Le Mundaneum

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R E M E R C I E M E N T S

À la Communauté française Wallonie-Bruxelles, à la Région Wallonne, à la Province du Hainaut, à la Ville de Mons, à l’équipe et aux administrateurs du Mundaneum et à notre éditeur Benoît Peeters

C O O R D I N AT I O N

Charlotte Dubray AUTEURS

Raphaèle Cornille, Stéphanie Manfroid, Manuela Valentino CORRECTIONS

Raphaèle Cornille, Laurent Dutrieux, Catherine Gillis, Tanguy Habrand, Delphine Jenart, Delphine Plateau et Charlotte Dubray I L L U S T R AT I O N S

Raphaèle Cornille Le Mundaneum asbl est un centre d’archives privées subventionné par le Ministère de la Communauté française Wallonie-Bruxelles, Direction Générale de la Culture, Service du Patrimoine

Couverture : Photo de la sphère du Mundaneum - Mons © André Delvigne Mise en page : Martine Gillet

© Les Impressions Nouvelles – 2008 www.lesimpressionsnouvelles.com info@lesimpressionsnouvelles.com

LES IMPRESSIONS NOUVELLES


LE MUNDANEUM

Il

fallait une extraordinaire passion pour la connaissance, et une rigueur scientifique impeccable, pour bâtir une œuvre aussi vaste que celle de Paul Otlet et Henri La Fontaine. En cette fin de XIXe siècle, la Révolution française est déjà plus que centenaire et la révolution industrielle autorise tous les espoirs pour l’humanité : le monde semble prêt pour vivre une ère de progrès partagé… Les deux hommes vont alors concrétiser leur rêve de démocratisation des savoirs. Observant la rapidité avec laquelle les biens de production se multiplient, ils se disent que le patrimoine immatériel ne peut demeurer en reste et que le partage de ses richesses implique, lui aussi, une très large diffusion dans les couches populaires. Le projet du Mundaneum devient rapidement réalité et il survivra à toutes les épreuves. Aujourd’hui encore, il continue à faire rayonner les idéaux des Lumières grâce à l’enthousiasme et à la compétence d’une équipe dévouée. Rendre hommage aux fondateurs du Mundaneum, c’est aussi rappeler que les grandes avancées humaines se préparent dans l’étude, la recherche et la confrontation des théories. Bien plus qu’une simple consignation de données disparates, le Mundaneum organise celles-ci et les inscrit dans une véritable perspective encyclopédiste. Les chercheurs, les étudiants et les professeurs y trouvent des ressources inépuisables, qui leur permettent à leur tour de créer et de faire surgir la nouveauté. Je voudrais souligner le caractère vivant, dynamique et fécond du Mundaneum. C’est un lieu qui stimule l’intelligence et qui contribue à forger les esprits éclairés de demain, ceux qui porteront plus loin le flambeau de la liberté allumé par Paul Otlet et Henri La Fontaine. C’est à eux, successeurs avides de progrès et de connaissance, que ce lieu est dédié. ELIO DI RUPO Ministre d'État

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LE MUNDANEUM

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archives de la connaissance » témoignent de l’utopie de deux hommes : Paul Otlet et Henri La Fontaine. Descendants des Lumières et du positivisme, pacifistes convaincus, ils s’engagent dans une aventure bibliographique et mettent en place des réseaux internationaux pour promouvoir l’échange des savoirs. Paul Otlet se transforme peu à peu en collectionneur de documents, de tout document, du livre à l’image, persuadé que la connaissance partagée conduira à une paix universelle. De son côté, Henri La Fontaine s’investit pleinement dans la vie politique et reçoit le prix Nobel de la Paix en 1913. Visionnaires à plus d’un égard, ils imaginent, rêvent, projettent. De leurs nombreux rêves, certains prennent corps, de leur vivant ou bien plus tard, mais d’autres, trop grands, ne se concrétiseront jamais. L’utopie d’une Cité mondiale, qui devait présider au destin pacifique des Nations, se révèle être le plus emblématique de ces rêves inaboutis. En 1993, à l’initiative d’Elio Di Rupo et sous l’impulsion de Jean-Pol Baras et Jean-Paul Deplus, une partie des collections rescapées de l’aventure titanesque entreprise à la fin du XIXe siècle par Paul Otlet et Henri La Fontaine arrive à Mons. Une asbl chargée de gérer, conserver et valoriser ces collections, est constituée sous le néologisme de « Mundaneum », terme imaginé jadis par Paul Otlet. En 1998, le Mundaneum, devenu Centre d’archives privées de la Communauté française de Belgique, inaugure son nouveau musée, le 19 juin de la même année. Situé dans le cœur historique de Mons, entre la rue de Nimy et la rue des Passages, le Mundaneum occupe depuis cette date les bâtiments Art déco réaffectés d’un ancien grand magasin appelé « L’Indépendance ». Cet ensemble, rénové en 1998, se compose de trois bâtiments. Deux d’entre eux abritent les archives, tandis qu’un troisième est transformé en espace muséal ouvert au public. Le musée est organisé autour d’une grande salle rectangulaire encadrée par

