Mes remerciements vont à Jean-Pierre Salgas pour le suivi de mon travail de recherche tout au long de l’année.
KONSTANTIN MELNIKOV Pavillon de l’URSS, Paris 1925
Je tiens également à remercier tout particulièrement mes parents pour leur soutien respectif et leur patience pour la relecture de ce mémoire. Félix Gautherot
École d’Architecture de la Ville et des Territoires à Marne-la-Vallée Licence 3ème Année - Juin 2013
Félix Gautherot
Sous la direction de Jean-Pierre Salgas
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Pourquoi, à un monument éphémère par destination, donner un faux air d’éternité ? Le pavillon soviètique de Melnikov en 1925
Pourquoi, à un monument éphémère par destination, donner un faux air d’éternité ? Le pavillon soviètique de Melnikov en 1925
Félix Gautherot
Sous la direction de Jean-Pierre Salgas
École d’Architecture de la Ville et des Territoires, à Marne-la-Vallée Janvier 2013
SOMMAIRE
8
INTRODUCTION
10
DE L EXPOSITION DES ARTS DECORATIFS ET INDUSTRIELS MODERNES.
19
LE PAVILLON SOVIETIQUE A L’EXPOSITION
24
LES PROJETS PERDANTS
36
LE PROJET DE MELNIKOV
48
LE PAVILLON FACE AUX CRITIQUES
58
MELNIKOV ARCHITECTE, QUELQUES PROJETS
67
LE REALISME SOCIALISTE ET LA PERIODE STALINIENNE
72
LA RECONSIDERATION DE L OEUVRE DE L’ARCHITECTE
78
CONCLUSION
82
BIBLIOGRAPHIE
INTRODUCTION
Dès le début de mes recherches pour l’écriture de ce mémoire, je m’étais orienté vers l’architecture soviétique. J’ai d’abord été interpellé par un livre regroupant des photographies de bâtiments de la fin de la période soviétique (1970-1990), tous, très particulier par leurs formes « cosmiques » comme le titrera le livre. Ils figuraient tous comme des sortes d’ovni dans le paysage d’une Union soviétique en déclin. J’ai donc été curieux de la possibilité de construire de pareils édifices, mais pour cela j’ai dû étendre mon regard vers les débuts de l’architecture soviétique. Je me suis alors orienté vers une période très importante dans l’architecture et pourtant très peu développé durant le cursus en école d’architecture ; l’architecture constructiviste. Au fil de mes recherches sur le sujet, un architecte se dégageait du fait de son parcours et de sa manière de travailler ; Konstantin Melnikov. L’ensemble de son œuvre témoigne d’un regard et d’une position particulière dans l’architecture au sein du courant constructiviste russe. Mais, l’élément le plus important est sa contribution dans une exposition en France, de ce fait, j’ai pu avoir accès à un regard historique sur son travail. Cela m’a permis également d’évaluer son architecture par rapport à ce qu’il se faisait au même moment en France et ailleurs. Le pavillon qu’il a 8
conçu pour l’exposition des Arts Décoratifs à Paris en 1925 constitue donc une base solide pour construire le mémoire. Il marque le début de la carrière internationale de l’architecte, mais il est surtout porteur d’un nouveau message dans l’architecture moderne. Paradoxalement, le pavillon, qui avait fait tant polémique à l’époque, est aujourd’hui très peu publié ou évoqué. L’ensemble des critiques et papiers sur le bâtiment ainsi que les positions de l’avant garde russe sont autant de clés pour comprendre l’impact du pavillon dans les années 1920. L’objet du mémoire est alors de se familiariser avec le travail de cet architecte méconnu à travers un regard sur bâtiment marquant de son œuvre et de comprendre pourquoi et comment son travail n’a pas eu de retentissement au XXe siècle. Il sera aussi important de s’intéresser à la reconsidération de l’œuvre de Melnikov grâce au travail de quelques historiens qui ont participé à la redécouverte de l’architecte. Je vais m’attacher à l’exposition des Arts Décoratifs en elle-même ; en quoi consiste un tel évènement, pour ensuite me concentrer sur le pavillon soviétique. Une analyse du programme et l’étude des projets proposés pour celui-ci donneront un aperçu des conditions dans lesquelles la Russie a pu rentrer dans cette exposition. Une étude plus approfondie sera faite du pavillon définitif dessiné par Melnikov au travers des dessins originaux de l’architecte, mais surtout avec l’appui d’articles et critiques de l’époque. Enfin, j’ai regroupé quelques projets qui marquent une bascule dans l’œuvre de Melnikov du fait du changement de politique de l’Union Soviétique. Le destin de l’architecte et son bannissement durant la période stalinienne puis sa réhabilitation dans le paysage architectural sous l’impulsion de quelques hommes seront aussi abordé.
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DE L’EXPOSITION des arts Décoratifs et Industriels Modernes
L’Exposition de Paris ouvre ses portes le 28 avril 1925. Elle sera le siège de la confrontation de l’Art Nouveau en déclin depuis le début du XXe siècle et l’art déco qui fait suite aux « années folles ». Elle sera également un événement qui marque une bascule dans l’art et l’architecture du XXe siècle. En effet, elle met en rapport un art bourgeois très restrictif et un art dit moderne, tourné vers l’avenir et la jeune génération. Le début du XXe siècle est marqué par la succession de nombreuses expositions, elles sont organisées pour faire valoir la puissance des états et en particulier au développement de leurs industries. Elles sont l’occasion de montrer de nombreuses innovations techniques et s’imposent comme des vitrines du monde moderne. Pas moins de neuf expositions nationales vont se succéder à Paris durant la première moitié du XIXe siècle. Une exposition des Arts Décoratifs, l’idée vient des années 1906-1907. C’est à cette époque que les artistes de l’Art Nouveau (architectes, décorateurs, créateurs) commencent à se rendre compte de l’épuisement de leur art et d’un retentissement trop faibles de leurs travaux. Une exposition annuelle sera alors organisée pour permettre de réunir, montrer, confronter ces travaux sur un plan international. C’est dans cette optique qu’est créée la Société des Artistes Décorateurs (S.A.D) en 1901. Raymond Koechling (historien d’art et vice Président de l’Union Centrale des Arts Décoratifs) commente ainsi avant l’ouverture de l’exposition : 10
« Plusieurs industriels entrant sans précipitation suffisante dans la voie nouvelle avaient mal orienté leurs recherches et s’étaient lourdement trompés ; on doit reconnaître de même que les artistes avaient éparpillé leurs efforts. (...) Tous les intérêts menacés par les nouveautés se liguèrent ; ceux des industriels qui en étaient restés à leurs buffets Renaissance et à leurs bergères pseudo XVIIIe. (...) Ils déclarèrent la guerre aux “jeunes fous” dont ils entrevoyaient la lointaine concurrence. Les antiquaires vinrent à la rescousse : que deviendrait le commerce du ‘vieux/neuf’, le jour où la mode serait à des formes nouvelles » 1
Paris, 1925 « L’art décoratif est à supprimer. Je voudrais d’abord savoir qui a accolé ces deux mots : arts et décoratif. C’est une monstruosité. Là où il y a de l’art véritable, il n’est pas besoin de décoration » 2
Très vite, l’exposition s’expose à de vives critiques. Les pavillons et l’architecture de l’exposition semblent trop pauvres et pas au niveau des espérances d’un véritable renouveau dans le style de l’époque. Le Corbusier disant déjà en 1924 dans l’Esprit Nouveau quant aux arts décoratifs : L’art décoratif c’est de l’outillage, du bel outillage.3
Raymond Koechling, in l’Exposition des Arts Décoratifs Modernes. Les premiers efforts de rénovation (18851914), Gazette des BeauxArts, Paris, 1925, 1er semestre, pp.258-259. 1
Marie Dormoy, interview d’Auguste Perret sur l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs, in L’Amour de l’Art, 1925, p.174. 2
Le Corbusier, in L’esprit Nouveau, 1924 3
L’architecture de l’exposition n’est qu’une simple retranscription du style et du vocabulaire de l’époque. Hormirs quelques exceptions, il n’y a pas de véritables innovations architecturales. Les pavillons Très peu de pavillons présente de véritables innovations, l’architecture, est, globalement un état de fait du style art déco. Les pavillons sont tous construits en maçonnerie lourde et très largement ornés (fig. 2,3). Le but étant d’avoir toujours de plus beaux et plus chers
11
ornements que son voisin, l’exposition devient une sorte de compétition aux meilleurs effets produits sur le spectateur. Seules quelques constructions donnent un ton moderne à l’exposition : Le pavillon du tourisme de Robert Mallet-Stevens (fig. 5) en béton armé témoigne d’une volonté de s’écarter des autres pavillons. Simple, sans rajout d’effets et d’une géométrie très orthogonal, le pavillon s’inscrit dans l’esprit moderne. Le pavillon de l’Esprit Nouveau (fig. 4) construit par Le Corbusier s’impose lui aussi comme référence pour les modernes dans l’exposition. Construit entièrement en éléments préfabriqués, il est conçu dans un nouveau rapport forme/fonction. L’architecture s’appuie ici entièrement sur la fonctionnalité (la fonction guide la forme) et non l’aspect visuel. Il sera le plus pauvre de l’exposition. Le pavillon de Konstantin Melnikov va s’inscrire dans cette courte liste.
12
(fig. 1) Plan général de l’Exposition des Arts Décoratifs en 1925. (fig. 2) Pavillon de l’Italie (fig. 3) Pavillon de la Grande Bretagne (fig. 4) Pavillon de l’Esprit Nouveau (fig. 5) Pavillon du tourisme Cette planche d’illustration évoque le contraste entre les pavillons du style Art Déco et les pavillons plus moderne. Le pavillon de l’Esprit Nouveau est l’oeuvre de l’architecte Le Corbusier et celui du tourisme est réalisé par Robert Mallet-Stevens.
