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MUSIQUE

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HOMO DÉTRITUS

Droit au rebut

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Auteur d'une œuvre profondément humaniste, quelque part entre l'art et le documentaire, le photographe français Stéphan Gladieu a suivi le collectif "Ndaku ya, la vie est belle", en République démocratique du Congo. Ces artistes utilisent les déchets submergeant littéralement les bidonvilles de Kinshasa... pour créer des costumes. Rassemblés dans un formidable ouvrage, Homo détritus, ces portraits aussi grinçants que fantasmagoriques dénoncent la crise écologique et sociale qui ronge leur pays, et nombre de capitales africaines.

Mais d'où viennent ces étranges créatures ? Par quel miracle tiennent-elles debout ? Mi-humaines mi-robots, elles semblent surgir spontanément d'une terre polluée à outrance. En fait, ces silhouettes à la fois surprenantes et inquiétantes sont l'œuvre du collectif "Ndaku ya, la vie est belle", fondé par Eddy Ekete Mombesa.

Installés à Kinshasa, en République démocratique du Congo, ces artistes ont réalisé des costumes à partir d'une matière qu'ils trouvent à foison et gratuitement : les déchets. Bouteilles et gobelets en plastique, boîtes de conserve, canettes en aluminium, vieux pneus, composants électroniques usagés... De ce point de vue, leur environnement ne manque de rien et cette série, aussi fantasque soit-elle, dénonce une dramatique réalité.

« Des nations industrialisées qui délocalisent le recyclage »

De belles ordures

Deuxième plus grand pays d'Afrique, la RDC bénéficie d'un des soussols les plus riches au monde. Celui-ci regorge de diamants, d'or, de pétrole ou de coltan – ce minerai avec lequel sont conçus les condensateurs de nos portables. « Pourtant, c'est le huitième pays le plus pauvre de la planète, rappelle Stéphan Gladieu, le photographe qui a sublimé ce projet. •••

Junior Longa Longa Mosengo, dit "Savant Noir", L'Homme pneu, quartier de Matonge Kimpwanza à Kinshasa, 2020 © Stéphan Gladieu

Jules Disoluka Sarkozi, L'Homme gobelet, quartier de Matonge Kimpwanza à Kinshasa, 2020. © Stéphan Gladieu

Depuis des décennies, ses ressources sont exploitées sans aucune équité commerciale par des compagnies internationales pour fabriquer des produits manufacturés que les Congolais ne peuvent même pas se payer. Ces objets finissent par leur revenir, mais sous forme de déchets issus de nations industrialisées qui en délocalisent le recyclage pour ne pas en assumer le coût... c'est d'un cynisme extraordinaire ».

« Comme un poing levé au nez de la misère »

Envoyées par bateaux, ces montagnes d'ordures impossibles à traiter s'amoncellent au coin des rues, tapissent les routes... « Elles servent aussi à remblayer des zones humides pour bâtir des terrains et y implanter d'autres bidonvilles ». Soit un scandale écologique et humanitaire perdurant en toute impunité.

Bas les masques

Malgré tout, le collectif "Ndaku ya, la vie est belle" a tiré de cette catastrophe une démarche artistique témoignant d'une incroyable force vitale. En somme, la résilience à l'état pur. Loin de tout apitoiement, leurs Homo detritus sont « comme un poing levé au nez de la misère », pour citer l'écrivain Wilfried N'Sondé, qui signe les textes de ce magnifique livre. Utilisés lors de performances improvisées dans les rues de Kinshasa pour sensibiliser la population, ces masques africains (qui recouvrent tout le corps, dans cette culture) servent une procession qui « transcende la laideur et la pestilence ». Ils réactivent, aussi, un lien profond avec la tradition animiste du pays, autrefois balayée par les colons occidentaux sur l'autel du christianisme. Enfin, tels des esprits (ou des super-héros), ces personnages alertent le monde sur la probable apocalypse qui guette. On parle ici d'une surconsommation désormais intenable, d'exploitation de ressources finies, de gaspillage... « Ce ne sont pas eux les responsables de cette situation mais nous, les pays riches, qui en tirons tous les bénéfices de façon complètement aveugle ». À nous d'ouvrir les yeux.

Julien Damien

À lire / Homo détritus de Stéphan Gladieu (photographie) et Wilfried N'Sondé (texte) (Actes sud), 104 p., 32€, actes-sud.fr À lire / l'interview de Stéphan Gladieu sur

lm-magazine.com

À visiter / stephangladieu.fr c @stephangladieu

ELLIOTT VAN DE VELDE

Le Goût des autres

Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme... et se mange ! La formule sied parfaitement à Elliott Van de Velde, qui a fait de la lutte contre le gaspillage son cheval de bataille. En une poignée d'années, le Bruxellois de 33 ans est devenu l'ambassadeur d'une cuisine écoresponsable et humaniste. Ce chef autodidacte a fondé une asbl* mitonnant des repas pour les plus démunis à partir d'invendus, et un restaurant gastronomique prônant le "zéro déchet".

Atypique. Pour une fois, le terme n'est pas galvaudé. Car Elliott Van de Velde n'a rien d'un enfant de la balle. Après quelques années passées dans l'organisation d'événements nocturnes à Bruxelles, le jeune homme s'est découvert une passion pour la cuisine il y a seulement sept ans. En particulier au restaurant libanais Al Barmaki, auprès de Rick Kalash. « C'est lui qui m'a transmis l'amour du métier », sourit l'intéressé. Joli symbole, c'est dans cet établissement où tout a commencé qu'il fêtera, en novembre, la réception d'un award du prestigieux Gault & Millau. Un parcours aussi éclair que brillant, guidé par des valeurs souvent brandies mais pas toujours respectées dans ce milieu : le bon sens et l'humanité.