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LE MUNDANEUM

deux niveaux de galeries. Une première étape de scénographie – confiée à Benoît Peeters, François Schuiten et l’équipe de Bleu Lumière – symbolise l’essentiel de la démarche de Paul Otlet et Henri La Fontaine par la conjugaison de trois éléments : au centre, un imposant globe terrestre animé d’un lent mouvement de rotation, aux murs, le Répertoire Bibliographique d’origine, et au plafond, une voûte présentant une vision futuriste des autoroutes de l’information. Dix ans plus tard, une seconde étape scénographique est à l’examen, destinée à enrichir la signifiance de l’écrin. L’année 2008 marque les dix ans d’existence de l’espace d’exposition du Mundaneum et nous invite à poser un premier bilan. Au cours de ces années, reclassements, inventaires, publications se sont succédé, apportant leurs lots de découvertes et d’étonnements. Une connaissance plus pointue du vaste patrimoine légué par ces deux hommes a renouvelé notre compréhension de leur œuvre remarquable. Le temps est donc venu de publier une synthèse sur l’état d’avancement de nos connaissances et de vous les faire partager. Plus qu’un centre d’archives classique, le Mundaneum se positionne par rapport à un double héritage. Un héritage matériel, celui des archives et collections, mais aussi un héritage spirituel, celui des idéaux de paix, de partage des connaissances, de justice, de démocratie et d’humanisme, défendus par Paul Otlet et Henri La Fontaine tout au long de leur vie. Cette filiation spirituelle, assumée à la lumière des transformations sociétales en cours, garantit la vitalité d’un projet sans cesse poussé à réinventer son actualité. Pour répondre à sa mission de partage des connaissances, le Mundaneum prépare la transmission de son héritage matériel via la numérisation des collections et la mise en ligne des inventaires. Parallèlement, il organise à l’adresse d’un large public des expositions patrimoniales interrogeant notre actualité, des conférences

LE MUNDANEUM

prospectives en quête d’un mieux vivre, des colloques scientifiques ou philosophiques, des débats d’idées en recherche d’une citoyenneté nouvelle, et aussi des animations de ces matières à destination des plus jeunes. Tourné vers le monde, tourné vers l’avenir, le Mundaneum est un lieu de vie, d’ouverture et d’échanges. Quels enjeux pour les prochaines années ? Tout d’abord, améliorer et augmenter nos espaces de stockage de manière à pouvoir accueillir en de bonnes conditions nos six kilomètres courants de documents. Le mode de conservation actuel renforce en effet la fragilité d’un patrimoine ancien que l’histoire n’a pas épargné. Ensuite, engager le Mundaneum dans la société de la connaissance. La mise à disposition de nos archives numérisées sur le net s’impose d’emblée, mais d’autres voies sont à explorer, en repensant la muséologie, en interagissant avec les réseaux. Enfin, nous entendons participer au renouvellement des méthodes dites pédagogiques en reinterrogeant la relation triangulaire enseignant – élève – opérateur culturel. L’avenir de nos sociétés repose sur la créativité future des jeunes. À nous de leur communiquer le désir de connaître. Disposant déjà d’un positionnement original grâce à la singularité du patrimoine dont il est dépositaire, le Mundaneum s’inscrit dans des politiques de partenariat avec des institutions culturelles ou scientifiques régionales, belges ou européennes. Lieu de référence pour les enseignants, pour les étudiants en bibliothéconomie, pour les historiens et autres adultes en quête de sens, le Mundaneum accueille régulièrement des chercheurs du monde entier. Il conserve au cœur de ses archives la promesse rêvée d’un monde meilleur. CHARLOTTE DUBRAY Directrice

