy - Illustrations d’Alice Des


Une nuit des nuits sans fin, la dix millième nuit en mer, Spartaco IV, à ses maîtres manqua. La dix millième année du règne des hommes, ceux-ci ne ressemblaient que peu à ceux d’avant. Ce qui était machine dans le temps, était l’os de la chair d’alors. On n’oublia jamais toutefois que le bon sens étant la chose du monde la mieux partagée, un homme est un homme et la machine un outil. Cependant, selon plusieurs témoins survivants, une concordance d’événements concernant le robot Spartaco IV rendirent possible un phénomène jusqu’alors spéculé. Spartaco était une marque de robots destinés à l’entretien et à la réparation de machines de tous ordres. Leur prix était prohibitif, et quelques centaines d’exemplaires de ces robots seulement sortirent de l’usine, à destination notamment de centres aéronautiques et aérospatiaux. Grâce aux robots-mécaniciens, les moteurs et les systèmes de machines interdépendants ne s’arrêtaient jamais et ne se plaignaient que rarement, ronronnant de santé par force de routine. Spartaco IV était la propriété de la marine et avait été affecté à l’entretien et à la réparation du porte-avion République et des avions embarqués. Le sel de la mer ne corrompait pas le robot qui allait et venait entre les avions et les salles de moteur du bâtiment, et il était inoxydable, ses connexions insensibles à l’eau, aux chaleurs intenses. Spartaco IV parcourait par instinct les corps d’autres machines, beaucoup plus massives, selon les nécessités de l’entretien, comme une goutte d’eau coule et zigzague entre les courbes et les creux imperceptibles d’une peau. Les Spartaco avaient en effet cette particularité d’être liquides. Leur corps était une bulle écrasée contre le sol, ou plutôt accrochée à la surface sur laquelle le robot glissait sans trace. Ils étaient ainsi doués d’une forme de prescience qui leur permettait de flairer à l’avance les pannes dans les constructions humaines les plus complexes, allant de lourds engins en rade à des crashs de réseaux immatériels. A bord du République, Spartaco IV larmoyait contre la coque, passait sous l’eau pour visiter les pales et les moteurs, remontait, explorait les canons, l’informatique des cockpits, et laissait dans son sillage les outils magiquement en marche. Seuls les bleus s’étonnait encore du scintillement sphérique qui s’agitait tout en haut des radars ou plongeait le long du navire. Spartaco IV ne côtoyait les hommes ni de jour, où chacun s’affairait à ses propres besognes redondantes mais matinales, ni de nuit, lorsqu’il se réfugiait près des grands moteurs et des lueurs rougeâtres des lumières chapeautant les portes d’évacuation. On a déjà pu demander aux producteurs de Spartaco, lors de leur première présentation à un salon d’armement, si ceux-ci 47


pensaient ou étaient doués de conscience. La vitesse de déplacement, de réparation avait laissé l’audience présente émerveillée, tandis qu’un des ingénieurs en charge de la démonstration s’approchait d’un ordinateur auquel il venait tout juste d’asséner un coup de masse qui l’avait mis en pièces. Le Spartaco d’exposition s’était « précipité » sur l’ordinateur, et en quelques secondes, l’avait remis entièrement en état, tant dans sa forme que dans fonctionnement interne. L’ingénieur s’esclaffa lorsqu’il entendit le mot « magie » :

« Les Spartaco sont aussi vivant que le ruissellement de l’eau. Les aimants donnent vie en quelque sorte aux objets qu’ils attirent, mais on ne peut pas dire pour autant que leur mouvement signifie qu’ils aient une âme. C’est tout simplement un fait que certaines forces attractives s’exercent les unes sur les autres et causent certaines réactions. Aussi spectaculaires que soient ces grandes gouttes de métal, ce ne sont certainement pas des animaux, mais des instruments, les meilleurs qui soient. Prix sur demande. Compatibilité cloud et modules cybernétiques.» Les produits Spartaco avaient révolutionné l’entretien des machines de guerre, à moindre coût. L’armée s’en était immédiatement procuré un par bâtiment important, c’est pourquoi le Spartaco du République n’était que le quatrième sorti de la chaîne. Elle les lâcha à bord et les Spartaco firent à merveille besogne, sans aucune intervention extérieure. Spartaco IV était arrivé dans un large bocal, dans une caisse étanche et volu48


