Catalogue Patrick Obeika

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autoportraits Patrick Obeika self-portraits


Etant mauvais cultivateur je perdis mon père non, n’apportez pas de lumière donc je le perdis Henri Michaux - Epreuves, exorcismes


autoportraits Patrick Obeika self-portraits

2000 - 2005


Corps

Pour Paul Valéry, le plus profond est la peau ; Patrick Obeika partage probablement cette perception. Ses toiles suscitent le sentiment d'une matière qui garde la mémoire de tout accident, de toute éraflure, de toute blessure jusqu'à sembler la peau scarifiée d'un corps qui serait la substance même de la peinture. Son travail plastique ne relève pas de la représentation mais de l'incarnation. Fouillant la chair de la toile, pénétrant les couches de la matière, il se livre à un corps à corps avec le matériau où la chair sert de substance à l'œuvre et où l'œuvre se fait chair. Sa peinture est une pratique physique, épuisante, sensuelle où il inscrit, fouille, entaille, effectue des arrachements, recouvre … où il caresse la terre. « Ce qui m'intéresse c'est l'épreuve du corps et par là son inscription irréfutable dans la vie » (Patrick Obeika). Peinture écorchée, les toiles de Patrick Obeika avouent une réalité d'humeurs et de sucs, d'odeurs et de larmes. On ne peut rester indifférent à cette mise à nu, à ces autoportraits. L'art a pour moi cette force dérangeante, celle de nous faire voir pour la première fois l'autre. L'œuvre en gestation ne se nourrit pas seulement de la chair de l'artiste mais aussi de la fermentation d'un compost de plâtre et pigment, d'une décomposition du monde, d'un pourrissement du temps.

Temps / mort / mémoire

La peinture de Patrick Obeika est marquée par le « temps ». En présence de ses toiles, j'ai parfois le sentiment de toucher du doigt une substance qui serait exhumée de la nuit des temps, un gisement de mémoires enfouies. La réflexion sur la mémoire est d'ailleurs clairement revendiquée comme l'un des thèmes d'une série de l'artiste, les « Naturalisations ». Quand on lui demande ce qu'il veut signifier par l’intitulé, « Naturalisations », il répond simplement en évoquant le dictionnaire : « Préparer un animal mort ou une plante de manière à leur conserver l'aspect du vivant. Maintenir une apparence vivante à un organisme mort ». La plante, l'animal mort, renvoient dans ce cas à l'artiste lui-même. « Elle (la mort) agit sur moi très directement ; même s'il s'agit de ma propre disparition elle est vécue à travers les autres. La part de moi que portent les êtres qui me sont chers et qu'ils vont emporter avec eux. Chacune de ces morts va amoindrir ma vie, dépecer mon patrimoine. Des pans entiers de mon existence vont disparaître. Le désir de simulacre de la vie que sont ces "Naturalisations" vient de là, conserver ces morceaux épars de vie que sont les bouts de toile (s…) On n'existe que dans la mémoire de l'autre, des autres. Les naturalisations sont cela. La mémoire» (Patrick Obeika). Dans cette série, le corps, toujours présent, est en fragments, dépecé ; souvent enveloppé de cire, il m'évoque un rapport à la fois au martyre et à la relique. Alors que notre société est généralement dans l'évitement par rapport à la mort, le travail de Patrick Obeika nous convie à une réflexion sur ce défi de l'existence. Je crois que pour lui, la mort n'a rien d'un accident qui survient du dehors, toujours mûrissante en l'homme, elle le pénètre d'un sens fondamental. La mort et le corps se rejoignent dans un symbole universel : la croix.