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Le contexte en Russie « Lors de la révolution d’octobre 1917, j’avais depuis peu terminé mes études et naturellement étais imprégné de classicisme palladien. Or, le régime bolchevique ne bouleversa pas seulement les institutions, mais les esprits. Dans les milieux artistiques, son influence fut immédiate et intense ; elle détermina une orientation vers d’inédites manières de penser et d’exprimer. Non que les gouvernements fussent, en matière d’art, hostile au passé. Au contraire, ils eurent pour les œuvres d’autrefois des soins respectueux ; on sauvegarda les moindres vestiges artistiques, et il n’est pays ou les musées soient l’objet de tant de sollicitude. Mais, de par cette sollicitude même, la jeunesse eut l’impression que tout l’art d’autrefois était classé, catalogué, embaumé, définitivement scellé sous vitrine, donc périmée, et même des manifestations de date encore fraîche, et qui passaient pour hardies la veille, nous parurent se dessécher et revêtir un aspect presque archéologique. Cette évolution était favorisée par le spectacle changeant de la vie politique et par la modification des mœurs, devenues singulièrement plus souples. Le monde se paraît de teintes nouveau. Ce que vaut notre production, à mes camarades et à moi, je n’ai pas à m’en faire juge. Mais j’estime que jamais conditions sociales ne furent aussi favorables à l’éclosion d’artistes ».4 Melnikov décrit ici le contexte nouveau dans lequel il a pu concevoir son pavillon. La révolution de 1917 marque un renouveau dans l’art et la culture russe qui a permis le developpement de courants d’avants gardes et de grands artistes du XXe siècle. L’exposition des Ars Décoratifs à Paris se tenant en 1925, la nouvelle culture artistique soviétique est déjà développée en Russie. Dans un contexte comme celui de l’exposition de 1925 avec un style Art Déco en plein essor, l’invitation de la Russie soviétique peut paraître assez paradoxale. Gabriel 16
Entretien avec Konstatin Melnikov, in Le Bulletin de la vie artistique, juin 1925, pp. 231-233 4
Gabriel Mourey, L’Esprit de l’Exposition, in L’Amour de l’Art, 1925. 5
Mourey disait à propose du style de l’époque : « L’art décoratif est essentiellement conservateur et rétrograde. Il est produit pour les riches » 5. Cela semble tout l’opposé d’un régime bolchévique. Tout l’intérêt du projet de Melnikov réside donc dans une réponse cohérente aux aspirations du pays et dans la fonction d’un pavillon d’exposition.
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LE PAVILLON SOVIETIQUE À l’exposition des arts Décoratifs.
Le pavillon doit révéler à l’Europe que le régime et la condition économique d’un état communiste sont à la portée des nations capitalistes. Il doit changer les idées de tous ceux qui continuent à penser que la Russie n’est qu’« un désert hanté par des sauvages ». Les Soviétiques veulent donc modifier le regard qu’on a sur leur pays et sur leurs industries. L’image de la vieille Russie rurale doit être dépassée. La révolution de 1917 comme révélateur d’un renouveau de la culture doit se ressentir dans cette exposition. Un chargé de la présentation et la communication des expositions soviétiques dira en ce sens :
(fig. 6) Page précédente, Couverture du catalogue de la représentation de l’URSS à l’Exposition de 1925. Alexandre Rodchenko. (Source : S. Frederick Starr, K.Mel’nikov, Le pavillon soviétique, L’équerre, p. 8) P.S. Kogan, in Mel’nikov, le pavillon soviétique, F. Starr, 1981, p. 45 6
Page suivante ; programme du concours pour le projet du pavillon de l’URSS à l’Exposition des Arts Décoratifs, in Mel’nikov, le pavillon soviétique, F. Starr, 1981, p. 135 7
« Le pavillon doit exprimer l’idée que l’on se fait de l’URSS… il doit être original et se distinguer par son caractère de l’architecture courante européenne… Nous devons donner une idée de ce qu’est notre nouveau mode de vie soviétique : opposer à la richesse et au luxe des autres pays la fraîcheur et l’originalité de la création artistique de notre époque révolutionnaire ». 6
En somme, un édifice manifestant le caractère politique du pays, ses nouveaux idéaux sociaux et sa vitalité économique. Le programme du pavillon retranscrit exactement cette volonté et cette nécessité de changer la perception de la Russie. Ainsi, il me paraît important de restituer ici le programme auquel les architectes (donc Melnikov) ont dû se confronter en 1925. Programme du concours pour le projet du pavillon de l’URSS. 7
19
Avant de s’attacher au projet de Konstantin Melnikov, il est intéressant de remarquer que ce programme propose un concours ouvert à tout le monde, chose peut conventionnel dans les conceptions de pavillon d’exposition alors réserver aux architectures traditionnelles. De ce fait, le concours est ouvert aux architectes d’avant-garde russe et non plus seulement aux architectes classiques. Il est important de souligner que des membres du jury (ou proche de celui-ci) sont favorables aux cultures d’avant-garde ; Vladimir Maïakovski, David Sterenberg ou Anatoli Lounatcharski 8. Ainsi, parmi onze projets présentés aux jurys, neuf d’entre eux sont œuvres d’architectes radicaux. Il faut dire que le programme préfigure une telle architecture (« l’originalité de la Russie Soviétique », « dans l’esprit de l’architecture la plus contemporaine »). Pour le reste, le programme s’apparente à un programme classique pour la conception d’un bâtiment bien que je ne sois pas certain que ce type de pratique eut été très courant à cette époque, en particulier l’ouverture du concours à tout le monde. Très détaillé, le programme définit très clairement les espaces, leurs dimensions et leurs statuts dans le projet. Mais, deux points me paraissent importants dans ce programme, d’abord parce qu’il anticipe et prévoit la question de la circulation massive, de flux, mais aussi de ventilations en conséquence. Il propose donc un « escalier large et aisé à monter », élément non sans importance dans le projet de Melnikov. Le second point est celui d’économie de projet et de budget, ainsi une somme (plutôt réduite) est affectée à sa construction, son mode de construction en est aussi dicté, ossature bois et revêtement léger. L’architecture envisagée est une architecture que je qualifierais presque de « pauvre » vis-à-vis de la plupart des autres pavillons de l’exposition. Enfin, le programme stipule « une possibilité d’aménagement varié » qui met l’accent sur la flexibilité nécessaire 22
Vladimir Maiakovski (1893,1930) était un poète et futuriste russe. Il sera un leader dans le constructivisme et la révolution culturelle soviétique. David Sterenberg (1881 - 1948) était un peintre d’avant-garde russe, ancien membre du « Bund ». Anatoli Lounatcharski (1875 -1933) était un homme politique russe bolchévique. Il était proche du milieu artistique 8
du projet au niveau inférieur. Notion purement moderne, elle donne du sens à une construction ossature laissant une plus grande liberté dans le plan. À travers ce programme, on comprend que le comité de l’Union soviétique a analysé et défini ce que doit être un pavillon d’exposition dans ses usages et dans ses fonctions. Ainsi, il ne s’agit plus d’un pavillon simplement décoratif et clinquant visant à démontrer « par la force » la richesse du pays, mais d’un pavillon qui répondant à des qualités d’espaces et de fonctions incarne la Russie moderne.
23
LES PROJETS PERDANTS Pour le pavillon soviétique.
Il est d’abord intéressant de se pencher sur les raisons qui ont pu pousser le jury à choisir l’architecte Melnikov pour ensuite s’attarder sur l’élaboration de son projet à Paris. Comme mentionné plus tôt, le concours pour le pavillon de Paris était ouvert à tous, il semble donc intéressant d’avoir un aperçu de quelques projets proposés pour le pavillon par d’autres architectes. Ivan Fomin et le néo-classicisme En premier lieu, Ivan Fomin (1872-1936) architecte néo-classique qui sera une figure majeure de la première architecture stalinienne, propose un projet mettant en œuvre un vocabulaire très classique (fig. 7). Une statue colossale est au centre d’un édifice symétrique composé de colonnes très imposantes. Le projet s’articule autour d’une composition classique dans les rythmes et les séquences ne répondant peu ou pas du tout au programme prévu. On envisage mal une ossature bois pour se projet ni une véritable économie de matière. L’apparence du bâtiment, très massive et assez artificielle, s’apparente plutôt aux autres pavillons dans le style arts déco. Son projet, en revanche, exalte l’URSS comme état ouvrier et paysan comme le programme le demande. « Mon architecture contient, comme la perspective le montre, un caractère fonctionnel et intègre une combinaison de styles décoratifs et d’exposition avec des éléments constructifs industriels ». 9 24
(fig. 7) Page suivante, Ivan Fomin. Projet pour le pavillon soviétique. Moscou, 1924
Ivan Fomin, Pavillon de l’URSS à l’Exposition des Arts Décoratifs 1925, SSRMA, 1924 9
25
Vladimir Schuko, une première approche du modernisme Dans le même courant Vladimir Shchuko (1878-1939), propose, lui, une version moderne du néo-classicisme à travers son pavillon (fig. 8). Plus enclin à suivre le courant révolutionnaire des années 1920, Shchuko adapte son architecture. Déjà, la présence d’une automobile dans la perspective qu’il propose met de la distance entre son projet et celui de Fomin. Définitivement plus moderne, son projet se construit sur une géométrie simple et des lignes fortes. Sans fioriture, la façade est très largement vitrée et les ornements « discrets » et efficaces. Mais on déplore une véritable cohérence entre les différentes parties de la composition. Ainsi, on trouve un socle massif sur lequel est posée une boîte en verre. Derrière, on aperçoit encore deux volumes n’ayant pas de réel rapport. L’ensemble produit une juxtaposition d’éléments très différents, bien qu’intéressants. Cette architecture pourrait s’apparenter au courant éclectique russe alors rependu. Ilya Golosov, dynamisme et constructivisme Il vient ensuite les projets des architectes radicaux. Parmi eux figure Ilya Golosov (1883-1945) un des chefs de file du mouvement constructiviste, il produira cependant avant 1925 de l’architecture qu’il définit comme du romantisme symbolique avant de rejoindre le courant constructiviste. On lui doit notamment le club de Zouev 10. Lui aussi adaptera son architecture sous Staline pour produire du post constructivisme. Le projet qu’il propose pour le pavillon en 1924 est à la charnière durant sa carrière. Très inspiré par l’architecture des frères Vesnin, Golosov produit une architecture très empreinte au courant constructiviste (qu’il rejoindre en décembre 1925 dans l’OSA). Golosov propose deux variantes pour le projet, les deux sont caractérisées par des volumes simples qui s’articulent entre eux. Très largement vitrée, la première 26
(fig. 8) Vladimir Schuko. Projet pour le pavillon soviétique. Moscou, 1924 (fig. 9) Ilya Golosov. Projet pour le pavillon soviétique. Variante 1, Moscou, 1924 (fig. 10) Ilya Golosov. Projet pour le pavillon soviétique. Variante 2, Moscou, 1924 Le Club de travailleur Zouev représente un des bâtiments majeures dans les réalisations attribuées aux constructivistes russes durant les années 1915-1930. Sa géométrie très affirmé et le jeu entre les volumes en font un edifice reférence. 10
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variante exprime cinq volumes qui pourraient abriter les différentes parties de l’URSS qu’évoque le programme (fig. 9). L’ornementation est presque absente hormis quelques éléments mettant en avant le pavillon soviétique, notamment une sorte de tour en treillis faisant signe. La seconde variante (fig. 10) propose une solution plus compacte, on lit toujours des blocs qui s’articulent, leur nombre s’est réduit à quatre. La taille du pilier en treillis s’est également réduite, tout comme la surface vitrée. Golosov introduit lui aussi une automobile à son dessin pour faire gage de modernité et donner l’échelle du bâtiment. La composition s’organise autour d’une diagonale allant de la voiture jusqu’au pilier en passant par le sommet des volumes ; cette diagonale introduit une dynamique dans le projet. Deux projets restent encore intéressants pour comprendre le climat dans lequel Melnikov a pu concevoir son pavillon. D’abord le projet de Moisei Ginzburg (18921946) et enfin celui de Nikolai Ladovski (1881-1942) conçurent le plus direct de Melnikov. Mosei Ginzburg, industrialisation et constructivisme Ginzburg, fondateur du groupe OSA (Organisation des architectes contemporains), publia Style et époque en 1924 sur la théorie architecturale, sorte de manifeste de l’architecture constructiviste. Il était donc à l’époque du concours pour le pavillon de Paris quelqu’un d’important dans le monde architectural russe. Son projet propose une structure tridimensionnelle s’élevant très verticalement (fig. 11). La grille structurelle est très largement vitrée et propose un signe fort pour l’URSS. Le dessin de Ginzburg est très empreint à l’architecture des frères Vesnin, plus particulièrement leur projet pour la rédaction du journal moscovite « Leningradskaja Pravda ». La proposition de Ginzburg fait appel à une architecture très industrielle, il dessine bien un projet à 28
ossature comme le veut le programme, cependant, on imagine mal une ossature bois de cette envergure ou bien elle sera bien plus coûteuse que la somme délivrée par l’organisation russe. Enfin, le programme propose simplement deux étages, hors la structure de Ginzburg semble monter à un troisième voir quatrième étage, donc toute la partie supérieure serait artificielle ou ferait juste gage de signe et de tour de force structurel.