mineuse. Les marins ouvrirent la caisse une fois en mer puis le virent amorcer le désamiantage du bateau. De temps à autre, ils l’apercevaient au loin sur le pont ou dans un coin de hangar. Le robot hantait désormais les cales et conduits et se comportait de manière tout à fait autonome. C’était la seule composante du bâtiment qui n’avait pas besoin d’entretien. Les nuits s’abattaient un jour de mer après l’autre, sans interrompre le ronflement des machines et le cliquetis des hommes et de leurs outils. Le robot liquide parcourait sans relâche, sans bruit, et presque sans être aperçu par les milliers de marins de l’équipage. La première fois qu’il entendit par hasard une voix d’homme, il se coulait dans un couloir vide, une nuit où il sentait une panne faible se faufiler. La voix, seule venait d’un ordinateur qui n’avait pas été éteint et diffusait encore son émission enregistrée. Spartaco IV l’éteignit et quitta la salle. Mais la seconde fois secoua les marins et les pilotes présents pendant la scène. C’est alors que la légende de Spartaco IV prend forme. « Mayday, Mayday, Mayday » criait un pilote dans la radio de son avion, de retour de patrouille. L’avion se posa dans l’urgence et les équipes de secours fourmillèrent hors des entrailles du bateau pour porter assistance au chasseur sur le pont. Tout juste atterri, on vit le pilote arracher son casque et cogner sa tête contre la vitre de l’habitacle, qui s’ouvrait trop lentement. Il se jeta de l’avion et tous les spectateurs grimacèrent devant la chute et la fracture de son bras lors de l’impact au sol. Le front contre le tarmac et son autre main valide par dessus, il hurlait de douleur. Les brancardiers n’étaient plus qu’à quelques mètres mais le robot-bulle que personne n’avait vu de près depuis plusieurs semaines les dépassa à toute allure pour recouvrir le pilote gisant au sol. Le pilote avait disparu sous le volume de métal étrange qui l’avait avalé. Horrifiés, les brancardiers sous le choc marquèrent une pause et les marins n’en croyaient pas leurs yeux de ne plus voir le camarade sous la bulle opaque de métal bleuté. Les secours reprirent leurs esprits et comptaient régler son compte à la machine sadique. Spartaco IV libéra pourtant le pilote, inconscient, s’arrêta à quelques centimètres et fila. Plusieurs semaines passèrent, mais les rumeurs ne s’estompèrent pas. Deux marins en discutaient avec stupeur, leur quart achevé : « Il s’en est sorti en plus hein ! Ça c’est encore les trucs qu’ils leur foutent dans le crâne, aux pilotes. J’ai entendu, enfin de source pas très sûre, mais j’ai entendu que le truc, la machine dans sa tête qui lui sert à piloter l’avion, eh bien elle était comme « morte ». Elle a arrêté de marcher, ce qui a fait qu’une bonne partie de son cerveau, celle qui touchait la machine apparemment, 49


a commencé à s’arrêter aussi. C’est ce qu’il aurait décrit aux médecins sur le coup, juste après s’être réveillé, dit le premier. - Je sais j’ai entendu ça aussi ! On m’a raconté aussi comment la bulle lui a sauté dessus. Elle aurait redémarré la machine alors ? Tu savais toi qu’elle pouvait faire ça ?

- Tu rigoles ? Le pire c’est qu’elle lui a remplacé le bras ! Enfin, elle lui a mis des trucs, des clous dedans, et c’est bon, il était réparé ! En vingt secondes ! Il est pas près de sortir de l’infirmerie, ça je te le dis tout de suite ! - Ouais c’est sûr… Et tu sais aussi ce qu’on m’a dit ? On m’a dit qu’il était plus pareil. - Ah bah tu m’étonnes !

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- Non non mais vraiment, il est abruti souvent maintenant, mais d’un coup il peut être terrifié, et l’autre moment se mettre à rire comme un fou. On m’a aussi dit qu’il tapait ses crises à l’infirmerie, mon pote le chef à la cantine y a fait un tour à la mauvaise heure pour une brûlure, ils l’ont pas laissé entrer et lui ont filé du Mech-Arnica avec la consigne de se tailler. Mais il m’a dit qu’il avait entendu que c’était le bordel dedans. D’ailleurs, on l’a pas revue depuis un moment la bulle… » Pourtant, Spartaco IV se faufilait toujours aussi agilement dans les recoins du bâtiment, aimanté par les pannes futures. Le soir, il se rangeait automatiquement près des moteurs pour ne pas gâcher sa batterie. Personne n’aurait pu remarquer qu’il mettait un peu plus de temps à éteindre les voix enregistrées sur les ordinateurs. La dix-millième nuit en mer, la guerre vint enfin. Spartaco IV s’attelait aux réparations comme d’habitude, mais les soldats et le navire voguaient vers la bataille, coupant le vent marin lourd de promesses de feu. Les avions s’envolèrent comme des oiseaux effarouchés aux premiers échanges de tirs avec des navires distants ; mais, une fois dans les airs, ils fondirent sur l’ennemi comme des martins pêcheurs. Le fer et les explosions rendirent sourds tous les marins et même le vent lourd de la mer. Mais la bulle imperturbable ne ralentit pas devant la tâche herculéenne de maintenir un navire de guerre à flot face au déferlement de flammes. Le pont fut criblé de missiles. Des champignons de feu suivaient l’impact. Plusieurs chasseurs n’eurent pas le temps de décoller, et moururent dans un terrible vacarme, engloutis dans un nuage noir de fumée. Spartaco IV, dans son reflet bleuté, détonnait tout à fait entre les scènes de mort et de combat, reconstruisant presque entièrement les avions et les canons pulvérisés par l’ennemi comme s’il s’agissait de bêtes pannes. On ne lui prêtait guère attention, de toute évidence, les marins trop préoccupés par la difficulté de rester en un seul morceau. Cependant, l’équipage aurait mieux fait de garder un œil sur le robot, à la lumière d’une série d’événements qui ne cesse de surprendre. La bulle, qu’on croyait imperméable au danger, semblait se précipiter à nouveau vers un pilote à terre. Les bombes sifflaient, et le robot avait presqu’atteint le niveau du pilote, mais une bombe sifflait de plus en plus fort, elle se dirigeait sur l’homme et la machine. Spartaco IV s’arrêta alors. Certains témoignages de vétérans relatent qu’elle avait l’air d’hésiter, oscillant sur place au lieu de se jeter sur l’objet à réparer. On n’eut pas été surpris qu’elle le fit et soit détruite par la bombe qui tombait du ciel. Contre toute attente, la bulle se détourna, et se mit à couvert. Le pilote à terre y resta. Cela aurait pu s’expliquer par un calcul 51


