Jeune femme (extrait du scénario)

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1. Int. cuisine, nuit/ext. rue, nuit. Une femme blonde, 55 ans, en peignoir, finit de poser des bigoudis. Derrière le vélux d’un studio – chambre de bonne, un vol de mouettes sur fond de nuages noirs: l’orage gronde.

CUT TO : Foulard sur la tête, claquettes aux pieds, elle descend les escaliers de l’immeuble, retenant tant bien que mal le chien qu’elle descend promener. Mais deux étages plus bas, une silhouette brune, haletante, la surprend, à moitié éclairée contre une porte. OFF Voix Femme Re-bonsoir… ! On est presque voisines maintenant. On se tutoie ? Salut le chien. Surprise par le débit essoufflé, la femme aux bigoudis murmure un bonsoir. Quelques secondes étranges, vides et silencieuses, mais figées par la tension. La lumière s’éteint, elle hésite, puis le clap des claquettes continue dans l’obscurité.

CUT TO :

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En bas le chien tire sur la laisse pour la ballade. Mais la femme aux bigoudis tire sur sa cigarette, troublée, sans quitter l’immeuble. Quelques bouffées encore – puis dans le mouvement soudain du pressentiment, elle pénètre dans l’immeuble à nouveau, un pas à l’intérieur, sans bouger. Lui parvient alors le son de coups violents, de cognements, des cris « ouvre, ouvre ». Le chien aboie, elle accélère – quelques marches encore – retrouve la silhouette brune. Paula. Le front collé à la porte d’un appartement, respirant bruyamment. La Dame Madame… ? Mais Paula glisse contre la porte, tombe au sol, roule sur le côté, inanimée. La dame contemple la porte, bien défoncée, et vers l’œilleton, la tache rouge, laissée par le front de Paula. Une porte voisine s’ouvre, puis une autre. Une lumière s’allume.

2. Int. bureau des urgences, nuit. Accroché au mur, un tableau lumineux, kitsch: une cascade verte et bleue coulant à l’infini. Derrière la vitre, la rumeur diffuse des urgences. Face à nous, un Médecin, la cinquantaine, à son bureau. Devant les dossiers, un bonhomme de neige dans une boule en verre. Tantôt de dos, de profil : Paula. À son flot de paroles entrecoupé de pauses fébriles, qu’on saisit au vol, on sent un état émotionnel perturbé,

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des perches tendues, sourires perdus mais pleins d’espoir. S’adresse-t-elle au médecin, à elle-même ? Estce le médicament ? Paula Moi je voulais faire l’amour c’est tout. « Je rentre pas en France pour vivre avec toi mais je t’empêche pas de rentrer dans ta famille. » Comme si j’allais retourner je sais pas où pendant qu’il se paie la capitale. Et vous savez, mon réveil qui change de couleur, il s’est pas gêné il est parti avec. Je l’ai gagné en jouant à un jeu qu’il y a sur les paquets de céréales, si, au Mexique aussi ça existe, lui il dit que jamais personne gagne à ces trucs mais moi je sais qu’on peut gagner. C’est une connerie qu’il ait décidé ça, de partir, enfin de rentrer, et ce nouveau truc, être seul, on avait tout là-bas, moi j’étais bien, et puis lui aussi, faut pas mentir, vous avez déjà eu une mare aux nénuphars dans votre jardin, collée à une montagne ? Faut être fou pour venir vivre à Paris, ah ils doivent la tirer la gueule, les nénuphars, tous seuls, rien que d’y penser ça me rend malade… À la limite la vraie folie c’est beau. Ses caprices c’est pas honnête. Moi je suis faible. Limitée intellectuellement, si, dites rien, je le sais. Mais j’essaie d’être honnête, merde : on était bien. Elle enfile ses petites moufles, les enlève, les enfile à nouveau. Paula Dix ans – merde, c’est pas rien quand même. Ah mais j’ai pas traîné, moi aussi je peux partir comme ça. Il

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veut pas qu’on vive ensemble ici, mais moi non plus ! Je veux dire je hais la France, je l’ai pas quittée pour rien, mais je m’adapte, je suis une fille qui s’adapte. Regardez : je reviens. Même les trucs vaseux je peux m’adapter. Il a dit qu’y fallait que je grandisse, et que c’était pas moi qu’il avait aimé photographier mais « la femme en moi », ça veut dire quoi la femme en moi ? Je lui ai demandé qui j’étais pour lui après toutes ces années il a répondu « une fille qui s’est paumée mais avec qui on a encore envie de passer la nuit parce que toutes les paumées sont pas des gens avec qui on a envie de passer la nuit ». Que la photo qui l’a fait un peu connaître, une photo de moi hein, que je vais être un peu immortelle, mais je m’en fous moi de ça, qu’est ce que ça veut dire faut avoir les couilles d’être mortel déjà pour voir ! Ça commençait à faire beaucoup, en plus du décalage horaire. Même un chien qui pue, on lui ouvre la porte ! Et puis c’est rien une porte, rien ! Le médecin fixe la main tremblante que Paula glisse entre le siège et sa cuisse. Des bribes de son visage, de son corps. Il reprend à zéro. Médecin Où logez-vous depuis votre arrivée ? Paula Chez des amis d’amis à lui, 12 Porte de Clignancourt, c’est provisoire, je le connais, il va me reprendre, et les amis d’amis c’est con mais des fois ça peut être des ennemis.

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Pas le temps d’intervenir, Paula enchaîne. Paula J’aime pas ce quartier, et Paris non plus. Clignancourt. Vous connaissez ? Oh oui, vous êtes parisien vous. Médecin Et non raté, je suis de Dunkerque. Et vous ? Paula Dunkerque je connais pas, désolée. Le médecin a les traits sympathiques mais tirés d’avoir empilé un week-end de travail. Il fixe un instant Paula : elle ne tient pas en place sur sa chaise. Médecin Votre « compagnon photographe », vous travailliez avec lui là-bas ? Paula Il vient d’une grande famille, faut pas toujours critiquer, ça a du bon aussi d’être à l’aise, j’ai jamais manqué de rien avec lui. Deloche. Joachim. C’est son nom. Le contenu du gobelet d’eau file dans sa gorge sèche. Paula Pardon si je me suis énervée, me dites pas que vous vous énervez jamais hein ? Paula relève l’épais halo de ses cheveux. Un cou fragile, blanc. Médecin Il y a des raisons de s’énerver. À Paris, le soleil n’est pas le même qu’au Mexique.

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Malgré le ton doux apaisant, elle vient de penser à tout autre chose. Paula Broyé, mon téléphone ! Contre sa porte ! C’est pas rien d’être broyé comme ça ! Il pleut. Pluie, soleil, c’est pareil, j’aime pas ça use. La neige à la limite. C’est doux. Paula se lève, n’y tenant plus. La pluie vient battre la fenêtre. Médecin Vous avez des idées noires en ce moment ? Paula Non, normal, comme tout le monde. Médecin Vous avez famille, ou enfants en France ? Paula Vous voyez des enfants quelque part ? Médecin Et vos parents ? Paula On se voit plus. Médecin Pourquoi ? Paula On s’est perdus de vue.

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Médecin Pas de frères et sœurs ? Paula Oh non. Médecin Perdus de vue pour quelle raison ? Paula Moi et eux en même temps sur cette planète c’était pas possible, c’est moi qui suis partie. Question de politesse. Entre autres. Il sourit pour détendre l’atmosphère, bienveillant, professionnel. Elle sourit aussi – mais c’est plus une fêlure. Debout non plus elle ne tient pas en place. Paula C’est le premier homme que j’ai connu et le dernier, pour vous c’est rien pour moi c’est vachement important. Paula fixe la cascade qui scintille au mur. Une grande tension émane d’elle. Médecin Écoutez… Paula Simonian. Trente ans. Hébergée Porte de Clignancourt chez des… ennemis. Pour aller droit au but : si les pompiers vous ramènent dans cet état, c’est simple, on vous hospitalise. Paula 29 ans ! Pas 30, 29. Il l’observe quelques secondes, inspire profondément et se lève.

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Médecin Vos points de suture… Je reviens. OFF Paula J’étais tout pour lui maintenant je suis rien ! Le médecin se retourne, il a mal entendu. Elle hausse la voix. Paula J’étais tout pour lui maintenant je suis rien. Médecin Vous êtes un peu plus seule mais libre non ? Paula Qu’est-ce que je peux m’en foutre ! Médecin Calmez-vous s’il vous plaît… Paula Moi je veux pas être libre ! Le hurlement résonne dans la pièce. Il lui saisit le bras fermement. Médecin Ça suffit, jeune femme ! De sa main libre Paula attrape la boule à neige en verre sur le bureau, la balance dans la cascade lumineuse qui explose en mille morceaux. Alertés par le fracas, deux infirmiers entrent, se précipitent sur Paula. Noir. Le titre apparaît.

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3. Int. salle commune des urgences, nuit. Sur un lit, la peau de Paula fait corps avec le drap blanc de l’hôpital. Perfusion au bras, pansement au front, lèvres sèches : elle dort, visage clos. Dans le lit d’à côté, un homme pétillant, téléphone dans les mains. Le Patient Vous auriez pas un chargeur Nokia ? Paula ouvre les yeux. Ils sont vairons : l’un presque noir, l’autre bleu. Elle secoue la tête. Un policier en tenue approche de son voisin, souriant. Policier Eh Niki Larson, qu’est-ce tu fous là ! Tandis qu’ils se vannent, complices, Paula remarque la blonde d’à côté – du genre classe même aux urgences –, regard posé sur Paula comme si elle était une carcasse de voiture malodorante. Démasquée, la blonde se détourne. Un jeune Infirmier approche, refait le pansement de Paula, frôlée par les bras duveteux de l’infirmier, créant une intimité soudaine. Paula Personne m’attend ? L’Infirmier Mmmm… Je crois pas, non. Il a un air concentré d’adolescent. Un tee-shirt tortues ninja sous sa blouse.

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DÉJÀ PARU

FRAGILE(S) UN FILM DE MARTIN VALENTE DELICATESSEN UN FILM DE JEUNET/CARO

Un chat sous le bras, des portes closes, rien dans les poches, voici Paula, de retour à Paris après une longue absence. Au fil des rencontres, la jeune femme est bien décidée à prendre un nouveau départ. Avec panache.

LA CITÉ DES ENFANTS PERDUS UN FILM DE JEUNET/CARO LE FABULEUX DESTIN D’AMÉLIE POULAIN UN FILM DE JEAN-PIERRE JEUNET TOUT CE QUI BRILLE UN FILM DE GÉRALDINE NAKACHE ET HERVÉ MIMRAN ET SOUDAIN, TOUT LE MONDE ME MANQUE UN FILM DE J. DEVOLDÈRE VOIR LA MER UN FILM DE PATRICE LECONTE L’ENFANT DE L’HIVER UN FILM D’OLIVIER ASSAYAS UNE NOUVELLE VIE UN FILM D’OLIVIER ASSAYAS L’EAU FROIDE UN FILM D’OLIVIER ASSAYAS

Scénario de Léonor Serraille Scénario complet et dialogues du film Interview de Léonor Serraille

TRÈS BIEN, MERCI UN FILM D’EMMANUELLE CUAU NOS VIES HEUREUSES UN FILM DE JACQUES MAILLOT TROIS MONDES UN FILM DE CATHERINE CORSINI LE VOYAGE EN ARMÉNIE UN FILM DE ROBERT GUÉDIGUIAN J’AIME REGARDER LES FILLES UN FILM DE FRÉDÉRIC LOUF PLEIN SUD UN FILM DE LUC BÉRAUD

Réjouissons-nous que les éditions LettMotif contribuent à redonner à l’outil scénario ses lettres de noblesse. Quand la plupart de leurs concurrentes n’éditent que des découpages après tournage, elles proposent depuis l’année dernière une collection de véritables scénarios. scenario-buzz.com

THE GIRL FROM MONDAY UN FILM DE HAL HARTLEY GABRIELLE UN FILM DE LOUISE ARCHAMBAULT LES YEUX CLAIRS UN FILM DE JÉRÔME BONNELL SUZANNE UN FILM DE KATELL QUILLÉVÉRÉ LES LENDEMAINS UN FILM DE BÉNÉDICTE PAGNOT LOUISE WIMMER UN FILM DE CYRIL MENNEGUN MACADAM BABY UN FILM DE PATRICK BOSSARD SEA NO SEX AND SUN UN FILM DE CHRISTOPHE TURPIN JEAN-PHILIPPE SCÉNARIO DE CHRISTOPHE TURPIN

www.edition-lettmotif.com


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