Les Clips du label Warp Records

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Université de Liège Faculté de Philosophie et Lettres

LES CLIPS DU LABEL WARP Technologies, automates & chimères

Lionel Dutrieux Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade de licencié en Arts et Sciences de la Communication Année académique 2005-2006



LES CLIPS DU LABEL WARP Technologies, automates & chimères


Remerciements Je tiens à remercier mon promoteur M. Livio Belloi, M. Frédéricq Bianchet, M. James Burton (Warp Records), Mme Claire Delacollette, M. Richard Fenwick, Mme Anne Garnier, Melle Catherine Lemaire, M. Marc-Emmanuel Mélon, M. Christophe Pirenne, M. Dick Tomasovic, M. Aldo Guillaume Turin, M. Louis Welsche, Caroline Music Liège, La Médiathèque, mes parents et grands-parents. À l’instar de John Blacking, je suis convaincu que tout effort est la synthèse des réactions d’un individu à tous les apports précieux d’autrui ; de sorte que ces brefs remerciements ne représentent qu’une partie de la gratitude que je dois à tous ceux qui m’ont aidé à apprécier et à comprendre la musique, le cinéma et les clips.

Images Les photographies des clips du label Warp sont reproduites avec l’aimable autorisation de Warp Records. © Warp Records Limited. Toute autre illustration comporte son copyright. Les graphiques ont été réalisés avec le logiciel Peak 4 de BIAS.

fig.

a

b

c

d

Ce mémoire comporte un dvd avec les clips analysés.


Sommaire

Introduction

7

Chapitre 0. Préliminaires

13

Chapitre I. Le flirt technologique

27

Chapitre II. Automates : l’union 57 Chapitre III. Chimères : le divorce

89

Conclusion. Entre fusion et fragmentation : le clip

123

Clipographie

129

Références

139

Index

147

Table des matières

155



Introduction

« C’est un lieu commun décourageant d’entendre parler de la musique de film comme d’un “art négligé”. Pour aller à l’encontre de cette tendance, les universitaires qui travaillent dans le domaine de la musique de film doivent se confronter directement aux modèles historiques et critiques de leur discipline. Ce n’est qu’à cette condition que l’art de la musique de film bénéficiera de l’attention et de l’appréciation qu’elle mérite. » Jeff Smith, The Sound Of Commerce ‑ Marketing Popular Film Music.

L’étude des clips d’un label de musiques électroniques, Warp Records, a été l’occasion d’une rupture de cadrage radicale, entendue au sens d’Erving Goffman . Nous avons, en effet, perçu la situation d’une manière erronée et, ce, depuis le début de notre cursus. Où se situe la faute ? Les clips pullulent sur nos écrans et ils sont pourtant méconnus voire ignorés du monde universitaire. Ce n’est que depuis quelques années seulement qu’une série d’études a apporté des réponses à un étonnant aveuglement académique ‑ ou serait-ce de la surdité ? Nous pensons aux travaux d’Andrew Goodwin, de Nicholas Cook et de Carol Vernallis , mais aussi à celui de Michel Chion . Il est temps, selon nous, de changer de point de vue.

L’intérêt de notre étude s’étend sur plusieurs points. Tout d’abord, le clip, par sa carence

théorique, demande une reconsidération de notre méthode d’approche. Un clip n’est pas du cinéma ou, en tout cas, pas tout à fait : c’est d’abord un clip. Mais qu’est-ce que le cinéma ? Pensé comme une relation d’éléments et, finalement, empruntant le terme à Nicholas Cook, comme un objet

.  Columbia University Press, New York, 1998, p. 235. Traduit par Nadine Plateau. .  Erving Goffman, Les cadres de l’expérience, Coll. « Le sens commun », Les Éditions de Minuit, Paris, 1991, pp. 338369. Lire à ce propos l’excellent ouvrage d’introduction à l’œuvre du sociologue de Jean Nizet et Natalie Giraux, La sociologie d’Erving Goffman, Coll. « Repères », Éditions La Découverte, Paris, 2005, pp. 64-74. .  Respectivement Andrew Goodwin, Dancing in the Distraction Factory : Music Television and Popular Culture, University of Minnesota Press, Minneapolis, 1992 ; Nicholas Cook, Analysing Musical Multimedia, Oxford University Press Inc., New York, 1998 [reprinted 2004] ; Carol Vernallis, Experiencing Music Video: Aesthetics and Cultural Context, Columbia University Press, New York, 2004. .  Michel Chion, Un art sonore, le cinéma, Coll. « Cinéma Essais », Cahiers du Cinéma, Paris, 2003, ainsi que L’audiovision - Son et image au cinéma, Coll. « Cinéma », Armand Colin, Paris, 2005, [deuxième édition].


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multimedia , la question ne se posera plus. Le clip, mais aussi l’opéra et la publicité seront dans ce cas, eux-mêmes, des objets multimedias : des images, des sons, des textes, etc. en relations réciproques. Les clips ne seront dès lors plus réfléchis en fonction d’un hypothétique grand frère cinématographique, mais pour eux-mêmes, pour leur apport d’une esthétique propre, par une approche nouvelle de ses composants.

Ensuite, le choix d’un label de musique électronique indépendant nous permettra de

prendre du recul face aux flots de sons et d’images recouverts par le terme « clip ». Musicalement, ce label a ouvert de nouvelles perspectives musicales, largement suivies par la suite. Il n’en reste pas moins novateur aujourd’hui encore. De plus, Warp Records nous ouvrira les portes de ce que certains nomment les « nouvelles images ». Nous essayerons de déterminer ce qui se cache derrière ce vocable. A priori, qui dit nouvelles images, dit questions nouvelles. Nous aborderons certains questionnements posés par notre corpus, principalement sur le rapport entre la technologie, la musique et l’homme. Quoi qu’il en soit, nous nous sommes avant tout intéressé à la nécessité d’analyser le clip sous toutes ses facettes, qu’elles soient visuelles, textuelles ou musicales. C’est avec cette ambition que nous pourrons alors déterminer les caractéristiques du clip en général, et finalement, pourquoi pas, d’identifier une esthétique propre à notre corpus.

Par conséquent, nous nous heurtons à un véritable obstacle : celui de la formation . En tant

qu’étudiant en communication, n’ayant pas eu de formation musicale solide, nous savions, dès le départ, que nous ne parviendrions pas à assurer totalement le versant musical de nos analyses. Nous avons pourtant décidé de poursuivre notre travail, nous intéressant autant à la musique qu’à l’image. Notre espérance étant que ce travail soit suivi d’autres recherches le complétant. Cependant, démontrer tout l’intérêt de ce type de recherche nous satisfera déjà grandement.

Nous laisserons volontairement de côté la question de la post-modernité dans les clips. Ce

type d’association nous a, en effet, été déconseillé  . Ce mémoire commence par une mise au point théorique, méthodologique et historique du clip,

.  Nous reviendrons plus longuement sur cette proposition dans les préliminaires. .  Andrew Goodwin explique : « […] les analystes des musiques populaires ont négligé l’importance de ce que nous voyons (et sa relation avec ce que nous entendons), alors que, d’un autre côté, les analystes des chaînes musicales ont délaissé ce que nous entendons (et sa relation avec ce que nous voyons). » [Traduit par nous.] Andrew Goodwin, op. cit., p. xx, 2-3. Cette négligence s’explique, peut-être, par l’impressionnante quantité d’informations que doit gérer le chercheur, ainsi que nous l’expliquons à la fin du chapitre préliminaire. .  Lire en particulier Andrew Goodwin, « MTV Meets Postmodern Theory », in Simon Frith, Andrew Goodwin et Lawrence Grossberg (Edited by), Sound and Vision: Music Video Reader, Taylor & Francis Books Ltd., 1993, pp. 45-66. Nicholas Cook y revient dans sa préface de Analysing Musical Multimedia, p. vi. Certains auteurs tiennent pourtant, encore aujourd’hui, à parler de postmodernisme en regard des clips. Citons, sur le sujet qui nous intéresse : Laurent Jullier, « Come to Daddy ! Aphex Twin et Jean-François Lyotard », Volumes, hors-série n° 1 - Rock et cinéma, Éditions Mélanie Séteun, Clermont-Ferrand, 2004, pp. 87-92. .  Il nous a été conseillé d’historiciser toute étude concernant les clips. Lire Andrew Goodwin, art. cité, p. 65.


INTRODUCTION

ainsi que d’un historique du label Warp Records. Ensuite, notre étude s’échelonnera sur trois thèmes, que nous développerons en trois chapitres. Le chapitre premier s’intéressera à la technologie, la musique électronique et l’image dite « virtuelle », questionnant notre rapport au réel. Le second, baptisé métaphoriquement Automates : l’union, sera l’occasion de parler du synchronisme et de l’aspect commercial du clip. Le troisième, Chimères : le divorce, s’abandonnera à la fragmentation et au formalisme. Chaque chapitre sera l’occasion de considérer une sélection de clips sous un angle particulier. Bien entendu, le choix de placer tel ou tel clip dans une catégorie est pragmatique et nous n’hésiterons pas à faire de nombreux liens par delà les chapitres. Les clips de notre corpus ne seront pas abordés d’une manière chronologique : le lecteur qui désire une liste chronologique des clips du label Warp Records se reportera en fin d’ouvrage, dans la partie appelée clipographie. Nous aimerions que ce mémoire participe à un radical changement de point de vue sur les clips, mais également et plus largement sur le cinéma sonore.

Avertissement : média et media

Pour clarifier notre propos, nous avons fait la différence entre le terme média, « moyens de diffusion, de distribution ou de transmission de signaux porteurs de messages écrits, sonores, visuels » (Le Petit Robert) et le terme media (sans accent) au sens de Nicholas Cook, c’est-à-dire les données de différentes natures intégrées dans une œuvre multimedia. De même, nous établissons une différence entre le terme multimédia, « qui concerne plusieurs médias », et celui de multimedia, qui concerne plusieurs medias. Nous espérons que la distinction ne portera pas à confusion.



Chapitre 0



Préliminaires

Le clip n’est pas du cinéma

Nous voudrions, avant d’aborder notre corpus, définir ce que nous entendons par le terme « clip ». Nous utilisons le terme clip, mais sont indifféremment utilisés les termes vidéo-clip, bande vidéo promotionnelle, promo, bande promo, pop video, music promo video , clip vidéo, music video, vidéoclip, clip musical ou vidéo musicale10. « Clip » est un mot d’origine anglaise signifiant « extrait » : to clip something off, couper. Le Petit Robert parle de « film vidéo, bref, percutant, qui utilise nombre d’effets spéciaux, réalisé pour promouvoir une chanson et par extension un artiste, un personnage politique, etc.11 » Le Petit Larousse indique, pour sa part : « court-métrage cinématographique ou vidéo qui illustre une chanson, qui présente le travail d’un artiste12 ». « Au cinéma ou en vidéo, précise l’Encyclopædia Universalis13, le clip est une courte production destinée à présenter un artiste, son œuvre. » Ces trois définitions sommaires présentent déjà des divergences, mais une certitude : le clip, c’est bref. Est-ce un film, une vidéo, les deux ou ni l’un ni l’autre ? Présente-t-il un artiste ou son travail, vend-il une chanson ou l’illustre-t-il simplement ? Un clip peut-il promouvoir un personnage politique comme Le Petit Robert le laisse à penser ? « Nombre d’effets spéciaux » sont-ils réellement nécessaires ? Clarifions. Nous considérons le clip comme une œuvre multimedia, principalement audiovisuelle et communément courte, réalisée au départ d’une musique. Cette définition, au sens délibérément étendu, demande quelques précisions. Tout d’abord, parler d’œuvre implique une création, une production, en vue d’une fin. Cette dernière peut être mercantile, ce qui est d’ailleurs couramment le cas. Ainsi .  Ou music promo, à ne pas mélanger avec music commercial, publicité télévisée pour un album de musique ou un single et non pour une chanson particulière. 10.  Lire Andrew Goodwin, op. cit., p. 30. 11.  Le Nouveau Petit Robert, Dictionnaires Le Robert/ VUEF, Paris, 2002. 12.  Le Petit Larousse 2002, Larousse/ VUEF, Paris, 2001. 13.  « Clip », Encyclopædia Universalis - Version 5, [dvd-rom], Encyclopædia Universalis France S.A., s. l., 2001.

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LES CLIPS DU LABEL WARP

le clip fait généralement la promotion d’un groupe ou d’une musique, in fine d’un album, parfois même d’un film14. Il participe à la construction de l’image d’un groupe ou d’un interprète. Mais le clip répond tout simplement au besoin d’apporter une image là où seule la musique demeure. À l’instar des pochettes de disques, il occupe « une zone floue entre le marketing et l’expérience esthétique »15. Ensuite, nous ne parlons ni d’œuvre filmique ni d’œuvre vidéo16 mais de création multimedia, pour ne pas simplement dire audiovisuelle. Dans audiovisuel, le son et l’image ne font qu’un et, bien que la musique vienne avant, aucun des deux n’a, au final, de prééminence sur l’autre. Mais le clip est, selon nous, un objet multimedia c’est-à-dire une combinaison, sur un même support, de données de différentes natures comme le son, l’image et, lorsqu’il y en a, des paroles ou du texte. « C’est l’interaction de différents medias qui définit le multimedia », écrit Nicholas Cook17. Michel Chion aime à parler d’« audio-logo-visuel » lorsque l’audiovisuel inclut du langage sous forme écrite et/ou parlée18 . Il fait valoir, tout comme Carol Vernallis19, que la situation est le plus souvent triangulaire et non duelle : « ainsi un vidéo-clip combine non de l’image et de la musique, mais des paroles, de la musique et des images20 ».

De sorte que parler de multimedia est, pour nous, important. Nous ne considérons pas

14.  Moins courant, ce type de clip, différent de la bande-annonce, présente un titre de la bande-son du film, souvent agrémenté d’extraits du film. Le clip Die Another Day de Madonna, mélange des extraits du film Meurs un autre jour avec des scènes spécialement tournées pour le clip. Parfois, il existe deux versions d’un même clip, l’un centré sur le film, l’autre sur la musique, comme c’est le cas avec le titre 1 Thing de la chanteuse de R&B Amérie. (Lire Jeff Smith, The Sound Of Commerce ‑ Marketing Popular Film Music, Columbia University Press, New York, 1998.) Le clip est aussi un objet de mode et, en cela, un terrain prisé pour intégrer de la publicité. De même, la publicité intègre parfois ses codes : Pepsi, Coca Cola ou Levis ont régulièrement fondé leur publicité sur un morceau de musique. 15.  Pour reprendre et inverser l’analogie de Nicholas Cook dans Analysing Musical Multimedia, op. cit., p. 71. 16.  Nous aurions ainsi pu qualifier le clip d’œuvre « télévisuelle », car nous aimons à penser la télévision comme un objet radiophonique avant tout ‑ Michel Chion parle d’ailleurs de « radio illustrée » dans son livre L’audio-vision. La télévision a, en effet, forgé une certaine esthétique du clip et certains voient dans ce « produit typique de la télévision » (cf. Pierre Sorlin, p. 193) une des créations télévisuelles des plus avancées. Mais cela aurait fait l’impasse sur les nombreuses évolutions du clip et ses multiples systèmes de distribution. Cela aurait également restreint le terme à un médium particulier. Ne pas qualifier le clip par le terme « video » s’explique par le fait que nombre de clips sont tournés sur pellicule, les caméras DV étant utilisées sur les productions à très petit budget. [Lire Peter Fraser, Vivienne Clark (Editor), Teaching Music Video, Teaching Film and Media Studies Series, BFI Publishing, Londres, 2005, p. 41.] Notons que le clip s’achète maintenant à la pièce, pour lui-même et à l’instar d’une chanson, sur Internet via, entre autres, le magasin en ligne d’Apple, l’iTunes Music Store, ou eMusic, à regarder sur l’écran de l’ordinateur ou sur baladeur tel l’iPod de la même firme. Le marché de la téléphonie se montre prometteur, mais pensons, comme autre support de diffusion, au dvd ‑ nombres de groupes ou de labels proposent leur compilation de clips pour eux-mêmes ou en accompagnement d’un disque ‑ une démarche adoptée par les labels Ninja Tune et Warp et valorisée aujourd’hui. Pour donner un exemple, le clip Dayvan Cowboy des Boards Of Canada a été distribué sur support dvd, offert à l’achat du maxi Trans Canada Highway. Plus discrètement, des festivals se destinent à présenter des clips, ainsi que le fait le Festival itinérant Resfest (Res, [Internet], http://www.res.com) ou à favoriser la création de clips, comme le fait le Radar Festival - Next Generation Music Video, ([Internet], http://www.radarfestival.com). Sur l’esthétique télévisuelle du clip, lire Pierre Sorlin, Esthétiques de l’audiovisuel, Éditions Nathan, Paris, 1992, et plus particulièrement le chapitre intitulé « Télévision : une boîte à bruit ? », pp. 153-182. 17.  Nicholas Cook, op. cit., p. viii. [Traduit par nous.] Le multimedia inclut, dès lors, les pratiques artistiques comme le théâtre, l’opéra, mais aussi le cinéma, la publicité, les jeux videos, etc. 18.  Lire Michel Chion, L’audio-vision, op. cit., pp. 143-154. 19.  Carol Vernallis, op. cit, p. 13. 20.  Michel Chion, Un art sonore, le cinéma, op. cit., p. 413.

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PRÉLIMINAIRES

l’image, les paroles ou la musique comme étant autonomes et leurs relations complémentaires. En revanche, nous parlons volontiers de « relations mutuelles21 », en d’autres mots, d’une combinaison concomitante, qui ne peut se comprendre qu’en termes de dénotation et connotation, ainsi que le préconise Nicholas Cook, dans Analysing Musical Multimedia22 ‑ nous renvoyons à la description des différents modèles qu’il réalise dans cet ouvrage23. L’importance du contexte est dès lors cruciale : le sens de chaque élément ‑ qu’il soit sonore, visuel ou autre ‑ est fonction de son contexte24. « Au lieu de parler d’un hypothétique sens que la musique contiendrait, écrit Nicholas Cook, nous devrions parler du sens que la musique engendre (et a modifié) dans un contexte donné.25 » Nous élargissons cette suggestion aux images, aux textes et à tout ce qui fait le contexte musical d’un clip. Chaque media ne prend sens que dans un contexte donné. Le terme musique est préféré à chanson ou parole pour deux raisons. Premièrement, parce qu’une chanson est « un texte mis en musique » (Le Petit Robert) ; le terme « musique » englobe, selon nous, bien plus de pratiques musicales que le mot chanson26 telles les musiques électroniques, nous le verrons, fréquemment dépourvues de paroles. Deuxièmement, parce que, ainsi que le fait remarquer Carol Vernallis, dans la pop, « la musique est plus couramment composée en premier, et les paroles écrites ensuite27 ». Enfin, la durée n’a pas, selon nous, d’importance : tout au plus pouvons-nous observer qu’un clip tient couramment entre trois et quatre minutes. Cette longueur trouve sa raison d’être dans l’industrie de la musique pop, commerciale avant tout : ainsi que l’explique Andrew Goodwin28, la musique est courte pour donner envie d’en entendre plus et ne surtout pas lasser l’auditeur car

21.  Pour reprendre les termes de Claudia Gorbman, cité par Nicholas Cook, op. cit., p. 21. 22.  Ibid., p. 22. 23.  Particulièrement le chapitre III, pp. 98-129. Il y distingue trois modèles de relations multimedia : conformance (similarité), complementation (complémentarité) et contest (compétition). [La traduction est de nous.] Jean-Yves Bosseur rappelle, dans Le sonore et le visuel, la classification suggérée en 1973 par Stanley Gibb, laquelle différencie le multimedia du mixed-media et de l’intermedia. Jean-Yves Bosseur, Le sonore et le visuel - intersections musique/arts plastiques aujourd’hui, Dis Voir, Paris, 1992, p. 131. 24.  Tout comme le montage fait de chaque plan ce qu’il est, « la musique n’est jamais seule » conclut Nicholas Cook dans Analysing Musical Multimedia (op. cit., pp. 164-165). Sur le montage, lire Vincent Amiel, Esthétique du montage, Armand Colin, Paris, 2005, p. 31. De la même manière, « un signe n’est jamais signe que dans un contexte donné » écrit Jean-Marie Klinkenberg dans Précis de sémiotique générale, Coll. « Points Essais », De Boeck Université - De Boeck et Larcier S.A., Paris, 1996, p. 209. 25.  Nicholas Cook, op. cit., p. 9. L’auteur, en affirmant que la musique n’est jamais seule (“music is never alone”, écrit-il) explique, dans Analysing Musical Multimedia, qu’il voit la culture musicale comme irréductiblement et substantiellement multimedia. Andrew Goodwin conclut, pour sa part, que la relation son/image a toujours été au cœur des musiques populaires. Nicholas Cook, op. cit., pp. 9 et 23 et Andrew Goodwin, op. cit., p. 188. [Les traductions sont de nous.] 26.  Encore faut-il prendre le terme « musique » dans le sens adéquat et ne pas le limiter à la seule musique dite « classique », ainsi que certains musicologues en ont pris l’habitude. Le terme englobe, selon nous, toutes les pratiques musicales, qu’elles soient occidentales ou non, instrumentales ou non, électroniques ou non, à la seule condition qu’elle soit une création issue de moyens humains. Lire à ce propos Nicholas Cook, Musique, une très brève introduction, traduit de l’anglais par Nathalie Gentili, Éditions Allia, Paris, 2006. Première édition sous le titre Music : A very short introduction, Oxford University Press, 1998. 27.  Carol Vernallis, op. cit., p. 138. [Traduit par nous.] 28.  Lire Andrew Goodwin, op. cit., pp. 80-83.

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en bout de course il y a la vente d’albums. Mais il existe des clips de plus de 14 minutes comme Thriller de Michael Jackson (John Landis, 1983) ou, plus récemment, le clip d’une durée promise de 20 minutes du groupe The Streets (Alastair Siddons, 2006) 29. Du mythe à l’histoire

Après cette mise au point, nous aimerions revenir très rapidement sur l’historique du clip. Ce n’est pas l’objet de ce mémoire. Nous pensons toutefois que notre définition, proposée plus haut, ouvre de nouvelles perspectives que nous allons aborder plus longuement avec les productions du label Warp. Dans le même mouvement, cette définition suggère au clip un passé bien plus riche que l’histoire mythique dans laquelle le sens commun l’a un peu vite enfermé. Selon nous, affirmer que les Soundies, Scopitones et autres expérimentations mêlant sons et images ne sont pas des « clips » (au sens décrit plus haut) est aussi peu pertinent que de dire que les vues Lumière ne sont pas du cinéma. Bien qu’elles diffèrent, il est vrai, de ce que nous avons l’habitude de voir défiler aujourd’hui sur MTV, ces œuvres et autres productions répondent aux mêmes exigences multimedias précitées, avec certes leurs particularités. D’autant plus que « la littérature académique consacrée à MTV est presque pathologiquement anhistorique », écrit Andrew Goodwin30, ce qui fait passer la chaîne musicale comme une forme inchangée depuis sa création en 1981.

De fait, il est de bon ton de faire naître le clip en 1975 avec Bohemian Rapsody du groupe

londonien Queen31. Mais, « ce ne fut ni le premier clip, ni ce qui a précipité l’arrivée de MTV32 » écrit Pete Fraser, qui, au risque de contrarier certains préjugés, fait remonter la relation entre la musique et le visuel cinquante ans plus tôt, avec les expérimentations d’Oskar Fischinger, dès les années 192033. De même, dans son Archéologie du cinéma sonore, Giusy Pisano montre que les relations entre le son et l’image sont bien antérieures aux inventions du phonographe et du cinématographe34. Séparer l’acoustique de l’optique est un artifice académique. « Les deux domaines sont étroitement liés »

29.  « MTV, The Streets’ Mike Skinner And 25 Young People Set To Enter The Record Books With Epic Music Video! », Viacom, [Internet], http://www.viacom.com/view_release.jhtml;jsessionid=KY42ZUMGBOZXKCQBAHI Q4CY?inID=4&inReleaseID=227182, visité le 02 août 2006. À l’heure d’écrire ces lignes, nous n’avons pas encore eu l’occasion de voir ce clip. 30.  Andrew Goodwin, op. cit., p. 48. [Traduit par nous.] 31.  Ibid., pp. 4 et 30. 32.  Pete Fraser, Vivienne Clark (Editor), Teaching Music Video, Teaching Film and Media Studies Series, BFI (British Film Institute) Publishing, Londres, 2005, p. 18. [Traduit par nous.] 33.  Oskar Fischinger a notamment réalisé Komposition in Blau en 1935 et a participé au film d’animation Fantasia (1939) de Walt Disney. Lire Philippe Langlois, « Pionniers et précurseurs : Oskar Fischinger », Observatoire Leonardo pour les Arts et les Techno-Sciences, [Internet], http://www.olats.org/pionniers/pp/fischinger/fischinger.shtml, visité le 20 mars 2006. Nous renvoyons au bref historique du clip ‑ un vrai historique restant encore à écrire ‑, esquissé par Pete Fraser dans Pete Fraser, Vivienne Clark (Editor), op. cit., pp. 17-23, ainsi qu’à la ligne du temps esquissée par Andrew Goodwin, op. cit., pp. 189 et 198. 34.  Giusy Pisano, Une archéologie du cinéma sonore, CNRS Éditions, Paris, 2004, p. 1.

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PRÉLIMINAIRES

écrit Giusy Pisano35. Historiquement, leurs relations zigzaguent entre complémentarité, concurrence et ignorance à l’instar du son et de l’image dans une œuvre audiovisuelle. « Bien des cultures ont été animées du désir de donner à la musique une présence tangible et durable36 » constate Nicholas Cook. Que l’on pense simplement à la notation traditionnelle. Elle n’est pas neutre ; elle transmet toute une manière de penser la musique.

Afin de ne pas remonter jusqu’à la relation entre le tonnerre et l’éclair, revenons à ce qui

nous concerne directement. « Depuis ses débuts en 1895, écrit Richards S. James, le cinéma muet était accompagné de musique et d’effets sonores par des musiciens locaux.37 » Ces accompagnements en direct étaient malheureusement « contaminés par des musiques inappropriées, des performances de faible qualité et des difficultés de synchronisation avec l’image sur l’écran38 ». Rappelons qu’en 1926 est présenté par les frères Warner le premier long-métrage sonore : Don Juan, d’Alan Crosland, agrémenté de musique et de bruitage. Le procédé employé, le Vitaphone, développé avec la Western Electric, est basé sur la synchronisation d’un disque avec le projecteur. Un an plus tard, en octobre 1927, Le Chanteur de jazz, toujours d’Alan Crosland, sera le premier film chanté et parlé39. Ce film comporte en réalité très peu de voix et reste muet pour l’essentiel, mais il est considéré comme le point de référence historique du passage du muet au parlant40. En 1929, l’enregistrement du son par procédé optique dispose, enfin, le son à côté de l’image sur le même film.

Le cinéma fut donc le terrain privilégié de la relation entre le son et l’image avec ses comédies

musicales, ses musical illustration41, ses apparitions diverses d’artistes42, ses documentaires ‑ montrant des pratiques populaires comme le Woodstock de Michael Wadleigh ‑, ses divertissements ‑ Fantasia (1939) et les Silly Symphonies, de Walt Disney ‑, ses expérimentations ‑ Colourbox (1937) de Len Lye et Caprice en couleur (1949) de Norman McLaren ‑, etc.

Afin d’enrichir l’histoire de la relation entre le son et l’image tout en étant le plus bref possible,

résumons-la à trois moments : les Soundies, le Scopitone et l’apparition de MTV. Premièrement, en 1940, à Chicago, la Mills Novelty Company ‑ plus grand constructeur de Jukeboxes de l’époque ‑ et

35.  Ibid., p. 5. 36.  Nicholas Cook, Musique, une très brève introduction, op. cit., , p. 60. 37.  Richard S. James, « Avant-Garde Sound-on-Film Techniques and Their Relationship to Electro-Acoustic Music », The Musical Quarterly, vol. 72, n° 1, 1986, p. 75. [Traduit par nous.] 38.  Idem. [Traduit par nous.] 39.  Sur les débuts du parlant, lire John Belton, « Awkward Transitions: Hitchcock’s “Blackmai” and the Dynamics of Early Film Sound », The Musical Quarterly, vol. 83, n° 2, été 1999, pp. 227-246. 40.  Pourtant, des courts-métrages Vitaphone existaient déjà avant lui. Un autre procédé, concurrent du Vitaphone, le Movitone de Wallace Fox, à piste photographique et à densité variable, sorti à la même époque est vite rattrapé par la RCA et son procédé Photophone, à élongation variable. Jean-Loup Passek (sous la direction de), Dictionnaire du cinéma, In Extenso, Larousse-Bordas/ HER, 2000, pp. 2016-2024. 41.  Jeff Smith, op. cit., p. 29. 42.  Par exemple,The Girl Can’t Help It (La blonde et moi) de Frank Tashlin, présente, entre autres, Little Richard et Fats Domino. Lire, à ce propos, Jeff Smith, op. cit.