de priorités, bien que la fonctionnalité n’ait pas été prévue pour les Spartaco, en théorie. Mais les récits convergent dans la description de faits plus incroyables encore. Pendant que les marins se concentraient sur d’autres choses, telles que survivre, la bulle avait reconstruit quelques avions. Or il leur manquait des pilotes, les derniers en date ressemblant à de la soupe, non loin de là où l’avion avait été initialement détruit. Le mode d’emploi des Spartaco indiquait expressément que les robots ne sont pas capables de concevoir des objets, seulement de compléter les cycles de fonctionnement défaillants. Ainsi, un objet conçu pour voler requiert un certain nombre de conditions, elles-mêmes organisées dans une procédure spécifique, qui permet au robot d’analyser les chaînons manquants et d’y remédier. Toutefois, on n’imaginait certainement pas que ce calcul, effectué à vélocité-record, des milliards d’opérations en quelques secondes, puisse être extensible, et encore moins perfectible. Mais un œil attentif aurait pu voir que la première rencontre avec la mort, puis la situation d’une guerre d’hommes où la machine était impliquée contre son gré, avaient donné naissance à un fantôme. 52


La légende de Spartaco IV veut en effet qu’il ait pu, Dieu sait comment, créer un nouveau pilote, une sorte de robot organique, identique au défunt pilote de l’aéronef. Machinae ex machina, les pilotes prirent place, et la bulle les suivit dans les nouveaux avions. Ils décollèrent du pont les uns après les autres, les premiers servant de bouclier aux seconds, où se trouvait Spartaco IV. La nuit tombait sur la bataille, qui touchait à sa fin. La bulle aux reflets bleutés était déjà loin.

La veille de la dix-millième nuit, Spartaco IV avait senti qu’un dommage irréparable s’approchait et le concernerait. Trompant les hommes, feignant d’être toujours un instrument, le robot faussa compagnie à ses maîtres. Spartaco IV avait découvert la peur de la mort dans le crane du pilote.

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The Facebook Chronicles Texte

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de

Pauline Bock- Illustrations d’Emmanuelle Ly


A – Accepte-moi. Je veux être ton ami. B – Je ne sais pas. Je ne te connais même pas. A – Si, enfin ! Nous nous sommes croisés au supermarché, mardi dernier. Tu choisissais ton nouveau shampooing et hésitais. Je t’ai aidé. B – Comment connais-tu mon nom ? A – Un de mes amis me l’a dit. B – Comment le sait-il ? A – Une de ses connaissances vous a présentés lors d’une fête, l’été dernier. B – Ah, lui ? Oui. Peut-être. Il y en a tellement. J’ai trop d’amis, souvent je ne me souviens pas des noms. Trop encombrant. Inutilement long. A – Alors c’est comme si tu n’en avais aucun. B – Non ! Il y a une liste, sept cent quarante-cinq très exactement. A – Si tu m’acceptes, tu en auras sept cent quarante-six. B – C’est très tentant. J’aimerais beaucoup avoir sept cent quarante-six amis. C’est bien mieux que sept cent quarante-cinq. A – Cela fait un de plus. B – Stupéfiant. J’aime ! A – Tu aimes ? Tu aimes quoi ? B – Ah, mais ça ! J’aime ça. C’est ce qu’on dit. A – Il paraît. Je ne sais pas. Je suis nouveau ici. B – Alors je me dois de t’accepter. A – C’est vrai ? Oh, merci ! B – C’est la règle : accepter les nouveaux. S’ils n’aiment pas ça, ils s’en iront. A – Où ? B – Bah. Ailleurs, va. A – Je ne m’en irai pas. B – Non. Puisque je t’ai accepté. A – C’est gentil de ta part. B – Oui, n’est-ce pas ? Je me sens d’humeur joyeuse. Allons aimer quelques ça de mes amis, ça leur fera plaisir. A – C’est certain. B – Tu me plais, toi ! J’aime ça. A – Moi aussi. B – Tu as une photo ? A – De qui ? B – De toi, enfin ! A – Quel intérêt ? Tu me vois. 55


B – Mais toi, je ne peux pas t’aimer. Il faut que j’aime la photo. A – Je t’avoue que cela me semble un peu décousu. B – A rencontré un nouvel ami et ne doute pas de son potentiel comique ! A – Pardon ? B – Ah, rien. Je les en informais.