(fig. 11) Mosei Ginzburg. Projet pour le pavillon soviétique, Moscou, 1924
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Nikolai Ladovski, une architecture rationaliste et moderne Nikolai Ladovski crée lui l’ASNOVA (syndicat des architectes rationalistes) en 1923 en réaction au courant trop radical produit par l’architecte constructiviste. Il veut réintroduire l’homme dans les espaces et les formes pour placer l’architecture au-delà de la simple construction d’ingénieur. Ladovski disait : « L’ingénierie des structures appartient à l’architecture tant que la structure a un impact sur la définition de l’espace. Les ingénieurs sont là pour parvenir à un maximum d’effort avec un minimum de moyen. Leur approche n’a rien d’artistique ; si jamais il arrive qu’elle plaise à l’architecte, ce serait juste par accident. La façade extérieure ne doit pas être seulement le reflet de ce qui se passe à l’intérieur, mais elle doit avoir sa propre valeur intrinsèque » 11
Le pavillon que propose Ladovski (fig. 12) s’apparente à une des variantes dessinées par Golosov, mais encore plus radicales. La composition est faite autour de quatre volumes géométriques imbriqués et partiellement vitrés. L’ensemble est équilibré, massif, mais on retrouve encore une dynamique ascensionnelle créée par les volumes qui donnent de la cohérence au projet. Très simple, son architecture est la plus proche de celle produite par Le Corbusier ou Mallet-Stevens lors de la même exposition.
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(fig. 12) Nikolai Ladovski. Projet pour le pavillon soviétique, Moscou, 1924
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Pendant la maturation du projet, les pensées vous entraînent vers une infinité de solutions. Il faut remettre en cause à plusieurs reprise la plupart des éléments en éliminant des possibilités diamétralement opposées. 16
(fig. 13) Esquisses des projets pour le pavillon soviétique. Melnikov dessinera 6 variantes avant de produire la version définitive de son pavillon 16
Konstantin Melnikov, in Melnikov, le pavillon soviétique, F. Starr, 1981, p. 32
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LE PROJET De Melnikov.
De toutes les propositions, c’est celle de Melnikov que choisira le jury. Étant l’un des plus jeunes, 33 ans à l’époque, et beaucoup moins expérimentés que ces confrères, trois projets peuvent favoriser la décision du jury en sa faveur. D’abord, un pavillon en bois pour la première exposition de l’Agriculture et de l’Artisanat en 1923 (fig. 13). Son pavillon Makhorka, très simple, l’avait confronté déjà à une construction en bois, mais surtout à une économie de projet. De plus, c’est un pavillon d’exposition, donc, un programme similaire à celui pour Paris, traitant des problèmes de circulation, mais aussi de signe. Son projet pour le marché de Sukharevka (fig. 14) lui a également permis de travailler avec une foule nombreuse et donc à réfléchir aux déplacements. Ses deux projets, construits en bois, lui ont permis aussi une meilleure connaissance de la matière et de la mise en œuvre d’une telle structure, mais aussi de bâtiment faisant signe et emblème de la Russie soviétique. Enfin, le projet réalisé pour le mausolée de Lénine (fig. 15) lui a donné une réputation nécessaire tout de même pour être crédible durant le concours pour Paris. Mais ce projet lui a donné en plus une rigueur quant aux délais de construction ; qui était très court pour le pavillon des Arts Décoratifs. « Il faut construire un pavillon. Tout était là, je cherchai à savoir ce que l’on devait montrer dans le pavillon, en quelle quantité… et fis des calculs détaillés, mais je ne trouvais pas la solution ». 12 C’est à travers tout un processus de recherches et de dessins que Melnikov est parvenu à une réponse pour son pavillon. Il ne s’agira pas ici d’expliquer et d’analyse chacune des variantes, Frederick Starr l’ayant parfaitement 36
(fig. 14) Pavillon du tabac Makhorka. Photographie de l’arrière du bâtiment. Moscou. 1923 (fig. 15) Marché de Sukharevka. Moscou. 1924. Photographie d’Alexandre Rodchenko (fig. 16) Mausolée de Lénine. Moscou. 1924
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fait dans son livre sur le pavillon. Notons simplement que des constantes se retrouvent dans chacune d’elles, l’escalier ou un élément faisant signe. Cette recherche formelle témoigne d’un intérêt pour une architecture symbolique et hors normes. (fig 16) Arrêtons-nous cependant sur la variante numéro 7, elle constitue en effet la version du projet présenté au jury et qui a permis à Melnikov de remporter le concours. Le plan s’appuie sur un large escalier central séparant la composition par la diagonale. Il semble que l’escalier soit très bien défini par l’architecte aussi bien en plan, coupe, élévation ou même perspective (fig. 17, 18, 19). L’ensemble des documents présentés s’appuie d’ailleurs très largement sur cet espace plein de qualités, quitte même à couper un morceau des parties annexes en plan. Cependant, les espaces en connexion de cet escalier semblent plus fragiles, le plan n’affirme pas une géométrie claire aux pièces accessible par l’escalier, la perspective donne une importance majeure à la circulation absorbant les volumes en périphérie qui semblent presque disparaître. Enfin, la coupe sur la toiture met en lumière cet espace central sans vraiment préciser ce qui se passe autour. Les dessins de cette 7e variante nous montrent aussi une structure annexe aux pavillons à base circulaire se développant au-dessus de l’édifice servant de repère pour le pavillon. Compte rendu de la réunion du jury. 28 décembre 1924 13 Le Comité décide de confier à l’architecte K.S Melnikov l’exécution du pavillon à l’Exposition de Paris selon le projet présenté, et qu’il considère comme le meilleur. Le second des projets par ordre de qualité est celui de l’architecte Ladovsky, le troisième celui de l’architecte Ginzburg. A) Il est proposé à K.S. Melnikov de poursuivre le travail sur l’esquisse présentée en prêtant attention aux remarques formulées par le Commissaire du peuple Lounatcharski. 1) Le plan et la conception des étages sont réussis. 38
La variante n° 7 sera celle présenté par Melnikov à l’issue du concours pour le pavilon de Paris. Le compte rendu répris plus haut est donc la critique du projet à ce stade. (fig. 17) Variante 7. Coupe longitudinale sur l’escalier. (fig. 18) Variante 7. Plan et élévation (fig. 19) Variante 7. Coupe transversale et perspective sur l’escalier Konstantin Melnikov, in Melnikov, le pavillon soviétique, F. Starr, 1981, p. 32
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Compte rendu n° 12 du Comité de la représentation de l’URSS à l’exposition internationale des Arts Décoratifs de Paris, in Melnikov, le pavillon soviétique, F. Starr, 1981, p. 136 13
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2) La couverture doit être réalisée de sorte à empêcher la pluie de pénétrer dans le passage central. 3) Les rapports entre les différents éléments de la construction doivent avoir un caractère plus organique et, en particulier, les poutres incurvées doivent être plus nettement définies. 4) La disposition des lettres sur les poutres doit être revue. B) Le projet revu sera présenté par K.S Melnikov le 30 décembre à 8 h du soir. C) Il est proposé à K.S Melnikov de se rendre le 29/12 à 1 h 30 auprès du Commissaire du Peuple A.V Lounatcharski : pour recevoir les instructions concernant le projet. D) La version définitive du projet sera soumise à l’approbation du Commissaire du Peuple A.V Lounatcharski.
