Mémoire "Le podcast natif audio : un espace de parole pour les femmes ?"

REMERCIEMENTS

Je souhaite tout d’abord remercier mon directeur de mémoire, Soufiane Rouissi, pour avoir répondu à tous mes doutes et permis à cette recherche de s’organiser de telle manière.

Je tiens ensuite à remercier tout particulièrement ma co-directrice de mémoire, Blandine Schmidt, pour ses précieux conseils et ses réflexions qui m’ont aidée à mûrir mon travail de recherche à chacune de ses étapes.

J’aimerais également adresser ma reconnaissance aux animatrices de podcasts que j’ai eu la chance d’interroger, par ordre de rencontre : Lisa Melia, Alicia Cosculluela, Fiona Moghaddam, Laura Fernandez Rodriguez et Néné. Merci à elles pour leur disponibilité, leur patience et les efforts qu’elles ont déployés pour répondre à mes interrogations.

Enfin, je saisis l’occasion de saluer mes parents, Anne Rizzolo et Frédéric Payant, qui m’ont supportée, dans tous les sens, pendant toutes ces années et dont la bienveillance m’a permis d’arriver jusqu’ici sans trop d’encombre.

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SOMMAIRE

Introduction

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I. La création d’un espace de parole : l’adaptation des caractéristiques d’un média à la prise de parole féminine

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A. Les médias généralistes : un espace peu accueillant pour la parole des femmes

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B. Le podcast natif : un espace à conquérir

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C. Le renouvellement de certains principes du militantisme féministe

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II. L’élargissement d’un espace de parole : la création d’une communauté en ligne et hors-ligne

34

A. Du podcast natif audio à la communauté multicanale

34

B. « Faire communauté » autour d’expériences personnelles communes

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C. L’activisme digitale comme horizon ?

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III. Un espace de parole imparfait : quelles limites du podcast natif audio pour la cause des femmes ?

53

A. Entre espace à soi et entre soi : une tendance à l’homogénéité sociale ?

53

B. Un discours pour la cause des femmes audible mais menacé : entre fragmentation et women washing

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C. Dépasser le mythe : la « révolution podcast » en question

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Conclusion

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Bibliographie générale

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Table des matières

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Table des annexes

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INTRODUCTION

« Avoir une voix est crucial. Il n’y a pas que ça dans les droits humains, mais c’est central,

et l’on peut donc considérer que l’histoire des droits des femmes et leur absence de droits est une histoire de silence et de silence que l’on brise »1.

Comme l’explique l’écrivaine états-unienne Rebecca Solnit dans son essai « Brève histoire du silence », le combat pour les droits des femmes commence dès la prise de la parole. Refuser la honte et le silence, dénoncer les violences, mettre des mots sur ce que l’on subi, partager ses expériences personnelles, redéfinir les frontières entre privé et public et surtout se faire entendre, tels sont les moyens par lesquels les femmes ont pu revendiquer leur exigence d’égalité et obtenir certaines victoires.

Prendre la parole peut consister en des manifestations publiques qui sont l’occasion pour des milliers de personnes, armées de leur slogans et pancartes, d’exiger d’une seule voix la prise en considération de leurs revendications. Nous citerons par exemple la grève féministe en Espagne le 8 mars 2019, journée internationale des droits des femmes, où 500.000 personnes ont manifesté dans le pays2.

Prendre la parole peut aussi avoir lieu par le biais d’un média. De la presse au web 2.03, les supports ont été nombreux pour diffuser la parole des femmes et le féminisme. Pour Claire Blandin, en effet, « les trois vagues du féminisme ont en commun de s’adosser à des époques spécifiques du développement des médias »4. L’apogée de la grande presse au début du XXe siècle a eu lieu simultanément à celle de la première vague de féminisme. Les militantes de la seconde vague s’est emparée notamment de la radio dans les années 1970 en particulier. L’arrivée de l’Internet grand public, enfin, a coïncidé avec la troisième vague dont le début est daté du milieu des années 1990.

Or, depuis quelques années, un nouveau support semble avoir conquis de nombreuses voix : le podcast natif audio. Il s’agit d’un contenu sonore qui n’est pas destiné en premier lieu à une diffusion hertzienne et qui peut s’écouter ou se télécharger sur Internet ou via une application mobile dédiée.

Une partie d’entre eux a été créée par des femmes et offre une plateforme d’expression pour les voix féminines, parfois féministes. Nous en avons recensé au moins 50 en France depuis 2016 sans pour autant faire une étude exhaustive5 car si ceux attirant de larges audiences sont mis en avant par 1 SOLNIT Rebecca. « Brève histoire du silence », La mère de toutes les questions. Paris, Éditions de l’Olivier, 2019, p.35 2 Anonyme, « Espagne : 500 000 manifestants pour les droits des femmes », France TV Info, 9 mars 2019. Disponible sur : https://www.francetvinfo.fr/monde/espagne/espagne-500-000-manifestants-pour-les-droits-des-femmes_3225685. html (Dernière consultation le 23 août 2019) 3 L’expression web 2.0 se réfère « à une nouvelle génération de développement sur le web » qui se caractérise notamment par une communication moins hiérarchique, puis que l’on passe d’une communication verticale propre aux médias traditionnels, à une communication horizontale ou « many to many ». Les réseaux sociaux sont inclus dans le web 2.0.

Voir : QUONIAM Luc. « Introduction. Du web 2.0 au concept 2.0 », Les Cahiers du numérique, vol. 6, n°1, 2010, p. 9 4 BLANDIN Claire. « Présentation. Le web : de nouvelles pratiques militantes dans l’histoire du féminisme ? », Réseaux, vol. 201, n°1, 2017, p. 9 5 Pour voir la liste, consulter : « Annexe I. Cartographie non exhaustive »

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les médias, les moteurs de recherche et les plateformes d’écoutes, il est parfois difficile de mettre la main sur des podcasts plus confidentiels. Ils sont donc probablement bien plus nombreux. Par contre, les podcasts les plus écoutés sont assez médiatisés. Par exemple, certains médias publient des sélections de podcasts féminins ou féministes, le Paris Podcast Festival 2018 (un festival sur les podcasts natifs dont la première édition a eu lieu en octobre 2018) leur a consacré un reportage6 et la plateforme Podcastéo qui recense des podcasts indépendants français propose un sous-menu « Podcasts avec des femmes »7. Lorsque nous avons commencé à nous intéresser à ce sujet, un terme est souvent apparu dans des articles de presse que nous avons lus ou dans le discours des animatrices de podcasts pour se référer à la création de podcasts natifs audios : « phénomène ». Il nous a interpellé : pourquoi un tel discours laudatif ? Et pourquoi maintenant, alors que le podcast existe depuis les années 2000 ? Nous avons donc décidé de faire de notre sujet ces podcasts natifs audios et l’espace de parole pour les femmes qu’ils sembleraient contribuer à créer.

Cependant, dès le début de notre exploration, nous nous sommes aperçus que le podcast natif audio est encore très absent des recherches en sciences humaines. Lorsqu’un auteur en parle, il l’inclut le plus souvent dans la catégorie générale des podcasts, natifs ou radios, sans faire de distinction. Les podcasts radios ont d’ailleurs été un peu plus étudiés, en général sous l’angle des transformations des usages et pratiques radiophoniques générées par l’arrivée de l’Internet grand public et du web 2.0.

Bien que ce manque de références bibliographiques ait pu parfois constituer un frein à notre étude, il a aussi été une force. En effet, nous avons pu défricher un champ de recherche qui à nos yeux représente une richesse inexplorée pour qui s’intéresse à la numérisation de la radio, à la relation auditeur/animateur, aux médias participatifs, aux théories de la réception ou encore aux mutations contemporaines du métier de journaliste. Cela nous a forcé à nous intéresser à des sujets un peu plus lointains, à faire des ponts entre des thèmes de recherche différents, à mettre à l’épreuve des concepts, à réfléchir à de nouvelles définitions et à élaborer une méthode de recherche appropriée.

Le terrain des podcasts natifs audios étant encore très peu étudié, nous avons donc fondé nos recherches épistémologiques non seulement en Sciences de l’Information et de la Communication mais également dans d’autres disciplines des sciences humaines, très souvent par le prisme des études de genre, en particulier en Sociologie et parfois en Histoire contemporaine. Le passage par les études de genre était en effet idéal pour étudier le podcast natif audio en tant qu’espace de parole pour les femmes. Plus rarement, certains éléments de notre recherche nous ont conduits à nous intéresser à des concepts issus de la Psychologie et des Sciences Politiques.

Historiquement, le podcast est apparu en 2004 grâce à une technologie qui permet de diffuser et de télécharger automatiquement des contenus audios ou vidéos : le podcasting8. Cette technologie 6 Reportage « Le féminisme dans le podcast par Ombeline Degermann » [Enregistrement audio], 0h03, Paris Podcast Festival, 22 octobre 2018. Disponible sur : https://podcast.ausha.co/paris-podcast-festival/enrobe-feminisme (Dernière consultation le 22 août 2019) 7 Annuaire des Podcasts avec des femmes de Podcastéo. Disponible sur : http://podcasteo.fr/annuaireW.php (Dernière consultation le 22 août 2019) 8 BRACHET Camille. « L’appropriation d’Internet par les médias « non-informatisés » : le cas des podcasts »,

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a été mise au point par le développeur Dave Winer et l’ancien animateur de MTV Adam Curry.

Elle repose sur l’automatisation de la récupération des données, qui, ajoutée à des logiciels qui transfèrent automatiquement ces contenus sur un ordinateur, un smartphone ou un baladeur MP3, permet à l’utilisateur de recevoir automatiquement les contenus (audios, vidéos voire écrits) auxquels il s’est abonné9. Cette automatisation passe notamment par l’usage d’un flux RSS (pour « Really Simple Syndication »). Il s’agit d’un format de fichier dont le contenu s’actualise automatiquement en fonction des mises à jour d’un site web. Dans le cas qui nous intéresse, il permet à l’auditeur de s’abonner directement à un ou plusieurs podcasts et de laisser son ordinateur ou son smartphone télécharger automatiquement les derniers épisodes au fur et à mesure de leur publication.

Le terme « podcasting » vient de la contraction de « iPod » (le baladeur MP3 d’Apple) et de « broadcasting » (diffusion en anglais)10. Pour Camille Brachet, c’est vraiment le logiciel iTunes d’Apple qui a contribué à renforcer l’accessibilité des contenus11. Auparavant, il était nécessaire de les chercher au hasard sur Internet, avec iTunes, ils sont accessibles sur la même plateforme, à condition bien sûr que leurs créateurs décident de les mettre dessus.

Le terme « podcasting » désigne donc la technologie, tandis que « podcast » se réfère au format, à l’objet. Si nous nous basons sur la définition de « média » de Francis Balle – « un média est d’abord et avant tout un moyen – un outil, une technique, un intermédiaire – qui permet aux hommes de s’exprimer et de communiquer à autrui cette expression, quel qu’en soit l’objet ou la forme »12 – il est évident que le podcast est aussi un média puisqu’il s’agit bien d’un outil qui permet aux êtres humains de communiquer entre eux. A noter que Francis Balle ajoute une deuxième partie de définition puisqu’un média « se définit également par son usage ». Ce travail de recherche sera l’occasion de s’intéresser à l’usage, ou aux usages, du podcast natif audio.

Parmi les podcasts, plusieurs classifications peuvent être faites, notamment entre les podcasts radios et les podcasts natifs. Les premiers sont en effet des programmes qui ont été pensés pour être diffusés à l’antenne. Une fois cette diffusion faite, ils sont disponibles en podcasts pour les auditeurs qui souhaiteraient les écouter en replay. Les podcasts natifs sont par contre produits et diffusés essentiellement en ligne. Nous observons que cette différenciation entre podcasts natifs et radios n’est pas toujours faite par les diffuseurs. Les applications de podcasts par exemple mélangent podcasts natifs et radios dans une même interface. En outre, la radio a elle aussi connu des modifications liées au numérique, notamment par « la place prise par la communication numérique et ses nouveaux supports que sont les terminaux d’ordinateurs, téléphoniques ou autres »13. Pourtant, la diffusion exclusivement en ligne des podcasts natifs les distinguent par bien des aspects des podcasts radios.

Il est intéressant de constater que le Paris Podcast Festival a fait de cette différenciation son slogan : « Paris Podcast Festival : c’est pas de la radio, c’est du podcast »14. En quoi le podcast natif diffèreCommunication & langages, vol. 161, n°3, 2009, p. 22 9 ibid.

10 NIEL Xavier, et ROUX Dominique. Les 100 mots de l’internet. Paris, Presses Universitaires de France, 2012 11 BRACHET Camille, op. cit., p. 23 12 BALLE Francis. « Introduction », Francis Balle éd., Les médias. Presses Universitaires de France, 2017, p. 3 13 GLEVAREC Hervé. « Le propre de la radio. Fonctions radiophoniques et nouveau statut de la radio dans l'environnement numérique », Le Temps des médias, vol. 22, n°1, 2014, p. 123 14 Ce slogan peut être écouté à la fin de la plupart des enregistrement audios réalisés pendant l’édition 2018 du

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t-il du podcast radio ? Selon nous, il y a trois grandes différences.

Tout d’abord, la première différence est temporelle : le fait que les podcasts natifs ne soient pas pensés pour passer à l’antenne provoque un désencastrement de la logique de grille. En effet, ils n’ont pas à rentrer dans un interstice entre deux autres émissions. Ce facteur temporel se manifeste aussi par la mise à mal de la « fonction de co-présence » définie par Hervé Glevarec et qui désigne « désigne l’intérêt d’un auditeur pour une écoute située, ici et maintenant »15. Le podcast natif n’étant jamais diffusé en direct, cette fonction n’a plus lieu d’être, du moins sous la forme qu’elle prend pour la radio.

La deuxième différence est celle de l’ouverture du format. Il n’est plus nécessaire d’appartenir à une radio ou une webradio pour faire son propre podcast. En théorie, n’importe qui peut devenir producteur. Il est également possible de s’affranchir des codes de la radio ou du journalisme en général. A noter tout de même qu’un certain nombre de podcasts natifs sont créés par des médias ou sont produits par des studios de création sonore, le podcast natif n’est pas forcément toujours indépendant. Il ne faut donc pas confondre l’ouverture du format avec l’indépendance.

Enfin, la diffusion exclusivement en ligne du podcast natif fait que celui-ci baigne du début à la fin dans un univers digital. Cela a des conséquences sur sa réception, sa diffusion, ses références ou ses influences. Cela se met en place notamment par l’usage presque obligatoire des réseaux sociaux pour se faire connaître et donc par une nouvelle façon d’entrer en relation avec les auditeurs ou possibles auditeurs. En outre, la question de l’hébergement est importante aussi pour le podcast natif. Plusieurs plateformes cohabitent (Apple podcasts/iTunes, Soundcloud, Deezer, Spotify…), ce qui rend difficile les calculs d’audience et alourdit le travail de mise en ligne. D’ailleurs de nouvelles plateformes émergent promettant d’automatiser cette mise en ligne et de permettre l’accès à des statistiques pointues et groupées (Ausha, Art19, Eeko, Pippa…). L’organisation n’est donc pas encore figée et se caractérise par une multiplicité d’acteurs.

L’origine du podcast natif remonte déjà à une quinzaine d’années, mais les États-Unis et le monde anglo-saxon en général, sont souvent cités en exemple dans la presse concernant la démocratisation du podcast natif. En France, si l’on en croit Google Trends, il n’y a pas eu un pic d’intérêt du podcast chez les internautes mais plutôt une hausse régulière de sa popularité depuis 2004.

Illustration 1 : Évolution de l’intérêt des internautes pour le terme « podcast » au 23 août 2019 (source : Google Trends) festival. Podcasts du Paris Podcast Festival 2018. Disponible sur : https://www.parispodcastfestival.com/podcast (Dernière consultation : 22 août 2019) 15 GLEVAREC Hervé, op. cit., p. 129.

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Pourtant, ces dernières années, voire ces derniers mois, nous assistons à une sorte de reconfiguration du paysage du podcast natif en France. Les médias traditionnels commencent à lancer leurs propres podcasts natifs : des radios comme Radio France, Europe 1, RMC ou RTL mais aussi des chaînes de télévision comme M616 ou la presse comme Les Échos17. Les marques semblent également s’y intéresser puisque plusieurs ont lancé leur propre podcast natif18. Le milieu du podcast natif semble donc tout de même en mouvement actuellement. Nous essayerons de voir plus en détail si c’est effectivement le cas.

Comme nous l’avons indiqué plus tôt, nous nous focaliserons dans ce mémoire sur les seuls podcasts natifs. Notons également qu’un podcast peut être vidéo ou audio, notre recherche portera seulement sur les podcasts natifs audios car le fait que ces derniers reposent uniquement sur la dimension sonore, qu’ils ne proposent pas d’image, induit certaines spécificités. Pour éviter les lourdeurs, il nous arrivera d’utiliser les termes « podcast » ou « podcast natif » pour parler d’un « podcast natif audio ». Les rares fois où nous parlerons d’un podcast radio, nous le préciserons.

Un podcast natif audio peut avoir une utilisation privée : une personne ou une famille peut décider de s’enregistrer pour garder une trace d’un moment de vie, pour faire preuve de créativité ou simplement pour des raisons pratiques. Dans ce cas, le podcast natif audio restera dans l’espace privé. Pourtant, beaucoup de podcasts sont mis en ligne, sont publicisés. Ils ont donc une existence dans l’espace public. Ce sont les podcasts auxquels nous nous intéressons dans ce travail de recherche.

En 1961, Jürgen Habermas a proposé le concept d’« espace public bourgeois »19 qui s’imposera comme une référence. Selon Thierry Paquot, ce concept désigne « la sphère intermédiaire entre la vie privée de chacun et l’État monarchique qui affectionne le secret, l’arbitraire et la délation »20.

Cette sphère permet alors aux opinions privées d’être rendues publiques. Peu à peu, une opinion publique va émerger et va être relayée par les médias, ce qui peut donner lieu à un débat publir. Les médias ont donc une place particulière dans l’espace public.

Aujourd’hui, « l’espace public politique, celui de la délibération, est de plus en plus virtuel en raison de la révolution numérique et donc délié d’un espace matériel visible et tangible »21. L’espace public se poursuit donc sur Internet, notamment avec les articles de presse publiés en ligne, mais également 16 WOITIER Chloé. « RTL et M6 lancent leurs podcasts natifs », Le Figaro, 27 mai 2019. Disponible sur : http://www. lefigaro.fr/medias/rtl-et-m6-lancent-leurs-podcasts-natifs-20190527 (Dernière consultation le 23 août 2019) 17 Anonyme. « « La Story », le nouveau podcast d'actualité des « Échos » », Les Échos, 6 mai 2019. Disponible sur : https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/la-story-le-nouveau-podcast-dactualite-des-echos-1016401 (Dernière consultation le 23 août 2019) 18 LEBOUCQ Valérie. « Du luxe à la pharmacie, les marques font toutes des podcasts », Les Échos, 2 mai 2019.

Disponible sur : https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/du-luxe-a-la-pharmacie-les-marques-font-toutes-despodcasts-1015729 (Dernière consultation le 23 août 2019) 19 HABERMAS Jürgen. L’espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris, Payot, 1962 20 PAQUOT Thierry. L’espace public. Paris, La Découverte, 2015, p. 11 21 MONGIN Olivier. « Métamorphose de l’espace public », Esprit, vol. novembre, no. 11, 2012, p. 74

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les réseaux sociaux ou les podcasts.

Depuis quelques décennies, nous assistons à une reconfiguration des rapports entre espace public et espace privé, qui parfois vont jusqu’à se superposer. Ce mémoire sera d’ailleurs l’occasion de s’intéresser à cette reconfiguration, notamment par le prisme de l’expression de l’intime que nous retrouvons dans certains podcasts natifs audios.

En nous intéressant aux podcasts natifs audios créés par des femmes et permettant un espace de parole pour les femmes, nous nous sommes heurtés à une difficulté méthodologique : comment les définir précisément, les regrouper sous une seule et même catégorie ? Une grande partie d’entre eux s’adresse presque exclusivement aux femmes, mais pas tous, et de toutes façons étant accessibles de tous en ligne, ils ne pourraient filtrer les auditeurs selon leur genre même s’ils le voulaient.

Certains sont ouvertement féministes, mais beaucoup ne l’énoncent pas clairement. Parfois, il n’est pas fait mention de leur rattachement au féminisme dans leur présentation, mais lorsque nous avons interrogé leurs animatrices, celles-ci les définissaient comme le fruit de leur engagement féministe voire comme des podcasts féministes. D’autres refusent l’« étiquette » de féministe mais abordent parfois des concepts ou renouvellent des pratiques féministes ou proches du féminisme.

Pour dépasser cet obstacle méthodologique, nous avons fait appel à un concept emprunté aux Sciences Politiques, celui d’« espace de la cause des femmes ». Théorisé par Laure Bereni en 2015 dans le cadre d’un travail sur les mobilisations en faveur de la parité22, l’espace de la cause des femmes est défini comme la « configuration des sites de mobilisation au nom des femmes et pour les femmes dans une pluralité de sphères sociales »23. Ce concept a permis à Laure Bereni « d’appréhender les mobilisations paritaires dans leur historicité, leur épaisseur et leur hétérogénéité »24. Bien que la parité fasse partie des revendications d’un certain nombre de féministes, ce n’est pas la chasse gardée du féminisme et des initiatives nées d’autres mouvements, de structures étatiques, de syndicats ou encore du milieu intellectuel peuvent aussi réclamer la parité. Le concept d’« espace de la cause des femmes » crée donc un « continuum » des mouvement collectifs autour de la cause des femmes. Le fait de se réclamer ou non du féminisme n’est donc plus rédhibitoire.

La souplesse de ce concept nous a permis de faire entrer les différents podcasts que nous souhaitions étudier dans une catégorie commune et de pouvoir dépasser l’obstacle de la définition ou non de féministe. Pour établir notre terrain de recherche, le fait qu’un podcast ne se déclare pas explicitement comme féministe n’a pas été discriminatoire. L’important était qu’il constitue par ailleurs un espace de parole au nom des femmes et pour les femmes, et par là même qu’il entre dans l’« espace de la cause des femmes ».

L’espace de la cause des femmes a connu récemment des événements marquants. En octobre 22 BERENI Laure. La Bataille de la parité. Mobilisations pour la féminisation du pouvoir. Paris, Economica, 2015 23 ibid., p. 17 24 MASSEI Simon. « Bereni Laure, 2015, La bataille de la parité. Mobilisations pour la féminisation du pouvoir, Paris, Economica, études politiques, 300 p. », Population, vol. 71, n°3, 2016, p. 595

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2017, le tweet de l’actrice états-unienne Alyssa Milano utilisant le hashtag #MeToo pour dénoncer les violences sexuelles et sexistes a engendré 12 millions de tweets en 24 heures25 et a créé un mouvement de dénonciation des violences subies par les femmes. En France, ce hashtag sera en partie repris sous le hashtag #BalanceTonPorc. De nouveaux mouvements se créent en ligne et hors-ligne tels que Nous Toutes qui a organisé une manifestation contre les violences faites aux femmes le 24 novembre 2018 réunissant entre 20.000 et 80.000 personnes selon les sources26. Il est intéressant de constater, à première vue, la simultanéité entre la libération de la parole sur les violences faites aux femmes et la démultiplication des podcasts natifs créant un espace de parole par et pour les femmes en France.

Si le podcast natif audio existe depuis une quinzaine d’années, force est de constater que, depuis trois ans environ, une myriade de podcasts a été créée par des femmes, sur des thèmes féminins voire féministes. Si elles sont autant nombreuses à se lancer dans ce média, cela pourrait signifier que celui-ci présente des caractéristiques favorables à leur expression. Mais alors lesquelles ? Que trouvent-elles dans le podcast natif qu’elles ne trouvent pas ailleurs ? Certains de ces podcasts sont ouvertement féministes. La plupart offre un espace où l’expérience féminine peut se verbaliser, où des femmes peuvent prendre la parole. Comment s’organise cette prise de parole ? Que souhaitentelles exprimer ? Qui s’exprime ? Quelles en sont les limites ? N’oublions pas que cette prise de parole est publique : les podcasts natifs sont mis en ligne et peuvent être écoutés par tous. Quelle est la place des auditeurs alors ? L’espace de parole est-il confiné au seul contenu sonore ou se prolonge-t-il ailleurs ?

Finalement, tous ces questionnements peuvent être regroupés autour du fil qui conduira notre recherche : dans quelle mesure le podcast natif audio constitue-t-il un espace de parole pour les femmes ?

Notre hypothèse est la suivante : le podcast natif audio est un média dont les femmes se sont emparées car il s’agit d’un format accessible et flexible, leur permettant de s’exprimer sans entrave et de se fédérer autour de valeurs communes.

Afin de vérifier cette hypothèse et de pouvoir répondre à notre problématique, nous avons bien sûr mené des recherches bibliographiques. Mais nous avons également mis en place un dispositif qui repose sur un double socle : l’analyse d’un corpus et la conduite de cinq entretiens avec des animatrices de podcasts. Nous avons également réalisé une veille informationnelle tout au long de notre processus de recherche. Celle-ci nous a permis de comprendre le contexte des podcasts natifs audios en France et surtout son évolution rapide.

25 POIRIER COURBET Lise. « Un an après #MeToo. Paroles, récits individuels et collectifs », Le Journal des psychologues, vol. 365, n°3, 2019, p. 42 26 Anonyme. « Manifestations contre les violences sexistes et sexuelles : « On veut du respect, on n’est pas des objets » », Le Monde, 24 novembre 2018. Disponible sur : https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/11/24/marchesnoustoutes-les-feministes-esperent-des-dizaines-de-milliers-de-manifestants-dans-les-rues_5388001_3224.html (Dernière consultation le 23 août 2019).

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Constituer un corpus nous a permis de restreindre notre terrain de recherche pour ne pas nous perdre dans les dizaines de podcasts qui auraient pu nous intéresser. Ce corpus comprend 15 podcasts natifs audios, tous produits en France, tous créés par une ou des femmes. Certains sont ouvertement féministes, d’autres, par leur démarche ou les thèmes traités peuvent également être rattachés au concept théorisé par Laure Bereni d’« espace pour la cause des femmes ». Recourir à cette notion nous a ainsi permis d’inclure dans notre corpus des podcasts ouvrant un espace de parole pour les femmes sans se qualifier directement de féministes. Nous avons aussi inclus un podcast s’intéressant aux masculinités et créé par une femme, Les couilles sur la table, qui se présente comme un « podcast destiné aux femmes, aux hommes qui se posent des questions sur eux-mêmes »27. Les femmes en sont donc les premières destinatrices.

Au-delà de leur création opérée par des femmes et du rattachement que nous pouvions faire à l’« espace pour la cause des femmes », nous avons choisi des podcasts créés au plus tard en octobre 2018, pour observer précisément leur évolution sur une suffisamment longue période. Nous avons écumé les articles de presse recommandant des podcasts « féministes » ou « féminins » et nous avons alors sélectionné les plus cités, à condition qu’ils respectent nos critères de départ. Nous avons ensuite ajouté des podcasts plus « confidentiels » que nous avons découverts en parcourant la plateforme Podcastéo. Nous avons aussi procédé par capillarité en passant du compte Twitter d’un podcast à un autre pour découvrir les possibles recommandations entre eux et les suggestions Twitter de comptes similaires. Notre idée a donc été de regrouper des podcasts aux audiences différentes (de quelques milliers d’écoutes cumulées comme pour Paroles d’Elles28 à plusieurs millions pour La Poudre29), aux formats différents (podcasts de portraits, conversationnels, de reportage…) et aux thèmes variés (généralistes, sur les masculinités, pour les Afro-françaises, sur les règles, les femmes qui voyagent, les acteurs de l’égalité entre les femmes et les hommes…).

Bien que non représentatif, nous souhaitions avoir un corpus embrassant la variété des podcasts natifs audios créant un espace de parole pour les femmes en France.

L’étude de notre corpus a tout d’abord consisté en un archivage de tous les épisodes de chacun de ces 15 podcasts de leur création jusqu’au 1er août 2019. Cela nous a permis de recueillir quelques données quantitatives sur leur date de mise en ligne, leur durée, leur fréquence, le type d’invités ou encore les thèmes traités30. Ensuite, et surtout, nous avons fait au moins deux écoutes actives pour chaque podcast. Une pour le premier épisode, car c’est en général c’est celui dans lequel les animatrices explicitent le plus leur démarche. D’ailleurs lorsque le podcast comptait une bande annonce nous l’avons également écoutée. Et une pour le dernier épisode de 2018, sauf épisode 27 Cette description peut par exemple être lue sur le compte Soundcloud des Couilles sur la table. Compte Soundcloud Les couilles sur la table. Disponible sur : https://soundcloud.com/lescouilles-podcast (Dernière consultation le 23 août 2019) 28 Selon les chiffres donnés par Fiona Moghaddam lors d’un entretien réalisé par l’autrice le 5 août 2019 29 ARBRUN Clément. « Nos 10 meilleurs podcasts de 2018 », Les Inrockuptibles, 29 décembre 2018. Disponible sur : https://www.lesinrocks.com/2018/12/29/actualite/medias-actualite/feminisme-nostalgie-porno-et-cannabis-les-dixpodcasts-qui-ont-fait-2018/ (Dernière consultation le 23 août 2019) 30 Pour accéder à ce registre, consulter : « Annexe IV. Registre des épisodes »

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Un podcast à soi Questions de société Charlotte Bienaimé Depuis oct. 2017

Café Simone Portraits de femmes de «province» Alicia Cosculluela Depuis janv. 2018

Entre nos lèvres Vie sexuelle et rapport au corps Céline Malvo et Margaux Rol

Exhale

Flux

Femmes noires francophones

Actualités

Adama Anotho et Marty Amunga

Membres de la rédaction de Cheek Magazine

Depuis juill. 2018

Depuis mars 2017

Depuis oct. 2018

Génération XX

La Bougeotte

La Menstruelle

La Poudre

Paroles d’Elles

Portraits de femmes entrepreneuses

Voyager en tant que femmes

Les règles

Portraits de femmes

Acteurs de l’égalité femmes/ hommes

Siham Jibril Depuis janv. 2017

Laura Fernandez Rodriguez, Daisy Lorenzi et Marine Périn Depuis sept.

2017

Les couilles sur la table Les masculinités Victoire Tuaillon Depuis sept.

2017

Quoi de Meuf Féminisme et pop culture Clémentine Gallot, Kiyémis, Julie Hamaïde, Anne-Laure Pineau, Pauline Verduzier Depuis oct. 2017

Lisa, Audrey, Julie, Fanny, Karen, Pomme Depuis sept.

2018

Sois gentille, dis merci, fais un bisou Portraits de femmes Clémence Bodoc

Lauren Bastide Depuis déc. 2016

Fiona Moghaddam Depuis mai 2018

Thé Noir

YESSS

Femmes Afrofrançaises

Victoires contre le sexisme

Néné et Ndaya

Elsa Miské, Margaïd Quioc, Anaïs Bourdet

Depuis sept.

2017

Entre décembre 2017 et mars 2019

Illustration 2 : Présentation du corpus

Depuis oct. 2018

spécial, afin de voir l’évolution depuis le premier épisode et d’avoir le même contexte national pour chaque podcast. Ces écoutes actives, réalisées entre janvier et juin 2019, nous ont aidés premièrement lors de la phase exploratoire à mieux connaître notre sujet et à commencer à faire des ponts avec ce que nous découvrions en bibliographie. Puis, elles nous ont permis de mettre le doigt sur des thèmes récurrents, des similarités ou parfois des divergences de ton, de manière de traiter des sujets. D’ailleurs, nous avons dû réécouter les premiers épisodes que nous avions étudiés car nous nous sommes aperçus que nous n’avions pas suffisamment prêté attention à certains éléments. Enfin, ces écoutes nous ont été utiles pour préparer les entretiens que nous avons menés ensuite. De temps en temps, nous avons écouté d’autres épisodes par curiosité et nous y avons relevé des exemples intéressants. C’est pourquoi nous citerons parfois dans le corps de ce mémoire des épisodes qui ne sont ni le premier du podcast, ni le dernier de 2018.