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LE MUNDANEUM

C H R O N O L O G I E C O M PA R É E PAUL OTLET

HENRI LA FONTAINE

LE DÉVELOPPEMENT DE L’INSTITUTION

LA BELGIQUE & LE MONDE

1847

Révolution Industrielle en Belgique 1847

1853-1878

Organisation des congrès 18 internationaux de statistiques 53-78 avec Quételet (1796-1874)

1854

Naissance

1854

1857

Naissance de sa sœur, Léonie La Fontaine

1857 Règne 1865 de Léopold II (1865-1909)

1865

Première Conférence Internationale de Bibliographie. Septembre 1895

1868

Classification de Dewey 1868 aux États-Unis

Naissance

Guerre 1870 franco-prussienne (1870-1871)

1870 1879 1882

Publication de L'île du Levant

Entrée au Conseil d'Administration de Bischoffscheim

1879

Entrée en Franc-Maçonnerie (Les Amis Philanthropes)

1882 1887 et l'esperanto Zamenhof

1887 1888

Publication de l'Afrique aux Noirs

1890 1891

1888 1890

Rencontre chez Edmond Picard Publication du Sommaire périodique des revues de droit

1892

Publication de l'Essai de bibliographie de la paix

Création du Bureau International 1891 de la Paix (BIP)

Participation à la création de la Ligue Belge du Droit des Femmes

1892 Office International de Bibliographie Sociologique

1893

1894

Sénateur Parti Ouvrier Belge Hainaut

1894

Suffrage 1893 Universel tempéré par le vote plural en Belgique

1895

1ère conférence & OIB Répertoire Bibliographique Universel

1895

1897

Exposition internationale de Bruxelles

1897 Congrès 1899 de la Paix à La Haye

1899 Présentation du RBU et obtention de la plus haute distinction

1900 Voyage en Espagne. 1900

Exposition 1900 universelle de Paris

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LE MUNDANEUM

PAUL OTLET

HENRI LA FONTAINE

LE DÉVELOPPEMENT DE L’INSTITUTION

Adhésion à la Ligue Belge des droits de l'homme

1901 1905

Élaboration de la station balnéaire de Westende

1906

La microfiche avec Goldschmidt Musée du Livre

Publication de la Classification Décimale Universelle 1ère édition

Président du BIP (1907-1943)

1907 1908

1901 Publication de la CDU IIP (RIU) Congrès Expansion économique Mondiale

1905

Bibliothèque Collective des Sociétés Savantes

1906

Musée de la Presse Office central des Institutions Internationales

1907

Répertoire Universel de Documentation (encyclopédie documentaire)

1908

La famille Otlet à Westende

Règne 1909 d'Albert Ier (1909-1934)

1909 1910

LA BELGIQUE & LE MONDE

Musée International & Union des Associations Internationales

Cité Mondiale (1910-1944)

Exposition 1910 Universelle de Bruxelles La plage et la digue de Westende

Prix Nobel de la Paix

1913 1914

Assassinat 1914 à Sarajevo 1ère guerre mondiale

Publication du Traité de Paix général Magnissima Charta

1916 1917

1913

1916 1917

Publication de la Charte Mondiale organisant de la Société des Nations

1919

14 pts de Wilson & Traité de Versailles 1919

1920

Ouverture du Palais Mondial & Universités Internationales

1921

Suffrage 1921 Universel masculin en Belgique

1924 1934

Publication du Traité de documentation Décès

1943 1944

Création 1920 de la Société des Nations

Décès

Foire au caoutchouc - déménagement des collections

1924

Fermeture des portes du Palais Mondial

1934 1943 Organisation des Nations Unies 1944 Extrait du traité de documentation


D E S H O M M E S AU S E RV I C E D E LA C O N NAI S SAN C E E T D E L A PA I X

LE MUNDANEUM

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Voyage en Suisse de Henri et Léonie La Fontaine

H E N RI LA FONTAI N E (1854-1943) Diplomate d’un genre nouveau, Henri La Fontaine reçoit en 1913 le Prix Nobel de la Paix pour son action au sein du Bureau International de la Paix (BIP). Il se distingue par sa lutte pour le pacifisme et le féminisme.

