6 minute read

CAROLINE POLACHEK Tubes à essais

C’est l’histoire d’un malentendu, d’une incompréhension. Caroline Polachek semblait promise aux cimes, elle resta finalement dans l’ombre. Et s’en est plutôt bien accommodée. En témoigne un parcours sous les radars, certes, mais toujours en tête chercheuse.

Voici 15 ans, l’avenir lui appartenait. Au sein de Chairlift, la New-Yorkaise semblait tenir le monde au creux de la main. Et puis... il n’en fut rien. Ou presque. Après la séparation du groupe, elle multiplia les sorties sous différents alias (Ramona Lisa, CEP…) et signait un premier LP sous son nom, Pang, en 2017. Surtout, elle prit des cours de chant lyrique, travailla et retravailla sans cesse le son, confrontant morceaux taillés pour les charts, ambient rêveur, electropop sophistiquée… L'album passa relativement inaperçu, c’était pourtant un ballon d’essai qui n’a toujours pas pris une ride. Si Caroline Polachek ne bénéficie pas de l’aura d’une Beyoncé ou d’une Charli XCX, elle a écrit et composé pour les deux, tourné avec Dua Lipa et prit le temps, bonne fille, de s’occuper de Chris (and The Queens). Dès lors, celle que l’on connut indie-girl post-moderne s’est avérée, finalement, très américaine dans l’âme. Comprendre : professionnelle. Ses derniers singles la voient d’ailleurs toucher d’autres territoires et, de la démesure vocale de Billions aux espagnolades de Sunset, on ne sait plus exactement à quoi s’attendre. Une chose reste certaine : aussi légères soient ses mélodies, Caroline Polachek n’est pas le genre d’artiste à prendre... à la légère. Thibaut Allemand Anvers, 27.02, Trix, 19h30, 24> 20,50€, trixonline.be disques

Advertisement

Jean Felzine Chord Memory (Close Harmonie)

Près de 15 ans de "carrière", quatre albums avec Mustang, deux avec sa compagne Jo Wedin et ce deuxième essai en solitaire. Rien n’y fait : Jean Felzine reste le secret le mieux gardé du pays. Or, soyons sérieux, le trentenaire ne possède, de Liège à Sète, aucun rival. Mélodiste hors-pair, cet authentique crooner se double d’un parolier acide et mélancolique. En témoigne ce premier album, un peu plus de trois ans après l’indispensable maxi Hors l'amour. Ici, claviers et beats synthétiques se taillent la part du lion et soutiennent son timbre délicat. Entre autres thèmes, sa plume aborde sa fascination pour l'I.A. (Ordi Dis-moi) ou les déboires d’un adulescent paumé (les accents chiptune de Doudou ). Tantôt narquois et amusé (Fan Fiction), ou d’une franchise désarmante (À Blanc), Felzine s’offre le luxe de reprendre Aristide Bruant en quasi-rap et se pique de chanter du Roy Orbison dans la langue de Jacno. Et puis, au cœur de ce disque, se niche l’une des ballades les plus poignantes de ces vingt dernières années : Je vis quand même. Ce duo avec la précitée Jo Wedin est une merveille absolue de mélancolie – même le plus rude des cœurs de pierre devrait lâcher sa petite larme. Sortie le 24.02. Thibaut Allemand

Gaz Coombes

Turn the Car Around (Hot Fruit Recordings / Virgin)

Gaz Coombes, un p’tit rigolo à grosses rouflaquettes ? Victime de ce malentendu dès ses débuts avec Supergrass, l’enfant d’Oxford n’a jamais bénéficié de l’aura d’un Damon Albarn – au hasard. Pourtant, ce groupe a signé quatre albums impeccables et la carrière solo de son leader, désormais barbu, ne souffre pas trop de la comparaison. En témoigne ce quatrième essai en dix ans. Un disque pop assez classique et richement arrangé, n’hésitant pas à flirter avec des orchestrations ambitieuses - une démesure de poche, en somme. L’ensemble ne prétend pas révolutionner le genre, certes. Et après ? Coombes a toujours signé des chansons qui tiennent la route, certaines ont même franchi des décennies. Est-ce si grave si elles n’y parviennent pas toutes ? Thibaut Allemand

Belle and Sebastian Late Developers (Matador Records)

À quel moment ça a déconné, Belle and Sebastian ? Les intégristes des tables de la loi indie-pop situent ceci à 2003, lorsque Stuart Murdoch infusa un peu de sève dans sa tisane – un disque produit par Trevor Horn, tout de même ! Pour nous, l’âge d’or, c’est 1996-2006 ( The Life Pursuit contenant son lot de réussites soul pop). Depuis, Belle and Sebastian alternait coups d’éclats et disques moins inspirés. Mais jamais les Écossais ne nous avaient douchés avec une telle eau tiède. Nous n’avions pas encore entendu chansons plus passe-partout, mélodies tristement conventionnelles, arrangements aussi putassiers. Les rares exceptions ne parviennent pas à sauver l’ensemble du marasme. N’insistons pas. De toute façon, on ira tout de même les voir sur scène. La nostalgie, camarade… T.A.