De ce constat du jury Melnikov va améliorer le concept de son pavillon, mais sans juste corriger les remarques du jury. Il va développer son projet autour de cet escalier pour trouver une véritable cohérence à son pavillon. Un élément fut crucial pour la définition finale du projet, le pavillon devait être préfabriqué et envoyé à Paris. Cela nécessitait une simplification du projet, ou tout du moins, une rationalisation de certains procédés. Par rapport à la septième variante, les espaces gravitant autour de l’escalier central sont définis de manière beaucoup plus logique (fig. 21, 23). Le projet se base toujours sur l’escalier, mais c’est ce dernier qui construit l’ensemble du dessin, contrairement à la variante précédente ou des espaces paraissaient résiduels. Une série de schémas permet de comprendre la naissance de la géométrie du pavillon. (fig. 22) D’un plan et d’une géométrie rectangulaire, Melnikov dessine et découpe le plan par sa diagonale pour l’escalier. Il incline les plans de toiture de manière opposée et tronque les deux triangles en leur extrémité. Les espaces sont ainsi complémentaires de l’artère centrale. Dotée de quasi aucun angle droit, la géométrie du pavillon n’est entièrement réglée que par la diagonale, elle organise une dynamique aussi bien en plan qu’en trois dimen40
(fig. 20) Axonométrie éclatée du pavillon de Melnikov.
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sions. D’ailleurs, le projet du pavillon acquiert tout son sens en trois dimensions, c’est une construction qui est cohérente dans sa globalité, il y a un rapport dialectique entre les parties et le tout. « Il dissocie la notion du volume de la notion de la masse compacte. Il exprime la troisième dimension. Il crée une sensation spatiale par la seule direction des lignes d’architectures ». 14
Alors que les constructivistes pensent la structure comme une fonction et dans l’optique d’innovation constructive et que les rationalistes étaient dans la recherche de nouvelles formes mettant l’accent sur l’aspect psychologique et la perception. Melnikov suit l’idée originale d’une forme architecturale en trois dimensions autour d’une structure complète. Il n’a pas insisté sur les influences des nouvelles conditions sociales dans la Russie post révolutionnaire. Il a ignoré les nouvelles opportunités apportées par les scientifiques et les progrès technologiques. Au lieu de ça, Melnikov a composé chacune de ses formes architecturales simultanément depuis l’intérieur et l’extérieur en gardant un regard en trois dimensions intégrant les fonctions, les matériaux et la mise en œuvre. Un regard global sur le projet. L’axonométrie éclatée permet de comprendre comment les éléments qui constituent le projet fonctionnent ensemble (fig. 20). L’escalier coupe la dalle d’étage en deux espaces, ceux-ci sont reliés au moyen d’une toiture dynamique. Les façades, plaquées contre les dalles, unifient l’ensemble sans lire les niveaux. Seulement quelques murs accentuent la dynamique construite par la circulation. Enfin, la série de poteaux rassemble en filigrane l’ensemble du projet. La réponse de Melnikov réussit à intégrer une plastique audacieuse avec une fonctionnalité s’ajustant au programme, en particulier les points 8 et 9. Jean-Louis Cohen dira que « la séquence menant le public sous 42
(fig. 21) Plan RDC et étage du pavillon de Melnikov
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les panneaux alternés couvrant le premier étage est une des plus extraordinaires séquences jamais conçues par un architecte du XXe s. » 15. Mais, en regardant les documents graphiques du pavillon, il apparaît clairement une symétrie ; les élévations sont quasi identiques (fig. 24- 27) et le plan est symétrique par rapport à l’axe diagonal. Cette symétrie et cet ordre dans le dessin géométral ne se retrouvent cependant pas ou peu en trois dimensions. Il est difficile de la cerner dans l’axonométrie, mais cette contradiction est essentielle, c’est sur ce jeu d’ordre et de désordre que Melnikov tire ses qualités. En cela, l’architecte est loin des architectures constructivistes ou rationalistes. Il s’approche plus d’un courant expressionniste tant le toit sculptural joue de mouvement ample et dynamique. Le pavillon est nu, l’ossature de bois apparaît sans fioritures, sans stuc. Pas de décorations, pas de balcons, le strict nécessaire. Une dalle, des poteaux, des poutres et une toiture. Mais le pavillon, c’est également un traitement de la couleur ; les schémas originaux de Melnikov ne sont pas clairs et sont brouillés par une superposition de petits détails graphiques. La clarté de la version finale est due au travail de Rodchenko qui a distingué les couleurs pour composer avec la structure de l’architecte.
Waldemar George, in L’Amour de l’Art, 1925, n°8
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Jean-Louis Cohen, in Melnikov, the muscles of invention, A. Wortmann, 1990, p. 141 15
(fig. 22) Schéma de construction du pavillon de Melnikov (fig. 23) Axonométrie du pavillon de Melnikov
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LE PAVILLON Face aux critiques.
Le livre que consacrent Cohen et Starr à propos du pavillon regroupe un corpus très intéressant traitant du pavillon, les mots de l’architecte ou encore des critiques datant de l’époque de l’exposition. Ils ne présentent cependant aucun regard sur ces textes très riches d’enseignements et d’analyse. Il me paraissait donc approprié de comparer et percevoir le jugement et la position de critiques français ou d’un architecte russe et l’ensemble des polémiques qu’a soulevées un tel bâtiment en pleine exposition des Arts Décoratifs dans la presse française. Les mots de l’architecte représentent un point de départ. « Cette boîte vitrée n’est pas née d’une idée, d’une abstraction. Je me suis confié à la vie et adapté aux circonstances. Je pris en considération l’emplacement qui m’était dévolu, un emplacement encombré d’arbres : il fallait bien que mon édicule se dégageât de leur fouillis par sa couleur, par son altitude, par l’artifice de ses volumes. » 17
Il dégage ici ce qui a construit son projet, il affirme que son projet s’est bâti autour de la parcelle qui lui était donnée et de conditions particulières. Il dit que son projet n’est pas né d’une idée ou d’une abstraction, mais l’ensemble de ses dessins témoignes d’une recherche formelle assez forte au-delà du programme à proprement dit. Il dira même « ne vous imaginez pas que j’aie voulu construire un symbole » alors que ses dessins présente des imaginations très symboliques autour de volumes et géométrie très marquée. On pourra lire dans le mensuel consacré à l’architecture « l’Architecte » des considérations similaires. 48
« La forme doit être ce à quoi l’artiste aboutit logiquement, non ce qu’il fait arbitrairement. Ce principe a été oublié trop souvent. Il reçoit de l’exposition russe une confirmation singulièrement forte. Le pavillon n’est tel que par la volonté bien arrêtée de l’architecte de rompre avec tout ce qui, même de loin, aurait pu rappeler le passé : sinon pourquoi cet escalier oblique si gênant, ce toit que n’abrite rien, cette crainte maladive de l’ange droit ? Tout cela, quoiqu’on en ait dit, n’a aucune utilité pratique, ne se justifie par aucune raison de structure. On s’est appliqué à ne pas faire comme tout le monde ». 18
Entretien avec Konstatin Melnikov, in Le Bulletin de la vie artistique, juin 1925, pp. 231-233 17
Jean Porcher, “Exposition des Arts décoratifs et industriels modernes, visite aux pavillons étrangers”, in “L’Architecte”, 1925, p. 102 18
La revue Clarté (1921-1928) est issue du mouvement Internationale de la pensée, favorable au bolchévisme et aux idées de la III internationale. Elle sera la première expérience d’une revue d’intellectuels communistes qui ne soit pas une révue doctrinaire ou de théorie. 19
Marcel-Eugène Cahen, “Les Palaces bourgeois et la Maison des Soviets”, in “Clarté”, 1925, pp. 168 - 169 20
Entretien avec Konstatin Melnikov, op. cit. 21
Seule la septième variante propose une adaptation au programme et un dessin plus architecturé. Cependant, le critique Marcel Eugene Cahen, fondateur de l’Architecture d’Aujourd’hui, écrira dans la revue Clarté 19 qu’il verra dans l’adaptation à la parcelle la naissance même du projet et de la diagonale. « L’idée de Melnikov fut avant tout d’utiliser au mieux l’espace très réduit dont il disposait, d’avoir un plan assez souple pour qu’il pût, au dernier moment, et sur place, sans modification essentielle, adopter une disposition lui évitant d’être écrasé par ses voisins, et qui permit une orientation favorable. Aussi, prit-il la plus grande dimension de l’espace concédé, soit la diagonale du rectangle d’implantation pour en faire l’élément de son étude ». 20
Melnikov poursuit : « Mon budget était restreint : cela limitait le choix de mes matériaux. Par goût personnel, un goût qui est peut être aujourd’hui national, je donnai au pavillon le maximum de clarté et d’aération. Toutes les personnes qui passent devant une boutique n’y entrent pas. Toutes pourtant sauront ce qu’il y a dans la mienne : ses murs sont de verre, et un escalier accueillant
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aux foules et pratiqué de part en part permet, en outre, une vue plongeante. » 21
Les premiers éléments apportés ici par l’architecte sont le fait même du programme, budget, matériau et aération. La nouveauté est le sens qu’il décide de donner à son pavillon, il met en avant le côté vitrine que doit posséder un pavillon d’exposition selon lui. En cela, il définit une nouvelle manière d’exposer dans ce genre d’événement. Le pavillon s’efface par rapport à son contenu. « Quant à ces plans diagonaux et contrariés qui dominent l’édifice, tant pis s’ils désolent les amateurs de couvercles ! Ils constituent un toit, qui en vaut un autre : ils sont combinés, en effet, pour laisser affluer l’air et pour empêcher la pluie de passer, de quelque côté qu’elle fouette ». 22
L’architecte défend ici de manière peu convaincante la forme si particulière de la toiture. Il évoque simplement un système d’aération tout en préservant le spectateur de la pluie. Mais les critiques négatives à propos du bâtiment se concentrent vers le dispositif de circulation (fig. 29). C’est André Laphin qui pointera le côté non conventionnel pour l’Intransigeant 23 : « On fait des escaliers pour les maisons ? Bon ! Moi, je ferais une maison pour un escalier ! La première chose que l’on verra de ma maison, ce sera l’escalier. On fait un escalier perpendiculaire ou parallèle à l’un des côtés de la maison ? Mon escalier, à moi, suivra la diagonale de la base de ma maison. Il la suivra ? Non, pas tout à fait, car s’il la suivait tout à fait, il diviserait la maison en deux parties égales et cela manquerait d’inattendu. Un escalier sert généralement pour se rendre du rez-dechaussée aux étages supérieurs. Mon escalier à moi ira de la rue à la rue, les gens du rez-de-chaussée devront sortir pour en gravir les marches.