PAUL OTLET (1868-1944)

Réunion de l’Institut International de Bibliographie

Reconnu comme le père de la documentation moderne, Paul Otlet est épris d’innovations : de l’architecture à l’urbanisme en passant par la documentation, la bibliographie et la muséologie. De son intérêt pour les sciences, il découvre la bibliographie et fait de cet outil son cheval de bataille en vue de réorganiser la société dans une perspective de progrès. Grâce à son autre passion, l’architecture, il en imagine les structures et les formes de manière concrète. Au centre, Paul Otlet et à droite, Henri La Fontaine


Carte d’identité maçonnique « Les Amis Philanthropes », 1929 et carte de membre du Club Alpin Français, 1938

Henri La Fontaine, Vénérable Maître.

H E N RI LA FONTAI N E (1854-1943) Issu de la haute bourgeoisie, Henri La Fontaine est l’aîné du couple formé par Alfred La Fontaine, commissaire au gouvernement, et Marie Louise Philips, féministe notoire. Avec sa sœur cadette, Léonie, il reçoit une éducation influencée par le positivisme d’Auguste Comte, ainsi que par les valeurs pacifistes et féministes. Celles-ci marqueront profondément leurs personnalités respectives. Durant ses études, Henri La Fontaine se spécialise dans le droit international. Confiant dans le progrès du droit et de la justice, il saisit la voie du pacifisme pour agir sur la société. Il développe alors son action au sein d’associations internationales très diverses, en marge de la diplomatie traditionnelle. L’Union interparlementaire et le Bureau International de la Paix (BIP) complètent une activité pacifiste intense au début du XXe siècle.

Sa conception moderne de la politique passe par la reconnaissance du droit des individus : c’est la base de la démocratie. Le droit des minorités devient un axe important de son action. La question de la formation et de l’accès à la profession est centrale dans le débat féministe. Dès 1879, il participe à la gestion de l’école Bischoffsheim. Cette dernière offre aux jeunes filles issues d’un milieu modeste un enseignement professionnel. Avec « l’affaire Popelin » qui éclate en 1888, Henri La Fontaine va prendre une part active aux débats féministes. L’inscription au barreau de Marie Popelin, diplômée de l’université, se heurte au veto masculin qui lui refuse l’accès à la profession. Les revendications féministes s’organisent. En 1892, Henri La Fontaine participe à la création de la Ligue du droit des femmes. En 1901, il publie

La Femme et le barreau et s’érige en défenseur de cette minorité politique. Les débats suscités par l’élargissement du Suffrage Universel sont à l’origine de son orientation politique. En 1889, il entre au Cercle des Étudiants et des anciens Étudiants Socialistes. L’enseignement populaire et la règlementation du travail constituent les préoccupations de ce groupe auquel participent Louis de Brouckère et Émile Vandervelde. En 1895, Henri La Fontaine devient l’un des premiers sénateurs socialistes. Il occupe cette charge avec quelques interruptions jusqu’à l’entre-deux-guerres. À la même époque, il collabore à la réalisation des Pandectes belges aux côtés d’Edmond Picard, dont il est secrétaire. Ce travail encyclopédique l’ouvre au monde de la bibliographie. Il y fait la connaissance d’un jeune stagiaire, Paul Otlet, avec qui il partage sa conception pacifiste de la société. Lorsque l’Office International de Bibliographie voit le jour en 1895 sous la houlette des deux hommes, Henri La Fontaine adapte la classification mise au point par le bibliothécaire américain Melvil Dewey en une Classification Décimale Universelle (CDU). Cet outil permet d’organiser la connaissance en

dix catégories. Son perfectionnement est la principale préoccupation d’Henri La Fontaine. Pendant la Première Guerre Mondiale, il appelle à la constitution des États-Unis d’Europe avec La Magnissima Charta, sa publication majeure en matière de paix. Après le conflit, il participe aux travaux de la Société des Nations (SDN). Il poursuit ensuite son engagement en faveur de la coopération des États à travers l’Institut International de Coopération Intellectuelle (Paris) et l’Union des Associations internationales (UAI), créé avec Otlet en 1907 à Bruxelles. Ces engagements ne révèlent pas complètement toutes les facettes de sa personnalité. La musique, l’alpinisme et la franc-maçonnerie occupent le reste de son temps libre. Initié à l’âge de 28 ans, Henri La Fontaine fait partie de « la loge des Amis Philanthropes ». Il est à l’origine de la création de la première loge mixte de Belgique, « la loge de Droit Humain ». Tout au long de sa vie, il reste fidèle à ses premiers engagements : « Travailler au progrès de l’humanité ».