Croix

STAT CRUX DUM VOLVITUR ORBIS (La terre tourne, mais la croix demeure) peut-on lire dans les monastère chartreux. La croix, parfois évidente, parfois dissimulée est toujours présente dans le travail de Patrick Obeika qui ne craint pas un certain mysticisme et de nous convier à une réflexion sur Dieu. Avons-nous tué Dieu ? Que pourrait alors faire un genre humain dégagé de toute transcendance quand l'accomplissement collectif, inspiré du marxisme a échoué ? S'accomplir égoïstement selon un individualisme exclusif et souverain ? Triste perspective. Il semble qu'il ne resterait alors que la voie tracée par Nietzsche : le déplacement vers le Surhumain par une transmutation des valeurs. Cette voie assigne à l'homme émancipé une finalité souveraine, un au-delà de l'humain dans l'humain, un dépassement de sa propre condition. Mais c'est une transcendance venue de ses propres forces qui nécessiterait un sursaut. La croix inlassablement répétée de Patrick Obeika m'apparaît comme le symbole non seulement d'une interrogation sur la transcendance mais également comme le symbole de ce nécessaire sursaut. Cette croix est un désir de surgissement, une volonté de rupture existentielle. L'horizontale figurant le continuum dans le temps de nos actions réactives, non choisies ; la verticale étant la rupture existentielle qui s'y produit où il faut comprendre exister dans son acception étymologique ek-sistere, émerger du magma des choses. Signe essentiel entre tous, cette croix nous place finalement devant la double exigence qui tenaille toute vie : tenir fermement le point nodal et en même temps tendre de tous côtés vers justement l'in-fini.

Etre

Amateur de philosophie, Patrick Obeika a toujours ressenti l'écart infranchissable qui existe entre les certitudes des systèmes philosophiques et la réalité de l'homme. La peinture est pour lui la meilleure manière de s'attaquer à l'existence humaine en vue de tirer au clair, sur le vif, l'énigme que l'homme est à lui-même. Un système philosophique signifie que plus rien n'est incertain ; forcer les fondements de la certitude que l'homme peut avoir de luimême nécessite au contraire une démarche physique, dans un état de semi-conscience. Le travail de Patrick Obeika est cette fouille des sédiments de la condition humaine à la recherche de ce qu'Etre signifie. Pierre Rémy - 2005


Autoportrait PR Technique mixte sur toile libre 200 x 200 cm

Self-portrait PR Mixed technique on floating canvas 200 x 200 cm


Autoportrait rouge Technique mixte sur toile libre 195 x 100 cm

Red Self-portrait Mixed technique on floating canvas 195 x 100 cm


Autoportrait en 9 morceaux Technique mixte sur toile libre 150 x 200 cm

Self-portrait in 9 pieces Mixed technique on floating canvas 150 x 200 cm


Autoportrait Ă la croix blanche Technique mixte sur toile libre 100 x 140 cm

Self-portrait with white cross Mixed technique on floating canvas 100 x 140 cm


Autoportrait “Joinville” Technique mixte sur toile libre 90 x 140 cm

Self-portrait “Joinville” Mixed technique on floating canvas 90 x 140 cm


Autoportrait “MN” Technique mixte sur toile libre 200 x 200 cm

Self-portrait “MN” Mixed technique on floating canvas 200 x 200 cm


Autoportrait - HomothĂŠtie Moyenne Technique mixte sur toile libre 100 x 65 cm

Self-portrait - HomothĂŠtie Moyenne Mixed technique on canvas 100 x 65 cm


Autoportrait - Extrait de la série “La Cène” Technique mixte sur bois 35 x 35 cm

Self-portrait - Extract from the “La Cène” series Mixed technique on wood 35 x 35 cm


Autoportrait - Extrait de la série “L7DPDCEC” Technique mixte sur bois 30 x 30 cm

Self-portrait - Extract from the ““L7DPDCEC”” series Mixed technique on wood 30x 30 cm


Autoportrait - Extrait de la série “CdC” Technique mixte sur ardoise 22 x 32 cm

Self-portrait - Extract from the “CdC” series Mixed technique on stone 22 x 32 cm


Naturalisation [natyRalizasjõ] n. f. I. 1. Opération par laquelle on donne à une plante coupée, ou à un animal mort , l’apparence de la nature vivante.


