Darkness, censure et cinéma

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collection dirigĂŠe par Christophe Triollet


Collection darkness, censure et cinéma à paraître (2018) 4. Video Nasties Déjà paru 1. Gore & violence 2. Sexe et déviances

Du même auteur Le Contrôle cinématographique en France. Quand la violence, le sexe et la religion font encore débat Christophe Triollet Collection Champs Visuels, L’Harmattan, Paris, 2015 « Le cinéma a-t-il dépassé les limites ? Quand le juge s’immisce malgré lui dans le domaine artistique », Christophe Triollet in Représentations-limites des corps sexuels dans le cinéma et l’audiovisuel contemporains, s/d Antoine Gaudin, Martin Goutte et Barbara Laborde, Théorème 28, Presses Sorbonne Nouvelle, 2017, pp. 183-189. « Dieu, le sexe et le cinéma », Christophe Triollet in Christianisme et cinéma, CinémAction n° 80, Corlet-Télérama, 1996, pp. 16-23. « Un siècle de cinéma porno. 20 ans de réglementation en France de 1975 à 1995 », Christophe Triollet in Féminin/Masculin, Vertigo, Jean-Michel Place, 1996, pp. 145-150.

ISBN 978-2-36716-218-8 Dépôt légal avril 2018 Imprimé dans l’Union européenne

Éditions LettMotif 105, rue de Turenne 59110 La Madeleine – France Tél. 33 (0)3 66 97 46 78 Télécopie 33 (0)3 59 35 00 79 E-mail : contact@lettmotif.com www.edition-lettmotif.com



À la mémoire de mon père.


Le cinéma est politique CHRISTOPHE TRIOLLET DIRECTEUR DE LA COLLECTION DARKNESS, CENSURE & CINÉMA

D’abord considéré comme un simple spectacle de curiosités géré par les municipalités au titre des attractions foraines, le cinématographe va très vite susciter l’enthousiasme des industriels qui comprennent les bénéfices importants qu’ils peuvent tirer d’un divertissement capable de déplacer les foules. De leur côté, les pouvoirs publics et l’Église catholique y décèlent un formidable outil de propagande susceptible de servir leurs idées. Accessible au plus grand nombre, le cinéma devient aussi un vecteur de communication qui rapidement inquiète les autorités. En France, les politiques décident de le placer sous la tutelle du gouvernement. Un dispositif d’autorisation préalable est alors imaginé pour sauvegarder les intérêts supérieurs du pays. Près de cent ans après la première commission de contrôle des films instituée en 1919 par Georges Clemenceau, la France dispose toujours d’une commission de classification des œuvres cinématographiques chargée de conseiller le ministre de la Culture avant qu’il en autorise l’exploitation en salles. Si la procédure d’attribution des visas a considérablement évolué au fil des ans, la protection de la jeunesse et de la dignité humaine ayant remplacé des critères autrefois presque exclusivement politiques, la curatelle administrative demeure. Cependant, bien que les décisions ministérielles alimentent occasionnellement l’actualité devant le juge, la censure n’est aujourd’hui plus institutionnelle. Si l’on peut discuter le bien-fondé et la répétition des actions en justice formées par des associations conservatrices telle Promouvoir, celles-ci respectent la règle de droit au contraire de groupes aux méthodes bien plus contestables. En octobre 2017, des féministes se rassemblent pour empêcher le réalisateur Roman Polanski d’accéder à la rétrospective que Avant-propos