LE MUNDANEUM

Van Rysselberghe. À deux, ils créent

Henri La Fontaine l’Union des Associations

de la théorie récente des cités-jardins.

Internationales (UAI) qui fédère la

Elle attire aussi bien les foyers

plupart des institutions existantes.

modestes que privilégiés. La faillite de la

À partir de 1910, il concentre toute son

société et les affres de la Première

énergie à la conception de la Cité

Guerre Mondiale ne laisseront que peu

Mondiale, qui voudrait devenir la

de traces de ce succès urbanistique.

capitale intellectuelle et morale de

demeure l’Office International de Bibliographie qu’il crée avec Henri La Fontaine en 1895.

(1868-1944)

Le socle de cet organisme repose sur une bibliographie

Issu de la bourgeoisie bruxelloise,

Son diplôme de droit en poche,

En 1907, Paul Otlet fonde avec

une station balnéaire modèle, inspirée

Son héritage le plus durable

PAU L OTLET

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l’humanité (voir page 64). Pour tenter de concrétiser ce gigantesque projet, il sollicite successivement Hendrik Andersen et Le Corbusier et envisage les sites les

des publications de tous

plus divers. Otlet compte

Paul Otlet entame un parcours plutôt

il effectue un stage au cabinet du

les temps et de tous

aussi parmi les précurseurs

classique. Son père, Édouard Otlet,

renommé Edmond Picard. Ce dernier

les pays, prolongée par

de l’idée de Société des

industriel et homme politique, fait

publie les Pandectes belges, recueil de

une bibliothèque et un centre

fortune dans la construction de

la jurisprudence. Paul Otlet rejoint

de documentation universel.

tramways. L’Entreprise, la vaste société

l’équipe pluridisciplinaire mobilisée

L’encyclopédie pensée

qu’il dirige, se développe dans le

sur ce travail et fait la connaissance

par Paul Otlet et Henri La Fontaine puise

monde entier.

d’Henri La Fontaine, secrétaire

ses sources dans tous les supports

d’Edmond Picard. Il prend alors

de la connaissance, sans restriction.

Le Traité de documentation,

professionnel du jeune Paul Otlet est

conscience de l’intérêt majeur de

Ils redéfinissent également le concept

le livre sur le livre, qu’il publie en 1934.

tout tracé : il entame des études de droit

la bibliographie, domaine qu’il cherche

de musée qui, chez nombre de leurs

Il y définit avec rigueur tous les supports

pour être en mesure de défendre les

à ériger en science.

contemporains, tient encore du cabinet

de la connaissance.

de curiosités des XVIIe et XVIIIe siècle.

Il imagine aussi le livre de demain,

Dans ce contexte familial, l’avenir

intérêts patrimoniaux de l’Entreprise.

Dans le même temps, Paul Otlet

Nations (SDN) en proposant de rassembler les pays en un Institut International de Coopération Intellectuelle (IICI). Son ouvrage majeur demeure

Mais sa passion est ailleurs… Le monde

reste attentif à ses obligations envers

Cette démarche aboutit, après

qu’il nomme le livre téléphoté et

constitue un univers foisonnant de

la société familiale. En 1905, il propose

la Première Guerre Mondiale,

développe une théorie sur les réseaux

connaissances qu’il rêve d’explorer.

l’exploitation touristique de terrains

à l’inauguration d’un musée

de la connaissance.

À 20 ans, il a déjà deux publications

de chasse à Westende. Son talent

d’un genre nouveau sur l’esplanade

En bien des points, son approche

à son actif : l’Île du Levant (1882) et

pour l’architecture va alors s’exprimer

du Cinquantenaire : le Palais Mondial-

théorique se révélera avant-gardiste,

l’Afrique aux noirs (1888).

avec audace aux côtés d’Octave

Mundaneum (1920).

annonçant notamment Internet.