Autoportrait - Naturalisation 1/3 Technique mixte sur toile 95 x 70 cm

Self-portrait - Naturalization 1/3 Mixed technique on canvas 95 x 70 cm


Autoportrait de la sĂŠrie des naturalisations Technique mixte sur ardoise 33 x 22 cm et 28 x 22 cm

Self-portrait from the naturalization series Mixed technique on slate 33 x 22 cm and 28 x 22 cm


Autoportrait - “Baptiste” Technique mixte sur toile 25 x 25 cm

Self-portrait - “Baptiste” Mixed technique on canvas 25 x 25 cm


Textes extraits des cahiers noirs de Patrick Obeika

Autoportrait Polaroid sur cire 13 x 13 cm

Self-portrait Polaroid on wax 13 x 13 cm


Dimanche 25 novembre 2001 Rester dans la logique de la défaite… démasquer le mensonge de la vie. Vendredi 9 novembre 2001 Vivre dans la pénurie est essentiel. Pénurie d'émotions, de moyens, de sens (aux choses). Etre en économie de vie, vivre peu, répéter. Lundi 26 novembre 2001 Le droit d'être absent de la vie. Mercredi 27 février 2002 Trop tard Dieu est là ! Dimanche 31 mars 2002 Lettre n°1 J'ai coupé mes cheveux dans le cou sans pouvoir y voir. C'était le soir. Je vis ça comme une torture. Les deux : les cheveux coupés et le voyage. Peut-être ne se reverra-t-on jamais ! On se contente de la vie dite. Je ne juge pas. Mon unique acte volontaire consiste à suivre une route et de la raconter. Puisqu'il faut se séparer un jour, je veux en ressentir toute la douleur de ton vivant. Ecrismoi comme je t'écris les villages simples où je vais. On ne vit pas sans peur ni sans musique. Chaque lieu, chaque instant et la possibilité de te perdre. Ce fil qui nous lie tendu par la distance que je raconte. Parce que je n'apprendrai rien sans toi, nulle part, et que ce gâchis augmente ma vie. J'ai réduit les moments utiles (nécessaires) pour que tu restes mon unique lieu au dehors. Demain je me dirige vers le sud. Environ 100 km. Tu dois regarder la carte souvent. C'est un très mauvais rêve. J'envisage de sortir de France. Ta voix me rassure. Je te laisse. Je désire tant de choses pour nous. Mercredi 8 mai 2002 Si ce n'est pour subsister, je pourrais très bien me satisfaire de la position de non-être, d'homme sans actes, d'homme rituel, d'homme vitrine qui offre une façade et des mots à la vie des autres. Dimanche 16 juin 2002 Je dois être infiniment romantique pour « être » si peu. Même ces quelques lignes m'éloignent de l'objet posé dans la vie que je suis. Samedi 20 juillet 2002 Je ne fais RIEN (avec un sourire aux lèvres) comme un exemple donné à l'humanité et j'existe. Je ne suis dans aucune caricature de l'existence, je n'aboutis jamais (rarement), ma vie ne sera qu'un projet. Peur de l'échec ou de la réussite ? Besoin de « faire » dans la vie des autres, ma vie est dans une forme abstraite, friable. Multiple comme l'univers comme dit Pessoa. Jeudi 8 août 2002 Renoncer un jour à toute cette grouille. Et dans mon sang séché quels souvenirs demeurent ? Samedi 5 octobre 2002 Préférer l'agression du cerveau à celle du corps. Le thème. Toujours le même. Jusqu'à épuisement, jusqu'à la fatigue de la raison, jusqu'au renoncement de l'intelligence. Samedi 14 décembre 2002 Le travail est dans le contraire, l'envers, le gommage du laid. Obligatoirement je pose de l'indifférent que je tente de rendre acceptable.