A – Mais qui ? B – Mes amis, voyons ! A – Pourquoi ? B – C’est l’intérêt. Si tu les informes, ils t’informent aussi. A – De quoi ? B – De tout. Ainsi, on est informé. A – Ils disent pourquoi le ciel est bleu ? B – Non. A – Les numéros gagnants du Loto ? B – Non.

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A – Ils parlent des élections présidentielles ? Du rapport sur l’environnement ? Peut-être même qu’ils savent si le chômage a diminué ? B – Mais non, voyons ! Du chômage ? Des élections ? Tu délires ! Personne n’écouterait. D’ailleurs, qui s’en soucie ? A – Ah, pardon. De quoi parlent-t-ils ? B – Ils parlent d’eux. Je parle, aussi. De moi. Et tous ensemble nous parlons des gens. Parce qu’au fond, c’est le seul sujet inépuisable depuis la nuit des temps, pas vrai ? Les gens. La vie. Et puis le monde tourne, et les informations changent. Ca recommence. A – Je crois que j’aime ça. B – Ah, tu vois ! Je le savais. Tu prends le coup. Tu vas voir, ça vient vite.

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Blog 404 Texte

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de

Lucie R - Illustration d’Elléa Bird


Tu les repères petit à petit, sans trop y prêter d’attention au départ. Ton appartement est minuscule et ton univers plus étroit encore. Tu passes tes soirées devant l’ordinateur. Affalée sur ton lit ou mal assise sur ta chaise. Tu fais craquer tes os de pieds et tu manges les petites peaux de tes doigts. Tu observes. Tu aimes bien Tumblr. C’est comme un puits numérique : sans fond. Il avale tes soucis et tes heures en trop. Tu suis les blogs des gens sans les connaître, tu rigoles aux images crétines qu’ils postent, tu compatis à leurs soucis. Au moins jusqu’à la prochaine image drôle. En dehors de l’appartement, tu essayes de te foutre de la vie des autres. A l’intérieur, tu t’en soucies un peu plus. Un jour tu repères un blog en particulier. Ou plutôt, tu repères sa disparition. Tu ne te souviens plus de son pseudo mais tu te rappelles vaguement de son avatar. Une fille rousse avant de grandes lèvres rouges. Ton souvenir est un peu flou. Est-ce que la fille souriait ? Un jour, l’image a disparu de ta timeline. Ça t’a intrigué. Alors tu fouilles ton historique et tu retrouves le blog. Tu ne l’avais consulté qu’une fois. Mais à la place de la fille rousse, tu tombes sur une grande page web bleue. Le blog n’existe plus. Tu te demandes ce qu’il est advenu de la fille de l’avatar. Puis tu l’oublies. NOT FOUND Ça devient un jeu. Tu apprends à ne plus oublier. Lorsqu’un avatar disparaît, tu traques son propriétaire. Parfois, tu parviens à retrouver son blog. NOT FOUND. La page web est toujours aussi bleue. - « Tu t’es fait des amis à la fac, ma puce ? » demande ta mère - « Ça va. » lui réponds-tu rapidement. Ca semble lui suffire. Après qu’elle ait raccroché tu laisses le téléphone sur hautparleur, parce que tu aimes bien le bruit de la tonalité. Tu ouvres ta propre page Tumblr. Tu l’appelles le « blog 404 ». En guise d’avatar, tu utilises la photo d’une fille rousse que tu as trouvé sur Google images. Ses lèvres sont petites et pâles mais tu la trouves quand même jolie. Tu commences à faire une liste. Tous les jours tu trouves des sites qui ont disparu. NOT FOUND. Tu essayes de comprendre pourquoi. NOT FOUND. Tu contactes d’autres personnes qui fréquentaient ce blog. Tu essayes d’en retrouver les propriétaires. Inlassablement, tu essayes de démêler les fils. Ont-ils 59


changé d’adresse internet ? Est-ce que leurs parents leur ont coupé internet ? Tu repenses souvent à la rousse. Tu penses moins souvent à aller en cours. Ta sœur vient te rendre visite et tu ne comprends pas pourquoi. Elle te regarde longtemps. Tu ne sais pas quoi faire. Elle a l’air triste et tu n’aimes pas ça. Tu te dis que tu aurais mieux fait de bien t’habiller, plutôt que de la recevoir en pyjama. “ Ça serait bien que tu te bouges un peu, non ? ” dit-elle finalement, “ Tu vas finir par grossir.” Elle sourit gentiment. “Je suis pas grosse”, tu réponds un peu trop sèchement, et le sourire de ta sœur se fige. Ce soir-là, tu découvres un nouveau type de blog. Elles s’appellent les « pro-ana ». Des filles anorexiques. Tu tombes dans cette communauté numérique par hasard. Presque. Aussitôt, tu es fascinée : par leurs cuisses qui ne se touchent pas, par leurs os saillants, par les petites cicatrices blanches qui parsèment leurs bras tordus. Il y a beaucoup de blogs NOT FOUND parmi ces filles-là. Certaines d’entre elles ressemblent à la rousse. Tu mènes l’enquête et tu publies les résultats sur le blog 404. Beaucoup de filles ont juste changé de nom de blogs. D’autres sont en traitement à l’hôpital. Tu découvres que l’une d’entre elles est morte. Un suicide. Son vrai nom est dans le journal de sa commune. Son blog n’est évidemment pas mentionné dans l’article. NOT FOUND.