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- C’est drôle, en descendant cet escalier, on se sent obligé de marcher en crabe, et l’on oblique instinctivement à droite. À droite ! Ils n’ont pas songé à ça. - Une maison de verre ! Qu’est-ce qui nettoie tous ces carreaux dans un pays où il n’y a plus de femmes de ménage ? Et pourquoi se mettre ainsi sous verre ? Pour se garantir de la foudre ? Pour se faire pousser ? » 24
Entretien avec Konstatin Melnikov, op. cit 22
L’Intransigeant est un ancien quotidien français, édité à Paris, qui a paru de 1880 à 1948. Sous l’impulsion de Léon Bailby, qui en prend la direction à partir de 1906, il devient le plus grand quotidien du soir d’opinion de droite des années 1920, avec un tirage de 400 000 exemplaires. 23
André Laphin, “Une maison pour un escalier”, in “L’Intransigeant”, 9 mai 1925, p. 1 24
Albert Gleizes, in “Le Bulletin de la vie artistique”, 1er juin 1925, pp. 231-237 25
Marcel-Eugène Cahen, op. cit 26
C’est ici plus dans l’usage que le bâtiment ne semble pas fonctionner. Le critique n’a pas l’air de comprendre la qualité et la raison des diagonales et des angles dans le projet. Sans tenir compte de l’esthétique ou de l’impact du bâtiment, il met en avant son côté « surprenant », peu pratique et surtout sortant des normes, du moins de l’époque. Très conservateur, cet extrait n’en est pas moins très intéressant quant aux problèmes qu’il soulève. Est-il justifié de construire entièrement son projet sur l’escalier et pour quoi le faire dans la diagonale ? D’autres critiques verront dans cet espace central un aspect moins pragmatique. « La domination du rythme est sensible dans la symétrie des deux éléments dégagés du solide brut initial par la coupure de l’escalier diagonal. Ainsi le groupe construit est le fait de deux volumes creux de poids égaux qu’un intervalle de temps éloigne et rapproche ». 25 « Le pavillon est coupé en deux, à la hauteur du premier étage, par un couloir diagonal terminé par deux escaliers perrons. En sorte que la façade principale est en quelque sorte intérieure, donc indépendante de l’entourage ». 26
L’ensemble de ces points témoigne du caractère très novateur du pavillon. Les critiques verront ainsi dans son architecture, soit un caractère moderne, soit une provo-
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cation, presque une hérésie. Ainsi, Lorsque Cahen écrit pour l’Humanité qu’« il y aura un effet de contraste saisissant entre l’esprit révolutionnaire nouveau et l’esprit capitaliste bourgeois. Du seul fait d’un pavillon très simple, très peu couteux, rationnel et accueillant, au milieu d’une débauche d’ornementations soumises à une mode éphémère, d’ostentation vaniteuse, de luxe lourd, encombrant et faux » 27. Un autre parlera d’« une stylisation de la guillotine. Le symbole est la, les montants, l’échafaud, le panier figuré par la cage de verre et le sang répandu partout. Un hangar aux murs de verre » 28. Et un journaliste du Mercure de France, écrira : « Quant aux Russes, autres peuples qui se voit aujourd’hui devant une possibilité d’évolution générale et partant, architecturale, les Russes se sont empressés de présenter une petite fantaisie dans le genre du manoir renversé qui fit la joie des bons visiteurs de l’exposition de 1900. C’est de l’humour à la Gogol, c’est d’un adorable saugrenu, c’est du Chagall et du ballet bolcheviste. Et s’il y a de la naïveté dans les conceptions de M.Melnikoff, elle est de l’espèce qui anime leurs diplomates. » 29 Ces polémiques permettent de comprendre pourquoi ce pavillon n’a pas eu le retentissement qu’il aurait dû avoir et n’a pas été reproduit ultérieurement. En effet, son côté très contraint dans la géométrie et dans les formes en fait un bâtiment quasi unique et difficilement applicable à d’autres programmes ou bâtiments. Il ne met pas en place de système visant à être reproduit (fig. 30). Il travaille avec le programme et le site du projet pour répondre au mieux aux fonctions du pavillon. De plus, le caractère temporaire voulu par l’architecte ne favorise pas son empreinte. « Pourquoi, à un monument éphémère par destination, donner un faux air d’éternité ? Le mien n’a pas besoin de durer aussi longtemps que les soviets ; il nous suffira qu’il soit encore debout pour la clôture de l’exposition ». 30
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Résolument moderne dans son organisation et dans sa réponse formelle, la proposition de Melnikov ne s’inscrit pas dans le mouvement d’un Le Corbusier ou Mallet-Stevens. Ajouté à cela, le peu d’information et de connaissance sur la jeune Russie soviétique, le pavillon faisait presque office d’ovni architectural dans l’exposition. L’architecte et urbaniste Anatole Kopp écrivait dans Ville et Révolution :
Marcel-Eugène Cahen, “L’exposition des Arts Décoratifs et le pavillon de l’URSS”, in “L’Humanité”, 9 avril 1925 27
Yvanhoë Rambosson, “L’exposition des Arts Décoratifs, la participation étrangère”, in “La revue de l’Art”, 1925, pp. 172 173
« Il faut se souvenir de ce qu’était à l’époque un pavillon d’exposition : un “palais” en stuc et en staff, d’architecture “nationale” ou “folklorique” où l’on disposait symétriquement par rapport à un axe des marchandises de préférence exceptionnelles. En 1925, l’URSS n’a que peu de choses à exporter dans le domaine des biens matériels ; l’objet du pavillon est de faire connaître à travers le monde les idées et les buts du jeune pouvoir soviétique. Les scandales dont fut entourée l’inauguration du pavillon — les articles de presse haineux — montrent bien d’ailleurs qu’à une époque où la peur de l’“homme au couteau entre les dents” était tenace, ce pavillon était vraiment révolutionnaire, par son contenu comme par son architecture ».31
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Vanderpyl, “Les Arts Décoratifs, l’architecture et ce qui s’y rattache à l’Exposition de 1925”, in “Le Mercure de France”, 1er juil. 1925 29
Entretien avec Konstatin Melnikov, op. cit 30
Anatole Kopp, “l’exposition des arts décoratifs Paris 1925”, in “Ville et Révolution“, 1967, 31
L’enthousiasme du public s’apparente en partie seulement à un étonnement face à un tel dispositif d’exposition, une surprise, presque une attraction dans l’univers art déco de l’exposition. Les quelques critiques positives sont d’intellectuels au fait de l’architecture moderne et réceptifs du mouvement communiste pour la plupart. Le reste s’indigne de la proposition du jeune architecte russe dans un point de vue relativement conservateur. La seule autre vraie proposition moderne de l’exposition est le pavillon de l’Esprit Nouveau de Le Corbusier. Mais, celui-ci contraste avec un système et une géométrie simple qui sera reprise et copier de nombreuses fois. Elle prend un vocabulaire moderne, mais celui-ci est déjà
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plus ou moins connu des Français grâce à ses propres réalisations et celle de Perret ou Mallet-Stevens. Le courant moderne et rationaliste guidé par Le Corbusier trouvera plus tard des disciples comme Mies Van der Rohe qui effacera les traces laissées par Melnikov à Paris. De plus, Melnikov est connu pour être un architecte travaillant seul et cherchant dans chacun de ses projets de nouvelles solutions sans faire appel à ce qu’il a déjà produit. Il semble difficile alors de produire une génération d’architecte de cette école. Cette dimension d’architecte indépendant peut expliquer une partie de l’oubli de l’œuvre de Melnikov. Mais l’étude de quelques projets postérieurs à 1925 permet de comprendre davantage sur le chemin pris par l’architecte.
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(fig. 28) Critique de Marcel-Eugene Cahen dans le journal l’Humanité. 1925 (fig. 29) Vue sur l’escalier du pavillon soviétique de Konstantin Melnikov. Photographie. (fig. 30) Le pavillon soviétique en construction. Cage structurelle en bois. Photographie
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MELNIKOV ARCHITECTE Quelques projets.
L’architecture soviétique a produit une génération de jeunes architectes qui ont commencé à s’écarter de la réalité et du réalisable au travers de projets incarnant un « futur » probable. C’est ainsi que Ginsburg qui disait « Pensez avec votre tête, pas avec votre règle », 32 imagine des cités volantes, portables, qui se déplaceraient au gré des saisons et des paysages ou bien Georgii Krutikov et ses villes volantes. On ressent une vraie relation à la science-fiction chez cette génération d’architectes qui sont nettement reliés à la littérature et au cinéma de l’époque. Ils ont même tendance à plus s’écarter du chemin du réel que les écrivains eux-mêmes. Melnikov produira lui, le premier, des vues à vol d’oiseau pour ses projets mettant en scène une nouvelle vision de l’espace. Le point de vue, totalement imaginaire, lui permettra d’imaginer des engins volants immenses et d’accentuer la distance pour mettre en place une sorte de théâtralité et de gigantisme dans ses projets. Melnikov et d’autres architectes soviétiques ont d’ailleurs été beaucoup influencés par l’architecture révolutionnaire française de Étienne-Louis Boullée ou Claude-Nicolas Ledoux. Mais l’imaginaire spatial et d’anticipation se ressent fortement dans la littérature, chez Zamiatine (Nous autres) ou encore dans le cinéma de Protozanov (Aelita). Le premier imagine une civilisation soviétique (l’État unique) dans le futur et le second décrit un voyage spatial vers une planète extra-terrestre. Tous deux sont donc plongés dans un univers d’anticipation et mettent en place une réalité déviée.