Mardi 24 décembre 2002 Peinture donc… peinture d'ameublement, du vide de ma vie… de la répétition du vide qui l'augmente même et qui ne nécessite plus alors de justification. L'acte géniteur abstrait, non motivé, voilé petit à petit, couche après couche pour finalement trouver un sens en soi. Une forme d'autojustification de l'œuvre par sa propre répétition absurde. Il s'agit de tout ça. Au commencement il n'y a rien et c'est en creux. J'y pose l'encombrant. Je tente de le réduire et de l'oublier par le geste, l'acte manqué par excellence. La forme même de l'échec mais il est trop tard et il faut que ce soit une série pour déplacer l'attention. L'ancrer au réel, à la fatigue. Après ce n'est plus moi. Vendredi 4 juillet 2003 Enfermé dans la vie. Samedi 5 juillet 2003 D'égrener les jours, d'user d'artifices, tout de même il reste le dur métier de vivre. Samedi 23 août 2003 Me permettre Rome et l'Italie. Un homme sans l'Occident, sans les Romains ?! Cimabue et la vérité. Celle qui nous renvoie en nous très directement. Jeudi 22 janvier 2004 L'art est chair. Mercredi 27 avril 2005 Qu'importe le sujet ! C'est tous les sujets, le multiple et l'unique, à la manière de Morandi. Regarder avec intensité un point fixe, longtemps, et voir l'univers entier. Se voir donc. Autoportraits. Tout ce qui existe est circoncis à mon enveloppe charnelle. Rien n'y échappe. C'est une vérité ! M'interroger, c'est m'agrandir et élargir les limites de ce qui est. Je vis seul dans ce monde. Rien d'étranger ne le traverse. Quelque soit la multitude, cela reste un exil. Un décor d'enveloppes humaines rien de plus. Chacun son monde mais y a til des territoires de partages ? Rien n'est moins sûr. La lutte est là, exactement. Pourtant vaine, pourtant désespérée. Il n'y a pas d'autres humains. Juste des illusions. Des formes de leurres avancées, pseudo-pensants, des miettes de soi mais aussi parfois des formes plus complètes. On les appelle "frères", "amis", et ça n'est que soi. C'est si terrible de peupler tout ce vide. Alors la croix. La forme composée la plus simple. Celle qui définit une intersection, une rencontre hypothétique. Une délivrance aussi qui conduit à la résurrection ? Mais il faut d'abord s'y perdre. Le faire avec jubilation, avec force, dans l'inconscience de la vie. On compose des rituels. On force son corps à secréter ces substances qui dissolvent la réalité. Et cela est dans le physique, dans le geste, dans l'épuisement, la fatigue du temps. C'est à ce prix qu'apparaissent les friches de l'esprit. L'autre homme. Les autres moi. Les seuls qu'on y rencontre. Et enfin l'homme premier, au sens de ces chiffres premiers, indivisibles, l'animal humain, la cellule souche. Et je vous recompose.


Patrick Obeika

Patrick Obeika est né à Beyrouth en 1965. Il avoue pourtant se sentir quelque peu étranger iographie subjective et incomplète à son pays, le Liban. Peut-être parlait-on trop de langues chez lui ? Souvent quatre, parfois cinq. En quelle année a débuté la guerre civile ? 1972 ? 1974 ? Il ne se le rappelle plus clairement.

B

En octobre 1978, il arrive en France. Des études d'ingénieur, un quatrième degré aux Arts Décoratifs de Paris et en 1989 un "vrai" métier, dans une grande entreprise, avec ses objectifs, ses responsabilités, ses collaborateurs, ses jeux de pouvoir. "J'ai voulu aller au bout de cette logique, épuiser les ressources de cette forme d'existence. Je l'ai fait honnêtement dans l'espoir d'y trouver un équilibre satisfaisant." (Patrick Obeika). Au bout de cette expérience, il refuse ce qu'il éprouve comme un simulacre de vie. Depuis 1989, il peint "pour lui". Quatre ou cinq expositions tout de même. En mai 2000, il quitte son travail. Il est libre et sans aucun projet. Deux ans durant, il avoue une impossibilité à se situer. "Que fais-tu ? - RIEN. Et ce rien crée le vide autour de moi. Mais pourquoi mentir. Ce vide était un choix. Le refuge dans une forme d'autisme aussi." Il adopte alors une vie extrêmement réglée pour rester à flot. Réveil à 6H au plus tard, toujours de la lecture, parfois des Polaroids, des textes ou simplement de la marche. Plusieurs haltes dans des cafés, de préférence dans les quartiers d'affaires. "Pourquoi ? Sûrement pour essayer de comprendre mon inadaptation. J'aime cette position comme en coulisse de "l'autre" vie." L'après-midi est réservée au travail. Il décrit sa phase active comme généralement assez courte et entrecoupée de très longs moments d'attente, comme en embuscade. 6 janvier 2002, l'art est devenu pour lui la seule aventure possible, il accepte de se dire peintre.

Un grand merci à tous ceux qui ont permis à ce catalogue d’exister. SSIV


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