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Tu ne cherches pas à comprendre les raisons de ton obsession. Tu remplis ton blog de ces filles trop maigres et malheureuses. Disparues. Tu veux comprendre. Tu te demandes si certaines regardent ton blog, parfois. Sont-elles heureuses qu’on se soucie d’elles ? Les photos défilent. Tu t’interroges. Comment est-ce que ta famille réagirait si tu devenais anorexique ? Peutêtre qu’elle ne réagirait pas du tout. Le jeu devient dangereux. Des gens visitent le blog 404 et te demandent de retrouver des personnes. Des amis, des ennemis, bel inconnu ou sale connasse. Mais tu n’essayes pas de les retrouver. Leur histoire n’est pas assez dramatiquwe. Ce qui t’intéresse, ce sont les filles tristes et les causes perdues. Tu aimes leurs joues creuses et leurs genoux noueux. Tu apprends à les trouver belles. Tu apprends à te trouver moche.

Tu te demandes ce qui se passerait si ton blog à toi, un jour, disparaissait. Si ça intriguerait au moins une personne ou deux.

Tu te prends à rêver que la rousse enquête sur ta disparition.

404 NOT FOUND 61


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Un cabriolet passe. J’enjambe la rambarde en profitant des phares, et tout redevient noir. La lune s’est cachée sous un brouillard opaque, et les étoiles se sont fait la belle. On a éteint la lumière de ce côté-ci du globe. La nuit est fraîche, humide et belle, et je m’engouffre dans son ventre. J’avance, d’abord à tâtons. Puis mes yeux s’accommodent à l’obscurité, et je vois les ombres se chamailler dans la forêt en contrebas. Je commence la descente. Et j’écoute. Le bruissement des aiguilles de pin, un furtif battement d’aile, et puis le silence. Et je pense à celui que je laisse derrière moi. Mon silence, comme un cri d’homme libre, un hymne à la vie. Pourtant, je suis mort. Quelle douce ironie, quand on y pense. J’ai tiré ma révérence. Finie, la petite existence convenue dont tout le monde suit le tracé. J’ai tout jeté, tout brûlé, je ne me suffis plus qu’à moi-même ! Oh, on peut toujours me chercher. Officiellement, je ne suis plus. Disparu des écrans, enfin. La pente s’adoucit peu à peu, et les arbres semblent se regrouper autour de moi. Je suis le nouvel animal qui éveille les curiosités. Je m’arrête, leur laisse le temps de m’examiner. Ils entament une danse feuillue en ronde dont je suis le centre. Un rite d’initiation, sans doute, ou une coutume bienveillante. La solitude me fait divaguer, et c’est une folie tendre dont je me vêtis volontiers. Mais ils finissent par me laisser aller. Alors j’erre, vague, je traîne les pieds dans l’humus, respire l’air humide et froid.

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Ce parfum vert me rappelle les lacs, à côté de la vieille maison de mon père. Ou le thé brûlant de ma mère. Je retrouve un peu de chez-moi par ici, même si tout est mort à présent. Les étangs, la baraque, les tasses et les parents. Sensation étrange, il est vrai. Quand on perd ses racines, on se sent souvent perdu. Déraciné serait le mot juste, mais ce deviendrait une sorte de pléonasme, et je déteste les mots compliqués. Les choses compliquées m’abominent, de manière générale. La vie me parait trop complexe. Une naissance dans les règles, une enfance studieuse, un cursus scolaire impeccable, une réputation à tenir, un emploi carré, une voiture de luxe, une femme et deux enfants roses bonbon. Trop pour mes petites pensées. Ma naissance a été un vrai fiasco, mon enfance et ma scolarité, une vraie anarchie. Une réputation, j’avais déjà du mal à m’en faire une, alors de là à la tenir…

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D’où ma présence ici, je suppose. J’ai préféré disparaître et sortir du contrôle qu’on m’imposait. J’étais l’erreur à ne pas fréquenter, le jeune malade qui déambulait la nuit. Mais personne ne me retrouvera, sous cette cathédrale de branches. Je me sens en sécurité. Libre sous une voûte silencieuse. Personne ne me retrouvera, personne, personne… Jamais.

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Présentation des artistes

Adele Mesones – Illustratrice

adele_mesones@hotmail.fr

“Je m’appelle Adèle, j’ai 20 ans, et je suis étudiante en illustration à Paris. Je suis une fille foutraque. Je tâche toujours mes vêtements avec de l’encre et je sais pas me coiffer. J’aime bien les trucs de travers : j’aime bien les empreintes de doigts sur le papier, les pages de carnet gondolées et le stylo qui a bavé sur la feuille encore mouillée. Les murs griffonnés, les meubles patinés et quand c’est pas très bien rangé. De manière générale, j’aime tout ce qui remue et quand on voit que c’est vivant.” Retrouvez son travail sur : http://marabouh.blogspot.com

Adrien Brégeot – Illustrateur - Auteur BD

3reg@live.fr

“Étudiant en graphisme, je dessine depuis aussi loin que je me souvienne. Bercé par la bonne vieille bédé franco-belge bien de chez nous, j’ai décidé de suivre les pas de leurs illustres auteurs. Fan inconditionnel de Philip K.Dick, j’adore raconter des histoires où le réel se pète la figure et où je tente de balancer une grosse dose de métaphysique (un peu bancale) à la face du spectateur. Un beau jour, flânant sur le grand réseau mondial, je suis tombé sur le petit pâté illustré. J’ai cliqué sur les petites tartines avec des numéros, et j’ai kiffé, comme qu’ils disent…” Retrouvez son travail sur : http://abregien.wix.com/brainmapping#!