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Les dessins de Melnikov de 1925 et avant traduisent cette pensée de liberté. Tout en étant associé au courant constructiviste et à son architecture rationnelle, il semble vouloir intégrer une poésie et une expression propre dans la structure de ses projets. L’architecture du pavillon qu’il conçoit pour Paris exprime tout à fait cette volonté de ne pas produire du « constructivisme pur ». Iakov Chernikhov, architecte que l’on associe au mouvement constructiviste dira d’ailleurs en ce sens « Faire du constructivisme pour faire du constructivisme est insignifiant et sans intérêt » 33. Melnikov tente ainsi de s’écarter d’une architecture trop stricte et rigide au profit d’un expressionnisme porté sur la structure du pavillon. Quelques projets témoigneront aussi de ce regard d’une architecture utopique. Ils sont d’un grand intérêt pour comprendre l’évolution de la démarche de l’architecte et sa position dans l’histoire de la Russie soviétique. Mosei Ginzburg, “Architecture for a cultural revolution”, in “Melnikov, solo architect in a mass society”, 1978, p. 149 32
Iakov Chernikhov, “Architecture for a cultural revolution”, in “Melnikov, solo architect in a mass society”, 1978, p. 149 33
Karo Alabian (1897-1959) occupe à partir de 1932 le poste de secrétaire de l’union des architectes. Il sera proche du pouvoir sous staline et s’oppose aux mouvements radicaux. 34
Karo Alabian, “The prince cast out of his empire. Soviet architecture and Melnikov”, in “Melnikov, the muscles of invention“, 1990, p. 75 35
Deux projets radicalement opposés (1927-1929) D’abord, le regard sur deux projets produits par l’architecte entre les années 1927 et 1929 cerne deux des thèmes chers à Melnikov. Le premier se définit avec l’échelle de l’homme, il propose une architecture humaine et dessinée pour lui, un intérêt donc sur l’individu et son bien-être. L’autre semble plus tourné vers une architecture symbolique, comme étendard de la révolution, une architecture qui marque les esprits. Karo Alabian 34 dira à propos de cela : « L’unique but de Melnikov est de produire une architecture que personne avant n’avait créée. Elle est basée sur des sensations, des surprises. Il ne tient jamais compte du fait qu’il dessine une maison dans laquelle on va vivre ; il ne construit pas pour que son architecture soit la plus confortable et la plus habitable possible ». 35
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Le dernier « club » que Melnikov construira sera presque la caricature du premier thème évoqué. Le plan prend une forme humaine quasi littérale (fig. 32). Étant un club ouvrier, il est normal qu’il soit un lieu de rassemblement et marque la vie en communauté de la Russie soviétique. Mais de là à prendre formellement une disposition en plan d’un homme, le raccourci paraît facile. Mais ce qui paraît plus étonnant encore dans ce projet réside dans l’utilisation d’un vocabulaire néo-classique. La symétrie, la disposition des volumes et des masses tirent le projet dans un classicisme peu courant chez l’architecte (fig. 31). La façade de Melnikov présente même quelques similitudes avec celle proposée l’architecte néo-classique Fomin pour le concours de Paris.
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(fig. 31) Elevation du club à Dulevo. 1927 (fig. 32) Plan du club à Dulevo. 1927
Son projet pour un monument en l’honneur de Christophe Colomb à Saint-Domingue (fig. 33) témoigne de toutes autres considérations. Ici, aucune dimension humaine, le projet exalte un dynamisme structurel et impersonnel. Le symbole est fort, mais dénué de sens, le monument, censé être à la mémoire d’un homme, célèbre la machine. Machine, car les deux ailes tournent autour de l’édifice. Une véritable dynamique se lit avec la rampe qui tourne autour du cône et les deux ailes. Le résultat est une architecture que personne n’a jamais produite, une sorte d’ovni droit sorti de l’imaginaire de science-fiction soviétique. Ce projet totalement délirant n’admet aucune place pour l’homme et l’échelle est largement surdimensionnée. Si, peut-être pour son hôte, Christophe Colomb, il se retrouve en plein cœur de la machine dans un lit à baldaquin. Cette maladroite tentative d’intégrer l’homme à ce projet le rend encore plus mystérieux. Il est difficile d’admettre que la même personne a produit le projet du club et celui-ci.
(fig. 33) Perspective du projet pour un monument pour Christophe Colomb à Saint Domingue. 1929
Ces deux projets très contradictoires témoignent de l’évolution du regard de l’architecte sur des considérations sociales et politiques. De projets très fonctionnels et réels (ses garages ou clubs ouvriers), il est passé à une architecture révolutionnaire et monumentale qui exalte la machine. Mais il ne perd pas pour autant l’aspect
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humain dans certains de ses projets. Celui pour la « Green City », sorte de communauté idéale socialiste, est plein de recherches pour faciliter et améliorer la vie et l’enrichissement des hommes. Green city ou le rêve d’une cité soviétique idéale (1929) Ce projet s’inscrit dans l’ensemble des recherches urbanistiques soviétiques des années 1920. Il ne s’agirait pas ici de traiter de cette partie de l’histoire soviétique, on mentionnera cependant les travaux de Kopp, Cohen et Tafuri sur ce sujet. « Pendant les quinze années qui suivirent la révolution, l’urbanisme soviétique posa les fondements d’une méthode de reconstruction socialiste des villes anciennes et de création de nouvelles villes socialistes ». 36
Le projet de Melnikov pour cette cité idéale, proposé par le Pravda au milieu des années 1920, est une sorte de cité jardin dans une banlieue boisée de Moscou. Le programme était plutôt libre, il prévoit 100 000 habitants incluant des espaces culturels, pour se ressourcer et pour les enfants. La cuisine et les transports sont collectivisés et 11,000 des 15,000 hectares disponibles devaient être laissés non construits. L’idée de Melnikov est d’utiliser l’architecture et l’urbanisme comme moyen pour développer et renforcer le sentiment de communauté aux résidents. Mais sa principale préoccupation est son adaptation face à une société technologique. Il veut favoriser les conditions de vie pour que les travailleurs retournent dans de bonnes dispositions à la tache. Il va donc imaginer des systèmes visionnaires pour répondre à ces problématiques. Il part du constant que les travailleurs sont épuisés et en mauvaise santé. Il propose alors des solariums pour apporter le soleil aux ouvriers même en hiver (fig. 35). 62
Vigdaria Khazanova, “L’architecture soviétique 1900-1930”, in “ParisMoscou”, 1979, p. 292
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(fig. 34) Perspective du projet pour un laboratoire du sommeil pour la ville verte. 1929 (fig. 35) Perspective du projet pour un pavillon solaire pour la ville verte. 1929 (fig 36) Plans et coupes sur le laboratoire du sommeil. 1929
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Mais le plus étonnant est sa position quant au sommeil, il veut organiser le sommeil en une sorte de cérémonie collective. L’enveloppe qu’il soumettra au jury pour ce projet sera d’ailleurs annotée de la phrase : « Le sommeil est le traitement curatif ! Quiconque penserait l’inverse est malade ! » 37
Il dessine et imagine donc des « laboratoires du sommeil » comme des bâtiments publics qui accueilleraient les travailleurs en leur donnant les meilleures conditions pour dormir (fig. 34). Le sommeil serait guidé et dirigé, le sol prend une forme incurvée comme pour bercer les travailleurs et les murs seraient entièrement vitré (fig. 36). Des techniciens assureraient une régulation de la température, de l’humidité et la pression de l’air, mais également une ambiance musicale propice au sommeil. Les sonorités s’adapteraient en fonction du sommeil. La technologie prend alors le contrôle sur le naturel et contrôle le bien-être des travailleurs. Autant, l’idée d’amener les éléments et réguler leurs flux dans les solariums est intelligente et utile. Mais, l’imagination d’un système contrôlant tous les éléments, pouvant recréer le jour comme la nuit et dictant un message quasi doctrinal aux dormeurs semble très dure. Ce dispositif se rapproche de l’organisation mise en place par Zamiatine dans son roman d’anticipation Nous autres. Les hommes se couchent et se réveillent tous à la même heure baignée dans la même lumière et logée dans les mêmes chambres entières vitrées du sol au plafond. Or, Zamiatine critique vivement ce système dans son livre et les dispositifs mis en place par Melnikov témoignent de sa déviance vers une architecture de moins au moins proche de l’individu et s’écartant vers des systèmes techniques et monumentaux. L’année 1932, année seuil dans l’art et l’architecture soviétique sera le début d’une architecture purement symbolique et imaginaire ; l’architecture de papier. 64
Concours pour le Palais des Soviets (1932) 38
Konstantin Melnikov, “Architecture for a cultural revolution”, in “Melnikov, solo architect in a mass society”, 1978, p. 179 37
Le concours pour le Palais des Soviets était le projet de construction d’un centre administratif et de congrès à Moscou en U.R.S.S., près du Kremlin, sur le site de la cathédrale du Christ sauveur qui avait été démolie. Le concours pour le Palais des Soviets (1931-1933) fut remporté par Boris Iofane avec un projet aux accents néoclassiques. 38
Le projet que Melnikov propose pour le Palais des Soviets témoigne du regard de l’architecte sur la société soviétique. Il s’appuie pour son projet sur le symbole de la pyramide et des catégories sociales. Il estime que la Révolution russe aurait séparé et renversé l’ordre social de cette pyramide. Il retranscrit presque littéralement ses pensées dans les premiers dessins pour le palais des soviets. La pyramide est coupée par un axe vertical qui représente la révolution, à côté la pyramide est inversée et repose sur sa pointe (fig. 37). Les deux mouvements se contredisent marquant les changements radicaux de la révolution, mais sont mis en tension par l’axe vertical. L’architecte travaille une nouvelle fois en trois dimensions, le jeu sur les volumes est comparable à celui mis en place pour le pavillon parisien. Deux volumes sont mis en rapport et se font face, l’un massif repose lourdement sur le sol tandis que l’autre, plus aérien, accentue la dynamique révolutionnaire de l’époque. L’axe de circulation figure une séparation temporelle et physique entre ces deux entités. Au-delà des considérations formelles et conceptuelles du projet, c’est son
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côté inhumain et largement hors de proportions qui interpelle. Très emprunt à l’architecture de Boullée, les perspectives proposées mettent l’accent sur la dimension surréaliste et monumentale du projet (fig. 37). Melnikov perd de vue toutes considérations humaines, les hommes sont réduits à des points dans les dessins et les intentions sont essentiellement basées sur la monumentalité et la grandeur du projet. Mais si ce projet a été refusé par le jury et oublié depuis, ce n’est pas pour ces raisons. La censure est due aux considérations politiques mises en place dans le projet, en effet, il apparaît selon Melnikov qu’une fois que la Revolution a renversé l’ordre social mettant le peuple au pouvoir, il n’y ait plus de place aux chefs que sont Lenin ou Staline. Melnikov se présente comme un anarchiste contre le pouvoir de Staline. Il sera un des derniers projets pour lequel Melkinov a concouru, l’année 1932 marquant une année charnière dans sa vie avec la montée du réalisme socialiste.
