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Michka Assayas

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Emma Peters

Emma Peters

érature t t i l

interview

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Sur écoute

Avec Very Good Trip sur France Inter, il nous guide chaque soir vers des contrées musicales inattendues. Ne dites cependant pas à Michka Assayas qu’il est un érudit : malgré ses connaissances encyclopédiques (le Dictionnaire du rock, c’est lui) le journaliste continue, à 63 ans, de nourrir un rapport quasi charnel à sa passion. Ce Diderot rock publie un livre d’entretiens menés par la journaliste Maud Berthomier dans lequel il raconte, avec moult anecdotes personnelles, comment la musique a jalonné, et même modelé, sa vie.

Quel a été le point de départ de ce livre ?

Il s’agit d’une commande de mon éditeur questionnant mon rapport à la musique. Comme je ne voulais pas proposer une énième "discothèque idéale" et que mon émission de radio prend du temps, nous avons sollicité Maud Berthomier, qui avait publié un formidable recueil d’entretiens avec des légendes de la critique rock américaine. L'entente a été instantanée, elle a su me pousser dans mes retranchements, jusqu'à revenir sur mon enfance, ma famille ! Dans un deuxième temps, nous avons retravaillé ces entretiens, un peu comme un groupe qui ajuste certaines prises de son en studio.

Comment traduire concrètement votre passion sur le papier ?

L’idée était surtout de contextualiser. La musique que je décris a marqué différents épisodes de ma vie. Cette discussion souligne l’importance de ces découvertes pour moi. Mais je suis un prétexte, je représente n’importe quel lycéen modelé par le prog rock.

Ce qui frappe à la radio comme dans le livre, c’est votre enthousiasme intact, presque juvénile. La musique, ça n’était donc pas mieux avant ?

Bien sûr que non ! Chaque période est enjolivée par le souvenir qu’on en garde. •••

Dans les années 1960 je peux vous assurer qu’on écoutait davantage Burt Bacharach et Mireille Mathieu que les Beatles ou les Stones ! Je suis persuadé que des artistes d’aujourd’hui vont rester dans l’histoire. Ce qui a changé en fait, c’est le rôle social de la musique.

Elle n’a plus la résonance qu’elle avait dans nos vies. Désormais elle est diluée dans un flux de divertissement. On va voir un concert comme on va au restaurant… Cela me rend triste, mais ça n’est en rien une question de qualité !

« Des artistes d’aujourd’hui vont rester dans l’histoire »

Dans l’introduction au premier chapitre, Maud Berthomier affirme que « la musique raconte des histoires qui nous sont communes » : est-ce toujours le cas aujourd’hui, avec la parcellisation des méthodes d’écoute ?

Évidemment, la musique a perdu de son universalité. Il reste tout de même des micro-communautés extrêmement mobilisées autour d’un genre, comme dans le doom metal par exemple, dont les fans à travers le monde forment presque une secte…

Vous n’hésitez pas à défendre des artistes dits mainstream. Est-ce une démarche délibérée de vous méfier des chapelles ?

Par le passé, j’ai été très snob ! J’étais animé par l’envie de traquer ce qui était nouveau, faisait bouger les lignes. De comprendre le monde dans lequel on vit, en quelque sorte. Et puis la presse rock, à une période, mettait toujours en avant les mêmes artistes : les Doors, Pink Floyd… Déjà au temps du punk, je ne comprenais pas l’intolérance que certains pouvaient nourrir à l’égard des Beach Boys. Je m’évertuais à expliquer que leurs chansons étaient des merveilles ! À l’époque où j’écrivais dans Rock & Folk, je défendais déjà Abba. En lançant cette folle aventure qu’était le Dictionnaire du Rock,

je me suis rendu compte que j’avais des préjugés sur de nombreux artistes. Alors, j'ai replongé dans des milliers de discographies, à la façon d’un chercheur.

Finalement cette attitude "bienveillante" est l’aboutissement de tout un parcours.

« La musique est une chose très énigmatique »

À l'instar d'un enquêteur vous cherchez toujours à comprendre dans quel contexte un album ou un titre est né, n’est-ce pas ?

J’ai toujours procédé ainsi, même sans m’en rendre compte. Par exemple, mon premier article sur Joy Division mentionnait déjà la désindustrialisation… Cette manie d’enquêter me vient naturellement : la musique est une chose très énigmatique, et son effet peut être d’une grande violence.

Comment avez-vous procédé pour compiler les 300 titres de la playlist qui composent votre parcours intime ?