D E S I N ST I T U T I O N S AU S E RV I C E D E LA C O N NAI S SAN C E

V E R S U N I N T E R N ET D E PAP I E R L’OFFICE ET L’INSTITUT INTERNATIONAL DE BIBLIOGRAPHIE

Les travaux réalisés au sein du cabinet d’Edmond Picard vont conduire

enfin une bibliothèque spécialisée. Ce projet d’un office travaillant

Paul Otlet et Henri La Fontaine à

à la création d’une bibliographie

s’intéresser à la bibliographie.

sociologique n’est pas récent : le vœu

Ils entrevoient dans cette science

en est émis lors du Congrès

un instrument de travail indispensable :

international de statistique en 1856.

la bibliographie renseigne sur

L’idée trouve également un écho dans

l’existence de tous les ouvrages traitant

d’autres pays et dans d’autres branches

d’un sujet, quel que soit le lieu où

scientifiques. Des projets similaires

ils se trouvent.

sont présentés au Congrès International

C’est dans cette idée qu’est fondé

d’Anvers, à l’Académie Royale de

en 1893, avec l’appui du gouvernement

Belgique ou encore à la Royal Society

belge, l’Office International de

de Londres, sans que de réelles

Bibliographie Sociologique (OIBS),

concertations n’aient lieu entre ces

sous les auspices de la Société d’Études

différents groupes.

Sociales et Politiques et de l’Institut

Unifier les méthodes bibliographiques,

des Sciences Sociales. Son but est

adopter une classification bibliographique

de collecter et de classer toutes les

universelle, élaborer un répertoire

informations, sur tous les supports,

bibliographique embrassant tous les

relatives aux sciences sociales. Il

domaines de la connaissance, mettre

s’intéresse aux publications courantes,

en place la coopération internationale,

mais aussi à l’ensemble de la production

sont autant de projets abordés lors

du XIXe siècle.

de la Conférence internationale

L’Office International de Bibliographie Sociologique s’organise en quatre services : les publications

de bibliographie que l’OIBS convoque à Bruxelles en septembre 1895. Devant des savants, des bibliographes

bibliographiques, les répertoires

et des bibliothécaires du monde entier,

bibliographiques composés de fiches

Paul Otlet et Henri La Fontaine y livrent

mobiles, les recueils de faits sociaux et

le résultat de leurs travaux et de leurs


LE MUNDANEUM

ainsi qu’à l’édition et au développement

en place dans les grandes villes pour

de la CDU.

collaborer activement au RBU et

Les deux institutions travaillent conjointement, publiant le Bulletin

aux développements de la CDU. Le Bureau Bibliographique de

de l’Institut International de

Paris (1896) et le Concilium

Bibliographie et la Bibliographia

Bibliographicum (1895) à Zurich

Universalis Mundaneum, une collection

forment respectivement les sections

de bibliographies spécialisées.

française et suisse de l’IIB. Ces

Elles possèdent une riche bibliothèque

institutions rédigent un répertoire

et une collection de modèles et d’objets

bibliographique particulier,

relatifs aux méthodes bibliographiques

intégré au RBU et coopèrent aux

(fiches, meubles de rangement…), noyau

travaux bibliographiques.

d’un futur musée bibliographique.

Elles servent également de dépôt

Une imprimerie, l’Auxiliaire

aux publications, aux modèles et

Bibliographique, est mise en place pour faciliter le travail d’édition. Le personnel

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accessoires bibliographiques de l’IIB. Dès le début du XXe siècle,

est constitué de femmes pour la

les travaux de l’IIB se diversifient pour

préparation matérielle des notices et

s’intéresser aux autres supports de

de collaborateurs spécialisés pour

l’information. Selon Otlet et La Fontaine,

réflexions au sein de l’OIBS. Leur

la rédaction du RBU sur fiches et de

leur classement. La majorité de ces

les livres ne sont pas les seuls

expérience pratique dans le domaine de

la création d’une Union bibliographique

personnes travaillent bénévolement.

détenteurs de la connaissance :

la bibliographie, et la méthodologie de

internationale.

Les travaux de l’OIB et de l’IIB avancent

la presse et l’image jouent aussi

à belle allure et sont présentés lors

un rôle important dans l’accès au savoir.

travail qui en découle, doivent servir de

La reconnaissance officielle de ces

base à l’élaboration d’un projet

travaux se fait quelques jours plus tard

des Expositions Universelles de

Le concept de « documentation »

infinement plus vaste : le Répertoire

par la création de l’Office International

Bruxelles en 1897 et de Paris en 1900.

apparaît alors. Des collections sont

Bibliographique Universel (RBU).

de Bibliographie (OIB), reconnu par

L’entente internationale s’organise

organisées en fonction du type de

Ils souhaitent également que

arrêté royal le 17 septembre 1895.