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lui a consacré la Cinémathèque française. En pleine affaire Harvey Weinstein qui a révélé au monde les agressions sexuelles de ce producteur américain, l’hommage rendu au cinéaste fait figure de provocation pour l’association Osez le féminisme : « Par le choix assumé de cette rétrospective Polanski, par la négation des faits criminels qui lui sont reprochés, la Cinémathèque participe à l’idée que violer une enfant ce n’est pas si grave devant le “génie de l’artiste”. » Dans un communiqué, le président de la Cinémathèque Costa-Gavras, qui a une certaine expérience de la censure cinématographique, répond à ses détracteurs : « Fidèle à ses valeurs et à sa tradition d’indépendance, La Cinémathèque n’entend se substituer à aucune justice. Son rôle de Musée du cinéma ne consiste pas à placer qui que ce soit sur un quelconque piédestal moral. Ceux qui nous reprochent cela ne mettent jamais les pieds dans nos salles et ignorent tout de nos missions de conservation et de transmission. […] Nous ne décernons ni récompenses ni certificats de bonne conduite. Notre ambition est autre : montrer la totalité des œuvres des cinéastes et les replacer ainsi dans le flux d’une histoire permanente du cinéma. » Pourtant, quelques jours plus tard, la Cinémathèque française annonce « dans un souci d’apaisement » le report de la rétrospective qu’elle devait consacrer en janvier 2018 à Jean-Claude Brisseau, le réalisateur ayant été condamné en 2005 pour le harcèlement sexuel de deux jeunes actrices qui espéraient décrocher un premier rôle dans son long-métrage Choses secrètes (2002). Dans un article publié dans Libération1, le directeur général de la Cinémathèque française se lâche : « Alors qu’il est maintenant conseillé d’interdire, pour se garder de façon préventive de la mise au pilori médiatique, nous nous garderons de céder à l’air du temps et continuerons de projeter les films de Polanski, Bertolucci ou Hitchcock. Et bientôt ceux de Jean-Claude Brisseau2, espérons-le, mais pas sous protection policière. Comme la bibliothèque de la Pléiade ne pilonnera ni 1. BONNAUD Frédéric, « Le cinéma, ses censeurs et ses faussaires », 15 nov. 2015, www.liberation.fr/debats/2017/11/15/le-cinema-ses-censeurs-et-ses-faussaires_1610315. 2. Interdit aux moins de 12 ans « en raison de nombreuses scènes à caractère érotique susceptibles de heurter la sensibilité du jeune public », Que le diable nous emporte (2018), le dernier film de Jean-Claude Brisseau, est sorti sur les écrans français le 10 janvier 2018. Suite à l’annulation de sa rétrospective à la Cinémathèque, quinze salles ont osé prendre le film mais aucun spectateur ne pourra le voir en 3D.

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Sade ni Céline, comme le musée d’Art moderne continuera d’exposer Balthus et ses filles nubiles. » Un mois plus tard dans une tribune publiée dans Libération3, une professeure de l’université de Californie considère que BlowUp (1966) de Michelangelo Antonioni est un parangon de violence faite aux femmes: « Le photographe se rue sur deux jeunes filles, les déshabille de force, en les jetant sur de longs papiers mauves déroulés, qui servent de fond aux prises de vues. […] Elles résistent et cèdent, d’une façon douloureusement indiscernable, et c’est là toute l’atrocité de la scène. […] Comment se fait-il que j’avais gardé un souvenir visuel très précis de la lutte sur papier violet, sans me rappeler qu’il s’agissait, tout bonnement, d’un viol? […] La réponse est contenue dans le film : l’esthétisme. La perfection formelle de Blow-Up écrase et étouffe le scandale qu’il recèle. La fétichisation du beau efface l’horreur. Elle annule le forfait. Ce qui n’est pas sans poser des questions cruciales sur les liens entre éthique et esthétique, de même que sur le canon occidental. » Le 15 décembre4, Serge Kaganski lui répond dans Les Inrockuptibles : « Rien ne dit qu’Antonioni approuve son photographe, mais peut-être même qu’il en pense la même chose que Laure Murat, qu’il a précisément voulu montrer une domination masculine odieuse toujours à l’œuvre dans le cool swinging London et dans le milieu de la mode à travers ce photographe imbu de lui-même. […] On a l’impression d’enfoncer une porte mille fois ouverte mais répétons-le encore : il ne faut pas confondre le réel et la fiction, la réalité et le fantasme, les pensées et les passages à l’acte, le lieu du vécu et le lieu du symbolique. L’art en général, le cinéma en particulier, sont des endroits où se produisent un tas de choses interdites dans la vie et dans la société par la morale commune (et c’est heureux). Les Grecs appelaient cela la catharsis. On va au cinéma pour voir des gens s’aimer, triompher d’épreuves, porter haut le Bien, mais aussi éventuellement pour les voir se détester, se trahir, s’entretuer et semer le Mal, on y va pour voir des héros ou héroïnes mais aussi des bad girls et des bad boys, on y va pour voir et ressentir tout le spectre émotionnel possible 3. MURAT Laure, « Blow Up, revu et inacceptable », 12 déc. 2017, www.liberation.fr/debats/ 2017/12/12/blow-up-revu-et-inacceptable_1616177. 4. KAGANSKI Serge, « Faut-il brûler Blow-Up, le chef-d’œuvre d’Antonioni ? », 15 déc. 2017, www.mobile.lesinrocks.com/2017/12/15/cinema/debat-en-quoi-blow-dantonionniserait-il-inacceptable-111022668.