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(fig. 37) Dessin perspectif du projet pour le Palais des Soviets. 1932
LE REALISME SOCIALISTE Et la période Stalinienne.
L’année 1932 marque une bascule dans l’histoire architecturale soviétique et plus globalement littéraire et artistique. Le lancement du concours pour le Palais des Soviets, mais surtout la réaction du pouvoir quant à la proposition de Melnikov traduit ce nouveau climat. Le réalisme socialiste sous Staline est marqué dans tous les domaines artistiques par une rupture avec les avants-gardes des années 1920. Il y a un désir d’uniformisation des styles chez écrivains et artistes qui se matérialisent le 23 avril 1932 lorsque le parti central communiste décréta la réorganisation des paysages artistiques et littéraire. Mais, déjà en 1927, le lancement du premier plan quinquennal annonçait un seuil en ce qui concerne la politique industrielle et la construction en URSS. L’étau se resserre en architecture lorsqu’en juillet 1933, l’union des architectes, devenus le groupe fort, rejoint la politique adoptée par le parti communiste. La contribution des architectes d’avant-garde est alors très limitée, voire inexistante. C’est d’abord le courant formaliste qui sera visé par les anti-modernistes comme Karo Alabian (président de l’union des architectes). S’en suit une période de menace et de répression. Les conflits au sein même des architectes ont précipité l’intervention du parti communiste dans le domaine architectural. Cela a conduit d’abord à l’élimination de la plupart des propositions innovantes des compétitions puis à l’uniformisation d’une nouvelle esthétique. C’est pourquoi beaucoup d’architectes radicaux vont adapté voir renié leur architecture pour rentrer dans les pas de l’Union soviétique.
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Melnikov, lui, refusera toujours de se ranger du côté du parti, mais sa position de professeur à l’institut d’architecture de Moscou lui permettra un répit. Il sera renvoyé en mars 1936 et écarté définitivement de l’activité d’architecte en janvier 1937 lors du premier congrès des architectes soviétiques rassemblés. Le contraste entre l’ambition des architectes radicaux et l’état réel de la technique est un point sur lequel les anti-modernistes se sont concentrés dans leurs critiques dans les années 1930. Staline, lui-même, n’a jamais vraiment exprimé son avis personnel quant au style et à l’architecture qu’il désirait. Mais, c’est d’un homme proche de son pouvoir que l’on peut trouver des informations cruciales pour comprendre cette période. Lazare Kaganovitch 39, proche du milieu architectural (il participera aux congrès et réunions des architectes de l’époque), donnera lui un avis intéressant sur la question d’un style pour le réalisme socialiste. Il dira : « Certains considèrent qu’il doit y avoir une architecture prolétarienne, une architecture reflétant l’idéologie du prolétariat. Je dirais : peut-être se peut-il que dans le processus de lutte, se forme une architecture qui répond au nouvel élan et au caractère grandiose de la construction, de la construction socialiste ; mais inventer une telle architecture, prévoir à l’avance que telles lignes sont prolétariennes, et telles ligne bourgeoise, ça camarades, ce sont des fadaises. » 40
Il ne prend pas trop de risque ici, mais émets tout de même une critique envers les architectures radicales qui organisaient la révolution culturelle à travers des systèmes précis. Il indique cependant qu’il envisage une architecture prolétarienne, mais sans naturellement apporter un style propre à celle-ci. Il va préciser sa vision de l’architecture propre au gouvernement stalinien par la suite. Cela passe d’abord par un rejet catégorique de l’architecture d’avant-garde qu’il définit comme nu et régit par des boîtes vides. 68
Lazare Kaganovitch a été à partir de 1930 secrétaire du Comité central du Parti, puis a dirigé le travail du Bureau organisationnel et toute une série de sections parmi les plus importantes du Comité central. Il était très proche de Staline. 39
Lazare Kaganovitch, in Le prix de Rome. Le « grand » tour des architectes soviétiques sous Mussolini, 2012, p. 55
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(fig. 38) N. Ladovski, Les gratte-ciel en URSS et en Amérique. 1926 (fig. 39) Lioubov Popova, machine scénique monté par Meyerhold. Moscou. 1922. Photomontage.
« Si les gens aiment bien des maisons sans aucun décor et bien qu’ils les construisent. Toutes les maisons ne seront pas égales et identiques. On dit que la forme nue, les boîtes nues, c’est le principe du prolétariat. Cependant le prolétariat ne se promène pas nu, il met une petite cravate, une veste, un pantalon et tout le reste. Et quand il a mis un costume plus propre, il marche avec plus de joie ». 41
Il rejoint ici clairement le discours d’uniformisation des styles et des arts promulgué en 1932 par le pouvoir communiste. Son désir est donc d’un style architectural à l’image du prolétariat et uniforme pour exalter la marche collectiviste de l’Union soviétique. C’est en 1934, lors d’une réunion des architectes qu’il définira clairement sa position quant à ce style : « Nous sentons, dit-il lors de la réunion des architectes du 26 septembre 1934, que le classique est, pour notre architecture soviétique, plus proche que les autres styles ». 42
Il définit dès lors un style qui écartera l’architecture révolutionnaire des concours pour de nombreuses années. Mais un autre phénomène dictera également l’architecture soviétique en particulier pendant la période stalinienne, l’Amerikanizm. Jean-Louis Cohen définit l’influence des États-Unis sur les Soviétiques dans « L’oncle Sam au pays des Soviets ». Cette recherche de dépassement du style et de la puissance américaine va plonger le pays dans une course à l’innovation et à l’industrialisation. Le machinisme et le taylorisme sont des mouvements qui vont guider le pays. Ils prônent une amélioration des systèmes et une relative présence de la machine dans la culture du pays (fig. 39). Le thème du gratte-ciel sera repris aux Américains, critiqué et améliorer, il sera employé et construit pour montrer la puissance de l’Union Soviétique. (fig. 38)
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Il y a dès lors une volonté d’exposer toute la richesse et la puissance de l’État. Une véritable recherche de monumentalité se retrouve dans le régime stalinien, d’ailleurs, de nombreuses thèses 43 s’intéressent aux rapports particuliers entre les régimes totalitaires et la monumentalité. Mais, il semble cependant qu’aucune formulation ni prescription n’a été faite dans ce sens chez Staline. D’ailleurs, Melnikov qui n’adhère pas aux idées (en ce qui concerne l’architecture) du réalisme socialiste produira lui aussi durant la fin de sa vie une architecture monumentale, voire mégalomaniaque. Deja ses projets pour le monument a Christophe Colomb et pour le Palais des soviets allaient en ce sens. 41
Ibid. p. 56
42
Ibid. p.57
cf note (55),(56) in Le prix de Rome. Le « grand » tour des architectes soviétiques sous Mussolini, Elisabeth Essaïan, pp. 53 - 54 43
Suite à son bannissement de l’ordre des architectes, Konstantin Melnikov sera réduit à la production de projet « imaginaire », il ne participera plus à aucun concours après l’année 1936. Cette période est qualifiée « d’architecture de papier » du fait de la grande production de dessin des architectes, mais d’aucune réalité physique de ses projets.
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LA RECONSIDÉRATION De l’oeuvre de l’architecte
C’est avec la mort de Staline et l’ouverture petit à petit du pays aux observateurs que la situation de l’avant-garde russe va se débloquer. En particulier, c’est à partir des années 1950 et le « dégel » progressif des relations internationales de la Russie mené par Nikita Kroutchev que les radicaux vont revenir sur le devant de la scène culturelle russe. Mais, il faut souligner que ce ne sont pas en premier les bâtiments des architectes radicaux qui sont montrés aux visiteurs occidentaux, mais plutôt les vestiges d’un romantisme et l’architecture classique russe. Il parait important de remarquer que parmi trois des historiens les plus importants de l’architecture moderne, aucun ne fera mention de l’architecture d’avant garde soviétique. Ni Nikolaus Pevsner et son « Pioneers of Modern Design » en 1949, ni Siefried Giedion et son « Space, Time and Architecture » en 1941 ou Bruno Zevi et son « Histoire de l’architecture moderne » en 1950 traites de l’architecture soviétique. En tant qu’architecte, Melnikov réapparut dans le paysage architectural russe à l’occasion d’une exposition célébrant son 75e anniversaire à la maison des architectes de Moscou en 1965. Son travail avait tellement été dissimulé et oublié que même les professeurs et étudiants de l’institut où il travaillait dirent qu’ils n’étaient pas au courant du travail de l’architecte durant les années 1920-1930. Cette exposition marqua le début de la redécouverte de l’œuvre de l’architecte. C’est d’abord l’historien russe Selim Khan-Magomedov 44 qui joue un rôle précurseur en donnant le premier une conférence sur l’architecte soviétique. 72
Mais le rôle majeur fut celui de Yuri Gerchuk 45, il écrivit un article monographique sur Konstantin Melnikov en 1966 dans la revue Arkhitektura SSSR. Lorsqu’une traduction anglaise parut en 1971, ce fut la première étude disponible du travail de Melnikov en Europe occidentale.