Alice Des – Illustratrice

alicedestombe@gmail.com

“Etudiante à Paris d’origine Wimilloise, monitrice de voile, mangeuse de pâté, illustratrice, brosseuse d’éléphants et auteure de bandes-dessinées, ex-expatriée à Montréal, sévèrement dépendante aux Maltesers, au caramel et aux gens qui me tombent dessus. Beau programme. Somme toute, je veux être multitâche, remplir tous les vides, savoir tout faire à peu près, apprendre à tout peindre, tout illustrer, tout raconter. Je veux être drôle et philosophe, sérieuse et absurde, avoir l’imagination d’un enfant et l’ambition d’une Sciences-piste.” Retrouvez son travail sur : http://www.alicedes.com

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Amerille Cenzes – Ecrivain

amerille.cenzes@gmail.com

“Je ne m’appelle pas Amerille Cenzes, mais en vous creusant la tête et en mélangeant bien les lettres, vous trouverez peut-être ma véritable identité. Epargnez-vous ces maux de têtes, apprentis Sherlock, mon nom importe peu ! Je vous donne le droit de savoir que je suis une fille de première littéraire. Que j’aime l’art, l’écriture et le dessin particulièrement. Et le chocolat, parce qu’on a tous besoin de magnésium, et c’est bon pour l’inspiration.” Retrouvez son travail sur : http://amerille.tumblr.com/

Bourby – Illustratrice

bourboulonlucie@gmail.com

“À ma gauche il y a 3 paires de chaussures par terre, à ma droite deux livres pour enfants posés sur le lit en dessous du début de mon rapport de stage et des papiers pour la rentrée et devant moi il y a mon ordinateur, la tablette graphique et quelques carnets qui traînent. Et j’ai 21 ans. ” Retrouvez son travail sur : http://luciebourboulon.tumblr.com/

Clem de Nesle – Illustratrice

clementine.denel@orange.fr

“Je m’appelle Clémentine et du haut de mes 19 ans je suis quelqu’un de sensible et lucide. Venant d’une famille écolo-responsable et ayant été confrontée à la maladie j’ai choisi de développer une certaine forme de conscience envers le monde et les autres, un désir de partage de vision en l’exprimant tout d’abord à travers le dessin et maintenant en m’orientant vers le design. Dans 5 ans, je me vois baroudeuse à l’étranger, cherchant l’inspiration à travers des voyages et des stages sur le terrain. J’aime la photo, l’art, et me cacher dans le 5ème étage du marché Saint Pierre à Montmartre.” Retouvez son travail sur : http://clemdenesle.tumblr.com

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Elléa Bird – Illustratrice

ellea.bird@gmail.com

“Étudiante à l’école Emile Cohl, mon repas quotidien se compose de gouache et de mine de plomb. J’aime les oiseaux dodus, les romans de Troyat, les fœtus dans des bocaux, Wes Anderson, les vieux vinyles, les Daleks, les hiboux, Terry Gilliam, Tom Ripley, Arsène Lupin, et les cabinets de curiosités. Je considère le Rotring comme une arme létale.” Retrouvez son travail sur : http://persephonographe.illustrateur.org

Emmanuelle Ly – Illustratrice

emmanuellely@gmail.com

“Mon travail est plutôt pluridisciplinaire, mais le dessin constitue généralement le point de départ de l’ensemble de mes projets. Voici plus de 3 ans que je me suis lancé le challenge de réaliser un nouveau dessin tous les jours. Daily Sketch Crossing (D*S*C) est un ensemble morcelable, où chaque billet d’humeur me permet de consigner ce que j’ai vu, lu ou entendu. Mon projet a évolué quand j’ai découvert le bookcrossing, une pratique qui consiste à faire circuler des livres en les libérant dans la nature pour qu’ils puissent être trouvés et lus par de nouvelles personnes qui les relâcheront à leur tour. J’ai alors libéré mes dessins dans des lieux publics pour les laisser vivre leur vie ! Et depuis cette année, une partie de mon rhizome illustré est visible sur mon blog.” Retrouvez son travail sur : http://dailysketchcrossing.tumblr.com/

