Héroïque fantaisie - Jérémy Berton

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Héroïque fantaisie Du 19 octobre au 19 novembre 2017

Jérémy Berton

Le pays où le ciel est toujours bleu





Plis de serviette Vendu en sacs de vingt-cinq kilos, le plâtre est bon marché. Je connaissais bien ce matériau, je savais pertinemment qu’une fois durci, il ne présente aucune souplesse. Cela semblait un matériau peu adapté pour produire les formes légères et flottantes que j’avais en tête pour ma résidence au manoir 1. Je décidais de creuser cette contradiction, sans trop savoir où cela me mènerait. Pour être solides, mes bandelettes devaient être épaisses, larges et armées. Je cherchais par ailleurs à donner l’illusion de mollesse. Je réalisais les premiers phylactères au moyen de carton ondulé en guise de moule, en m’efforçant d’obtenir des surfaces tendues et des arêtes nettes. Les exagérations imposées par les contraintes techniques donnaient à ces serpentins inspirés de la peinture flamande un air gauche. La blancheur naturelle du plâtre dégageait quant à elle une sorte de pureté comique. Choisis pour leur banalité, un balai et un tréteau prélevés à l’atelier devinrent les supports disponibles pour ces expérimentations. Plus tard, bien après mon séjour au manoir, je scrutais un torchon de cuisine suspendu à un crochet et, le trouvant beau, je me demandais quelle forme il pourrait prendre selon le système de représentation que j’avais inventé alors. Les plis me posaient problème. Et chaque fois que je raccrochais mon torchon, de nouvelles séries de plis apparaissaient, toujours plus compliquées. La constante était le triangle formé par la pièce de tissus suspendue. Je trouvais une issue dans la géométrie. Le plâtre s’accordait parfaitement à cet exercice : au moyen de profils en bois découpés, je le travaillais à la manière des staffeurs, trainant la matière à la spatule. Je réalisais mes formes sur le Drapes, 2014 Plâtre

1 - Résidence effectuée en 2013 chez Aline et Olivier Le Grand, au manoir de Soisay, La Perrière (Orne).



Drapes, 2014 Plâtre

mode de la variation, abandonnant peu à peu la vraisemblance au profit de l’abstraction. Je retrouvais ensuite, par hasard, la même fascination que j’avais eue pour mon torchon face à un draps de lit séchant sur un étendoir à linge. La forme massive était à la fois totalement ordinaire et terriblement sculpturale. L’exposition Héroïque Fantaisie, titre en forme de détournement du genre littéraire, présente à la galerie du POCTB ce cycle de sculpture réalisé entre 2013 et 2017. En vitrine, j’ai installé deux ellipses en résine colorée intitulées Miroir miroir. Les deux formes, évoquant deux yeux grands ouverts dans le cadre de la vitrine, présentent en surface un dégradé sérigraphié faisant miroiter la couleur. Ces objets devaient faire allusion aux miroirs magiques de la littérature enfantine dans un langage abstrait. Seuls éléments colorés de l’exposition, ils font office de bijoux « fantaisie » charmant les visiteurs depuis l’extérieur. Jérémy Berton Octobre 2017

Mop, 2014 Plâtre et bois peint



Picnic, 2014 Plâtre et métal


Shelter, 2017 Résine acrylique et métal



Set, 2014 Plâtre et bois peint



Miroir miroir, 2017 Résine acrylique sérigraphiée



Le poirier (rond), 2016 Vernis, silicone, éponge, polystyrène, plâtre et toile apprêtée – 160 x 130 cm