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y compris la peur ou l’inquiétude, pour y sublimer toutes nos mauvaises pensées et mauvaises pulsions, toutes nos angoisses, parce qu’elles reflètent nos vies ou au contraire parce qu’on ne tient pas à les vivre dans la vraie vie. » La multiplication des attaques personnelles, des gestes violents et des mots proférés à l’endroit du cinéma sont indiscutablement des actes de censure politique pouvant influencer une industrie du film qui souhaite à tout prix éviter les polémiques5. L’Observatoire de la liberté de création nous met en garde6 : « L’œuvre d’art, qu’elle travaille les mots, les sons ou les images, est toujours de l’ordre de la représentation. Elle impose donc par nature une distanciation qui permet de l’accueillir sans la confondre avec la réalité. C’est pourquoi l’artiste est libre de déranger, de provoquer, voire de faire scandale. Et c’est pourquoi son œuvre jouit d’un statut exceptionnel, et ne saurait, sur le plan juridique, faire l’objet du même traitement que le discours qui argumente, qu’il soit scientifique, politique ou journalistique. » Ce qui ne signifie évidemment pas que l’artiste ne doit pas respecter certaines règles. La collection Darkness, censure et cinéma a pour ambition de veiller au respect des libertés d’expression et de création afin que jamais ne se réalise la sombre perspective dessinée par Luc Le Vaillant7 : « Il faut se dépêcher si on veut avoir la chance de voir les corps déviants sublimés, les sexualités non normées exhibées, et la nudité dépeinte vicieusement. Il faut s’empresser de se rincer l’œil avant que l’œuvre de l’artiste ne soit passée au scanner du comportement délictuel (ou non) du citoyen rapin et avant que toute représentation d’une libido borderline ne soit recouverte d’un voile tissé de pudeur sentencieuse. Demain, pour la bonne cause de la protection de l’enfance et du respect de la femme, les musées vont finir par décrocher une bonne partie de leurs chefs-d’œuvre. Et vont réinstaller, dans leurs soussols, ces “enfers” où dormaient les opus tendancieux. » fi 5. Dans le film All the Money in the World (Ridley Scott, 2017), toutes les scènes avec Kevin Spacey ont été tournées avec un nouvel acteur après les accusations de harcèlements, d’agressions sexuelles et de viols portées contre le comédien. 6. « Liberté de création : ne nous trompons pas de combat ! », 3 janv. 2018, www.liberation.fr/ debats/2018/01/03/liberte-de-creation-ne-nous-trompons-pas-de-combat_1620172. 7. LE VAILLANT Luc, « Quand la censure passe la peinture au crible », 11 déc. 2017, www.liberation.fr/chroniques/2017/12/11/quand-la-censure-passe-la-peinture-au-crible_1615971.

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Nos auteurs

Benjamin Campion Chercheur en télévision, Benjamin Campion anime le blog Séries officiel du journal Libération, « Des séries... et des hommes ». Il est l'auteur de l'essai Damages. Une justice à deux visages (2016) paru chez Atlande dans la collection « À suivre... », dirigée par François Jost. Il est également membre de l'Association des Critiques de Séries (ACS).

Chloé Delaporte Chloé Delaporte est maîtresse de conférences à l’Université Paul Valéry – Montpellier 3, où elle enseigne l’économie et la sociologie du cinéma et de l’audiovisuel. Spécialiste du cinéma dans sa dimension industrielle et des objets de cultures populaires, elle travaille sur la circulation des objets et les mécanismes et enjeux posés par la labellisation des films, en particulier la catégorisation générique (Le Genre filmique. Cinéma, télévision, Internet, Presses Sorbonne Nouvelle, 2015).