Ces morceaux ont surgi au hasard de nos conversations avec Maud. Ils ont tous une importance particulière, la faculté de me faire battre le cœur. Je pourrais leur consacrer à chacun un laïus entier pour expliquer en quoi ils sont importants. Ils ont tous une résonance personnelle. Mais le pari de ce livre est de s’adresser à tous ceux qui entretiennent des souvenirs avec la musique, peu importe laquelle.

Propos recueillis par Mathieu Dauchy

À lire / Very Good Trip. Une Histoire intime de la musique, de Michka Assayas et Maud Berthomier (GM Éditions), 216 p., 34€, gm-editions.com

Simon Reynolds Hardcore

(Éditions Audimat) Depuis une vingtaine d’années, Simon Reynolds s’est imposé comme un critique musical de premier plan. Qu’il disserte sur le post-punk, le glam, les destins croisés du rock et du hiphop (Bring the Noise, 2013) ou l’incapacité de la pop culture à se renouveler (Retromania, 2012), sa pertinence cultivée anime toujours les débats. On lui doit également quelques concepts entrés dans l’usage, tels post-rock, hantology et, donc, le Hardcore continuum. Le terme désigne un ensemble de musiques issues de la techno hardcore, jusqu’aux mille et une branches dubstep, en passant par la jungle, la drum'n'bass, le 2-Step, la bassline, le grime… Soit une esthétique profondément anglaise, née à Londres et dans quelques zones périphériques (les Midlands, Bristol…). Réunissant des articles parus entre 1992 et 2010 dans les mensuels The Wire, Fact ou sur ses nombreux blogs, cet ouvrage dévoile la cohérence et l’acuité d’une façon de penser la musique mêlant érudition entomologiste et enthousiasme primitif – voir ses pages sur Burial, Zomby ou Wiley, pour n’en citer que trois. De quoi mieux appréhender et (re)découvrir 30 ans de sons électroniques. 280 p., 20€. Thibaut Allemand

Pacôme Thiellement Paris des profondeurs (Seuil)

Une promenade dans un Paris chargé d'histoire en compagnie d'un érudit intarissable ? Non, rassurez-vous, on ne fait pas de la retape pour Lorànt Deutsch. L’ouvrage en question est un peu l'anti-Métronome. Paris, donc, mais un Paris des profondeurs, celui des âmes oubliées, celui des anti-héros magnifiques, irrigué par un esprit gitan, par une âme de sorcière. C'est Pacôme Thiellement, essayiste pop, qui nous accompagne de Notre-Dame au Diable Vauvert comme dans un film de Rivette, en convoquant au passage les spiritualités rebelles qu'il affectionne. Par le jeu des souvenirs et des révélations, il met au jour une ville qui ressemble à un long poème – tantôt sonnet mélancolique, tantôt cadavre exquis surréaliste. Un récit que nous réapprenons ici à lire. 240 p., 20€. Rémi Boiteux

Idir Hocini La Guerre des bouffons

(Clique Éditions) Plume phare du Bondy Blog, Idir Hocini déroule ici une autobiographie de groupe. Il y parle de lui, évidemment, né voici 42 ans en Seine-Saint-Denis, mais aussi de la fratrie, des parents, des copains… De réparties bien senties en râteaux mémorables, son écriture alerte mêle souvenirs d'été en Algérie et scolarité ordinaire. Il évoque la banlieue sans misérabilisme, comme un formidable terrain de jeux. Hocini dépeint, finalement, ces vies comme Pagnol avant lui. Dédié à « tous les idiots du village » et bardé de références populaires (Louis Pergaud bien sûr, mais aussi Le Club Dorothée, Le Seigneur des anneaux, Xena la guerrière, les jeux de rôle…), ce premier roman vitaliste et humaniste révèle un écrivain plus que prometteur. 400 p., 20€.

Thibaut Allemand

Marie-Noëlle Hébert La Grosse laide

(Éd. des Équateurs) Durant longtemps, Marie-Noëlle Hébert s'est trouvée « grosse et pleine de vide ». À huit ans, la Montréalaise essuie de premières remarques désobligeantes sur sa silhouette, trop éloignée des canons de beauté imposés par la société. Ses cuisses sont grasses, son ventre pas assez plat... Tout ça serait de sa faute. Elle mangerait trop. Son père la traite un jour de « grosse truie ». Alors, lentement mais sûrement, elle s'est appliquée à dénigrer son corps, puis tout son être, avant de lutter contre sa propre honte et le regard des autres. D'apprendre à s'aimer. C'est ce combat qu'elle raconte dans son premier roman graphique, entièrement dessiné au fusain. Armée de cet outil tendre et friable, elle livre un puissant (et sublime) récit sur l'acceptation de soi. 100 p., 20€. Julien Damien