à plusieurs niveaux. D’une part,

support. Des sections spécialisées

la Classification Décimale Universelle

L’OIB a en charge la rédaction et la

les membres de l’IIB, des associations

voient le jour au sein de l’IIB : le

(CDU) soit reconnue comme classification

publication du Répertoire Bibliographique

scientifiques et des grandes

Répertoire Universel de Documentation,

internationale.

Universel original. L’IIB, à caractère

bibliothèques utilisent les méthodes

l’Institut International de Photographie

international avec son réseau de

bibliographiques préconisées par

et le Répertoire Iconographique

membres, s’attache aux études

Bruxelles. D’autre part, des bureaux et

Universel, le Musée International de

théoriques en matière de bibliographie

des offices bibliographiques sont mis

la Presse.

Durant cette conférence, l’Institut International de Bibliographie (IIB) voit le jour. Il est également décidé de


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LE MUNDANEUM

Ce nouveau centre d’intérêt qu’est

du monde, comme en atteste la

la documentation se traduit par un

correspondance conservée dans nos

changement de dénomination. Dès 1930,

archives. Chaque jour, des dizaines

l’IIB devient l’Institut International de

de demandes sont adressées à l’IIB.

Documentation et en 1937, la Fédération

Elles concernent l’organisation

Internationale de Documentation.

du répertoire, des recherches

La Première Guerre mondiale

bibliographiques, des informations

interrompt les projets qui reprennent

sur une classe précise de la CDU ou

officiellement en 1920 avec la réunion

encore l’achat de fiches

au Palais du Cinquantenaire des

bibliographiques, voire de tiroirs

institutions créées par Paul Otlet et

complets. En 1934, le Traité de

la formation du Palais mondial (voir

documentation de Paul Otlet est publié

page 54).

et s’impose comme un ouvrage de

Durant l’entre-deux-guerres, les

référence.

travaux de bibliographie se poursuivent.

Ce n’est pourtant pas sans

Le RBU reçoit en 1923 la reconnaissance

difficultés que tous ces projets sont

de la Société des Nations et du Congrès

menés à bien. Les moyens financiers,

International des Bibliothécaires.

constitués d’un subside alloué par

Le réseau international ne cesse de

le gouvernement et de la vente de

s’étendre. La Classification Décimale

publications, ne suffisent plus.

Universelle s’impose peu à peu dans

Les relations avec le gouvernement

les bibliothèques du monde entier.

belge se dégradent. En effet, lors de

Des éditions en langues française et

son installation au Cinquantenaire, l’IIB

étrangères sont en préparation.

scelle son destin à celui du Musée

L’intérêt pour les travaux de Bruxelles se fait sentir aux quatre coins

International. En 1934, lors de la fermeture du Palais mondial par les


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LE MUNDANEUM

autorités belges, les répercussions se font sentir également au sein de l’IIB. Le Répertoire et les collections sont interdits d’accès à Paul Otlet et à ses collaborateurs. L’opinion internationale est mobilisée. Les offices nationaux français, suisse et hollandais sont prêts à accueillir l’IIB. Mais pour Paul Otlet et Henri La Fontaine, leurs institutions forment un tout : le Palais mondial ne peut être démantelé. Le RBU et les collections restent enfermés au Cinquantenaire jusqu’en 1941, date à laquelle ils sont délogés par les autorités allemandes. C’est le début de l’errance pour ces documents qui déménagent à plusieurs reprises dans Bruxelles. Mais malgré les difficultés, la motivation de Paul Otlet n’est jamais entamée. Après le décès de celui-ci, en 1944, c’est Georges Lorphèvre, son plus proche collaborateur, qui poursuit son œuvre dans des conditions de plus en plus précaires. En 1993, ce qu’il reste des fonds et collections est accueilli à Mons. Les meubles-fichiers, confiés à la Bibliothèque royale en 1980 suite à l’abrogation de l’OIB, prennent place sur les murs de l’espace muséal du Mundaneum en 1998.

LE MUNDANEUM

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