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DENIS PODALYDÈS La Farce tranquille

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FAUSSES NOUVELLES

FAUSSES NOUVELLES

C’est l’événement lyrique de cette fin de saison. L’opéra de Lille accueille en mai Falstaff, de Verdi. Créée en 1893 et inspirée des Joyeuses Commères de Windsor de Shakespeare, cette œuvre est tout simplement le dernier opéra du compositeur italien. Plus précisément un opéra-bouffe. L’argument ? Sir John Falstaff, dit "le ventru", doit régler ses dettes à l'auberge de la Jarretière où il mène une vie de pacha, sans en avoir les moyens. Pour trouver l’argent, il séduit deux bourgeoises en leur adressant la même lettre d'amour. Cellesci découvrent la supercherie et vont lui faire payer son audace… Ce chef-d’œuvre musical est ici dirigé par Antonello Allemandi, avec l’orchestre national de Lille. La mise en scène est signée Denis Podalydès, qui nous livre une vision singulière de cette figure aussi populaire qu’attachante, située quelque part entre l’ogre et le bouffon, soit pile à l’endroit du conte.

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Qu'est ce qui vous séduit dans cette œuvre ?

Ici l'ambivalence règne, ce n’est jamais uniquement comique ni tragique. Le sérieux s'infiltre dans la bouffonnerie et le grotesque traverse le drame. Quand j'ai relu le livret, je me suis aussi rendu compte de sa grâce. Falstaff est un personnage massif, énorme, rabelaisien mais aussi raffiné, cultivé et même poète, maniant une langue merveilleuse. Il y a aussi, évidemment, la musique de Verdi qui accompagne l'action comme dans un dessin animé, et puis la théâtralité des scènes. L'opéra commence comme une course de bobsleigh : dès le premier accord, on est propulsé dans l'action !

À quoi ressemble votre Falstaff ?

J’ai pensé à Orson Welles. D’abord parce que son Falstaff reste l’une des plus grandes adaptations de Shakespeare à l’écran. Surtout, je me suis souvenu des images du réalisateur arrivant à Paris. Il était démesuré, énorme, à la fois impressionnant et bouleversant. Cet homme vieillissant avançait tel un pachyderme épuisé. Il a mis du temps à s'asseoir, reprendre son souffle et, soudain, s'est mis à parler avec toute la beauté et la drôlerie qu’on lui connaissait, passant d'une sensation extrêmement douloureuse à la légèreté. J'ai retenu cette ambivalence, et donc imaginé un Falstaff démesurément épais et sphérique, comme l'était Orson Welles. "Bigger than life", comme il disait.

C’est aussi un personnage très contemporain, n’est-ce pas ? Oui, toute société a son ogre, sa figure excessive, à la fois adulée puis sacrifiée, qu’on aime adorer puis détester. Il passe ainsi de la gloire à la déchéance. Orson Welles l’a vécu. C'était une sorte de génie de l'Amérique né avec un seul film, Citizen Kane, auquel on a reproché ensuite de ne pas reproduire le même chef-d'œuvre.

En France, on pourrait penser à Gérard Depardieu, lui aussi un vrai grand Falstaff, à la fois vénéré et fustigé. Il adopte des attitudes impossibles mais collant bien à sa stature. Ces gens ne sont pas audessus des lois mais il est difficile de les "cadrer". Rien n’est à leur mesure, comme s'ils étaient plus vivants que la vie. >>>

Qu'en est-il du décor ?

Dans l’œuvre originale, l’action se déroule au sein d’une auberge mais, assez rapidement, m'est venue l'idée de la transposer dans un hôpital, où Falstaff est un malade parmi les autres et les figures féminines des infirmières. C'est un sonnel une relation particulière, et ce lieu devient un monde, une société. Je voyais bien des gens allongés sur des lits et une sorte de grande baleine échouée au milieu, mais que l'amour relève. vieil établissement, presque désaffecté, inspiré de photographies des années 1940 et 1950, quelquepart entre l'asile et le sanatorium, presqu’une prison. Ici les pensionnaires entretiennent avec le per-

Pourquoi ce choix ?

Parce que cette vision d'Orson Welles énorme et malade m'avait beaucoup touché. Pour Falstaff, l’idée d'un vieil homme qui, malgré sa souffrance, s'adonne aux jeux amoureux, représentait pour moi une image à la fois drôle et touchante. Malgré la mort qui rôde, il y a beaucoup de vie et d’humour dans un hôpital. Dans le livret par exemple, Falstaff passe son temps à boire et à s’empiffrer. Eh bien, dans ma version, il demande que la boisson lui soit injectée directement dans sa perfusion ! Il se soigne à sa façon…

C’est un opéra-bouffe, le jeu des interprètes demeure important, n’est-ce pas ?

En effet, les solistes d'opéra sont de très bons acteurs. On pense souvent que le jeu reste secondaire pour les chanteurs, mais pas du tout ! Auparavant, j’étais intimidé par la musique et j'avais tendance à les mythifier. Alors, j’intervenais très peu. Désormais, je leur parle comme à des acteurs. Avec le temps je me suis rendu compte qu'ils avaient les mêmes attentes.

Direction musicale : Antonello Allemandi // Mise en scène et scénographie : Denis Podalydès (Chanté en italien, surtitré en français)

Lille, 04 > 24.05, Opéra, lun > ven : 20h • dim : 16h, 72 > 5€, opera-lille.fr + Retransmission en direct sur grand écran Hauts-de-France, 16.05, divers lieux, 20h, gratuit

À lire / La version longue de cette interview sur lm-magazine.com

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