Sally Rooney Où es-tu, monde admirable (Éditions de l’Olivier)

Érigée en porte-voix des millennials depuis le succès de Normal People, l’Irlandaise Sally Rooney était de loin l’autrice la plus attendue de cette rentrée étrangère. Ce nouvel opus confirme son talent pour ausculter les doutes d’une génération qui peine à croire en l’avenir. Alice, romancière star mais dépressive retirée dans un village en bord de mer, fait la rencontre de Félix. Eileen, sa meilleure amie, chroniqueuse littéraire restée à Dublin, renoue de son côté avec son amour de jeunesse… Si Rooney décrit magistralement les difficultés à se comprendre entre pairs, elle convainc moins avec les pages d’e-mails verbeux qu’échangent les deux vingtenaires sur la vie, la politique, la spiritualité ou la beauté perdue de notre monde, décidément peu admirable. 384 p., 23,50 €. Marine Durand

L'INNOCENT

Mon beau-père et moi

Pour son quatrième long-métrage en tant que réalisateur, Louis Garrel signe sans doute son meilleur film. Présentée hors-compétition lors du dernier Festival de Cannes, l'œuvre avait d'ailleurs fait sensation. Quelque part entre la comédie romantique et le polar, L'Innocent met en scène un homme en prise avec son caïd de beau-père...

Abel découvre que sa mère, la fantasque Sylvie, animatrice d’ateliers de théâtre en prison, s'est une nouvelle fois éprise d'un détenu. Pire : cette fois, elle va se remarier. Inquiet, notre héros enquête sur cet homme mystérieux, bien aidé par sa meilleure amie. Il le soupçonne de vouloir renouer avec sa vie de truand… Réalisateur de trois longs-métrages inégaux (Les Deux amis, L’Homme fidèle, La Croisade), Louis Garrel passe à la vitesse supérieure avec L’Innocent. Ce film procure d’abord le plaisir de revoir la grande Anouk Grinberg, trop longtemps absente des écrans de cinéma. Quelques semaines après le remarquable La Nuit du 12 de Dominik Moll, on la retrouve dans le rôle d’une femme de 60 ans, amoureuse comme une adolescente. Autour d’elle circule une galerie de personnages hauts en couleur.

À l'italienne

Jamais là où on l’attend, remarquablement interprété (Roschdy Zem, dans le rôle du beau-père taulard, est épatant), L’Innocent passe ainsi d’un genre à un autre (romcom, polar, mélodrame social) avec une décontraction insolente. Les dialogues sont finement ciselés et le récit offre des moments de pur délire, rappelant les grandes heures de la comédie italienne (les scènes de filatures entreprises par Abel sont hilarantes). Il aura donc fallu quatre films pour que Louis Garrel devienne un brillant cinéaste, et l'attente en valait vraiment la peine. Grégory Marouzé

De Louis Garrel, avec lui-même, Roschdy Zem, Anouk Grinberg, Noémie Merlant... Sortie le 12.10

© Graeme Mitchell/Redux

HALLELUJAH, LES MOTS DE LEONARD COHEN

Chant libre

Devenu un passage obligé des télécrochets, Hallelujah s'est imposée comme la chanson la plus célèbre de Leonard Cohen. Dans un documentaire plein d'admiration, Daniel Geller et Dayna Goldfine en retracent la genèse compliquée et le destin paradoxal, tout en brossant un portrait de son auteur.

Et vous, quelle version d'Hallelujah vous a fait fredonner en premier « It goes like this, the fourth, the fifth / The minor falls, the major lifts » ? Celle de Cohen, de Jeff Buckley ou de John Cale ? Ou alors est-ce à Shrek (n'ayons pas honte) que vous devez cette découverte ? Au gré d'entretiens et d'archives, Hallelujah, les mots de Leonard Cohen raconte la trajectoire étonnante de ce qui est devenu un hymne universel. L'histoire est plus ou moins connue : le Canadien au regard mélancolique noircit des dizaines de carnets avant de l'enregistrer pour un album, Various Positions… qui est mis au placard par Columbia. Interprétée en live par Bob Dylan, la chanson revient finalement sous une autre forme, plus sensuelle. C'est en même temps les grandes étapes de la vie de l’artiste que le film déplie, depuis ses débuts de poète tourmenté jusqu'à ses ultimes tournées, durant lesquelles il arpente la scène avec une joie et une vigueur saisissantes. Sans briller par son originalité formelle, ce documentaire témoigne d'une connaissance intime de l'œuvre, particulièrement sensible dans le montage très subtil des morceaux et des entretiens. Ainsi, les mots de Cohen résonnent avec une puissance renouvelée. Raphaël Nieuwjaer