Alan Deprez Réalisateur, journaliste et critique cinéma, Alan Deprez écrit pour de nombreuses revues dont le magazine Mad Movies. Il collabore également aux sites cinemafantastique.net et cinetrange.com, ainsi qu’aux fanzines Darkness, Médusa ou encore Cinétrange. Il a récemment réalisé le court-métrage Cruelle est la nuit (2017).

Anabel Dutrop Spécialiste des problématiques de contenus et d'identité de marque, fondatrice du cabinet Une idée derrière la tête, Anabel Dutrop conseille des éditeurs de presse et des entreprises. Elle a mené une série de travaux sur le rôle des images, en particulier dans le cinéma de Jean-Luc Godard. Elle a publié l’article « Le monde s’invente avec le design » le 26 janvier 2018 sur le site lesechos.fr.

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Laurent Garreau Auteur d’une thèse éditée aux PUF sous le titre Archives secrètes du cinéma français (1945-1975): Et Dieu créa la censure, Laurent Garreau est chargé de mission au centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (CELMI). À ce titre, il publie articles et ressources pédagogiques sur l’histoire et l’actualité de la censure, la protection de la jeunesse face aux médias, aux images violentes et pornographiques. Il a assuré la coordination générale de la conception de La Famille tout-écran, un guide pratique destiné aux parents.

Jean-Baptiste Guégan Enseignant en histoire, journaliste et critique de cinéma, Jean-Baptiste Guégan est l’auteur de nombreux ouvrages dont Comprendre les migrations (2017) et Sortir du Bataclan (2016). Transdisciplinaire, il intervient également en géopolitique du sport à l’ESJ et à l’ISTEC de Paris.

Sébastien Lecocq Spécialiste du cinéma asiatique, Sébastien Lecocq collabore, entre autres, aux sites Fier Panda, Vs-Webzine, cinemafantastique.net et à la revue Cinémag Fantastique. Il a écrit les scénarios de divers courtsmétrages et du long In the Shadows en 2011.

Franck Lubet Responsable de la programmation de la Cinémathèque de Toulouse, Franck Lubet est l'un des organisateurs du festival Extrême Cinéma dont la 6e édition Zoom Arrière était consacrée aux Films interdits en mars 2012. Il vient de mettre en place un nouvel événement (Photo de Franck Alix) intitulé Histoires de Cinéma.

Albert Montagne Docteur en histoire contemporaine, maître en droit public, enseignant et rédacteur aux Cahiers de la Cinémathèque, Albert Montagne collabore aux revues Historiens et Géographes, Questions internationales ou encore Darkness. Auteur d’une Histoire juridique des interdits cinématographiques en France, il est un des rédacteurs réguliers de CinémAction dont il a dirigé deux numéros. Il anime également le blog censorial http://albertmontagne.blogspot.com.

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Éric Peretti Programmateur pour le Lausanne Underground Film & Music Festival et les Hallucinations Collectives de Lyon, Éric Peretti est également rédacteur pour la revue Cinema Sewer. Il intervient sur les bonus DVD d’Artus Films et du Chat qui Fume, et collabore ̀à Darkness depuis 2011.

Christophe Triollet Juriste, fondateur et rédacteur en chef du fanzine Darkness, Christophe Triollet est diplômé des Facultés de droit de Paris V et XI. Travaillant sur les questions de censure au cinéma, il collabore à CinémAction, Vertigo ou encore aux Cahiers interdisciplinaires de la recherche en communication audiovisuelle. Il est l’auteur du livre Le Contrôle cinématographique en France publié en 2015 chez L’Harmattan.