Bête comme chou

Celui qui se définit comme cuisinier, entrepreneur mais surtout un « humain intègre » a érigé la lutte contre le gaspillage alimentaire en véritable philosophie. Le déclic serait né suite à son passage par un étoilé... face à un chou romanesco.

« Utiliser tout ce que la nature nous offre »

« Je devais seulement conserver les sommités, là où il y a le moins de goût, et jeter tout le reste, c'està-dire les parties où l'on trouve la plupart des nutriments, racontet-il. La nature est très jolie, mais il faudrait utiliser tout ce qu'elle nous offre, non ? ».

Sans doute, qui plus est à une époque où près de 20 % de la nourriture produite sur la planète seraient jetés, selon un rapport de l'ONU...

Le (re)cycle de la vie

En 2019, Elliott Van de Velde fondait ainsi l'association Hearth Project. L'objectif ? Mitonner des repas aux p'tits oignons pour les plus démunis... à partir d'invendus. Les aliments sont récupérés auprès de grossistes (pour la viande) ou de maraîchers. « Par exemple les feuilles de chou, utilisées comme compost, sont valorisées en kimchi ou en choucroute ». L'association traite entre une et deux tonnes d'aliments par semaine, nourrissant plus de 1 200 personnes dans la précarité, à Bruxelles. En mai dernier, il inaugurait également Entropy, un restaurant gastronomique situé au cœur de la capitale belge. Entre des tables en bois recyclé, sous des lampes en mycélium, Elliott et son équipe concoctent une cuisine intuitive, de saison, locavore, à 85 % végétale et tendant vers le "zéro déchet". Ici, les épluchures de carottes servent à élaborer un vinaigre, le céleri-rave est cuit avec la peau, les champignons sont braisés comme une viande... La truite saumonée, elle, affiche un bilan carbone imbattable en comparaison du saumon : élevé sur les toits de l'abattoir d'Anderlecht, le poisson n'a parcouru qu'un kilomètre avant de finir dans nos assiettes. Un petit pas pour l'Homme...

Julien Damien

Entropy Restaurant

Bruxelles - 22 place Saint-Géry entropyrestaurant.be, c @entropyrestaurant

À visiter / elliottvandevelde.be hearthproject.com

© Cécile Fauré

STYLAINE DOGS

Dans le sens du poil

La hausse du prix de l’énergie vous inquiète ? Votre col roulé fétiche a été dévoré par les mites ? Plutôt mourir de froid qu'être réchauffé par la fourrure d'un animal maltraité ? Ne désespérez pas. Grâce à Églantine et Damien Decaudin vous saurez comment passer l'hiver la conscience tranquille. Pour cause, ce couple confectionne des vêtements… en poils de chien et de chat. Rencontre dans leur atelier de Fontaine-au-Bois, près d’Avesnes-sur-Helpe, dans les Hauts-de-France.

Pour Églantine et Damien, tout a commencé avec Babou, leur berger allemand. « C’est notre tout premier chien et nous voulions garder un souvenir de lui quand il ne serait plus là », expliquent ces passionnés de nature et d’artisanat. Le couple a donc eu l’idée de récupérer ses poils pour les "recycler" un jour... en laine. Afin de concrétiser ce projet, il a chiné des appareils traditionnels de filage avant d'entamer une formation. Et voici comment Stylaine Dogs a vu le jour dans le salon familial ! Qu'en est-il de la fabrication ? Les poils passent dans une cardeuse à rouleaux dont les piques nettoient les impuretés et défont les nœuds. Un rouet, récupéré chez un vieux berger alsacien, file la laine pour former les pelotes, avant qu’elles ne serpentent entre les aiguilles à tricoter d’Églantine. Celle-ci confectionne des pièces

« C’est vraiment une commande affective, sentimentale »

simples, en fonction de la quantité de matière obtenue. « Écharpes, chaussons, couvertures, bonnets… mais pas de pulls car cela nécessite des mesures, or on travaille surtout par correspondance ». Et le succès fut rapidement au-rendez-vous. •••

Le carnet de commandes indique cinq mois d'attente pour obtenir un modèle ! Car tout cela prend du temps. « Comptez trois heures pour réaliser une pelote de laine, et 20 pour une paire de chaussons ». Les prix s'étalent de 13 euros, pour un cœur tricoté, à 125 euros pour un châle.

La main à la patte

Les poils proviennent majoritairement des chiens ou chats, dont les propriétaires désirent conserver une trace. « C’est vraiment une commande affective, sentimentale. Pour avoir un objet palpable lorsque l’animal ne sera plus là », confirme Églantine. Les maîtres sont mis à contribution en récupérant le duvet pendant le brossage. L’essentiel est de recueillir un sous-poil soyeux, de préférence sur le dos ou le flanc d’une bête suffisamment jeune pour éviter qu’il casse. Selon ces écolos qui ne disent pas leur nom, cette technique singulière pourrait servir la confection de certains habits, de manière raisonnée. Audelà de la main d'œuvre, cela ne coûte rien, n’induit aucune maltraitance et encourage le recyclage. La démarche est aussi imbattable sur le plan de l'énergie, puisque l'ensemble est réalisé avec de la bonne vieille huile de coude, sans électricité. Certes, il n'y a pas de quoi composer une vaste garderobe. Mais, sans le revendiquer ouvertement, Stylaine Dogs offre un joli pied-de-nez à la surproduction vestimentaire et la fast-fashion. En somme, une initiative qui a du chien – et du chat aussi… Audrey Chauveau

À visiter / www.stylaine-dogs.fr

© Cécile Fauré

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