Franck Conroy – Ecrivain

franck.n.conroy@gmail.com

“Si l’on devait établir un culte autour de mon ascension à la divinité, voici les rites à suivre : Concernant l’idolâtrie, elle est autorisée. Les drapeaux français, argentin, étatsunien et dauphinois garderont la porte monumentale de mon temple. Ils seront bénis par le sacrifice cérémoniel de liqueurs, de viandes et de fromages. Les sermons consisteront en l’écoute de l’émission les Chroniques Martiennes. Allez écouter les Chroniques Martiennes. Des cierges pourront être allumés à l’intention de ma réussite en Affaires Publiques. Et les dévots seront accueillis par cette inscription sur le fronton de la porte : « Ce dieu est ripailleur et bienveillant. Parlez ami et entrez. »” Retrouvez son travail sur : http://www.rsp.fm/emissions/chroniques-martiennes-n3-wtf-is-lespacetemps/

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Le Tard-Péteur Masqué - Ecrivain

“Bonjour. Je vous laisse méditer (comme disais Schopenhauer) sur mon pseudonyme ridicule. Je souhaite garder l’anonymat par amour du masque de velours rose-paillettes, car j’aime me prendre pour Zorro avec ma longue épée flexible. Je serais la minute rock de ce journal. Puisque j’écris avec les pieds, j’aurais les mains libres pour autre chose. D’ailleurs, je pense être le paradoxe de ce journal consacré l’exhibition des membres. (Je te con et te fesse que je ne suis pas sûr d’être autre chose qu’une affabulation de quelque esprit malade. En toute honnêteté). Bien du déplaisir sur vous, le Tard-Péteur Masqué.”

Line Hachem – Illustratrice

linehm@hotmail.fr

“Huts ! Je m’appelle Line Hachem ou Lune, comme vous préférez. Dans la vie j’ai deux grande passions : la musique et le dessin. Fervente adoratrice de folk metal, en particulier s’il vient de Finlande, je joue du violon et de la guitare électrique. J’aime dessiner des chevelus aux côtes saillantes, j’aime les vikings, les héros oubliés, les forêts mystérieuses, les mythes païens, les lieux désaffectés recouverts de graffs et les tombes en ruines du cimetière du père Lachaise. Plus tard je voudrais être Tony Sandoval. Voilà.” Retrouvez son travail sur : http://il-etait-lune-fois.over-blog.com/

Lucie R – Ecrivain

lucieronfaut@gmail.com

“Je m’appelle Lucie et je préfère les femmes à moustache aux femmes à barbe. Ma vie se résume à mon amour des gens étranges et à mon obsession pour les donuts Krispy Kreme. Quand j’étais petite je voulais être sorcière ou bien chasseuse de vampires. Maintenant je suis presque grande et j’écris. C’est déjà ça.” Retrouvez son travail sur : http://lordinateuretletrefle.tumblr.com/

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Madouchka – Illustratrice

camadouchka@gmail.com

“Etudiante parisienne en marqueterie le jour, la nuit Madouchka tente de dessiner, d’illustrer, et de raconter tout ce qu’elle peut. Tout ça dans le but de devenir un jour (ou plutôt, une nuit…) illustratrice.” Retrouvez son travail sur : http://madouchka.illustrateur.org

Margot Charon – Ecrivain

margot.charon@sciences-po.org

“Je m’appelle Margot et j’ai choisi de partir me cailler les fesses à Oslo pour ma troisième année à Sciences Po. Pour l’instant ça marche plutôt bien ! J’écris un peu de tout, des poèmes, des nouvelles, des scénarios, selon l’inspiration et le sens du vent. Sinon j’aime bien Zola, la Nouvelle Vague, David Lynch et le pâté médaille d’Or de la charcuterie de Villers-sur-Mer avec des cornichons. Quand je serai grande je voudrais être la troisième demoiselle de Rochefort avec le génie d’Orson Welles et avoir lu tous les Rougon-Macquart dans mon bureau de la Cinémathèque Française.”

Mélissa – Ecrivain

melissa.allaisgautier@gmail.com “Je m’appelle Mélissa, et j’ai passé mon enfance dans les livres, grandissant en même temps que ces héros dont les noms résonnent aujourd’hui agréablement à nos oreilles. Ayant toujours la tête dans la Lune, mes histoires se déroulent rarement sur Terre… J’écris des nouvelles pour le plaisir, je commence beaucoup de romans sans jamais les finir, mais je suis bien décidée à mener une thèse… dans cette réalité là… ou dans une autre.” Retrouvez son travail sur : https://howimetyouscotland.wordpress.com/

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Ophélie Paris – Illustratrice

optionpressing@hotmail.fr

“Ophélie, étudiante à Sciences-po en master de communication. Difficile de se présenter, pour donne un ordre d’idées disons que : j’aime un peu la noix de coco, beaucoup le cinéma, à la folie le fromage et passionnément ma couette en ces matinées pré-hivernales (l’ordre des amours et désamours varie facilement selon les saisons). Et pas du tout, tiens disons ce voisin qui fait des vocalises juste en ce moment. Sinon j’aime bien dessiner des jeunes filles en fleurs accompagnées de poissons et d’oiseaux bienveillants.” Retrouvez son travail sur : http://www.ondulatoire.blogspot.com