Entre fin juin et août 2019, nous avons mené cinq entretiens d’environ une heure auprès d’animatrices de podcasts appartenant à notre corpus : Lisa Melia de La Menstruelle, Alicia Cosculluela de Café Simone, Fiona Moghaddam de Paroles d’Elles, Laura Fernandez Rodriguez de La Bougeotte et Néné du Thé Noir31. Réalisés dans la mesure du possible en face à face et sinon par téléphone ou Skype, ces entretiens avaient pour but de collecter des données qualitatives. Nous voulions les réaliser en fin de phase de recherche car il était important pour nous de connaître suffisamment bien le contexte et les concepts que nous allions lui associer pour les mettre à l’épreuve de ce que nous diraient ces animatrices. Ces entretiens nous ont en effet permis de recueillir des informations telles que les motivations personnelles des animatrices, leur ressenti sur ce travail, de comprendre comment cela s’inscrit ou non dans un engagement, d’obtenir des débuts de confirmation, ou de réfutation, d’hypothèses que nous nous étions faites lors de la phase de recherche. En résumé, ces entretiens ont été l’occasion pour notre travail de recherche de gagner en profondeur et en nuance.

A l’issue des entretiens et de l’étude que nous en avons faite, nous avons en partie remanié le plan.

Pour mener ces entretiens, nous avons décidé de nous inspirer de la méthode de l’entretien compréhensif de Jean-Claude Kaufmann32. Nous avons en effet renoncé à des entretiens directifs ou semi-directifs car il nous paraissait important d’aller en profondeur dans les motivations personnelles des informatrices, et pour cela il était nécessaire de leur laisser une certaine liberté de parole voire de digressions.

L’une des techniques de l’entretien compréhensif que nous avons mises en œuvre est celle de la souplesse de la grille de questions33. Nous avions donc rédigé des questions autour de différents thèmes avec des relances possibles34, mais nous avons dans la mesure du possible essayé de nous en détacher pour nous laisser surprendre par des révélations inédites, pour creuser certains sujets et pour laisser les informatrices passer d’un sujet à l’autre quitte à traiter dans le désordre les thèmes que nous souhaitions évoquer. Au fil des entretiens, nous avons rajouté certaines questions notamment sur le journalisme puisque la surreprésentation des journalistes parmi les animatrices de notre corpus a fini par nous interroger, ce qui n’était pas le cas au début. Avant chaque entretien, 31 32 33 34

Les retranscriptions des entretiens réalisés par l’autrice sont disponibles en annexe.

KAUFMANN Jean-Claude. L’entretien compréhensif. Paris, Nathan, 1996 ibid., p. 44 Pour accéder à la grille générale, consulter : « Annexe V. Grille de questions »

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nous avons également fait quelques modifications à la grille pour nous adapter un peu mieux à l’informatrice (journaliste ou non, spécificités du podcast qui nous semblaient importantes à développer…). Nous avons évité toutefois de trop nous en éloigner pour pouvoir comparer certains éléments d’un entretien à un autre.

En outre, nous avons eu à cœur de « rompre la hiérarchie »35 entre la chercheuse et l’informatrice, notamment en essayant d’adopter un ton proche de la conversation ainsi que par le recours assez naturel au tutoiement puisque peu d’années nous séparaient. D’ailleurs, le tutoiement est souvent utilisé entre les animatrices des podcasts de notre corpus et leurs auditeurs. Nous avons également décidé de renoncer en quelque sorte à la neutralité et de ne pas hésiter à nous positionner36, pour encourager les informatrices à développer leurs propos et à s’engager. Suivre cette technique promue par l’entretien compréhensif nous a permis d’avoir accès à des propos parfois très personnels et plus sincères selon nous.

Par moment, nous citerons également les propos d’autres animatrices que nous avons pu écouter lors de conférences ou dans des interviews. Cela permet de multiplier les points de vue même si évidemment nous tiendrons compte des conditions différentes dans lesquelles ces paroles ont été recueillies.

Afin d’étudier l’espace de parole que pourrait constituer le podcast natif audio pour les femmes, nous commencerons par nous intéresser au processus d’appropriation de ce média par les femmes, en nous focalisant notamment sur les raisons qui les ont poussées vers ce format et comment elles l’ont adapté (I). Nous verrons ensuite que l’espace de parole créé par ces podcasts audios natifs ne se limite pas au seul contenu sonore, ce qui sera l’occasion de s’interroger sur les visées communautaires qu’ils peuvent avoir (II). Enfin, nous nous poserons la question de l’exemplarité supposée de cet espace de parole pour les voix féminines voire féministes, et nous essayerons de décortiquer les discours souvent laudatifs qu’il génère (III).

35 KAUFMANN Jean-Claude, op. cit., p. 47 36 ibid., p. 52

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I. La création d’un espace de parole : l’adaptation des caractéristiques d’un média à la prise de parole féminine Pour libérer la parole des femmes, encore faut-il que cette parole puisse s’exprimer. Or, les médias généralistes restent des espaces où les voix des femmes portent peu ou sont mal représentées (A).

En ce sens, le podcast natif audio peut constituer un espace plus accessible et favorable à la parole féminine en raison de diverses caractéristiques qu’il réunit (B). Souvent, nous retrouvons aussi parmi les podcasts créés par des femmes, une reprise ou une réactualisation de certains principes développés par le féminisme, même lorsque ces podcasts ne se réclament pas ouvertement de ce mouvement (C).

A. Les médias généralistes : un espace peu accueillant pour la parole des femmes Dans les médias généralistes, la parole des femmes subit des représentations souvent négatives, et en tous les cas différenciées de celle des hommes (1). Les discriminations que vivent les femmes journalistes au travail expliquent en partie cette situation (2).

1. Des femmes mal représentées dans les médias généralistes Avant même de parler de mauvaise représentation, il faudrait parler d’absence de représentation.

En effet, alors même qu’elles représentent 51,6 % de la population française37, les femmes sont les grandes absentes des médias. En 1995, l’Association des femmes journalistes estimait que la proportion de femmes que l’on trouvait dans l’information générale était d’une sur cinq38. Près de 15 ans plus tard, la situation n’a pas énormément évolué. Selon l’Institut National de l’Audiovisuel (INA), les matinales de radio sont restées très masculines. Ainsi, les femmes ne représentaient que 19,8 % de leurs invités lors de la saison 2007/2008, contre 22,3 % pour celle de 2016/201739. Le phénomène semble similaire à la télévision notamment pour les journaux d’information40 ou dans la presse écrite41. Un constat confirmé par Fiona Moghaddam de Paroles d’Elles, et également journaliste radio, pour qui, même si la situation tend à s’améliorer, « les femmes [ne] sont pas très présentes dans le milieu médiatique »42. Cette situation est tellement courante concernant les spécialistes 37 INSEE, Bilan démographique 2018. Disponible sur : https://www.insee.fr/fr/statistiques/1892086?sommaire=1912926 (Dernière consultation le 25 août 2019) 38 TRANCART Monique. « Le sexisme ordinaire dans les médias », Dites-le avec des femmes. Paris, CFD, 1999, p. 17 39 INA, En dix ans, les matinales radio se sont politisées. Disponible sur : https://larevuedesmedias.ina.fr/en-dix-ansles-matinales-radio-se-sont-politisees (Dernière consultation le 25 août 2019) 40 CSA, La présence des femmes dans les éditions d'information du 1er trimestre 2014. Disponible sur : https://www. csa.fr/Informer/Collections-du-CSA/Thema-Toutes-les-etudes-realisees-ou-co-realisees-par-le-CSA-sur-des-themesspecifiques/Les-etudes-du-CSA/La-presence-des-femmes-dans-les-editions-d-information-du-1er-trimestre-2014 (Dernière consultation le 25 août 2019) 41 Anonyme. « Les femmes, toujours en minorité dans les médias », Le Monde, 9 mars 2015. Disponible sur : https:// www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/03/09/les-femmes-toujours-en-minorite-dans-les-medias_4590137_4355770. html (Dernière consultation le 25 août 2019) 42 Entretien avec Fiona Moghaddam réalisé par l’autrice le 5 août 2019. Pour lire la retranscription, consulter : « Annexe

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qu’un annuaire numérique a été créé sous l’impulsion du groupe Egaé, et en partenariat avec Radio France et France Télévision pour recenser les expertes selon leurs spécialités et encourager les journalistes à faire appel à davantage de femmes spécialistes43.

Illustration 3 : Evolution de la répartition hommes/femmes parmi les invités des matinales de radio de 2007 à 2017 (source : INA)

Lorsqu’elles sont visibles dans les médias, les femmes sont généralement représentées de manière moins valorisante que les hommes : plus souvent victimes, inactives, anonymes ou traitées avec plus de familiarité (notamment par l’usage du prénom et le recours au tutoiement)44.

Au cours de la conférence-débat « Le podcast, nouvel eldorado féministe » organisé par Arte Radio en novembre 2017, Lauren Bastide, créatrice du podcast La Poudre et co-fondatrice du studio Nouvelles Écoutes, dénonçait cette médiatisation discriminatoire : « L’envie, en fait, elle est partie du constat de l’absence de la parole des femmes dans la société en général et dans les médias en particulier. [...] quand une femme parle elle est interrompue. On détourne toujours l’attention sur son apparence, sur, enfin il y a tout un tas de mécanismes qui font que la parole des femmes n’arrive pas à atteindre l’audience. »45

Le traitement médiatique défavorable que subissent les femmes passe aussi par les termes choisis.

Un exemple probant est celui de la couverture des violences conjugales dont sont majoritairement VIII. Retranscription entretien Fiona Moghaddam » 43 Les Expertes. Disponible sur : https://expertes.fr/ (Dernière consultation le 20 août 2019) 44 TRANCART Monique, op. cit., pp. 17-37 45 Débat « Le podcast, nouvel eldorado féministe ? » [Enregistrement vidéo], 1h17, Arte Radio, 4 novembre 2017.

Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=lnjir6REfC0 (Dernière consultation le 25 août 2019)

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victimes les femmes. Ainsi, en 2018, 149 personnes sont décédées sous les coups de leur partenaire ou de leur ex-partenaire de vie, dont 121 femmes46. Mais nombreux sont les journaux qui continuent de parler de « drame familial » ou de « crime passionnel », voire à recourir à des jeux de mots, pour parler de l’assassinat d’une femme par son conjoint ou ex conjoint. Or, ces termes ont tendance à atténuer la gravité des actes commis, voire à dédouaner le meurtrier. Des collectifs n’hésitent d’ailleurs pas à mettre les médias à l’amende, notamment sur les réseaux sociaux. C’est par exemple le cas de la journaliste Sophie Gourion qui a créé le Tumblr « Les Mots Tuent » qui compile les mauvais élèves47.

Illustration 4 : Capture d’écran du compte Tumblr Les Mots Tuent

Invisibilisées, anonymisées, stéréotypées… Les représentations des femmes dans les médias généralistes sont souvent peu flatteuses. Sylvie Debras avait d’ailleurs montré que si les femmes étaient traditionnellement beaucoup moins consommatrices de presse quotidienne (en 1988, 44% des hommes lisaient un quotidien pour 38% des femmes), c’est que celle-ci ne s’intéressait ni à elles, ni à leurs centres d’intérêt qui pouvaient différer de ceux des hommes48. Il faudrait refaire cette étude aujourd’hui, mais nous pouvons supposer que la situation ne s’est probablement pas encore équilibrée. En d’autres termes, la presse généraliste serait une presse essentiellement adressée aux hommes.

46 Anonyme. « Violences conjugales : 121 femmes tuées par leur conjoint ou ex-compagnon en 2018 », France Inter, 10 juillet 2019. Disponible sur : https://www.franceinter.fr/societe/violences-conjugales-121-femmes-tuees-par-leurconjoint-ou-ex-compagnon-en-2018 (Dernière consultation le 25 août 2019) 47 Compte Tumblr Les mots tuent. Disponible sur : https://lesmotstuent.tumblr.com/ (Dernière consultation le 2 août 2019) 48 DEBRAS Sylvie. « La moitié du lectorat », Dites-le avec des femmes. Paris, CFD, 1999, pp. 107-140

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2. Des inégalités de genre persistantes parmi les journalistes Si les femmes sont mal représentées dans les médias généralistes, le sort des femmes journalistes n’est pas non plus à envier. Cela pourrait d’ailleurs expliquer en partie ce mauvais traitement médiatique. Beaucoup des animatrices de notre corpus étant journalistes, il nous a semblé d’autant plus intéressant de nous pencher sur leur situation.

Comme beaucoup de secteurs professionnels, le journalisme n’est pas épargné par le sexisme. Si la profession se féminise chaque jour davantage – en 2017, 46,9 % des détenteurs de cartes de presse étaient des femmes contre 40% en 200049 – il n’en demeure pas moins que les inégalités de genre restent présentes. Tout âge et type de contrat confondus, les femmes journalistes sont en moyenne moins bien rémunérées que leurs confrères masculins50. L’écart de salaire est encore plus marqué après 45 ans.

Au sein d’une profession où la précarité augmente, elles sont les premières victimes de ce phénomène. C’est ce que dénonce, entre autres, la tribune « Nous journalistes pigistes, exigeons le respect de nos droits », publiée dans Libération le 5 février 2019 et signée par différents collectifs de journalistes. En s’appuyant sur les chiffres 2017 de la Commission de la Carte d’Identité des Journalistes Professionnels51, cette tribune pointe du doigt le fait que les femmes « représentent 53% des journalistes rémunéré·e·s à la pige, alors qu’elles ne sont que 19% de détentrices d’une carte de directeur·trice de rédaction »52. Légalement salariés, les pigistes travaillent en général pour plusieurs médias à la fois et sont rémunérés « à la pige », c’est-à-dire à l’article, au reportage ou encore à la photo. Ils bénéficient en général d’une protection sociale bien moindre que les journalistes en contrat à durée indéterminé. Dès le début de leur carrière, les femmes journalistes sont pénalisées puisqu’elles sont plus nombreuses que les hommes à faire une première demande de carte de presse pour travailler en tant que pigistes (73,3 % d’entre elles contre 69,0 % des jeunes journalistes hommes en 2017) qu’en tant que journalistes mensualisés (26,7 % contre 31,0%)53.

Pour Claire Blandin, les femmes journalistes « sont à la fois confrontées à une hiérarchie horizontale – des situations de plafond de verre dans la production médiatique – et verticale qui tend à leur spécialisation sur certains thèmes. »54 Ainsi, une répartition sexuée des tâches est à l’œuvre. Si les femmes représentent près de 65 % des secrétaires de rédaction en 2014, elles ne constituent plus que 33,3 % des journalistes reporters d’image et 20,5 % des reporters photographes55. La même 49 Observatoire des métiers de la presse, Profession : journaliste – Qui sont les détenteurs de la carte de presse en 2017 ?. Disponible sur : https://metiers-presse.org/data/uploads/2019/02/infoposter.png (Dernière consultation le 25 août 2019) 50 Observatoire des métiers de la presse, Focus sur les femmes journalistes – Etudes statistiques des données fournies par la CCIJP (base 2014). Disponible sur : https://data.metiers-presse.org/chiffres2014/femmes.php (Dernière consultation le 25 août 2019) 51 CCIJP, 35047 cartes attribuées en 2017. Disponible sur : http://www.ccijp.net/article-33-cartes-attribuees-en.html (Dernière consultation le 25 août 2019) 52 Le Collectif Ras la Plume. « Nous, journalistes pigistes, exigeons le respect de nos droits », Libération, 5 février 2019. Disponible sur : https://www.liberation.fr/debats/2019/02/05/nous-journalistes-pigistes-exigeons-le-respect-de-nosdroits_1707497 (Dernière consultation le 25 août 2019) 53 CCIJP, 35047 cartes attribuées en 2017. Disponible sur : http://www.ccijp.net/article-33-cartes-attribuees-en.html (Dernière consultation le 25 août 2019) 54 BLANDIN, Claire, et al. « Présentation. Féminismes et médias: une longue histoire », Le Temps des médias, vol. 29, n°2, 2017, pp. 9-10.

55 Observatoire des métiers de la presse, Focus sur les femmes journalistes – Etudes statistiques des données

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année, à peine plus du tiers des rédacteurs en chef étaient des rédactrices en chef (36,3%). Le plafond de verre décrit dans de nombreux secteurs professionnels semble donc tout aussi présent dans le journalisme : il est plus difficile pour une femme d’accéder à un poste élevé et de monter dans la hiérarchie.

Laura Fernandez Rodriguez, journaliste et co-créatrice de La Bougeotte, nous a d’ailleurs fait part de son expérience personnelle vis-à-vis de cette question : « c’est une réalité statistique mais la plupart de mes chefs sont des hommes, j’ai très peu de chefs qui sont des femmes »56

Cette sous-représentation des femmes aux postes de direction, notamment de rédacteur en chef, peut avoir des conséquences sur le traitement de l’information. Cela peut passer par un manque d’intérêt pour les sujets qui touchent davantage les femmes. Dans le cadre de la conférence « Le podcast, nouvel eldorado féministe ? », la journaliste Victoire Tuaillon, créatrice du podcast Les couilles sur la table, racontait son expérience sur l’invisibilisation de certains thèmes : « […] j’ai fait plusieurs contrats dans diverses rédactions, et c’est vrai qu’à chaque fois que je parlais de ces sujets-là, on m’expliquait toujours, enfin “on” des chefs hommes m’expliquaient toujours que c’était vraiment pas intéressant. Je me souviens d’un été passé à France 2 à vouloir faire un sujet sur le harcèlement de rue et que tous mes chefs me disaient que ça n’existait pas. »57

Pour reprendre cet exemple, le harcèlement de rue est depuis peu relayé par les médias, signe que ceux-ci reconnaissent aujourd’hui son existence. Le manque de parité au sein des rédactions semblent donc compliquer le traitement de thèmes qui concernent en majorité les femmes. Comme si ces thèmes se trouvaient dans un sorte d’angle mort pour un regard masculin.

Moins bien rémunérées, plus souvent précaires et se heurtant au plafond de verre, les femmes journalistes ont aussi plus de risques que leurs confrères d’être confrontées à des violences sexistes au cours de leur carrière. Le vendredi 8 février 2019, une affaire révélée par Libération a secoué le journalisme français : La Ligue du LOL. Ce groupe privé Facebook a été créé par le journaliste Vincent Glad à la fin des années 2000 et regroupait une trentaine de personnes, en grande majorité des hommes issus « de nombreuses rédactions parisiennes, du monde de la publicité ou de la communication »58. Plusieurs membres de cette « Ligue » sont accusés d’avoir harcelé notamment des militantes féministes (mais aussi des hommes, des personnes racisées, homosexuelles...) sur Internet, en particulier sur Twitter, et ce pendant plusieurs années. Parmi leurs victimes supposées, plusieurs journalistes : Nora Bouazzouni, Florence Porcel (aujourd’hui vulgarisatrice scientifique), fournies par la CCIJP (base 2014). Disponible sur : https://data.metiers-presse.org/chiffres2014/femmes.php (Dernière consultation le 25 août 2019) 56 Entretien avec Laura Fernandez Rodriguez réalisé par l’autrice le 5 août 2019. Pour lire la retranscription, consulter : « Annexe IX. Retranscription entretien Laura Fernandez Rodriguez » 57 Débat « Le podcast, nouvel eldorado féministe ? » [Enregistrement vidéo], 1h17, Arte Radio, 4 novembre 2017.

Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=lnjir6REfC0 (Dernière consultation le 25 août 2019) 58 ANDRACA Robin. « La Ligue du LOL a-t-elle vraiment existé et harcelé des féministes sur les réseaux sociaux ? », Libération, 8 février 2019. Disponible sur : https://www.liberation.fr/checknews/2019/02/08/la-ligue-du-lol-a-t-ellevraiment-existe-et-harcele-des-feministes-sur-les-reseaux-sociaux_1708185 (Dernière consultation le 25 août 2019)

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Léa Lejeune, Lucile Bellan (dont l’époux, le journaliste Thomas Messias, a lui aussi été harcelé par la Ligue du LOL) ou encore Mélanie Wanga, également créatrice de podcasts, notamment Quoi de Meuf et le Tchip.

Cette affaire est révélatrice des conditions inégales entre les femmes et les hommes journalistes : les rapports de pouvoir continuent de défavoriser les premières au bénéfice des seconds. Il est intéressant de constater que plusieurs podcasts de notre corpus ont consacré un épisode spécial à cette affaire, signe de l’importance de ces révélations à leurs yeux. C’est le cas de Quoi de Meuf59, Les Couilles sur la table60 et Flux61 dont les animatrices sont toutes journalistes.

La Ligue du LOL aura des répercussions au-delà du relais médiatique : plusieurs des harceleurs présumés seront mis à pied de leur rédaction, d’autres affaires éclateront (au Huffington Post, au Monde, à Europe 1...62), de nombreux journalistes – en particulier des femmes – témoigneront de leurs propres expériences du sexisme. L’association « Prenons la Une » a ainsi mené une enquête pour savoir si La Ligue du LOL était un cas isolé dans les rédaction et les écoles de journalisme. En 10 jours, 1837 personnes y ont répondu (1566 journalistes ou salariés d’un média et 271 étudiants en école de journalisme), révélant notamment que 67 % des répondantes ont été victimes de propos sexistes et 13 % d’agression sexuelle63. Le pourcentage de répondants ayant été victimes de propos à connotation sexuelle est plus élevé chez les femmes racisées (64 % contre 49 % des répondants en général) et chez les pigistes (22 % contre 14 % des salariés en CDD ou CDI). Pire, lorsque la direction et les ressources humaines ont été informées de violences sexuelles au sein de la rédaction, dans 66 % des cas elles n’ont pris aucune mesure.

Illustration 5 : Résultats du sondage lancé par Prenons la Une (source : entendualaredac.fr) 59 Quoi de Meuf, Épisode spécial « Ligue du LOL et cyber-harcèlement », 1h01, Nouvelles Écoutes, 14 février 2019.

Tous les podcasts cités sont à retrouver dans le registre en annexe. Consulter : « Annexe IV. Registre des épisodes » 60 Les couilles sur la table, Épisode 35 « Ligue du LOL : la force du Boys’ Club », 1h05, Binge Audio, 14 février 2019 61 Flux, Épisode 8 « La Ligue du LOL, un boy's club spécialisé dans le cyberharcèlement », 0h52, Cheek Magazine, 22 février 2019 62 Anonyme. « "Ligue du LOL", Vice, HuffPost... Plusieurs cas de harcèlement et de discrimination révélés dans les médias », France TV Info, 7 mars 2019. Disponible sur : https://www.francetvinfo.fr/societe/harcelement/ligue-du-lol/ ligue-du-lol-vice-huffpost-plusieurs-cas-de-harcelement-et-de-discrimination-reveles-dans-les-medias_3186737.html (Dernière consultation le 25 août 2019) 63 Entendu à la rédac. Disponible sur : http://www.entendualaredac.fr/ (Dernière consultation le 25 août 2019)

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Même si nous pouvons supposer que l’enquête n’est pas totalement fiable puisqu’elle émane d’une association de femmes journalistes, dont le sondage pourrait avoir été davantage consulté et relayé dans des cercles de journalistes sensibilisés à la question, elle montre que le sexisme est toujours très installé dans les rédactions. Être une femme lorsqu’on est journaliste reste aujourd’hui discriminant en France.

Les médias généralistes ne sont toujours pas des espaces de parole hospitaliers pour les femmes.

Celles-ci sont mal représentées voire invisibilisées et les journalistes femmes sont souvent confrontées au sexisme dans leur rédaction. En réaction à cette situation inégalitaire, et ce depuis les prémices du féminisme, certaines militantes ont créé leurs propres médias. Le podcast s’inscrit-il dans cet histoire ?

B. Le podcast natif : un espace à conquérir Selon le dictionnaire Larousse, « approprier » signifie « adapter quelque chose à un emploi, à une destination »64. Puisque exclues traditionnellement des médias généralistes, les femmes, et en particulier les féministes, ont créé leurs propres médias pour pouvoir s’exprimer. Nous ferons d’abord un historique non exhaustif de l’appropriation des médias par les féministes (1), puis nous verrons que le podcast natif est perçu aujourd’hui comme un espace de parole à conquérir pour les femmes (2). Enfin, nous nous intéresserons à certaines caractéristiques de ce média qui le rendraient bénéfique à la parole féminine (3).

1. L’appropriation historique des médias par le féminisme Depuis son apparition, le féminisme a une histoire médiatique. Pour Claire Blandin, « les trois vagues du féminisme ont en commun de s’adosser à des époques spécifiques du développement des médias »65. Précisons qu’une vague du féminisme peut être définie comme un moment « durant lequel le mouvement se reconfigure et se transforme rapidement en réponse à l’évolution de la sociologie de ses militant.e.s et du contexte social »66. Chacune de ces vagues a mis en place des stratégies spécifiques d’usages des médias et prend place dans un espace médiatique renouvelé67.

La première vague du féminisme s’est focalisée sur le droit des femmes. Son apogée se situe entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe. Alors que la presse populaire et bon marché triomphe, les suffragettes luttent pour le droit de vote. Elles l’obtiendront en 1918 en Angleterre. De son côté, la 64 Dictionnaire Larousse. Disponible sur : https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/ approprier/4778?q=s+approprier#4751 (Dernière consultation le 23 août 2019) 65 BLANDIN Claire. « Présentation. Le web : de nouvelles pratiques militantes dans l’histoire du féminisme ? », op. cit., p. 9 66 BERTRAND David. « L’essor du féminisme en ligne. Symptôme de l’émergence d’une quatrième vague féministe ? », Réseaux, vol. 208-209, n°2, 2018, p. 236 67 BLANDIN Claire. « Présentation. Le web : de nouvelles pratiques militantes dans l’histoire du féminisme ? », op. cit., p. 10

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seconde vague du féminisme, active notamment dans les années 1970, utilise les médias de masse pour lutter pour le droit des femmes à disposer de leurs corps. L’un de ses symboles médiatiques sera la publication par Le Nouvel Observateur, le 5 avril 1971, du « Manifeste des 343 salopes »68, manifeste signé par 343 femmes déclarant avoir avorté. Parmi elles, beaucoup de personnalités connues telles que Simone de Beauvoir (qui l’a rédigé), Gisèle Halimi, Françoise Sagan, Agnès Varda, Catherine Deneuve ou encore Jeanne Moreau. Les militantes de la deuxième vague utilisent également la vidéo pour faire passer leur message, ainsi que le cinéma militant69. En France, l’émergence d’une troisième vague est datée de la Conférence de Pékin en 1995. Ce renouveau est concomitant de l’accès à Internet en France en 1995, puis au web 2.0 et aux réseaux sociaux à partir de 200570. Beaucoup de féministes se sont alors emparées des outils numériques. Si le féminisme de la deuxième vague percevait généralement la technologie comme un outil à la solde du patriarcat, les cyber-féministes des années 1990 ont au contraire perçu les technologies digitales comme libératrices pour les femmes71. En effet, alors que les femmes sont traditionnellement exclues des médias généralistes, le numérique semble à première vue offrir un espace de liberté et d’émancipation pour les femmes, ainsi que des possibilités d’actions variées puisque l’accès aux supports numériques est libre, contrairement aux médias généralistes. Le web viendrait « renouveler les manières de faire mouvement en rendant visibles les réseaux et en posant de façon accrue la question de l’identité individuelle et collective »72. Réseaux sociaux, sites internets, newsletters, chaînes YouTube… les supports sont nombreux et ont tous donné lieu à des initiatives féministes.

Qu’en est-il du podcast natif audio ?

2. L’émergence d’un nouvel espace pour la parole féminine Le podcast est né en 2004 et, depuis environ 2016, nous voyons en France la création par les femmes de plusieurs dizaines podcasts natifs audios, ainsi qu’une médiatisation accrue de certains d’entre eux. C’est tout un nouvel espace de parole féminin voire féministe qui semble émerger.

L’expression « espace de parole » est intéressante car elle sous-entend l’existence d’un lieu où cette parole pourrait s’exprimer. Les animatrices des podcasts que nous avons étudiés font d’ailleurs souvent référence à leurs podcasts comme s’il s’agissait d’endroits physiques. Ainsi, pour Céline Malvo et Margaux Rol d’Entre nos lèvres, ce podcast est né de l’envie « d’être un espace, un cocon même de dialogue, de liberté, de droit, de soirées à la maison entre amis, avec un peu de vin finalement, qui nous fait nous dire « OK je suis pas seule » et qui nous rassure ou au moins qui nous fait réfléchir »73. Néné du Thé Noir utilise également l’image du cocon pour insister sur la volonté d’accueillir l’auditeur : « on invite les auditrices et les auditeurs dans notre petit cocon. On veut que 68 Anonyme. « Le "Manifeste des 343 salopes" paru dans le Nouvel Obs en 1971 », Le Nouvel Obs, 27 novembre 2017. Disponible sur : https://www.nouvelobs.com/societe/20071127.OBS7018/le-manifeste-des-343-salopes-paru-dansle-nouvel-obs-en-1971.html (Dernière consultation le 25 août 2019) 69 JOUËT Josiane, NIEMEYER Katharina et PAVARD Bibia. « Faire des vagues. Les mobilisations féministes en ligne », Réseaux, vol. 201, n°1, 2017, p. 37 70 ibid, p. 24 71 WAJCMAN Judy. « 41. Genre, technologie et cyberféminisme », In : MARUANI Margaret (Sous la direction de), Travail et genre dans le monde. L’état des savoirs, Paris, La Découverte, 2013, pp. 428-436 72 JOUËT Josiane, NIEMEYER Katharina et PAVARD Bibia, op. cit., p. 50 73 Entre nos lèvres, Bande annonce, 0h05, 28 juin 2018

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les gens se sentent à l’aise »74. Pour sa part, Laura Fernandez Rodriguez de La Bougeotte parle du podcast qu’elle a co-fondé avec ces mots : « C’est notre espace de liberté, c’est notre espace de création, on aura le ton qu’on veut »75.

Nous pouvons faire l’hypothèse que, pour ces animatrices, le podcast natif va bien au-delà d’un simple support numérique. Il s’agit pour elles d’un véritable espace de parole qu’elles peuvent réserver aux voix féminines. Cet espace prend parfois physiquement forme. Ainsi, le podcast La Poudre est toujours enregistré dans une chambre d’hôtel, une information sur laquelle Lauren Bastide, sa créatrice, insiste lors de la bande annonce du podcast.

Même si le format du podcast natif n’est pas nouveau, la multiplication des podcasts créés par des femmes, sur des thématiques féminines voire féministes – au bas mot 50 depuis 2016 selon notre étude – montre qu’il y a bien un espace disponible, vierge, qui est à conquérir. Nous pouvons faire l’analogie avec la radio FM sur laquelle des radios libres ou pirates ont pu s’approprier une fréquence, notamment dans les années 1980. Alors qu’aujourd’hui la « bande FM » est saturée, à l’époque il y avait bien un espace de parole à conquérir.

Illustration 6 : Lauren Bastide et ses invitées Imany et Daria Marx dans les chambres d’hôtel où ont été enregistrés les épisodes (source : compte Instagram de La Poudre)

Il est intéressant de noter que certaines animatrices utilisent le champ lexical de la découverte lorsqu’elles se réfèrent au podcast natif. Lisa Melia, du podcast La Menstruelle, compare ainsi la radio à la « Vieille Europe » et le podcast au « Far West » (« si on enlève le massacre des Amérindiens ») afin d’insister sur la liberté qui règne dans le cas de ce dernier : « tu débarques dans un truc immense et en fait tu fais tes propres règles »76.

Le podcast natif représente un espace de parole duquel il est quasiment impossible de déloger les personnes qui se le sont appropriées. La seule manière de les faire taire serait que les différentes 74 Entretien avec Néné réalisé par l’autrice le 10 août 2019. Pour lire la retranscription, consulter : « Annexe X. Retranscription entretien Néné » 75 Entretien avec Laura Fernandez Rodriguez réalisé par l’autrice le 5 août 2019 76 Entretien avec Lisa Melia réalisé par l’autrice le 27 juin 2019. Pour lire la retranscription, consulter : « Annexe VI. Retranscription entretien Lisa Melia »

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plateformes qui les hébergent les censurent et suppriment leur compte, ce qui est très peu probable.

Lisa Melia insiste bien sur cette qualité du podcast natif : « le fait que des femmes, mais aussi bien des personnes trans, des personnes queers s’approprient un espace en disant, et sans qu’on puisse leur enlever, c’est-à-dire que quelque part il y a de la « place » entre guillemets pour tout le monde. Tu peux créer ton espace et on n’est pas comme dans une salle de théâtre où quelqu’un va venir et te pousser de ton siège et puis merde tu n’as plus nulle part où t’asseoir ! »77

L’existence d’un média que l’on peut s’approprier sans crainte de censure explique en partie que des femmes l’aient investi. Cependant, le podcast natif audio présente, par son format, d’autres caractéristiques qui ont pu être attirantes pour ces femmes.

3. Un espace de parole aux multiples avantages Par son accessibilité, sa flexibilité, sa dimension sonore, mais pas seulement, le podcast natif audio peut constituer un espace de parole opportun pour l’expression de la parole des femmes. a. Un média accessible Le podcast natif se distingue tout d’abord par son accessibilité, aussi bien financière que technique.

Pour créer son propre podcast natif, la liste du matériel est courte : il suffit d’un micro, d’un ordinateur et d’un logiciel de montage. Un matériel bien moins contraignant et cher que celui de la vidéo par exemple pour laquelle il faut en plus un appareil photo et qui impose de prendre en considération la captation. La difficulté n’est donc pas si élevée, un point défendu par Néné du Thé Noir : « on n’a pas forcément besoin d’avoir un matériel hyper sophistiqué pour pouvoir s’enregistrer, en cherchant un petit peu sur Internet on peut trouver comment monter un épisode, ou comment le publier, je pense que c’est, c’est facilité. »78

De plus, le podcast natif ne dépend pas d’une radio, il n’est pas nécessaire d’être journaliste pour y accéder. Bien qu’elle se soit questionnée sur le fait de ne pas être journaliste, Alicia Cosculluela a décidé de créer Café Simone car elle s’est rendue compte que pour le format qu’elle voulait faire, « il fallait juste être une personne ouverte aux autres et qui a envie d’échanger »79. Ne pas avoir de formation en journalisme ne constituait pas un frein.

b. Un média flexible Ce qui ressort de notre recherche, c’est notamment que le podcast natif permet une plus grande liberté que les médias traditionnels, ce qui est plébiscité aussi bien par les animatrices appartenant au milieu du journalisme que par celles qui viennent d’un autre horizon.

77 Entretien avec Lisa Melia réalisé par l’autrice le 27 juin 2019 78 Entretien avec Néné réalisé par l’autrice le 10 août 2019 79 Entretien avec Alicia Cosculluela réalisé par l’autrice le 7 juillet 2019. Pour lire la retranscription, consulter : « Annexe VII. Retranscription entretien Alicia Cosculluela »

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Pour les journaliste, ce média permet de s’affranchir à la fois de la logique de grille de la radio, et donc de ne plus être soumise au chronométrage du temps de parole, mais aussi de la ligne éditoriale qui peut être frileuse sur certaines questions. Pour Fiona Moghaddam de Paroles d’Elles qui est aussi journaliste radio, la liberté offerte par le podcast natif est importante : « j’ai la totale liberté dans ce que je veux faire, mais vraiment totale, à 100 %, que ce soit en terme de timing, en terme d’invitées »80

Cette liberté passe aussi par le choix du format. Conversationnel, de portrait, de reportage, en réaction à l’actualité… les formats ne manquent pas. Lisa Melia de La Menstruelle a d’ailleurs bien insisté sur ce point : « t’as 12 millions de format différents. Et puis c’est pas grave si ton épisode il fait 30 minutes le mois de février et au mois de mars il va faire 1h40. C’est pas grave. […] Et c’est hyper libérateur ! »81

La liberté peut en effet être induite aussi par la durée de chaque épisode. Là où la radio impose une certaine durée qui ne doit surtout pas être dépassée au risque de décaler tout le programme, pour le podcast natif, c’est à l’animateur de décider de la durée de son podcast et de si celle-ci varie d’un épisode à un autre. Nous avons étudié la durée de tous les épisodes des 15 podcasts qui composent notre corpus, depuis leur création jusqu’au 1er août 201982. Cela nous permet d’observer de grandes différences. En moyenne, les épisodes de Paroles d’Elles durent ainsi 22 minutes, tandis que ceux de Thé Noir en durent 106. L’écart entre la durée des épisodes d’un même podcast est parfois énorme. Par exemple, alors qu’un épisode moyen de Sois gentille, dis merci, fais un bisou dure 62 minutes, l’épisode le plus court a duré 25 minutes et le plus long 104, soit quatre fois plus longtemps.

La logique est la même concernant la fréquence entre les épisodes : c’est à l’animateur de la définir et libre à lui de s’y tenir. En général, une fréquence est annoncée mais celle-ci varie beaucoup d’un podcast à l’autre : hebdomadaire, deux fois par mois, toutes les trois semaines, mensuel, voire à chaque pleine lune pour La Menstruelle. Tous les podcasts ne respectent pas forcément la fréquence annoncée, notamment ceux réalisés de façon totalement bénévole et qui peuvent manquer de temps. Par ailleurs, certains font des pauses en été, d’autres pas.

Pour le podcast natif, liberté peut être synonyme de créativité. Presque tout est possible et les animatrices, notamment pour les podcasts indépendants, ne sont pas obligées de se préoccuper de l’uniformisation des contenus pour coller avec le média dans lequel ils sont diffusés. Alicia Cosculluela de Café Simone parle ainsi de « champ des possibles » : « je sais qu’il y a des gens qui font des fois ils regardent par leur fenêtre et ils racontent ce qu’ils voient »83 80 Entretien avec Fiona Moghaddam réalisé par l’autrice le 5 août 2019 81 Entretien avec Lisa Melia réalisé par l’autrice le 27 juin 2019 82 Consulter « Annexe IV. Registre des épisodes » pour la durée de chaque épisode et « Annexe II. Tableau de comparaison des podcasts » pour le comparatif des durées et fréquences pour chaque podcast 83 Entretien avec Alicia Cosculluela réalisé par l’autrice le 7 juillet 2019

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Cette créativité peut par exemple s’exprimer en donnant une place important à la poésie et à l’art.

C’est par exemple le cas de Charlotte Bienaimé qui inclue dans chacun des épisodes d’Un podcast à soi des extraits d’œuvres littéraires écrites par des femmes souvent féministes comme Maya Angelou, Tony Morisson ou encore Lola Lafon. L’épisode 2 de la saison II d’Exhale ne commence réellement qu’au bout de 8 minutes 30 car avant cela c’est un texte personnel et poétique qui est lu par l’une des animatrices, puis des chants traditionnels sont diffusés. C’est la liberté offerte par le podcast natif qui a permis cela.

c. Un média favorable aux voix peu écoutées Si le podcast natif attire beaucoup les femmes, c’est probablement aussi car il est perçu comme un média qui permet aux voix habituellement peu écoutées de prendre la parole.

D’abord, l’absence de contraintes horaires permet de prendre le temps nécessaire pour délivrer une parole tout en profondeur, pour dépasser les clichés et les stéréotypes. Lisa Melia de La Menstruelle nous a ainsi expliqué que le « métier de journaliste radio, c’est un métier de… frustrés ! »84, en nous citant l’exemple de la grève des urgences qu’elle a couverte un jour en réalisant 40 minutes d’interviews avec des aides-soignantes et des infirmières. De ces 40 minutes, elle a dû faire deux reportages de 2 minutes 30. Dans le cas du podcast natif, il est possible de prendre le temps qu’on veut et de laisser parler les invités autant qu’on veut. Il n’y aura personne pour venir leur couper la parole.

Le podcast natif est aussi l’occasion pour certaines personnes de s’emparer du micro et de traiter des sujets tabous qui les concernent. Pour Néné, la création du Thé Noir a été motivée par l’envie de parler du fait d’avoir une double culture, à la fois française et africaine, à des personnes dans la même situation et de « montrer qu’on peut être les deux pleinement » et « comment on voit le monde à travers cette, à travers ces lunettes-là »85.

Le son est également plus amical pour les femmes que la vidéo car il leur permet de ne pas être ramené à leur physique. Pour Alicia Cosculluela de Café Simone, « c’est un moyen de te faire entendre et justement de pas, comme on est dans une société d’image, et puis que l’image des femmes souvent est très très étudiée sur tous les angles, alors que le son, on va à l’essentiel en fait des choses »86 Le podcast natif audio coupe donc la pression de l’image pour les femmes. D’ailleurs, Néné du podcast Thé Noir trouvait ce format adapté car elle « n’aime pas trop [se] montrer sur les réseaux »87.

Le podcast natif permet donc de conserver une part d’anonymat si on le souhaite.

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Entretien avec Lisa Melia réalisé par l’autrice le 27 juin 2019 Entretien avec Néné réalisé par l’autrice le 10 août 2019 Entretien avec Alicia Cosculluela réalisé par l’autrice le 7 juillet 2019 Entretien avec Néné réalisé par l’autrice le 10 août 2019

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d. Un média sonore La dimension sonore du podcast natif audio apporte différents éléments qui peuvent être intéressants.

Pour Alicia Cosculluela de Café Simone, « on est vachement plus attentifs […] avec le son à ce que les gens disent ». Outre cette attention, l’émotion et l’imaginaire que permet la dimension sonore sont également importants. Selon Fiona Moghaddam de Paroles d’Elles : « Par rapport à de l’écrit ou de la télé, il y a plus d’émotions je pense qui passent dans le son. C’est, euh, et t’as l’imaginaire aussi parce que tu te demandes toujours comment est la personne et cetera.

Et il y a un côté vivant et qui peut être très dynamique, par rapport à de l’écrit évidemment »88

Contrairement à l’écrit pour lequel nous avons le temps de réfléchir, de poser nos arguments, le son induit une bien plus grande spontanéité. C’est ce que nous a confirmé Lisa Melia de La Menstruelle : « le format radio, bah en fait on réfléchit à voix haute [...] ça met aussi bien en valeur les contradictions entre nous que nos propres contradictions en nous-mêmes »89

La dimension sonore du podcast natif audio encourage donc l’attention, l’émotion, l’imaginaire et la spontanéité, mais aussi la proximité entre l’animateur et l’auditeur, un élément qui le différencierait de la radio selon Mélanie Wanga qui a co-créé le podcast Quoi de Meuf : « en plus on crée une proximité avec l’auditeur. Comme je dis souvent, c’est vrai que quand on écoute les informations à la radio, bah on s’attache pas aux présentateurs alors que quand on écoute un podcast régulièrement toutes les deux semaines, toutes les semaines, quand au bout d’un an on a écouté la personne bah on a un lien qui s’est créé »90

e. Un média propice à l’empouvoirement L’empowerment, ou empouvoirement en français, est un terme qui est apparu au milieu du XIXe siècle en Angleterre, même s’il faut attendre les années 1970 pour qu’il se diffuse et les années 2000 pour qu’il arrive en France91. Dans une perspective féministe, l’empouvoirement consiste à s’affirmer soi-même et à prendre le pouvoir sur sa vie.

Lors de notre entretien, Alicia Cosculluela, créatrice de Café Simone, a d’elle-même utilisé le terme « empouvoirant » pour expliquer que beaucoup de podcasts aient été créés par des femmes ces dernières années. Elle raconte aussi ses impressions lorsqu’elle s’est enregistrée pour la première fois : « Je me souviens vraiment de la sensation que j’ai eu la première fois où j’ai commencé à m’enregistrer, j’étais « Oh ouais mais je peux, je peux faire ça et puis je peux le balancer très facilement » »92 88 Entretien avec Fiona Moghaddam réalisé par l’autrice le 5 août 2019 89 Entretien avec Lisa Melia réalisé par l’autrice le 27 juin 2019 90 Débat « Le podcast, nouvel eldorado féministe ? » [Enregistrement vidéo], 1h17, Arte Radio, 4 novembre 2017.

Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=lnjir6REfC0 (Dernière consultation le 25 août 2019) 91 BACQUÉ Marie-Hélène et BIEWENER Carole. L’empowerment, une pratique émancipatrice ?. Paris, La Découverte, 2015, p. 5 92 Entretien avec Alicia Cosculluela réalisé par l’autrice le 7 juillet 2019

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Cette déclaration fait d’ailleurs écho à ce que nous a dit Lisa Melia concernant le premier enregistrement de La Menstruelle : « je nous revoie quand on a fini d’enregistrer le premier épisode et qu’on a appuyé sur off et qu’on s’est dit « Putain, ça y est on a fait le premier », et puis on avait une espèce d’adrénaline, un peu en mode « Qu’est-ce qu’on vient de faire ? » »93

Même si le contexte de ces déclarations est légèrement différent – Alicia Cosculluela insistait sur la facilité technique tandis que Lisa Melia parlait de l’intime – le fait qu’elles se souviennent des émotions qui les ont traversées lors de leur premier enregistrement est révélateur, selon nous, du pouvoir qui réside dans le fait de prendre la parole.

Cette prise de parole et de pouvoir s’accompagne souvent d’un nouveau regard porté sur les normes sociales dans lesquelles nous évoluons. Il s’agit de déconstruire en critiquant et transformant ce qui paraît évident depuis toujours mais qui n’est finalement qu’une construction sociale. Pour Lisa Melia de La Menstruelle, cette déconstruction est l’un des avantages que peut retirer une créatrice de podcast : « Je pense que quelqu’un, une femme féministe ou un homme féministe, une femme trans ou peu importe, qui débute un projet de podcast, sans doute que si elle le fait pendant trois ans, bah à la fin elle aura déconstruit elle-même des trucs dans les choses qu’elle a intégrées parce qu’en fait c’est un exercice qui te force à te remettre en question. »94

Cette remise en question, elle n’est visiblement pas la seule des animatrices des podcasts que nous avons étudiés à l’avoir ressentie. C’est également le cas de Lauren Bastide de La Poudre qui expliquait lors de la conférence « Le podcast, nouvel eldorado féministe ? » avoir renoncé à certaines questions qu’elle trouve maintenant « porteuses elles-mêmes de certains stéréotypes »95 et avoir repris ses études pour faire un Master en Études du genre.

Il est donc possible de faire l’hypothèse que pour ces animatrices l’enseignement que prodigue un podcast n’est pas seulement descendant. Il ne consiste pas en une (ou plusieurs) animatrice qui exposerait ce qu’elle sait à un public docile. Au contraire, faire un podcast serait un moyen de progresser soi-même, de se former et d’étendre son point de vue.

Si des femmes ont pu tirer profit de certaines caractéristiques du podcast natif audio pour créer leur propre espace de parole, beaucoup renouvellent certains principes du militantisme féministe.

93 Entretien avec Lisa Melia réalisé par l’autrice le 27 juin 2019 94 Entretien avec Lisa Melia réalisé par l’autrice le 27 juin 2019 95 Débat « Le podcast, nouvel eldorado féministe ? » [Enregistrement vidéo], 1h17, Arte Radio, 4 novembre 2017.

Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=lnjir6REfC0 (Dernière consultation le 25 août 2019)

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C- Le renouvellement de certains principes du militantisme féministe En étudiant les podcasts de notre corpus, nous avons observé la reprise de certains principes féministes par un certain nombre d’entre eux même lorsque ceux-ci ne se définissaient pas ouvertement comme féministes. Cela peut passer par exemple par des références à la tradition féministe (1), par la tentative d’essayer d’exprimer la parole de toutes les femmes (2) ou encore par l’importance revêtue par des thématiques liées au corps et à la sexualité (3). Nous avons gardé de côté la question de la publicisation de l’intime, qui pour nous est également féministe, car nous la traiterons plus en détail un peu plus tard.

1. Des références fréquentes à l’histoire du féminisme Beaucoup des podcasts étudiés dans ce travail de recherche, notamment ceux qui se définissent ouvertement comme féministes, se placent dans une tradition féministe. Cela peut passer par plusieurs aspects : citer des autrices et militantes qui ont façonné ce mouvement, reprendre des termes militants ou encore s’intéresser aux études de genre.

Pour Marion Charpenel, la mémoire des mouvements et mobilisations féministes en France se caractérise par l’expression de trois éléments clés. Il s’agit de l’évocation des femmes dans l’histoire, du rappel du passé pour comprendre les débats du présent et des récits individuels des militantes96.

Il est ainsi fréquent de voir certains podcasts faire référence explicitement à des figures et à des œuvres historiques du féminisme. Le nom du podcast Un podcast à soi fait ainsi référence à l’essai de Virginia Woolf Une chambre à soi publié en 1929. Une question récurrente du podcast La Poudre de Lauren Bastide est d’ailleurs « Est-ce que vous avez accès à votre chambre à vous ? », précisant souvent faire référence à Virginia Woolf. Si pour Alicia Cosculluela de Café Simone le nom de son podcast vient avant tout du prénom de sa grand-mère maternelle, c’est aussi « un hommage aux femmes qui ont marqué l’histoire par leurs combats, ou simplement les épreuves qu’elle ont traversées: Simone Veil, Simone de Beauvoir, Nina Simone [...] »97. Recourir aux figures tutélaires est en effet un phénomène observé à plusieurs reprises dans les podcasts de notre corpus. Cela permet de faire le lien entre les militantes d’hier et celles d’aujourd’hui ou en tout cas d’instaurer une sorte de filiation entre les femmes à travers l’histoire.

Nombreuses sont les animatrices à raconter leur déclic féministe ou qui donnent leur définition du féminisme. Dans l’épisode 1 d’Entre nos lèvres, Céline Malvo, l’une des animatrices, demande à Margaux Rol, la seconde, « C’est quoi pour toi être féministe ? »98, tandis que dans le premier épisode de Flux, les animatrices s’interrogent sur ce qui a mené chacune d’elles au féminisme99.

Parfois, les animatrices posent la question directement à l’invité. C’est le cas de Fiona Moghaddam de Paroles d’Elles qui demande à chacune de ses invitées quelle est sa définition du féminisme.

96 CHARPENEL Marion, « Le privé est politique ! ». Sociologie des mémoires féministes en France, Thèse en Science Politique, sous la direction de Marie-Claire Lavabre, Paris, Institut d’Études Politiques de Paris, 2014 97 RENAULT Audrey. « Pourquoi vous n’échapperez pas au prénom Simone en 2018 ? », Cheek Magazine, 30 mai 2018. Disponible sur : http://cheekmagazine.fr/societe/simone-tendance-prenom/ (Dernière consultation le 25 août 2019) 98 Entre nos lèvres, Épisode 1 « Margaux », 0h44, 12 juillet 2018 99 Flux, Épisode 1 « L'équipe de Cheek se présente », 0h42, Cheek Magazine, 26 octobre 2018, à partir de 03:50

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Ancrer son podcast dans la tradition féministe peut aussi passer par le recours à des chercheurs et chercheuses qui travaillent sur ces thématiques. Bien sûr, quelques podcasts ont pris le parti de n’inviter que des experts ou presque, comme Les couilles sur la table de Victoire Tuaillon. D’autres en invitent régulièrement mais pas à chaque épisode, c’est le cas par exemple de Quoi de Meuf ou Flux.

Enfin, il est fréquent que les animatrices utilisent des termes empruntés au militantisme féministe.

Au gré des épisodes inclus dans notre corpus, nous pouvons entendre des mots et expressions tels que « féminicide » (Yess, épisode 3), « slut walk » (idem), « sororité » (Sois gentille, dis merci, fais un bisou, épisode 30), « patriarcat » (Quoi de Meuf, épisode 23), des néologismes comme « empouvoirement » (La Poudre, épisode 42) et « mansplanner » (Les couilles sur la table, épisode 1) ou encore l’utilisation de l’écriture inclusive à l’orale avec « auditeurices » (même podcast, épisode 31).

La possibilité de parler de féminisme est permise par la liberté de ton offerte par le podcast natif. Une information confirmée par Laura Fernandez de La Bougeotte : « on utilise aussi des concepts qui viennent du monde militant féministe sans non plus se poser la question de « Est-ce qu’on peut vraiment utiliser ce mot ? »[…] de toutes façons on se doute que nos auditrices elles ont déjà entendu un peu parler de tout ça »100

2. Une volonté affichée d’exprimer la parole de toutes Bien qu’il soit possible d’étudier les femmes en tant que groupe social, il ne faut pas oublier que leurs expériences ne sont pas identiques. La couleur de peau, la religion, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’origine sociale, l’état de santé… de nombreux facteurs peuvent influencer le vécu des individus. Par exemple, les femmes noires sont confrontées à des problèmes spécifiques : leur plus grande invisibilité encore dans les médias que les femmes blanches, le fait d’être perçues comme un groupe homogène, leur essentialisation fréquente101, et bien sûr le racisme systémique. D’un autre côté, beaucoup de revendications féministes telles que le droit à l’avortement ou à la contraception sont en réalité des préoccupations hétérosexuelles, qui viennent souvent éclipser les problèmes particuliers que rencontrent les lesbiennes102.

Pendant longtemps, les militantes qui dirigeaient les mouvements féministes se sont peu intéressées aux problématiques que pouvaient rencontrer notamment les femmes non blanches ou non hétérosexuelles. Cela s’explique par la volonté de parler d’une seule voix, mais aussi par l’effet de pouvoir qui leur étaient conféré par les rapports sociaux103. En 1991, la juriste afro-américaine Kimberlé Crenshaw publie l’article « Cartographies des marges »104 où elle développe le concept 100 Entretien avec Laura Fernandez Rodriguez réalisé par l’autrice le 5 août 2019 101 BRUNEEL Emmanuelle et GOMES SILVA Tauana Olivia. « Paroles de femmes noires. Circulations médiatiques et enjeux politiques », Réseaux, vol. 201, n°1, 2017, pp. 59-85 102 ELOIT Ilana. « « Le bonheur était dans les pages de ce mensuel » : la naissance de la presse lesbienne et la fabrique d’un espace à soi (1976-1990) », Le Temps des médias, vol. 29, n°2, 2017, p. 95 103 CÎRSTOCEA Ioana et GIRAUD Isabelle. « Pluralisme dans les mouvements féministes contemporains », L'Homme & la Société, vol. 198, n°4, 2015, pp. 33-34 104 CRENSHAW Kimberlé Williams. « Mapping the Margins: Intersectionality, Identity Politics, and Violence against Women of Color », Stanford Law Review, vol. 43, n°6, 1991, pp. 1241–1299

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d’intersectionnalité. Ce concept permet alors de « mettre en lumière la marginalisation des intérêts politiques des femmes de couleur, à la fois par les féministes et par le mouvement antiraciste. »105, selon les termes employés par Éléonore Lépinard. Les femmes noires sont à la fois discriminées en raison de leur « race » (leur couleur de peau) et de leur genre. Elles expérimentent alors une expérience sociale spécifique106, qui n’est pas la somme des oppressions subies en tant personnes racisées et en tant que femmes : « En effet, les membres des groupes intersectionnels ne vivent pas l’oppression sur un mode fragmentaire mais unifié, car les relations sociales sont imbriquées plutôt que superposées ou additionnées. »107

Pour lutter contre les discriminations qu’elles subissent, il n’est pas suffisant de combattre d’une part le racisme et d’autre part le sexisme, comme s’ils étaient deux problèmes distincts. Il faut réellement s’intéresser à leurs vécus personnels et comprendre les processus d’imbrication des discriminations.

Il en va de même des femmes lesbiennes qui souffrent à la fois de l’homophobie et du sexisme, ainsi que de toutes les personnes subissant au moins deux axes de domination.

Certains podcasts de notre corpus s’intéressent d’ailleurs spécifiquement à des catégories de femmes doublement discriminées. C’est le cas de Thé Noir et de Exhale qui s’adressent respectivement aux Afro-françaises et aux femmes noires francophones.

Le concept d’intersectionnalité est arrivé en France au milieu des années 2000, alors que les Études de genre sont en plein essor108. Nous pouvons donc supposer que les vingtenaires, trentenaires et quadragénaires féministes ont été, en général, particulièrement sensibilisées aux problématiques intersectionnelles. En étudiant notre terrain de recherche, nous nous rendons bien compte qu’il y a une volonté affichée par de nombreuses animatrices de podcasts d’avoir un format inclusif.

Certaines se réclament d’ailleurs directement de l’intersectionnalité, signe de l’influence de ce concept sur cette génération de féministes. C’est le cas de Quoi de Meuf qui est qualifié aussi bien dans sa bande annonce que dans chaque début d’épisode de « podcast féministe et intersectionnel ». D’autres montrent leur préoccupation à être le plus inclusives possible par d’autres moyens. C’est le cas de Charlotte Bienaimé qui présente Un podcast à soi dans le premier épisode et en profite pour exposer différentes situations que peuvent rencontrer les femmes par cette allitération : « On ira écouter celles qui sont dans la norme et celles qui ne le sont pas, ceux qui ont des enfants, celles qui n’en voudront jamais, celles qui aiment les femmes et ceux qui aiment les hommes, celles qui aiment les deux, ceux qui ne savent pas, celles qui hésitent. »109

Il est intéressant de constater que plusieurs animatrices commencent leur podcast en rappelant leur condition, comme pour prévenir que leur point de vue n’est pas universel. Les premiers mots de 105 LÉPINARD Éléonore. « Praxis de l’intersectionnalité : répertoires des pratiques féministes en France et au Canada », L'Homme & la Société, vol. 198, n°4, 2015, p. 150 106 ibid., p. 149 107 ibid.

108 FASSIN Éric. « D’un langage l’autre : l’intersectionnalité comme traduction », Raisons politiques, vol. 58, n°2, 2015, p. 9 109 Un podcast à soi, Épisode 1 « Sexisme ordinaire en milieu tempéré », 0h41, Arte Radio, 4 octobre 2017, à partir de 00:21

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Charlotte Bienaimé, à nouveau, dans Un podcast à soi sont les suivants : « Je m’appelle Charlotte Bienaimé. J’ai 34 ans. Je suis une femme, hétérosexuelle, maman, féministe et je fais du documentaire radio. Je viens du Nord de la France, d’un milieu privilégié. J ’ h a b i t e aujourd’hui à Paris dans un quartier bobo. »110

Victoire Tuaillon commence la bande annonce des Couilles sur la table ainsi : « Je m’appelle Victoire Tuaillon. Je suis une jeune femme blanche hétérosexuelle et féministe, et je veux parler des hommes. »111

Elles sous-entendent d’une certaine manière qu’elles restent privilégiées de part leur orientation sexuelle, leur couleur de peau ou même leur milieu social.

Une technique souvent utilisée par les animatrices pour exposer la pluralité des vécus consiste à inviter des personnes qui vivent une situation particulière. C’est le cas des animatrices de La Bougeotte qui ont interviewé Jennifer Padjemi (du podcast Miroir Miroir) et Massi, voyageuses noire et iranienne, pour parler tour à tour du fait de voyager en étant racisée et sans passeport français, en précisant que c’était des situations qu’elles ne connaissaient pas elles-mêmes : « Et évidemment pour ça on va laisser la parole à des personnes concernées parce nous on a beau avoir conscience de ces mécanismes sociaux-là, de ces discriminations, je l’ai dit plus tôt, on ne les vit pas. »112

Ces différents exemples sont révélateurs d’une prise de conscience par ces animatrices de la pluralité des expériences féminines et des systèmes complexes de domination, mais aussi de l’influence de l’intersectionnalité dans la pratique contemporaine du féminisme en France. Ils sont également les indices d’un discours structuré et réfléchi.

3. Une place donnée aux thématiques du corps et du bien-être Le corps des femmes, et en particulier le droit de celles-ci à en disposer librement, est une question très importante pour le féminisme, en particulier depuis sa deuxième vague113. Cette question s’est notamment cristallisée autour de la sexualité pour que celle-ci soit davantage centrée sur le plaisir et plus nécessairement synonyme de maternité. En France, la légalisation de la pilule en 1967, puis la Loi Veil qui dépénalise l’avortement en 1974, sont des symboles victorieux de ces revendications.

Au sein de notre corpus, un podcast s’intéresse tout particulièrement à la sexualité. Il s’agit d’Entre nos lèvres. S’il s’organise autour de portraits d’invités, notamment des femmes, qui racontent leur vie sexuelle, il traite également « d’éducation, de genre, d’amour, de rapports au corps, de

110 ibid.

111 Les couilles sur la table, Bande annonce, 0h02, Binge Audio, 5 septembre 2017 112 La Bougeotte, Épisode 11 « Voyager avec un passeport iranien et en tant que femme noire », 0h27, 1er février 2019, à partir de 02:01 113 BLANDIN Claire. « Présentation. Le web : de nouvelles pratiques militantes dans l’histoire du féminisme ? », op. cit., p. 10

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société surtout, de féminisme, d’engagement »114. La relation des invités avec leur corps prend une place importante puisque plusieurs questions y sont consacrées : « Comment tu t’entends avec ton corps ? Est-ce que tu l’aimes ? », « Est-ce que tu as conscience de ton corps pendant que tu fais l’amour ? »… Le lien sexualité épanouie (ou non) et rapport au corps est donc très clairement fait.

Outre le rapport au corps, le bien-être en général est un thème souvent abordé. Le podcast YESSS par exemple a mis en place une rubrique « selfcare » pensée pour permettre aux femmes de prendre soin d’elles dans une société où elles sont discriminées : « […] c’est pas facile d’être une femme dans cette société en général. On a besoin de moments où on prend soin de soi et du coup dans cette rubrique, on va parler de méthodes qu’on a testées nous-mêmes »115.

La rubrique du premier épisode est ainsi consacrée au stage d’autodéfense féministe, tandis que dans celle du troisième, mis en ligne avant les fêtes de fin d’année, les animatrices livrent leurs conseils pour bien vivre les repas de famille lorsqu’on est féministe.

Le propos de certains podcasts peut également être centré sur le bien-être. Selon Rhoda Tchokokam, la fondatrice d’Atoubaa la plateforme qui héberge le podcast Exhale, celui-ci a été créé notamment pour « permettre à des femmes noires d’explorer la question du comment prendre soin de soin dans un environnement qui peut s’avérer hostile, une question qui est encore trop peu abordée en France malheureusement »116.

La création de plusieurs dizaines de podcasts natifs audios par et pour des femmes, notamment ces trois dernières en France, peut s’expliquer d’abord par la difficulté pour celles-ci de s’exprimer librement et de se sentir justement représentées dans les médias plus traditionnels ou généralistes.

Or, la création d’un podcast natif audio est libre et il est presque impossible de censurer les voix qui s’expriment dessus. En outre, ce média présente d’autres caractéristiques propices à la parole féminine. Tout cela permet de mieux comprendre pourquoi de nombreuses femmes se sont appropriées ce média. Qu’elles soient féministes ou non, en général, il est possible d’observer la mise en application et l’adaptation de certains principes féministes par ces animatrices. Pour bien saisir l’espace de parole qui est généré par un podcast natif, il est nécessaire de prendre du recul et de s’intéresser non seulement au média en lui-même mais aussi à la communauté qui se crée autour.

114 Entre nos lèvres, Bande annonce, 0h05, 28 juin 2018 115 YESSS, Épisode 1 « Warriors de l'espace public », 0h35, Podcast Factory, 11 octobre 2018, à partir de 28:43 116 Exhale, Épisode 0 « L'histoire d'Exhale », 0h04, Atoubaa, 12 février 2017

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II. L’élargissement d’un espace de parole : la création d’une communauté en ligne et hors-ligne Contrairement au podcast radio qui bénéficie d’au moins une diffusion à l’antenne et de la notoriété de sa radio, le podcast natif a davantage besoin de créer autour de lui une communauté pour être écouté. Selon le dictionnaire Larousse, une communauté est un « ensemble de personnes unies par des liens d’intérêts, des habitudes communes, des opinions ou des caractères communs »117.

Ces liens, notamment entre l’animatrice et ses auditeurs, sont d’abord générés par l’écoute d’un podcast qui va s’appuyer sur différents supports, en plus du contenu sonore, pour se rendre visible et créer des interactions (A). Mais ces liens peuvent en quelque sorte être renforcés par le partage d’expériences partagées (B), si bien que la communauté peut prendre parfois un versant plus politique en mettant en lumière des revendications communes(C).

A. Du podcast natif audio à la communauté multicanale La communauté que crée un podcast natif audio se caractérise par plusieurs éléments. D’abord, elle émerge malgré l’absence de la fonction de « co-présence » que connaît bien la radio (1). La multiplicité des supports (2) et l’importance que revêtent les réseaux (3) dans la création de cette communauté sont également assez typiques. D’ailleurs, nous nous arrêterons quelques temps sur plusieurs exemples de l’usage que peuvent faire les podcasts natifs des réseaux sociaux (4).

1.- L’existence d’une communauté indépendamment de la fonction de « co-présence » Créer une interaction entre les animateurs d’une émission et leurs auditeurs n’est en soit pas quelque chose de nouveau. En travaillant sur les radios musicales, Hervé Glevarec a ainsi montré qu’avec l’arrivée d’Internet la relation de la radio à ses publics s’était rééquilibrée. La relation radioauditeur a quitté « le plan vertical de la prescription pour le plan horizontal de la co-production et de l’interaction » en raison à la fois de la perte de position prescriptrice de la radio dans le domaine musical et de la montée en compétences techniques des auditeurs118. Ce rééquilibrage de la relation radio-auditeurs est également observable pour les radios généralistes119.

Dans notre corpus, il est visible que les animatrices cherchent à se placer dans une relation d’horizontalité avec leurs auditrices et leurs auditeurs. C’est par exemple le cas de Laura Fernandez Rodriguez de La Bougeotte :

« on a un matériau très journalistique et une conversation intimiste entre copines. » 120

L’une des caractéristiques des podcasts natifs c’est qu’ils s’écoutent d’une manière systématiquement 117 Dictionnaire Larousse. Disponible sur : https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/communauté/17551 (Dernière consultation le 24 août 2019) 118 GLEVAREC Hervé, op. cit., pp. 126-127 119 RICAUD Pascal, et SMATI Nozha. « Numérisation de la radio : effets sur les pratiques des professionnels de l’information et la participation des publics », Les Enjeux de l'information et de la communication, vol. 18/2, n°2, 2017, pp. 33-46 120 Entretien avec Laura Fernandez Rodriguez réalisé par l’autrice le 5 août 2019

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différée. Ceci a une conséquence sur la constitution de la communauté. Hervé Glevarec délimite quatre fonctions radiophoniques, théorisées à partir des radios musicales mais adaptées ensuite aux radios généralistes : la « fonction de sphère publique et d’identification », la « fonction d’actualité », la « fonction de co-présence » et la « fonction de programmation »121. En ce qui concerne les podcasts natifs, la fonction qui nous intéresse ici est celle de co-présence : « C’est celle d’en être, d’être du groupe qui écoute, maintenant et non pas plus tard ou autrement »122. Cette fonction ne peut exister pour le podcast natif car celui-ci n’est jamais diffusé sur une antenne, en tout cas il n’a pas été pensé pour. Mais alors, comment construire cette communauté, comment « être du groupe », sans cette co-présence ? Cela passe notamment par le recours à d’autres supports, en particulier les réseaux sociaux dont l’instantanéité permet des interactions rapides entre animatrices et auditeurs et entre les auditeurs eux-mêmes.

2. Une diversité des supports en ligne et hors ligne Concernant les supports, ceux-ci sont nombreux. Ainsi, plusieurs des podcasts que nous avons étudiés ont une newsletter. C’est le cas d’Entre nos lèvres123, Génération XX124 ou La Poudre125 par exemple. Quoi de Meuf126 était d’ailleurs une newsletter avant de devenir un podcast. La Poudre a aussi lancé une sorte de club de lecture en ligne, « La Poudre lit »127, où sont recommandés trois ouvrages pour approfondir le podcast qui vient d’être diffusé.

Rappelons le cas des médias en ligne tels que MadmoiZelle (Sois gentille, dis merci, fais un bisou) et Cheek Magazine (Flux), qui est particulier puisque les podcasts qu’ils produisent s’insèrent dans une stratégie d’ensemble avec un écosystème antérieur au podcast. En général, ils ont une rubrique podcasts dédiée accessible depuis le menu principal.

De manière générale, rien empêche les animatrices des podcasts que nous avons étudiés d’organiser des événements hors-ligne, notamment pour rencontrer leurs auditeurs et renforcer leur communauté. C’est par exemple le cas des animatrices d’Exhale qui ont organisé un brunch autour du thème du bien-être pour rencontrer leurs auditrices. Cela peut passer aussi par la participation des animatrices à des festivals comme celles de La Menstruelle présentes pour une partie d’entre elles au festival Sang Rancune ou par l’enregistrement en public d’épisodes comme celui de Les couilles sur la table au Palais des Glaces en mai 2019.

En ce sens, l’orientation que donne Siham Jibril au podcast Génération XX est très éclairante puisqu’elle organise régulièrement des événements comme par exemple une série de petits-déjeuners en compagnie de Clara Moley pour que les participantes puissent discuter carrière et équilibre vie privé/vie professionnelle, ou encore une rencontre avec Flore Vasseur, invitée de l’épisode 59, pour 121 GLEVAREC Hervé, op. cit., pp. 128-130 122 ibid., p. 125.

123 Site d’Entre nos lèvres. Disponible sur : http://www.entrenoslevres.fr/ (Dernière consultation le 11 août 2019) 124 Newsletter de Génération XX. Disponible sur : https://www.generationxx.fr/newsletter (Dernière consultation le 11 août 2019) 125 Site de La Poudre. Disponible sur : http://www.nouvellesecoutes.fr/la-poudre/ (Dernière consultation le 11 août 2019) 126 Site de Quoi de Meuf. Disponible sur : http://www.nouvellesecoutes.fr/quoi-de-meuf/ (Dernière consultation le 11 août 2019) 127 La Poudre lit. Disponible sur : https://www.nouvellesecoutes.fr/lapoudrelit/ (Dernière consultation le 11 août 2019)

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échanger sur son parcours, son nouveau roman et son prochain film documentaire. Le site web du podcast a même un menu spécial qui sont dédiés à ces événements et, depuis quelques mois128, la page d’accueil regroupe sous l’appellation « [génération xx] » le podcast et les événements à parts égales, tout en annonçant « Bienvenue dans votre communauté »129. Le podcast n’est alors plus qu’un élément de cette communauté plus large qui se base en partie sur la rencontre avec les auditrices intéressées, par le biais d’événements.

Illustration 7 : Capture d’écran de la page d’accueil du site Génération XX

3. Les réseaux sociaux comme pierre angulaire de la construction d’une communauté L’outil le plus évident pour développer une communauté autour du podcast, ce sont bien sûr les réseaux sociaux. Toutes nos interviewées les ont cités spontanément lorsque nous leur avons demandé comment elles construisaient une communauté autour de leur podcast. D’ailleurs, la quasitotalité des podcasts de notre corpus sont sur les réseaux sociaux. La seule exception est Flux, le podcast du pure player Cheek Magazine mais ce dernier est présent sur les réseaux sociaux en tant que média et relaye alors de cette manière ses podcasts. Le podcast Sois gentille, dis merci, fais un bisou produit par MadmoiZelle est pour sa part présent sur YouTube. Les autres podcasts étudiés ont tous un compte Twitter, une grande majorité a un compte Instagram et plus de la moitié un compte Facebook, mais rares sont ceux qui mettent du contenu sur YouTube. Leur présence en ligne est donc caractérisée par une inscription sur plusieurs réseaux sociaux à la fois.

128 Le changement a dû se produire entre fin avril et fin juillet 2019 puisque fin avril 2019 le site Internet Archive - Way Back Machine avait pris une capture d’écran avec l’ancienne version. Disponible sur : http://web.archive.org/web/*/ https://www.generationxx.fr/ (Dernière consultation le 11 août 2019) 129 Génération XX. Disponible sur : https://www.generationxx.fr/ (Dernière consultation le 11 août 2019)

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Sois gentille, dis merci, fais un bisou Génération XX La Poudre Quoi de Meuf Un podcast à soi YESSS Les couilles sur la table Thé noir Exhale La Menstruelle Café Simone La Bougeotte Paroles d'Elles Entre nos lèvres Flux

Facebook

Twitter

Instagram

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X X X X X X X X X X X X X

X X X

X X X X X X X X

X X X X X X X X

YouTube X

X

Figure 1 : Présence des podcasts du corpus sur les réseaux sociaux

En général, les animatrices tirent partie de cette présence multicanale en adaptant leur communication à chaque réseau social. Ainsi, si Alicia Cosculluela de Café Simone aime Instagram pour le côté visuel que permet cette plateforme, Lisa Melia privilégie Twitter pour « faire une sorte de veille » et trouver des informations pour de prochains épisodes de La Menstruelle.

4. Cas pratiques : florilège des usages des réseaux sociaux par les podcasts natifs audios Nous allons maintenant nous intéresser plus en détail à l’utilisation qui est faite des réseaux sociaux par les podcasts natifs. En fonction de ce que nous avons pu observer en étudiant les réseaux sociaux, nous avons pu délimiter plusieurs catégories d’usages. Par volonté d’uniformité, la plupart des exemples qui suivent sont tirés de Twitter. Même si les codes diffèrent d’un réseau social à un autre, ces catégories sont généralement observables sur les différentes plateformes. Des subtilités existent néanmoins, mais, comme il ne s’agit pas de notre cœur de sujet, nous ne les développerons pas ici. a. La promotion du podcast Comme nous pouvons nous y attendre, les réseaux sociaux permettent pour les animatrices de podcasts de promouvoir leur travail. Chaque mise en ligne d’un épisode fait l’objet d’au moins une publication, même si la plupart des podcasts s’organisent autour de plusieurs posts allant de l’annonce de la mise en ligne d’un épisode à la promotion d’un épisode publié depuis un certain temps ou du rappel d’un ancien épisode lorsqu’un événement extérieur au podcast y fait écho.

Le cas de La Poudre illustre bien cette stratégie puisque le même schéma se répète à chaque nouvel épisode : une publication trois jours avant en citant une phrase prononcée par l’invitée, une autre deux jours avant avec une image, puis la veille avec un extrait sonore. L’identité de l’invitée n’est révélée qu’au moment de la mise en ligne de l’épisode ce qui permet de faire monter le suspens et l’attente les jours précédents, mais aussi de générer de l’interaction puisque les posts interrogent

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les auditeurs « Mais qui sera son invitée ? »130. La semaine qui suit, quelques publications viennent rappeler que l’épisode est sorti et la bannière Twitter est adaptée.

Promouvoir le podcast peut également passer par le fait de communiquer sur la citation du podcast dans un média ou sur un événement auquel participe l’animatrice. Cela permet certainement à la fois de montrer la légitimité du podcast et de rappeler son existence.

b. L’interaction avec les auditeurs Si promouvoir de manière directe le podcast y est systématique ou presque, les réseaux sociaux constituent également un espace propice à l’échange entre animatrices et auditeurs de podcasts.

Sur Twitter, cela peut passer évidemment par le retweet, c’est-à-dire le fait de republier le tweet publié par une autre personne. Cela a l’avantage de montrer de l’intérêt envers la personne qui a rédigé le tweet et de rendre visibles les auditeurs qui forment la communauté du podcast, communauté invisible par essence, si ce n’est par le nombre de followers ou d’écoutes. D’autres techniques peuvent aussi être mises en place comme demander l’avis des followers sur un sujet, sous la forme d’un sondage par exemple.

Parfois, l’interaction commence du côté de l’auditeur plutôt que de l’animatrice. C’est le cas notamment lorsqu’un utilisateur d’un réseau social tague un podcast en particulier pour l’informer d’un fait ou pour lui demander son avis sur une situation. Lisa Melia nous a ainsi expliqué que régulièrement La Menstruelle est taguée sur certaines conversations afin qu’il apporte son point de vue sur un thème qui entre dans son champ d’intervention : « Et d’un seul coup hop on voyait poper notre nom, on remontait le fil et on comprenait que c’était un débat. Et c’est chouette parce que finalement il y a ces gens-là qui disent « Eh tiens, vous allez peut-être avoir un petit truc à dire » et c’est chouette en fait d’être inclues spontanément dans ce débat sans en fait que ça nous soit tombé tout seul entre les mains. »131

Un podcast peut donc être reconnu pour son expertise, ou du moins sa connaissance, sur un sujet en particulier et être ainsi sollicité pour s’exprimer.

Pour Néné du Thé Noir, construire une communauté sur les réseaux sociaux passe par le fait de se rendre « accessibles », notamment en répondant aux messages, et de créer de l’interaction pour avoir l’avis des auditeurs sur les thèmes traités dans les épisodes. En outre, pour elle, la communauté peut permettre de s’entre-aider par exemple en recommandant une personne pour un certain travail. Nous observons qu’il y a avec cette vision une volonté de recréer un tissu social en ligne. Interagir avec les auditeurs peut aussi permettre de récolter des témoignages et des idées pour de nouveaux épisodes. Laura Fernandez Rodriguez nous a expliqué qu’un nombre important d’auditrices contactent La Bougeotte via les réseaux sociaux et l’adresse mail en leur proposant des idées et en leur partageant des anecdotes. Pour elle, « c’est un vivier d’histoires parfait »132.

130 Sous-entendu, « qui sera l’invitée de Lauren Bastide ? » 131 Entretien avec Lisa Melia réalisé par l’autrice le 27 juin 2019 132 Entretien avec Laura Fernandez Rodriguez réalisé par l’autrice le 5 août 2019

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Illustration 8 : Retweet par La Poudre d’un tweet félicitant un épisode (source : Twitter)

c. L’interaction avec les autres podcasts Si l’interaction avec les auditeurs est assez évidente, une sorte de communauté se crée entre une partie des différents podcasts qui traitent de thématiques féminines et féministes. Il est ainsi courant qu’ils se suivent entre eux. C’est un phénomène dont nous a fait part Alicia Cosculluela, puisque plusieurs podcasts suivis par plusieurs milliers de personnes suivent eux-mêmes Café Simone.

Pour elle, cette utilisation des réseaux sociaux permet de créer un « réseau professionnel »133. Les podcasts peuvent également interagir entre eux. Cela passe notamment par la recommandation d’un podcast par un autre podcast à sa communauté.

Illustration 9 : Tweets du pocast Les Couilles sur la table qui recommande YESSS et remerciement de YESSS (source : Twitter)

Si nous supposons qu’autour de chaque podcast gravite une communauté d’auditeurs plus ou moins fidèles, qui parfois se recoupent, nous pouvons émettre l’hypothèse que ces différentes communautés forment ensemble une communauté plus large, aux frontières invisibles et indéfinissables. Cela s’explique probablement en partie par le fait que les podcasts de notre corpus défendent en général des valeurs et des idées communes, sans non plus avoir à être d’accord sur tout. Nous retombons alors sur la notion de Laure Bereni d’« espace de la cause des femmes ». d. La réaction à l’actualité Un point commun facilement observable concernant la communication des podcasts sur les réseaux sociaux, c’est leur tendance à partager des articles de presse, des réactions de tierces personnes à une actualité ou de réagir eux-mêmes à ces actualités. Cela ancre le podcast dans un certain contexte et lui permet de se positionner sur certains thèmes parfois politiques et clivants.

133 Entretien avec Alicia Cosculluela réalisé par l’autrice le 7 juillet 2019

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Illustration 10 : Tweet de Paroles d’Elles en réaction à une action des Femen (source : Twitter)

De temps en temps, ces réactions à l’actualité vont jusqu’à l’indignation. David Bertrand parle de « call-out culture » pour désigner le fait d’interpeller et de dénoncer publiquement certains actes ou propos pouvant être considérés comme sexistes ou racistes134. Dans notre corpus, cela peut passer par le relais de messages écrits par des personnes ayant vécu une situation qualifiée de discriminatoire ou encore par le témoignage même d’une des animatrices. Cela ajoute encore à l’engagement de certains podcasts que nous avons étudiés.

Le podcast audio natif est donc au général au centre d’une communauté qui peut être façonnée via plusieurs supports numériques mais aussi par des événements hors-ligne. Les supports les plus utilisés restent tout de même les réseaux sociaux qui permettent de créer des interactions. Néné du podcast Thé Noir nous a ainsi dit vouloir avant tout une « communauté qui échange »135. Or, ces communautés se caractérisent souvent par l’expression d’une parole personnelle de la part des animatrices comme des auditrices. La communauté n’est alors pas seulement constituée par le simple fait d’écouter un podcast mais par le partage d’expériences communes.

B. « Faire communauté » autour d’expériences personnelles communes Un point commun révélateur entre les podcasts de notre corpus, c’est le recours presque systématique à l’expérience personnelle. Selon nous, ce recours peut être rattaché notamment à deux influences distinctes, la médiatisation de l’intime et les groupes de parole féministes (1). Nous observons d’ailleurs par certains aspects un renouvellement de la figure des groupes de parole féministes par les podcasts natifs (2). Lorsqu’il est partagé, le récit renforce en effet les liens entre les personnes (3), ce qui peut nous faire reconsidérer cette libération de la parole intime par le podcast natif selon le prisme du principe féministe « le privé est politique » (4).

134 BERTRAND David, op. cit., pp. 241-242 135 Entretien avec Néné réalisé par l’autrice le 10 août 2019

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1. L’expression de l’intime : une double influence ?

Tous les podcasts de notre corpus font appel à l’expérience intime des animatrices ou des invitées, avec peut-être un bémol pour Parole d’Elles qui garde une certaine retenue sur ces questions-là. La seule variante entre tous les autres, c’est le degré auquel se dévoile chaque animatrice ou invitée.

Selon nous, cette expression de l’intime peut être rattachée à deux influences : celle de l’arrivée de l’intime dans les médias à la fin des années 1960 et l’expérience des groupes de conscience féministes qui commencent à se former au début des années 1970. a. La médiatisation de l’intime : la radio et la « TV de l’intimité » En 1967, l’intime fait une entrée remarquée dans les médias avec l’émission de confession radiophonique « Allô, Menie » de Menie Grégoire. Lorsque l’émission commence, celle-ci est déjà connue pour son engagement pour la cause des femmes et « cherche à explorer les conditions d’existence des femmes »136. Pendant 30 minutes, Menie Grégoire discute avec trois ou quatre auditeurs qui lui parlent chacun leur tour de leurs problèmes personnels. L’émission est un vif succès avec « 40 % des parts de marché radiophonique et 1,3 million d’auditeurs de moyenne entre 1968 et 1978 », tandis qu’on estime qu’environ 16.000 personnes prendront la parole à l’antenne137.

Il s’agit d’un véritable « espace d’éclosion à la parole féminine sur l’antenne »138 selon Claire Blandin puisque 80 % des personnes intervenant à l’antenne sont des femmes.

La radio n’est pas le seul média à laisser la parole personnelle s’exprimer puisqu’au milieu des années 1980 naît en France « la télévision de l’intimité » qui s’est ensuite développée peu à peu.

Pour Dominique Mehl, cette « publicisation de la parole privée par la télévision révèle et conforte un changement significatif des rapports entre espace privé et espace public »139. Les frontières entre ces deux espaces se brouillent et finissent par se superposer.

La percée de l’intime dans les médias est la conséquence de plusieurs phénomènes, notamment le développement d’une culture psychologique de masse qui, dès l’époque de la « télévision de l’intimité », « conjugue une expansion de son vocabulaire, de ses mots, de ses concepts dans le langage de tous les jours ainsi qu’une représentation du lien social par le prisme du lien personnel et relationnel »140 Nous trouvons d’ailleurs dans notre corpus plusieurs manifestations de ce phénomène.

Ainsi, La Poudre et Entre nos lèvres s’intéressent beaucoup à l’enfance de l’invité, à ses parents et à sa relation avec eux. Des thèmes comme la dépression ou le deuil sont souvent abordés. Dans le premier épisode de Sois gentille, dis merci, fais un bisou, la comédienne Sophie-Marie Larrouy parle longuement de sa dépression141. C’est aussi le cas de Marie qui témoigne dans l’épisode 10 de La Bougeotte142. Régulièrement, les animatrices ou leurs invités réalisent de véritables travaux d’introspection pour répondre à des questionnements parfois existentiels. Dans l’épisode 10 de Thé Noir, les animatrices commencent par discuter de l’éducation qu’elles ont chacune reçue pour 136 BLANDIN Claire. « Médias : paroles d'experts / paroles de femmes », Histoire@Politique, vol. 14, n°2, 2011, p. 129 137 ibid.

138 ibid., p. 130 139 MEHL Dominique. « La télévision de l'intimité », Le Temps des médias, vol. 10, n°1, 2008, p. 265 140 ibid., p. 276.

141 Sois gentille, dis merci, fais un bisou, Épisode 1 « Sophie-Marie Larrouy », 0h42, MadmoiZelle, 21 décembre 2017, à partir de 34:25 142 La Bougeotte, Épisode 10 « Le tour du monde en cargo, concilier voyage et écologie », 0h25, 29 décembre 2018, à partir de 08:05

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répondre à la question : « Pourquoi la femme noire ressent ce devoir de prendre soin des autres en s’oubliant elle-même […] ? »143. Nous voyons donc que la culture psychologique irrigue fortement les podcasts natifs que nous avons étudiés. b. Le partage de l’intime : les groupes de parole féministes Dans les années 1970, le féminisme de la deuxième vague se caractérise par la création de groupes de parole à l’intérieur desquels les femmes étaient « incitées à partager entre elles leurs vécus personnels et intimes, leurs expériences de la domination masculine »144. En France, on considère que les premières expériences de groupes féministes en non-mixité datent de mai 1970 où, lors d’un grand rassemblement à l’université de Vincennes, des féministes dénoncent le comportement et la confiscation du pouvoir par les étudiants hommes et les membres masculins des organisations d’extrême gauche. Elles décident alors de s’auto-organiser de façon inédite145.

Les groupes de parole, ou de conscience, féministes des années 1970 s’organisent autour de trois normes principales : la non-mixité, le refus de la hiérarchie et la prise de parole à la première personne146. Selon Marion Charpenel, leur raison d’être est triple : « permettre aux femmes de prendre la parole sans avoir à se battre avec les hommes ; valoriser leur point de vue subjectif comme source de savoir ; faire émerger le commun qui rassemble des expériences jusqu’alors vécues isolément et ainsi générer des solidarités »147. Au sein de ces espaces, les femmes vont alors partager leurs expériences personnelles sur différents sujets jusque là restés tabous ou considérés comme ne valant pas la peine d’être racontés : le travail domestique, les relations conjugales, l’avortement, le viol…

Depuis la fin des années 1970, ces « espaces du dicible féministe » quittent l’entre-soi pour publiciser les vécus privés et agir au-delà du mouvement féministe148. Le principe de non-mixité s’est dilué au fil du temps. De nombreux podcasts de notre corpus, notamment conversationnels, semblent s’inspirer de ces groupes de parole puisque les animatrices ou invitées partagent des expériences personnelles, à la fois aux personnes autour de la table – ce qui est typique du groupe de parole – mais également, en raison de l’enregistrement et de la diffusion de cette conversation, en dehors du groupe, vers une audience invisible. L’utilisation de la non-mixité est moins intransigeante puisque des hommes sont parfois invités. Souvent, les podcasts qui acceptent des exceptions à la parole féminine le font dans des conditions qu’ils fixent en amont. C’est le cas par exemple de Paroles d’Elles, dont même le nom rappelle que la priorité est de laisser la parole aux femmes. Fiona Moghaddam, sa créatrice, n’est en effet par contre l’idée de d’interviewer un homme mais à condition qu’il mette en œuvre des actions féministes149. Pour Néné du Thé Noir, la condition est de toujours garder en tête « qu’on s’adresse à des femmes, c’est pour des femmes »150.

143 Thé Noir, Épisode 10 « Mais Pourquoi Nous ? », 2h04, 29 novembre 2018, à partir de 14:40 144 CHARPENEL Marion. « Les groupes de parole ou la triple concrétisation de l’utopie féministe », Éducation et sociétés, vol. 37, n°1, 2016, p. 15 145 RIOT-SARCEY Michèle. Histoire du féminisme. Paris, La Découverte, 2015, p. 97 146 CHARPENEL Marion. « Les groupes de parole ou la triple concrétisation de l’utopie féministe », op. cit., p. 19 147 ibid., p. 15 148 ibid., p. 27 149 Entretien avec Fiona Moghaddam réalisé par l’autrice le 5 août 2019 150 Entretien avec Néné réalisé par l’autrice le 10 août 2019

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Nous émettons l’hypothèse que les podcasts natifs qui créent un espace pour que la parole féminine puisse s’exprimer contribuent à poursuivre ce mouvement de redéfinition des frontières entre le dicible et l’indicible et de médiatisation de l’intime. Ainsi, des thèmes comme les règles ou le harcèlement de rue, dont on ne parlait quasiment pas il y a encore quelques année, sont régulièrement commentés dans certains des podcasts que nous avons étudiés. Les animatrices, telles que Laura Fernandez Rodriguez de La Bougeotte151, utilisent parfois le terme de « safe space » pour qualifier leur podcast, reprenant ainsi le vocabulaire militant pour désigner un espace où des personnes souffrant de discriminations peuvent échanger librement autour de leur expérience.

2. Le renouvellement de certaines caractéristiques des groupes de parole féministes Pour soutenir l’hypothèse selon laquelle les podcasts natifs qui créent un espace de parole pour les femmes renouvellent le principe du groupe de conscience féministe, nous nous sommes appuyés sur diffèrent critères que nous avons pu observer, notamment la proximité que semblent construire les animatrices avec leurs auditrices et la primauté donnée à la parole personnelle.

a. Une proximité affichée entre animatrices et auditrices Créer des conditions similaires à celles des groupes de parole féministes passe d’abord par la mise en place d’une proximité entre les animatrices et les auditrices. De manière assez évidente, cette proximité peut déjà être encouragée par l’usage du tutoiement. C’est le choix qu’a fait une grande partie des podcasts de notre corpus, notamment ceux organisés autour d’un format conversationnel pour lesquels le tutoiement est la règle entre les animatrices. Dans les podcasts d’entretien, le tutoiement est souvent utilisé entre l’animatrice et l’invitée. C’est le cas par exemple de Sois gentille, dis merci, fais un bisou, de Café Simone, d’Entre nos lèvres ou encore de Génération XX152.

Ce tutoiement différencie énormément ces podcasts natifs de la radio où le vouvoiement est une formalité à laquelle on n’échappe guère.

En plus du tutoiement, différents moyens peuvent être mis en œuvre pour tenter de créer des liens avec la communauté des auditeurs et auditrices. Le podcast YESSS repose sur les témoignages enregistrés de femmes ayant réussi à se défendre dans une situation sexiste. Après chaque témoignage, les animatrices réagissent en commentant et en félicitant notamment la personne qui a témoigné, comme dans l’épisode 3 où elles saluent la réaction de Sarah : « Donc bravo Sarah pour ta réaction, quand tu avais 15 ans, et j’imagine pas ce que ça doit donner aujourd’hui du coup ! »153

L’idée de créer des liens de solidarité entre les femmes n’est pas nouveau dans le féminisme, c’est le principe de la « sororité ». En effet, « la conviction que la solidarité entre les femmes était vitale a été au cœur de la théorie et de la pratique de la deuxième vague du féminisme »154. Une partie des podcasts natifs semble donc renouveler ce principe féministe, consciemment ou inconsciemment.

151 Entretien avec Laura Fernandez Rodriguez réalisé par l’autrice le 5 août 2019 152 Pour avoir le détail, consulter : « Annexe II. Tableau de comparaison des podcasts » 153 YESSS, Épisode 3 « Warriors en famille », 0h51, Podcast Factory, 9 décembre 2018, à partir de 12:16 154 ROSENEIL Sasha. « Mettre l’amitié au premier plan : passés et futurs féministes », Nouvelles Questions Féministes, vol. 30, n°2, 2011, pp. 63-64

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Dans certains cas, plus que de solidarité on peut presque parler d’amitié, un point défendu par Néné du Thé Noir qui qualifie certains messages reçues par le podcast, tels que « On a l’impression d’être avec vous » ou « comme si on était avec des copines », comme les meilleurs messages à recevoir car c’est l’atmosphère qu’elle souhaite transmettre155.

b. Une primauté donnée à la parole personnelle La parole personnelle s’exprime dans notre corpus à plusieurs échelles : par les confessions intimes des animatrices, celles des invités, mais aussi par le recours aux témoignages des auditrices.

Les podcasts conversationnels commencent généralement par les animatrices qui se racontent comment elles vont, ce qu’elles ont fait récemment. C’est le cas de Quoi de Meuf ou de Thé Noir par exemple. Les sujets abordés touchent parfois clairement à l’intime. Dans Entre nos lèvres, le podcast sur la vie sexuelle, les animatrices abordent sans tabou les thèmes de la masturbation, des premières expériences sexuelles et de l’orgasme.

Pour certains podcasts, les exemples personnels en constituent la valeur ajoutée. C’est par exemple le cas de La Menstruelle où les animatrices donnent beaucoup d’exemples issus de leur propre expérience. Pour Lisa Melia, qui en fait partie, c’était une évidence : « Dès le début on s’est dit « on est sur un sujet où ça ne marchera pas si on met de la distance ».

C’est-à-dire que comme je te disais, on n’est pas des médecins, on n’est pas des pros en fait, ou même des infirmières ou même des scientifiques et notre seul entre guillemets « levier », le seul truc qui peut rendre, il nous semblait, la chose intéressante c’est si on partait de notre propre expérience, si on croisait les expériences, si on s’interpellait les unes les autres »156

Une cinquantaine d’années après l’arrivée de l’intime à la radio, les podcasts natifs de notre corpus reprennent le principe de cette publicisation des témoignages, sans la contrainte du direct. YESSS, La Bougeotte ou Un podcast à soi diffusent des témoignages de femmes à chaque épisode. Ce qui compte ici, ce n’est pas la notoriété de la personne qui témoigne, mais bel et bien ce qu’elle a à dire, son témoignage.

En outre, le format du podcast natif n’est pas en rien dans cette libération de la parole intime. L’une des caractéristiques essentielles du podcast audio, c’est qu’il n’y a pas d’image. On ne voit donc pas la personne qui s’exprime. Cette situation peut expliquer une plus forte facilité à parler de thèmes personnels. Pour Lisa Melia de La Menstruelle, il s’agit d’ailleurs d’un paradoxe car la dimension sonore apporte également de l’intimité : « C’est plus facile de raconter des expériences personnelles quand tu parles juste dans un micro, parce que quand tu parles dans le micro les gens ils ne voient pas si tu es en train de rougir derrière, ils ne voient pas si tu es gêné, ils perçoivent un peu moins ton état d’esprit. Donc tu as en même temps, tu préserves un tout petit peu ton intimité, mais tu la partages assez parce que si tu es ému ça va s’entendre tout de suite. Si tu souris, ça s’entend parce qu’en fait quand on sourit ça s’entend dans la voix. Les éclats de rire, c’est hyper communicatif. » 155 Entretien avec Néné réalisé par l’autrice le 10 août 2019 156 Entretien avec Lisa Melia réalisé par l’autrice le 27 juin 2019

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En 2001, Serge Tisseron emprunte le terme « extimité » à Jacques Lacan et lui donne une nouvelle signification : il s’agit du « processus par lequel des fragments du soi intime sont proposés au regard d’autrui afin d’être validés »157. Alors que l’intimité est ce que l’on ne montre à personne, ou seulement à quelques proches, l’extimité est ce que l’on présente de personnel à une tierce personne volontairement. Ainsi, le désir d’extimité porte « sur des parties de soi jusque-là gardées secrètes et sur la reconnaissance de leur originalité »158. Ce concept est intéressant car il explique que de nombreuses personnes peuvent raconter des histoires très personnelles à un large public tout en étant encore dans un certain contrôle de leur image. Un élément que nous a confirmé Néné du Thé Noir pour qui la vie privée est très précieuse et qui en conséquence « essaye de donner sans tout donner », ce que nous interprétons comme la recherche du bon équilibre entre l’intime que l’on dit et celui que l’on garde pour soi.

A noter également que le podcast natif n’est pas le premier support numérique à s’être organisé autour du recueil de témoignages. L’un des exemples les plus connus est le compte « Paye Ta Schnek »159 qui s’est fait connaître sur Tumblr et qui recense les propos d’harceleurs de rue. Sa créatrice Anaïs Bourdet, également animatrice de YESSS, a récemment annoncé qu’elle arrêterait de publier de nouveaux témoignages, notamment en raison d’un épuisement moral après sept années à tenir la page160. Aujourd’hui, le modèle « Paye Ta Schnek » a essaimé et nous pouvons observer cette influence notamment sur Instagram avec des comptes tels que « T’as joui ? »161 pour montrer le manque d’intérêt de la société envers le plaisir sexuel féminin, « T’as pensé à ? »162 pour illustrer la charge mentale ou encore « Coup de sang »163 pour briser le tabou des règles. Cette multiplication des témoignages autour d’un thème peut en effet être un « outil extrêmement efficace lorsqu’il s’agit, pour un groupe féministe, de faire ressentir l’existence du sexisme »164. Leur accumulation permet de montrer qu’il ne s’agit pas de cas isolés mais bien d’un phénomène social.

3. Le récit personnel comme vecteur de liens entre les animatrices et les auditrices Pour Rebecca Solnit « Les mots nous rassemblent tandis que le silence nous sépare, nous prive d’aide, de solidarité ou de la simple communion que la parole peut solliciter ou susciter. »165 La parole, la discussion, le partage de récits de vie sont donc indispensables pour exister et pour créer des liens de solidarité. N’oublions pas que nous vivons dans une société où une majorité des violences physiques et sexuelles infligées aux femmes par les hommes est encore tue166. La voix des victimes 157 TISSERON Serge. « Intimité et extimité », Communications, vol. 88, n°1, 2011, pp. 84-85 158 ibid., p. 85.

159 Compte Facebook Paye Ta Shnek. Disponible sur : https://www.facebook.com/payetashnekleblog (Dernière consultation le 12 août 2019) 160 CONDOMINES Anaïs. « « Il faut que je rende cette colère » : Anaïs Bourdet, de « Paye Ta Shnek », nous parle du « burn-out militant » », LCI, 24 juin 2019. Disponible sur : https://www.lci.fr/population/il-faut-que-je-rende-cette-colereanais-bourdet-de-paye-ta-shnek-nous-parle-du-burn-out-militant-2125048.html (Dernière consultation le 25 août 2019) 161 Compte Instagram T’as joui ?. Disponible sur : https://www.instagram.com/tasjoui/ (Dernière consultation le 12 août 2019) 162 Compte Instagram T’as pensé à ?. Disponible sur : https://www.instagram.com/taspensea/ (Dernière consultation le 12 août 2019) 163 Compte Instagram Coup de sang. Disponible sur : https://www.instagram.com/coupdesang/ (Dernière consultation le 12 août 2019) 164 BERTRAND David, op. cit., p. 240 165 SOLNIT Rebecca, op. cit., p. 32 166 Haut Conseil à l’Egalité entre les Femmes et les Hommes, Repères statistiques. Disponible sur : http://www.hautconseil-egalite.gouv.fr/violences-de-genre/reperes-statistiques/ (Dernière consultation le 25 août 2019)

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semble écrasée par celle de l’agresseur. Nous l’avons vu avec l’affaire #MeToo qui a mis en lumière le fait que pendant des décennies des violeurs ont pu rester à l’abri de toute menace bénéficiant de leur statut social de dominants. Pour une situation pareille, Rebecca Solnit parle « cannibalisme de récit »167 : ces hommes ont imposé leur voix et ont privé leurs victimes de la leur puisqu’elles n’ont pu s’exprimer ou, lorsqu’elles le faisaient, elles n’ont pas été entendues. Encore une fois, cela montre l’importance que peut constituer une simple prise de parole.

Si les groupes de parole féministes qui sont apparus dans les années 1970 ont permis aux femmes de raconter leur vécu dans un espace bienveillant, ils leur ont également permis de prendre conscience qu’un problème que vivent des millions de personnes n’est pas un problème individuel168. Ainsi, en confrontant les vécus, les femmes ont pu tisser des liens et créer un élan de solidarité entre elles.

Dans plusieurs podcasts de notre corpus, nous observons qu’il y a une volonté de la part des animatrices de lier leur expérience personnelle à celle de leurs auditeurs et surtout auditrices.

Entre nos lèvres, par exemple, consacre chacun de ses épisodes à un portrait d’une personne qui répond à des questions notamment sur sa sexualité. Or, les deux animatrices ont décidé de faire leur propre portrait, en répondant aux mêmes questions, lors des épisodes 1 et 2. La raison avancée est notamment qu’il serait ensuite plus facile aux prochains invités de se « mettre à nu » si les animatrices l’avaient déjà fait. En outre, la dernière question posée à l’invité systématiquement à la fin de chaque épisode est « Pourquoi c’était important pour toi de faire ton portrait et de nous dire tout ça ? ». A cette question, Margaux Rol, l’une des animatrices, répondra notamment qu’elle sait ne pas être la seule à souffrir d’anorgasmie et vouloir dépasser le tabou169.

Le récit personnel lie les auditrices aux animatrices, mais il peut lier également les auditrices à d’autres auditrices. Par exemple, la fin du premier épisode de La Bougeotte est construite autour d’extraits audios recueillis par les animatrices auprès de voyageuses qui donnent leurs conseils aux auditrices, qu’elles ne connaissent pourtant pas, pour les motiver à se lancer dans les voyages solos170. Pour l’épisode 2, rebelote, Laura Fernandez est allée interroger différentes voyageuses pour partager leurs conseils sur la gestion de la solitude en voyage171. Dans ce même épisode, Daisy Lorenzi donne la parole à deux voyageuses qui sont allées en Iran pour qu’elles répondent aux doutes d’une troisième qui s’apprête à y aller172.

Pour l’instant, cette mise en relation est faite directement par les animatrices de La Bougeotte qui sont parfois sollicitées en messages privés sur les réseaux sociaux pour mettre en contact une auditrice avec une personne qui est intervenue dans le podcast. Dans ce cas-là, elles le font si cette dernière l’a expressément accepté. Cette mise en relation peut même avoir lieu au cours d’un épisode comme par exemple à la fin de l’épisode 11173 où les animatrices lisent le message d’Estelle 167 SOLNIT Rebecca, op. cit., p. 39 168 CHARPENEL Marion. « Les groupes de parole ou la triple concrétisation de l’utopie féministe », op. cit., p. 23.

169 Entre nos lèvres, Épisode 1 « Margaux », 0h44, 12 juillet 2018, à partir de 41:36 170 La Bougeotte, Épisode 1 « Se lancer », 0h19, 26 septembre 2017 171 La Bougeotte Épisode 2 « Voyager au féminin, l'Iran et la solitude », 0h26, 30 octobre 2017, à partir de 17:45 172 ibid., à partir de 03:46 173 La Bougeotte, Épisode 11 « Voyager avec un passeport iranien et en tant que femme noire », 0h27, 1er février 2019, à partir de 25:40

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qui répond à Marie qui avait témoigné dans l’épisode 10174 sur son prochain voyage en cargo et qui faisait part de son appréhension à l’idée d’être seule en mer avec des marins. Or, Estelle a voulu la rassurer car elle est cheffe mécano sur des cargos de la même compagnie. Les animatrices ont d’ailleurs pendant un temps pensé créer un compte Facebook « Communauté La Bougeotte » pour que les auditrices puissent communiquer directement entre elles175.

4. La reprise du principe féministe « Le privé est politique » ?

Partager un témoignage et le lier aux vécus d’autres personnes est évidemment utile pour se rendre compte que certains problèmes que l’on affronte ne sont pas individuels mais bien collectifs.

Si un grand nombre de femmes réalisent par exemple qu’elles ont subi des remarques et des comportements déplacés de la part d’hommes dans l’espace public, cela signifie sans doute qu’il s’agit d’un phénomène sociétal. Il est donc possible de mettre des mots dessus, de le nommer – ici cela sera le « harcèlement de rue » – et de le combattre par différents moyens notamment l’exigence d’une législation plus stricte.

Le témoignage personnel a donc une valeur. Il peut même conduire à des revendications. Dès les années 1960, les mouvements féministes de la seconde vague ont utilisé l’expression « le privé est politique » afin de rendre compte de ce lien entre le vécu personnel et son imbrication dans la sphère publique176.

Il est intéressant de constater que beaucoup de podcasts de notre corpus utilisent le témoignage personnel pour l’inclure dans une dimension beaucoup plus globale. Un très bon exemple est celui d’Un podcast à soi. Chaque épisode de ce podcast est organisé autour d’un thème (le sexisme chez les cadres, les femmes racisées, les femmes lesbiennes, la sexualité, l’horloge biologique…) et construit autour d’extraits de témoignages de personnes concernées, de réflexions d’expertes interrogées sur le sujet et de lecture d’œuvres littéraires. Charlotte Bienaimé fait elle-même le lien entre les différents extraits diffusés. Ce faisant, elle place alors sur un même plan ces différentes sources et inclut le témoignage dans un contexte beaucoup plus large, voire universel. « Le privé est politique » est un principe féministe qui a été étudié et pris en compte par certaines de nos informatrices. Lisa Melia de La Menstruelle nous a confirmé l’importance que revêtait ce principe à ses yeux : « pour moi le privé est politique parce qu’on a rendu le privé politique, qu’on en a fait un objet de contrôle, et quelque part j’ai un peu l’impression qu’on se réapproprie ça, un peu en mode « Très bien, vous voulez jouer là-dessus, bah en fait maintenant notre privé on va arrêter de le cacher et on va se servir de ces expériences intimes, on va se servir de ces expériences personnelles pour porter des convictions qui pour le coup ne sont pas elles individuelles mais sur les valeurs de la société telle qu’on aimerait la vivre au quotidien. » »

Le privé n’est donc pas devenu politique tout seul. Ce sont les féministes, dans le cas des expériences vécues par les femmes, qui l’ont rendu politique, qui lui ont donné une place dans l’espace public 174 La Bougeotte, Épisode 10La Bougeotte, Épisode 10 « Le tour du monde en cargo, concilier voyage et écologie », 0h25, 29 décembre 2018 « Le tour du monde en cargo, concilier voyage et écologie », 0h25, 29 décembre 2018, à partir de 08:05 175 Entretien avec Laura Fernandez Rodriguez réalisé par l’autrice le 5 août 2019 176 CHARPENEL Marion. « Les groupes de parole ou la triple concrétisation de l’utopie féministe », op. cit., p. 15.

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et dans le débat public. Nous l’avons vu mais une question comme l’avortement était tue avant les années 1960 et c’est en rendant cette question politique que les féministes de la deuxième vague ont pu obtenir sa dépénalisation en 1974. Aujourd’hui, nous pouvons dire qu’en mettant au centre de leurs propos des thèmes traditionnellement vus comme relevant de l’intime, une partie des podcasts que nous avons étudiés œuvrent pour redéfinir les frontières du privé et du public et mettre sur le devant de la scène des thématiques qui jusqu’alors restent dans l’ombre ou dans une sorte de clair obscur.

Invoquer des anecdotes personnelles est donc une caractéristique que partage la quasi-totalité des podcasts de notre corpus. Or, la question de l’intime est bien moins insignifiante que ce qu’elle paraît à première vue. Pouvant être rattachée à plusieurs influences, elle permet également de faire prendre conscience et de publiciser des expériences négatives que vivent de nombreuses femmes.

Bien que cela soit utile pour que celles-ci ne se sentent plus seules, cela peut être aussi la base de revendications militantes et politiques, notamment en faveur des droits des femmes.

C. L’activisme digitale comme horizon ?

Dans le cas des podcasts natifs audios, les revendications qu’ils peuvent éventuellement émettre sont donc exprimées essentiellement en ligne. Nous avons donc cherché à voir s’il était possible de leur apposer la notion de « médiactivisme » (1). Nous avons également pu observer qu’entre les animatrices des podcasts de notre corpus, les niveaux d’engagement sont loin d’être identiques, en tout cas dans leur expression (2), mais il y a quand même des points communs importants dans l’action de celles qui se rapprochent du militantisme (3).

1. La notion de « médiactivisme » à l’épreuve des podcasts natifs audios La difficulté d’accès aux médias généralistes pour certaines voix et d’avoir la liberté d’y exprimer les idées qui leur semblent importantes seraient à l’origine de la création d’une partie des podcasts natifs audios. Ceux-ci ont en effet l’intérêt de permettre une grande liberté de ton et de propos aux personnes qui les lancent. Dominique Cardon et Fabien Granjon désignent par le néologisme « médiactivisme » « les mobilisations sociales progressistes qui orientent leur action collective vers la critique des médias dominants et/ou la mise en œuvre de dispositifs alternatifs de production d’information »177. Cette critique peut prendre différentes orientations dont l’une nous intéresse particulièrement. Il s’agit de la critique « expressiviste » qui dénonce « la réduction de la couverture des éléments par les médias centraux aux seules activités des acteurs dominants », tout en revendiquant un « élargissement des droits d’expression des personnes en proposant des dispositifs de prise de parole ouverts. »178 Au sens de cette définition, nous avançons l’idée selon laquelle les podcasts natifs que nous avons étudiés peuvent être considérés à certains égards comme des supports médiactivistes. En effet, beaucoup se sont construits en réaction à l’impossibilité pour les femmes de s’exprimer dans les médias généralistes, du moins sans que leur rôle soit stéréotypé, et de se sentir convenablement 177 CARDON Dominique et GRANJON Fabien. Médiactivistes. Paris, Presses de Sciences Po, 2010, p. 8 178 ibid., p. 11

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représentées. En remettant au centre du dispositif médiatique le témoignage, les podcasts natifs de notre corpus permettent à des voix peu écoutées voire invisibilisées par les médias généralistes (les femmes de « province » dans Café Simone, les femmes afro-françaises dans Thé noir…), de pouvoir s’exprimer. Bien que dépendant du choix opéré par l’animatrice, cette prise de parole peut être considérée comme relativement ouverte car elle passe régulièrement par des appels à témoignages.

Les médias alternatifs ont toujours entretenu un « rapport d’intimité avec les technologies » mais Internet a signifié pour eux un réel bouleversement : « l’arrivée d’internet constitue un contexte nouveau, dans la mesure où il ne se contente pas de faciliter la production d’informations numériques, mais rend aussi possible leur diffusion, et ce à moindre coût. »179 Parallèlement, cela a aussi été le cas du féminisme dont une partie des militantes a su trouver une manière de revendiquer ses ambitions sociétales via cette nouvelle technologie.

Ainsi, si l’arrivée d’Internet a permis l’existence du podcast natif et l’écoute différée des podcasts radios, il a aussi eu une grande influence dans la médiatisation des mouvements féministes. En effet, comme nous l’avions vu plus tôt, la troisième vague du féminisme s’est emparée d’Internet pour faire passer ses messages180. Pour Claire Blandin, « les nouvelles générations féministes trouvent dans les nouvelles technologies une réponse à leur attente d’un militantisme moins hiérarchisé »181.

Avec Internet, les pratiques féministes semblent s’individualiser, dans le sens où être membre d’une association n’est plus le passage quasi obligé du militantisme. Il est facile de diffuser des idées féministes sans appartenir à un mouvement ou un collectif. Les nouvelles technologies présentent différents intérêts pour le féminisme comme l’interactivité, la diversité des supports ou encore bien évidemment la dimension communautaire182.

Précisons que le « web apparaît comme une caisse de résonance complémentaire, mais tout à fait connectée à l’ensemble du paysage médiatique, et située au cœur de l’espace public. »183 Ainsi, des événements qui se déroulent dans l’espace public peuvent être repris sur Internet. Nous l’avons vu avec #MeToo où le tweet initial de l’actrice états-unienne Alyssa Milano a donné naissance au hashtag et a engendré 12 millions de tweets en 24 heures184, alors même qu’elle se référait à des faits qui s’étaient passés dans la « vie réelle ». Il y a donc une vraie continuité entre l’espace en ligne et l’espace hors ligne qui ne sont pas exclusifs l’un de l’autre, voire qui semblent même parfois se renforcer mutuellement185.

2. Des niveaux d’engagement contrastés Toutes les animatrices de podcasts ne voient pas forcément celui-ci comme un acte d’engagement.

De plus, même parmi celles qui le voit comme tel, le niveau d’engagement n’est pas forcément le même. Ainsi, Fiona Moghaddam, qui a créé Paroles d’Elles, annonce dès le début du premier 179 CARDON Dominique et GRANJON Fabien, op. cit., p. 12 180 BLANDIN Claire. « Présentation. Le web : de nouvelles pratiques militantes dans l’histoire du féminisme ? », op. cit., p. 9 181 ibid., p. 11 182 ibid., p. 12 183 ibid., p. 14 184 POIRIER COURBET Lise, op. cit., p. 42 185 BERTRAND David, op. cit., p. 249

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épisode que son podcast est le résultat de son engagement féministe : « Cela fait plusieurs années que je me demande comment traduire mon engagement féministe en action, comment apporter mon grain de sel à ce chantier titanesque de l’égalité. La réponse était là, évidente, sous mes yeux, mais il a fallu du temps pour la trouver. Le mouvement Me Too n’a fait que me persuader qu’il était temps d’agir. Alors après plusieurs mois de réflexion, de discussion, je vous présente aujourd’hui Paroles d’Elles »186

Pour sa part, La Menstruelle se positionne dès la description en ligne du podcast dans le mouvement de l’activisme menstruel, un mouvement qui cherche à rendre visible le thème des menstruations dans l’espace public, aussi bien pour dépasser le tabou, que pour lutter contre la précarité menstruelle ou l’endométriose par exemple : « […] pour apporter notre petite pierre à l’édifice de cette grande entreprise qu’est l’activisme menstruelle ! »187

Bien qu’ils ne soient pas caractérisés ouvertement comme étant le fruit d’un engagement, certains podcasts citent tout de même le militantisme et l’engagement dès la présentation de leur podcast, comme Entre nos lèvres (« On parlera d’éducation, de genre, d’amour, de rapports au corps, de société surtout, de féminisme, d’engagement. »188 ou La Poudre (« On parlera de politique, de militantisme »189). D’une certaine manière, ils placent leur podcast dans la lignée de ces thématiques. Pour d’autres, différents indices recueillis au cours du podcast nous laissent penser que l’activisme, notamment féministe, y revêt une place importante. C’est par exemple le cas de Sois gentille, dis merci, fais un bisou, un podcast de portrait qui s’articule autour de plusieurs questions rituelles, dont : « La 1ère fois que tu as défendu une idée ? », « Le jour où tu as pris conscience de ta voix ? » ou encore « Le jour où tu as eu l’impression de faire bouger les lignes ? ».

En outre, plusieurs podcasts ont traité des événements en rapport avec le féminisme, notamment à la manifestation Nous Toutes, organisée le samedi 24 novembre 2018 par le collectif du même nom et pour dénoncer les violences faites aux femmes. Paroles d’Elles a fait un épisode dessus190 tandis que Un podcast à soi a réalisé un reportage sonore sur cette marche diffusé à la fin d’un épisode191.

Si à part quelques podcasts natifs dont la visée engagée est indiquée très clairement, en général, en écoutant un podcast, nous pouvons seulement récolter des indices sur la volonté ou non de l’animatrice de l’utiliser comme un support d’engagement. Cependant, les entretiens menés nous ont permis d’aller beaucoup plus loin dans la nuance et de voir comment les animatrices envisageaient cet engagement même lorsque celui-ci n’était pas explicite.

La créatrice de Café Simone, Alicia Cosculluela, ne sait pas forcément si son podcast est engagé car il traite de différentes thématiques mais « dans la forme il est engagé par essence parce que donner la parole aux femmes, leur offrir un espace de qualité, c’est pas si, en général c’est pas si encore courant que ça ». Si dans le fond, l’engagement n’est pas forcément évident, le fait de créer un espace de parole aux femmes, a fortiori des femmes dont on n’a encore moins l’habitude d’entendre 186 Paroles d’Elles, Épisode 1 « Pour une mode féministe », 0h15, 27 mai 2018, à partir de 00:07 187 Compte Ausha de La Menstruelle. Disponible sur : https://podcast.ausha.co/la-menstruelle (Dernière consultation le 20 août 2019) 188 Entre nos lèvres, Bande annonce, 0h05, 28 juin 2018 189 La Poudre, Bande annonce, 0h03, Nouvelles Écoutes, 3 novembre 2016 190 Paroles d’Elles, Épisode spécial « #NousToutes », 0h21, 26 novembre 2018 191 Un podcast à soi, Épisode 13 « Entre femmes », 0h67, Arte Radio, 5 décembre 2018

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la voix, est à lui seul un acte qui pourrait être considéré comme engagé puisque revendiquant le droit des femmes à s’exprimer en quelque sorte. Si nous suivons ce raisonnement, la grande majorité des podcasts natifs de notre corpus est engagé, du moins par leur forme, puisqu’ils laissent la parole aux femmes.

Cependant, ce n’est pas forcément la volonté de toutes les animatrices. Ainsi, lors de notre entretien, Néné nous a précisé ne pas faire le podcast Thé Noir « pour porter un acte militant »192. D’ailleurs, sur les cinq animatrices que nous avons eu l’opportunité d’interroger, c’est la seule qui ne se définisse pas comme féministe. Cela n’empêche pas que ce podcast ait été créé « par des Afro-françaises, pour des Afro-françaises », donc pour ouvrir un espace de parole pour les femmes, les femmes Afro-françaises. Nous voyons donc à nouveau que recourir à la notion d’ « espace de la cause des femmes » est utile car il permet de dépasser la division « féministe »/« non féministe ».

3. Des profils militants particuliers Lorsque les animatrices considèrent leurs podcasts comme engagés, nous observons que leur profil est assez particulier. Il ne s’agit pas vraiment de militantes ayant fait leurs classes dans les associations féministes (« Osez le Féminisme », « Femen », « Ni putes, ni soumises »…). Parmi les animatrices que nous avons rencontrées, seule Laura Fernandez Rodriguer fait partie d’une association, Prenons la Une, qui une association de femmes journalistes.

Or, créer leur podcast a été semble-t-il une façon pour elles de s’engager. Ainsi, Alicia Cosculluela de Café Simone nous a déclaré : « c’est ma manière de m’engager dans le féminisme en fait, c’est ma façon d’être féministe »193, tout en précisant que même si elle trouvait important que des féministes fassent des manifestations, ce n’était pas sa façon à elle de faire avancer les choses. De son côté, Lisa Melia nous a expliqué que La Menstruelle était en quelque sorte son seul engagement concret car le journalisme lui prenait trop de temps « pour faire les choses correctement », d’autant plus qu’elle était obligée de se déplacer beaucoup pour son travail. Elle n’est pas sûre non plus « d’avoir envie de [s]’engager dans du militantisme associatif »194. Pour Fiona Moghaddam de Paroles d’Elles, si elle avait éventuellement songé faire partie d’une association, elle n’avait jamais franchi le pas. La découverte du podcast natif lui a permis de mettre ses compétences à contribution du féminisme : « je pense que c’est pour ça qu’est né mon podcast, parce que j’avais envie de faire quelque chose et je ne savais pas quoi faire et je me suis dit « Mais finalement ton métier, ton métier c’est journaliste, t’as plein d’idées de reportage, t’as plein d’envies que t’as jamais faites et cetera, donc euh, la solution elle est là quoi » »195

Elle nous précisera ne pas avoir « l’impression d’avoir un militantisme féroce » car elle ne participe pas à toutes les manifestations féministes et ne réagit pas à toutes les situations sexistes. Pour les animatrices que nous avons rencontrées, les actions classiques de militantisme telles que le bénévolat dans une association ou la participation à des manifestations ne sont donc pas forcément celles qui s’adaptent le mieux à leur vie et à leurs envies. Elles ont su trouver, dans les caractéristiques du podcast natif, une façon de mettre en pratique leurs engagements.

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Entretien avec Néné réalisé par l’autrice le 10 août 2019 Entretien avec Alicia Cosculluela réalisé par l’autrice le 7 juillet 2019 Entretien avec Lisa Melia réalisé par l’autrice le 27 juin 2019 Entretien avec Fiona Moghaddam réalisé par l’autrice le 5 août 2019

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Nous avions déjà remarqué que beaucoup de ces animatrices avaient un discours très construit.

Elles savent souvent magner le langage féministe et intersectionnel, connaissent les travaux de nombreuses autrices féministes et s’informent des nombreuses problématiques qui touchent les femmes et les minorités en général. La plupart se considèrent féministes depuis l’enfance ou l’adolescence et certaines ont même réalisé des travaux universitaires en lien avec ces questions : Lisa Melia sur le féminisme musulman, Laura Fernandez Rodriguez sur l’histoire des femmes dans l’émission « 2000 ans d’Histoire » sur France Inter.

Une question nous a alors intéressée : comment sont-elles passées de la théorie à l’action ? Laura Fernandez Rodriguez, co-créatrice de La Bougeotte, nous a ainsi expliqué que sa relation au militantisme féministe avait donc été d’abord universitaire, théorique, mais qu’elle avait fini par se dire qu’elle aussi voulait faire quelque chose. Pourtant, cela lui a pris du temps et c’est grâce au podcast natif qu’elle a pu mettre en œuvre cette volonté : « Et après il y a eu, il y a eu un shift, et je me suis dit que moi aussi, enfin voilà, je voulais sortir d’un registre uniquement d’apprentissage, et que je voulais faire quelque chose, mais ça m’a pris du temps, ça m’a, ça m’a, ça m’a vraiment pris du temps, et le podcast c’est un, c’est un mix parfait pour pouvoir, je trouve, transformer ce rapport-là et passer à quelque chose de plus, où la production, enfin de fait est active, puisque tu produis quelque chose »196

En fait, pour ces animatrices-là, le podcast a été un véritable outil leur permettant de passer de la théorie à l’action, de mettre en pratique leurs convictions et de trouver la légitimité à le faire. Par son accessibilité et la liberté qu’il procure, il a permis à des femmes de se l’approprier et de faire entendre ce qu’elles voulaient faire entendre.

Un podcast natif audio ne peut que difficilement être considéré sans la communauté qu’il réunit autour de lui. Celle-ci est en général multi-canale, elle s’organise grâce à des supports en ligne et hors-ligne, même si les réseaux sociaux constituent les supports les plus plébiscités. Cette communauté est bien sûr utile pour la notoriété du podcast, elle lui permet également de créer des interactions avec les auditrices et auditeurs et de rassembler autour d’expériences communes. Loin d’être anodine, cette publicisation des vécus permet aux femmes de se rendre compte qu’elles ne sont pas seules, voire d’émettre des revendications. Si tous les podcasts de notre corpus ne se définissent pas comme militants, force est de constater qu’un certain nombre est traversé par l’activisme digital et met en avant des profils de militantes particuliers.

Le podcast natif audio crée donc un espace de parole élargi pour les femmes, qui va au-delà du contenu sonore. Or, cet espace de parole, qui peut paraître à première vue comme tout à fait bénéfique, est cependant menacé par plusieurs limites.

196 Entretien avec Laura Fernandez Rodriguez réalisé par l’autrice le 5 août 2019

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III. Un espace de parole imparfait : quelles limites du podcast natif audio pour la cause des femmes ?

L’espace de parole pour les femmes que façonnent les podcasts natifs audios est mis à l’épreuve par plusieurs facteurs. Parmi eux, nous pouvons citer ce qui ressemblerait à une certaine homogénéité sociale dans la création et l’usage de ce format (A), mais aussi des menaces liées aux possibles fragmentations et récupérations publicitaires de podcasts natifs (B). Enfin, nous nous interrogerons sur le discours laudatif qui entoure actuellement le podcast natif audio (C).

A. Entre espace à soi et entre soi : une tendance à l’homogénéité sociale ?

En étudiant les profils des animatrices des podcasts de notre corpus (1), mais aussi ceux des invitées des podcasts de portrait (2) et enfin les chiffres d’audience des podcasts natifs audios que nous avons pu trouvés ou qu’on nous a transmis (3), nous nous rendons compte que les podcasts ouvrant un espace de parole pour les femmes sont créés et s’adressent à des publics particuliers.

1. Le cas des animatrices Avant de rentrer dans les détails, il nous semble important de développer notre approche. Pour dresser un profil-type, nous avons étudié les profils des animatrices des 15 podcasts composant notre corpus, c’est-à-dire 37 personnes197. Nous avons inclus les personnes ayant arrêté entre temps de participer au podcast (elles sont trois), et celles n’étant pas présentes à chaque épisode (c’est le cas pour Quoi de Meuf et Flux notamment, pour lesquels les animatrices alternent).

Les informations récoltées proviennent en général soit de ce que nous ont dit les personnes que nous avons interrogées, soit des pages Linkedin des animatrices, soit, mais c’est plus rare, d’interviews que certaines ont donné à des médias.

Pour plusieurs des animatrices, nous avons estimé l’âge à partir des dates d’obtention de diplôme (18 ans pour le Baccalauréat, 21 ans pour une Licence, et cetera). Lorsque c’est le cas, nous l’avons précisé en indiquant un âge « environ » et en expliquant le raisonnement entre parenthèses dans le tableau en annexe198. L’âge indiqué est alors surtout indicatif, à deux ou trois ans près. A noter cependant que lorsque les indices étaient trop faibles, nous avons préféré ne rien noter. C’est d’ailleurs le cas pour les autres paramètres étudiés. Dans le doute, nous avons toujours choisi de ne rien indiquer.

Nous aurions pu nous intéresser à la couleur de peau, à la religion ou encore à l’orientation sexuelle des animatrices pour essayer également de voir si leurs profils étaient représentatifs de la population globale mais nous y avons renoncé et ce pour plusieurs raisons. D’une part, des raisons pratiques puisqu’il peut être difficile d’avoir ces informations et les statistiques notamment raciales sont illégales en France. D’autre part, bien sûr, des raisons morales : il nous semblait abusif de creuser à ce point dans l’intimité des personnes concernées. Nous avons donc choisi de nous limiter à l’âge, au diplôme et à la profession des animatrices, des informations peu controversées et largement 197 Pour voir le profil de chaque animatrice, consulter : « Annexe III. Profils des animatrices » 198 ibid.

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suffisantes pour étayer nos arguments.

Quel est donc le profil-type des animatrices de notre corpus ? Tout d’abord, la grande majorité d’entre elles ont entre 25 et 34 ans. Dans cette tranche d’âge, nous comptabilisons 25 animatrices sur les 34 dont nous avons pu évaluer l’âge, ce qui représente près des trois quarts des animatrices pour lesquelles nous avons un âge certain ou approximatif. Or, les 25-34 ans représentent seulement 11,6 % de la population féminine française en 2019 selon l’INSEE199.

En outre, seuls 32,8 % de cette même tranche d’âge avaient un diplôme au moins égal à un Bac+2 en 2018200. Absolument toutes les animatrices pour lesquelles nous avons pu avoir accès au parcours scolaire, c’est-à-dire 30 sur 37, ont un diplôme au moins égal à un Bac+2. Parmi elles, 2 ont un Bac+2, 3 un Bac+3, 4 un Bac+4 et 21 un Bac+5. Cela signifie que 70 % des animatrices dont nous connaissons les diplômes ont au moins un Master. Or, en 2014, seuls 15,3 % des 25-34 ans étaient diplômés d’un Master201. Il faut préciser d’ailleurs que beaucoup des animatrices ont certes un Bac+5 mais qui plus est un Bac+5 obtenu dans une Grande école. Au moins 9 animatrices sont ainsi passées par un IEP (Institut d’Études Politiques) dont elles sont ressorties diplômées d’un Bac+5.

L’entrée dans un IEP dépend d’un processus de sélection assez difficile, soit par voie de concours, soit par examen du dossier scolaire.

Figures 2 et 3 : Répartition des animatrices du corpus par tranche d’âge et diplôme

Enfin, nous nous sommes intéressés au lieu non pas de résidence des animatrices, mais d’enregistrement de leurs podcasts, information plus simple à trouver car en général indiquée sur le compte Twitter ou Soundcloud du podcast. Sur les 15 podcasts de notre corpus, 12 semblent être enregistrés à Paris ou du moins en Île-de-France, avec un bémol pour La Bougeotte dont l’une des animatrices, Daisy Lorenzi, réside aujourd’hui en Iran et enregistre sa voix depuis làbas. En 2019, environ 12,2 millions de personnes résideraient en Île-de-France pour près de 67 199 INSEE, Population par sexe et groupe d'âges en 2019. Disponible sur : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381474 (Dernière consultation le 20 août 2019) 200 INSEE, Diplôme le plus élevé selon l'âge et le sexe en 2018. Disponible sur : https://www.insee.fr/fr/ statistiques/2416872 (Dernière consultation le 20 août 2019) 201 Ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, Le niveau d’études de la population et des jeunes. Disponible sur : https://publication.enseignementsup-recherche.gouv.fr/eesr/10/EESR10_ES_20-le_ niveau_d_etudes_de_la_population_et_des_jeunes.php (Dernière consultation le 20 août 2019)

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millions d’habitants en France (métropolitaine et DOM)202 . Cela représente 18,2 % de la population française. La quantité de podcasts enregistrés à Paris semble alors disproportionnée. Les podcasts non franciliens sont Café Simone enregistré à Annonay en Ardèche, YESSS à Marseille et La Menstruelle en général à Lille bien que ses animatrices soient réparties en différents points de la France (Paris, Lille, Normandie, Creuse notamment).

Entre 25 et 34 ans, surdiplômée et plutôt francilienne, le profil-type de notre animatrice de podcast natif n’est pas très représentatif de la population française. De plus, il est frappant de constater qu’une grande majorité de ces animatrices est journaliste : 21 sur les 35 profils professionnels que nous connaissons. Lorsqu’elles ne sont pas journalistes, elles travaillent en général dans le milieu de la communication, de l’audiovisuel, du digital ou de l’informatique (8 d’entre elles), des professions que nous imaginons comme plus à l’aise avec l’univers numérique, et donc du podcast natif.

Bien sûr, cette surreprésentation des 25-34 ans peut s’expliquer par le fait qu’il s’agisse d’une tranche d’âge qui a grandi avec les nouvelles technologies, nous y reviendrons. De plus, la proportion majeure de journalistes parmi les animatrices de podcasts peut s’expliquer en partie par leur formation qui leur permet de maîtriser les outils de la radio, la prise de son et le montage notamment, mais aussi mener une interview. Le costume de journaliste peut parfois être difficile à enlever d’ailleurs. En France, les journalistes ne sont pas censés parler d’eux, or le podcast natif est souvent vanté pour la parole personnelle et la proximité avec l’auditeur qu’il peut générer. Pour Fiona Moghaddam, créatrice de Paroles d’Elles et elle-même journaliste radio, il est difficile de se détacher de son métier. Elle sait par exemple que son intonation reste encore trop sérieuse : « c’est hyper dur d’être soi-même »203.

La surreprésentation des personnes très diplômées et des journalistes parmi les animatrices des podcasts de notre corpus questionne sur qui se sent légitime à prendre la parole. Pour Dominique Cardon et Fabien Granjon, « La valorisation contemporaine de l’autoproduction confère souvent le pouvoir de produire les représentations dans nos sociétés aux plus motivés et aux plus compétents, techniquement et culturellement. »204 Ainsi, même si le podcast natif est un format relativement accessible – la technique est bien moins difficile à maîtriser que celle de la vidéo et le prix du matériel moins prohibitif – il n’empêche que ceux qui se l’approprieront seront en priorité des personnes à fort capital culturel et qui maîtrisent déjà la technologie.

En ce qui concerne le féminisme, l’importance qu’a prise la communication numérique avec l’arrivée d’Internet et notamment du web 2.0 a eu pour conséquence la mise en avant d’un certain profil de militantes : les communicantes, les journalistes ou les graphistes, et de manière générale celles qu’on appelle les digital natives205. Le terme de digital native désigne la génération ayant grandi en même temps que le développement d’Internet. Même si les frontières sont assez floues, en général, il s’agit des personnes nées entre 1980 et 2000. Or, c’est tout à fait la tranche d’âge la plus représentée parmi les animatrices des 15 podcasts qui composent notre corpus, qu’elles se réclament du féminisme ou non.

202 INED, Population par région et département. Disponible sur : https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/chiffres/ france/structure-population/regions-departements/ (Dernière consultation le 20 août 2019) 203 Entretien avec Fiona Moghaddam réalisé par l’autrice le 5 août 2019 204 CARDON Dominique et GRANJON Fabien, op. cit., p. 136 205 JOUËT Josiane, NIEMEYER Katharina et PAVARD Bibia, op. cit., p. 25

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Ce déséquilibre ne touche pas seulement l’univers des podcasts natifs. C’est le cas en général des différents espaces de parole, notamment numériques. Ainsi, Julien Boyadjian a démontré que les personnes qui expriment des opinions politiques sur Twitter ne correspondent pas à la distribution réelle de la population française. Il a observé une surreprésentation des plus jeunes, des hommes et, dans une moindre mesure, des cadres et de professions intellectuelles supérieures tandis que les classes populaires sont sous-représentées206. Pour Julien Boyadjian, « Twitter est un espace de prise de parole politique socialement sélectif ». Pour notre part, nous émettons l’hypothèse que le podcast natif est également un espace de prise de parole socialement sélectif. Il peut s’agir d’une prise de parole politique lorsque les animateurs et animatrices revendiquent une cause – l’égalité entre les femmes et les hommes est revendiquée explicitement par plusieurs des podcasts que nous avons étudiés – mais pas forcément, c’est par exemple Exhale qui souhaite créer un espace pour parler du bien-être des femmes noires.

2. Le cas des invitées Si le profil des animatrices de podcast natif est plutôt homogène, qu’en est-il de leurs sujets ? Des thèmes traités et des personnes invitées ?

Concernant les podcasts qui s’organisent autour de thèmes, il est intéressant de constater qu’un effort est en général fait pour aborder des sujets variés, qui concernent différentes catégories de femmes. L’un des meilleurs exemples est celui d’Un podcast à soi de Charlotte Bienaimé dont voici quelques uns des thèmes traités depuis le début : les femmes cadres, la grossophobie, les nounous et les travailleuses domestiques, les femmes noires, les femmes lesbiennes, les femmes âgées, les femmes sans enfant, la prostitution ou encore les femmes gilets jaunes.

Pour ce qui est des podcasts de portrait, nous avons pris le temps de nous intéresser en détail aux invitées, notamment au travers de deux types de données : l’âge et la profession.

Les podcasts de portrait sont, selon la définition que nous leur donnons, ceux qui s’organisent autour d’un entretien avec un seul invité par épisode en se focalisant notamment sur la vie de celui-ci.

L’important n’est pas l’expertise de l’invité mais bien son parcours de vie. Dans notre corpus, il s’agit des podcasts natifs suivants : La Poudre, Génération XX, Café Simone, Entre nos lèvres et Sois gentille, dis merci, fais un bisou. Nous n’avons pas inclus Paroles d’Elles dans cette étude car, d’une part, le propos dans ce podcast est davantage l’action de l’invitée en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes que son parcours de vie en lui-même et, d’autre part, plusieurs épisodes prennent davantage la forme de reportages et interrogent différents acteurs, ce qui rend difficile une systématisation du traitement des données. Nous avons pris en compte les invitées du podcast Entre nos Lèvres mais pas les quatre invités masculins.

Pour chacun de ces cinq podcasts, nous avons étudié les invitées de tous les épisodes depuis leur création jusqu’au 1er août 2019207, à l’exception des épisodes bonus ou spéciaux (par exemple accueillant plusieurs personnes, un expert ou faisant le portrait d’une animatrice). Cela représente en tout 193 femmes.

206 BOYADJIAN Julien, « Twitter, un nouveau « baromètre de l'opinion publique » ? », Participations, vol. 8, n°1, 2014, pp. 55-74 207 Pour le détail épisode par épisode de chaque podcast, consulter : « Annexe IV. Registre des épisodes »

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Nous avons essayé de classer chacune de ces invitées dans une tranche d’âge. Pour cela, nous avons en général utilisé l’âge ou l’année de naissance de l’invité indiqué en description de l’épisode ou utiliser la même technique que pour les animatrices, c’est-à-dire Linkedin ou les interviews publiées dans les médias. Lorsque nos indices étaient trop vagues, nous avons bien sûr préféré ne rien indiquer du tout. Voici les résultats auxquels nous sommes arrivés :

Figure 4 : Répartition des invitées de 5 podcasts de notre corpus selon la tranche d’âge

Nous voyons bien que la tranche d’âge la plus représentée est clairement celle des 30-39 ans. Si nous considérons seulement les invitées dont nous connaissons la tranche d’âge, soit 157, quasiment une sur deux est trentenaire, alors que les 30-39 ans représentent 12,3 % de la population féminine française208. Les invitées ayant entre 20 et 49 ans constituent pas moins de 92 % des femmes dont nous connaissons la tranche d’âge. Nous remarquons en outre que généralement la tranche d’âge la plus représentée dans un podcast est également celle à laquelle appartient l’animatrice. Lauren Bastide a 38 ans, 52 % des invitées de La Poudre appartiennent à la tranche d’âge 30-39 ans, 30 % à celle des 40-49 ans. Les animatrices d’Entre nos lèvres, Céline Malvo et Margaux Rol, ont environ 28 et 27 ans. Elles font donc partie de la tranche d’âge 20-29 ans comme 9 de leurs 13 invitées.

Même si beaucoup d’efforts semblent être faits par les animatrices pour s’adresser à toutes les femmes, notamment en cherchant à mettre en pratique pour un certain nombre d’entre elles les principes de l’intersectionnalité, il y a quand même parfois une tendance à l’ « endogamie » qui est reconnue par les animatrices elles-mêmes. Selon Laura Fernandez Rodriguez, une partie des témoins de La Bougeotte appartient au cercle social des animatrices : « il y a quand même un côté bulle et un côté endogamie sociale, au sens où c’est des amies, c’est des amies d’amies ou des parentes proches »209

Cette tendance s’explique en partie par la plus grande facilité à trouver des personnes prêtes à 208 INSEE, Population par sexe et groupe d'âges en 2019. Disponible sur : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381474 (Dernière consultation le 20 août 2019) 209 Entretien avec Laura Fernandez Rodriguez réalisé par l’autrice le 5 août 2019

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être interviewées lorsque nous les connaissons, donc lorsqu’elles font partie de notre cercle social.

Bien sûr, La Bougeotte n’est pas réellement un podcast de portrait, mais nous pouvons retrouver cette tendance parmi d’autres podcasts natifs, comme par exemple Sois gentille, dis merci, fais un bisou. Nous avons ainsi comptabilisé au moins 12 invitées (sur 42) qui ont un lien avec la rédaction de MadmoiZelle : salariée, ex-salariée, participante à des événements du magazine (One Mad Shows), relayée historiquement par le magazine ou encore à l’affiche d’un film dont la rédaction est partenaire. Un appel a tout de même été lancé par Clémence Bodoc, l’animatrice, à la fin de l’épisode 37 diffusé en février 2019 où elle précise qu’elle ne veut pas inviter que des personnes connues, que ce qui l’intéresse c’est d’avoir des parcours, donc que si une auditrice pense avoir des choses intéressantes à raconter, elle peut lui envoyer un mail210. Mais entre temps Clémence Bodoc a quitté MadmoiZelle et le podcast n’a pas continué, si bien que nous ne pourrons pas vérifier si ce souhait allait être mis en pratique.

Ensuite, nous avons classé les invitées en fonction de leur profession en mettant en place plusieurs catégories : athlètes, femmes politiques, journalistes, artistes, entrepreneuses et activistes. La catégorie « artistes » regroupe aussi bien les personnes du monde de la musique (chanteuses, musiciennes), du cinéma (actrices, réalisatrices, scénaristes), de la littérature (autrices, poétesses), de la photographie et des arts plastiques (peintres, illustratrices, graphistes). Nous avons incluons dans la catégorie « activistes » seulement les personnes invitées en premier lieu pour leur activisme.

Nous n’avons pas incluses les invitées d’Entre nos lèvres puisque leur profession n’était pas spécifiée. Le total des profils étudiés est donc de 180.

Figure 5 : Répartition des invitées de 4 podcasts de notre corpus selon la profession

Le résultat est assez probant car la majorité des invitées relèvent de la catégories « artistes », elles sont 71 sur 180. Elles sont également très nombreuses à être entrepreneuses. Cela s’explique en raison de la prise en compte dans cette étude du podcast Génération XX dont le propos est d’interviewer essentiellement des entrepreneuses. Ainsi, 51 des 53 entrepreneuses de l’étude 210 Sois gentille, dis merci, fais un bisou, Épisode 37 « Vanessa Brias », 1h17, MadmoiZelle, 20 février 2019, à partir de 1:15:40

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sont des invitées de ce podcast. Pour certains podcasts, le déséquilibre est encore plus marqué concernant la surreprésentation des artistes. Ainsi, sur les 56 invitées de La Poudre, 34 ont pu être rattachée à la catégorie « artistes », c’est plus de 60 % des invitées. Pour Sois gentille, dis merci, fais un bisou, la proportion est quasiment identique avec 25 artistes pour 42 invitées au total. Nous voyons donc que les invitées appartiennent généralement à des catégories très marquées de la population.

Pendant le Paris Podcast Festival, Lauren Bastide de La Poudre confiait ainsi qu’inviter des personnes connues pouvait être stratégique pour le podcast : « J’essaye d’avoir effectivement parfois des femmes qui sont identifiées médiatiquement, qui vont attirer une audience, voilà qui vont attirer les projecteurs à elles […] C’est vraiment ça un peu l’astuce de La Poudre, c’est-à-dire voilà de se dire qu’en mettant des paroles de femmes visibles dans les oreilles des femmes, je leur mets aussi derrière des paroles de femmes moins évidentes. »211

Même si certaines invitées de La Poudre sont bien plus sous les feux des projecteurs que d’autres, il n’empêche qu’il s’agit toujours de personnages médiatiques. Seul le niveau de notoriété change.

D’ailleurs, Alicia Cosculluela a créé Café Simone un peu en réaction, pour faire entendre des voix quasiment jamais médiatisées : « j’écoutais à l’époque La Poudre de Lauren Bastide [...] Mais au bout d’un moment je me disais «C’est chouette, mais en fait c’est que des célébrités, la plupart du temps des Parisiennes » et qui parlent de la province de manière assez, qui moi me convenait pas, je ne me retrouvais pas làdedans. »212

Le profil des invitées ressemblent donc beaucoup à celui des animatrices en terme d’âge : les trentenaires, notamment, sont surreprésentées. Concernant la profession, une grande partie des invitées peuvent être qualifiées d’ « artistes », et sont souvent déjà médiatisées.

3. Le cas des auditrices et auditeurs Même si notre travail de recherche ne porte pas sur la réception, il nous semblait important d’avoir une idée du profil des auditeurs et auditrices. Ce profil est-il aussi relativement homogène que celui des animatrices et, dans une moindre mesure, que celui des invitées ?

Il faut savoir que les études d’audience des podcasts natifs sont encore très récentes et pas aussi développées que celles de la télévision ou de la radio en direct par exemple. En s’intéressant aux études publiées par Médiamétrie, il est tout de même possible d’avoir quelques indices sur le public.

Fin mars 2019, un de leurs communiqués de presse indiquait que « Les publics des offres de 211 Reportage « Le féminisme dans le podcast par Ombeline Degermann » [Enregistrement audio], 0h03, Paris Podcast Festival, 22 octobre 2018, à partir de 02:16. Disponible sur : https://podcast.ausha.co/paris-podcast-festival/ enrobe-feminisme (Dernière consultation le 22 août 2019) 212 Entretien avec Alicia Cosculluela réalisé par l’autrice le 7 juillet 2019

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streaming musical, de podcasts natifs et de livres audio sont souvent plus jeunes que la moyenne, plus CSP+, et dans certains cas, plus franciliens. Ces contenus audios attirent des publics proches de ceux de la radio en replay. »213 En juin de la même année, Médiamétrie confirmait que le podcast natif suscitait un engouement croissant chez les plus jeunes puisque 12,4% des jeunes entre 13 et 34 ans en écouteraient chaque mois214, contre 6,6 % de l’ensemble des internautes215.

Plus jeune, plus CSP+ et plus franciliens, le public du podcast natif n’est donc pas non plus représentatif de la population française. Qu’en est-il du public des podcasts de notre corpus ?

N’ayant pas accès aux statistiques de l’ensemble de ces podcasts, nous nous focaliserons sur les données transmises par les animatrices que nous avons rencontrées.

Tout d’abord, et c’est peu étonnant, les animatrices nous ont toutes dit que leur communauté est composée en majorité de femmes. 92 % des personnes qui suivent le compte Instagram de Café Simone sont par exemple des femmes216.

Pour ce qui est de l’âge, les animatrices nous ont indiqué entretien que leur public était généralement jeune selon leur souvenir : autour de « 25-30 ans » pour le Thé Noir, « moins de 35 ans » pour Paroles d’Elles, entre 16 et 40 ans en étant « hyper large » pour La Bougeotte. Sur Instagram, 54 % des personnes qui suivent Café Simone ont entre 25 et 34 ans. En ajoutant les 18-24 et les 35-44, nous arrivons à 92 % des followers. Bien sûr, pour Instagram il existe un biais numérique puisque cette plateforme est surtout investie par les plus jeunes. Néanmoins, la surreprésentation des 25-34 ans parmi les personnes qui suivent le compte Instagram est intéressante.

L’Île-de-France arrive en tête des régions dans lesquelles ces podcasts sont le plus écoutés. Même si c’est assez logique car c’est la région la plus peuplée de France, lorsque nous nous intéressons plus en détail aux chiffres d’écoute, nous découvrons quand même une surreprésentation des auditeurs parisiens ou franciliens. Pour La Bougeotte, entre le 18 juillet et le 16 août, les écoutes cumulées depuis les régions Auvergne-Rhône-Alpes, Nouvelle-Aquitaine, Bretagne, Pays de la Loire et Occitanie n’atteignent même pas les deux tiers de celles qui ont eu lieu en Île-de-France, alors qu’ensemble ces cinq régions accueillent 40,3 % de la population française en 2019, contre 18,2 % pour l’Île-de-France217. Plus d’un tiers des écoutes de Paroles d’Elles sont situées à Paris selon Soundcloud. Pour Café Simone, les trois villes principales dans lesquels résident les personnes qui suivent le compte du podcast sur Instagram sont Paris, bien sûr, mais ensuite Lyon et Annonay, signe probablement de l’importance du bouche-à-oreille dans la notoriété d’un podcast mais aussi du besoin qu’ont les individus de se sentir représentés.

L’appartenance à la catégorie CSP+ est cependant difficile à vérifier. Par contre, sur un autre registre, plusieurs animatrices nous ont dit qu’il leur semblait que leurs auditrices étaient davantage engagées que la moyenne. Selon Laura Fernandez Rodriguez, le public de La Bougeotte était déjà 213 Médiamétrie, Global Audio, 26 mars 2019. Disponible sur : https://www.mediametrie.fr/fr/global-audio-0 (Dernière consultation le 25 août 2019) 214 Médiamétrie, Les jeunes, fans d’audio, 26 juin 2019. Disponible sur : https://www.mediametrie.fr/fr/les-jeunes-fansdaudio (Dernière consultation le 25 août 2019) 215 Médiamétrie, Global Audio, 26 mars 2019. Disponible sur : https://www.mediametrie.fr/fr/global-audio-0 (Dernière consultation le 25 août 2019) 216 Selon les données transmises par Alicia Cosculluela à l’autrice le 17 août 2019 217 INED, Population par région et département. Disponible sur : https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/chiffres/ france/structure-population/regions-departements/ (Dernière consultation le 20 août 2019)

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féministe, en grande partie, avant de découvrir le podcast : « a priori on touche que des converties, enfin on prêche pas, on prêche pas pour convaincre des femmes d’être féministes parce que je pense que la plupart qui nous écoutent le sont déjà. »218

Eugenia Siapera parle de « bulle filtrante » pour désigner « le type d’environnement souvent créé par les réseaux sociaux, où les utilisateurs n’aiment que ceux qui leur ressemble »219. Les réseaux sociaux en sont en effet l’exemple parfait puisque le travail à la fois des algorithmes et leur tendance à l’homophilie fait que les internautes finissent par n’être confrontés qu’à ce qui leur plaît, ce qui correspond à leurs goûts. Ils se retrouvent donc dans une sorte de bulle qui les empêche de découvrir des initiatives ou des points de vue différents des leurs et de ceux auxquels ils sont habitués. Nous pouvons donc nous demander s’il n’en est pas de même pour les podcasts natifs, d’autant plus que leur notoriété passe en partie par les réseaux sociaux. Par ce phénomène, les personnes qui découvrent un podcast natif portant des valeurs féministes seraient déjà des individus se reconnaissant dans ces valeurs-là. Probablement d’ailleurs, en entendraient-ils parler par un influenceur qu’ils suivent sur un réseau social ou par la publication d’un ami. Ce phénomène pourrait donc expliquer que les auditrices des podcasts que nous avons étudiés aient un profil aussi marqué et même, par certains égards, homogène. L’espace de parole que crée le podcast natif serait alors un espace nécessaire pour ce type de public, mais qui resterait assez restreint. Nous retombons alors sur la notion de communauté : les podcasts natifs se construiraient autour d’une ou de plusieurs animatrices ayant des valeurs particulières, créant un espace pour pouvoir les exprimer, et attirant les personnes qui adhéreraient à ces mêmes valeurs.

Même si le podcast natif audio est un média favorable à la prise de parole féminines voire féministes, cette prise de parole reste circonscrite à des profils particuliers : entre 25 et 34 ans, franciliennes et souvent privilégiées économiquement. Les animatrices sont souvent journalistes ou communicantes, les invitées artistes et déjà médiatisées. De plus, le discours pour la cause des femmes que porte un certain nombre de podcasts se retrouve possiblement menacé à la fois par la fragmentation des podcasts et le « women washing ».

B. Un discours pour la cause des femmes audible mais menacé : entre fragmentation et « women washing » Comme nous l’avons dit plus tôt, les podcasts de notre corpus peuvent tous être rattachés à la notion d’ « espace de la cause des femmes ». Cependant, nous remarquons certaines menaces qui pourraient éventuellement déstabiliser l’espace de parole pour les femmes que crée chaque podcast natif. Ces menaces pourraient se matérialiser en une fragmentation du discours que veulent porter certains de ces podcasts en raison de leur division en une myriade de contenus différents (1), mais 218 Entretien avec Laura Fernandez Rodriguez réalisé par l’autrice le 5 août 2019 219 SIAPERA Eugenia. « Chapitre 8. Les dilemmes du journalisme : les défis d’internet pour le professionnalisme et la pérennité des médias », Onur Andreotti éd., Le journalisme à l’épreuve. Menaces, enjeux et perspectives. Conseil de l'Europe, 2016, p. 269

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elles pourraient également être générées par le comportement d’entreprises qui ont vu dans ces podcasts un potentiel pour améliorer leur image de marque (B).

1. Une tendance à la fragmentation ?

Tout d’abord, nous l’avons vu, les podcast natifs créant un espace de parole pour les femmes et/ ou féministes se sont démultipliés ces dernières années en France. Nous en avons comptabilisé au moins 50. D’ailleurs, nombreux sont les supports numériques féministes : il y des newsletters, des comptes Instagram, des chaînes YouTube… Ils se comptent parfois par dizaines. De manière générale, nous sommes face aujourd’hui à une offre médiatique inégalée à la fois par son volume et sécable dans sa consommation. Cette surcharge informationnelle, ou « infobésité », peut avoir des conséquences sur la personne qui est confrontée à un torrent continu d’informations provenant de nombreuses sources différentes220. Ce phénomène s’applique en partie pour les podcasts natifs puisqu’il est possible d’écouter seulement les épisodes qui nous intéressent et que la quantité de ces épisodes représentent des milliers d’heures d’écoute possible. Difficile alors de tous les écouter, de tous les suivre et de s’impliquer dans chaque communauté développée autour. Or, cette profusion de podcasts peut être mise en parallèle avec une tendance dans les mouvements féministes actuels.

Ainsi, c’est « une myriade de groupes et associations à visée pédagogique et à caractère participatif [que l’on voit proliférer], et qui se font écho sur la toile »221. Pour Élodie Chazalon, ces nouveaux groupes et réseaux féministes émergents relèvent du modèle rhizomique222, c’est-à-dire qu’ils sont organisés sous forme de réseaux, aux multiples connexions. Ce sont des mouvements pluriels, hétérogènes et libérés de tout hiérarchie. Les individus qui s’en occupent sont à la fois auteurs et acteurs de ces nouveaux médias et moyens de communication.

Cette tendance peut même mener à la fragmentation, qui est un risque si l’on veut garder un message clair, unifié et percutant. Comme dans chaque mouvement militant, les points de divergence ont à peu près toujours existé au sein du féminisme. Dans les années 1970 par exemple, les féministes matérialistes s’opposaient aux féministes différentialistes car les premières considéraient que la différence sexuelle était le produit d’une hiérarchie sociale et devrait être abolie, tandis que les secondes, influencées par la psychanalyse, pensaient que cette différence restaient constitutive de l’identité féminine223.

Pour Guy Bouchard, cette fragmentation est l’une des caractéristiques principales du féminisme : « il se fragmente non seulement sur le plan théorique, en fonction des diverses conceptions de l’oppression et de la manière d’y mettre fin, mais aussi sur le plan empirique, en fonction de la dispersion temporelle et géographique des groupes qui s’en réclament » 224

Cependant, pour Cristina Ion, depuis les années 1990, un nouveau seuil aurait été franchi et le féminisme de la seconde vague semblerait éclater en de multiples courants, souvent hétérogènes.

220 CHABIN Marie-Anne. « Infobésité et big data : ne pas confondre ! », Documentaliste-Sciences de l'Information, vol.

51, n°4, 2014, p. 23 221 CHAZALON Élodie. « Femmes et féminisme(s) en représentation(s) », Revue française d’études américaines, vol.

158, n°1, 2019, p. 10 222 ibid., p. 11 223 ION Cristina. « Du féminisme aux féminismes », Cités, vol. 73, n°1, 2018, p. 15 224 BOUCHARD Guy. « Typologie des tendances théoriques du féminisme contemporain », Philosophiques, vol. 18, n°1, 1991, pp. 120-121

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Des champs de tension seraient apparus sur de nombreux sujets importants : la sexualité, la prostitution, la religion, les questions raciales, LGBTIQ+ ou encore la question de la mixité et de la non-mixité. Ce sont autant de thèmes, non exhaustifs, sur lesquels peuvent se diviser les mouvements féministes225.

La fragmentation du féminisme fait écho à la profusion de podcasts natifs que nous avons rencontrés et qui créent tous leur propre communauté. Évidemment ces communautés ne sont pas étanches les unes par rapport aux autres et les animatrices mettent régulièrement en avant le travail de leurs consœurs. Les sujets traités sont tout de même nombreux : la grossesse226, la prostitution227, le harcèlement de rue228, les femmes batteuses229, avoir un cancer quand on est une femme230… Nous pouvons également supposer que toutes les animatrices ne partagent pas forcément les mêmes visions, les mêmes objectifs.

Signe d’une peut-être remobilisation féministe, la création prolifique de podcasts natifs ouvrant un espace de parole pour les femmes ces trois dernières années pourrait aussi constituer le symptôme d’une fragmentation de ce mouvement. Or, ce n’est pas la seule menace qui le guette. Les entreprises commencent à percevoir le potentiel des podcasts natifs. Risque-t-on de voir une récupération de leur part de ce format et un détournement des valeurs féministes que certains d’entre eux promeuvent ?

2. Un risque de détournement publicitaire ?

Si le féminisme est fragmenté – peut-être faudrait-il d’ailleurs parler de « féminismes » - il est aussi menacé par le women washing, aussi appelé purplewashing ou pinkwashing. Notons que cette dernière expression a été originellement utilisée pour désigner la stratégie d’Israël de communiquer sur sa supposée hospitalité envers les personnes LGBTIQ+ pour détourner le regard de sa gestion conflit israelo-palestinien231. Nous utiliserons donc plutôt le terme « women washing » pour désigner le fait qu’une organisation, une entreprise en général, mette en avant un discours féministe pour améliorer son image sans modifier ses pratiques en conséquence, c’est-à-dire en continuant de payer moins ses salariées que ses salariés, en réalisant des affaires avec des pays où les droits des femmes sont catastrophiques ou encore en faisant produire ses produits par des femmes surexploitées.

225 ION Cristina, op. cit., p. 15 226 Compte Apple Podcasts Bliss Stories. Disponible sur : https://podcasts.apple.com/fr/podcast/bliss-stories/ id1365837531?mt=2 (Dernière consultation le 13 août 2019) 227 Compte Soundcloud Le Putain de podcast. Disponible sur : https://soundcloud.com/user-496417702 (Dernière consultation le 13 août 2019) 228 Compte Ausha Héroïnes de la rue. Disponible sur : https://podcast.ausha.co/margueritestern/heroines-de-la-rue-1 (Dernière consultation le 13 août 2019) 229 Compte Soundcloud Tom Tom Girl. Disponible sur : https://soundcloud.com/cheekmagazine/tom-tom-girl (Dernière consultation le 13 août 2019) 230 Site d’Impatiente. Disponible sur : https://www.nouvellesecoutes.fr/impatiente/ (Dernière consultation le 13 août 2019) 231 CERVULLE Maxime et QUEMENER Nelly. « Queer », In : RENNES Juliette (Sous la direction de), Encyclopédie critique du genre. Corps, sexualité, rapports sociaux. Paris, La Découverte, 2016, pp. 529-538

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a. Un lien historique entre féminisme et capitalisme Il faut dire que le féminisme et le capitalisme entretiennent des liens depuis près de 200 ans232.

Susan Faludi fait remonter cette origine à l’année 1834 où à Lowell, dans le Massachusetts, des ouvrières du textile se sont mises en grève lorsque leurs salaires ont été baissés de 15 à 20 %. Il s’agit d’une des premières grèves ouvrières de l’Histoire des États-Unis. C’est donc en quelque sorte l’économie capitaliste qui les a poussées à se mobiliser collectivement pour leurs droits. Toujours selon Susan Faludi, l’année 1920 « a marqué le passage du combat commun pour le bien de tous à la recherche d’une amélioration individuelle » avec l’émergence d’une économie de consommation.

Ainsi, le commerce de masse a promis aux femmes l’émancipation et l’accomplissement individuel grâce à des produits de consommation. Celles-ci se retrouvent alors soumises à de nouveaux diktats concernant leur corps ou leur beauté, tout en étant poussées à penser que leurs décisions d’achat sont seulement le résultat de leur plein gré. Dans le contexte d’aujourd’hui, ce phénomène se serait étendu à la personnalité même de chaque femme, à ses aspirations existentielles233. C’est un type de réussite féminine qui est vanté : celle qui s’élève seule par son travail, est indépendante financièrement et profite de son temps libre comme elle l’entend. La publicité n’hésite donc pas à retravailler certaines valeurs promues par le féminisme et la volonté d’indépendance des femmes pour vendre. b. La question complexe du modèle économique Si la plupart des podcasts natifs, y compris de notre corpus, ne rapportent pas d’argent, ce n’est pas le cas de tous. Certaines animatrices vivent de leur podcast natif. Il faut donc trouver un modèle économique. Cette question étant récente, rien n’est figé pour l’instant et plusieurs pistes coexistent.

En voici quelques unes, citées au cours de la table ronde « Financement et monétisation » du 19 octobre 2018, organisée dans le cadre du Paris Podcast Festival234 : le sponsoring, le placement de produits, un accès payant au contenu comme ce que propose le studio Boxsons, un mécénat privé, des aides publiques, un crowdfunding ou encore le pari d’attirer par le podcast des potentiels clients pour une autre activité rémunérée cette fois. Aujourd’hui, il reste encore très difficile de vivre du podcast natif. La stratégie la plus courante actuellement est le sponsoring qui prend souvent la forme de pré-rolls, des annonces rémunérées énoncées par l’animateur, diffusées avant le début des épisodes et qui dépendent de la période à laquelle l’auditeur écoute le podcast et non d’un épisode en lui-même.

Le sponsoring est en effet un mode de financement assez utilisé dans le podcast natif. Si en général l’exigence de cohérence veut que les annonces ne soient pas contradictoires avec les valeurs défendues dans le podcast, certains choix ont pu nous troubler. Par exemple, au mois de mars 2019, le pré-roll de La Poudre était une annonce de Lauren Bastide vantant les mérites de Bloom of Rose, une eau de toilette de Mon Guerlain à 84€ les 50 millilitres. Outre le prix, habituel pour une eau de toilette d’une marque de luxe mais pas forcément accessible à n’importe quelle bourse, nous pouvons nous interroger sur le choix de la part d’un podcast ouvertement féministe de promouvoir 232 FALUDI Susan. « Le féminisme à la sauce Facebook. On like ou pas », Agone, vol. hors série, n°HS, 2015, p. 110 233 ibid., p. 116 234 Table ronde « Financement et monétisation du podcast natif » [Enregistrement audio], 0h03, Paris Podcast Festival, 20 octobre 2018. Disponible sur : https://podcast.ausha.co/paris-podcast-festival/Financement_et_mon%C3%A9tisation_ du_podcast_natif (Dernière consultation le 22 août 2019)

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un parfum, produit dont les publicités ont souvent eu tendance à véhiculer une image stéréotypée de la femme, aux canons inatteignables pour le commun des mortelles, et jouant sur la pression que subissent les femmes à devoir être coquettes et tirées à quatre épingles au quotidien. Dans cette annonce, Lauren Bastide lie cette eau de toilette aux valeurs défendues en théories par son podcast, à savoir la primauté du récit personnel et l’empouvoirement : « Cet épisode de La Poudre est rendu possible grâce au soutien de Bloom of rose, la nouvelle eau de toilette de Mon Guerlain. Alors qu’approche l’équinoxe de printemps, voilà une flagrance qui invite les femmes au plaisir d’être soi-même, comme pour partir à la rencontre de sa propre puissance, alors que le monde renaît autour de nous. Une proposition qui ne pouvait que me c h a r m e r. […] Merci à Mon Guerlain Bloom of Rose de faire parler La Poudre avec moi et merci à Guerlain pour son soutien fidèle à l’émission ».

Sur la page du produit sur le site de Guerlain, il n’est pas fait référence à La Poudre, ni au féminisme, mais les termes utilisés flirtent avec ces mêmes valeurs : « en hommage à la féminité d’aujourd’hui : une féminité forte, libre et sensuelle »235. L’égérie mise en avant est Angelina Jolie dans un clip où elle marche dans Paris tout en parlant, en anglais, de l’Histoire de France, du fait d’être une femme et de ses enfants qui pourront sentir Mon Guerlain lorsqu’ils seront séparés. Selon nous, le choix d’une icône comme Angelina Jolie qui se déclare féministe et celui d’utiliser des termes proches de l’empouvoirement pour vanter les mérites d’un parfum de luxe, est le signe d’une forme de women washing de la part de Guerlain. Le fait que cette même stratégie soit utilisée avec le pré-roll diffusé avant un épisode de La Poudre nous laisse perplexe.

Il nous semble important de préciser que la question du modèle économique est bien sûr légitime.

Tout dépend ensuite de la façon par laquelle le podcast est monétisé. Il est plutôt normal que des personnes investissant beaucoup de temps – et parfois d’argent – dans un projet, souhaitent à terme percevoir une rémunération, ne serait-ce que pour continuer à le développer et proposer de nouveaux contenus.

Depuis quelques temps, le podcast natif est également investi directement par les marques, dans son contenu même. C’est le cas par exemple de « Regard » qui « interroge les injonctions faites aux femmes » concernant la beauté et réalisé par Louie Media pour Birch Box, une entreprise qui vend des boxs beauté236. Le podcast ne vante pas directement les propriétés des produits de la marque, mais il s’agit clairement de brand content – la marque cherche à créer son propre contenu – visant à améliorer son image et qui s’appuie sur les codes des podcasts natifs : parole personnelle, récit de vie ou encore proximité avec les auditeurs. Cette stratégie repose notamment sur l’économie de l’attention qui cherche à capter les derniers petits interstices d’attention du consommateur, ces moments où notre corps est captif mais pas notre esprit : le ménage, les transports en commun... Là encore, nous remarquons que le format du podcast natif peut tout à fait être utilisé avec une visée mercantile, souvent bien loin des valeurs défendues par le féminisme.

Les marques semblent donc de plus en plus intéressées par le podcast natif, notamment car celui-ci 235 Page de l’eau de toilette Bloom of Rose sur le site marchand de Guerlain. Disponible sur : https://www.guerlain. com/fr/fr-fr/parfums/parfums-pour-femmes/mon-guerlain/mon-guerlain-eau-de-toilette-bloom-rose-vaporisateur (Dernière consultation le 25 août 2019) 236 Présentation du podcast Regard de Birchbox. Disponible sur : https://blog.birchbox.fr/les-coulisses/regarddecouvrez-le-premier-podcast-birchbox.html (Dernière consultation le 25 août 2019)

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peut leur permettre d’améliorer leur image. A l’inverse, les podcasts, de leurs côtés, s’inspirent parfois de techniques plutôt rattachées au monde de l’entreprise, comme le marketing et la communication digitale.

c. « L’ère de la communication comme mode d’action » En reprenant les travaux de Luc Boltanski et Eve Chiapello, Josiane Jouët, Katharina Niemeyer et Bibia Pavard expliquent que la promotion, par les collectifs féministes d’aujourd’hui, de leurs actions « est infiltrée par la logique du marketing et les valeurs du « nouvel esprit du capitalisme »237 »238.

Les mouvements féministes actuels se sont pour une partie d’entre eux appropriés les stratégies de communication et de marketing comme s’ils étaient une entreprise, qu’ils géraient une marque, un projet. Ils sont « pleinement entrés dans l’ère de la communication comme mode d’action »239.

Certains podcast semblent en effet s’inspirer de principes marketing. Le discours de La Poudre est par exemple assez « marketé », pour reprendre le terme de Laura Fernandez Rodriguez. Les auditeurs sont ainsi surnommés « les Poudreuses » et les « Poudreux », ou « les Poudreu.ses.x » en écriture inclusive.

En outre, l’influence de la communication digitale est frappante concernant les podcasts que nous avons étudiés. La quasi totalité d’entre eux ont des comptes sur les réseaux sociaux. Leur visibilité en dépend. La création et le développement d’une communauté autour d’un podcast passent donc obligatoirement par les réseaux sociaux. Or, la communication sur les réseaux sociaux est pétrie de codes. L’un d’eux est par exemple l’importance donnée aux contenus visuels ces dernières années.

Il est intéressant de constater que plusieurs des podcasts de notre corpus ont adopté une charte graphique très développée, qui est notamment observable sur Instagram dont les contenus sont purement visuels. C’est d’ailleurs ce qu’avaient décidé de faire les animatrices de La Bougeotte en créant des formats photos pour susciter plus d’engagement240. Or, cela nécessite d’avoir certaines compétences en graphisme et en direction artistique, ou de pouvoir engager quelqu’un qui peut s’occuper de ces aspects-là. Les comptes Instagram les plus travaillés, ceux dont la charte graphique est la plus aboutie, sont en général ceux pour lesquels les animatrices ne sont pas bénévoles (La Poudre), ou ceux dont les animatrices travaillent dans le domaine de la communication ou du graphisme (Entre nos lèvres, YESSS).

Construire une communauté est un travail de longue haleine qui s’apparente donc à celui d’un chargé de communication. Il faut se former à différents outils, essayer de faire le jeu des algorithmes pour se rendre visible, notamment en publiant constamment du contenu, de préférence visuel et engageant241. Il faut également répondre aux messages et essayer de créer de l’interaction aussi bien avec les auditeurs convaincus, que les potentiels auditeurs et les autres podcasts. Le podcast n’est finalement que la partie émergée de l’iceberg. Il ne se suffit pas à lui-même si l’on souhaite qu’il soit écouté par un grand nombre de personnes. Il doit alors être inclus dans un écosystème 237 238 239 240 241

BOLTANSKI Luc et CHAPIELLO Ève. Le nouvel esprit du capitalisme. Paris, Gallimard, 1999 JOUËT Josiane, NIEMEYER Katharina et PAVARD Bibia, op. cit., p. 51 ibid.

Entretien avec Laura Fernandez Rodriguez réalisé par l’autrice le 5 août 2019 BERTRAND David, op. cit., pp. 239-240

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Illustration 11 : Captures d’écran des comptes Instagram de 9 podcasts du corpus

composé si possible de supports divers, à la fois en ligne et hors ligne. Pour Fiona Moghaddam, créatrice de Paroles d’Elles et journaliste radio à côté, attirer du monde est très difficile sans boîte de production : « En fait, je pense, pour vraiment attirer du monde et faire parler de toi et cetera et cetera, faut poster des choses quotidiennement donc si je fais ça je ne dors plus (rires) »242

En plus d’être chronophage, l’usage des réseaux sociaux dans un but professionnel n’est pas enseigné dans les écoles de journalisme par exemple. Il faut donc développer seule de nouvelles compétences et en attendant que cela prenne, il y a peu d’interaction et d’écoute du podcast, ce qui peut finir par être décourageant. Parfois d’ailleurs, l’investissement temporel n’est pas récompensé.

C’est lorsque les animatrices du Thé Noir ont cessé de publier tous les jours du contenu sur les réseaux sociaux, par manque de temps, que leur communauté a commencé à grandir243. La situation est très inégalitaire entre les podcasts que nous avons étudiés puisque pour La Poudre par exemple, Lauren Bastide bénéficiait déjà d’une certaine notoriété en tant que journaliste et le studio Nouvelles Écoutes, qui la produit et dont elle est co-fondatrice, emploie aujourd’hui plusieurs personnes en charge de la communication, dont une community manager244.

La construction d’un espace de parole favorable à l’expression féminine voire féministe, par les podcasts natifs audios, est mise à l’épreuve de différentes menaces, comme celle de voir le message que ces podcasts portent être divisé ou risqué d’être détourné par la publicité ou le marketing. Il existe donc bien certaines limites à cet espace de parole. Cela nous conduit à nous interroger sur le mythe qui entoure le podcast natif en général, notamment avec l’utilisation de termes tels que « phénomène » ou « révolution ».

C. Dépasser le mythe : la « révolution podcast » en question Comme dans la majorité où apparaît une nouvelle technologie, la façon de présenter le podcasting est assez peu nuancée. Une sorte de mythologie semble s’écrire autour du podcast. Les discours qui lui rendent hommage sont souvent très hyperboliques (1). Pourtant, ce média, comme tout média numérique, expose les personnes qui s’y expriment à du harcèlement en ligne et, pour les femmes en particulier, à du cybersexisme (2). En outre, si la liberté du podcast est souvent vantée, il est possible de supposer que son adoption progressive conduira à un rétrécissement des usages par rapport à ceux qu’il permet originellement (3).

1. Les discours autour de la « nouvelle culture » du podcast natif En étudiant la médiatisation du podcast natif, nous nous sommes rendus compte que le discours 242 Entretien avec Fiona Moghaddam réalisé par l’autrice le 5 août 2019 243 Entretien avec Néné réalisé par l’autrice le 10 août 2019 244 Menu « A propos » du site Nouvelles Écoutes. Disponible sur : http://www.nouvellesecoutes.fr/infos/ (Dernière consultation le 11 août 2019)

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qui est construit autour est très particulier. Ainsi, il est très fréquent de rencontrer des déclarations comme celle trouvée sur la page d’accueil du site du Paris Podcast Festival : « Le podcast natif est un véritable phénomène culturel de cette décennie qui vient défricher tout un champ des possibles pour le récit et la conversation sonore. L’idée du Paris Podcast Festival est de faire découvrir le plaisir de cette nouvelle culture de l’écoute à des publics nombreux. »245

Les animatrices de podcast ne sont d’ailleurs pas en reste, pour certaines en tout cas. Charlotte Bienaimé d’Un podcast à soi a commencé son introduction de la table ronde « Le podcast, nouvel eldorado féministe ? » en parlant du podcast en ces termes : « une nouvelle aventure », « un nouveau défi », « j’ai donc découvert et apprivoisé la culture du podcast »246. Les derniers mots de Lauren Bastide dans la bande-annonce de La Poudre sont : « La révolution podcast a commencé.

Tenez-vous prêt. »247.

Ce discours peut être mis en parallèle avec celui qui est depuis longtemps utilisé dans le cas d’Internet et des nouvelles technologies en général : on parle de « digital natives » pour qualifier la génération ayant grandi avec l’Internet grand public, de « pionniers » pour désigner les premiers à s’être investis dans le numérique dans les années 1960 et 1970, ou encore de « nouvelles frontières » pour parler du web. Nous voyons bien que le lexique utilisé est celui de la découverte, de la conquête. Dans le cas des podcasts natifs, la logique est la même : l’accent est mis sur la nouveauté et à quel point celle-ci est supposée révolutionnaire.

Mais alors pourquoi ce discours emphatique autour du podcast natif ? Les mythes sont une sorte de ponts pour importer une innovation dans notre pratique ordinaire. Le problème avec ce type de discours qui tourne autour de l’idéalisation d’une technologie, c’est qu’il cache souvent un contexte bien moins favorable, voire précaire. Dans le cas du podcast natif, il est difficile d’avoir des chiffres, d’autant plus que le format a gagné en notoriété en France que récemment. Par contre, le site Paye Ta Pige248, qui recense les tarifs pratiqués par différentes rédactions françaises, inclue aussi les tarifs des studios de création de podcasts. Pour Binge Audio par exemple, qui produit Les couilles sur la table notamment, les tarifs affichés sont de 80€ bruts par épisode et 150€ bruts pour un épisode de présentation249. Pour Nouvelles Écoutes (La Poudre, Quoi de Meuf), le tarif serait de 140€ bruts par épisode250. Ces tarifs sont tous prévus pour un chroniqueur. A noter que la véracité de ces tarifs n’est pas garantie et que ceux-ci ont pu changer. Difficile néanmoins de ne vivre que du podcast natif, à moins de multiplier les épisodes.

2. Les risques de cybersexisme Si les nouvelles technologies sont souvent présentées comme émancipatrices, elles aussi sources de harcèlement en ligne. En partageant leurs réalisations et leurs opinions, les animatrices de podcasts 245 Page d’accueil du Paris Podcast Festival. Disponible sur : https://www.parispodcastfestival.com/ (Dernière consultation le 20 août 2019) 246 Débat « Le podcast, nouvel eldorado féministe ? » [Enregistrement vidéo], 1h17, Arte Radio, 4 novembre 2017.

Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=lnjir6REfC0 (Dernière consultation le 25 août 2019) 247 La Poudre, Bande annonce, 0h03, Nouvelles Écoutes, 3 novembre 2016 248 Paye Ta Pige, Disponible sur : https://payetapige.com/ (Dernière consultation le 14 août 2019) 249 Paye Ta Pige, page Binge Audio, Disponible sur : https://payetapige.com/tag/binge-audio/ (Dernière consultation le 14 août 2019) 250 Paye Ta Pige, page Nouvelles Écoutes. Disponible sur : https://payetapige.com/tag/nouvelles-ecoutes/ (Dernière consultation le 14 août 2019)

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natifs s’exposent à du cybersexisme, notamment sur les réseaux sociaux. C’est d’autant plus vrai que les femmes en général plus souvent victimes de critiques que les hommes sur Internet. Des chercheurs de l’Université nationale australienne ont ainsi étudié plus de 23.000 commentaires sur YouTube251. Ils ont alors montré que les commentaires critiques composaient 14% des commentaires de contenus créés par des femmes, mais « seulement » 6% pour les hommes. Les créatrices de vidéos YouTube étaient en outre plus susceptibles de recevoir des commentaires relatifs à leur apparence que les créateurs.

Pour Rebecca Solnit, les réseaux sociaux ont été « la scène de campagnes acharnées pour faire taire celles qui parlaient des violences faites aux femmes et de misogynie ». Elle illustre bien cette binarité qui traverse les réseaux sociaux et les rend à la fois propices et délétères pour la parole des femmes, notamment Twitter, la plateforme d’où est parti le hashtag #MeToo : « Cet espace est devenu la nouvelle plateforme où briser le silence, mais il est également possible de l’imposer par le biais de la menace et de l’intimidation »252. Lorsque nous leur avons posé la question, les animatrices que nous avons rencontrées se sont en généralement jugées comme plutôt chanceuses par rapport au cybersexisme qu’elles subissent. Lisa Melia nous a ainsi expliqué n’avoir eu à bloquer que trois ou quatre personnes sur le compte Twitter de La Menstruelle, probablement car le podcast reste encore assez confidentiel253. Toujours est-il qu’il a fallu qu’elle le fasse. Selon Josiane Jouët, Katharina Niemeyer et Bibia Pavard, si les propos sexistes s’énoncent ouvertement sur Internet, c’est « le signe que la parole des féministes qui se fait entendre dans l’espace numérique est au cœur des transformations de la société et continue à faire trembler l’ordre établi »254 .

3. La liberté annoncée vs le rétrécissement attendu des usages La liberté est l’un des arguments les plus avancés pour expliquer l’intérêt du podcast natif : liberté dans les formats, les fréquences, liberté de ton, pas de ligne éditoriale imposée, une possibilité d’affirmer sa créativité… Pourtant, le processus d’adoption d’une technologie se caractérise en général par un rétrécissement des usages. En outre, plusieurs sphères peuvent participer à ce mouvement vers une certaine uniformisation : les organisations professionnelles qui se créent, les médias généralistes ou encore les grands acteurs numériques. a. Le processus d’adoption du podcast natif audio L’adoption d’une technologie se caractérise par plusieurs étapes, notamment le désenchantement de la technique et le rétrécissement des usages255. Alors que pendant la phase d’exploration, l’individu pouvaient sonder les différentes possibilités permises par la technologie, une fois incorporée dans les activités quotidiennes celle-ci n’est utilisée plus que pour certaines de ses caractéristiques.

251 AMARASEKARA Inoka et GRANT Will. « Exploring the YouTube science communication gender gap: A sentiment analysis », Public Understanding of Science, vol. 28, n°1, 2019, pp. 68-84 252 SOLNIT Rebecca, op. cit., p. 110 253 Entretien Lisa Melia réalisé par l’autrice le 27 juin 2019 254 JOUËT Josiane, NIEMEYER Katharina et PAVARD Bibia, op. cit., p. 51.

255 JOUËT Josiane. « Retour critique sur la sociologie des usages », Réseaux, vol. 18, n°100, 2000, p. 501

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Qu’en est-il des podcasts natifs ? En étudiant les podcasts qui composent notre corpus, nous avons pu faire plusieurs rapprochements qui laissent à penser que même si le podcast natif est un format libre par essence (la seule contrainte étant d’avoir un matériel pour enregistrer et diffuser le résultat final), il existe une certaine codification qui peut mettre à mal la dimension créative.

D’abord, la majorité des podcasts de notre corpus peut ainsi être rangée dans deux grandes catégories : les podcasts de portrait et les podcasts conversationnels. Certains formats paraissent donc être en train de se stabiliser. Les reportages ou les podcasts narratifs semblent vraiment moins utilisés dans le cas des podcasts qui créent un espace de parole pour les femmes.

En outre, certains gimmicks sont repris par plusieurs podcasts comme l’expression « Avec X, nous avons parlé de... » et ses variantes, en début d’épisode : « Avec Rebecca, nous avons parlé de deuils impossibles, de premières règles et d’actrices pornos »256 « Aïda a 23 ans et avec elle nous avons discuté de religion, des supers héroïnes, de la différence entre une mère et une maman, des cases à remplir, des câlins améliorés et de pêche à la ligne »257

« Dans cet épisode, Nora nous parle donc des sujets qui lui tiennent à cœur, de son dernier projet de reportage sur la crise des réfugiés et de comment elle s’organise pour gérer Who cares en parallèle de son travail à temps plein »258

Nous y reviendrons un peu plus tard, mais les fins d’épisode sont généralement l’occasion pour les animatrices de rappeler leur présence sur les réseaux sociaux, d’inciter les auditeurs à s’abonner et à noter le podcast sur iTunes. Là encore les pratiques semblent se figer. Rares sont les animatrices des podcasts que nous avons étudiés qui terminent leurs épisodes d’une autre manière. b. La structuration progressive d’un milieu professionnel Si la mise en application des possibilités offertes par le podcast natif semblent faire ressortir certains modèles, nous observons le même phénomène du point de vue de l’organisation formelle de ce média. Peu à peu émerge un écosystème de plus en plus structuré. Des studios de podcasts se sont lancés (Nouvelles Écoutes, Binge Audio, Louie Media…), les marques misent de plus en plus sur le podcast natif pour améliorer leur image et des groupes de créateurs s’organisent à l’instar de l’association Podcastéo259 qui cherche notamment à rendre visibles les podcasts indépendants. Le fait que la Scam (Société civile des auteurs multimédias), la Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique), le Ministère de la Culture ou encore le Groupe Renault-Challenges soient partenaires du Paris Podcast Festival montre bien que le podcast natif présente un intérêt non négligeable pour de nombreux acteurs publics et privés.

Si nous avons vu qu’il serait abusif de parler d’une « révolution » concernant l’apparition et l’appropriation du podcast natif, il est vrai que nous sommes dans une époque de profusion de ce format avec de nouveaux podcasts lancés régulièrement. Même si ce n’est pas son seul argument, 256 257 258 259

La Poudre, Épisode 1 « Rebecca Zlotowski », 0h49, Nouvelles Écoutes, 1er décembre 2016, à partir de 02:50 Entre nos lèvres, Épisode 9 « Aïda », 0h37, 29 novembre 2018, à partir de 00:40 Génération XX, Épisode 60 « Nora Gherbi, fondatrice de Who cares », 0h45, 5 décembre 2018, à partir de 01:15 Podcastéo, Disponible sur : http://podcasteo.fr/ (Dernière consultation le 25 août 2019)

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Alicia Cosculluela de Café Simone parle aussi de « mode » pour expliquer ce phénomène de création à foison ces dernières années : « je pense qu’il y a une question aussi de mode en fait mais, parce qu’en fait aux États-Unis je crois que ça existe depuis bien plus longtemps en fait »260

Il ne faut pas perdre de vue le fait qu’à la fois les animateurs de podcast et leurs auditeurs appartiennent à des catégories de personnes particulières. Ils ne sont pas représentatifs de la population française en général. Cette tendance à créer son podcast chez certains trentenaires est d’ailleurs parodiée, par exemple dans ce post Twitter :

Illustration 12 : Tweet parodique sur la création de podcasts par les trentenaires (source : compte Twitter @WebHistoryPics)

c. Une médiatisation inégale Aujourd’hui, la médiatisation des associations ou des projets en général ne dépend plus uniquement ou presque des médias traditionnels, comme cela pouvait être le cas auparavant. Les réseaux sociaux notamment permettent de développer une certaine notoriété sans avoir à passer par la presse. Néanmoins, le relais médiatique est toujours utile pour se faire connaître, en particulier des personnes peu sensibilisées. Ainsi, pour Ioana Cîrstocea et Isabelle Giraud, « les médias jouent un rôle plus ou moins décisif dans la sélection des discours audibles et inaudibles »261. Or, comment s’effectue ce relais médiatique concernant les podcasts natifs féministes ou apparentés ?

Selon Christine Bard, « du féminisme, nous ne connaissons que ce qui est médiatisé, et médiatisable donc. Les féminismes les plus spectaculaires et les plus ajustés aux désirs des médias bénéficient d’une sur-représentation déformant la réalité militante. »262 Si des actions féministes sont relayées dans la presse, elles ne sont pas forcément représentatives de la diversité des mouvements 260 Entretien avec Alicia Cosculluela réalisé par l’autrice le 7 juillet 2019 261 CÎRSTOCEA Ioana et GIRAUD Isabelle, op. cit., pp. 38-39 262 BARD Christine. « Insaisissable féminisme », Cités, vol. 73, n°1, 2018, p. 26

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féministes. Cela va être le cas des Femen, par exemple, dont les actions, impressionnantes, vont être facilement reprises par la presse, alors que leurs gestes ne font pas l’unanimité parmi les féministes. En général, il semble qu’un féminisme réformiste pourra être valorisé dans la presse alors qu’un féminisme jugé trop radical sera délégitimé plus facilement263. Où se situent alors les podcasts de notre corpus ?

Laura Fernandez Rodriguez de La Bougeotte se pose d’ailleurs elle-même cette question : « Vu que je viens de voir qu’on n’était reprises dans Le Monde, je me dis « Est-ce qu’on est mainstream ? », tu vois ? (rires) Est-ce qu’en fait notre féminisme n’est pas, est tellement peu radical qu’on peut sans aucun problème passer, ou alors : est-ce qu’il y a eu un cran qui s’est déplacé du côté des médias et maintenant eux aussi ils sont prêts à relayer des propos beaucoup plus féministes ? »264

Ces derniers temps, un certain nombre de médias s’est mis en effet à relayer des podcasts, à l’instar du Nouvel Obs qui chaque semaine recommande deux podcasts natifs ou radios265. Lorsque nous savons que la visibilité des podcasts natifs dépend un peu en partie du bon vouloir des médias, nous pouvons nous demander si un podcast qui serait trop différent de l’image que se font les médias de ce format et du féminisme « acceptable » risquerait d’être sous-médiatisé et, faute de public, de disparaître. Sur le long terme, cela peut constituer une menace à la libre parole féministe par le biais des podcasts natifs. Cette parole ne sera pas bâillonnée, certes, mais si elle ne trouve pas de public, elle parlera dans le vide. Rappelons aussi que les femmes journalistes ayant créé leur podcast natif féministe l’ont fait car elles ne pouvaient pas travailler librement sur ces sujets dans leur rédaction.

Cela pose question sur la supposée bonne foi de ces médias.

d. L’influence des GAFAM Aujourd’hui, Internet et les réseaux sociaux sont une part importante de la notoriété d’un projet tel qu’un podcast natif. Or, le web n’est pas sans conséquence sur les contenus qui sont relayés dessus. Pour être visible sur Internet, mieux vaut se plier aux exigences de ceux qu’on appelle les GAFAM : Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, et de manière générale les quelques firmes états-uniennes qui dominent le marché du numérique.

Pour Apple par exemple, cela passe par l’importance de mettre son contenu sur iTunes et d’être bien noté sur son application Apple Podcasts car iTunes promeut en priorité les podcasts aux meilleures notes. Il est frappant de constater que beaucoup de podcasts de notre corpus font référence aux étoiles d’iTunes à la fin de chaque épisode (cinq étoiles étant la note maximale qui peut être attribuée) : « Si tu veux vraiment, vraiment, vraiment me faire plaisir, tu peux aller mettre cinq étoiles sur iTunes et laisser un avis, un commentaire »266 263 BLANDIN Claire, et al. « Présentation. Féminismes et médias: une longue histoire », op. cit., p. 9 264 Entretien avec Laura Fernandez Rodriguez réalisé par l’autrice le 5 août 2019 265 JARRY Marjolaine. « Podcasts, notre sélection », Le Nouvel Obs, 19 janvier 2019. Disponible sur : https://www. nouvelobs.com/teleobs/20190119.OBS10402/podcasts-notre-selection.html (Dernière consultation le 25 août 2019) 266 Sois gentille, dis merci, fais un bisou, Épisode 1 « Sophie-Marie Larrouy », 0h42, MadmoiZelle, 21 décembre 2017, à partir de 40:00

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« Et vous pouvez aussi aller sur Apple Podcasts et nous laisser une note de 5 étoiles de préférence »267

« […] laissez-nous des étoiles, plutôt cinq parce que ça nous aide pour le référencement, en vrai ça nous aide pour progresser donc c’est hyper précieux pour nous »268

Pour information, 60 % des podcasts natifs ou radios écoutés depuis un smartphone en France le sont depuis un iPhone269. Nous comprenons donc l’importance de la note iTunes pour ces animatrices.

Cette « tyrannie » des GAFAM est également présente sur les réseaux sociaux. Pour être visible, il faut s’adapter à chaque plateforme, publier dessus très régulièrement du contenu et se plier aux exigences de leurs algorithmes270. Cela explique aussi pourquoi le profil des communicantes ressort autant parmi les animatrices de notre corpus.