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Le contrôle du cinéma organisé par l’État français CHRISTOPHE TRIOLLET Éditorial publié dans Darkness Fanzine n° 13, en déc. 2012

En France, une œuvre cinématographique ne peut être projetée en salles sans que son contenu ait été approuvé par le gouvernement. Les films doivent être autorisés et peuvent être interdits sur tout le territoire par le ministre de la Culture après avis obligatoire d’une commission administrative chargée de protéger l’enfance, la jeunesse et la dignité humaine. La commission de classification des œuvres cinématographiques « ne juge pas au nom de ce qui est légal ou illégal, mais en fonction de ce qui est à ses yeux acceptable »1 ou non pour une catégorie de spectateurs ou pour l’ensemble de la population. Seul le sentiment général des membres de la Commission dicte l’avis présenté au ministre, car il n’existe pas dans notre pays un barème automatique de restrictions à la programmation comme c’est le cas aux États-Unis ou au Royaume-Uni par exemple. Cette subjectivité assumée est revendiquée par la Commission: « C’est la beauté et la perversion de notre système. Nous nous réunissons et nous débattons puis nous émettons un avis, subjectif et aléatoire, mais qui est rendu après un débat et un vote des membres.2 » L’organisation d’un débat – à huis clos sans aucune retranscription – et le vote à bulletin secret peuvent-ils justifier la classification des films par le pouvoir exécutif ? Dans la mesure où l’acte de censure est l’expression du pouvoir, toute censure n’est-elle pas inévitablement politique3 ? Tout commence à la Révolution. Les hommes choisissant d’abandonner leur liberté naturelle pour vivre ensemble, l’intérêt 1. GENSANE Bernard, Censure et libertés au Royaume-Uni, Les essentiels, Ellipses,2001, p. 8. 2. JURGENSEN Gauthier, Ve Rencontres de La Rochelle : droit et cinéma, table ronde du 29 juin 2012, enregistrement de la conférence : droit-gestion.univ-larochelle.fr/ColooqueDroit-et-Cinema-Regards.html (67’). 3. Réf. au propos de Bernard Gensane, op. cit., p. 8.

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général est alors préféré aux intérêts particuliers au nom d’un contrat social par lequel l’État exerce une autorité légitime sur la collectivité au nom et pour le peuple4. En France, cette conception de la démocratie justifie les atteintes portées à la liberté d’expression par la classification, le contrôle, l’interdiction, voire la condamnation d’œuvres de l’esprit contraires à l’ordre public. Dans son domaine, la police du cinéma devient alors un instrument de régulation de l’ordre moral5, une des composantes de l’ordre public6. La régulation de la vie de la cité s’exprime dès 1909 à l’endroit d’une bande d’actualité filmée7, le ministre de l’Intérieur rappelant aux préfets le pouvoir de police générale du maire pour interdire sur le territoire de sa commune toute manifestation susceptible de troubler l’ordre public dont les représentations cinématographiques. Une histoire juridique jalonnée de lois, de règlements et de décisions de justice détaillée dans un article sur la police spéciale du cinéma8, illustré par le rappel du dispositif imaginé par les pouvoirs publics pour contrôler les messages livrés à une population désormais susceptible de recevoir des informations jusqu’alors accessibles aux seuls Français sachant lire et écrire. La guerre va très souvent constituer le premier motif d’intervention politique des pouvoirs publics sur le cinéma, agissant au nom de l’intérêt national. Si la Première Guerre mondiale marque le point de départ de l’organisation institutionnelle du contrôle cinématographique en France (première commission provisoire en 1916 et premiers actes d’une censure centralisée racontés par Albert Montagne9), la guerre d’Algérie a aussi été le sujet de nombreux films censurés comme nous le rappelle Laurent Garreau10 4. ROUSSEAU Jean-Jacques, Du contrat social, Flammarion, 2001. 5. VITE Nina et DOUTEAUD Stéphanie, « La police du cinéma à l’épreuve de l’ordre moral » in Droit public et cinéma, s/d CONNIL Damien et DUVIGNAU Jérôme, BibliothèqueS de droit, L’Harmattan, 2012, p. 37. 6. CHAPUS René, Droit administratif général, Montchrestien, 15e éd., 2011, n° 910. 7. TRIOLLET Christophe, « Les actualités cinématographiques » in Darkness Fanzine n° 13, Sin’Art, déc. 2012, p. 13. 8. TRIOLLET Christophe, « La police spéciale du cinéma » in Darkness Fanzine n° 13, op. cit., p. 17. 9. MONTAGNE Albert, « La première guerre mondiale, sous les feux de la censure cinématographique » in Darkness Fanzine n° 13, op. cit., p. 38. 10. GARREAU Laurent, « L’après 1962, 10 ans d’évocation de la guerre d’Algérie du petit au grand écran » in Darkness Fanzine n° 13, op. cit., p. 49.

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dans un article consacré à la guerre d’Algérie; et Sébastien Lecocq11 s’attardant sur certains des films d’Yves Boisset à l’occasion de la sortie de son autobiographie La Vie est un choix en 2011. Jean-Luc Godard a également connu les affres de la censure politique, notamment avec l’interdiction totale de son film Le Petit Soldat jugé antimilitariste et même antipatriotique par le pouvoir politique, comme nous l’explique Anabel Dutrop12. Mais ce n’est pas tout, car le cinéma de Godard est également attaqué par les autorités religieuses lesquelles ont parfois bénéficié du soutien à peine voilé du pouvoir en place. Les subtilités de la cohabitation spirituelle de l’Église et de l’État en France13 vous sont livrées sur plusieurs pages14 avec un regard particulier posé sur l’histoire du film de Jacques Rivette Suzanne Simonin, la Religieuse de Diderot15. L’art doit-il éduquer? Si Platon a une position plutôt tranchée sur l’œuvre d’art, il est possible d’étendre la question au cinéma : le Septième art doit-il être le vecteur d’idées politiques? Le pouvoir des images et l’image du pouvoir sont abordés par Éric Peretti dans un article complet nous expliquant que le spectateur reste, au bout du compte, l’unique responsable de son comportement social même si l’histoire a montré que le cinéma a parfois pu être l’instrument privilégié d’une propagande des idées16. Après tout, Rousseau n’écrivait-il pas déjà en 1755 que « les peuples sont à la longue ce que le gouvernement les fait être »17 ? De nos jours, les règles ont changé et la censure se fait plus insidieuse car si le cinéma est un art, il est aussi une industrie18. La censure n’est donc pas seulement politique. Elle est aussi et d’abord économique. 11. LECOCQ Sébastien, « La vie est un choix, note de lecture » in Darkness Fanzine n° 13, op. cit., p. 51. 12. DUTROP Anabel, « Godard et la censure » in Darkness Fanzine n° 13, op. cit., p. 59. 13. TRIOLLET Christophe, « Dieu, les hommes et le cinéma » in Darkness Fanzine n° 13, op. cit., p. 62. 14. MONTAGNE Albert, « Mises en cène sacrilèges au cinéma et leurs scandales et censures » in Darkness Fanzine n° 13, op. cit., p. 81. 15. GARREAU Laurent, « La Religieuse de Rivette » in Darkness Fanzine n° 13, op. cit., p. 73. 16. PERETTI Éric, « Pouvoir de l’image, Image du pouvoir » in Darkness Fanzine n° 13, op. cit., p. 28. 17. ROUSSEAU Jean-Jacques, « Économie Politique » in Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers (s/d Diderot et d’Alembert), 1755, p. 340. 18. MALRAUX André, Esquisse d’une psychologie du cinéma, 1935, réédité aux éd. du Nouveau Monde en 2003.