Andy Shauf Norm (Anti

/ Boogie Drugstrore)

Andy Shauf n'a jamais été aussi prolifique, enchaînant les albums à un rythme effréné. Ce nouvel opus, composé chez lui, place le personnage de Norm en fil rouge. Norm, c'est ce romantique fuyant la solitude en cherchant un regard dans un supermarché ( Catch Your Eye ). C'est aussi un type désabusé. Pas vraiment réciproque, son coup de foudre culminant dans le très enjoué Halloween Store vire bientôt à la désillusion. Pour accompagner cette chute, le synthé prend le dessus, au service de morceaux pessimistes et obsessionnels ( Don't Let It Get To You ). Autant de rejet plonge notre héros dans le désespoir... Le dernier titre, All My Love , reprend le refrain de la chanson d'ouverture : "Tout mon amour a été gâché pour toi". Sombre, mais brillant. Sortie le 10.02. Hugo Guyon

The Brian Jonestown Massacre

The Future is Your Past (A Recordings / Kuroneko)

Plus de trente ans après la sortie de leur premier single, Anton Newcombe et sa bande publient leur 20e album studio. Certes, les musiciens ont changé depuis les débuts sur scène (à part Newcombe, Ricky Miami et le joueur de tambourin Joël Gion) mais la recette est la même : du rock psychédélique héritier des années 1960. Le chant pénétrant et les envolées d’orgues de certains morceaux (l’instrumental Nothing Can Stop the Sound) rappellent ainsi The Doors. Parmi les titres particulièrement efficaces, citons aussi Fudge et son intro planante d’une minute qui monte en puissance avant de laisser la place aux riffs de guitare. Petite touche en plus : le vinyle est vendu avec une face de la pochette à colorier… et six crayons de couleur. "Do it yourself", quoi. Sortie le 10.02. Hugo Guyon

Émilie Gleason & Arthur Croque

Junk Food (Casterman)

Un œuf en chocolat emballé de blanc et de rouge, une bouteille de soda reconnaissable entre mille, un pot de pâte à tartiner qui nous promet de bons moments… Avec sa ronde de sucreries flashy, la couverture de Junk Food a tout du présentoir de caisse. Dans cette BD vitaminée, l’illustratrice Émilie Gleason (prix "Révélation" du festival d’Angoulême 2019) et le journaliste Arthur Croque s’intéressent à l’addiction à la malbouffe, une maladie non reconnue par les scientifiques alors que la junk food n’est rien d’autre qu’une « came légale ». D’ailleurs, si les premières cases décryptent l’expérience menée par deux chercheurs américains sur des rats (le cheesecake, parfait dosage entre gras et sucre, déboussole les rongeurs plus encore que la cocaïne) c’est via le personnage de Zazou, boulimique filiforme, et son arrivée dans un groupe de parole, que les auteurs racontent les ravages de la nourriture industrielle. Avec son style cartoonesque, ce docu-BD s’adresse en priorité aux jeunes adultes, ceux qui carburent au Capri-Sun mais n’ont pas connu les « deux doigts coupent faim ». Tant mieux : il n’est jamais trop tôt pour faire le ménage dans ses placards. 232 p., 21 €. Marine Durand

Anthony Galluzzo

Le Mythe de l'entrepreneur (La Découverte)

Partant de l'exemple de Steve Jobs, qualifié de génie puis vénéré comme une icône à sa mort, Anthony Galluzzo analyse la construction de la figure de l'entrepreneur, du xix e siècle à nos jours. Il faut dire que le cas Jobs est emblématique, tant ses biographes ont poli sa légende. Depuis ses débuts dans un garage, sa vie a tout du récit épique, mais on parle peu des épisodes plus sombres qui ont émaillé le lancement d'Apple, ni du rôle des financiers et de l'état américain dans le développement de la firme. Pour l'auteur, ces "success stories" jouent un rôle dans le discours capitaliste et son conservatisme. Un rappel nécessaire à l'heure du développement personnel et autres méthodes vendues par des influenceurs pour devenir entrepreneur. 232 p., 20,50 €. Hugo Guyon

Didier Lestrade

Act Up, une histoire (La Découverte)

Voici un témoignage de première main sur l’aventure Act Up-Paris. Il ne s’agit pas de "l’histoire", mais d’une histoire, forcément subjective, narrée par son fondateur, le journaliste Didier Lestrade. Outre les fameux coups d’éclat (citons la capote géante sur l’obélisque, en 1993), sont évoqués la démocratie directe des réunions hebdomadaires et le travail abattu par les militants – ainsi, des novices se formèrent à la lecture de rapports scientifiques sacrément ardus. À la fois chronique, essai, journal intime et bilan critique (Lestrade est célèbre pour son francparler) cet ouvrage précieux, initialement paru en 2000, approfondit ce que Robin Campillo dévoilait dans 120 BPM et met en lumière une épopée finalement méconnue de la fin du xxe siècle. 536 p., 15,50 €. Thibaut Allemand

This article is from: