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Fédération française de la lose

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Fabrice Epstein

Fabrice Epstein

interview

© Presse sports

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Propos recueillis par Julien Damien Photos © DR / fflose.com / Marabout FÉDÉRATION FRANÇAISE

DE LA LOSE

Le sens de la défaite

« À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire », dit un jour Corneille. Pas mal, mais on préfèrera la devise de la Fédération française de la lose : « À perdre sans panache, on échoue dans l’anonymat ». Depuis 2015, ce site internet recense avec humour les plus belles gamelles du sport hexagonal. Séville 1982 et l'attentat de Schumacher sur Battiston, Knysna 2010 et le bus de la honte, mais aussi les décennies de désillusions à Roland-Garros ou sur le Tour de France... on en passe ! De gaffes monumentales en coups du sort, de dérouillées stratosphériques en regrets éternels, on refait le match avec Antoine Declercq, président et co-fondateur de la FFL, laquelle publie une poilante Bible de la lose du sport français.

Qu’est-ce que la Fédération française de la lose ? Comment est-elle née ?

Tout est parti d’un délire entre potes, fans de sport, mais aussi d’un constat : en France on aime bien ressasser nos grandes défaites, plus que nos victoires. On a donc créé cette fédération fictive sur le net en 2015, comme une blague, après avoir vécu de grosses déconvenues en tant que spectateurs. Le but était de digérer avec humour ces échecs qui passent mal. À l’arrivée, on a fait rire un peu plus que nos amis. On a donc épluché tous nos contenus pour réaliser un objet plus noble, d’où ce livre.

Vous dites que la France a toujours eu un rapport spécial à la défaite. En quoi ?

Il y a là un côté très romantique. Cyrano de Bergerac reste la pièce la plus populaire en France, soit l’histoire d’un homme qui a à peu près tout raté, notamment séduire Roxane.

« Digérer avec humour les grands échecs. »

Mais c’est malgré tout un héros, parce qu’il a du bagout et agit avec panache. De la même manière, les Français adorent les grandes tragédies sportives et les perdants magnifiques. •••

Quels en seraient les meilleurs ambassadeurs ?

Citons bien sûr Raymond Poulidor, l’éternel second. D’ailleurs, il le confiait lui-même : il n’aurait jamais été aussi célébré s’il avait porté le maillot jaune. Mais pour moi, le meilleur exemple reste Laurent Fignon. On l’associe inévitablement à cette défaite pour huit secondes face à Greg LeMond, lors du Tour de France 1989… en occultant le fait qu’il l’a remporté deux fois !

Les Français ne perdent pas plus que les autres, mais ils perdent mieux, selon vous…

Oui, j’en suis convaincu. Quand il s’agit de rater une marche, on la loupe vraiment. On ne trébuche pas, on se vautre ! Tenez, cet été lors de l’Euro, la France n’a pas perdu 1-0 contre la Suisse, non, elle a décidé de mener 3-1, d’avoir le match en poche avant de perdre aux tirs aux buts.

Elle est parvenue à se saborder de manière élégante et spectaculaire. Il y a une vraie dramaturgie ici.

« Les Français adorent les perdants magnifiques. »

Selon vous, quelles défaites auraient le plus de panache ?

Notre parcours en coupe du monde 2010, horrible de A à Z. Bien sûr, beaucoup de sélections ont raté cette compétition avant

nous, mais personne ne l’a foirée d’aussi belle manière. Il y a d’abord eu la polémique née de la main de Thierry Henry, qui nous offre la qualification face à l’Irlande. Puis l’insulte d’Anelka, évidemment la grève dans le bus et enfin Raymond Domenech qui refuse de serrer la main du sélectionneur sud-africain à la fin de l’ultime match de poule, sans oublier les excuses improvisées de Ribéry en claquetteschaussettes en direct sur Téléfoot… Bref, c’est un grand classique !

Répertoriez-vous plusieurs types de défaites ?