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L’importance croissante des investissements de la télévision et les choix de programmation des exploitants de salles guident dorénavant le contenu d’une très grande partie de la production et de la diffusion des œuvres cinématographiques en salles. Donc, le choix offert aux spectateurs. En France, l’exploitation cinématographique est largement dominée par les groupes Europalaces, UGC et CGR qui représentaient à eux seuls près de 30 % des salles et 50 % des recettes en 200919. Seules à pouvoir investir rapidement dans l’équipement numérique nécessaire à la diffusion des productions actuelles, bien souvent américaines et en 3D, ces sociétés sont en plus privilégiées par les grands distributeurs qui partagent avec elles le coût des investissements20. Une pratique encouragée par la loi21 qui contribue à limiter l’offre et les productions indépendantes ou sans grands moyens. L’économie prend désormais le pas sur la diversité. Ce que la télévision a bien compris car même les chaînes publiques, principaux investisseurs du cinéma français, ne prennent plus le risque de produire ou de coproduire des œuvres non assurées d’un amortissement publicitaire tiré d’une diffusion en prime time. Une autocensure depuis longtemps admise par le cinéma américain22, expliquée dans plusieurs articles dont ceux écrits par Benjamin Campion23 et Chloé Delaporte24. Les descriptions d’« une série de phénomènes économiques qui, au travers de manipulations diverses du spectateur, se sont subrepticement apparentés à de nouvelles formes modernes de censure »25. Alors comment montrer et parler de censure? Un exercice difficile auquel se sont prêtés Franck Lubet26 19. TESSON Fabien et LAUSSAT Julie, « Favoriser la diffusion du cinéma : des enjeux juridiques pour les collectivités territoriales » in Droit public et cinéma, op. cit., pp. 76 et 77. 20. Idem. 21. Loi n° 2010-1149 du 30 sept. 2010, JO du 1er oct. 2010, p. 17 817. 22. TRIOLLET Christophe, « Censorship in America » in Darkness Fanzine n° 14, Sin’Art, déc. 2013, p. 7. 23. CAMPION Benjamin, « Pré-code : le miroir aux alouettes », in Darkness Fanzine n° 15, Sin’Art, déc. 2014, p. 111. 24. DELAPORTE Chloé, « Raspoutine, la princesse et la MGM », in Darkness Fanzine n° 14, op. cit., p. 20. 25. CAMPION Benjamin, « La télévision américaine sous surveillance », in Darkness Fanzine n° 14, op. cit., p. 34. 26. LUBET Franck, « Montrer la censure » in Darkness Fanzine n° 13, op. cit., p. 8.

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et Alan Deprez27, mais aussi Albert Montagne, lequel nous rend compte de la situation cinématographique en Iran28, ainsi que Jean-Baptiste Guégan qui nous parle du cinéma chinois29, de ses millions de spectateurs et des dollars qui vont avec. fi

27. DEPREZ Alan, « Mais ne nous délivrez pas du mal » in Darkness Fanzine n° 13, op. cit., p. 86. 28. MONTAGNE Albert, « Censures cinématographiques au pays des chats persans » in Darkness Fanzine n°13, op. cit., p. 103. 29. GUÉGAN Jean-Baptiste, « Dictature, économie et cinéma chinois : une censure pas comme les autres » in Darkness Fanzine n° 13, op. cit., p. 106.

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Le cinéma est politique Christophe Triollet 7 Le contrôle du cinéma organisé par l’État français Christophe Triollet 15 Montrer la censure Franck Lubet 21 Pouvoir de l’image. Image du pouvoir Éric Peretti 29 La Première Guerre mondiale sous les feux de la censure cinématographique Albert Montagne 47 Le contrôle politique du cinéma Christophe Triollet 63 Godard et la censure Anabel Dutrop 101 L’après 1962. 10 ans d’évocation de la guerre d’Algérie du petit au grand écran Laurent Garreau 109 La Vie est un choix. Note de lecture Sébastien Lecocq 113 L’Ordre et la morale Christophe Triollet 123 Dieu, les hommes et le cinéma Christophe Triollet 127 La Religieuse Laurent Garreau 161 Mises en Cène sacrilèges au cinéma et leurs scandales et censures Albert Montagne 175 Mais ne nous délivrez pas du mal. Teenage lust Alan Deprez 185 Censures cinématographiques au pays de chats persans Albert Montagne 191 Dictature, économie et cinéma chinois. Une censure pas comme les autres Jean-Baptiste Guégan 199 Raspoutine, la princesse et la MGM ou comment Irving Thalberg fit perdre un million de dollars à Louis B. Mayer Chloé Delaporte 205 Pré-code : le miroir aux alouettes. Faux-semblants et idées reçues sur le cinéma hollywoodien des années 1930-1934 Benjamin Campion 225 Censorship in America Christophe Triollet 251 La télévision américaine sous surveillance Benjamin Campion 279 Brèves censoriales 301 Collection dirigée par Christophe Triollet

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