Héroïque fantaisie L’approche méticuleuse de Jérémy Berton tient probablement à ce que « le quotidien est ce qu’il y a de plus difficile à découvrir » 1. Son interprétation d’objets domestiques est méthodique, guidée par la multiplicité des expériences formelles enrichissant une histoire de la sculpture qu’il connaît bien. Une histoire qui, depuis les assemblages d’objets réalisés par Picasso, a souhaité rétablir une continuité entre l’artistique et l’ordinaire, par le biais de l’expérience esthétique. Cette expérience peut en effet surgir indifféremment « à partir d’un contexte reconnu comme artistique ou d’un autre reconnu comme ordinaire » 2. L’humour qui caractérise les réalisations de Jérémy Berton procède en réalité d’un entrelacement entre une approche réfléchie et une façon digressive, fantaisiste et inattendue, de traiter les objets qu’il choisit de considérer. La sculpture intitulée Set en est l’exemple le plus direct parmi les œuvres qu’il expose au POCTB, en ce qu’elle règle de manière inattendue la question de la table par une double opération de recouvrement et de soustraction. Est donc exposé ici un ensemble de sculptures réalisées depuis 2013, année où de passage en résidence dans un manoir, avec pour seul bagage un sac de plâtre, Jérémy Berton remarque des motifs drapés « en plis de serviette » qui ornent les meubles. Comment ce motif trouverait-il à s’incarner dans le plâtre ? Voici la question à laquelle il s’attelle en ornant tout d’abord un balai. Travaillé de façon lisse et très graphique, le plâtre emprunte au marbre sa beauté aristocratique. La tête du balai forme un socle qui a l’élégance d’une collerette amidonnée. Le torchon aux formes molles vient coiffer, telle une perruque 18e, le sommet du manche. Il y a quelque chose de l’esprit surréaliste dans ces télescopages de styles, ces renversements esthétiques des valeurs, ces migrations de matériaux et l’anthropomorphisation de l’objet. De mêmes formulations métonymiques s’organisent sur la table de Picnic. On peut y projeter une relation implicite entre un rouleau de Sopalin qui pavoise et une serviette qui dégoise (ces objets empruntant leurs contours profilés à ceux des phylactères, ancêtres médiévaux de la bulle de bande dessinée). Au centre de la table, un parasol semble avoir arbitré leurs échanges et suspendu leur bavardage en se fermant, façon baissé de rideau. 1 - Maurice Blanchot, L’entretien infini, Paris, Gallimard « Blanche », 1969, p. 355 2 - Barbara Formis, Esthétique de la vie ordinaire, Paris, Puf, 2010, p. 44


L’étrangeté de cet ensemble repose sur un paradoxe : représenter des objets associés à des activités quotidiennes et les faire migrer vers l’inutilité de l’art, c’est à dire les convertir en des sculptures. Cette conversion, ou sublimation, peut expliquer le caractère suspendu qui caractérise nombreuses des sculptures exposées, et comme saisies dans un silence que vient amplifier leur blancheur. La série de six pièces murales intitulée Drapes, un travail de variation minimaliste du torchon de cuisine, poursuit cette épure silencieuse des objets. Jérémy Berton s’y concentre plus précisément sur l’écart entre la géométrie, assez protocolaire, et le pli, l’aléatoire ; l’association du compas, systématique, et du dessin à main levée. Il est amusant de voir, au fil de ces variations, comment ce principe l’emporte finalement sur le sujet lui-même, au point d’en permettre quelques interprétations incongrues. Cet exercice formel semble poser à Jérémy Berton des défis si jubilatoires qu’il en amplifie la problématique avec la réalisation de Shelter, un drap reposant sur un étendoir à linge. L’étude de formes triangulaires ou losanges se complexifie, le volume et les plis du drap ayant cette fois-ci à coïncider avec la structure de l’étendoir. Autre tour de passe-passe, illusionniste cette fois-ci : convertir une micro-architecture massive (la sculpture porte bien son nom !) en un objet d’apparence plane, fluide, légère. De nouveau la forme du drap s’essentialise, elle devient précieuse par sa qualité graphique, sa densité. Comique par l’écart qu’elle ouvre et comble à la fois, entre ce qu’elle représente et ce qu’elle est effectivement, cette sculpture interroge avec force le rapport entre le réel et sa représentation ; rapport qu’une approche poétique du monde met constamment en jeu. Les toutes dernières réalisations en date de Jérémy Berton, deux « miroirs » placés dans la vitrine de la galerie et visibles depuis la rue, annoncent en quelque sorte l’esprit de cette exposition. Ils viennent également confirmer le goût marqué de Jérémy Berton pour le dessin, le traitement de la surface et du plan, et l’étude de possibles décalages avec le volume qu’ils enveloppent. Cet aspect de son travail, lié à des enjeux de perception et d’illusion, rappelle parfois celui de l’artiste Richard Artschwager et son propos manifeste : “Sculpture is for the touch, painting is for the eye. I wanted to make a sculpture for the eye and a painting for the touch.” 3 Marguerite Pilven Octobre 2017 3 - La sculpture est pour le toucher, la peinture est pour l’œil. Je voulais faire une sculpture pour l’œil et une peinture pour le toucher.


L’oiseau mouillé, 2016 Vernis, acrylique, silicone, polystyrène, bois, matériaux divers et toile apprêtée – 146 x 114 cm


En savoir + Jérémy Berton

www.jeremyberton.com

Le POCTB Le pays où le ciel est toujours bleu, POCTB - collectif d’artistes, est un label de création et de diffusion dans le domaine de l’art contemporain. Ce label propose une programmation dans son espace d’exposition situé à Orléans et hors les murs avec La borne, microarchitecture de création et de monstration itinérante en région Centre - Val de Loire. Direction artistique : Sébastien Pons / Laurent Mazuy

Le pays où le ciel est toujours bleu Quartier Carmes - 5 rue des Grands-Champs à Orléans - 02 38 53 11 52 - www.poctb.fr

Graphisme : Sébastien Pons

Avec le soutien de


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