140 KM À L'OUEST DU PARADIS

S'échappant d'une torchère, une langue de feu domine les HautesTerres, région montagneuse de Papouasie-Nouvelle-Guinée investie par ExxonMobil. Le gaz qui l'alimente devrait être une bénédiction pour les populations locales, mais la réalité se révèle bien différente. Émaillé de séquences stupéfiantes, ce documentaire montre le cynisme de la compagnie américaine et des représentants politiques qui lui servent de marchepied. Mais le film vaut aussi pour la relation intime que Céline Rouzet a nouée avec les habitants. Se situant dans une zone de frictions entre deux conceptions du monde, l'une ancrée dans l'animisme, l'autre fondée sur la transformation de la nature en ressources exploitables, il ne manque pas d'interroger le spectateur sur sa propre position. Raphaël Nieuwjaer

Documentaire de Céline Rouzet. En salle

© Plattform Produktion / BAC films

SANS FILTRE

Si vous aimez le cynisme rigolard de Ruben Östlund, vous êtes au bon endroit. Dans ce film qui lui rapporte une deuxième Palme d’or après The Square, en 2017, le Suédois pousse ses personnages à révéler leur véritable nature – son Snow Therapy, en 2014, utilisait le même procédé. Le cinéaste embarque cette fois influenceurs, marchands d’armes et autres personnages peu recommandables pour une croisière de luxe, qui va virer au cauchemar à la suite d'une tempête. Comme Marco Ferreri avec La Grande bouffe (autre scandale cannois, en 1973), Östlund tend un miroir déformant à notre société, à l'image de cette scène de mal de mer collective et sa trombe de vomi et d’excréments, allégorie d'un capitalisme malade. C'est à la fois répugnant, cruel et hilarant. Une Palme gore.

Grégory Marouzé De Ruben Ösltund, avec Harris Dickinson, Charlbi Dean Kriek, Woody Harrelson... En salle

© Nicolas Roucou

LES PAPILLONS NOIRS

Dans le nord de la France, de nos jours. Un écrivain en manque d’inspiration reçoit l’appel d’un retraité, qui souhaite publier ses mémoires. Il lui raconte une histoire d’amour des plus romantiques, qui va rapidement basculer dans l'horreur. Un meurtre, un deuxième, puis des dizaines... Ce récit est en réalité celui d'un couple de tueurs en série. Quelle est la part de vérité dans les souvenirs du vieil homme ? Mystère… Dans les rôles phares, Nicolas Duvauchelle et Niels Arestrup servent à merveille toute l’ambivalence d’une relation oscillant entre admiration et dégoût. Rythmée par des allersretours dans le temps et son lot de révélations fracassantes, cette série sanglante, parfois dérangeante mais ô combien haletante se déguste comme un thriller à l’américaine.

Camille Baton

Une série d'Olivier Abbou et Bruno Merle,

avec Nicolas Duvauchelle, Niels Arestrup, Axel Granberger... Six épisodes disponibles sur Arte TV

Passion et histoires des fanzines en France

Cinéma de genre, tatouages, SF, football, musiques des marges… Autant de domaines auxquels sont dédiés pas mal de fanzines. Rappelons que cet objet artisanal, de tous volumes et formats, est édité par des passionnés, seuls ou en bande. Si le premier d’entre eux remonte aux années 1930, son explosion doit beaucoup à l’essor de la photocopieuse… et le Web ne l’a pas encore totalement remplacé. Ce documentaire revient sur l’histoire de ces canards souvent éphémères, mais parfois voués à la consécration (citons Starfix ou Les Inrockuptibles). Parmi la trentaine d’interviewés, on croise le chercheur Samuel Étienne (cofondateur des éditions Mélanie Seteun), le graphiste Freak City, ou encore l’incontournable Didier Bourgoin, qui fonda la Fanzinothèque de Poitiers en 1989. Stimulant ! Thibaut Allemand

Documentaire de G. Gwardeath, L. Bessi

et J.-P. Putaud-Michalski. Sortie le 07.10 (10.11 : Bruxelles, Galerie Sterput, 11.11 : Lille, La Malterie), fanzinat.fr

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