Oui, comme toute forme d’art, elle ne peut se résumer à un seul courant. Il y a d’abord le craquage mental, typique des sports individuels comme le tennis ou le golf. Dans Dragon Ball, les combattants se transforment en "Super Saiyans" lorsqu’ils sont très énervés, et deviennent alors surpuissants avec leurs cheveux jaunes. Ici, c’est exactement l’inverse : la peur de gagner anéantit l'athlète. On se souvient de Paul-Henri Mathieu lors de la coupe Davis 2002. Durant deux sets il marche sur son adversaire, Youzhny, et au moment de conclure il s’effondre pour perdre 6-3, 6-2, 3-6, 5-7, 4-6.

Vous évoquez aussi la bévue "salvatrice"…

Oui, c’est lorsque tout est parfait dans le meilleur des mondes. Trop parfait. Il ou elle décide alors de faire absolument n’importe quoi •••

pour tout gâcher. Le meilleur exemple est bien sûr le coup de boule de Zidane en finale de la coupe du monde 2006, ce coup de folie qui transforme une potentielle victoire en tragédie.

Quelles seraient vos défaites de légende ?

J’ai beaucoup d’affection pour le France- Bulgarie de 1993, qui nous prive du Mondial aux États-Unis. À vrai dire tout commence dès le match précédent, car les Tricolores avaient besoin d’un petit nul en deux matchs pour se qualifier. Ils commencent par perdre à domicile contre Israël, une équipe qui n’avait pas gagné depuis un an et demi. Avant le match, L’Amérique de Joe Dassin résonnait dans le Parc des Princes… Cette arrogance rend l’échec encore plus beau.

Et puis c’est la catastrophe face à la Bulgarie, un mois plus tard. Emil Kostadinov inscrit deux buts, dont un à la dernière seconde du match… alors qu’il ne devait même pas jouer !

Oui, il n’avait pas son visa et est entré en France en passant par Mulhouse, sachant que la frontière n’était pas bien gardée... Les "loses" de légende sont toujours riches de ce genre d’anecdotes, qui font la grande histoire. C’est comme Poulidor, qui perd le Tour de France en 1964… parce qu’il a oublié d’effectuer un tour supplémentaire sur le vélodrome de Monaco !

Il y a les équipes, les sportifs, mais aussi les événements. À l’heure où la France prépare les JO de 2024 vous exhumez une drôle d’histoire : celle des JO de Paris de 1900, pas forcément un modèle…

Oui, la France a largement dominé la compétition, remportant le plus grand nombre de médailles, mais en creusant un peu on se rend compte que c’était vraiment du grand n’importe quoi !

« On aimerait beaucoup rigoler avec les sportifs. »

Déjà, il y avait beaucoup trop de disciplines représentées, 477, et pas forcément toutes indispensables comme le concours de pêche à la ligne ou le tir au canon. L’organisation laissait aussi à désirer. Par exemple lors de la course automobile, tous les pilotes ont été alignés pour excès de vitesse, car personne n’avait cru bon de prévenir la police !

D’ailleurs à l’époque, le public est passé à côté…

Oui, car l’Exposition universelle avait lieu en même temps. Il était donc hors de question de lui faire de l’ombre. Énormément de personnes ne seront ainsi pas au courant de la tenue de ces JO, considérés comme un sous-événement. Plus fort, certains participants l’ignoraient eux-mêmes. Beaucoup de gens sont devenus champions olympiques à Paris sans le savoir. Ce sont principalement des étrangers, qui sont rentrés chez eux après avoir simplement gagné un "tournoi à Paris". Je souhaite donc un peu plus de professionnalisme à l’édition de 2024.

Quels sont les souhaits de la FFL ?

On aimerait beaucoup rigoler avec les sportifs eux-mêmes, solliciter leur sens de l’autodérision. Un peu à la façon du Marcel d’or, diffusé il y a quelques années sur Canal + et récompensant les plus mauvais footballeurs. Aujourd’hui, c’est plus compliqué à cause de la communication bétonnée des clubs. Il est même devenu plus facile d’interviewer Emmanuel Macron que Kylian Mbappé !

Antoine Declercq qui porte la poisse à Tony Estanguet.

À lire / La Bible de la lose du sport français, par la FFL (préface de Thibaut Pinot), Marabout, 240 p., 29,90€, www.marabout.com > La version longue de cette interview sur

lm-magazine.com À visiter / fflose.com

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