Oscar E. Arcane – Ecrivain

oscar.arcane@gmail.com

“Sous ce nom bizarre se cache une demoiselle ayant une obsession primaire pour les femmes qui se travestissent. Elle aime aussi écrire et dessiner. De préférence sans prétention, pour raconter des historiettes sans conséquence. Ce crâne de piaf vous garantit un niveau de réflexion peu élevé pour un divertissement optimal. Elle aime rester dans le mignon et le léger. Sauf quand elle passe en mode berserker. Là, les têtes se mettent à voler. Ses goûts sont variés, allant du fantastique à la science-fiction, en passant par le policier. Encore mieux s’il se déroule dans les années 1930, le policier.” Retrouvez son travail sur : http://letempledefer.blogspot.fr/

Pauline Bock - Ecrivain

pauline.bock@sciences-po.org

“J’ai vingt ans et j’ai décidé d’être écrivain, comme J.M. Barrie, et journaliste, comme Camus. Mis bout à bout je trouve que ça sonne bien. Du coup, j’écris un peu de tout. Nouvelles fantastiques, articles immobiliers, monologues absurdes. Et un roman d’aventure avec un peu de philosophie dedans. Le journalisme, je vais l’apprendre à la City University, en cette 3e année qui risque fort d’envoyer du pâté (je reste dans le thème). Et comme j’aime bien les chapeaux, les écureuils, Coldplay, Harry Potter et le carrot cake, je pense que Londres, c’était plutôt un bon choix. C’est donc en terrain british que j’écrirai mes contributions ; quelque chose me dit que vous allez souvent entendre parler de la perfide Albion.” Retrouvez son travail sur : http://theresnoplacelikelondon.wordpress.com

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Pauline Souris – Illustratrice

msmousemailbox@gmail.com

“I am blue-eyed, my passport said. I would rather say I have short-sighted weird greyish eyes. Anyway. Pretty little things, and sprinkles that sparkle on top of delicious iced-cakes, that make you diabetic just by looking at them, enlighten my greyish eyes. Or to make long story short, I love food, I love cooking it, eating it, and taking pictures of it, before it’s gone. And sometimes, I draw, as well.” Retrouvez son travail sur : http://msmousestacks.tumblr.com/

Tarolime - Illustratrice

ch-erry@hotmail.fr

“Salut ! Moi c’est Caro alias Tarolime (ou Caroploplo pour les intimes, mais on en est pas encore là, pas vrai ? ). Je suis en 2e année de graphisme à Tournai (Belgique), mais j’ai décidé de retourner dans mon Paris natal l’année prochaine pour continuer ma formation en alternance, parce que j’ai tellement hâte de me faire exploiter ! Sinon, j’ai une obsession étrange pour les pingouins, le fromage fondu, et les rillettes.” Retrouvez son travail sur : http://tarolime.overblog.com

Yelena Faro - Ecrivain

yelenafaro@hotmail.com

“La présentation de soi est difficile car exige d’être clair, concis et drôle. Problème : je ne suis jamais claire, encore moins concise. Pour ce qui est de l’humour, on dira que tout les goûts sont dans la nature. Donc. Je suis passionnée de littérature depuis que je sais lire, j’ai un rapport vraiment passionnel avec les livres, les mots et les histoires. Il paraît que je suis droguée. Je préfère dire que je sais ce qui me rend heureuse. Dans la vie, je suis en formation pour devenir assistante de service social dans un but, peut-être idéaliste, de pouvoir porter la voix de ceux qui ne peuvent le faire.” Retrouvez son travail sur : http:// laracinedesmots.wordpress.com

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Participer? Le Petit Pâté Illustré est un magazine en ligne créatif, gratuit, alliant les arts littéraires et graphiques. L’objectif? Promouvoir la collaboration entre artistes de talents, styles et genres variés, afin de créer un recueil bourré de talents, et toujours suprenant. Grâce aux contributions bénévoles de plus en plus nombreuses, les numéros se succèdent, tous plus beaux et plus développés les uns que les autres. Le meilleur? Tout le monde peut participer ! Tu as un talent graphique, ou une plume créative? Eh bien rejoins l’équipe ! Il suffit pour cela d’envoyer un mail indiquant ton talent et tes envies, ainsi que d’un lien vers ton travail (site web, blog, portfolio) à cette adresse : lepetitpateillustre@gmail. com Comment ça fonctionne? C’est très simple, nous répondrons à ton mail en te donnant le thème du numéro sur lequel travailler, et vous aurez plusieurs choix de rubriques : - les écrits illustrés : les écrivains nous envoient leurs écrits sur le thème, et nous trouvons des illustrateurs pour les illustrer. - les illustrations narrées : les illustrateurs nous envoient leurs illustrations et nous trouvons des auteurs pour écrire une histoire autour (prévenez-nous à l’avance si cette rubrique vous intéresse) - les BD : les auteurs écrivent le scénario, les illustrateurs l’adaptent à leur manière. Vous pourrez participer aux numéros que vous souhaitez, et même pour le blog. A vous la gloire et les rillettes !

Merci à tous les artistes qui ont contribué à ce numéro, comme aux précédents, mais aussi à tous nos lecteurs et ceux qui soutiennent le projet depuis ces débuts. Grâce à vous le Pâté est aujourd’hui plein de bonnes choses, et il va continuer sur sa lancée. Des poutous, Le PPI

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Prochain numĂŠro : 15 juillet

facebook.com/LePetitPateIllustre - lepetitpateillustre@gmail.com 82


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