Cela pose à nouveau la question du rétrécissement des usages et de l’uniformisation des formats : puisque la notoriété du podcast natif dépend en grande partie de sa visibilité sur les réseaux sociaux, sa communication doit s’adapter à ce qui est attendu sur ceux-ci, au risque de se retrouver avec une myriade de podcasts communiquant de la même manière. Lorsque l’on manque de temps, de compétences digitales ou d’envie de faire comme tout le monde, on peut se retrouver pénalisé. La stratégie fait partie du processus de visibilité du podcast, et cela les animatrices que nous avons interrogées l’ont bien compris. Fiona Moghaddam a ainsi pris la décision de se concentrer pour la deuxième saison de Paroles d’Elles sur des formats d’interviews plutôt que des reportages, bien que ce ne soit pas ce qu’elle préfère : « Pour essayer d’être plus régulière sur la diffusion et, et pour aussi avoir une uniformité dans mon podcast quoi, parce que là c’est vrai que j’ai un peu toutes les formes différentes et bon, je pense pas que ce soit très stratégique de faire ça donc, histoire d’avoir vraiment une uniformité à ce niveaulà. »

L’étude du mythe qu’il y a autour du podcast natif audio est intéressant car il permet de comprendre pourquoi un nouveau média peut être autant présenté comme révolutionnaire ou comme exempté de tous défauts. Or, comme n’importe quel média, le podcast natif n’est bien sûr pas exempté de tous défaut. Les podcasts natifs créant un espace de parole pour les femmes se heurtent par exemple à un problème d’homogénéité sociale qui ne permet pas une expression parfaite de toutes les femmes. De même, des risques de fragmentation, de women washing ou d’uniformisation existent.

Passer par la notion de mythe permet donc de nuancer les discours emphatiques qui ont souvent cours lorsqu’on parle du podcast natif.

267 Quoi de Meuf, Épisode 1 « Chasse aux sorcières », 0h41, Nouvelles Écoutes, 29 octobre 2017, à partir de 40:32 268 La Bougeotte, Épisode 10 « Le tour du monde en cargo, concilier voyage et écologie », 0h25, 29 décembre 2018, à partir de 23:48 269 MADELAINE Nicolas. « Les 100 prochains millions d'auditeurs de podcasts seront sur Android », Les Échos, 18 juin 2019. Disponible sur : https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/les-100-prochains-millions-dauditeurs-de-podcastsseront-sur-android-1030002 (Dernière consultation le 25 août 2019) 270 BERTRAND David, op. cit., p. 238

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CONCLUSION Apparu il y a une quinzaine d’années, le podcast natif audio est un média dont certaines particularités peuvent être bénéfiques aux voix peu écoutées, notamment les voix féminines. La parole des femmes est encore très peu présente dans les médias traditionnels. L’apparition de celles-ci dans ces médias est en général stéréotypée et dévaluée. Bien que la profession se féminise, ce qui pourrait nous faire espérer une amélioration dans le traitement journalistique réservée aux femmes, les femmes journalistes restent victimes de discriminations comme nous l’a rappelé la récente affaire de la Ligue du LOL. Si autant de femmes, et en particulier de femmes journalistes, se sont appropriées le podcast natif audio c’est qu’il réunit plusieurs caractéristiques qu’elles ne retrouvent pas facilement dans les médias traditionnels. D’abord, leur voix n’y est pas entravée. C’est elles qui décident combien de temps dure chaque épisode, quels thèmes elles veulent traiter, sur quel ton, en faisant appel ou non à des concepts féministes. En outre, ce média est accessible aussi bien financièrement que techniquement. Même s’il faut apprendre à enregistrer, monter et diffuser son podcast, cela demande moins de compétences que la vidéo par exemple. En théorie, presque n’importe qui pourrait donc créer son podcast et prendre la parole, tout le contraire des médias généralistes. Même si tous les podcasts de notre corpus ne se revendiquent pas du féminisme, force est de constater que certaines de ses traditions et pratiques ont pu avoir une influence sur une partie d’entre eux.

En outre, une des possibilités des podcasts natifs que les femmes que nous avons étudiées ont particulièrement prise en compte, c’est la création d’une communauté autour de ce média. Pour cela, elles ont investi les réseaux sociaux, et parfois d’autres supports numériques comme les newsletters, pour rendre visible leur podcast et matérialiser un lien entre les auditeurs et elles. Cela passe notamment par la provocation et le maintien d’interactions avec les auditeurs, en particulier les auditrices. Les animatrices étudiées semblent construire une certaine relation d’horizontalité avec leurs auditrices. Elles prennent en compte leurs suggestions, cherchent à répondre à leurs messages et les encouragent à leur envoyer des témoignages. Cette construction d’une communauté dépasse parfois l’espace digital et fait intervenir des événements hors-ligne, comme des rencontres, des conférences, des brunchs. Tout cela nous a poussé à nous demander si parfois le podcast ne serait finalement qu’un aspect d’une communauté plus vaste. En outre, l’intime a une place à part dans les podcasts de notre corpus. Or, nous avons pu rattacher cette question à deux origines : l’arrivée de l’intime dans les médias traditionnels, notamment par l’émission radiophonique de Menie Grégoire à la fin des années 1960, et la mise en place de groupes de conscience féministe peu de temps après.

Les podcasts natifs étant accessibles à toutes les oreilles, il y a un mouvement de publicisation de ces récits personnelles. Bien sûr, cela peut s’expliquer par le fait de vouloir décomplexer les auditrices et de partager la parole avec une visée presque thérapeutique. Mais pour un certain nombre d’entre eux, c’est aussi l’occasion de se fédérer autour d’expériences communes qui pevent même devenir des revendications communes pour une meilleure considération des problèmes que rencontrent les femmes. L’adage féministe « le privé est politique » prend alors tout son sens.

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Les podcasts natifs audios constituent donc bien un espace de parole pour les femmes, mais la technologie du podcasting n’a pas été créée dans cette optique-là. Ce sont des femmes qui ont vu dans les caractéristiques du podcast natif audio des qualités pouvant être propices à leur prise de parole. Il est intéressant d’ailleurs de voir qu’il n’y a pas que des femmes parmi les voix les moins représentées dans la société qui ont créé leur podcast. C’est également le cas par exemple de personnes racisées ou LGBTIQ+.

Cependant, le podcast natif audio n’est pas sans limite. Son appropriation est très homogène : majoritairement diplômées, trentenaires, communicantes et parisiennes, les animatrices de notre corpus ne représentent pas toutes les femmes de France. En ce qui concerne les invitées et les auditrices, elles ne sont pas beaucoup plus représentatives de la population française. En outre, les défis de la monétisation que traversent actuellement les podcasts natifs présentent un risque de malmener les valeurs que défendent les animatrices, à l’instar de la fragmentation en de dizaines de podcasts et de communautés distinctes qui peut être nocive pour l’énonciation de revendications globales. Enfin, cela pose aussi la question du discours souvent hyperbolique qu’il y a autour du podcast natif.

Or, comme toute technologie, le podcasting n’est ni bon ni mauvais. Ce sont les usages qu’on en fait qui peuvent le faire basculer d’un côté ou de l’autre de l’échelle de valeurs que l’on choisit.

Son indépendance, son accessibilité et sa flexibilité font de lui un média intéressant pour les voix mal représentées dans la société. Si l’on veut prétendre à un média réellement inclusif et vecteur d’une redistribution plus juste de la parole, il faudra réussir à ce que toutes les tranches de la population puissent se l’approprier. Il faudra également trancher la question de la monétisation ou non. Peut-être qu’un écosystème avec à la fois des podcasts établis, promus par les grands médias mais peu subversifs, d’une part, et des podcasts plus caustiques et combattants mais faisant moins l’unanimité, d’autre part, pourrait être bénéfique pour la parole des femmes. Les entrées dans les cercles de pouvoir des unes et la radicalité des autres combinées pourraient faire avancer la cause des femmes. Il est en tout cas difficile aujourd’hui d’avoir le recul suffisant pour le dire.

Si le podcast natif audio constitue donc bien un espace de parole pour les femmes, cet espace n’est pas exempté de défauts. Il réside cependant en lui une vraie potentialité à la prise de parole et à la médiatisation des voix peu écoutées dans notre société.

Il fait partie d’un attirail plus large de supports numériques dont l’usage peut être détourné aux bénéfices de ces voix-là : les newsletters, les blogs, les chaînes YouTube… Or, leur démultiplication apparente ces dernières années nous interroge. David Bertrand a travaillé sur l’usage du web 2.0 par les mouvements féministes actuels271. Selon lui, le regain d’intérêt pour la cause des femmes et la transformation des pratiques militantes provoquée par la démocratisation des réseaux sociaux sont le signe de l’émergence d’une quatrième vague de féminisme. Il observe ce regain d’intérêt 271 BERTRAND David, op. cit., pp. 232-257.

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en France notamment en prenant en compte deux aspects : une hausse récente de l’intérêt des internautes pour le féminisme (qu’il montre par l’augmentation des recherches Google comprenant les termes « féminisme » ou « sexisme ») et celle du personnel politique envers le féminisme et les thèmes que celui-ci promeut (en raison d’une augmentation du nombre de documents parlementaires et de questions au gouvernement comprenant les termes « féminisme » ou « sexisme »). En outre, la démocratisation des réseaux sociaux aurait bien entraîné une modification des pratiques militantes avec par exemple l’influence des régimes de visibilité propres aux réseaux sociaux (en particulier induits par les algorithmes).

Pour lui, il n’est pas possible de continuer à classer les mobilisations féministes actuelles dans la troisième vague du féminisme en raison notamment de contextes sociaux et techniques différents272.

Par exemple, si Internet existait bien en 1995, son accès n’était pas encore généralisé. Par contre, il est nécessaire de préciser que « l’usage massif d’internet doit donc être compris comme une condition sociale nécessaire, mais non suffisante, de ce renouveau »273. C’est bien parce que l’auteur aurait aussi observé un phénomène de hausse de l’intérêt public envers les questions liées au féminisme qu’il serait possible de caractériser une quatrième vague du féminisme.

David Bertrand n’est pas le seul à plaider pour l’émergence d’une nouvelle vague du féminisme. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, cette thèse a déjà été défendue par différents auteurs et activistes.

Ainsi, en 2013, la journaliste britannique et féministe Kira Cochrane parlait déjà de quatrième vague du féminisme dans un article publié dans The Guardian intitulé « The fourth wave of feminism: meet the rebel women »274. Elle associait à cette vague notamment le poids de la technologie (« It’s defined by technology: tools that are allowing women to build a strong, popular, reactive movement online »), l’importance du concept d’intersectionnalité, la mobilisation des jeunes (certaines encore adolescentes) et l’apparition de nouveaux thèmes tels que le harcèlement de rue, la culture du viol275 et l’acceptation de tous les corps. Même si la plupart des textes qui défendent une quatrième vague de féminisme dans le monde anglo-saxon date en général au moins des années 2010, il est important de préciser tout de même que la journaliste états-unienne Pythia Peay avait déjà utilisé ce terme en 2005 bien qu’elle ne se référait pas aux mêmes caractéristiques et au même contexte276.

David Bertrand finit son article en s’interrogeant sur les autres facteurs culturels, en plus de la démocratisation du web 2.0, ayant permis l’émergence de cette quatrième vague de féminisme.

Pour lui, il pourrait s’agir d’un renouvellement générationnel : « Cette notion de génération est essentielle au sens où elle incite à réfléchir aux conditions matérielles et culturelles susceptibles d’affecter la manière dont les plus jeunes perçoivent le politique. »277

Concernant les créatrices des podcasts natifs audios de notre corpus, nous avons observé que la tranche d’âge la plus représentée est celle des 25-34 ans. En outre, les entretiens menés nous ont montrés que celles qui percevaient leur podcast comme un acte d’engagement avait un profil 272 ibid., p. 237 273 ibid., p. 237 274 COCHRANE Kira. « The fourth wave of feminism: meet the rebel women », The Guardian, 10 décembre 2013.

Disponible sur : https://www.theguardian.com/world/2013/dec/10/fourth-wave-feminism-rebel-women (Dernière consultation le 22 août 2019) 275 Un phénomène culturel qui justifierait ou banaliserait les violences sexuelles 276 PEAY Pythia. « Feminism's Fourth Wave », UTNE, Mars/avril 2005. Disponible sur : https://www.utne.com/ community/feminisms-fourth-wave (Dernière consultation le 22 août 2019) 277 BERTRAND David, op. cit., p. 254.

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de militantes très particulier. La plupart ne faisait pas partie d’un collectif ou d’une association par exemple et donc ne reprenait pas les pratiques militantes habituellement utilisées. L’idée d’un renouvellement générationnel du militantisme féministe semblerait en ce sens plausible.

A l’automne 2017, #MeToo a entraîné la prise de dizaine de milliers de femmes qui ont témoigné sur les violences sexuelles et sexistes qu’elles avaient subies. Dans un entretien accordé au Monde, l’historienne féministe Michèle Perrot déclarait en janvier 2018 : « #metoo est un événement par son étendue, sociale, géographique, générationnelle. Un événement de la parole où se dit une souffrance longtemps tue, refoulée, une humiliation dissimulée »278. Pour Fiona Moghaddam, créatrice du podcast Paroles d’Elles, quelque chose se passe depuis #MeToo en terme d’engagement, de mobilisation, d’envie de faire changer les choses : « Et ça c’est un truc que je constate dans quasiment toutes les interviews que j’ai pu faire, il y a beaucoup de femmes qui vont me dire « Oui mais depuis #MeToo, il y a quelque chose qui a changé » »279

Cette libération apparente de la parole depuis près de deux ans serait-elle le signe d’une remobilisation féministe ? En ce qui concerne notre sujet d’étude, le podcast natif audio fait-il partie de ce mouvement ? Cela pourrait expliquer que beaucoup de podcasts aient été créés par et pour les femmes notamment en 2018 et 2019, comme s’il y avait eu une accélération dans le processus de création.

Bien sûr, il faudrait faire une étude entière pour vérifier cela mais nous avons quand même récolté quelques indices qui pourraient effectivement se rapprocher de l’hypothèse d’une nouvelle vague de féminisme : l’adaptation de la communication aux règles de visibilité des réseaux sociaux, le profil particulier des créatrices de podcasts mais aussi des auditeurs, de nouveaux thèmes comme le harcèlement de rue ou l’activisme menstruel, une place importante accordée au concept d’intersectionnalité...

Pour reprendre le titre de l’article de David Bertrand, l’appropriation féminine et féministe du podcast natif audio pourrait alors être un « symptôme de l’émergence d’une quatrième vague de féminisme ».

278 TRUONG Nicolas. « Michelle Perrot : « L’absence de solidarité me sidère » », Le Monde, 12 janvier 2018.

Disponible sur : https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/01/11/michelle-perrot-l-absence-de-solidarite-mesidere_5240237_3232.html (Dernière consultation le 23 août 2019) 279 Entretien avec Fiona Moghaddam réalisé par l’autrice le 5 août 2019.

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ARTICLES JOURNALISTIQUES

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CONDOMINES Anaïs. « « Il faut que je rende cette colère » : Anaïs Bourdet, de « Paye Ta Shnek », nous parle du « burn-out militant » », LCI, 24 juin 2019. Disponible sur : https://www.lci.fr/ population/il-faut-que-je-rende-cette-colere-anais-bourdet-de-paye-ta-shnek-nous-parle-du-burnout-militant-2125048.html (Dernière consultation le 25 août 2019) JARRY Marjolaine. « Podcasts, notre sélection », Le Nouvel Obs, 19 janvier 2019. Disponible sur : https://www.nouvelobs.com/teleobs/20190119.OBS10402/podcasts-notre-selection.html (Dernière consultation le 25 août 2019) COCHRANE Kira. « The fourth wave of feminism: meet the rebel women », The Guardian, 10 décembre 2013. Disponible sur : https://www.theguardian.com/world/2013/dec/10/fourth-wavefeminism-rebel-women (Dernière consultation le 22 août 2019) LEBOUCQ Valérie. « Du luxe à la pharmacie, les marques font toutes des podcasts », Les Échos, 2 mai 2019. Disponible sur : https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/du-luxe-a-la-pharmacieles-marques-font-toutes-des-podcasts-1015729 (Dernière consultation le 23 août 2019) Le Collectif Ras la Plume. « Nous, journalistes pigistes, exigeons le respect de nos droits », Libération, 5 février 2019. Disponible sur : https://www.liberation.fr/debats/2019/02/05/nousjournalistes-pigistes-exigeons-le-respect-de-nos-droits_1707497 (Dernière consultation le 25 août 2019) MADELAINE Nicolas. « Les 100 prochains millions d’auditeurs de podcasts seront sur Android », Les Échos, 18 juin 2019. Disponible sur : https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/les-100prochains-millions-dauditeurs-de-podcasts-seront-sur-android-1030002 (Dernière consultation le 25 août 2019) PEAY Pythia. « Feminism’s Fourth Wave », UTNE, Mars/avril 2005. Disponible sur : https://www. utne.com/community/feminisms-fourth-wave (Dernière consultation le 22 août 2019) RENAULT Audrey. « Pourquoi vous n’échapperez pas au prénom Simone en 2018 ? », Cheek Magazine, 30 mai 2018. Disponible sur : http://cheekmagazine.fr/societe/simone-tendanceprenom/ (Dernière consultation le 25 août 2019) TRUONG Nicolas. « Michelle Perrot : « L’absence de solidarité me sidère » », Le Monde, 12 janvier 2018. Disponible sur : https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/01/11/michelle-perrot-labsence-de-solidarite-me-sidere_5240237_3232.html (Dernière consultation le 23 août 2019) WOITIER Chloé. « RTL et M6 lancent leurs podcasts natifs », Le Figaro, 27 mai 2019. Disponible sur : http://www.lefigaro.fr/medias/rtl-et-m6-lancent-leurs-podcasts-natifs-20190527 (Dernière consultation le 23 août 2019) Anonyme, « Espagne : 500 000 manifestants pour les droits des femmes », France TV Info, 9 mars 2019. Disponible sur : https://www.francetvinfo.fr/monde/espagne/espagne-500-000manifestants-pour-les-droits-des-femmes_3225685.html (Dernière consultation le 23 août 2019) Anonyme. « « La Story », le nouveau podcast d’actualité des « Échos » », Les Échos, 6 mai 2019. Disponible sur : https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/la-story-le-nouveau-podcastdactualite-des-echos-1016401 (Dernière consultation le 23 août 2019) Anonyme. « Manifestations contre les violences sexistes et sexuelles : « On veut du respect, on n’est pas des objets » », Le Monde, 24 novembre 2018. Disponible sur : https://www.lemonde.fr/ societe/article/2018/11/24/marches-noustoutes-les-feministes-esperent-des-dizaines-de-milliersde-manifestants-dans-les-rues_5388001_3224.html (Dernière consultation le 23 août 2019)

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Anonyme. « Les femmes, toujours en minorité dans les médias », Le Monde, 9 mars 2015.

Disponible sur : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/03/09/les-femmes-toujours-enminorite-dans-les-medias_4590137_4355770.html (Dernière consultation le 25 août 2019) Anonyme. « Violences conjugales : 121 femmes tuées par leur conjoint ou ex-compagnon en 2018 », France Inter, 10 juillet 2019. Disponible sur : https://www.franceinter.fr/societe/violencesconjugales-121-femmes-tuees-par-leur-conjoint-ou-ex-compagnon-en-2018 (Dernière consultation le 25 août 2019) Anonyme. « «Ligue du LOL», Vice, HuffPost... Plusieurs cas de harcèlement et de discrimination révélés dans les médias », France TV Info, 7 mars 2019. Disponible sur : https://www.francetvinfo. fr/societe/harcelement/ligue-du-lol/ligue-du-lol-vice-huffpost-plusieurs-cas-de-harcelement-et-dediscrimination-reveles-dans-les-medias_3186737.html (Dernière consultation le 25 août 2019) Anonyme. « Le «Manifeste des 343 salopes» paru dans le Nouvel Obs en 1971 », Le Nouvel Obs, 27 novembre 2017. Disponible sur : https://www.nouvelobs.com/societe/20071127.OBS7018/lemanifeste-des-343-salopes-paru-dans-le-nouvel-obs-en-1971.html (Dernière consultation le 25 août 2019)

RAPPORTS, CATALOGUES, DOSSIERS

CCIJP, 35047 cartes attribuées en 2017. Disponible sur : http://www.ccijp.net/article-33-cartesattribuees-en.html (Dernière consultation le 25 août 2019) CSA, La présence des femmes dans les éditions d’information du 1er trimestre 2014. Disponible sur : https://www.csa.fr/Informer/Collections-du-CSA/Thema-Toutes-les-etudes-realisees-ou-corealisees-par-le-CSA-sur-des-themes-specifiques/Les-etudes-du-CSA/La-presence-des-femmesdans-les-editions-d-information-du-1er-trimestre-2014 (Dernière consultation le 25 août 2019) Haut Conseil à l’Egalité entre les Femmes et les Homme, Repères statistiques. Disponible sur : http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/violences-de-genre/reperes-statistiques/ (Dernière consultation le 25 août 2019) INA, En dix ans, les matinales radio se sont politisées. Disponible sur : https://larevuedesmedias. ina.fr/en-dix-ans-les-matinales-radio-se-sont-politisees (Dernière consultation le 25 août 2019) INED, Population par région et département. Disponible sur : https://www.ined.fr/fr/tout-savoirpopulation/chiffres/france/structure-population/regions-departements/ (Dernière consultation le 20 août 2019) INSEE, Bilan démographique 2018. Disponible sur : https://www.insee.fr/fr/ statistiques/1892086?sommaire=1912926 (Dernière consultation le 25 août 2019) INSEE, Population par sexe et groupe d’âges en 2019. Disponible sur : https://www.insee.fr/fr/ statistiques/2381474 (Dernière consultation le 20 août 2019) INSEE, Diplôme le plus élevé selon l’âge et le sexe en 2018. Disponible sur : https://www.insee.fr/ fr/statistiques/2416872 (Dernière consultation le 20 août 2019) Médiamétrie, Global Audio, 26 mars 2019. Disponible sur : https://www.mediametrie.fr/fr/global-

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audio-0 (Dernière consultation le 25 août 2019) Médiamétrie, Les jeunes, fans d’audio, 26 juin 2019. Disponible sur : https://www.mediametrie.fr/fr/ les-jeunes-fans-daudio (Dernière consultation le 25 août 2019) Ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, Le niveau d’études de la population et des jeunes. Disponible sur : https://publication.enseignementsup-recherche.gouv. fr/eesr/10/EESR10_ES_20-le_niveau_d_etudes_de_la_population_et_des_jeunes.php (Dernière consultation le 20 août 2019) Observatoire des métiers de la presse, Profession : journaliste – Qui sont les détenteurs de la carte de presse en 2017 ?. Disponible sur : https://metiers-presse.org/data/uploads/2019/02/ infoposter.png (Dernière consultation le 25 août 2019) Observatoire des métiers de la presse, Focus sur les femmes journalistes – Etudes statistiques des données fournies par la CCIJP (base 2014). Disponible sur : https://data.metiers-presse.org/ chiffres2014/femmes.php (Dernière consultation le 25 août 2019)

RESSOURCES AUDIOVISUELLES

Débat « Le podcast, nouvel eldorado féministe ? » [Enregistrement vidéo], 1h17, Arte Radio, 4 novembre 2017. Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=lnjir6REfC0 (Dernière consultation le 25 août 2019) Podcasts du Paris Podcast Festival 2018. Disponible sur : https://www.parispodcastfestival.com/ podcast (Dernière consultation : 22 août 2019)

WEBOGRAPHIE

Annuaire des Podcasts avec des femmes de Podcastéo. Disponible sur : http://podcasteo.fr/ annuaireW.php (Dernière consultation le 22 août 2019) Compte Apple Podcasts Bliss Stories. Disponible sur : https://podcasts.apple.com/fr/podcast/blissstories/id1365837531?mt=2 (Dernière consultation le 13 août 2019) Compte Ausha La Menstruelle. Disponible sur : https://podcast.ausha.co/la-menstruelle (Dernière consultation le 20 août 2019) Compte Ausha Héroïnes de la rue. Disponible sur : https://podcast.ausha.co/margueritestern/ heroines-de-la-rue-1 (Dernière consultation le 13 août 2019) Compte Tumblr Les mots tuent. Disponible sur : https://lesmotstuent.tumblr.com/ (Dernière consultation le 2 août 2019) Compte Facebook Paye Ta Shnek. Disponible sur : https://www.facebook.com/payetashnekleblog

84

(Dernière consultation le 12 août 2019) Compte Instagram Coup de sang. Disponible sur : https://www.instagram.com/coupdesang/ (Dernière consultation le 12 août 2019) Compte Instagram T’as joui ?. Disponible sur : https://www.instagram.com/tasjoui/ (Dernière consultation le 12 août 2019) Compte Instagram T’as pensé à ?. Disponible sur : https://www.instagram.com/taspensea/ (Dernière consultation le 12 août 2019) Compte Soundcloud Les Couilles sur la table. Disponible sur : https://soundcloud.com/lescouillespodcast (Dernière consultation le 23 août 2019) Compte Soundcloud Le Putain de podcast. Disponible sur : https://soundcloud.com/user496417702 (Dernière consultation le 13 août 2019) Compte Soundcloud Tom Tom Girl. Disponible sur : https://soundcloud.com/cheekmagazine/tomtom-girl (Dernière consultation le 13 août 2019) Dictionnaire Larousse. Disponible sur : https://www.larousse.fr/ (Dernière consultation le 23 août 2019) Entendu à la rédac. Disponible sur : http://www.entendualaredac.fr/ (Dernière consultation le 25 août 2019) Génération XX. Disponible sur : https://www.generationxx.fr/ (Dernière consultation le 11 août 2019) Internet Archive - Way Back Machine. Disponible sur : http://web.archive.org (Dernière consultation le 11 août 2019) Les Expertes. Disponible sur : https://expertes.fr/ (Dernière consultation le 20 août 2019) Page de l’eau de toilette Bloom of Rose sur le site marchand de Guerlain. Disponible sur : https:// www.guerlain.com/fr/fr-fr/parfums/parfums-pour-femmes/mon-guerlain/mon-guerlain-eau-detoilette-bloom-rose-vaporisateur (Dernière consultation le 25 août 2019) Paye Ta Pige, Disponible sur : https://payetapige.com/ (Dernière consultation le 14 août 2019) Podcastéo, Disponible sur : http://podcasteo.fr/ (Dernière consultation le 25 août 2019) Page d’accueil du Paris Podcast Festival. Disponible sur : https://www.parispodcastfestival.com/ (Dernière consultation le 20 août 2019) Présentation du podcast Regard de Birchbox. Disponible sur : https://blog.birchbox.fr/les-coulisses/ regard-decouvrez-le-premier-podcast-birchbox.html (Dernière consultation le 25 août 2019) Site d’Entre nos lèvres. Disponible sur : http://www.entrenoslevres.fr/ (Dernière consultation le 11 août 2019) Site de Nouvelles Écoutes. Disponible sur : http://www.nouvellesecoutes.fr/ (Dernière consultation le 11 août 2019)

85

TABLE DES MATIÈRES Remerciements

2

Sommaire

3

Introduction

4

I. La création d’un espace de parole : l’adaptation des caractéristiques d’un média à la prise de parole féminine

15

A. Les médias généralistes : un espace peu accueillant pour la parole des femmes

1. Des femmes mal représentées dans les médias généralistes

2. Des inégalités de genre persistantes parmi les journalistes B. Le podcast natif : un espace à conquérir

1. L’appropriation historique des médias par le féminisme

2. L’émergence d’un nouvel espace pour la parole féminine

3. Un espace de parole aux multiples avantages

a. Un média accessible

b. Un média flexible

c. Un média favorable aux voix peu écoutées

d. Un média sonore

e. Un média propice à l’empouvoirement C. Le renouvellement de certains principes du militantisme féministe

1. Des références fréquentes à l’histoire du féminisme

2. Une volonté affichée d’exprimer la parole de toutes

3. Une place donnée aux thématiques du corps et du bien-être

15 15 18 21 21 22 24 24 24 26 27 27 29 29 30 32

II. L’élargissement d’un espace de parole : la création d’une communauté en ligne et hors-ligne

34

A. Du podcast natif audio à la communauté multicanale

1- L’existence d’une communauté indépendamment de la fonction de « co-

présence »

2- Une diversité des supports en ligne et hors ligne

3- Les réseaux sociaux comme pierre angulaire de la construction d’une communauté

4. Cas pratiques : florilège des usages des réseaux sociaux par les

podcasts natifs audios

a. La promotion du podcast

b. L’interaction avec les auditeurs

c. L’interaction avec les autres podcasts

d. La réaction à l’actualité B. « Faire communauté » autour d’expériences personnelles communes

1. L’expression de l’intime : une double influence ?

a. La médiatisation de l’intime : la radio et la « TV de l’intimité »

b. Le partage de l’intime : les groupes de parole féministes

34 34

86

35 36 37 37 38 39 39 40 41 41 42

2. Le renouvellement de certaines caractéristiques des groupes de parole

féministes

a. Une proximité affichée entre animatrices et auditrices

b. Une primauté donnée à la parole personnelle

3. Le récit personnel comme vecteur de liens entre les animatrices et les auditrices

4. La reprise du principe féministe « Le privé est politique » ?

C. L’activisme digitale comme horizon ?

1. La notion de « médiactivisme » à l’épreuve des podcasts natifs audios

2. Des niveaux d’engagement contrastés

3. Des profils militants particuliers

43

III. Un espace de parole imparfait : quelles limites du podcast natif audio pour la cause des femmes ?

53

A. Entre espace à soi et entre soi : une tendance à l’homogénéité sociale ?

1. Le cas des animatrices

2. Le cas des invitées

3. Le cas des auditrices et auditeurs B. Un discours pour la cause des femmes audible mais menacé : entre fragmentation et women washing

1. Une tendance à la fragmentation ?

2. Un risque de détournement publicitaire ?

a. Un lien historique entre féminisme et capitalisme

b. La question complexe du modèle économique

c. « L’ère de la communication comme mode d’action » C. Dépasser le mythe : la « révolution podcast » en question

1. Les discours autour de la « nouvelle culture » du podcast natif

2. Les risques de cybersexisme

3. La liberté annoncée vs le rétrécissement attendu des usages

a. Le processus d’adoption du podcast natif audio

b. La structuration progressive d’un milieu professionnel

c. Une médiatisation inégale

d. L’influence des GAFAM

53 53 56 59 61

Conclusion

75

Bibliographie générale Publication Articles journalistiques Rapports, catalogues, dossiers Ressources audiovisuelles Webographie

79 79 81 83 84 84

Table des matières

86

Table des annexes

88

87

43 44 45 47 48 48 49 51

62 63 64 64 66 68 68 69 70 70 71 72 73

TABLE DES ANNEXES

Annexe I : Cartographie non exhaustive des podcasts natifs audios français créés par des femmes et ouvrant un espace de parole féminin ou féministe Nom du document : Annexe I. Cartographie non exhaustive Annexe II : Tableau de comparaison des 15 podcasts du corpus Nom du document : Annexe II. Tableau de comparaison des podcasts Annexe III : Profils des animatrices des 15 podcasts du corpus Nom du document : Annexe III. Profils des animatrices Annexe IV : Registre de l’ensemble des épisodes des 15 podcasts du corpus depuis leur création au 1er août 2019 Nom du document : Annexe IV. Registre des épisodes Annexe V : Grille de questions pour les entretiens (générale) Nom du document : Annexe V. Grille de questions Annexe VI : Retranscription de l’entretien avec Lisa Melia réalisé par l’autrice le 27 juin 2019 Nom du document : Annexe VI. Retranscription entretien Lisa Melia Annexe VII : Retranscription de l’entretien avec Alicia Cosculluela réalisé par l’autrice le 7 juillet 2019 Nom du document : Annexe VII. Retranscription entretien Alicia Cosculluela Annexe VIII : Retranscription de l’entretien avec Fiona Moghaddam réalisé par l’autrice le 5 août 2019 Nom du document : Annexe VIII. Retranscription entretien Fiona Moghaddam Annexe IX : Retranscription de l’entretien avec Laura Fernandez Rodriguez réalisé par l’autrice le 5 août 2019 Nom du document : Annexe IX. Retranscription entretien Laura Fernandez Rodriguez Annexe X : Retranscription de l’entretien avec Néné réalisé par l’autrice le 10 août 2019 Nom du document : Annexe X. Retranscription entretien Néné

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