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James Roosevelt43 créent la Globe-Mills Production dans le but de construire et vendre des jukeboxes Panoram44. À l’insertion d’une pièce de monnaie, ces machines en bois jouaient et projetaient sur leur petit écran, par un système de lentilles et de miroirs, le film d’une chanson d’environ trois minutes en noir et blanc appelé Soundies45. Ensuite, dans les années 1960, une « monstrueuse nouvelle machine » ‑ termes utilisés par le magazine Time en 196446 ‑ appelée Scopitone47 apparaît sur le marché français, puis américain48. C’est un juke-box comparable au Panoram. Il est doté comme lui d’un écran et joue, au contact d’une pièce, un court-métrage musical. Deux améliorations feront toutefois passer le Scopitone comme une nouveauté sans précédent : son écran couleur et le libre choix49. Enfin, troisièmement, l’apparition de la chaîne MTV en 1981 montre l’utilisation du médium télévisuel et l’apparition d’un format standardisé, court et attractif, en constante transformation pour mieux coller à l’air du temps50. La télévision n’a pas attendu MTV pour diffuser des performances 43.  Le fils du président Franklin Roosevelt. 44.  Parfois écrit « Panarom ». 45.  Produits en grand nombre dans les années 1941-1942, ces courts-métrages « étaient filmés en une journée, la musique étant préenregistrée, les musiciens, le chanteur ou la chanteuse mimant au son de la musique […] », écrit Scott Yanow. L’appareil proposait un choix de huit à dix films, régulièrement modifié comprenant de nombreux titres de Jazz. Le succès est bref : la production de ces juke-boxes visuels subit de plein fouet les longues grèves dans le secteur de l’enregistrement musical et surtout les conséquences de la Seconde Guerre Mondiale (telles les restrictions matérielles : « les progrès des juke-boxes visuels étaient presque complètement stagnants en 1943, à cause de la guerre », explique Kerry Segrave.). Ainsi, « relativement peu de bars et de restaurants ont installé des machines Panoram » [Traduit par nous. Scott Yanow, Jazz On Film: The Complete Story of the Musicians & Music on Screen, Backbeat Books, San Francisco, 2004, p. 3. ; R. Serge Denisoff, Tarnished Gold- The Record Industry Revisited, Transaction Publishers, New Jersey, 1997, p. 330. ; Kerry Segrave, Jukeboxes - An American Social History, McFarland & Company, North Carolina, 2002, pp. 156-157.] 46.  « Scooby-Ooby Scopitone », Time magazine, vol. 84, n° 8, 21 août 1964. 47.  Voir Pascal Forneri, « Mamy Scopitone - L’âge d’or du clip », Program33, avec la participation de France 5, Arte France et Match, France, 2005 in « Soirée Thema - Culture Clip », Arte, 30 décembre 2005. 48.  Jack Stevenson, Land of a Thousand Balconies - Discoveries and Confessions of A B-Movie Archaeologist, Headpress/ Critical Vision, Manchester, 2003, p. 32. Cinebox, écrit Michele Bovy, est le nom de marque d’un appareil de type jukebox, construit en 1959 à Cologno Monzese, au nord de Milan. Un an plus tard est dévoilé à la foire de Paris un appareil analogue : le Scopitone, mis au point par l’ingénieur Frédéric Mathieu pour la Compagnie d’Applications Mécaniques à l’Électronique au Cinéma et à l’Atomistique (CAMECA), indique Gert J. Almind, une filiale de la Compagnie Générale de TSF (télégraphie Sans Fil). Le juke-box français profita d’un succès bien supérieur comparé à son concurrent italien, d’autant qu’il se répandit dès 1963 aux États-Unis. Bien qu’aucune des deux marques ne parvienne à atteindre le potentiel économique prévu par leurs distributeurs. D’autres systèmes moins connus se dévoilèrent à la même époque, tel le Color-Sonic de l’américain Henry A. Schwartz, le Cinématique de la Société Française de Radio Télévision, avec ses 50 sélections en Super-8mm, ou encore le Caravelle Tele Box. La commercialisation du Cinebox commencera un an après celle du Scopitone. La machine italienne sépare toujours mécaniquement le son de l’image : comme le Vitaphone, les films Cinebox étaient synchronisés ensuite avec le disque qui les accompagnait, écrit Jeff Smith. [Michele Bovi, « Cinebox - Gli antenati del videoclip », Viva Verdi, 77ème année, numéro 1-2, Rome, janvier-avril 2005, pp. 96-98, disponible sur internet http://www.siae.it/documents/zip/Siae_VivaVerdi1-2-2005.zip ; Sur le Scopitone, voir Pascal Forneri, émission citée ; Gert J. Almind, « Jukebox History 1952-1998 », Juke-Box History, [Internet], http://www. juke-box.dk/gert-design52-77.htm, (visité le 24 janvier 2006) ; Jeff Smith, op. cit., pp. 142-144] 49.  Tout d’abord, le nombre de films augmente : d’une petite dizaine, on passe à 36 courts-métrages d’une durée de deux minutes trente à quatre minutes [Jeff Smith, op. cit., p. 142.]. L’innovation tient à la possibilité de choisir celui que l’on veut regarder ‑ le rembobinage est automatique ‑, et non celui qui suit sur la bobine, hasardeuse particularité du Panoram des années quarante. Deuxième nouveauté, et non la moindre, est l’apparition de films en couleur. Les scopitones, tournés sur pellicule 16 mm., sont, de plus, munis d’une piste magnétique restituant un son proche de la haute-fidélité. L’appareil passa pourtant vite de mode et ne put surfer sur la vague du rock naissant. 50.  Nous renvoyons à l’article d’Andrew Goodwin, art. cité, pp. 45-66. L’auteur montre la nécessité d’historiciser une chaîne qui, comme la pop music, ne doit s’efforcer de simplement changer, mais bien d’être perçue comme

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figure 0.1. Logotype de la chaîne MTV (Frank Olinsky, Pat Gorman et Patti Rogoff ). L’imposante lettre « M » marque l’importance de la musique. L’impertinence et la jeunesse sont signifiées par l’utilisation d’une typographie scripturale proche d’un tag. © MTV Networks, A Division of Viacom International Inc.

musicales ou des promos, lorsque les artistes ne savaient pas se déplacer. Le cinéma s’était déjà très tôt intéressé à la musique pop51. MTV n’a, de plus, pas été l’unique chaîne à diffuser des clips, mais elle a en revanche sensiblement imprégné le système. « Ce qui est vraiment important au sujet du clip, écrit Andrew Goodwin, est l’émergence dans les années 1980 d’une méthode routinière pour promouvoir des singles.52 » L’histoire de la chaîne est marquée, au début, par une indifférence affichée pour les vidéos d’artistes noirs53 qui, augmentant leur budget, vont finalement supplanter le rock comme forme dominante54. Des artistes comme Madonna ont utilisé le clip d’une manière originale, usant de chorégraphies et de plans serrés, favorisant la présence des artistes féminines sur la chaîne55. Après son rachat par Viacom en 198556 , la chaîne se diversifiera, tant sur le plan des styles, avec la création de chaînes spécialisées, que sur le plan géographique, s’installant un peu partout dans le monde ‑ en Europe en 1987. Elle diversifiera également les genres, ouvrant la voie à des programmes centrés moins sur la musique que sur le style57. Aujourd’hui, avec une industrie musicale extrêmement concentrée à l’échelle mondiale58, MTV détermine le marché télévisé du clip. Cette année, la chaîne, qui fête ses 25 ans d’existence, s’est lancée avec l’entreprise Microsoft dans le commerce de la musique en ligne pour des résultats encore inconnus. Ainsi que l’écrit Andrew Goodwin, les clips sont à lier directement avec le contexte continuellement changeante (pp. 48-49). Il marque trois époques dans l’histoire de MTV : la première (1981-1983), avec la new pop anglaise ; la seconde (1983-1985), avec le heavy metal, et la quête d’authenticité ; la troisième (depuis 1986), plus éclectique, avec l’émergence du rap. Du même auteur, lire également le chapitre consacré à la chaîne musicale « A Televisual Context: MTV » in Andrew Goodwin, op. cit., pp. 131-155. 51.  Voir, dans le chapitre II, la partie intitulée « Synergie et fusion de l’objet et de sa publicité ». 52.  Andrew Goodwin, op. cit., p. 30. [Traduit par nous.] 53.  Lire à ce sujet Peter Fraser, op. cit., p. 21. 54.  Ibid., p. 22. 55.  Idem. 56.  Le consortium Warner-Amex ayant fondé MTV vendit ses parts dans MTV Network à Viacom International en août 1985. In Andrew Goodwin, art. cité, p. 52. 57.  Lire Andrew Goodwin, op. cit., p. 54. 58.  Depuis le changement de la loi américaine sur les médias intervenu en 1996, Clear Channel contrôle une grande partie du marché musical en détenant presque 1 200 stations radios américaines. Lire Eric Boehlert, « Radio’s big bully », Salon.com, [Internet], http://www.salon.com/ent/clear_channel, visité le 18 juin 2006.

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économique et la montée en puissance des chaînes commerciales. À l’instar des services financés par la publicité, « le clip est une forme télévisée qui positionne assidûment le spectateur comme consommateur59 ». Cette forme promotionnelle et artistique est entre-temps devenue quasiment impossible à ignorer. Certains, comme Pierre Sorlin, constatent une contamination du film par le clip. Celui-ci écrit que le rock, par la manière dont il a été employé, « a profondément marqué le rapport du son à l’image60 ». Rappelons que, outre l’aspect commercial, et dans la nécessité d’être perçu comme étant toujours « à jour », MTV s’est régulièrement montré à la pointe de l’art télévisuel en favorisant, entre autres, le motion design et l’animation à travers son habillage de chaîne61. Quoi qu’il en soit, le clip, diffusé ou non à la télévision, est devenu un passage obligé. Warp l’a donc emprunté, non sans renouveler le genre et son moyen de diffusion. Le non-conformisme de Warp Records

C’est un magasin de disques situé dans un dépôt réaffecté à Sheffield62, une ville industrielle au Nord de l’Angleterre63, qui est à l’origine du label. « C’était un endroit où les gamins fous de rave se rassemblaient pour apporter des cassettes, des white labels64, et se les échanger », explique Steve Beckett lors d’une interview pour le magazine français Trax65 . La boutique est gérée par Rob Mitchell66 et Steve Beckett depuis 1987 : elle vendait « de la musique indépendante et surtout de la house de Chicago et de Détroit67 ». Ils se lancent dans la production de disques en 198968 afin de diffuser ce qui se créait autour d’eux. « C’était incroyable de voir l’engouement de tous ces jeunes pour cette nouvelle musique et ces nouvelles technologies. C’est à ce moment qu’on a réalisé qu’on était en train de vivre une révolution musicale et qu’on était au bon endroit, au bon moment.69 » 59.  Andrew Goodwin, op. cit., p. 170. « Les formes de la musique populaire sont inextricablement liées aux considérations économiques et sociales », écrit, pour sa part, Jeff Smith. op. cit., p. 8. [Les traductions sont de nous.] 60.  Pierre Sorlin, op. cit., p. 199. 61.  Voir à ce propos le magazine Stash qui rassemble sur dvd nombre de ces (très) courts-métrages insérés entre les publicités et les clips et centrés généralement sur le logotype MTV. (Cf. la liste des dvd dans les pages de références en fin d’ouvrage.) 62.  Frank Bedos, « Il était une fois… Warp », Trax, hors-série n° 6, Paris, août/ septembre 2003, p. 9. 63.  « Tous ces lieux industriels influencent la musique que vous faites », observe Rob Mitchell in Jon Savage, « Machine Soul - A History Of Techno », issus de Rock & Roll Quarterly - The Village Voice, Summer 1993, [Internet], Hyperreal Music Archive, http://music.hyperreal.org/library/machine_soul.html, visité le 23 avril 2006. 64.  Disques vinyles 12’’ comportant un label vierge produit de manière indépendante, en petit nombre, par des petites maisons de disques ou par un individu et souvent destinés à la promotion. Lire « White Label », Wikipédia, http://en.wikipedia.org/w/index.php?title=White_label&oldid=47045237, visité le 10 avril 2006. 65.  « Warp ‑ la légende continue », Trax, hors-série n° 6, Paris, août/ septembre 2003, p. 9. 66.  Rob Mitchell est décédé d’un cancer le 8 octobre 2001. Lire Rob Young, Labels Unlimited: Warp, Black Dog Publishing, Londres, 2005, p. 18. 67.  Ulf Poschardt, DJ Culture, Éditions Kargo, Paris, 2002, p. 338. 68.  D’après Stephane Davet, « Warp, découvreur de musiques électroniques », Le Monde, 13 novembre 1999. 69.  Frank Bedos, art. cité, p. 9.

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fig. 0.2. Logotype du label Warp Records (Designers Republic). L’éclair est une métaphore symbolisant la rapidité, mais aussi l’électricité (le label est spécialisé dans l’electronica). Le globe, selon nous, signifie que le label vise le monde entier. © Warp Records Limited

Ainsi que l’explique Rob Young dans Labels Unlimited: Warp, le premier livre d’une série

consacrée aux labels les plus novateurs, le terme Warp a un arrière-goût de science-fiction70. To be warped, dans la langue de Shakespeare, c’est être anormal, étrange ; être physiquement ou mentalement hors de soi ; être sous l’effet de distorsion71. Warped était pressenti mais difficile à prononcer : c’est finalement Warp qui fut choisi pour marquer les disques du label. La marque sera vite accompagnée d’un logo présentant un globe surmonté d’un éclair, d’un slogan en acrostiche « We Are Resonable People » et, enfin, d’une couleur : le mauve. D’un point de vue graphique, la jeune firme excelle. En effet, Sheffield est aussi la ville du collectif de graphistes Designers Republic72, fondé par Ian Anderson. Son équipe va apporter l’identité visuelle qui manquait au label Warp Records. « Leur design, sobre, froid et géométrique, nous faisait paraître beaucoup plus grands que ce que nous étions, genre firme musicale internationale », témoigne Rob Mitchell73. Un style parfois qualifié d’hypermoderniste. « Un jeu de saturation et de croisements de signes, entre surabondance de logos, pictogrammes à foison, références [au] pop art, figures superposées [et] slogans tapageurs […].74 » Le son Warp ‑ s’il en existe un ‑ se caractériserait par un mélange de musique électronique exigeante dérivée de Kraftwerk, du hip-hop, du funk et de la techno.75 Des styles musicaux qui sont 70.  Rob Young, op. cit., p. 8. 71.  D’après New Oxford American Dictionary “Second Edition”, version 1.0.1, Apple Computer, Inc., 2005. [Traduit par nous.] 72.  Voir The Designers Republic, [Internet], http://www.thedesignersrepublic.com, visité le 10 mars 2006. 73.  Frank Bedos, art. cité, p. 9. 74.  Jean-Yves Leloup, « The Designers Republic propagande visuelle », Trax, art. cité, p. 54. 75.  Nous n’établirons pas la généalogie de ces musiques. Tout au plus, pouvons-nous rappeler les origines africaines, puis américaines, de la musique populaire, formant tour à tour le jazz, le blues puis le rock. Celui-ci va évoluer, donner la pop, et, par réaction, le rap. Nous pourrions, mais ce serait par trop simplifier, lier la house music au groove et rythm ‘n’ blues, qui donnera la techno et la dance music, laquelle pousse le label Warp à présenter, en réaction, une musique qui s’écoute hors du dancefloor. L’influence des musiques expérimentales et de la musique concrète se ressent également sur les productions du label. Sur le rock, lire Nik Cohn , Awopbopaloobop Alopbamboom : L’âge d’or du rock, [Éditions Allia, Paris, 1999] ; sur la musique électronique, lire Peter Shapiro, Rob Young, Simon Reynolds, Kodwo Eshun, Modulations : Une histoire de la musique électronique, [Éditions Allia, 2004], ainsi que Ulf Poschardt, DJ Culture, [Éditions Kargo, Paris, 2002] ; enfin, sur la musique expérimentale, lire Michael Nyman, Experimental Music - Cage et au-delà, [Éditions Allia, 2005].

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LES CLIPS DU LABEL WARP

issus des nouvelles technologies musicales assistées par ordinateur. Ce son va évoluer et se destiner de plus en plus à une écoute domestique ; plus minimaliste, moins club. Parfois qualifié d’Intelligent Dance Music (IDM), d’experimental techno, d’electronica, d’ambient ou encore de downtempo, la musique produite par ce label reste, au final, d’un style éclectique et inventif. Parmi les artistes travaillant ou ayant travaillé pour Warp, citons Autechre, Boards Of Canada, LFO, REQ, Jamie Lidell, Two Lone Swordsmen, Freeform, !!!, Mira Calix, Prefuse 73, Aphex Twin, Sweet Exorcist, Nightmares On Wax, Squarepusher, Red Snapper, Jimi Tenor, Maxïmo Park, Beans, Plaid, etc. Fin des années 90, il n’était plus possible de parler de « son Warp » : « c’était beaucoup plus un état d’esprit Warp76 », écrit Rob Young. Une façon de travailler particulière, centrée sur la construction de l’identité unique de chacun de ses artistes. En 1999, le label déménage à Londres, crée une compagnie Warp Films77, et, en 2004, lance Bleep.com, un magasin de téléchargement de musique en ligne78 . En mars 2006 au Festival International des arts digitaux Lovebytes de Sheffield, est lancé Warp X, un studio ayant pour but de redynamiser le cinéma britannique en favorisant la création de films à petit budget. Tandis que les majors se lamentent, « […] Warp est resté à cent pour cent indépendant, solvable et, en ce qui concerne 2005, en état d’expansion.79 » En offrant à ses productions filmées un circuit de diffusion alternatif, via entre autres Internet et les disquaires ‑ en profitant du support dvd ‑ ainsi que dans nombre de festivals, Warp Records ouvre la forme du clip aux expérimentations et à l’imagination.

Avec la numérisation généralisée, l’époque, pour sa part, a vu « les frontières entre l’animation traditionnelle, l’animation 3D, le broadcast design, le motion design et le Web design [devenir] de plus en plus floues », observe Philipp Hunt, fondateur du studio londonien AKA 80. Cela force les créateurs à être aussi bien typographes, que designers et animateurs, etc81. C’est ce que constate le réalisateur Richard Fenwick : il n’y a pratiquement plus de différences entre le travail d’un graphiste 76.  Rob Young, op. cit., p. 17. [Traduit par nous.] 77.  « Warp Films est une compagnie indépendante de production de films qui a pour ambition de refléter l’esprit de son partenaire musical Warp Records », explique le site web, in Warp Films, [Internet], http://www.warpfilms.com. Lire Rob Young, op. cit., pp. 140-143. [Traduit par nous.] 78.  Site qui propose nombre de productions indépendantes sans protections anti-copie. Voir Bleep, [Internet], http:// www.bleep.com. 79.  Rob Young, op. cit., p. 18. [Traduit par nous.] 80.  « Focus sur le studio londonien AKA », DesignFlux, Graphic Motion Design dvd Magazine, numéro 3, [dvd], Editions Pyramyd NTCV, Paris, 2006. 81.  Notons que cette ouverture des frontières créatives est également commerciale. « Il y a quelques années, notre activité dépendait essentiellement de la vente de cd, vidéos, dvd, cassettes et disques vinyles », écrit le président du groupe EMI Music Alain Levy dans Le Monde. « Désormais, nos revenus proviennent d’une grande diversité de sources : téléchargements audio et vidéo, sonneries de téléphone, abonnements en ligne, jeux vidéo et une multitude d’autres activités. Ces nouvelles ressources, rendues possibles par le numérique pour une large part, représentent 6 % des revenus de l’industrie musicale en 2005, et EMI estime que, d’ici à 2010, ces 6 % deviendront 25 %. » Alain Levy, « Le Net ne tuera pas les labels », Le Monde, 07 mars 2006.

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PRÉLIMINAIRES

et d’un réalisateur82 . Des logiciels comme Flash ou Shake font figures de liens entre deux mondes alors séparés83. On ne compte plus les réalisateurs de clips qui créent également des pochettes de disques : pensons, entre autres, au collectif H5, à Anton Corbijn ou Chris Cunningham.

Sur le plan musical, « puisque la musique populaire peut s’inscrire dans le cadre d’études en

communication, en anthropologie, en musique, en sociologie… chacun de nous se retrouve isolé et seul avec une matière incroyablement volumineuse », constate le musicologue Philip Tagg. « Vous vous rendez compte qu’il faut que je connaisse un peu de tout : de Céline Dion jusqu’au métal extrême d’avant-garde, en passant par l’électro-punk, Frank Zappa et la musique de film d’horreur, sans compter le folklore ‑ aussi musique populaire ‑ comme des chansons irlandaises ou d’Afrique de l’Ouest.84 » Dans ces conditions, les analystes et chercheurs s’intéressant aux clips sont donc, eux aussi, obligés d’être ouverts à tout. « Le challenge de l’analyse de clip est qu’il faut interpréter et prendre en compte tant le discours musical que visuel, dans leurs différentes articulations et leurs variétés de relations simultanées.85 »

82.  Voir l’interview de Richard Fenwick in Richard Fenwinck - Selected Experimental Work (1998-2002), [dvd], DesignEXchange Co., Ltd., Tokyo, 2003. 83.  Macromedia Flash est un programme développé par Macromedia depuis 1996 permettant la création d’animations vectorielles interactives. La société Macromedia a été rachetée fin 2005 par Adobe. Logiciel d’effets spéciaux et de compositing standard pour le cinéma et la vidéo HD, Shake est, pour sa part, développé par Apple. À propos de Flash, lire « Flash Grows Up », Creative Review, Centaur Publication, Londres, pp. 35-38. Voir aussi « Flash », Adobe, [Internet], http://www.adobe.com/products/flash/flashpro, ainsi que « Shake », Apple, [Internet], http://www.apple. com/shake,visités le 21 juin 2006. 84.  Julie Fortier, « Faciliter l’étude de la musique populaire est un enjeu démocratique - entrevue avec Philip Tagg », Sforzando - La revue de la Faculté de Musique de l’Université de Montréal, vol. ix, n° 2, Université de Montréal - Faculté de musique, printemps 2005, p. 9. 85.  Robert Walser, « Forging Masculinity: Heavy-Metal Sounds and Images of Gender », in Simon Frith, Andrew Goodwin et Lawrence Grossberg (Edited by), Sound and Vision: Music Video Reader, Taylor & Francis Books Ltd., mars 1993, p. 157. [Traduit par nous.]

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Chapitre I



Le flirt technologique

Osons l’exploration des clips du label Warp Records avec des lunettes spéciales. Celles-ci permettent de voir notre corpus sous un angle particulier. Les deux prochains chapitres seront des occasions de changer de lunettes mais, pour l’heure, intéressons-nous à ce qui semble être pris dans un changement continu : la technologie. Nouvelles images, nouveaux sons et perte de repères

Notre corpus pose des questions nouvelles, tant au niveau musical que visuel. Ces clips sont à la marge des réflexions académiques quand ils ne sont pas simplement ignorés. Cela tient, selon nous, à leur qualité multimedia et leur relative nouveauté qui déconcertent penseurs et théoriciens. En 1998, par exemple, Dominique Chateau concluait un article intitulé « Pensées lacunaires et nouvelles technologies » par ces mots : « D’abord, comme s’il fallait affirmer quelque chose qui ne va pas de soi [...], on l’appelle “musique techno”. Ensuite, [la musique techno] est accompagnée par des vidéo-clips souvent fabriqués en images de synthèse dans lesquels les rythmes visuels mécaniques, des formes monstrueuses et tout l’arsenal des trucs de synthèse tient lieu de représentation. [...] Certes, les gadgets de synthèse peuvent donner le change ; on peut regarder les combinaisons audiovisuelles ‑ à condition d’en supporter le rythme lancinant, la vacuité musicale et la laideur plastique ‑ comme Benjamin nous dit qu’on regarde le reflet des enseignes au néon dans les flaques d’eau.86 » Et l’auteur de rajouter : « Quoi qu’il en soit, ces clips, comme la prétendue musique techno qu’ils accompagnent (car le video-clip renverse le rapport habituel, pour le pire plus souvent que pour le meilleur), fonctionnent d’une manière extrêmement linéaire et déterministe, mais sans diffuser la moindre signification articulée, tout juste des impressions plutôt malsaines. C’est comme 86.  Dominique Chateau, « Pensées lacunaires et nouvelles technologies », in Frank Beau, Philippe Dubois, Gérard Leblanc (sous la direction de), Cinéma et dernières technologies, Coll. « De Boeck Université », De Boeck & Larcier s.a., Paris/ Bruxelles, 1998, pp. 80-81. (C’est lui qui souligne.)

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LES CLIPS DU LABEL WARP

fig. 1.1 a, b et c. Dayvan Cowboy de Boards Of Canada, Windowlicker d’Aphex Twin et Eyen de Plaid. Il est a priori difficile de voir un point commun entre les clips du label Warp

un vide peuplé de malaise...87 » Il n’est évidemment pas le seul à être perdu face aux clips. Laurent Jullier, lors d’une courte analyse de Human Behaviour de Björk (Michel Gondry, 1993), écrit : « On écrirait des dizaines de questions, toutes leurs réponses possibles se vaudraient88 ». « Nous sommes, avance-t-il, dans un monde de poésie et de feeling ‑ le cauchemar de l’analyse interne...89 » L’auteur de L’ écran post-moderne préfère, dès lors, y voir un catalogue de formes post-modernes90. Pourquoi s’en priver, car nous pouvons, dit-on, tout y voir. D’autant que, aux dires de Laurent Jullier au sujet d’un clip d’Aphex Twin, « d’innombrables rockers et autres réalisateurs hollywoodiens taciturnes l’ont précédé dans le refus affiché de s’engager et de penser plus loin que le bout du cigare [...] 91 ».

Voir tout et n’importe quoi dans les clips ne nous mènera pas loin. Essayons, dès lors, de

nous poser les bonnes questions, à commencer par celles qui déterminent notre corpus. Quels types d’images nous présente-t-il ? Par quels moyens et outils ces images et ces musiques sont-ils produits ? Qui les produit ? Pourquoi ?

La majorité des clips du label Warp correspond à ce que nous appelons couramment « les

nouvelles images ». Celles-ci sont à rattacher aux « nouvelles technologies », voire aux « NTIC » : les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Nous y rassemblons communément les réseaux informatiques, le cd-rom, la téléphonie mobile et autres dérivés d’Internet. Ces technologies trouvent leur origine dans l’invention du télégraphe électrique, du téléphone, de la radio92 et, enfin, de la télévision. « Les années 1990 ont connu une accélération sans précédent du développement technologique du médium numérique, explique Christiane Paul, au point que l’on a parlé de “révolution numérique”93 » Ces outils sont à chaque fois plus nouveaux que les précédents. 87.  Dominique Chateau, art. cité, p. 81. 88.  Laurent Jullier, L’analyse de séquences, Coll. « Nathan Cinéma », Éditions Nathan/VUEF, Paris, 2003, p. 159. 89.  Idem. 90.  Lire Laurent Jullier, art. cité., pp. 87-92. L’écran post-moderne, L’Harmattan, Paris, 1997. 91.  Laurent Jullier, art. cité, p. 91 92.  « La radio avait commencé un peu comme Internet, vaste système d’échange et de communication, puis, sous couvert de manque de fréquences, de sécurité nationale, de besoins militaires, tout cela avait été confisqué au profit des États et des grandes entreprises », écrit le professeur Jean-Claude Guédon dans « La force de l’intelligence distribuée », La Recherche, n° 328 - Spécial Internet, février 2000, p. 22. On trouvera un historique du réseau des réseaux dans ce même article. 93.  Christiane Paul, L’Art numérique, traduit de l’anglais par Dominique Lablanche, Coll. « L’Univers de l’art », Thames & Hudson, Paris, 2004, p. 7.

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TECHNOLOGIES

Qualifiés de « révolutionnaires », ils permettent de faire ce qui était, jusque-là, irréalisable et de faire ce qui anciennement était déjà réalisable, mais d’une façon nouvelle, d’où l’expression nouvelles images. Le terme révolution est, à ce sujet, pertinent : les changements furent extrêmement rapides et ont bouleversé le fonctionnement des structures tant au niveau particulier qu’étatique. On parle d’ailleurs de globalisation ou de mondialisation pour désigner les phénomènes directement liés aux progrès des communications.

Quoi qu’il en soit, la rhétorique du nouveau est vieille comme le monde. « Cette pseudo-

nouveauté des moyens fait écran (au sens propre autant que figuré) à la non-nouveauté des fins94 », lisons-nous dans l’ouvrage Cinéma et dernières technologies, dans lequel les auteurs préfèrent parler de dernières technologies. « Cette rhétorique du nouveau est le véhicule d’une double idéologie bien déterminée95 », explique Philippe Dubois : « l’idéologie de la rupture [... et] l’idéologie du progrès continu96 ». Ces nouvelles technologies impliquent-elles, dès lors, une discontinuité dans les connaissances ? Apportent-elles des images réellement nouvelles ?

À part leur prétendue nouveauté, qu’ont en commun les images du label Warp ? Il

est a priori difficile de voir un quelconque rapport entre les clips Dayvan Cowboy (Boards Of Canada), Windowlicker (Aphex Twin) et Eyen (Plaid). L’un présente des images d’archives, l’autre une « esthétique MTV », ainsi que certains aiment à l’appeler, et le troisième est une animation composée de dessins d’enfants. Il n’est pas facile de s’y retrouver. Nous allons finir par penser, à l’instar de Laurent Jullier, que nous pouvons tout y voir ‑ comprendre : n’importe quoi. Ce serait nous méprendre. Pour commencer, repérons une constante dans ces images. Car ces images, mais aussi ces musiques, ont, en effet, un point commun. Il est technologique : le numérique. La technologie numérique

Par médias numériques (digital media, en anglais), nous entendons : « ceux qui conservent, transmettent et/ou reçoivent des informations sous forme numérique ‑ c’est-à-dire, sous la forme d’une suite de minuscules signaux “ouvert/fermé”97 ». Le terme numérique est considéré comme opposé à ce qui est analogique. « Les signaux et donc les opérateurs sont appelés analogiques si l’amplitude de la grandeur porteuse de l’information peut prendre toute valeur dans un intervalle donné ; au contraire, si le nombre d’états est fini (deux en général), les signaux sont dits numériques98 », 94.  Frank Beau, Philippe Dubois et Gérard Leblanc (sous la direction de), op. cit., p. 9. Ce sont eux qui soulignent. 95.  Philippe Dubois, « La ligne générale (des machines à images) », in Frank Beau, Philippe Dubois, Gérard Leblanc (sous la direction de), op. cit., p. 21. 96.  Ibid., p. 22. C’est lui qui souligne. 97.  David A. Black, « Digital communication », in Roberta E. Pearson & Philip Simpson, Critical Dictionary of Film and Television Theory, Routledge/ Taylor & Francis Books Ltd., Londres, 2001, p. 135. [Traduit par nous.] 98.  François Dattée, « Amplificateurs opérationnels », Encyclopædia Universalis, base de données citée.

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LES CLIPS DU LABEL WARP

indique l’Encyclopédia Universalis. De tels signaux ne peuvent prendre que deux valeurs : 1 (pulsation présente) ou 0 (pulsation absente). Ces signaux sont appelés « bit », la contraction de l’anglais binary digit, qui signifie « chiffre binaire ». Huis bits composent un byte, ou octet99.

« L’arrivée des technologies numériques dans les années 1980 marque le début de ce qui

est peut-être le changement le plus fondamental dans l’histoire de la musique occidentale depuis l’invention de la notation musicale au neuvième siècle100 », s’enthousiasme Timothy D. Taylor. Il est vrai que le numérique a profondément modifié la façon dont nous concevons tant le cinéma que la musique. Les changements sont à situer tant au niveau de la production que de la diffusion et de la réception. « Alors que l’imagination pouvait être limitée par le financement, l’accessibilité ou la matérialisation des idées, le monde virtuel enlève ces obstacles et les artistes commencent à croire qu’ils peuvent réaliser tout ce qui peut être imaginé101 », rapporte Nancy Macko qui s’empresse de nous faire revenir sur Terre, rappelant qu’il y aura toujours le problème financier, sans oublier la maintenance et le support. « La créativité de l’auteur est maintenant le produit des circuits intégrés numériques des machines musicales et de moins en moins celui du cerveau de l’artiste102 », écrit Ulf Poschardt. Les technologies de créations musicales ont modifié la manière de faire et de concevoir la musique. Le montage virtuel permet de se passer de longues années de solfège. Si l’on considère, comme Nicholas Cook103, que la notation musicale détermine la façon dont les gens imaginent la musique dans une culture donnée, les changements produits par le numérique ouvrent de nouvelles perspectives musicales104. « Exploitant ces technologies et réseaux, la culture musicale émergente a achevé une nouvelle sorte de littérature, d’histoire et de mémoire auditive. Si la conception traditionnelle de l’histoire ‑ un déroulement continu et linéaire ‑ peut être considérée comme analogique, cette nouvelle sensibilité auditive peut être considérée comme numérique.105 »

Le numérique modifie également la distribution musicale. L’impression de partitions

musicales rendit publique une musique composée par des artistes qui « s’élevèrent sur l’échelle sociale106 » : « les gens pouvaient prendre la musique à la maison et la jouer eux-mêmes107 ». Le

99.  Bien que généralement le cas, il existe des exceptions. 100.  Timothy D. Taylor, Strange Sounds - Music, Technology & Culture, Routledge/ Taylor & Francis Group, Londres, 2001. [Traduit par nous.] 101.  Nancy Macko, « A View of the Intersection of Art and Technology », The Art Bulletin, vol. 79, n° 2, juin 1997, p. 204. [Traduit par nous.] 102.  Ulf Poschardt, DJ Culture, traduit de l’allemand par Jean-Philippe Henquel et Emmanuel Smouts, Éditions Kargo, Paris, 2002, p. 31. 103.  Nicholas Cook, Musique, une très brève introduction, op. cit., p. 59 et suiv. 104.  Si nous considérons, comme Jeff Smith [op. cit., p. 10], que « la plupart de ce qui caractérise la musique populaire ne peut être capturé par la notation traditionnelle occidentale », alors le numérique participe également à faire sauter la distinction entre « haute » culture et culture populaire. 105.  Christoph Cox and Daniel Warner (Edited by), Audio Culture - Readings In Modern Music, The Continuum International Publishing Group Inc., Londres, 2004, p. xiv. [Traduit par nous.] 106.  Timothy D. Taylor, op. cit., p. 4. [Traduit par nous.] 107.  Ibid., p. 5. [Traduit par nous.]

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gramophone a modifié la manière de recevoir la musique : « les gens ont commencé à acheter [une musique] prête à être écoutée, tournée vers les consommateurs plutôt que vers les producteurs [...] 108 » La musique est ainsi devenue, en l’espace de moins d’un siècle, un produit manufacturé à destination de « cibles » spécifiquement sélectionnées par l’industrie musicale. Cette industrie, fondée sur la vente du disque, s’appuyait principalement sur la force promotionnelle des radios, avec ses disc-jockeys et ses hits-parades, puis sur celle de la télévision, avec, entre autres, la chaîne MTV. Le numérique modifie cette manière de procéder. Il supprime nombre d’intermédiaires109 : le consommateur peut dorénavant acheter un disque directement chez le fabricant, sans passer par un disquaire. Les choix de l’auditeur ne sont donc théoriquement plus dictés par l’industrie musicale.

Sur le plan visuel, Stephen Prince observe que « les technologies d’imagerie numérique ont

rapidement transformé presque toutes les phases de la production des films contemporains110 » dont les images de synthèses ne représentent, en réalité, que la partie immergée de l’iceberg numérique. Les changements les plus notoires sont évidemment, comme sur le plan sonore, l’apparition du montage virtuel et du matériel à faible coût. Là aussi, il semble possible de réaliser tout ce qui peut être imaginé, bien que le facteur financier reste un obstacle toujours patent. La distribution est également touchée par le numérique et tend vers la disparition du support physique. Au fur et à mesure que le format mp3 remplace le cd, il est attendu et fort probable que le support dvd se laisse progressivement dépasser par une distribution immatérielle. De même, les salles de cinéma se préparent à passer au numérique111, ce qui réduirait les coûts de distribution. La distribution délaisse son support : la transmission peut, en effet, s’effectuer via satellite. « Une plus grande diversité de films pourra être offerte car les studios auront la possibilité d’investir dans des projets plus risqués et les distributeurs pourront envoyer des plus petits films, alternatifs, à un public plus large.112 » Avec le numérique, la programmation peut être modifiée sur demande. Surtout, chaque projection offre la même qualité d’image : il n’y a théoriquement plus aucune perte due au support, plus de gratte ni d’émulsion qui s’enlèvent.

L’utilisation de ces technologies numériques se retrouve évidemment chez Warp. Ce label

est une figure de proue de cette manière nouvelle de créer, distribuer et écouter la musique, que ce soit avec son magasin en ligne Bleep.com, ou avec ses clips et Warp Films. Son logotype113 pourrait se résumer à cela : une décharge électrique dans le monde de la musique. À l’inverse des Majors, qui se destinent à produire des tubes (hits), Warp Records investit dans ses artistes sur le long terme 108.  Idem. [Traduit par nous.] 109.  Lire Timothy D. Taylor, op. cit., pp. 17-18. 110.  Stephen Prince, « True Lies: Perceptual Realism, Digital Images, and Film Theory », Film Quarterly, vol. 49, n° 3, printemps 1996, p. 27. [Traduit par nous.] 111.  Lire Jumana Farouky, « The Reel Is Gone », Time Magazine (Europe), 21 novembre 2005, pp. 38-39. 112.  Ibid., p. 39. [Traduit par nous.] 113.  Voir la reproduction du logotype, p. 21.

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fig. 1.2. L’objet technologique : LFO de LFO (a, b et c) et Sweet Exorcist de Testone (d)

afin de leur laisser la possibilité de créer un univers personnel et original. Ses productions, d’abord électroniques, se diversifient fortement aujourd’hui, si bien que nous ne pouvons plus les classer dans un genre musical défini. L’histoire des productions du label correspond à l’évolution de l’utilisation des technologies numériques : d’abord centrée sur la musique synthétique, l’utilisation de l’outil numérique ne sera plus un but mais un moyen. Nous retrouvons cette même évolution dans le cinéma : les images de synthèse ont eu leurs heures de gloire en tant qu’images technologiques, destinées à étaler aux yeux de tous les possibilités de la machine. Mais le public n’est pas dupe : une image peut être réalisée par n’importe quel ordinateur, elle n’a que peu d’intérêt si elle ne dit pas quelque chose ou n’a pas une once de qualité esthétique. D’où l’éclectisme visuel actuellement associé aux nouvelles images. Cela explique, selon nous, les variétés musicales et visuelles du label Warp.

Dans les premiers clips, l’objet technologique est très présent. Testone présente une fille

jouant avec des instruments électroniques dans Sweet Exorcist (1990). Nous trouvons des images de circuits imprimés dans le clip LFO (1991), premier grand succès de Warp114. Il est notoire que dans ce même clip, ces technologies sont montées avec des images de signes pour malentendants, comme pour signifier que ces outils peuvent servir à communiquer d’une manière différente. Surtout, l’image se montre comme une traduction visuelle de la musique. De même, le code-barre collé sur la tête d’un personnage semble résumer ce dernier à un simple numéro ‑ chose commune sur Internet.

Les premières productions du label sont qualifiées de musique électronique ou techno : nous

retrouvons donc la référence à une technologie dans le genre de musique qu’ils créent. Le mot « techno » est l’abréviation de technologie115. « La techno est une musique faite par des humains ; mais dans sa forme la plus définitive, elle sonne comme si elle était le produit des machines116 », écrivait John McCready. Les noms de certains groupes ne sont pas en reste117 : « LFO » fait référence à un

114.  Ulf Poschardt, op. cit., p. 339. 115.  Ibid., p. 330. 116.  Cité par Ulf Poschardt, idem. 117.  Tous les noms des groupes du label Warp ne font pas obligatoirement référence à une technologie.

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fig. 1.3. Explosion crânienne dans Perpendicular/Vector du groupe Antipop Consortium (a) et dans I Smell Quality, un court-métrage de David Slade (b et c) d. Sortir du rang : I Love Acid, de Luke Vibert

oscillateur très basse fréquence (Low Frequency Oscillators), utilisé dans la production de musique électroniques. De même, « Testone » vient de audio test tone, un signal sonore artificiellement créé afin de tester la qualité d’un matériel sonore118 . « Aphex Twin » est un nom inspiré par l’entreprise Aphex Systems Ltd. qui est spécialisée en matériel sonore119. Autre occurrence technologique : les robots, comme dans le clip Second Bad Vilbel (1995), que nous analyserons plus loin.

Par la suite, l’objet technologique sera très rarement montré dans les clips du label. L’effet

des technologies sur l’auditeur sera vite préféré à son utilisation. En 1990, David Slade réalise un court-métrage publicitaire pour le label, I Smell Quality..., dans lequel une jeune femme teste un nouveau produit : « The new, improved, Warp ». « It smells like Warp, but what it is sound like? », se demande-t-elle. « Hum. Yes! Waaarp! », conclut-elle après une écoute. C’est alors que, ayant déposé le casque120, sa tête explose. Il arrive la même chose à l’héroïne du clip Perpendicular/ Vector (2001) [fig. 1.3 a] .

De la à dire que Warp a « le son qui tue », il n’y a qu’un pas, que nous ne franchissons

pas. Cet effet de la musique est couramment associé aux substances psychotropes dont la scène techno a du mal à se défaire, principalement à cause des « raves », ces fêtes libres techno où l’usage de drogue est plus que répandue. Le clip de Luke Vibert I Love Acid (Delicious 9, 2003) présente un chat en proie à de merveilleuses hallucinations, jusqu’à un stade où il décide de sortir du rang, là où les autres tombent comme des dominos. Parmi les effets déclenchés par la musique : la danse frénétique dans Freak ou Windowlicker ; automatique dans Ghostlawns ; ou la transformation dans Come On My Selector, Windowlicker, Eyen, Itsu ou Gob Coitus (Lynn Fox).

Ainsi survolés, bien qu’associés à une même technologie numérique, les clips du label

présentent peu de similitudes. Il n’est pas dans notre propos de classer ces œuvres dans un genre défini, un style fixe. Ce serait nous borner à les résumer à ce qu’ils ne sont pas : des objets manufacturés.

118.  Lire « Audio Test Tone », Media College, [Internet], http://www.mediacollege.com/audio/tone, visité le 11 juillet 2006. 119.  « Mais selon d’autres sources [...], Mr James aurait composé lui-même son nom en réunissant le “A” pour acid et “pH” pour la valeur chimique de l’acid. » « Aphex Twin de A à Z », Trax, revue citée, p. 29. 120.  Le casque audio est symptomatique de la manière dont cette musique est destinée à être écoutée : au casque, chez soi, à l’instar de la création musicale en home studio.

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LES CLIPS DU LABEL WARP

Néanmoins, outre le fait d’être créés numériquement, les clips mettent en avant leur matérialité : la technologie y est un élément affirmé. Mais qu’est ce que la technologie ? Une technique ? Un art ? Les deux ? Technè, Ars, Science, Technology, Design : un flou à se réapproprier

Dans le cas des médias analogiques, observe Timothy Binkley, « le message et le média sont combinés en une forme expressive prenant une apparence physique. Le matériel du média est inséparable du message qu’il véhicule121 ». Par comparaison, les médias numériques transportent et conservent des informations sous forme de symboles numériques qu’ils convertissent et inscrivent. À l’inverse des médias analogiques, « la copie d’information numérique s’établit par nouvelle inscription, non par une transcription122 ». Timothy Binkley considère l’ordinateur comme une technologie transparente qui permet de faire la distinction entre le média et le message, entre la technique et la mimésis (l’imitation ou la représentation de la réalité). Finalement, le media numérique se détache de son moyen de diffusion, son média.123

Cette distinction n’est pas évidente et mérite que nous revenions légèrement en arrière.

Nous ne saurions nier l’importance des technologies dans nos sociétés occidentales. Certains parlent même de « sociétés technologiques124 » pour nommer les sociétés postindustrielles résultant de la découverte de l’énergie nucléaire et de l’électronique. La culture occidentale a souvent mélangé technologie et technique, mais aussi technique et artefacts. Cela tient, tout d’abord, aux origines du mot. « Le mot [“technique”] vient du grec [et] désigne ce qui appartient à la technè », remarquait Martin Heidegger, dans La question de la technique125. « [Or] ce mot ne désigne pas seulement le “faire” de l’artisan et son art, mais aussi l’art au sens élevé du mot et des beaux-arts. [...] La technè est quelque chose de poiétique126 » Le Petit Robert renvoie d’ailleurs au mot « art » dans la définition du terme : « ensemble de procédés employés pour produire une œuvre ou obtenir un résultat déterminé ». Le mot latin ars réfère d’ailleurs non seulement à la création artistique mais aussi à sa science. Le mot « design », en tant que « esthétique industrielle appliquée à la recherche de formes nouvelles et adaptée à leur fonction », peur être, selon nous, considéré comme le pendant

121.  Timothy Binkley, « Transparent Technology: The Swan Song of Electronics », Leonardo, vol. 28, n° 5, 1995, p. 429. [Traduit par nous.] 122.  Ibid., p. 430. [Traduit par nous.] Nous renvoyons le lecteur à cet article pour une explication plus en longueur sur ce sujet. 123.  Voir l’avertissement sur la terminologie utilisée en début d’ouvrage, p. 9. 124.  « Technologique (Société) », Encyclopædia Universalis, logiciel cité. 125.  Martin Heidegger, « La question de la technique », Essais et conférences, traduit de l’allemand par André Préau, Librairie Gallimard, Paris, 1958, pp. 9-48. 126.  Ibid, p. 18.

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fig. 1.4 a b c d. Antropoïde, robot et dysfonctionnements dans Second Bad Vilbel du duo Autechre

contemporain de la technè grecque. Ainsi, « les relations entre l’art, la science et la technologie sont enracinés dans l’histoire127 », écrit Moisei Kagan. « La première distinction entre l’art et le métier (la technologie) a été créé dans l’esthétique de Kant128 », explique-t-il, rappelant que cette distinction est aussi récente que le xixe siècle et l’esthétique romantique. « Au xxe siècle, la réflexion philosophique s’est développée dans la direction opposée, dans la tentative de réduire l’écart entre l’art, la science et la technologie.129 »

Les choses se compliquent encore du fait que le mot technologie, en tant que « théorie générale

et études spécifiques des techniques130 », s’est, quant à lui, peu a peu substitué au terme « technique », en raison de la signification anglaise du mot technology ‑ « technique moderne et complexe131 ». « Au xixe siècle, pouvons-nous lire dans l’Encyclopædia Universalis, la technology s’affermit dans le monde anglo-saxon en discipline autonome, elle développe une mise en ordre systématique des sciences appliquées dans un contexte économique capitaliste ; elle devient la théorie des processus de production, tels qu’ils sont réalisés dans la grande industrie.132 » L’importance est de taille : la photographie, le cinéma et la télévision sont des formes d’art basées sur la technologie. Nous le verrons, le monde industriel est lié tant à la musique électronique qu’au clip en général.

Mais revenons à ce qui nous concerne directement. Nous avons écrit plus haut que les clips

de notre label n’hésitaient pas à mettre en avant leur matérialité technologique : ce sont des clips issus des nouvelles technologies. Un clip du groupe Autechre133 Second Bad Vilbel134, réalisé par Chris 127.  Moisei Kagan, « Art, Science and Technology in the Past, Present and Future », Leonardo, vol. 27, n° 5, 1994, p. 409. [Traduit par nous.] 128.  Idem. [Traduit par nous.] 129.  Idem. [Traduit par nous.] 130.  Le Nouveau Petit Robert, op. cit., p. 2574. 131.  Idem. 132.  « Technologie », Encyclopædia Universalis, logiciel cité. 133.  Se prononce [Autèkeur]. Groupe formé de Rob Brown et Sean Booth et fondé en 1991 à Manchester. « Une musique abstraite et ténébreuse, audacieuse et virevoltante, […, ouvrant] la techno à de nouveaux horizons expérimentaux », écrit Jean-Yves Leloup, « un des exemples typiques de la musique du label Warp » dans « Warp ‑ la légende continue », Trax, revue citée, p. 50.) Lire également Rob Young, Labels Unlimited: Warp, Black Dog Publishing, novembre 2005, pp. 92-95 et p. 156, ainsi que « Autechre », All Music Guide, http://www.allmusic.com/cg/amg.dll?p= amg&sql=11:66rp281c05ja~T1, visité le 6 avril 2006. 134.  Nous renvoyons à la clipographie, en fin d’ouvrage, concernant les références de dvds comprenant ce clip. Il existe deux versions de celui-ci. Nous avons décidé de nous intéresser tout d’abord à la version originale présente sur le dvd WarpVision. L’autre version, remontée, est disponible sur le dvd Chris Cunningham, The Work of Director, ainsi

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fig. 1.5. Représentation graphique de la bande-son du clip Second Bad Vilbel. Le schéma se lit de gauche à droite : la ligne horizontale représente le temps et la ligne verticale, l’amplitude, c’est-à-dire l’intensité du son. Le son est présenté en stéréo : le canal gauche est en haut, le canal droit en bas.

Cunningham en 1995, offre la vision secouée d’un mécanisme ayant la forme d’un insecte, couplé à des images d’étranges anthropoïdes. La technologie y est au centre du propos. À l’instar de nombre de publicités pour les ordinateurs de la firme Apple ou celles, extrêmement simplifiées, pour les voitures Volkswagen135, l’objet de ce clip se présente comme objet, sans plus. C’est une technologie prise pour elle-même : elle n’a a priori pas de but ni d’utilité définie.

C’est une des premières vidéos réalisées par l’anglais Chris Cunningham. C’est aussi l’une

de celles qu’il présente comme la plus éloignée de son idée de départ. « J’étais obsédé par l’idée de créer des choses synchronisées avec la musique136 », raconte-t-il lors d’une interview réalisée pour la sortie d’un dvd rétrospectif. Mais, il s’aperçoit vite de la difficulté de rendre visuelles des formes musicales abstraites. Le réalisateur s’est également occupé de la pochette du maxi Anvil Vapre (1995) sur lequel apparaît le titre Second Bad Vilbel [fig. 1.6 b]137. La différence entre le morceau original et la bande-son du clip tient dans sa longueur : le clip a une durée de 4 minutes et 45 secondes ; le morceau sur l’album est plus long (9:47). Nous y trouvons la même structure : la seule différence

que sur l’album d’Autechre Gantz Graf. 135.  Ces publicités présentaient des technologies de consommation sur fond blanc, sans se préoccuper de l’usage qu’il peut en être fait. Lire à ce propos Fred Manley, « Nine Ways to Improve an Ad » (1963), Communication Arts, vol. 41, n° 1, mars-avril 1999, pp. 77-79. 136.  Lance Bangs, « 1995 Autechre Second Bad Vilbel [Interview] », in Chris Cunningham, The Work of Director, [Livret], Palm Pictures, Labels UK, décembre 2003, pp. 2-4. [Traduit par nous.] 137.  Le choix du titre, qui est le nom d’une ville allemande, viendrait du fait que cette ville a été jumelée avec la ville anglaise de Glossop, située à mi-distance de Sheffield (ville d’origine du label Warp) et Manchester (lieu de résidence d’Autechre). Lire « Autechre doing Cristian? », Erutufon|nofuture, [Internet], http://www.no-future.com/erutufon/ showthread.php?t=379, ainsi que « Autechre - Anvil Vapre », Discogs, [Internet], http://www.discogs.com/release/3894, tous deux visités le 13 avril 2006. Parfois écrit Vibel.

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fig. 1.6 a. Pochette du disque Anvil Vapre (WAP64R) b. Pochette du maxi Anvil Vapre (WAP64) (The Designers Republic et Chris Cunningham)

tient dans la réduction de passages répétitifs. Il réalisera une autre version de ce clip, qui sortit en 2002138 . Sur le plan musical, trois éléments retiennent notre attention : des pulsations rythmiques, des bruits ‑ que nous associons à des scratches ‑ et des silences. Ces derniers sont les produits d’un contraste et correspondent aux moments isolés hors des bruits de scratches et des pulsations, c’està-dire des séquences bruyantes. Cette impression de silence est renforcée par une réverbération prononcée qui laisse deviner un vaste espace sonore. Des cris aigus sont répétés ‑ nous pensons à des bruits d’oiseaux, peut-être joués à l’envers. Un fluide sonore synthétique et plutôt doux, montant et descendant, englobe les pulsations. Ce son, qui fait penser aux morceaux vaporeux des Boards Of Canada, semble avoir une fonction de linéarisation temporelle139. Elle est nécessaire lorsque les images ont un rythme aussi rapide, pour lier des images éparses. Cette fonction semble pourtant inefficace : nous le verrons, malgré son montage rapide, ce clip se singularise paradoxalement par une fixité tant sonore que visuelle. Comme la marée ou le faisceau d’un phare, ce bruit synthétique va et revient, ce qui expliquerait la bande de sable entrevue sur la fin. Mais ne serait-ce pas plutôt le début d’un cycle ? Revenons au début et intéressons-nous cette fois-ci à l’image. Elle est sombre. Des formes lumineuses y apparaissent par bribes. Ce sont principalement des gros plans aux cadres instables. Flashs oranges, formes bleues, couloirs jaunes, salles blanches : le rythme des images entraîne celui des couleurs. Des flashs de couleurs chaudes entrecoupent régulièrement des images aux tons froids. Ces coupures ont un rythme qui diffère du rythme musical. Elles sont noyées dans le flot multimedia. L’enchaînement des images est rapide : fréquemment plus d’un changement toutes les secondes. Lors des quelques plans fixes, l’image conserve un mouvement interne par des effets de brouillage vidéo ou par de légères mais rapides secousses verticales. Le point de vue est légèrement 138.  Lire « Chris Cunningham : Autechre - Second Bad Vilbel », Directors File, [Internet], http://www.director-file. com/cunningham/autechre.html, visité le 5 avril 2006. 139.  Voir Michel Chion, L’audio-vision, op. cit., p. 16.

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surélevé, ce qui crée des images semblant issues d’une caméra de surveillance. L’objet principal du clip est, par contre, filmé sous toutes ses coutures, ou, devrait-on dire, tous ses rouages, mais dans une pièce d’examen capitonnée. Une salle vraisemblablement truffée de caméras.140 Bien que les mouvements de caméra et le montage soient tous deux rapides, les objets et intervenants filmés restent fortement statiques. Une silhouette se perçoit : un humanoïde à la tête et aux mains disproportionnellement grandes. Elle réalise des mouvements lents comme lever une main ou se recroqueviller sur elle-même, mais sans plus. L’objet principal du clip ne semble pas plus actif : une machine ayant la forme d’un insecte géant, à la carapace blanche qui laisse découvrir des rouages et des pistons. Le robot ne s’active qu’après 2 minutes et 30 secondes, laissant violemment échapper des câbles de sa carapace. L’objet se modifie, tourne, bascule, s’ouvre, se déroule, etc. Il semble parvenir à une position plus humaine. Il est vu ensuite sur une plage, de manière floue et dans sa position originelle, contemplé par une silhouette. Enfin, il redevient statique. Cette fixité est renforcée par la musique. Elle est composée en grande partie de bruits de grésillements et de pulsations rapides qui, bien que répétés, n’en restent pas moins temporellement indistincts. Nous avons fait l’expérience de lire la musique à l’envers : les sons diffèrent peu, qu’ils soient lus dans l’un ou l’autre sens. C’est pourquoi la musique apporte peu de mouvements à l’image et renforce sa fixité.

Il existe, avons-nous dit, une seconde version de Second Bad Vilbel. Celle-ci diffère de

la première par son plus grand nombre de points de synchronisation, c’est-à-dire de « rencontre synchrone entre un moment sonore et un moment visuel concomitants141». Nous les retrouvons à l’intérieur du plan mais aussi entre les plans, au niveau des coupes visuelles. Une image de deux pistons, qui n’était pas présente dans la première version, vient ainsi rythmer le clip dès le début, se synchronisant aux bruits, justement, de pistons. Cette image en gros plan d’activité mécanique offre un point de repère spatial, ce qui n’était pas le cas dans l’instable première version. Outre cela, des bruits de déchirement ou de scratch sont associés à des brouillages de l’image bien plus prononcés que dans le montage initial. De surcroît, la deuxième version n’hésite pas à répéter des images, suivant la logique musicale qui est basée, elle aussi, sur la répétition. Le clip en devient, dès lors, plus rythmé, moins obscur aussi. Les bruits trouvent leur correspondant dans l’image bien plus facilement que dans la version réalisée en 1995. L’histoire du clip semble se limiter à être une activité clôturée d’attente : une boucle ; le début ressemble à la fin. Seul un plan en extérieur ouvre l’horizon de cette machine isolée. Cela n’est toutefois que pure présomption : rien ne dit qu’elle tient à échapper à sa condition. Ainsi, 140.  Au sujet de ces caméras, la volonté d’utiliser la vidéo dans les matchs de foot est symptomatique de progression de la société vers le contrôle total par vidéo-surveillance. 141.  Michel Chion, Un art sonore, le cinéma, op. cit., p. 430.

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fig. 1.7 a. All Is Full Of Love (Chris Cunningham, 1998) de la chanteuse Björk © One Little Indian Records b. Such Great Heights (Josh and Xander, 2003) de The Postal Service © Sub Pop Records c. Publicité Mac+Intel (2005) pour les ordinateurs Apple © Apple Computer, Inc.

l’objet est là pour lui-même : il n’a pas d’autres fonction que d’être une machine. Une machine est un « objet fabriqué, généralement complexe, destiné à transformer l’énergie, et à utiliser cette transformation142 » : dans notre cas, l’énergie semble être la musique. D’autant plus que le logotype du label Warp Records [fig. 0.2] est constitué d’un éclair comme pour symboliser cette énergie.

Les lectures possibles de ce clip restent inépuisables. Cela n’est pas étonnant et c’est même

une des caractéristiques du clip. En tant qu’objet promotionnel, il est créé de façon à favoriser la répétition tant au niveau du sens que de la forme : le clip est destiné à être diffusé plusieurs fois et à être regardé autant de fois qu’il le sera. Il devra toujours avoir quelque chose à offrir. Nous y reviendrons au chapitre suivant.

L’objet mécanique est techniquement comparable aux androïdes du clip de la chanteuse

Björk, All Is Full Of Love, réalisé trois ans plus tard par le même réalisateur [fig. 1.7 a]143 . Un robot tout juste monté s’y éprend d’un autre androïde. Des machines analogues aux mouvements mécaniques calibrés au millimètre se retrouvent également dans le clip Such Great Heights du groupe de rock Postal Service [fig. 1.7 d]144. Ce clip fut ensuite repris et modifié par l’entreprise Apple pour une publicité vantant son passage à la puce Intel [fig. 1.7 c]145.

La frontière entre le clip et la publicité est floue. À l’origine, ils partagent d’ailleurs tous deux

le même univers : le monde industriel. « La publicité, au fond, n’est que l’industrie de promotion de l’industrie.146 » De même, le clip est l’industrie de promotion de l’industrie musicale. Nous y reviendrons au chapitre suivant. Quoi qu’il en soit, la différence entre les objets des publicités Apple et celui de Second Bad Vilbel tient sans doute au fait que ce dernier n’est, au final, pas à vendre : il n’a ni but, ni utilité. Il dérange.

142.  Le Nouveau Petit Robert, op. cit., p. 1530. 143.  « Björk - All Is Full Of Love », in Chris Cunningham, The Work of Director, Palm Pictures, Labels UK, 2003. 144.  Voir « Postal Service - Such Great Heights », Acquired Taste - SUB POP, [dvd], SUP POP Records, 2006, ainsi que Postal Service [Internet], http://www.postalservicemusic.net, visité le 8 avril 2006. 145.  Le clip et la publicité ont en fait tous deux été réalisés par Josh Melnick et Xander Charity. Comparaison de ces deux objets multimedias sur Mactv Videocast, [Internet], http://live.watchmactv.com/flash/100, visité le 8 avril 2006. 146.  Groupe Marcuse, De la misère humaine en milieu publicitaire - Comment le monde se meurt de notre mode de vie, Coll. « Sur le vif », Éditions La Découverte, Paris, 2004, p. 47.

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« La techno, ça signifiait utiliser les technologies contre le but qu’on leur avait d’abord

assigné, et étendre ce détournement au mode d’emploi du sampler ou du synthétiseur.147 » C’est une réappropriation de la technologie. L’inutilité technologique semble répondre à l’utilitarisme capitaliste des technologies contemporaines. Raison pour laquelle, selon nous, cet objet est contrôlé par un dispositif de caméras de surveillance. Jacques Attali nous éclaire sur l’inutilité affirmée de cette machine quand il écrit que la musique n’a jamais de référence stable à un code de type langagier : « Elle n’a ni sens ni finalité148 », précise-t-il. Après quoi, peut-être que ce robot ne serait pas simplement stimulé par la musique : il la représenterait. Ses formes correspondent, dès lors, aux formes musicales qu’il symboliserait. De l’image virtuelle à l’image synthétique149

Jusqu’à présent, nous avons discuté de la notion de nouvelle image, d’image numérique et de la technologie affichée dans les clips. Nous n’avons pas encore parlé de l’image entièrement technologique, en d’autres mots, l’image synthétique, une dénomination que nous préférons à image virtuelle. Aborder l’image synthétique nécessite de remettre en question la notion de réalité.

En 2002, Warp a organisé un concours en collaboration avec la revue Creative Review,

donnant l’opportunité à dix jeunes réalisateurs de travailler sur un morceau inédit du catalogue du label, dans le but de créer un « morceau de motion graphics150 ». Richard Fenwick151 fut l’un des lauréats avec Gob Coitus152, court-métrage basé sur un titre de Chris Clark, où, derrière l’apparente réalité, se distingue une trame virtuelle. Ce clip est inspiré de RND#24: Artificial Words153, un courtmétrage produit deux ans plus tôt dans lequel une nature insouciante se révèle être une construction purement virtuelle. Nous allons le voir, le clip, représentatif de ces nouvelles images précédemment citées, questionne son spectateur sur l’apparence de la réalité.

La musique présente quatre parties [fig. 1.8] : (1) une partie introductive mélancolique aux

tic-tac réguliers et aux bips aigus ; (2) une partie introduisant une structure musicale répétitive de type hip-hop, basée principalement sur les fréquences basses mais très vite déconstruite à l’aide 147.  Ulf Poschardt, op. cit., p. 339. 148.  Jacques Attali, Bruits - Essai sur l’économie politique de la musique, Presses Universitaires de France, Paris, 1977, p. 51. 149.  Sur la réalité virtuelle et son enracinement dans l’Histoire, lire Oliver Grau, « Into the Belly of the Image: Historical Aspects of Virtual Reality », Leonardo, vol. 32, n° 5, 1999, pp. 365-371. 150.  Ce concours fut renouvelé en novembre 2004. « Warp vs Creative Review II Winners », Warp Records, [Internet], http://www.warprecords.com/news/?ti_id=857, visité le 7 mars 2006. Voir Creative Review dvd10, [dvd], Centaure Publishing Ltd., Londres, 2005. 151.  Voir http://www.richardfenwick.com, ainsi que Matt Hanson, Shane Walter, op. cit., pp. 52-57. 152.  Richard Fenwick, Chris Clark ‑ Gob Coitus, 2002, in Richard Fenwick, Selected Experimental Work (1998-2002), [dvd], DesignEXchange Co., Ltd., Tokyo, 2003. Morceau original sur l’album Empty the Bones of You (2003). 153.  Richard Fenwick, RND#24: Artificial Words, 2000, in Richard Fenwick, dvd cité.

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fig. 1.8. Représentation graphique de la bande-son du clip Gob Coitus Nous y discernons quatre parties.

de diverses sautes (de 0:23 à 1:33) ; (3) des sautes prononcées (de 1:33 à 2:18) ; (4) l’introduction de voix, elles aussi subissant des sautes comme la musique (jusqu’à 3:11). Le son n’est pas doux : il est même froid et dur. Les sons aigus apportent à la musique une infinité de détails, les sons graves stabilisent une musique en proie à de multiples sautes. Nous y percevons des « bips » aigus d’ordinateurs qui pourraient également êtres issus d’une vieille boîte à musique. Ces scintillements résonnent. Par conséquent, nous pourrions, a priori, imaginer l’espace dans lequel ils se situent. « Plus le son est réverbéré et plus il est expressif du lieu qui le contient […] », écrit Michel Chion154. Mais, dans notre cas, il s’avère malheureusement impossible à déterminer car tous les éléments sonores ne résonnent pas de la même manière. Certains ont une forte résonance, d’autres n’en n’ont pas du tout. Les réactions du son à l’espace ne sont pas homogènes. La musique qui en résulte correspond bien à un univers virtuel : une réalité intangible, détachée du monde physique. « Il n’y a pas d’espace dans le cyberespace », constate Timothy Binkley. « Votre adresse sur Internet est un simple numéro sans aucune référence géographique.155 »

Chromatiquement dominées par les couleurs vertes et bleues, les images sont froides. Un

long travelling, principalement avant, en contre-plongée, mène le spectateur, que nous sommes, au-dessus d’étendues rurales, urbaines et côtières. Nous retrouvons ce point de vue en contreplongée dans les premières scènes de Ghost Dog: The Way of the Samurai de Jim Jarmusch (1999) et dans les clips Jóga (Michel Gondry, 1997) de la chanteuse Björk et Jumpers (Matt McCorminck, 2005) de Sleater-Kinney. Comme la musique, le découpage du clip présente quatre parties :

154.  Voir les effets d’acoustique spatiale dans Michel Chion, L’audio-vision, op. cit., p. 70 et pp. 99-100. 155.  Timothy Binkley, art. cité, p. 428. [Traduit par nous.]

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fig. 1.9 a b c d. Gob Coitus (Richard Fenwick, 2002) pour Chris Clark a Point de vue en contre-plongée b Structure volumétrique en trois dimensions

(1) une introduction présentant les trois paysages à venir ; (2) la ville, en proie à des effets de dysfonctionnement ‑ principalement de masquage et de brouillage ‑ ; (3) la campagne, découpée ; (4) la côte, essentiellement structurée de « fil de fer » caractéristique des images de synthèse (les fils correspondant aux arêtes des objets).

Les travellings sont secoués. L’image, au grain parfois prononcé, présente des images

zoomées montées cut avec d’autres plans ; des jump cuts, des sautes ; des retours en arrière ou des précipitations en avant. Outre ces coupes dans le flux des images, des brouillages divers viennent encore bouleverser la perception. Ponctuellement, l’image se voit masquée par endroits : des formes graphiques viennent obscurcir certaines parties des plans, isolant les éléments de leur contexte. À certains moments, c’est l’image elle-même qui est découpée puis recomposée. À d’autres, l’image fait place à des structures de synthèse.

Les points de synchronisation sont abondants et variés. L’image est rarement synchronisée

avec les mêmes sons. Une saute visuelle aura sa correspondance sonore, par exemple, trois fois de suite, puis, c’est le découpage qui correspondra à un « bip » sonore : généralement, les points de synchronisation sont répétés deux ou trois fois de suite, pour bien marquer le lien, puis sont abandonnés au profit d’autres correspondances. Cela a pour effet principal, non seulement d’unir la perception auditive à la perception visuelle mais, surtout, de participer à l’écoute en sélectionnant visuellement un son dans le riche flux sonore que présente la bande-son. À la vision d’un étirement, notre attention est en effet portée sur un bruit d’étirage que nous n’avions pas repéré lors d’une écoute séparée de la bande-son. En d’autres termes, le clip favorise l’écoute en insistant visuellement sur des caractéristiques sonores. De la même manière, un bruit d’étirement offre de la consistance à une image étirée. L’image s’établit en fonction de la musique et, inversement, profite de celle-ci pour se donner plus d’importance.

La structure volumétrique en trois dimensions [fig. 1.9 b] nous rappelle que l’écran n’a que

deux dimensions. Le son supplée généralement à la troisième dimension, mais ne le permet pas dans ce cas-ci en raison de la présence de réverbérations différentes. Les bâtiments et les paysages 42


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sont dès lors creux. Pourtant, ce qui nous étonne ici n’est qu’une image. Le mot image vient du latin imaginem, accusatif de imago « représentation, image », formé d’un radical im- que l’on retrouve dans imitari « imiter »156 . André Bazin distinguait les réalisateurs qui croient à l’image, comme Sergueï Eisenstein, de ceux qui croient à la réalité, à l’instar de Jean Renoir, par exemple157. En jouant sur l’apparence des objets, le clip Gob Coitus se place du côté des formalistes russes, en battant en brèche l’impression de réalité par de multiples effets sur l’image.158 L’image se présente comme une image, une imitation. Elle ne montre rien d’autre que cela. Dans les clips du label Warp, l’image ne s’est jamais autant montrée pour ce qu’elle est : ressemblance et illusion.

Notre monde ne serait-il qu’une illusion ? C’est en tout cas un thème cher à la science-

fiction, déjà abordée dans les films The Matrix de Andy et Larry Wachowski159 et eXistenZ de David Cronenberg, tous deux sortis en 1999, pour ne pas citer l’allégorie de la Caverne de Platon. Nous retrouvons des effets d’instabilité tels que nous les avons rencontrés dans le roman Ubik de Philip K. Dick, où l’image d’une maison oscille entre la réalité concrète et une « insubstancialité incertaine »160. La science-fiction n’est pas la seule à remettre en question nos perceptions. Bien avant George Orwell ou Ray Bradbury, les Sceptiques, et Pyrrhon d’Élis en particulier, ont douté de la réalité du monde ou, plutôt, de l’être des choses. « Le but du sceptique est de rester toujours dans le même état d’impassibilité, explique Edouard Delruelle, de n’éprouver aucune émotion, quoi qu’il arrive.161 » Cette attitude correspond au clip Gob Coitus. Son point de vue semble être celui d’un humain sceptique ou, mieux, celui d’une machine, sans âme, sans vie : supérieur, indifférent et objectif, en d’autres mots, l’œil de la caméra. Les problèmes rencontrés (brouillage, grain, etc.) sont techniques, non pas humains. Le clip montre ainsi différents types d’images d’origine technologique : infographie (modélisation volumétrique), photographie, vidéo (grain et effet de brouillage), reflet (sur l’eau), rayon x, numérique (pixellisation), etc. Sceptique, ce clip, nous rappelant que le monde n’est qu’une suite d’images et non pas le réel, doute sur l’être des choses.

Au reste, on pourrait se demander s’il doute ou non. La lecture des Principes de la connaissance

humaine162, essai paru pour la première fois en 1710, et dû au philosophe irlandais Berkeley, est, à ce propos, éclairante. L’auteur y explique qu’être, c’est être perçu : « [...] il n’est pas possible que

156.  D’après Le Nouveau Petit Robert, op. cit., pp. 1308-1309. 157.  Lire à ce propos Jacques Aumont, Alain Bergala, Michel Marié et Marc Vernet, Esthétique du film [3ème édition revue et augmentée], Coll. « Cinéma », Éditions Nathan, Paris, 1998, p. 50 et suiv. 158.  Nous reviendrons sur cette proposition dans le chapitre III. 159.  Sur ce sujet, on lira avec intérêt Thomas Bénatouïl, « Sommes-nous dans la matrice ? », Matrix, machine philosophique, Ellipse Édition Marketing S.A., Paris, 2003, pp. 109-119. 160.  Philip K. Dick, Ubik (1969), traduit de l’Américain par Alain Dorémieux, Éditions 10/18, Paris, 2003, p. 217. 161.  Edouard Delruelle, Métamorphose du sujet - L’éthique philosophique de Socrate à Foucault, Le Point Philosophique, De Boeck & Larcier, Bruxelles, 2004, p. 89. 162.  Berkeley, Principes de la connaissance humaine (1710), Coll. « GF », Flammarion, Paris, 1991.

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[les choses non pensantes] aient quelque existence en dehors des esprits ou des choses pensantes qui les perçoivent163 », écrit-il. Ainsi, parler de réalité virtuelle est, selon nous, une erreur. Nous pensons qu’il y a autant de réalité que d’entités. Certaines réalités sont peut-être plus synthétiques que d’autres, elles n’en sont pas plus virtuelles ou moins réelles. Ainsi, écrit Stephen Prince, « une image est perçue comme réaliste si elle correspond structurellement à l’expérience audiovisuelle de l’espace en trois dimensions du spectateur164 ». Un film comme Jurassic Park (Steven Spielberg, 1993) n’est pas moins réaliste qu’un autre comme Marie Antoinette (Sofia Coppola, 2006). Tous deux, mais ils sont loin d’être les seuls à le faire, présentent une réalité qui existe uniquement si elle est perçue par un spectateur donné : une fiction, soit l’opposé de la réalité, une chimère. En effet, il est fort probable que les dinosaures, tout comme Marie Antoinette, n’ont jamais existé tels qu’ils ont été représentés dans leur film respectif. Pourtant, ces films font très réels : les cris entendus lors des séances de Jurassic Park ne nous contrediront pas, les dinosaures sont terrifiants. De même, un film historique comme celui de Sofia Coppola se destine à raconter une part de réel aussi juste que possible. Comment, dès lors, distinguer le rêve de la réalité ? Selon nous, est rêve ce qui émane de soi, de notre imagination ; est réalité ce que l’on perçoit. Le premier est une échappatoire aux contraintes du second. Pourtant, certains considèrent le cinéma comme une évasion et l’associe au rêve semi-éveillé. D’autres ont bien dû percevoir les dinosaures de Spielberg pour en être effrayés à ce point. Il doit donc y avoir plusieurs réels, plusieurs réalités, si un réel peut en éclipser un autre.

C’est cette vision fractionnée du réel, comme tout droit sorti de l’imagination de Philip

K. Dick, que nous retrouvons dans l’ouvrage d’Erving Goffman Les cadres de l’expérience165 dans lequel le sociologue explique que toute expérience, toute activité sociale, se prête à plusieurs cadrages entretenant des rapports les uns avec les autres. Ces cadres fixent la représentation de la réalité, orientent les perceptions et influencent l’engagement et les conduites. Erving Goffman cite le psychologue William James : « Chaque monde est, le temps que dure notre attention, réel à sa manière ; simplement, la réalité se dissipe avec l’attention.166 » Ainsi, dans le cadre de l’écran cinématographique ou télévisuel, est réel ce qui est perçu comme tel167. 163.  Idem., p. 65. 164.  Stephen Prince, « True Lies: Perceptual Realism, Digital Images, and Film Theory », Film Quarterly, vol. 49, n° 3, printemps 1996, p. 32. [Traduit par nous.] 165.  Erving Goffman, op. cit. Nous renvoyons à l’introduction de cet ouvrage : l’auteur discute de la notion de réalité. 166.  “Each world whilst is attended to is real after its own fashion ; only the reality lapses with the attention.” William James, Principles of Psychology - vol. 2 (1890), Courier Dover Publications, New York, 1950, p. 293. Voir aussi William James, « Principles of Psychology: chapter xxi », York University, Toronto, Ontario, [Internet], http://psychclassics. yorku.ca/James/Principles/prin21.htm, visité le 15 juillet 2006. C’est lui qui souligne. [Traduit par nous.] 167.  Ce qui ne veut pas dire que ce qui est projeté sur l’écran est assimilable au réel et, qu’un spectateur ayant assisté à un meurtre puisse être inculpé pour non-assistance à personne en danger. Nous parlons bien d’une réalité à l’intérieur d’un cadre donné. « On dira qu’une action est réelle ou effective, qu’elle a eu lieu réellement, effectivement ou littéralement, lorsque c’est un cadre primaire qui préside à son cadrage. Une modalisation, par exemple la mise en scène de cette action, produira quelque chose qui n’a pas lieu réellement, véritablement ou littéralement. En revanche,

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Cette notion d’un réel fragmentaire, aux multiples cadres, se retrouve déjà dans la peinture

cubiste. Celle-ci émet un doute sur la réalité du monde visible. « La perception sensorielle est illusion d’optique et donc irréelle, elle fait miroiter des faits inexacts, elle est supercherie. Elle présente seulement l’apparence des choses sans en révéler l’essence. [...] Picasso et Braque tireront les conséquences de ce constat. Ils ne peindront plus les objets comme ils les voient, mais comme ils les pensent.168 » Un objet sera donc représenté depuis différents points de vue et différents moments, mais en même temps. Les futuristes intégreront également la notion de temps à cette manière particulière de considérer le réel. Images et sons synthétiques

Ainsi, la réalité est non seulement perçue à travers des cadres multiples, mais au cinéma, en plus, une technologie s’intercale entre le réel et le spectateur. Les clips présentent donc une image du réel. Mais peuvent-ils véhiculer une image qui ne soit pas réelle ? Walter Benjamin écrivait que le cinéma construit artificiellement la personnalité de l’acteur169. Ainsi, dans Marie Antoinette, l’actrice Kirsten Dunst n’est pas plus la Marie-Antoinette-qu’à-connu-Louis xvi que la vraie Kirsten Dunst170. C’est une image construite à l’aide d’une technologie. De sorte que dans les clips, où le rôle de la star ‑ une création artificielle ‑ est généralement prépondérante, l’ image prime sur le représenté : le monde du clip est, donc, artificiel. C’est ce que Walter Benjamin observait avec le cinéma : [...] l’appareil, au studio, a pénétré si profondément dans la réalité elle-même que, pour lui rendre sa pureté, pour la dépouiller de ce corps étranger que constitue en elle cet appareil, il faut recourir à un ensemble de procédés particuliers : variation des angles de prise de vue, montage réunissant plusieurs suites d’images du même type. Dépouillée de ce qu’y ajoute l’appareil, la réalité est devenue ici la plus artificielle de toute et, au pays de la technique, la saisie immédiate de la réalité comme telle est désormais une fleur bleue.171 »

Discourir sur la perception de la réalité nous permet d’intégrer des images désignées, à tort

selon nous, de « virtuelles » dans le monde des images dites « réelles » en montrant que les unes et les autres ont plus en commun qu’il n’y paraît. Dans le clip Gob Coitus, nous assistons à de multiples « ruptures de cadrages172 » : il ne semble plus possible de maîtriser le cadre, il nous glisse des mains.

on dira que la mise en scène a réellement eu lieu », écrit Erving Goffman. op. cit., pp. 55-56. 168.  Ingo F. Walthyer (sous la direction de), L’Art au xxe siècle, Benedikt Taschen Verlag GmgH, Köln, 2000, p. 72. 169.  Walter Benjamin, « L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique », traduit par Maurice de Gandillac, Poésie et Révolution, Denoël, Paris, 1971, p. 192. 170.  La question est de savoir s’il existe vraiment une vraie Kirsten Dunst. En d’autres mots, somme-nous ce que nous pensons être, ou sommes-nous la somme de ce que pensent les autres de nous. 171.  Walter Benjamin, art. cité, p. 196. 172.  Lire Erving Goffman, op. cit., pp. 338-369.

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L’image se présente tour à tour comme image du monde physique, image d’un monde de synthèse, voire image d’écran renvoyant à la réalité du spectateur. La lecture de Berkeley, William James ou Erving Goffman permet de considérer ces images d’une manière qui ne dévalorise pas l’une par rapport à l’autre, qu’elles soient synthétiques ou non. Prendre ce point de vue nous évitera, dans la suite de notre propos, de nous aventurer dans des considérations, selon nous erronées, différenciant une image dite « virtuelle », dévalorisée, de l’image « réelle », a forte valeur ajoutée.

C’est pourquoi nous préférons parler d’image synthétique plutôt que virtuelle. « [...] L’image

informatique [...] est une image purement virtuelle173 », écrit Philippe Dubois. « Elle ne fait qu’actualiser une possibilité d’un programme mathématique, elle se ramène en dernière instance [...] à un signal numérique, c’est à dire à une suite de chiffres [...]174 », explique-t-il. Utilisé dans ce sens, le mot image suppose une représentation. Représenter, c’est « rendre présent, rendre sensible175 ». En revanche, est virtuel, ce qui est latent, « qui est à l’état de simple possibilité176 ». Or, une fois présenté sur un écran ou imprimé, cette suite de chiffres dont parle Philippe Dubois cesse d’être une image latente et devient sensible : nous la percevons, mais elle perd sa virtualité. Ainsi, une image virtuelle est paradoxalement « une représentation sensible en puissance » (sic). De plus, cela reviendrait à considérer une numérisation de La Joconde de Léonard de Vinci comme une image virtuelle car, elle aussi, est, en dernière instance, composée d’une suite de chiffres177. Il n’est donc pas d’image virtuelle. Usons plutôt du vocable image synthétique.

Les clips se basent, dans la plupart des cas, sur la visualisation d’une musique. Le réalisateur

écoute, perçoit, puis rêve, et, enfin, tente de transcrire ce qu’il a imaginé178 . Cela explique l’imagination et l’originalité dont font preuve nombre de clips mais, également, leur polysémie et leur potentialité à l’utilisation d’effets spéciaux et autres images synthétiques. Ce n’est évidemment pas la seule explication : entrent en ligne de compte tant les contraintes économiques, sociales, que visuelles. L’image de marque de la star, par exemple, peut contraindre le réalisateur à un style d’imagerie défini. Nous aborderons les contraintes économiques dans le chapitre II. En ne prétendant pas présenter une réalité immanente et hors du sujet mais une image d’une réalité perçue, le clip est un lieu où s’exprime le mieux un imaginaire tant collectif que personnel : une idée du réel, une image. « Toute culture se définit par cela qu’elle s’accorde à tenir pour réel179 », écrit Régis Debray, rappelant 173.  Philippe Dubois, art. cité, p. 38. 174.  Idem. 175.  Le Nouveau Petit Robert, op. cit., p. 2258. 176.  Ibid., p. 2784. 177.  La numérisation de la Joconde sera, en effet, virtuelle tout le temps qu’elle ne sera pas affichée sur écran ou imprimée, c’est-à-dire non considérée comme image, mais ne sera jamais ni une image synthétique, ni une image virtuelle. Notons qu’une image mentale nécessite d’avoir été perçue préalablement. 178.  Voir à ce propos l’interview du réalisateur Michel Gondry in DesignFlux, Graphic Motion Design dvd Magazine, numéro 3, [dvd], Éditions Pyramyd NTCV, Paris, 2006. 179.  Régis Debray, Vie et mort de l’image - Une histoire du regard en Occident, Coll. « Folio Essais », Gallimard, Paris,

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que ce consensus, appelé « idéologie », cimente chaque groupe organisé. Nous reviendrons sur la notion de fragmentation du réel, en rapport avec le formalisme russe, dans le chapitre III.

Étant de l’ordre de l’imagination, de l’irréalité, la visualisation de musique nécessite parfois

l’utilisation d’effets spéciaux et d’images de synthèse. « Le trucage révèle la part technique du cinéma, son côté industriel, sans cesse refoulé180 », écrit d’emblée Réjane Hamus-Vallée. Celle-ci se pose la question : « Ne participe-t-il pas aussi à l’art cinématographique, au même titre que le cinéma est, en même temps, un art et une industrie, un art et une technique ?181 » L’expression effets visuels est aujourd’hui préférée à effets spéciaux. Les technologies numériques seraient ainsi la dernière phase d’une évolution ayant tour à tour été dominé par les trucs ­‑ emploi de la technique pour la technique ‑, le trucage, puis les effets spéciaux proprement dits182 . L’origine est connue : ayant arrêté la caméra, Méliès découvrit le premier trucage cinématographique en observant que des personnages ont été transformés instantanément. L’arrêt suppose un montage, ce qui « fait de Méliès le premier monteur cinématographique183 ». « Il a montré aux premiers cinématographes que la réalité n’était pas le seul plan sur lequel la caméra peut se concentrer, et que la technologie du cinéma, qui peut être une fin en elle-même, ne doit pas être si limitée.184 » Cette manière de considérer la technologie suppose que la réalité de l’art est dans la pratique de son matériau. « Il s’agit de dépasser une vision fonctionnelle du langage artistique, le sujet d’une œuvre n’étant autre que l’écriture même de ses mécanismes.185 »

Dans « La ligne générale...186 », Philippe Dubois retrace l’histoire des « machines à images ».

Nous ne reviendrons pas ici sur les origines historiques qu’il établit. Zappons directement sur la photographie. Cette dernière a pour particularité d’inscrire l’image, là ou les technologies précédentes ‑ caméra obscura, tavoletta, portillon ‑ se limitaient à faciliter l’appréhension du réel. Le cinématographe fera un pas de plus dans l’interventionnisme machinique, en s’occupant de la phase de projection. Philippe Dubois considère la télévision comme étendant l’emprise des machines à la transmission et l’image virtuelle étendant cette emprise à celle du réel tout entier : « avec l’imagerie informatique [...], la machine peut produire elle-même son propre réel, qui est son image même.187 » Nous ne sommes pas entièrement d’accord avec les conclusions de l’auteur ‑ la machine n’a pas, selon 1992, p. 490. 180.  Réjane Hamus-Vallée, « Préambule - Qu’est ce qu’un trucage ? : Vers une définition impossible », CinémAction Du trucage aux effets spéciaux, Corlet - Télérama, Courbevoie, 2001, p. 9. 181.  Idem. 182.  Ibid., pp. 10-11. 183.  Lire Réjane Hamus-Vallée, « Histoire des effets spéciaux... », CinémAction, op. cit., p. 15. 184.  John Andrew Berton, Jr., « Film Theory for the Digital World: Connecting the Masters to the New Digital Cinema », Leonardo. Supplemental Issue, vol. 3, 1990, p. 7. [Traduit par nous.] 185.  Marie-Thérèse Journot, Le vocabulaire du cinéma, Coll. « 128. Cinéma », Éditions Nathan/VUEF, Paris, 2002, p. 31. 186.  Philippe Dubois, art. cité, p. 22 et suiv. 187.  Ibid., p. 28.

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LES CLIPS DU LABEL WARP

fig. 1.10. Pochettes des albums du groupe Autechre a. Gantz Graf (WAP256dvd) b et c. Draft 7.30 (WARPLP111) d. Untitled (WARP180CD)

nous, conscience d’un réel, fût-t-il le sien188 ‑ ce rapide historique de l’interventionnisme machinique sur la représentation est révélateur : la technologie nous entoure chaque jour un peu plus. D’autant que ce qui se présente pour l’image se retrouve également sur le plan musical.

Qu’est-ce qu’une image de synthèse ? Les images codées numériquement sont tout

simplement étiquetées « images numériques ». Elles sont composées de pixels189 ‑ abréviation de l’anglais picture element ‑, associées à une couleur. La résolution d’une image est définie par un nombre de pixels par unité de longueur. L’image de synthèse est entièrement produite à l’aide d’un ordinateur. De même, un signal sonore peut être numérisé lors d’un échantillonnage. On distingue la musique concrète, dont le matériau d’origine « est toujours formé de collections de corps sonores enregistrés190 », la musique électronique, employant « exclusivement des sons produits par des générateurs de fréquence191 » au moyen d’équipement analogique, enfin, la musique synthétique « qui fait un emploi exclusif de signaux issus de techniques de synthèse192 », c’est-à-dire de synthétiseurs.

Revenons aux clips du label Warp. Alexander Rutterford a réalisé, pour le groupe Autechre,

Gantz Graf, un clip de quatre minutes présentant une forme de synthèse complètement synchronisée avec une musique, nous l’aurons compris, également synthétique. Le réalisateur créera aussi deux pochettes pour le groupe : Draft 7.30 (2003) et Untilted (2005) : toutes deux sont des compositions générées par ordinateur. Comme le clip vidéo, la pochette de disque rassemble musique et image et, comme le clip, « elle se situe à une frontière entre le marketing et l’expérience esthétique193 », écrit Nicholas Cook. « Cette association contextualise, clarifie, et, d’une certaine manière, analyse la musique », écrit-il : « Elle implique une nouvelle ou, du moins, une expérience de la musique

188.  Mais peut-être n’est-ce qu’une question de temps. 189.  Appelés voxels (contraction de volumetric pixel) dans le cas d’une image en trois dimensions. 190.  Claude Fatus, Vocabulaire des nouvelles technologies musicales, Coll. « Musique Ouverte », Minerve, s.l., 1994, p. 100. 191.  Idem. 192.  Ibid., p. 101. 193.  Nicholas Cook, op. cit., p. 71. [Traduit par nous.]

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fig. 1.11. Représentation graphique de la bande-son du clip Gantz Graf

plus profonde194 ». Il n’est, dès lors, pas étonnant de voir le clip et la pochette partager des univers similaires.

Le genre musical est toujours électronique, plutôt situé dans les fréquences aiguës, et il fait

penser à des suites rapides de décharges électriques. Nous y décelons quatre phases [fig. 1.11] . Les deux premières (de 0:00 à 1:05 et de 1:05 à 1:47) présentent des bruits très rapides de moteurs passés sous divers filtres. Ces bruits donnent l’impression de se déplacer. En effet, la même forme sonore est répétée plusieurs fois mais se termine par un bruit régulièrement plus aigu. Cela implique une succession mais également une action vers un stade supérieur ; mouvement renforcé par une résonance qui va grandissant. Par deux fois, cela conduit à des répétitions tourbillonnantes de courts éléments sonores de plus en plus rapides. Cela a pour effet de ralentir le mouvement, pour ensuite le faire redémarrer. Par moments, la musique laisse percevoir des bruits de klaxons de voitures prises dans un embouteillage. Parfois, c’est une bille prise dans un tube en acier secoué qui semble être à l’origine du bruit. La troisième phase (de 1:47 à 3:08) est plus calme et laisse entendre, de loin, une mélodie. La dernière (de 3:08 à 3:54) tente de reprendre du rythme avant la fin, scindant des bruits de rythmes rapides après avoir plusieurs fois tenté de démarrer, spéculons-nous, un moteur de voiture récalcitrant. Des basses fréquences stabilisent régulièrement les boucles enchevêtrées des rythmes aigus.

L’objet du clip est une forme de synthèse qui se transforme extrêmement vite. Est-ce une

arme laser195, un composant d’une enceinte acoustique, un générateur sonore ou une simple forme 194.  Ibid., p. 74. [Traduit par nous.] 195.  Le laser est présent dans d’autres clips du label comme Zeal et Itsu (Plaid) ainsi que dans le court-métrage de Chris Cunningham et Aphex Twin Rubber Johnny.

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LES CLIPS DU LABEL WARP

fig. 1.12. Gantz Graf (Alexander Rutterford, 2002) pour Autechre

abstraite ? Nous penchons pour l’abstraction, mais rien ne dit que l’objet ne soit pas un amas de formes de diverses origines. Le réalisateur revendique s’être inspiré d’un trip au lsd196 . L’objet virtuel est travaillé de la même manière que le son : déconstruction, étirement, pulsion, répulsion, explosion, décomposition, etc. Plus que cela, ces transformations s’effectuent de manière synchrone avec la musique. L’objet se transforme au départ d’un point fixe et s’y tient tout au long du clip. L’image des figures successives persiste quelques secondes après la transformation, générant un halo lumineux, pour finalement disparaître.

Toujours présents au bas de l’image, le logo du groupe ‑ ae, Autechre ‑ [fig. 2.21 b], le titre

du clip, et un chronomètre, laissent à penser que nous sommes face à une visualisation sur écran d’ordinateur. Le texte a une fonction de monstration : ce que nous voyons est la musique Gantz Graf. L’image présente de plus les caractéristiques formelles qui ont la même origine que la musique, c’est-à-dire l’informatique. Les couleurs sont sombres et sont caractéristiques d’un certain type d’univers technologique : noir et bleu foncé comme l’espace, rouge comme le laser, mauve, gris, etc. Ces couleurs et ces textures sont proches de celles du film 2001, l’odyssée de l’espace, de Stanley Kubrick. Nous rencontrons des mouvements de caméra très rapides d’un point de vue à un autre de l’objet. Ces mouvements se déplacent dans la zone de modélisation définie par des lignes blanches, au centre d’un univers virtuel indéfiniment noir. De même, le centre du cadre est marqué par deux fines lignes croisées. À la différence de la musique qui laisse à l’oreille le choix de la sélection197, le regard est transporté de force d’un point à l’autre de l’objet. L’image de synthèse se présente ainsi sous des angles multiples, d’une manière cubiste, comme pour signifier que chaque point de vue se vaut : vaine tentative d’ubiquité. Ces brefs changements d’angles se réalisent à des moments réguliers, synchronisés avec la musique. Lorsque nous les appliquons à une musique plus douce, moins saccadée, prenons au hasard Crisantemi de Giacomo Puccini, ces changements paraissent plus doux, et une impression de fluidité se ressent plus fortement. La musique du clip renforce donc 196.  Lire Rob Young, op. cit., p. 91. 197.  « L’oreille, elle, isole une ligne, un point de son champ d’écoute, et elle suit ce point, cette ligne dans le temps. », Michel Chion, L’audio-vision, op. cit., p. 14.

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TECHNOLOGIES

fig. 1.13. Claustration de l’infini dans les films : a. Tron de Steven Lisberger (1982) © Lisberger/KushnerWalt/ Disney Pictures b. THX-1138 de George Lucas (1971) © American Zoetrope/ Warner Bros. Pictures c. The Matrix de Andy & Larry Wachowski (1999) © Warner Bros. Pictures d. 2001, l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick (1968) © Metro-Goldwyn-Mayer/ Polaris

la brutalité des variations d’angles. Ceux-ci accentuent pour leur part l’instabilité de la figure en constante transformation.198 Ces formes reproduisent l’esthétique des premiers jeux vidéos mais également, sous le rapport du cinéma, celles du premier film utilisant l’image de synthèse, Tron, de Steven Lisberger (1982). Elles représentent un univers froid, souvent sombre, aux formes rectangulaires. Pour Amon Tobin, Alexander Rutterford réalisera Verbal (2002), un clip où une voiture modifie sa carrosserie en fonction de la musique. Comme dans Gantz Graf, une course-poursuite ‑ similaire au film THX1138 (Georges Lucas, 1971) ‑ est filmée avec de brefs changements de points de vue dans un obscur décor de synthèse. De même, il utilisera des changements d’angles synchrones avec la musique, en l’occurrence Le Mariage de Figaro de Mozart, dans 3SPACE199, esthétiquement inspiré, comme Gantz Graf, de 2001, l’odyssée de l’espace. Les univers de ces films se recoupent : dans chaque cas, ils mettent en scène un homme en proie aux technologies, que ce soit à l’intérieur d’un système informatique (Tron), d’une société technologiquement totalitaire (THX-1138) ou dans l’espace (2001, l’odyssée de l’espace). La notion d’espace est ici essentielle : cité plus haut, Timothy Binkley observait qu’il n’y a pas d’espace dans le cyberespace200. Par conséquent, dans ces trois films, ainsi que dans Gantz Graf, l’espace est infini [fig. 1.13] ‑ univers virtuel sombre dans Tron, prison à l’horizon indéfiniment blanc dans THX-1138,

que nous retrouvons dans Matrix, et espace intersidéral dans 2001... ‑ et pourtant renferme le sujet sur lui-même. Gantz Graf semble contenir ce paradoxe en montrant une forme instable, s’ouvrant 198.  Chez Warp, 25101999, un titre de BrothomStates issu de l’album Claro (2001), présente une forme comparable au clip d’Autechre. Nous y voyons un fluide synthétique, aux formes variant avec la musique. Sur le label Ninja Tune, le même label qu’Amon Tobin, Hexstatic a réalisé plusieurs vidéos visuellement proches de Gantz Graf. Les clips Pulse et That Track, tous deux sur l’album Master-View (2004), offrent une vision en trois dimensions à l’aide de lunettes et présentent des formes visuelles synchronisées avec la musique. That Track utilise également une structure aux lignes blanches sur fond noir. Mais là où le clip d’Autechre se fixe sur un point comme dans Pulse, That Track avance sur une ligne temporelle. Voir Hextatic, [Internet], http://www.hexstatic.tv, et Ninja Tune, [Internet], http://www.ninjatune. net. 199.  À voir sur le dvd accompagnant le livre de Matt Hanson et Shane Walter, Motion Blur: onedotzero : graphic moving imagemakers, Collins Design, Londres, 2004. 200.  Lire Timothy Binkley, art. cité, p. 428.

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vers l’au-delà et, dans le même temps, portée à se refermer sur soi, ne sachant dans quelle direction se tourner. Une infinité oppressante que nous rattachons aux nouvelles technologies : permettant de traiter des données proches de l’infini, elles oppressent l’homme dans sa propre finitude. Ainsi, la technologie nous entoure. Non contente d’être un outil aux mains de l’homme, elle façonne notre univers, modifie nos perceptions et, finalement, nous renvoie à notre propre mort. Avons-nous encore une part de liberté, ou devons-nous déjà nous considérer comme des automates ? Le chapitre suivant tentera d’y répondre. Ce qui est sûr, c’est que le développement des technologies est aussi important que le développement artistique. L’un et l’autre sont liés. « L’arrivée sur le marché des enregistreurs sur bandes, dans les années 1950, a ouvert un nouvel épisode à la musique avec Karlheinz Stockhausen, Iannis Xenakis, Edgar Varèse, entres autres.201 » D’autres épisodes furent permis avec la musique sur ordinateur, le cd, le dvd, etc. Ce n’est pas fini : d’autres technologies sont à prévoir. D’autres œuvres aussi. A insi, pour Steve Beckett, un des fondateur de Warp, il est possible de faire un parallèle entre les changements ayant bouleversé la production musicale et les nouvelles méthodes de montage cinématographiques d’aujourd’hui. « Les groupes ont réalisé qu’il n’était pas nécessaire de dépenser une fortune dans un studio alors que les nouvelles technologies leur permettaient de créer de la musique à la maison. Avec les films, aujourd’hui, des jeunes réalisateurs filment en dv et montent sur Mac à la maison.202 » Il ajoute : « Je pense qu’il y a de réelles similarités, surtout avec le type de réalisateurs avec qui nous travaillons, qui sont juste aussi fêlés que nos artistes. »

Ce chapitre nous a permis de considérer une des conditions de possibilité de notre corpus, la technologie numérique, et de déterminer les types d’images qu’il présente. Nous avons questionné la notion de réalité, montrant que le réel est fractionné et multiple. Nous avons également parlé des images et des sons de synthèse.

Dans les chapitres suivants, nous aborderons les rapports d’attirance entre le son et l’image,

puis les relations d’opposition entre les medias. Nous considérerons l’automatisme, en tant que soumission de l’homme à la technique et, à l’inverse, l’utilisation décalée de la technique à travers le sampling et la métaphore de la chimère. Dans le chapitre II, un media se soumet à un autre ; dans le chapitre III, un media en combat un autre.

201.  Joel Chadabe, « Raymond Scott: Inventor and Composer », Manhattan Research, Inc., Basta/ Irwin Chusid, s. l., 2002, p. 17. [Traduit par nous.] 202.  Piers Martin. Piers Martin, «Warp Vision (The Videos 1989 ‑ 2004)», [Internet], Warp Records, http://www. warprecords.com/?news=840, visité le 5 août 2006. [Traduit par nous.]

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Chapitre II



Automates : l’union

Le clip d’Aphex Twin Nannou (Laurent Briet, 2003) montre une boîte à musique surmontée de deux personnages dansant en cercle : un automate. Un automate est une machine qui, animée par un mécanisme intérieur, « se meut de soi-même203 ». Un automate fera toujours la même chose : ce à quoi il est destiné. Prenons une horloge. « Si l’horloge peut nous donner l’heure, elle n’a cependant aucune conscience de l’écoulement du temps ; et c’est précisément cette ignorance, par la durabilité qu’elle lui confère, qui lui permet de remplir parfaitement sa fonction204 », observe Aram Vartanian dans son ouvrage sur La Mettrie. « Contrairement aux horloges, écrit Gaby Wood, les hommes sont mortels205. » Les automates ont été conçus pour s’opposer à l’usure temporelle, « pour constituer une parole indéfiniment reproductible206 », écrit Jacques Attali, rappelant que les premières têtes parlantes207 construites au xviiie siècle par l’abbé Mical se présentaient comme une affirmation du pouvoir. Le mot ordinateur, désignant cet automate des plus évolués, vient, rappelons-le, du latin ordo, revoyant au terme ordinator, « celui qui ordonne, met en ordre208 ». Il n’y a pas lieu de faire un lien entre les premiers automates et le cinéma dans cet ouvrage, tout au plus pouvons nous remarquer

203.  Le Nouveau Petit Robert, op. cit., p. 185. 204.  Cité par Gaby Wood dans Le rêve de l’homme machine - de l’automate à l’androïde, traduit de l’Anglais par Sébastien Marty, Coll. « Passions Complices », Éditions Autrement, Paris, 2005, p. 53. 205.  Idem. 206.  Jacques Attali, op. cit., p. 171. 207.  Vers 1780, « l’Abbé Mical [...] confectionna deux têtes parlantes capables de prononcer un certain nombre de phrases. Placées sur un socle à l’intérieur d’un petit théâtre, un dialogue pouvait être engagé entre les deux têtes : “Le Roi donne la paix à l’Europe”, “La paix couronne le Roi de gloire”, “Et la paix fait le bonheur des peuples”, “O Roi adorable père de vos peuples, leur bonheur fait voir à l’Europe la gloire de votre trône”. Un rapport de l’Académie des sciences et signé, entre autre, par Lavoisier et La Place, décrit en ces termes le mécanisme de création de la parole : “Les têtes recouvraient une boîte creuse, dont les différentes parties étaient rattachées par des charnières et dans l’intérieur de laquelle l’auteur avait disposé des glottes artificielles de différentes formes sur des membranes tendues. L’air passant par ces glottes allait frapper les membranes qui rendaient des sons graves moyens ou aigus ; et de leur combinaison résultait une espèce d’imitation très imparfaite de la voix humaine.” », explique Philippe Sayous dans « Les têtes parlantes de l’Abbé Mical (1779) », Automates anciens, [Internet], http://www.automates-anciens.com/pages_principales/mical.htm, visité le 8 août 2006. 208.  D’après Le Nouveau Petit Robert, op. cit., p. 1794.

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des similitudes entre ces deux techniques de reproduction du mouvement.209 L’automatisme, c’est aussi la répétition, l’activité sans cesse reproduite, la boucle sans fin. Les clips ont plusieurs points communs avec les automates. Ces œuvres multimedias n’existent tout d’abord pas sans machine : elles sont issues, comme le cinéma, de techniques automatiques. Ensuite, les clips sont destinés à être vus à de multiples reprises ; ils tournent d’ailleurs en boucle sur certaines chaînes. Enfin, les corps qu’ils présentent semblent mus par une nécessité contraignante, leur danse est très souvent mécanique.

L’image doit-elle obligatoirement reproduire la musique ? Doit-elle dire la même chose ?

Que signifie, justement, « dire la même chose » ? Ce chapitre s’intéresse à l’automatisme dans les clips. Il commence par le problème du synchronisme entre le son et l’image afin de comprendre les engrenages intérieurs qui font du clip ce qu’il est. Il se poursuit par un détachement progressif des medias qui le constituent dans le but de comprendre les mécanismes agissant sur sa forme. Comme toujours, les clips du label Warp illustreront notre propos. La fusion synesthésique

Le clip qui a clôturé le chapitre premier, Gantz Graf, s’apparente, en montrant une forme activée et synchronisée à la musique, à une séquence de Fantasia (Walt Disney, 1940) où une piste sonore monte sur scène. En voix-off, le présentateur Deems Taylor y expose : « J’ai remarqué que tout beau son créait également une belle image ». La piste sonore prend dès lors, tour à tour, des formes plus extravagantes en fonction du son, de son amplitude et de son timbre. Un son produit par un instrument à vent prend des formes arrondies de couleur bleue, un son issu d’un instrument à percussion, comme le tambour, se présente sous des apparences quadrangulaires orangées. C’est ce que nous avons pris l’habitude d’appeler synesthésie.

La synesthésie est un concept central du multimedia. « Les possibilités de combiner

des structures originaires de médias différents en une nouvelle entité ont augmenté de manière exponentielle avec l’ordinateur.210 » Le mot synesthésie vient du grec sunaisthêsis « perception simultanée », selon Le Petit Robert qui définit le terme comme un « trouble de la perception sensorielle caractérisée par la perception d’une sensation supplémentaire à celle perçue normalement, dans une autre région du corps ou concernant un autre domaine sensoriel ». Ce phénomène neurologique, qui touche relativement peu de personnes211, est également, par extrapolation, un phénomène 209.  « Les automates donnèrent naissance, pour ainsi dire, au cinéma », écrit Gaby Wood, op. cit., p. 202. 210.  Jack Ox, « Introduction: Synesthetic Fusion in the Digital Age », Leonardo, vol. 32, n° 5, 1999, pp. 391-392. [Traduit par nous.] 211.  Lire Lawrence E. Marks, « Synaesthesia: Perception and Metaphor », in Frederick Burwick, Walter Pape (edited by), Aesthetic Illusion: Theoretical and Historical Approaches, Walter de Gruyter & Co., Berlin, 1990, p. 30.

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AUTOMATES

artistique212 . Le sonnet « Correspondances » de Charles Baudelaire est souvent cité à ce propos : « La Nature est un temple où de vivants piliers Laissent parfois sortir de confuses paroles; L’homme y passe à travers des forêts de symboles Qui l’observent avec des regards familiers. Comme de longs échos qui de loin se confondent Dans une ténébreuse et profonde unité, Vaste comme la nuit et comme la clarté, Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. II est des parfums frais comme des chairs d’enfants, Doux comme les hautbois, verts comme les prairies, — Et d’autres, corrompus, riches et triomphants, Ayant l’expansion des choses infinies, Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens, Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.213 »

Ce poème, écrit en 1857 et qui donnera le terme « symbolisme » au mouvement de la fin

du xixe siècle, représente, avec le sonnet des Voyelles de Rimbaud (1873) 214, « l’incursion la plus connue de la synesthésie dans la littérature215 », écrit Nicholas Cook. Le clip Zeal est, à ce propos, exemplaire. Il nous permettra de comprendre l’importance de la synesthesie dans le multimedia.

Zeal, qui signifie « zèle » en anglais216 , est le quatrième titre de l’album Spokes (2003)

du groupe Plaid 217. Au départ de ce clip, il y avait, justement, une réflexion sur la synesthésie218 . Intéressons-nous à la musique. Elle est électronique, au rythme marqué mais plat et en arrière-plan, à la mélodie réverbérée avec adjonction de pulsations aiguës et de divers bruits vaporeux. Une

212.  Certains parlent, dès lors, de pseudo-synesthésie ou de synesthésie culturelle pour la différencier de la synesthésie neurologique. Lire Simon Shaw Miller, « Visual Music and the Case for Rigorous Thinking », The Art Book, vol. 13, Issue 1, février 2006, pp. 3-5. 213.  Charles Baudelaire, « Correspondances », Fleursdumal.org (Supervert), [Internet], http://fleursdumal.org/ poem/103, visité le 27 juin 2006. 214.  Rimbaud y associe des couleurs au son des voyelles : « A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu [...] » 215.  Nicholas Cook, Analysing Musical Multimedia, op. cit., p. 25. [Traduit par nous.] 216.  New Oxford American Dictionary, op. cit. [Traduit par nous.] 217.  Plaid signifie « tartan » (une étoffe de laine à carreaux de couleurs) en écossais. Duo formé de deux amis de Ipswich, Ed Handley et Andy Turner, qui, en 1995, après avoir collaboré pendant cinq ans avec Ken Downie dans le trio Black Dog, se sont mis à créer des musiques électroniques inventives et éthérées. En 2005, ils développèrent des performances audio-visuelles en collaboration avec le réalisateur Bob Jaroc. Lire Rob Young, op. cit., p. 174. 218.  “Themed around the concept of synaesthesia, we strived for a subterranean, other-worldly look through ample use of grading and colour correction. Shot in a catacomb-like network of tunnels underneath Jim Henson’s Creature Shop, the eerie location itself provided much inspiration for the project. The rats are CG, but we needn’t have bothered! Designed as a showcase of our technical skills, the six-month project was a genuine labour of love. It had everything: particle systems, tracking, rig removal. Pretty much every shot had something, which had to be added or taken away.” « Pressbook », Minivegas, [Internet, PDF], http://minivegas.co.uk/_PR/minivegas_pressbook_2006.pdf, téléchargé le 26 juin 2006, p. 6.

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fig. 2.1. Représentation graphique de la bande-son du clip Zeal

mélodie au son proche du clavecin apparaît ensuite, après ce que nous avons identifié comme une introduction, sombre. Cette dernière laissera place à différents solos rythmiques, pour revenir, in fine, avec légèreté. Par moment, des bruits de voix, proches d’une respiration, se font entendre d’une manière répétée.

Une autre version de la musique a été utilisée par le collectif Minivegas219 responsable de

l’aspect visuel du clip. La bande-son du clip se différencie du morceau original par un rythme plus soutenu dans sa deuxième partie et par une plus courte durée (5:36 contre 5:55) [fig. 2.1] . Nous percevons une introduction ; la partie principale, comprenant la mélodie au clavecin (de 1:17 à 3:16) ; un dysfonctionnement continu, suivi d’une reprise en mains rythmique (dès 3:44) et d’une variation (3:56) ; d’une partie douce et éthérée (dès 4:40), continuée d’un solo rythmique (5:07 à 5:21), et d’une fin en fade out (jusqu’à 5:36). Nous assistons donc à la mise en place d’une structure musicale stable et mélodique et à sa transformation, par l’entremise de découpes opérées dans le rythme qui, donnant un mélange chaotique (quoique moins marqué que dans la version originale), divise le flux musical en deux parties successives : nous entendons d’abord les sons fluides et aériens et, ensuite, les rythmes rapides.

Visuellement, le clip commence et se termine par l’animation d’un œil aux nombreuses

paupières. Une fois ouvert, le spectateur est emporté, au travers de l’œil, dans des catacombes. Une ampoule éclaire, par intermittence, ce lieu humide infesté de rats. Un homme se réveille, ses yeux sont rouges (1:17). Suivant les fils au plafond, il décide de s’approcher discrètement d’un endroit

219.  Disponible sur « Video », Warp Records, [Internet], http://www.warprecords.com/plaid/video.html, visité le 26 juin 2006.

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AUTOMATES

fig. 2.2. Zeal (Minivegas, 2003) pour Plaid

légèrement mieux éclairé où il découvre une jeune femme en état de lévitation, connectée à des dizaines de fils. Un travelling compensé220, de 1:38 à 1:40, marque la fin de ce qui était une entrée en matière, l’objet principal de l’histoire ayant été trouvé. La femme laisse échapper une goutte de sang, provoquant une décharge électrique : sur un écran s’affiche un visage. Un homme sélectionne une paire de ciseaux d’un amas d’outils. Il contrôle un flux gluant et verdâtre. Un autre homme, équipé de lunettes virtuelles, est plongé dans des images expressionnistes et abstraites en mouvement, qui sont également présentées sur des écrans en arrière-plan. La femme, dont nous ne savons pas si elle atteint l’orgasme ou souffre à ne plus pouvoir respirer, semble réagir aux coups de ciseaux appliqués dans le flux. Un homme noir fait un signe d’approbation. La femme sourit et regarde l’individu toujours dissimulé. Mais les coupes se font plus importantes encore, allant jusqu’à faire crier la jeune femme et à modifier l’image sur les écrans221. Vers 4:28, c’est le climax : les images se sont succédées de plus en plus rapidement. Les images se font plus longues et les travellings plus lents (4:40) : le corps de la jeune femme se décompose pour finalement partir en fumée et s’échapper dans les catacombes. C’est la fin, avec un mouvement de travellings horizontaux dans les caves, symétriquement opposés à la séquence d’ouverture. L’œil se referme.

Les points de synchronisation sont nombreux, surtout au début. L’œil s’ouvre ainsi par

spasmes, en fonction de la musique ; l’éclairage clignote de même, et ainsi de suite pour nombre d’objets qui trouvent leur correspondance musicale, et inversement. Cette coïncidence entre le son et l’image explique sans doute une grande part du visuel. Comme au début des clips Come To Daddy, d’Aphex Twin, et Vogue, de Madonna, un son se traduit visuellement par un mouvement de caméra. Ce que nous percevons comme un déplacement sonore, proche de celui produit par un fax sortant de son appareil, est traduit à l’image par un travelling horizontal. Il est ponctué de gros plans lorsque d’autres sons se font entendre : c’est pour cette raison que l’effet de synchrèse222 est fort. L’image 220.  Cet effet est également appelé trans-trav ou effet Vertigo et aurait été utilisé pour la première fois par Alfred Hitchcock dans le film Sueurs froides (Vertigo, 1958) pour traduire le vertige du personnage. Lire Michel Chion, Technique et création au cinéma - Le livre des images et des sons, ESEC Édition, Paris, 2002, pp. 39-40. 221.  À la manière des griffes appliquées sur un dvd créant des images pixellisées. Voir à ce propos le travail de Juliette Gros-Gean et Lionel Dutrieux, It’s Not a Bug, It’s a Feature, Université de Liège, 2006, disponible sur Liove, [Internet], http://lionel.dutrieux.free.fr/liove/?p=54, visité le 26 juin 2006. 222.  Nous reviendrons sur ce concept.

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fig. 2.3. Wolfgang Köhler montra que le mot « Takete » était systématiquement associé à une forme angulaire, là où le mot « Maluma » était associé à une forme ronde

fig. 2.4. Images de la séquence de la Piste Sonore dans Fantasia (1940) © Walt Disney Pictures

aurait pu ignorer ces bruits ; elle ne le fait pas. Un son aigu donne à l’écran, sur une durée d’à peine une seconde, l’image d’une scie aux dentelures jaunes (0:29). Ce n’est pas étonnant : « certaines sonorités répondent immanquablement à une figuration graphique » écrit Georges Hacquard 223. Un des exemples les plus connus est celui tiré d’une expérience du psychologue Wolfgang Köhler qui montra que le mot « Takete » était systématiquement associé à une forme angulaire, là où le mot « Maluma » était associé à une forme ronde224 [fig. 2.3] . Nous en trouvons une illustration dans la séquence de la piste sonore de Fantasia.

Le rapport à la synesthésie est donc surtout thématique. L’œil synchronisé à la musique est

là pour le signifier : ce que nous voyons correspond à ce que nous entendons. Des modifications sur le flux musical, dont le flux verdâtre serait la métaphore, permettent d’obtenir d’étonnantes images. Dans ce cas, la femme ne serait pas seulement une femme. Comprenons-nous : d’abord en lévitation, puis s’échappant comme un gaz dans les airs, elle serait la métaphore de la musique, manipulée par les deux hommes. Son visage apparaît dans les lunettes virtuelles, pour signifier qu’elle est visualisée. C’est ce que semble raconter ce clip. Le son se répand comme un gaz, remarque Michel Chion225, à la manière des poussières virevoltant dans les airs à la fin de Zeal. Le fait que cela se passe dans des catacombes pourrait s’expliquer uniquement par les caractéristiques de la musique qui, nous l’avons vu, contiennent une réverbération proche de cet univers mais aussi par les bruits, froids et sombres. Il pourrait également être une référence au poème de Baudelaire, lorsqu’il écrit : « Comme 223.  Georges Hacquard, La musique et le cinéma, Bibliothèque Internationale de Musicologie, Presse Universitaires de France, Paris, 1959, p. 50. 224.  Lire Lawrence E. Marks, art. cité, pp. 30-31. 225.  Michel Chion, L’audiovision, op. cit., p. 123.

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AUTOMATES

fig. 2.5. Vassily Kandinsky, Composition VII, 1913, (huile sur toile, 200 x 300 cm) © Tretyakov Gallery, Moscou

fig. 2.6. Pochette de l’album Spokes du duo Plaid réalisée par The Designers Republic sur base d’une œuvre de Elena Copenkova (WARP114)

de longs échos qui de loin se confondent, dans une ténébreuse et profonde unité [...] ». Notons que le découpage correspond à celui que nous avons établi dans la musique.

Entre autres références à la synesthésie, les images diffusées sur les écrans, en arrière-plan,

sont des tableaux de Vassily Kandinsky. Le peintre « était convaincu de la possibilité d’entendre les couleurs226 ». « Kandinsky rapporte qu’il voyait du jaune quand il entendait un son de flûte aigu.227 » Dans son traité Du spirituel dans l’art228, il associait des tons de couleur avec certains instruments. « La forme a elle aussi son caractère et son atmosphère. Ainsi, le cercle, particulièrement prisé par Kandinsky, signifie la perfection, le demi-cercle en coupole le calme, le triangle posé sur sa base

226.  Karin Von Maur, « Bach et l’art de la fugue », in Sophie Duplaix et Marcella Lista (dirigé par), Sons et Lumières : Une histoire du son dans l’art du xxe siècle, Éditions du Centre Pompidou, Paris, 2004, p. 18. 227.  Carol Vernallis, op. cit., p. 125. [Traduit par nous.] 228.  Vassily Kandinsky, Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier (1912), Coll. « Le Cavalier D’Épée », Éditions de Beaune, Paris, 1954, p. 61 et suiv.

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l’énergie. Le jaune est la couleur du triangle, le bleu celle du cercle. L’orientation des formes joue elle aussi un rôle décisif.229 » Il y sépare ses œuvres en trois genres distincts : Impressions, impression directe de la « Nature extérieure » ; Improvisations, impressions de la « Nature intérieure », expression spontanée de l’esprit ; et enfin, Compositions, également des visions intérieures, mais reprises, lentement élaborées et retravaillées230. Il distingue la composition mélodique, la composition complexe et la composition symphonique231. Le fait de caractériser une toile par un terme issu de la musique montre bien le rapport qu’il établissait entre son et image. « De la même manière, les réalisateurs de clips relient des couleurs particulières à des timbres ou des canevas harmoniques avec une régularité telle que certains pensent expérimenter une forme de synesthésie232 », écrit Carol Vernallis.

Outre le clip, l’album partage des similitudes avec le travail de Vassily Kandinsky. La

pochette, mise en pages par les graphistes de The Designers Republic, est basée sur une œuvre d’Elena Copenkova [fig. 2.6] . « Cette toile est comme un aplat, très homogène, et quand on regarde de près, on voit plein de détails qui se dissocient les uns des autres. Exactement comme les morceaux de Spokes233 », expliquent Ed Handley et Andy Turner. Ce besoin de trouver une correspondance visuelle pour la musique ne s’exprime pas seulement par le clip ou la pochette de disque. Tous groupes confondus, les concerts sont de plus en plus accompagnés de projections ou d’écrans géants diffusant des mixages d’images orchestrés par ce qu’on appelle, par référence au travail du DJ (pour disc jockey), un « VJ », ou visual jockey234. « Pour nous [Plaid], c’est très important qu’il y ait un très grand écran derrière nous et que le spectacle soit complet. Il n’y a rien à voir de nous, ou presque, puisqu’on travaille avec nos ordinateurs. Les images sont donc très importantes.235 » Le numérique n’a fait qu’amplifier ce qui était déjà là bien avant : « la relation son/image a toujours été au cœur de la musique populaire236 », rappelle Andrew Goodwin. Tant la pochette que la performance ou le clip participent, de conserve, au visuel créé avec la musique. Fred Collopy de confirmer : « La musique a toujours eu des dimensions visuelles : la forme des instruments, les successions de notes sur la page, les mouvements des musiciens et de leurs publics, les pochettes de disques, l’éclairage scénique, même les clips237 ».

229.  Ingo F. Walthyer (sous la direction de), op. cit., p. 106. 230.  Ibid., p. 103. 231.  Ibid., p. 101. 232.  Carol Vernallis, op. cit., p. 125. [Traduit par nous.] 233.  Hamou et Olivier Lamm, « Plaid : Danses de travers », Chronicart - Le webmag culturel, [Internet], http://www. chronicart.com/mag/mag_article.php3?page=2&id=1190, visité le 17 juillet 2006. 234.  Il est, selon nous, probable que l’on parlera bientôt de « DJ » pour digital jockey, mais ce n’est que pure spéculation. 235.  Hamou et Olivier Lamm, art. cité. 236.  Andrew Goodwin, op. cit, p. 188. [Traduit par nous.] 237.  Fred Collopy, « Color, Form, and Motion: Dimensions of a Musical Art of Light », Leonardo, vol. 33, n° 5, 2000, p. 355. [Traduit par nous.]

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AUTOMATES

Néanmoins, pour revenir sur le phénomène synesthésique, Nicholas Cook précise qu’il est

rare, voire même inexistant, dans le multimédia 238 . « Les vrais sons ne peuvent pas interagir avec des couleurs imaginaires », attendu que « [...] le multimédia consiste, par définition, en l’interaction perçue de sons réels avec des couleurs réelles239 ». Autrement dit, la fusion de la musique avec l’image, qui, loin d’être fixe, a bien plus à voir avec un contexte culturel donné, n’est qu’un élément potentiel multimedia. Celui-ci réside bien plus dans une relation changeante d’éléments d’origines différentes. « Les personnes, non les œuvres artistiques, sont synesthésiques240 », précise Paul Hertz. Mais, reconnaît ce dernier, « ce qui est remarquable n’est pas que “l’art synesthésique” se révèle être une chimère, mais qu’il soit une chimère irrésistiblement utile pour la production artistique241 ». Synchronisme, synchrèse et ancrage

Un automate , c’est la répétition : sans cesse, il se soumet à une partition intérieure. Jusqu’à présent, nous avons vu que l’image ne peut pas être l’exacte réplique de la musique. « Dans le cinéma audiovisuel, écrit Eisenstein, la musique commence à partir de l’instant où la coexistence ordinaire du son et de l’image cède la place à une association arbitraire du son et de l’image, c’est-à-dire à partir de l’instant où le synchronisme naturel cesse d’exister.242 » Cette association arbitraire tente régulièrement de retrouver l’union naturelle perdue entre le son et l’image ou, du moins, de créer une nouvelle association : c’est ce qui est appelé le synchronisme. L’image n’est plus simplement le son, elle le représente arbitrairement. Revenons donc à la resucée arbitraire du son par l’image, avec les notions de synchronisme, de synchrèse et d’ancrage.

Le synchronisme est « le procédé qui consiste à monter parallèlement et dans un rythme

identique une image et une musique qui disent la même chose243 », définit vaguement Georges Hacquard. Le fait de « dire la même chose » nous renvoie à la notion à peine quittée de synesthésie, mais aussi à la notion de redondance. Car que signifie « dire la même chose » ? Selon nous, cela correspond à la répétition d’un même signifié. Les stimulus, c’est-à-dire la face concrète de ce signifié, sont présents sur deux canaux différents, deux médias : le son et l’image ‑ lorsque n’intervient pas un media supplémentaire. Des canaux différents supposent un transcodage, c’est-à-dire « la 238.  Nicholas Cook, Analysing Musical Multimedia, op. cit., p. 33. Nous renvoyons le lecteur à cet ouvrage pour de plus amples explications sur la perception des interactions multimedias. 239.  Idem. [Traduit par nous.] 240.  Paul Hertz, « Synesthetic Art: An Imaginary Number? », Leonardo, vol. 32, n° 5, 1999, p. 401. [Traduit par nous.] 241.  Ibid., p. 402. [Traduit par nous.] 242.  Serguei M. Eisenstein, Au-delà des étoiles - Œuvres Tome 1, traduit du russe par Jacques Aumont, Bernard Eisenschitz, Sylviane Mossé, Andrée Robel, Luda et Jean Schnitzer, Cahiers du Cinéma/ 10-18/ Union Générale d’Éditions, 1974, p. 282. 243.  Georges Hacquard, op. cit., p. 52.

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LES CLIPS DU LABEL WARP

fig. 2.7. Super Positions (Bob Jaroc, 2006)

fig. 2.8. The Launching Of Big Face (Bob Jaroc, 2006)

transformation subie par un code en passant d’un canal à l’autre244 ». Tout œuvre multimedia est en effet un discours pluricode, en d’autres mots, « toute famille d’énoncés considérée comme sociologiquement homogène par une culture donnée, mais dans laquelle la description peut isoler plusieurs sous-énoncés relevant chacun d’un code différent245 », écrit Jean-Marie Klinkenberg. « Dire la même chose » dans le cas du multimedia correspond donc à l’utilisation de medias différents pour véhiculer un même signifié et, par conséquent, l’usage de codes voire de stimulus différents. Mais le transcodage suppose une modification du code et, donc, l’apparition d’une nuance. Il n’y a que les patients souffrant de synesthésie qui entendent jaune ou voient un son aigu. Dans le cas du multimedia, et des clips en particulier, nous ne voyons/entendons jamais « la même chose » : nous pouvons entendre le bruit d’un piano s’écrasant au sol, mais nous ne pouvons pas voir ce bruit. De même, il nous est facile de voir ce piano, mais il nous est impossible d’entendre les rayons lumineux perçu par nos yeux 246 . Au mieux peut-on trouver des similitudes entre un stimulus sonore et un stimulus visuel. Par conséquent, le synchronisme est un procédé qui tend à faire coïncider un phénomène sonore à un phénomène visuel.

Parmi les techniques de synchronisme, la postsynchronisation est « l’ajout de sons après le

tournage et le montage des images247 » et ne suppose pas toujours le synchronisme. À l’opposé, la

244.  Sur le transcodage, lire Jean-Marie Klinkenberg, op. cit., p. 221. 245.  Jean-Marie Klinkenberg, op. cit., p. 232. 246.  « Il ne peut donc pas y avoir par principe de véritable redondance audiovisuelle », écrit Michel Chion dans Un art sonore, le cinéma, op. cit., p. 431. 247.  David Bordwell et Kristin Thompson, L’art du film, une introduction, De Boeck Université, Bruxelles, 2000, p. 588.

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AUTOMATES

fig. 2.9. Extrait de moins d’une seconde de la bande-son du clip Super Positions (à 3:40). Les images sont synchronisées à la musique : lorsque l’amplitude est faible, il n’y a rien à voir. Par contre, lorsqu’elle augmente, les formes lumineuses apparaissent. Nous avons, ici, fait correspondre des captures d’écrans à la représentation graphique de la bande-son.

présonorisation ou play-back est la synchronisation de mouvements ou d’images à une musique préenregistrée. Le « mickeymousing » est similaire au play-back, et correspond à la synchronisation, fréquemment caricaturale248, des déplacements de personnages de Walt Disney à la musique : la musique est dans un rapport d’imitation249. Au clip correspond donc la présonorisation : la musique existe toujours préalablement aux images.

À l’instar de la postsynchronisation, la présonorisation n’induit pas constamment le

synchronisme : la relation entre le son et l’image voyage entre des moments de forte synchronisation et des moments de détachement. Il existe évidemment des clips qui tentent de créer une correspondance continue. Parmi eux, Super Positions et The Launching Of Big Face250 (Bob Jaroc, 2006) du groupe Plaid [fig. 2.7 et 2.8]. Les deux clips présentent des formes synchronisées à la musique. Super Positions est une expérience presque hypnotique qui est composée de cercles d’objets lumineux tournoyant extrêmement rapidement. La synchronisation y est précise : les boucles sonores trouvent leur correspondance au niveau visuel, c’est-à-dire que chaque changement ou ajout musical voit se modifier les formes lumineuses. Il n’apparaît rien à l’image qui n’ait de correspondance musicale : de sorte que lorsqu’il n’y a pas de son, il n’y a pas d’image. The Launching Of Big Face est similaire à Super Positions : une forme s’y synchronise aussi à la musique.

L’image synchronisée conserve pourtant une légère distance sémantique par rapport à une

musique, elle n’est jamais totalement synchrone. La synesthésie, rappelons-nous, n’existe pas dans le multimedia. La musique passe par un transcodage, une transposition : le son revêt une apparence

248.  Lire Laurent Jullier, L’analyse de séquence, op. cit., p. 95. 249.  Lire Douglas W. Gallez, « Theories of Film Music », Cinema Journal, vol. 9, n° 2, printemps 1970, p. 47. [Traduit par nous.] 250.  Ces clips ont été réalisé en Dolby Surround 5.1. Nous renvoyons à la clipographie, en fin d’ouvrage, concernant les références de dvds comprenant ces clips.

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LES CLIPS DU LABEL WARP

fig. 2.10. Ancrage du son et de l’image dans les premières secondes du clip Perpendicular/ Vector (Markus Wambsganss, 2001) du groupe Antipop Consortium. L’image ne se présente que lorsqu’il y a du son. Une fois le lien établi, son et image peuvent s’offrir plus de liberté : le spectateur sait maintenant qu’ils travaillent de conserve.

mais, comme dit le proverbe, « l’habit ne fait pas le moine ». Chaque media aura toujours quelque chose en plus ou en moins. C’est ce qui fait que le son est son et que l’image est une image.

Le lien entre le son et l’image peut être chronique ou ponctuel. Chronique, il devient

redondant et crée une attente ; ponctuel, il devient imprévisible. Un lien chronique permet une synchronisation plus originale : nous pouvons associer n’importe quel son à n’importe quelle image, une fois répété le lien sera évident251. Un lien ponctuel doit être évident ou demandera à être clarifié, auquel cas il ne sera pas perçu. L’enjeu, pour le spectateur, est de chercher à voir ce qu’il entend et à entendre ce qu’il voit. C’est dans l’attente déçue ou réalisée que se crée le plaisir du spectateur. Les liens entre le son et l’image varient non tant parce que le passage d’un media à l’autre n’est jamais parfait, mais parce que c’est dans le flirt entre l’ordre et le désordre que se situe l’intérêt.

Dans la plupart des clips, la synchronisation est ponctuelle. C’est pourquoi nous parlons de

points de synchronisation. Ceux-ci sont directement liés à la fonction d’ancrage et appellent la notion de synchrèse. Michel Chion appelle synchrèse, un terme forgé en combinant synchronisme et synthèse, « la soudure irrésistible et spontanée qui se produit entre un phénomène sonore et un phénomène visuel ponctuel lorsque ceux-ci tombent en même temps, cela indépendamment de toute logique rationnelle252 ». Dans l’ouvrage Un art sonore, le cinéma, il précise : la synchrèse « consiste à percevoir comme un seul et même phénomène se manifestant à la fois visuellement et acoustiquement la concomitance d’un événement sonore ponctuel et d’un événement visuel ponctuel, dès l’instant où ceux-ci se produisent simultanément, et à cette seule condition nécessaire et suffisante253 ». Les points de synchronisation correspondent aux moments où l’effet de synchrèse est plus marqué. « Ceux-ci se définissent comme des moments plus saillants et significatifs254 », explique Michel Chion, « une scène de dialogue filmé comprenant beaucoup de synchronisme labial ne comprend pas pour autant 251.  Les publicitaires ne s’en privent pas : le lien entre un produit et ses effets, même impossibles, s’établit couramment par la répétition. Voir le clip Star Guitar des Chemical Brothers, réalisé par Michel Gondry, comme exemple d’une synchronisation originale. 252.  Michel Chion, L’audio-vision, op. cit., p. 55. 253.  Michel Chion, Un art sonore, le cinéma, op. cit., p. 433. 254.  Ibid., p. 430.

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AUTOMATES

des points de synchronisation255 ».

Dans les clips, les points de synchronisation remplissent fréquemment la fonction d’ancrage :

elle consiste, selon nous, à renforcer le lien arbitraire entre le son et l’image, et à le présenter comme naturel. Cette fonction est surtout utile au début des clips, où la synchronisation doit être établie, quitte à prendre, ensuite, une certaine liberté256 . Le début du clip Perpendicular/ Vector (Markus Wambsganss, 2001) du groupe Antipop Consortium peut servir d’exemple à ce sujet. Au début, les images n’apparaissent que lorsque la musique est audible : ce n’est qu’après avoir répété l’union entre le son et l’image, et ce plusieurs fois de suite, que la relation prendra de la distance [fig. 2.10] . Le spectateur ne peut dès lors plus considérer le son comme simple background sonore. À l’inverse, le cinéma classique hollywoodien se sert de la musique comme liant, pour favoriser la continuité et rendre insensible le changement des plans. Dans ce cas, la fonction d’ancrage ne lie plus seulement le son à l’image, mais l’image au réel du spectateur, créant un effet de réalité257. Le cinéma formaliste russe refusait cet effet de réalité. Nous le verrons dans le chapitre suivant, le rapport entre le son et l’image est encore plus complexe et ne se limite pas aux seuls points de synchronisation, aux coupures réalisées « dans le rythme » et à l’effet de synchrèse. Synchronisme corporel et mouvements mécaniques

La synchronisation arbitraire ne se limite pas au montage. Elle peut également se faire au niveau des mouvements corporels : l’automatisme ne s’est jamais autant manifesté que dans les clips de dance music. Le rythme musical contraint le corps aux mouvements mécaniques : le clip Itsu du duo Plaid en est le parfait exemple. À l’instar de Gob Coitus, analysé dans le premier chapitre, ce clip a été sélectionné par le concours Warp/ Creative Review (2002). Il a été réalisé par Pleix, une « communauté virtuelle d’artistes numériques258 » basée à Paris. Le morceau sur lequel se base le clip n’a pas été édité sur cd et n’existe que sous la forme d’un titre à télécharger259, ce qui est caractéristique du changement opéré par Internet sur la distribution musicale.

La musique est de genre électronique et de type minimaliste. D’une durée de 3 minutes

et 31 secondes, elle débute par une introduction, suivie d’une première partie (de 0:58 à 2:33),

255.  Idem. 256.  La synchronisation labiale, en anglais lip sync, est particulière dans les clips. La musique étant préenregistrée, les artistes doivent habituellement mimer leur propre chanson. Entre la voix du chanteur au premier enregistrement et celle se trouvant sur le morceau mis en vente, il peut y avoir des transformations parfois sensibles. La synchronisation est donc souvent vague. La synchronisation labiale peut également avoir une fonction d’ancrage. 257.  Sur ce point, lire John Belton, op. cit., p. 238. 258.  “Pleix is a virtual community of digital artists based in Paris. Some of us are 3D artists, some others are musicians or graphic designers.” « Infos », Pleix, [Internet], http://www.pleix.net/infos.html, visité le 1er juillet 2006. 259.  Ainsi qu’il m’a été confirmé par courrier.

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LES CLIPS DU LABEL WARP

fig. 2.11. Représentation graphique de la bande-son du clip Itsu

d’une seconde (de 2:33 à 3:14) et comprend une fin (de 3:14 à 3:31) [fig. 2.11] . L’introduction est composée de sonorités aigües de xylophone à forte résonance, portée par un fluide synthétique croissant. La première partie est introduite cut par des rythmes rapides inégaux qu’accompagnent, quelques secondes plus tard, des basses samplées et une mélodie métallique proche de celles que l’on peut entendre sur les disques de Wagon Christ (Luke Vibert), par exemple. Une brève transition en crescendo introduit une deuxième partie au tempo légèrement plus élevé comprenant un riff de guitare accéléré. Des sons de xylophone accompagnent la composition ; semblant sortis d’un album de Colleen (Cecile Schott), ils forment une douce et lente mélodie en arrière-plan. Des bruits se font entendre, tel le son produit par une scie à métaux. La fin présente une musique que nous dirions issue d’une boîte à musique. La première et la deuxième partie se répondent : elles présentent un déroulement similaire en quatre phases : la deuxième accentue les rythmes de la première et la troisième introduit une mélodie ; la dernière phase est toujours plus calme.

L’intérêt de cette description est de montrer qu’une histoire ‑ ou plutôt un canevas ‑, se

raconte implicitement. Les sons aigus semblent, nous l’avons dit, tout droit sortis d’une boîte à musique, ce qui connote la mélancolie : le désespoir face à une réalité qui tourne en rond ‑ les automates ne sont pas loin. Mais voici qu’apparaît un rythme mécanique qui va en s’amplifiant. La réalité change. Auparavant statique, elle se modifie et semble dorénavant avoir un but. Mais ‑ il y a une fin à tout ‑ des dysfonctionnements apparaissent. Un retour au temps cyclique de la boîte à musique clôt le récit. Jusqu’à maintenant, la musique n’a apporté que des sentiments et du mouvement à des idées qui ne viendront qu’ensuite, avec les images.

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fig. 2.12. Itsu (Pleix, 2002) pour Plaid

fig. 2.13 a b c. Pochettes des disques célébrant le dixième anniversaire du label Warp : 10+1 Influences, 10+2 Classics et 10+3 Remixes (1999) (WARP67, WARP68 et WARP69) d. Pochette du disque Animals (1977) du groupe Pink Floyd © Capitol

Les images : parlons-en. Nous avons écrit que les frontières entre le graphisme et le cinéma

sont de plus en plus floues. Ce clip en est un des exemples les plus manifestes. En effet, les images ont été filmées, puis détourées et, enfin, replacées dans une composition graphique en mouvement ‑ ou motion design. Nous retrouvons, par ailleurs, cette même esthétique dans les pochettes célébrant le dixième anniversaire du label Warp (1999) 260 [fig. 2.13 a b c] . Le graphiste Michael Place, qui travaillait pour Designers Republic, a détouré puis rempli de couleur mauve ‑ caractéristique du label ‑ des parties de bâtiments photographiés préalablement à Sheffield et Leeds, d’où est originaire Warp Records. Ces pochettes représentent admirablement bien le label. Les productions musicales de notre corpus sont, en effet, couramment des échantillons de bruits enregistrés dans cette ancienne ville industrielle, puis mis en forme de manière électronique ou numérique. De même, ces images de bâtiments industriels sont transformées à l’aide d’ordinateur.

Un homme présente les chiffres et prévisions de l’entreprise nommé Pork Corp. face à quatre

actionnaires [fig. 2.12 b] . Les mouvements des ces personnes sont lents, stylisées, voire robotiques. Des graphiques s’animent à l’écran. Les chiffres sont bons et les applaudissements fusent. L’extase est à son comble. Mais la machine s’emballe et les chiffres ne cessent de grimper. Les hommes se transforment en porcs et rivalisent d’invention pour faire augmenter le chiffre d’affaires, quitte à faire de l’œil à leurs collègues ou à les imaginer parfaitement compétents dans un abattoir... à la place 260.  Lire à ce propos Adrian Shaughnessy, « Building Blocks: Warp 10 », in Rob Young, op. cit., pp. 130-133.

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LES CLIPS DU LABEL WARP

fig. 2.14. Pornokratès (1878, 75 x 45 cm) de Félicien Rops © Musée provincial Félicien Rops, Namur - Dépôt de la Communauté française de Belgique

de l’animal. Les couteaux sortis, la volonté d’en vouloir toujours plus aura raison de l’ensemble de l’actionnariat, à l’exception d’un seul homme. Ce dernier fera la couverture des meilleurs magazines, tenant un porc au bout d’une laisse.

Cette image finale est intéressante et semble une transposition de la scandaleuse œuvre

Pornokratès (1896) de l’artiste belge Félicien Rops [fig. 2.14] . Elle présente une femme légèrement vêtue et qui tient en laisse un cochon. L’animal symbolise la luxure, pour certains, ou la bestialité et la stupidité masculine, pour d’autres. La peau rose et l’absence de poils rapproche, en effet, le cochon des êtres humains. Il est souvent synonyme de goinfrerie et de saleté. Il est, en outre, associé à l’argent : les tirelires prennent son apparence espérant, sans doute, qu’il grossira autant qu’il est destiné à le faire dans une chaîne industrielle. Outre Pornokratès, nous pensons également à la pochette du disque Animals (1977) de Pink Floyd 261 [fig. 2.13 d], réalisée par le groupe de graphistes Hipgnosis262, qui a, par ailleurs, développé pour Pink Floyd « une identité visuelle qui constitue le complément parfait de sa musique », observe Nick de Ville263. Au dessus d’un bâtiment industriel (une centrale électrique), entre deux cheminées, vole un cochon, en référence aux titres Pigs On The Wing et Pigs (Three Differents Ones) que contient l’album. Ce dernier considère le monde divisé en trois : il y a les moutons, la masse exploitée ; ensuite, les chiens, des assassins ne faisant confiance à personne ; enfin, les cochons, « les tyrans qui dirigent le monde : cupides, ayant soif de pouvoir et 261.  Par l’utilisation nouvelle des moyens électroniques, ce groupe londonnien aura une forte influence sur les artistes du label Warp Records. C’est pourquoi nous retrouvons une reproduction de The Dark Side Of The Moon sur la pochette d’une des première compilation du label Artificial Intelligence (1992), à côté de Autobahn de Kraftwerk. 262.  Lire à ce propos Nick de Ville, Albums - Création graphique et musique, traduit de l’anglais par Pascal Aubin, Octopus France/ Hachette Livre, Paris, 2004, pp. 147-149. 263.  Nick de Ville, op. cit., p. 147.

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fig. 2.15 a et b. Clip Remind Me (H5, 2002) du groupe Röyksopp © Wall Of Sound Recordings/ Labels/ Virgin France c et d. Publicité télévisée Experts en énergie par Euro RSCG C&O et H5 pour le groupe Areva © Arevacom/ Areva Group

constamment peur264 », commente Mike DeGagne. De même, dans Itsu, le cochon est également associé tant au sexe qu’à l’avidité humaine265.

L’image présente des graphiques informatifs (information graphics) animés : des diagrammes

en bâtons, des graphiques à colonnes et circulaires, mais aussi des cartes géographiques et divers schémas. Le lien est vite établi avec le clip Remind Me (H5, 2002) de Röyksopp. Hervé de Crécy et Ludovic Houplain y disséquaient en centaines de schémas et graphiques une journée de la vie urbaine d’une jeune femme. Sans grand étonnement, cette dernière travaille dans un grand centre financier. Ces graphiques sont en effet couramment associés au monde de l’argent. Une campagne publicitaire pour le groupe Areva, qui est spécialisé dans l’énergie nucléaire, s’en est d’ailleurs inspirée : Experts en énergie, créée par Euro RSCG C&O, détaille le cycle de cette énergie « qui ne produit pas de CO2 ». La publicité a, elle aussi, été réalisée par le collectif H5. Le clip Itsu lie ces graphiques au capitalisme : un monde rationalisé où la filière de l’énergie est contrôlée et la vie réglée au millimètre.

Dans Itsu, comme dans Remind Me, les personnages se déplacent de manière mécanique,

robotisée même. Le rythme musical contraint le corps à adopter des gestes mécaniques. Mais la musique n’est pas, selon nous, en cause. Elle est l’expression de la société qui la produit. C’est ce que John Blacking remarquait dans Le sens musical : « La musique confirme ce qui se trouve déjà dans la société et la culture, et elle n’apporte rien de nouveau, si ce n’est des structures sonores266 ». Ainsi, ce n’est pas tant la musique que le monde dans lequel vivent ces gens qui est rationalisé à outrance. Observant la rationalisation du corps dans l’époque qu’il nomme « hypermoderne », Jacques Gleyse réalise un rapprochement entre la musique, le « body sculpt » et le « hard core » : « [...] si la strate productiviste parcourt d’évidence le discours [des films classés X], et si celui-ci, ainsi constitué, est bien une rationalisation de l’agir, en tant que modèle et référent collectif [...], il est plus intéressant 264.  Mike DeGagne, « Pigs (Three Different Ones) - Song Review », All Music Guide, [Internet], http://www.allmusic. com/cg/amg.dll?p=amg&sql=33:ac63tv2uklox, visité le 2 juillet 2006. [Traduit par nous.] 265.  Nous retrouvons un cochon tué puis présenté dans une galerie d’art dans le clip de Jimi Tenor Total Devastation (Jimi Tenor et Sökö Kaukoranta, 1999). 266.  John Blacking, Le sens musical, traduit de l’anglais par Éric et Marika Blondel, Les Éditions de Minuit, Paris, 1980, p. 65.

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LES CLIPS DU LABEL WARP

fig. 2.16 a et b. Rendement et simulacre de cinéma hard-core dans Itsu c. Robotisation des corps dans Around The World (Michel Gondry, 1997) pour Daft Punk © EMI France d. Chewing Gum (Barnaby Roper, 2005) pour Annie © 679 Recordings Ltd.

de constater que les rythmes coïtaux sont similaires à ceux de la “techno” ou de la “house” et en conséquence de l’aérobic et du “cardio step”267 ». Le porc ne se reproduit plus, il est l’objet d’une production qui se résume en termes de rendements et de performances. De même, et le clip ne se prive pas de faire le lien, l’acte sexuel se résume, dans le cinéma « hard core », à des records et performances. « Les prises de vues, en plan serrés de l’acte sexuel retrouvent métaphoriquement les pistons, bielles et machines à vapeur de l’industrie moderne268 », écrit Jacques Gleyse.

Cette recherche du rendement s’épanouit également dans la pratique du culturisme, aussi

appelé bodybuilding. L’homme y est un objet mécanique dont l’art se résume au travail de rouages musculaires. Comme avec les porcs, les pilules multi-vitaminées sont de rigueur et la créatine et les autres stéroïdes jamais très loin. De même, et c’est selon nous d’une causalité identique qu’il s’agit, nous assistons aujourd’hui au développement spectaculaire de la chirurgie esthétique269. « Avant la Révolution Industrielle [notre] société pouvait comprendre 200 personnes tout au plus », explique le docteur Jonathan Cole au magazine Time270. « Aujourd’hui, [nous voyons] des milliers de personnes, mais [nous n’entrons] pas en contact avec eux. Le seul moyen d’avoir de l’impact sur les autres est l’apparence physique. » Nous y reviendrons.

Nous sortons de notre corpus. Cette digression au sujet de l’automatisme est pourtant

essentielle à la suite du propos : nous allons voir que l’automatisme n’a jamais été aussi présent que dans le label Warp, mais d’une manière décalée. L’automatisme des corps, dont le clip Itsu ne représente qu’une occurrence parmi d’autres, s’explique, selon nous, par deux raisons. La première est technologique, l’autre sociale.

Technologique. Dans Experiencing Music Video, Carol Vernallis appelle « automates » les

personnes qui apparaissent dans les clips271. Les personnages de clip semblent mécaniques car la

267.  Jacques Gleyse, L’Instrumentalisation du corps - Une archéologie de la rationalisation instrumentale du corps, de l’Âge classique à l’époque hypermoderne, Éditions L’Harmattan, Paris, 1997, p. 321. 268.  Ibid., p. 321. 269.  Lire à ce sujet Catherine Mayer, « Europe’s Extraordinary Makeover », Time Europe, vol. 167, n° 11, 13 mars 2006, pp. 40-46. 270.  Catherine Mayer, art. cité, p. 46. [Traduit par nous.] 271.  Carol Vernallis, op. cit., p. 132. [Traduit par nous.]

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fig. 2.17. Ghostlawns

musique contraint le corps à adopter une suite de mouvements de corps volontaires le plus souvent calqués sur le rythme musical : en d’autres mots, la danse. « Dans les clips, la parole devient chant et les mouvements deviennent la danse272 », écrit Carol Vernallis. De même que la force de la musique contraint le corps à adopter des mouvements définis, le montage fractionne le réel : le corps doit s’inscrire dans une grille. Ajoutons à cela la petitesse de l’écran télévisuel qui favorise l’utilisation de gros plans : la chorégraphie en devient donc fréquemment limitée, voire répétitive. « Les danseurs accomplissent rarement une chorégraphie complète ; leurs mouvements peuvent être décrits comme “horlogers”273 ». Si une horloge est destinée à donner l’heure, à quoi se destinent les personnages de clips ? Nous y venons. Pour l’instant, ce qui est sûr, c’est que nous n’avons pas encore quitté nos automates.

Nombre de clips présentent ces « mouvements horlogers » : prenons, comme exemples

caricaturaux, Around The World (Michel Gondry, 1997) de Daft Punk ou le plus récent Chewing Gum (Barnaby Roper, 2005) de la chanteuse Annie [fig. 2.16 c et d] . C’est d’autant plus marqué dans les clips de dance music (techno, disco, house), destinée à l’origine aux clubs et où la danse est essentielle. Visuellement proche du clip Chewing Gum, nous trouvons, chez Warp, Ghostlawns (Carlos Arias, 2002) du groupe de hip-hop Antipop Consortium274 [fig. 2.17].

Des silhouettes se détachent d’une toile rouge et nous font face : au premier plan, un

homme, un micro en main, bouge au rythme de la musique ; derrière lui, à sa droite, une femme se trémousse. De l’autre côté, plus au fond, un homme se tient au repos, fixe, les jambes écartées et les bras derrière le dos. Placée sur un socle tout comme ce dernier, mais à sa gauche et à l’extrême droite du cadre, une danseuse immobile fait des pointes. Les deux premiers personnages sont en mouvement, les autres ne bougent pas. La danseuse reste fixe. Un autre individu apparaît, actif ; il 272.  Idem. [Traduit par nous.] 273.  Ibid., p. 70. [Traduit par nous.] 274.  Découvert par Warp fin 2001, ce groupe est aujourd’hui dissous. Antipop Consortium fut crée en 1997 et il était composé de trois vocalistes ‑ Killah Priest, Beans et M. Sayyid ‑ originaires de la scène new-yorkaise et du producteur Earl Blaize. Lire Rob Young, op. cit, p. 156, ainsi que « Antipop Consortium », Discogs, [Internet], http://www.discogs.com/artist/Antipop+Consortium, « Antipop Consortium », Warp Records, [Internet], http://www. warprecords.com/antipop, et « Antipop Consortium », All Music Guide, [Internet], http://www.allmusic.com/cg/amg. dll?p=amg&sql=11:m95k8qz9bt94~T1, tous trois visité le mardi 28 février 2006.

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LES CLIPS DU LABEL WARP

appuie sur une boîte à rythme. Un homme entouré de deux pom pom girls se joint au groupe des silhouettes fixes. Entouré de titres animés japonisant, un présentateur lance le groupe d’une voix muette : la lumière apparaît, les dix silhouettes deviennent des corps, disposés face à nous sur sept socles de tailles diverses. Un travelling avance vers le chanteur, Killah Priest.

La musique est entraînante, répétitive et, il faut le dire, très simple. Elle mixe tout au plus

cinq boucles sonores auxquelles se conjoignent un rap au flot rapide de paroles, et ponctuellement, outre un enregistrement d’une voix masculine, une voix féminine, en refrain, assurant « Tonight, Allright ». La machine, ici une boîte à rythme, est présentée, à l’instar des ordinateurs du groupe Kraftwerk, sur un socle discret sur lequel agissent les musiciens. Les personnages bougent comme des automates, sur leur socle, de manière convenue : les pom pom girls sautillent, les danseuses dansent, les rappeurs rappent, la chanteuse chante. Tous semblent accomplir une partition automatique, intégrée en chacun d’eux, et, ce, jusqu’à l’extinction des feux.

Sociale. Après la technique, la deuxième raison contraignant le corps aux mouvements

mécaniques est directement liée à nos types de sociétés. Nous avons parlé de culturisme : nous trouvons un personnage réalisant des mouvements de manière également mécanique. De même, les pom pom girls s’y apparentent fortement : en groupe, leur danse est mécanique : « C’est une activité scolaire hautement organisée avec des tests officiels, des capitaines, et plusieurs rangs hiérarchiques275 », explique Jeanne Soileau. Elles sont aussi des « possessions sexuelles hautement désirables276 » qui, fortement excitées, bougent leur corps d’une manière érotique. Culturisme et cheerleading correspondent aux idéaux d’une société où l’apparence domine.

Pas étonnant, dès lors, que le clip Ghostlawns commence et finisse par des silhouettes et

que celles-ci soient, dans cet état, silencieuses. En tant que telles, ces personnes ne se définissent plus que par leur allure, leur forme, bref, leur apparence : elles se résument à être de simples objets : des automates. Il faut considérer cela dans le contexte de l’industrie musicale. « La consommation musicale conduit à une indifférenciation des consommations individuelles. On consomme pour ressembler, et non plus pour se distinguer [...] 277 », écrit Jacques Attali.

Plusieurs campagnes publicitaires pour le baladeur numérique d’Apple, l’iPod, ont présenté

sur fond de couleur unie des silhouettes noires dansant au rythme d’un extrait musical. Le succès de ce baladeur tient à sa simplicité ou, plutôt, au fait qu’il ne se résume qu’à être un potentiel. L’objet n’est rien d’autre qu’un disque dur278, c’est-à-dire de la mémoire destinée à stocker des morceaux de 275.  Jeanne Soileau, « Children’s Cheers as Folklore », Western Folklore, vol. 39, n° 3, juillet 1980, p 232. [Traduit par nous.] 276.  Gary Alan Fine; Bruce Noel Johnson, « The Promiscuous Cheerleader: An Adolescent Male Belief Legend », Western Folklore, vol. 39, n° 2, avril 1980, p. 121. [Traduit par nous.] 277.  Jacques Attali, op. cit., p. 220. 278.  Il se présente également sous forme d’un module de mémoire flash, une variante du disque dur, plus rapide et promis à bel avenir bien qu’actuellement limité en terme de quantité de stockage.

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AUTOMATES

fig. 2.18. Silhouettes dans une publicité pour l’iPod, Pop-Lock, sur une musique de Daft Punk, Technologic © Apple Computer, Inc.

musique numérisés. « La musique est une marchandise très particulière ; elle exige, pour prendre sens, un temps incompressible, celui de la durée279 », écrit Jacques Attali, qui y voit un paradoxe : « l’homme doit consacrer son temps à produire les moyens de s’acheter l’enregistrement des autres, perdant non seulement l’usage de son temps, mais aussi le temps nécessaire à l’usage de celui des autres280 ». Le stockage devient alors, selon lui, un substitut, et non un préalable à l’usage. Ce n’est donc plus la musique qui importe mais le fait de la posséder, de l’accumuler : l’homme qui possède devient un potentiel, il devient virtuellement quelqu’un en composant son propre univers musical, individualisé. Un potentiel jamais satisfait, car on ne consomme plus pour satisfaire ses besoins musicaux, mais pour consommer.281 « La consommation obéit à une logique sociale où les biens consommés prennent une valeur statutaire.282 » Cette logique s’apparente au système capitaliste283. À l’inverse du clip Ghostlawns, les silhouettes de la publicité Apple ne seront donc jamais des sujets « complets » : elles n’en auront toujours que l’apparence, l’image, à jamais uniformisée.

La musique n’est que l’expression de cette société capitaliste, une structure sociale rationalisée

où l’homme est contraint de se comporter en accord avec le marché et de vivre pour consommer. Le clip, en se basant sur la musique, reflète ces configurations sociales. En tant qu’objet commercial, il peut les accentuer ou les dissimuler. Warp, nous allons le voir, se réapproprie la répétition, et indique qu’un changement est possible. Ce n’est pas le cas de nombre de clips qui dissimulent leurs modes de fonctionnement ou accentue leurs prétentions commerciales ‑ afin de les rendre invisibles ‑ dans le but de stabiliser la société284 et de maîtriser la demande. En d’autres mots : le capitalisme transforme le consommateur en automate ; la musique exprime cet état de faits ; le clip le reflète. Il est maintenant nécessaire de considérer le versant commercial du clip.

279.  Jacques Attali, op. cit., p. 201. 280.  Idem. 281.  À l’opposé, nous reviendrons sur l’utilisation créative du stockage dans le chapitre suivant. 282.  Groupe Marcuse, op. cit., p. 65. 283.  Lire sur ce point : Groupe Marcuse, op. cit., p. 48 et suiv. 284.  Il n’est pas étonnant que ce soit l’ordinateur qui soit au centre des nouvelles techniques de contrôle social, sachant que, comme nous l’avons écrit, le terme ordinateur vient du latin ordo, « ordre ».

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LES CLIPS DU LABEL WARP

Synergie et fusion de l’objet et de sa publicité

Depuis l’invention de l’enregistrement musical et son intégration marchande, la musique s’achète en tant qu’objet. Sa valeur dépend « de l’existence d’autres objets alternatifs et disparaît quand émerge une possibilité de faire plus de plus-value avec d’autres285 » : c’est exactement ainsi que fonctionne le système du hit-parade. « L’usage n’est plus que l’affichage de la vitesse de l’échange286 », observe Jacques Attali. Le tableau d’affichage n’est autre qu’un système de médias comme la radio ou la télévision : il informe de la valeur des objets et rassure ceux qui les détiennent déjà. « La musique façonne ainsi un consommateur fasciné par son identification aux autres, par l’achat de l’image de la réussite et du bonheur. [...] Elle est en fait canalisation de l’imaginaire, pédagogie de l’enfermement général des rapports sociaux dans la marchandise.287 »

Originellement, la finalité du clip est promotionnelle : il est lui-même une publicité. Le rôle

de la publicité est crucial : « elle assure le couplage entre la logique sociale de la distinction par la consommation et la logique économique d’accumulation du capital par la production industrielle ‑ couplage qui précisément définit le consumérisme288 ». « Il s’ensuit qu’un bon clip, écrit David Huron, [...] devra partager toutes les caractéristiques qui distinguent une bonne publicité.289 » Quelles sont ces caractéristiques ? Selon David Huron, le clip doit être « 1) divertissant, 2) structuré, 3) facile à mémoriser, 4) lyrique, 5) soigneusement ciblé vers une audience spécifique et 6) autoritaire290 ».

Nous avons régulièrement, dans cet essai, lié clips et publicités ou simplement fait référence

à ces dernières. Le clip partage, en effet, bien plus qu’une esthétique avec la pub. Intéressons-nous à trois éléments caractéristiques parmi d’autres : le montage rapide ; le refrain ; le sexe.

Le montage rapide. Une des raisons expliquant les montages d’images extrêmement rapides

est qu’en créant des clips qui sont si difficiles à décoder en un seul visionnage, explique Andrew Goodwin, « les concepteurs espèrent produire un objet qui mérite un visionnage répété.291 » Après plusieurs diffusion, un clip doit toujours avoir quelque chose à offrir, à l’instar d’un disque de musique pop. La répétition est un des fondements de la publicité : elle favorise la mémorisation. Le clip tend à faire mémoriser la chanson afin de la rendre incontournable et, ainsi, favoriser l’achat. Mais cela

285.  Jacques Attali, op. cit., p. 214. 286.  Idem. 287.  Ibid., p. 219. 288.  Groupe Marcuse, op. cit., p. 66. 289.  David Huron, « Music in Advertising: An Analytic Paradigm », The Musical Quarterly, vol. 73, n° 4, 1989, p. 570. [Traduit par nous.] 290.  Idem. Nous renvoyons à cet article pour une explication plus en longueur de ces caractéristiques. Lyrique : le fait de véhiculer un message de manière non parlée en jouant sur le côté émotionnel. 291.  Andrew Goodwin, op. cit., p. 60. [Traduit par nous.]

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AUTOMATES

fig. 2.19. La musique pop dans le clip Apply Some Pressure de Maxïmo Park (deuxième version réalisée par Diamond Dogs en 2005)

ne veut pas dire que la rapidité du montage s’explique entièrement par les visées commerciales. « Le montage rapide qui est à l’œuvre dans une vaste majorité de clips est explicitement utilisé parce que monter à la vitesse du cinéma ou de la télévision apparaîtrait inconvenant par rapport à la bande-son.292 » En outre, la rapidité permet de dissimuler la répétition derrière une apparence de changement.

Le refrain. Il fonctionne dans le clip comme le slogan dans la publicité : son but est

« d’augmenter la mémorisation et le souvenir du produit293 ». C’est ce qui explique l’utilisation de la version single294 dans les clips. « Le single est devenu un moyen destiné à accrocher l’auditeur295 », affirme Andrew Goodwin. Le single a des caractéristiques que nous retrouvons dans le clip : « le titre sera fréquemment contenu dans le refrain ; le refrain et/ou le pont [bridge] sera la partie de la musique la plus captivante (bien évidemment c’est l’audience qui est en réalité captive) ; le couplet va généralement aboutir à un refrain [hook], qui apparaît généralement dans les vingt-cinq premières secondes de la chanson ; et le refrain (contenant le titre de la chanson, c’est-à-dire le nom du produit) sera répété à la fin de la chanson296 ». Le plaisir que nous avons a à écouter un refrain donne envie d’écouter une fois encore la chanson et, en même temps, assure de retrouver ce plaisir en achetant l’album. C’est pourquoi le single est, selon Andrew Goodwin, une forme hautement répétitive, ordonnée et stable ‑ « hautement rationalisé297 », écrit-il. Chez Warp, le clip le plus pop est Apply Some Pressure (2), de Maxïmo Park : il tient en deux minutes et 44 secondes, contient le titre dans le refrain et est, en effet, musicalement très ordonné.

Le sexe. Enfin, « la raison de sexualiser les clips, même si le sujet de la chanson n’a rien de

sexuel, n’est pas difficile à comprendre [non plus] : le sexe vend, dans les clips comme ailleurs.298 » 292.  Ibid., p. 61. 293.  David Huron, art. cité, p. 571. [Traduit par nous.] 294.  Les singles sont des disques contenant un ou deux titres dont, couramment, une version radio ou version single de la chanson principale qui diffère de la version originale par sa durée plus courte et, parfois, des paroles censurées voire modifiées. Le single est utilisé pour faire la promotion d’un album ou d’un film déjà sorti ou sur le point de l’être. 295.  Andrew Goodwin, op. cit., p. 82. [Traduit par nous.] 296.  Idem. 297.  Idem. 298.  Jeffrey J. Arnett, « The Sounds of Sex: Sex in Teen’s Music and Music Videos », in Jane D. Brown, Jeanne R. Steele & Kim Walsh-Childers (edited by), Sexual Teens, Sexual Media: Investigating Media’s Influence on Adolescent Sexuality, Lawrence Erlbaum Associates, New Jersey, 2002, p. 257. [Traduit par nous.]

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LES CLIPS DU LABEL WARP

De même, la présence féminine, placée de part en part du clip, est destinée à « encourager le spectateur à continuer de regarder299 ». Autant dans la vie nous entrons en contact avec le monde via notre apparence physique, autant dans les clips, la vie ne tient que dans trois courtes minutes. L’importance de l’aspect physique est primordiale : pas le temps de tergiverser, il faut agir, et vite, quitte à choquer. Cela explique sans doute la présente, directe ou suggérée, du sexe, mais aussi de la violence. Nous verrons dans le chapitre III que le sexe est aussi une arme aux mains de l’image pour prendre le dessus dans le flot multimedia.

Ne nous trompons pas sur les véritables consommateurs du clip. L’audience est aujourd’hui

le produit que l’on vend aux publicitaires300. « Depuis le début, MTV est non seulement une machine à marketing pour les produits qu’il annonce 24 heures sur 24 (que ces produits soient des démaquillants ou les disques qu’elle fait vendre pas ses videoclips), mais il constitue une publicitémaison permanente : c’est le premier réseau imprégné de branding 301», observe Naomi Klein dans No Logo : « [...] le génie original de MTV [...] consiste à offrir non pas des émissions particulières, mais MTV tout court302 ».

Maintenant que nous avons établi certaines des caractéristiques partagées tant par le clip

que la publicité, la question est, bien évidemment, de savoir ce qui les distingue. Le clip n’est pas la pub, et inversement. Le clip est plus qu’une publicité : c’est la fusion entre un produit et sa propre publicité. « Ce qui distingue les clips de la publicité traditionnelle est que cette dernière maintient une distinction entre la pub elle-même et le service ou l’artefact à acquérir. Consommer la publicité n’est pas la même chose que de consommer le produit. Dans les clips, en revanche, ce n’est pas le cas. Le produit et la publicité ne font qu’un ‑ ils sont inextricablement imbriqués.303 » Ainsi, le clip serait autant l’union de la musique avec des images, que le mariage d’un objet avec sa publicité. D’autant qu’il ne se limite pas à faire la promotion d’une chanson : dans sa forme courante, le clip fait la réclame de jeans, bière, cosmétique, films, et, finalement, du consumérisme. Il existe pourtant des clips différents : ceux du label Warp, entre autres. Avant de voir ce que le label offre de différent, il est nécessaire de faire remarquer que le clip publicitaire n’a pas été crée ex nihilo et que son histoire est directement lié au cinéma.

Le clip serait-il la forme publicitaire du cinéma ? En d’autres mots, le cinéma pourrait-il être

considéré comme un clip désolidarisé de sa fonction commerciale ? Dans The Sound of Commerce304, Jeff Smith montre que l’association de la musique avec la publicité ne s’est pas manifestée qu’en 299.  Andrew Goodwin, op. cit., p. 92. [Traduit par nous.] 300.  Sur ce point, lire David Huron, art. cité, p. 559, ainsi que Andrew Goodwin, op. cit., p. 44 301.  Naomi Klein, No Logo - La tyrannie des marques, essai traduit de l’anglais par Michel Saint-Germain, Leméac/ Actes Sud, Paris, 2001, p. 71. [Traduit par nous.] 302.  Idem. 303.  David Huron, art. cité, p. 571. [Traduit par nous.] 304.  Jeff Smith, op. cit.

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AUTOMATES

1981 avec MTV, mais bien avant. Après avoir contrôlé l’édition musicale305, les studios de cinéma comme Warner Bros. ou United Artists se sont lancés, dans les années 1950, dans le commerce du disque. Cet engouement pour ce nouveau support aura une influence importante sur les œuvres cinématographiques produites : les films adopteront la musique populaire, d’abord le jazz puis, plus tard, le rock. L’accompagnement musical néo-romantique, alors d’usage, sera petit à petit détrôné. La raison est évidente : en introduisant la musique populaire, un film cible les auditeurs ordinaires et est, donc, potentiellement plus vendable. Warner Bros. a donc créé une filiale destinée à s’occuper de la vente de disques, Warner Records, non parce que ce marché était lucratif ‑ ces maisons de disques issues de sociétés de production de films étaient souvent déficitaires ‑, mais parce que ces disques servaient à faire la promotion des films produits par l’entreprise-mère. Les artistes étaient choisis pour leur qualités musicales mais aussi pour « leurs potentiels en tant que stars télévisuelles et cinématographiques306 ». L’aspect promotionnel prime, c’est pourquoi Warner Records et UA Records préféraient le format single, ainsi que l’explique Jeff Smith : « Les maisons de disques [...] étaient principalement intéressées par la vente d’albums de bandes originales de film. Dès lors, le format maxi était ce qui augmentait leur marge de profit et ce qui composait la part de lion de leur revenus. D’un autre côté, d’un point de vue d’une société de production de films, les ventes d’albums étaient vitales pour soutenir l’opération de leur filiale musicale, mais elles avaient considérablement moins de valeur commerciale qu’une chanson à succès tirée d’un film [theme song] et la fréquence de diffusion radiophonique qu’elle engendrait. Par conséquent, les producteurs de films considéraient généralement les ventes de singles bien plus lucratives que les albums [...].307 »

Ces firmes n’ont généralement pas perduré. En effet, bien que lucrative, la vente de bandes

originales de films ne suffit pas à supporter la concurrence de l’industrie musicale308 . Warner Records a, elle, survécu.

L’idée de synergie est, par contre, devenue essentielle. « Le principe de synergie suppose que

la promotion croisée de films et de disques peut profiter aux deux industries de manière égale.309 » Dans ces conditions, le film est une publicité pour le disque de la même manière que le disque fait la promotion du film. Aux mains des maisons de disques, le clip peut être considéré comme un dérivé de ces pratiques de synergie : en utilisant le single pour faire la promotion d’un disque, il s’approprie un format alors préféré des studios pour ramener le client vers l’album, privilégié par les maisons de disques. Aujourd’hui, il n’est pas rare qu’un film utilise un tube, que cette chanson à succès passe à la radio, qu’elle devienne un clip et que ce clip fasse la promotion tant du film que de l’album. 305.  Ibid., p. 31. 306.  Ibid., p. 37. 307.  Ibid., p. 57. [Traduit par nous.] 308.  Ibid., p. 44. 309.  Ibid., p. 27. [Traduit par nous.]

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LES CLIPS DU LABEL WARP

Comme la technologie, la répétition nous entoure : elle façonne nos vies. La musique du label

Warp met en avant cette répétition et montre que nous ne sommes pas obligatoirement désignés à nous y soumettre comme de simples automates. Warp : discourir de la répétition contre la répétition du discours

Ces synergies peuvent dégoûter : bombardés de sollicitations commerciales, nous serions soumis à acheter ce que l’industrie nous a complaisamment préparé. En réaction à ce trop-plein commercial, le clip Itsu semble dénoncer le rendement corporel et l’utilisation du sexe à des fins capitalistes. La musique, avons-nous dit, exprime une réalité qui bascule par suite de dysfonctionnements. L’image fait référence à un univers rationalisé, hors de la réalité. Ce monde, au départ calme et prospère, bascule en un état de concurrence terrible où les hommes sont des porcs avides de pouvoir, d’argent et de sexe. Seraient-ils devenus des automates ?

La question est plutôt de savoir si la description commerciale du clip que nous avons établie

se retrouve dans les production visuelles du label Warp Records. Aurions-nous pu titrer notre travail Les publicités du label Warp ? Non, c’est évident, mais la réponse doit être nuancée. En comparant, nous avons l’impression d’assister à une forme qui s’oppose au versant mercantile du clip. Prenons Donkey Rhubarb (1995). Ce clip d’Aphex Twin, dirigé par David Slade, met en scène trois ours géants en peluche de couleur jaune, orange et vert. La musique, de style Ambient Techno, est hautement répétitive. Les personnages sont enfantins, à l’image de leur chorégraphie. Ils sont, par ailleurs, violents et remontent continuellement le bas du ventre d’avant en arrière, dans un mouvement explicitement sexuel. L’image du musicien n’est pas flatteuse : son visage intrigue. Son sourire est forcé, voire étiré, si bien qu’il ne peut se comprendre que d’une double manière : le personnage est heureux, car il sourit, mais il est aussi malheureux, car il ne peut pas ne pas sourire. De même pour ses yeux, qui brillent d’un regard figé : il nous observe toujours, il ne peut s’empêcher de nous voir. Cette opposition se retrouve dans le déguisement de teddy bear, attirant la sympathie et signifiant le réconfort, mais associé à ces visages étranges, mettant mal à l’aise.

L’ensemble du clip semble être subversif, c’est-à-dire contraire à l’ordre établi. D’abord par

la musique : la techno, tout comme la house, « évoque explicitement des moyens de production qui sont au fondement de son existence, ce que refuse de faire le courant majeur de la pop310 ». Ensuite, la structure musicale est extrêmement répétitive, comme pour exhiber cette répétition. Enfin, il n’y a ni refrain, ni couplet, ni paroles. D’un point de vue visuel, nous notons la présence de sexe, de violence gratuite et une tendance, valorisée par les publicitaires, au jeunisme, mais 310.  Ulf Poschardt, op. cit., p. 268.

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AUTOMATES

fig. 2.20. Donkey Rhubarb (David Slade, 1995)

d’une manière totalement décalée. Les enfants sont de véritables enfants, et non des objets destinés à favoriser l’engouement pour les techniques de chirurgie esthétique, de soins du corps ou de culte de la jeunesse. Enfin, dans le livre Label Unlimited : Warp, Adrian Shaughnessey décrit Richard D. James comme « un artiste prêt et capable de subvertir sa propre image311 ». Il est plus facile de s’identifier à des stars comme Madonna ou Robbie Williams que de rêver être Aphex Twin. Par contre, on peut aimer sa musique.

En favorisant la musique électronique, basée sur la répétition de samples, et en utilisant

des échantillons de sons considérés comme des bruits, les artistes du label Warp seraient donc subversifs : ils affichent la répétition qui structure notre vie. Mais ces artistes refusent de justifier leur musique par cette seule répétition : ainsi que nous l’avons écrit dans le chapitre préliminaire, Warp s’est destiné à diffuser l’Intelligent Dance Music ou de la musique électronique expérimentale, un style créé en réaction contre la dance et son aspect purement machinique et répétitif, en d’autres mots commercial, afin, principalement, de rendre de l’émotion à la musique créée par ordinateur312 . En laissant à l’artiste le temps et la possibilité de créer son univers musical et visuel personnel, Warp refuse de se lancer dans un système de consommation jetable. Car la répétition, explique Jacques Attali,313 « exige la destruction permanente de la valeur d’usage des répétitions antérieures, c’est-àdire une dévalorisation rapide du travail passé. » Les clips reflètent donc cette volonté du label d’être à contre-courant des habitudes de l’industrie musicale. Warp Record est subversif, il remet en cause la répétition sociale. C’est ce qu’appelait Jacques Attali dans son essais Bruits : « La seule remise en cause possible du pouvoir répétitif passe [...] par la rupture de la répétition sociale et du contrôle de l’émission des bruits. En termes plus quotidiennement politiques, par l’affirmation permanente du droit à la différence, le refus obstiné du stockage du temps de l’usage et de l’échange, la conquête du droit de faire du bruit, c’est-à-dire de créer pour soi son code et son œuvre, sans en afficher à l’avance la finalité, et du droit de se brancher sur celui d’un autre, choisi librement et révocablement, c’est-à-dire du droit de composer sa vie.314 »

311.  Adrian Shaughnessy, « Spray-on smiles : Aphex Twins », in Rob Young, op. cit., p. 81. [Traduit par nous.] 312.  Lire Rob Young, op. cit., p. 56. 313.  Jacques Attali, op. cit., p. 258. 314.  Ibid., p. 263.

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LES CLIPS DU LABEL WARP

22 fig. 2.21. Logotypes : Aphex Twin, Autechre et Maxïmo Park

Mais il faut nuancer les qualités subversives du label. Warp n’ignore pas entièrement l’aspect

commercial. La maison de disque de Sheffield n’existerait peut-être plus si elle n’avait pas un minimum de volonté mercantile. Ainsi, Aphex Twin, Autechre ou Maxïmo Park sont devenus des marques, au même titre que Danone ou Nike, afin de maximiser le potentiel de réception. Ils ont, d’ailleurs, un logotype315 [fig. 2.21]. Les clips ont d’abord été créés dans un but commercial. Mais, il est vrai que le label a appris à apprécier la valeur des clips et à intégrer ceux-ci dans une démarche artistique qui débuta avec la musique, s’étendit aux pochettes et affiches et, finalement, aux clips eux-même. La généralisation du support dvd a permis d’accentuer le côté artistique du clip au dépend de son côté commercial. Mais, un média moins contraignant comme le dvd n’en reste pas moins commercial : comme un single, il sert toujours à la promotion d’un album.

En vérité, le label impose moins de contraintes économiques à ses artistes. Sachant que,

comme nous l’avons vu, l’aspect promotionnel du clip explique nombre de ses constituants formels, le fait de réduire ces contraintes modifie également la forme que prendra le clip. Chez Warp, le clip perd un peu de sa force promotionnelle, mais gagne en originalité.

Les clips qui suivent toutes les règles commerciales n’en sont pas pour autant moins bons, voire simplement bons à être jetés. Les clips, qu’ils soient divertissants, commercialement ciblés ou expérimentalement conçus, sont des objets d’études formidables et extrêmement intéressants à analyser. Après avoir abordé l’aspect automatique du clip, du synchronisme à la synergie, nous allons nous intéresser, dans le chapitre suivant, aux oppositions entre le son et l’image, en abordant le collage et la notion de conflit.

315.  Le logotype, comme le clip, se situe à la limite du domaine artistique et du domaine commercial.

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Chapitre III



Chimères : le divorce

Carol Vernallis constate que les théoriciens du clip, lorsqu’ils parlent de la relation entre l’image et la musique, se concentrent sur les seuls moments de synchronisation.316 Malheureusement, cette façon de considérer le clip fait l’impasse sur les relations complexes qui s’établissent entre l’image et la musique ainsi que le travail commun des medias le composant. Le clip est une forme multimedia qui ne se limite pas à une simple concordance de formes. Après tout, nous sommes face à un collage dynamique dont chaque fragment interagit avec les autres.

Après avoir considéré les multiples synchronisations et fusions ayant lieu dans le clip, ce

chapitre s’intéresse à ses qualités fragmentaires, associant métaphoriquement le clip à une chimère, et aux relations conflictuelles, et non plus synchrones, entre ses éléments.