Selim Khan-Magomedov, un historien de l’architecture, inventa le terme de postconstructivisme pour décrire la mutation de la production des artistes d’avant-garde vers le néoclassicisme stalinien 44
Grande figure de l’histoire de l’art russe dans les années 1950, il écrire de nombreuses monographies sur des artistes oubliés sous Staline. 45
Tafuri et Dal Co sont deux historiens de l’architecture italiens de la deuximème moitié du XXe s. Ils prendront le relais des grands noms de l’histoire de l’architecture comme Giedion ou Pevsner. 46
Le livre de Pare illustre en photo une grande partie des architectures d’avant garde russe encore debout dans leur état actuel. Il dépeint ainsi toute une partie de l’histoire russe à travers tous les grands noms de l’architecture constructiviste russe. 47
C’est Manfredo Tafuri et Francesco Dal Co 46 qui intégreront les premiers Melnikov et l’avant garde russe dans leur histoire de l’architecture « Architettura contemporane » en 1976. Mais lorsque la plupart des commentaires d’Europe occidentale restaient descriptifs (“herioc period of modern architecture” d’Alison et Peter Smithson en 1965 ou “theory and design in the first machine age” de Reyner Bahnam en 1967), Tafuri et Dal co formule une critique plus sérieuse et plus approfondie. Ils étudient notamment le rapport de Melnikov au cubo-futurisme et au formalisme. Kenneth Frampton lui consacrera tout un chapitre à l’architecture soviétique au XXe siècle dans son « histoire critique de l’architecture moderne » en 1980. Il s’agit plus d’une histoire documentée qu’interprétée, néanmoins, elle accorde à Melnikov une place de choix. Aux États-Unis, c’est Frederick Starr qui écrira le plus sur l’architecte russe. Suite à deux interviews avec Melnikov (1966 et 1969), il publi d’abord un article très documenté sur le russe dans « Architectural Design » en 1969. Mais son principal écrit sur l’architecte est sa monographie qu’il publie en 1978, « Melnikov, solo architect in a mass society ». Il collaborera avec Jean Louis Cohen dans l’écriture du livre sur le pavillon soviétique de 1925. Jean Louis Cohen, un autre nom très important dans la redécouverte et la réhabilitation du patrimoine architectural russe des années 1920. Il écrira un texte dans le livre de Richard Pare « The Lost Vanguard, Russian modernist architecture » 47 dans lequel il analyse les raisons de l’oubli et les conditions de la redécouverte des
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bâtiments radicaux. « Radical Relics : architecture and the politics of modernization in soviet russia » dépeint le climat dans lequel ces architectures se trouvent aujourd’hui. Les bâtiments qui ont survécu à la période stalinienne continuent d’exister dans des conditions très mauvaises. Non entretenus, laissés à l’abandon, sans aucune intention particulière, certains de ces bâtiments sont quasi invisibles dans le paysage urbain, comme des ruines d’une époque révolue. (fig. 40,41,42,43) Mais dans une Russie néo-capitaliste où le gouvernement essaie de réduire le souvenir de l’expérience bolchévique, ces bâtiments ne représentant pas la période la plus forte de cet épisode. Les grattes ciels de la période stalinienne sont infiniment mieux conservé, traité et même sont l’objet de reconsidérations qui ont conduit à la construction de nouvelles tours aujourd’hui s’inspirant de leurs design. Il semble donc qu’au-delà d’une reconsidération intellectuelle (dans les textes), il soit nécessaire d’un regain d’intérêt pour l’existence des bâtiments dans le paysage urbain russe. Ces bâtiments sont laissés pour compte dans la plupart des cas, voire habités clandestinement. Mais, leur destin est peut-être d’être des bâtiments sans prétention s’intégrant dans l’épaisseur historique de la ville sans devenir des icônes. Dans « Techniques et architecture », l’article constructiviste à la folie annonce la reconstruction du pavillon de Melnikov dans le parc de La Villette dans les années 1970. Aucune trace ne témoigne de la réalité du projet, il n’a probablement jamais été réalisé. Ce projet aurait peut-être permis d’appuyer la connaissance de l’architecte russe auprès des Français, mais il aurait diminué la force et l’impact de son architecture. La véritable force du pavillon se comprenait avec tout le contexte de l’exposition des Arts décoratifs. La véritable reconnaissance de l’architecture du pavillon passe d’abord par son inscription dans le patrimoine architectural du XXe siècle. 74
(fig. 40) Palace of Culture. Cherny Gorod, Baku, Azerbaijan. Leonid Vesnin. 1929 (fig. 41) Gosplan Garage. 63 Aviamotornaia Street, Moscou. Konstantin Melnikov. 1936 (fig. 42) NKPS Building. Lermontov Square, Moscou. Ivan Fomin. 1928 - 1931 (fig. 43) Narkomfin Communal House. 25 Novinski Boulevard. Moscou. Mosei Ginzburg. 1930
CONCLUSION
Dans un contexte comme celui de l’Exposition des Arts Décoratifs de 1925 à Paris en pleine période Art Déco en France, le pavillon soviétique a eu des allures de révolution dans le milieu architectural. Melnikov s’est d’ailleurs immédiatement attiré la sympathie de l’avant garde française représentée par Perret ou Le Corbusier. Le premier, lui fait visiter son atelier et le second lui fait visiter l’architecture parisienne. L’architecture dénudée venant d’une nouvelle culture dont je ne connaissais que peu de choses m’a beaucoup intrigué ; certains y voyait des signes d’avenir et d’autres un crime contre l’architecture. Pour ma part, j’y vois une alternative au courant moderne représenté par Le Corbusier. Quoi qu’il en soit, le pavillon a fait beaucoup parler de lui lors de l’exposition parisienne, et c’était un des objectifs formulés par les Russes dans le concours pour le pavillon. Le désir était de s’éloigner des architectures néo-classiques, mais surtout d’établir une réponse cohérente aux fonctions d’une telle architecture. Tout cela, dans un climat révolutionnaire et très créatif. Mais, l’élément décisif me semble être les délais très courts pour la construction du pavillon ; les Français ayant tardé à inviter la jeune Russie. 78
La grande réussite du pavillon a constitué un élément majeur dans la carrière de l’architecte Russe Konstantin Melnikov. Il lui a donné une renommée internationale aux côtés des autres pavillons modernes de Le Corbusier et Mallet-Stevens. Cependant, force est de constater que le pavillon russe n’est aujourd’hui pas un bâtiment marquant du XXe siècle comme l’est devenu le pavillon de l’Esprit Nouveau ni même une construction remarquée comme celle de Mallet-Stevens. Le paysage politique et le contexte particulier de l’entre-deux guerre semblent des éléments fondamentaux dans la compréhension du destin de l’architecte. Le pavillon avait reçu des éloges venant surtout de critiques et de revues d’inspirations communistes en France. Or la situation de la gauche et plus particulièrement du Parti communiste se dégrade dans les années 30. Les souvenirs du révolutionnaire pavillon russe s’estompent donc peu à peu, effacés la plupart par la main mise de Le Corbusier sur l’architecture moderne. En Russie, Melnikov aura l’occasion de construire et de participer activement à l’architecture jusqu’au début des années 30. Ses constructions de garages et de clubs de travailleurs m’ont beaucoup enthousiasmé. C’est l’arrivée au pouvoir de Staline et la mise en place du réalisme socialiste qui marquera la fin de Melnikov. L’œuvre de l’architecte sera cachée et écartée de la mémoire collective jusqu’à la fin des années 60. Lequel, travaillais seul et se refusait d’adapter son architecture au stalinisme, et je pense que cette dimension très solitaire chez l’architecte peut lui avoir été préjudiciable durant cette période. La redécouverte de l’œuvre de l’architecte m’a permis alors d’appréhender une vision décalée de l’architecture moderne et du mouvement rationaliste européen alors très qualifié. C’est donc simplement grâce aux travaux de quelques auteurs que le pavillon soviétique et la vision de l’architecte sont revenu sur la scène internationale dans les années 70-80.
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C’est intérêt témoigne du besoin que beaucoup d’étudiants, dont je fais partie, d’étendre leurs regards au-delà de l’histoire de l’architecture moderne académique que l’on connait. Le regard mono-orienté vers une seule architecture moderne semble en effet être dépassé, et l’intérêt se tourne vers d’autres formes d’architecture durant cette époque. Celle de Melnikov possède en plus un regard très particulier et personnel du fait de son parcours solitaire dans le mouvement constructiviste. Mais, au-delà de ce regard, Melnikov donne l’espoir d’une architecture sensible et réfléchie, presque religieusement, face à la dictature des architectures normalisées. C’est grâce à des hommes (architectes) comme lui que mon intérêt et mon espoir dans l’architecture grandie, il représente une image forte dans le paysage architectural du XXe siècle. Ainsi, je pense qu’étudiants et enseignants gagneraient à enseigner son œuvre et son approche radicale de l’architecture. Malgré son côté anticonformiste et son obstination à travailler seule contre tous (face à Staline), il a toujours su conserver son approche d’une architecture sensible.
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Alphaville, une étrange aventure de Lemmy Caution, Jean Luc Godard, France-Italie, 1965, Science-fiction, 99 min.
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Konstantin mElnikov
PAVIllon URSS 1925 « Mon budget était restreint : cela limitait le choix de mes matériaux. Par goût personnel, un goût qui est peut être aujourd’hui national, je donnai au pavillon le maximum de clarté et d’aération. Toutes les personnes qui passent devant une boutique n’y entrent pas. Toutes pourtant sauront ce qu’il y a dans la mienne : ses murs sont de verre, et un escalier accueillant aux foules et pratiqué de part en part permet, en outre, une vue plongeante. Pourquoi, à un monument éphémère par destination, donner un faux air d’éternité ? Le mien n’a pas besoin de durer aussi longtemps que les soviets ; il nous suffira qu’il soit encore debout pour la clôture de l’exposition » Konstantin Melnikov, juin 1925
Felix Gautherot 2013 3eme année Memoire de fin de licence Atelier Jean Pierre Salgas ENSA de la ville & des territoires à Marne la vallée
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Mes remerciements vont à Jean-Pierre Salgas pour le suivi de mon travail de recherche tout au long de l’année.
KONSTANTIN MELNIKOV Pavillon de l’URSS, Paris 1925
Je tiens également à remercier tout particulièrement mes parents pour leur soutien respectif et leur patience pour la relecture de ce mémoire. Félix Gautherot
École d’Architecture de la Ville et des Territoires à Marne-la-Vallée Licence 3ème Année - Juin 2013
Félix Gautherot
Sous la direction de Jean-Pierre Salgas