L’origine des collages modernes se situe aux alentours des années 1912, dans les papiers

collés simultanément par Braque et Picasso.317 Avec le sampling et le « copier-coller », le collage est devenu un concept essentiel du numérique. « Les ordinateurs d’aujourd’hui, outils de collage par copier-coller des plus agiles, créent un nouveau langage formel basé sur ce processus en luimême318 », écrit Jack Ox. « Le collage est un outil important dans la création d’œuvres synesthesiques et [multimedias]. Vous pouvez couper et coller sur différents medias, sur différents calques.319 » Par conséquent, il est possible, en quelques clics, de prendre l’image d’un corps de lion, de la combiner avec celle d’une queue d’un cochon et d’ajouter à ce corps hybride une tête de gorille.

316.  Lire Carol Vernallis, op. cit., p. 179. 317.  Lire « Collages », Dictionnaire de l’art contemporain, Larousse, Paris, 1965, p. 69. 318.  Jack Ox, art. cité, p. 392. [Traduit par nous.] 319.  Idem. [Intermedia étant un genre multimédia, nous l’avons traduit, ici, par multimedia, sans modifier, selon nous, le sens de la phrase. Intermedia est une pratique où s’opère une véritable fusion entre plusieurs champs d’activité.]

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LES CLIPS DU LABEL WARP

fig. 3.1. La Chimère d’Arezzo. Bronze trouvé dans la ville italienne d’Arezzo en 1553, d’origine étrusque et datant probablement du ve siècle av. J.-C. © Ugo Bardi - Galleria Frilli in Firenze

La chimère : entre rêve et cauchemar

Dans la mythologie grecque, la chimère est un monstre épouvantable. « La plus impossible à décrire, la plus difficile à combattre, la plus malaisée à fuir, qui eut jamais surgi des entrailles de la terre.320 » Sa description est, en effet, difficile : « elle avait la tête d’un lion, le corps d’une chèvre et la queue d’un dragon321 », écrit l’Encyclopædia Universalis. Mais cette chose étrange est également présentée comme ayant « une queue de Boa constrictor, [...] trois têtes distinctes, une de lion, une de bouc, la troisième de serpent d’une taille abominable322 », si bien que nous ne pouvons nous en faire une idée précise. « Les œuvres d’art représentent généralement la Chimère comme un lion ayant une tête de chèvre au milieu du dos.323 » « Un feu d’enfer sortait de chacune de ces trois gueules. [...] Elle courait avec la vitesse du bouc et du lion, rampait comme le serpent, et arrivait à être aussi rapide que les trois animaux réunis.324 » Elle dévastait la Carie et la Lycie jusqu’au jour où Bellérophon, sur le dos de Pégase, la tua 325. Aujourd’hui, on utilise fréquemment ce terme pour désigner une idée extravagante ou une création de l’imagination. Le Petit Robert parle même de « vaine imagination326 ». En biologie, une chimère est un organisme « créé artificiellement par greffe ou fécondation à partir de deux cellules, embryons ou organes de génotypes différents327 ». À la fin de La tentation de SaintAntoine (1874), Gustave Flaubert raconte la confrontation entre un Sphinx et une Chimère :

320.  Nathaniel Hawthorne, Lou Saintagne (narratrice), Conte De La Mythologie Grecque - La Chimère, [cd-audio], Éditions Thélème, s. l., 2003. 321.  « Chimère », Encyclopædia Universalis, base de données citée. 322.  Nathaniel Hawthorne, média cité. Nous retrouvons la même description, mais avec une queue de serpent et non de dragon, dans Michel Grant et John Hazel, Dictionnaire de la Mythologie, Coll. « Marabout Université », Marabout, s. l., p. 87. 323.  « Chimère », Encyclopædia Universalis, base de données citée. 324.  Nathaniel Hawthorne, média cité. 325.  « Chimère », Encyclopædia Universalis, base de données citée. 326.  Le Nouveau Petit Robert, op. cit., p. 425. 327.  Idem.

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CHIMÈRES « La Chimère. ‑ [...] toi, je te retrouve perpétuellement immobile, ou bien du bout de ta griffe dessinant des alphabets sur le sable. Le Sphinx. ‑ C’est que je garde mon secret ! Je songe et je calcule. La mer se retourne dans son lit, les blés se balancent sous le vent, les caravanes passent, la poussière s’envole, les cités s’écroulent et mon regard, que rien ne peut dévier, demeure tendu a travers les choses sur un horizon inaccessible. La Chimère. ‑ Moi, je suis légère et joyeuse ! Je découvre aux hommes des perspectives éblouissantes avec des paradis dans les nuages et des félicités lointaines. Je leur verse à l’âme les éternelles démences, projets de bonheur, plans d’avenir, rêves de gloire et les serments d’amour et les résolutions vertueuses. Je pousse aux périlleux voyages et aux grandes entreprises. [...] Je cherche des parfums nouveaux, des fleurs plus larges, des plaisirs inéprouvés. Si j’aperçois quelque part un homme dont l’esprit repose dans la sagesse, je tombe dessus et je l’étrangle.328 »

Leur dialogue commence lorsque le Sphinx, qui représente la continuité, la moralité, la sagesse et le langage, et qui passe son temps à tracer l’alphabet dans le sable, est accosté par la monstrueuse Chimère volante. « À la différence du Sphinx, [elle représente] le parangon du “décentrage”, en d’autres mots, la Chimère, imprévisible et changeante, s’illustre dans la spontanéité inventive. [...] Pour la Chimère ‑ utilisant les mots du premier manifeste futuriste ‑ “tout bouge, tout court, tout change rapidement” [...] 329 », écrit Mark Jarzombek. « Le Sphinx souffre d’une suffocante et intemporelle immobilité ; la Chimère, du vide de l’innovation sans fin. [...] En d’autres mots, le Sphinx représente l’histoire et la Chimère représente l’anti-histoire du temps présent.330 »

En tant qu’objet multimedia, le clip est, à plusieurs points de vue, proche d’une chimère. Il

est formé de medias différents comme le son, l’image et le texte. Il peut prendre différentes formes, passant de l’animation de marionnettes à l’image synthétique ou aux prises de vues réalistes, qu’il peut également combiner. En constant renouvellement, il se présente sous une forme où la vitesse des images rivalise avec le passage des modes et des styles. Pour des raisons commerciales ou non, le clip est couramment basé sur une idée originale afin de faire parler de lui et, en dernier recours, de la musique qu’il accompagne : l’extravagance paye. À l’instar de la publicité, dont il partage nombre de caractéristiques, nous l’avons vu, le clip se destine à faire rêver. « Ô douces illusions ! Ô chimères, dernières ressources des malheureux ! Ah, s’il se peut, tenez-nous lieu de réalité ! 331 », écrivait JeanJacques Rousseau.

Nous allons donc voyager à travers les différentes formes chimériques du clip. Nous

commencerons par la fragmentation de l’échantillonnage, poursuivrons par le collage d’éléments hétérogènes, la dématérialisation des corps et, finalement, la notion de conflit multimedia.

328.  Gustave Flaubert, La tentation de Saint-Antoine, Coll. « Pocket Classiques », Pocket, Paris, 1999, pp. 190-191. 329.  Mark Jarzombek, « Ready-Made Traces in the Sand: The Sphinx, the Chimera, and Other Discontents in the Practice of Theory », Assemblage, n° 19, décembre 1992, p. 74. [La traduction est de nous.] 330.  Idem. 331.  Jean-Jacques Rousseau, « Julie, ou La nouvelle Héloïse » (1761), Œuvres complètes, Coll. « La Pléiade », Gallimard, Paris, 1962, p. 289.

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LES CLIPS DU LABEL WARP

Les chimères et le sampling

L’aspect chimérique du clip se présente avec le plus de prégnance chez Warp. Le label offre une variété de styles musicaux de type électronique. À la base des musiques électroniques, il y a le sampling ou l’échantillonnage : le son est copié puis intégré dans une composition. « Le sampler, c’est la caisse de disque numérique : il numérise les sons et fait de cette mémorisation des bruits un véritable jeu d’enfant - un son est enregistré et peut ensuite être indéfiniment réutilisé et modifié.332 » Les premiers échantillonneurs disposaient d’une mémoire modeste, mais, petit à petit, la technologie évoluant, la quantité de sons enregistrés augmenta d’une manière exponentielle pour ensuite être associée à souhait.

L’échantillonneur n’est qu’une mémoire numérique : comme un iPod, il pourrait n’être utilisé

que pour stocker, mais le sampler découpe, crée des fragments de sons qui se destinent à être combinés, associés ou mixés, à l’aide d’une station de montage virtuel ou d’une table de mixage. La mémoire devient alors un instrument. Posséder ne prend sens que si ce qui est accumulé sert à construire. Le collage est ainsi une des formes de composition de la modernité artistique. Les collages sonores furent initiés par la musique concrète et le manifeste L’Art des Bruits333 de Luigi Russolo (1916). Le peintre et musicien futuriste y établit les bases du « bruitisme » comme possibilité d’élargissement de la matière sonore, « capable de donner naissance à une musique véritablement moderne ». « Cette évolution de la musique est parallèle à la multiplication grandissante des machines qui participent au travail humain334 », écrit Luigi Russolo en 1913.

Andrew Goodwin distingue trois formes de sampling335. Pour faire face à des instruments

souvent chers et encombrants, la forme la plus simple consiste à copier des sons dans le but de remplacer l’instrument d’origine par le sampler : le son n’est, finalement, qu’une simple copie de l’original. Une seconde forme, plus complexe, a ouvert des possibilités nouvelles aux producteurs et remixeurs : « les samplers peuvent être utilisés pour manipuler, allonger et/ou condenser la structure d’une chanson336 ». Enfin, la troisième forme est celle qui fait un usage esthétique du sampling qui se traduit, au final, par une politique du vol : « “voler” des fragments d’autres disques constitue en partie la signification d’un nouveau “texte”337 », écrit-il.

Ce qui est appelé sampling en musique, collage dans le domaine pictural, correspond au

332.  Ulf Poschardt, op. cit, p. 246. 333.  Luigi Russolo, L’art des bruits, Éditions l’Âge de l’Homme, s. l., 2001. 334.  Ibid., p. 36. 335.  Andrew Goodwin, « Sample and Hold: Pop Music in the Digital Age of Reproduction », in Andrew Goodwin et Simon Frith, On Records - Rock, Pop and the Written Word, Routledge, Londres, 1990, p. 270. [Traduit par nous.] 336.  Ibid, p. 171. 337.  Idem. [Traduit par nous.]

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CHIMÈRES

fig. 3.2. Sampling visuel dans Caretstik (Tim Redfern, 2005)

found footage cinématographique et se résume toujours à la fabrication d’une nouvelle sélection à partir de matériaux disponibles. Le clip de Plaid Caretstik réalisé par Tim Redfern est un exemple de sampling visuel : il présente des découpages de photos associés ‑ des fragments ‑ qui sont répétés à la manière d’une mise en boucle d’échantillons sonores [fig. 3.2] . La réalité est ainsi contrôlée par les ciseaux et la colle numériques du réalisateur.

De même que Andrew Goodwin a distingué les types d’échantillonnages sonores, nous

pouvons considérer trois types de sampling visuels. Le premier est l’utilisation du numérique afin de réduire les coûts, entre autres, de la pellicule. Un second type de sampling visuel est l’utilisation d’images que nous n’aurions pas intégrées, en temps normal, dans un montage : le sampling offre, dans ce cas, une base de données permettant de réaménager, compléter, voire enrichir un travail. Ce second type est de plus en plus utilisé dans les rédactions d’informations télévisées : un journaliste choisit des extraits vidéos en fonction de ce qu’il doit raconter ; il ajoute ses propres images si nécessaire. Une troisième forme de sampling correspond, selon nous, au VJing qui utilise et réutilise des images numérisées d’une manière débridée comme élément central d’une composition. Le clip LFO est un exemple de ce troisième type de sampling : les images sont mixées comme si elles étaient des échantillons sonores [fig. 1.2 a b et c]. Collages, du réel à la fiction et de la chimère à la réalité

Le clip d’Aphex Twin On (Jarvis Cocker, 1993) présente un assemblage d’objets hétéroclites animés [fig. 3.3] .

Des ciseaux y découpent des objets à la manière d’un échantillonneur. Mais bien avant ce

clip, avant le numérique, Marcel Duchamp, avec ses « ready-mades », avait déjà réutilisé des objets communs pour en détourner le sens. « Rien n’oblige d’ajouter quoi que ce soit d’original ; il suffit de sélectionner à partir de ce qui existe déjà », explique Lev Manovich338 . Pensons également à l’œuvre de James Rosenquist, qui présentait des fragments de réalité surdimensionnés, ou, bien avant, aux 338.  Lev Manovich, « Échantilloner Mixer - L’esthétique de la sélection dans les anciens et les nouveaux médias », in Yann Beauvais et Jean-Michel Bouhours, Monter/Sampler : L’échantillonnage généralisé, Éditions du Centre Pompidou, Paris, 2000. p. 46.

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LES CLIPS DU LABEL WARP

fig. 3.3. Découpages et samplings d’objets dans On (1993), par Jarvis Cocker pour Aphex Twin

collages des Dadaïstes qui se donnèrent pour but de récupérer les débris de la civilisation occidentale, « tessons misérables d’une culture périmée339 », puis de ceux des Cubistes et des Surréalistes. « À partir de 1910, grâce au brusque avènement du cubisme, dans la pleine liberté d’un style épanoui, le collage occupe le premier plan de l’actualité esthétique et ouvre une voie inattendue à l’évolution des arts plastiques. [...] Les matériaux “non artistiques” employés dans la peinture sont d’autant plus importants qu’ils permettront de multiples inventions plastiques et posent ainsi pour la première fois, et en termes de praxis artistique, la question de la réalité d’une œuvre d’art.340 »

La pratique du collage n’a jamais autant été questionnée qu’aujourd’hui. Avec les technologies

numériques, un simple copier-coller permet de réunir des fragments issus de n’importe quelle source. De plus, rien ne différencie plus l’original de sa copie : le fragment n’est plus tant le signe que l’objet lui-même. « Nous sommes à l’âge du recombinatoire, à l’âge des corps recombinés, des catégories sexuelles recombinées, des textes recombinés, de la culture recombinée.341 » « Cet âge de la recombinatoire d’échantillons se justifie [...] par le fait que ces échantillons font partie d’un héritage culturel à partir duquel un individu fait valoir son rapport personnel342 », écrivent Yann Beauvais et Jean-Michel Bouhours. Le collage, rappelons-le, est à la base de la musique concrète qui combinait des morceaux de bandes magnétiques. De même que la musique peut être une composition de samples mis en boucles, de même le clip peut être un assemblage d’images hétérogènes, nous en verrons un exemple avec le clip Come To Daddy, ou d’images de différentes origines, nous en parlerons avec Dayvan Cowboy. La fragmentation est, ainsi, un élément essentiel dans les clips.

Comme pour donner à la notion de sampling musical une apparence visuelle, le label Warp

présente, dans certains de ses clips, des personnages chimériques : pensons aux enfants à tête d’Aphex Twin dans Come To Daddy, ou aux corps féminins parés de la même tête dans Windowlicker, aux 339.  Hugo Ball, cité dans « Dada », Le Petit Robert des nom propres, Le Robert/ VUEF, Paris, 1994, p. 548. « Dada a employé les procédés du montage dans des œuvres de caractère expressionniste, comme celles de Grosz, dans les photomontages de Heartfield, de Hausmann et de Hanna Höch, dans les collages de Max Ernst, de Hans Arp, de Picabia, de Schwitters. » lit-on dans « Dada », Encyclopædia Universalis, base de données citée 340.  « Collage », Encyclopædia Universalis, base de données citée 341.  Critical Art Ensemble, « Utopie du plagiat, Hypertextualité et Production culturelle Électronique », Freescape, [Internet], http://www.freescape.eu.org/eclat/3partie/cae/caetxt.html, visité le 20 juillet 2006. 342.  Jann Beauvais et Jean-Michel Bouhours, « La propriété, c’est le vol », Monter/Sampler : L’échantillonnage généralisé, op. cit, p. 20.

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CHIMÈRES

fig. 3.4 a. Some Kind Of Kink (Richard Anthony, 2000) de Red Snapper b. Windowlicker (Chris Cunningham, 1999) d’Aphex Twin c. Gob Coitus (Lynn Fox, 2002) de Chris Clark d. Eyen (Jean Luc Chansay, 2001) de Plaid

personnages mi-homme mi-cochon de Itsu, mi-humain mi-abeille dans Gob Coitus, à l’homme reconstitué de Some Kind Of Kink, ou encore aux personnages composés de papiers de différentes origines dans Eyen [fig. 3.4] .

Il est intéressant de noter que c’est régulièrement la tête343 ou le visage qui est au centre des

transformations. Dans Aftermath (Jarvis Cocker, 1991) de Nightmares on Wax, un personnage a une tête en carton surdimensionnée ; dans Come On My Selector, il est aussi question d’une tête, nous allons le voir ; enfin, pensons aux multiples visages d’Aphex Twin.

Intéressons-nous à Come On My Selector car il est non seulement composé de samples mis

en boucles, mais aussi le lieu d’une transmutation de cerveau entre un chien et un homme [fig. 3.5]. Quatrième morceau de l’album Big Loada de Squarepusher344, il est sorti en 1997. Classique du genre, il est de type jungle ou drum ‘n’ bass345, c’est-à-dire formé de boucles d’échantillons musicaux au tempo extrêmement rapide346 . La jungle est la forme musicale techno la plus complexe d’un point de vue rythmique347 qui combine des échantillons musicaux de sources multiples comme le jazz, la musique de film, l’ambiant, le trip-hop, le groove, etc.

Des sons de basses étirés donnent l’impression que quelqu’un tire sur un élastique et qu’il le

lâche ensuite, détruisant tout sur son passage. Le clip348 est plus long que la musique originale (7,24 minutes pour 3,25). La narration prend, par conséquent, une place plus importante. Elle n’hésitera 343.  Selon Rainald Goetz, la musique techno appartient « entièrement au cerveau. [...] C’est ce qui est fantastique dans cette nouvelle musique, c’est là aussi que réside son danger. » Rainald Goetz et Michi Kern, « Sven Väth - Maniac Love. The Tokio Tapes », Tempo, septembre 1994, p. 80, cité dans Ulf Poschardt, op. cit., p. 341. 344.  Alias Tom Jenkinson. Il fait ses débuts sous le nom de The Duke Of Harringway. La musique de Squarepusher est de type breakbeat : de la jungle frénétique présentant des basses rapides, plus tard influencée par les sons de jazz électrique. 345.  « En réponse au mélange d’ecstasy et de speed, les producteurs britanniques se sont mis à fusionner techno hardcore, hip-house et vieux disques de breakbeat pour créer ce qui allait finalement être appelé jungle ou drum ‘n’ bass, la première forme de dance music spécifiquement britannique. » Peter Shapiro, Rob Young, Simon Reynolds, Kodwo Eshun, op. cit., p. 282. 346.  Le clip présente par ailleurs une brève interview télévisée auto-réflexive : quelqu’un demande à Tom Jenkinson comment il fait pour jouer tous ces instruments en même temps. 347.  « Jungle/Drum’n’bass », All Music Guide, [Internet], http://www.allmusic.com/cg/amg.dll?p=amg&sql=77:2640, visité le 8 août 2006. 348.  Nous renvoyons à la clipographie, en fin d’ouvrage, concernant les références de dvds comprenant ce clip.

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LES CLIPS DU LABEL WARP

fig. 3.5. Come On My Selector (Chris Cunningham, 1997) de Squarepusher

pas à arrêter la musique de manière à favoriser le déroulement d’une histoire. Nous sommes à une frontière entre le clip et le cinéma narratif. L’utilisation d’effets sonores indique que la narration a, par moments, pris le dessus.

Osaka, home pour enfants mentalement dérangés. C’est la nuit : dans les couloirs, un garde

surveille, lampe en mains. De chambre en chambre, il observe si les enfants dorment et, dans le cas contraire, les envoie au lit. Le surveillant ne remarque pourtant pas une jeune fille qui passe derrière lui. Elle est ingénieusement déguisée en garde avec un tablier blanc surmonté d’une tête de chien. « Belle nuit, hein », apprécie le garde en japonais, « dingue, non ? ». « Complètement fou », rétorquet-elle. « Peu de causes perdues », affirme-t-il sans la regarder. « Complètement perdu », répond-elle, continuant son chemin, faisant fi des caméras de surveillance. Face aux moniteurs, transmettant cette présence suspecte, un autre garde préfère regarder une émission télévisée. Dans les couloirs, le premier garde continue sa ronde. Face à une enfant sourde à ses exhortations d’extinction des lumières, il est forcé d’entrer dans la chambre. Face à une poupée en lieu et place de la jeune fille, il sonne l’alarme. Entre-temps, la jeune fille se débarrasse de son déguisement, ramenant à terre le petit chien qu’elle tenait sur sa tête. « C’était limite ! Allons-y ». L’alerte est donnée. La jeune fille, toujours accompagnée de son petit chien, démarre une machine intitulée « Brainswap Industries » (Industrie de permutation de cerveau), et entre les codes nécessaires. Le « sujet a » est un chien, indique l’ordinateur. Entretemps, les deux gardes approchent. « Quel est le sujet b ? », questionne la machine. Les gardes forcent non sans mal la porte de la pièce où se trouvent les jeunes fugitifs. L’un se fait mordre le pied par le chien tandis que l’autre est mis à terre par la jeune fille. Le premier s’enfuit effrayé, mais se retrouve piqué d’une seringue anesthésiante. « Réveille-toi. » Au grand dam du garde qui reçoit des dizaines de coups, la jeune fille a l’air heureuse : il se débat comme il peut, mais, bâillonné, il ne peut rien faire. Son collègue est le « sujet b » : attaché comme lui, piégé. Des électrodes relient sa tête à celle du petit chien. Secoué de tous côtés, sous d’importantes décharges électriques, l’homme subit une permutation de cerveau. Aux côtés de la jeune fille, il envoie son collègue contre un mur. Arrivée en renfort, une équipe armée se retrouve face à un chien qui parle… 96


CHIMÈRES

fig. 3.6 a et b. Premières images du clip Come to Daddy : ciel gris et hlm jonché de poubelles c et d. Décharge électrique et apparition d’un visage sur l’écran

L’aspect chimérique se retrouve ici tant au niveau musical que visuel. Le clip Come On My

Selector présente une utilisation créative de la technologie : musicalement, le sampling réunit des sons de diverses origines pour créer une nouvelle unité. À l’image, la technologie permet de prendre un élément et de l’associer à un autre, en l’occurrence d’associer le cerveau d’un homme au corps d’un chien. Nous sommes face à une jeunesse qui s’insurge contre un ordre établi et trouve le moyen de s’en défaire, en créant des associations nouvelles : dans ce cas-ci, principalement musicales. La jeune fille ne consomme pas ce qui lui est destiné : elle aspire à mieux. Le phénomène est similaire dans le clip Freak de LFO (Daniel Levi, 2003) où des jeunes enferment une éducatrice afin de danser frénétiquement dans une cours de récréation au son d’une musique qui dérange l’ordre établi. Les corps sont ainsi recombinés d’une manière révolutionnaire.

Le clip Come To Daddy (Chris Cunningham, 1997) 349 d’Aphex Twin présente un autre type

de chimérisation : celle qui consiste à créer la réalité à son image, par collage, ce qui nous renvoie à la notion de rêve, autre signification du mot chimère. Le clip mélange également les niveaux de réalité, fragmentant le réel, tout en se révoltant contre l’hypocrite stabilité du monde. La chimère est changeante, rappelons-nous en. Dans Come To Daddy, nous assistons au spectacle d’une télévision qui prend soudainement vie, des enfants étonnamment asservis au petit écran, brutalisant une grand-mère sans défense. D’une durée de 5 minutes et 50 secondes, le clip est construit comme un petit film. Il introduit le décor, puis le personnage, en l’occurrence une vieille dame. Un poste de télévision va faire basculer le rythme monotone de sa journée. Nous allons nous y intéresser plus longuement car c’est un des clips les plus connus du label : il a été élu « troisième meilleur clip de tous les temps » par le journal anglais The Guardian350. Il permet, en outre, de lier notre propos à ce que nous avons déjà dit dans les chapitres précédents.

349.  Aphex Twin se présente parfois sous son vrai nom, Richard D. James, ou d’autres pseudonymes i. e. AFX, The Dice Man, Caustic Window et Polygon Window. On trouvera une explication du nom Aphex Twin et d’autres informations sur Thomas Van Hoecke, Afx-aphextwin, [Internet], http://www.afx-aphextwin.com, visité le 9 mars 2006. Nous renvoyons à la clipographie, en fin d’ouvrage, concernant les références de dvds comprenant ce clip. 350.  David Smith, « Cash tops Thriller with best video ever », The Observer, samedi 30 janvier 2005, [Internet], http://arts.guardian.co.uk/print/0,,5115372-110427,00.html, visité le 23 juillet 2006.

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LES CLIPS DU LABEL WARP

fig. 3.7. Représentation graphique de la bande-son du clip Come to Daddy. De 3:11 à 3:25, une parenthèse introduit une comptine uniquement sur le canal gauche, le canal droit restant muet comme pour marquer son désaccord.

La musique est électronique, samplant des sons de guitare électrique sous des battements

rapides de type jungle. Proche de Firestarter de The Prodigy, elle est bruitiste, le son étant distordu et les échos nombreux. Le morceau original est le premier titre du maxi Come To Daddy EP (1997) et porte le titre Come To Daddy (Pappy Mix). La musique commence directement par de violents riffs de guitares extrêmement distordus, une entêtante répétition de « I want your soul, I will eat your soul », suivi, après ce que l’on pourrait nommer une courte respiration musicale, d’une partie sensiblement identique, mais plus violente encore par l’adjonction de basses au tempo élevé. Une partie reprenant la musique du premier verset suit, mais change les paroles : « Come to Daddy » Après un instrumental basé sur les sons du verset, plusieurs variantes et reprises complètent le morceau. La musique est destinée à être dansée, lors de raves, par exemple ; elle est faite pour le corps, les paroles rappelant l’état de transe dans lequel nous pouvons être plongés à son écoute.

La musique du clip est plus courte [fig. 3.7]. Elle commence par une lente introduction

composée de glissements à la réverbération prononcée, donnant l’impression d’entrer dans un univers étrange : elle résonne comme dans un vaisseau de la série Star Wars. Des voix distordues se font entendre en arrière-plan sonore ; des pas se perçoivent également. Le bruit d’une décharge électrique (1:04) sonne le départ d’une deuxième phase, allant crescendo, basé sur des riffs de guitares et le refrain « I want your soul », ralentissant lorsque est entendu « Come to daddy », puis redémarrant. Une parenthèse introduit ensuite une comptine uniquement sur le canal gauche, le canal droit restant muet (de 3:11 à 3:25). Enfin la musique bruitiste de type hardcore techno voire jungle reprend, trottant en direction d’un climax de cris pour finir dans un solo de rythmes électroniques et d’effets divers (dès la cinquième minute). 98


CHIMÈRES

fig. 3.8. Kyrielle d’enfants ayant la face d’Aphex Twin et bagarre pour s’accaparer Daddy

Intéressons-nous maintenant à l’image. Un building ; un surcadrage de béton ; un ciel gris.

Numérisé, le logo d’Aphex Twin351, suivi du titre de la chanson, fait place à un homme encerclé, avant de revenir sur des images planantes de bâtiments verdâtres. Quelques images au débit rapide nous ramènent à un titrage éclaboussé, spécifiant « The Aphex Twin », redescendant ensuite au bas du hlm jonché de poubelles. Une vieille femme, tirée par son chien, s’approche. Le nom du réalisateur interrompt, encore un temps, l’introduction à cet univers grisâtre. Dans les poubelles : un pot de peinture, un caddie renversé et une télévision. Son chien scrute les débris de cette société de consommation. Ils sont épiés par un personnage à longues tresses qui file se cacher au moment où la vieille dame se retourne. Toujours en laisse, le chien, ayant fini ses vagabondages, pisse au milieu des détritus. C’est alors que la télévision se met en marche, infligeant une décharge électrique au chien. Un visage apparaît dans le téléviseur. N’y tenant plus, terrorisée, la vieille dame lâche son chien. À l’écran, le visage distordu vitupère « I want your soul ». La dame tente de se détacher de cette scène épouvantable, s’accrochant au mur. Rien n’y fait : le personnage répète sans fin la même phrase satanique « I want your soul, I will eat your soul. » Ne sachant que faire, la vieille dame entre dans le bâtiment et se retrouve nez à nez avec une kyrielle d’enfants [fig. 3.8 a]. Ils ont tous la même face, figée, contrastée, à l’inquiétant sourire béat, aux yeux allongés, fixes et lumineux : le visage aux traits exagérés d’Aphex Twin352, aux cheveux longs noués. Ces enfants courent vers le poste de télévision, non sans donner des coups de bâton à tout ce qui les entoure. Éblouis, ils écoutent la télévision, sourire aux lèvres : « Come to daddy ; come to daddy ». L’un d’eux ayant emporté la télévision, ils courent dans un parking, tapant sur tout ce qu’ils peuvent, écoutant la voix lancinante du démon.

Après avoir poursuivi un homme qui tentait en vain de les éviter en s’enfermant dans sa

voiture, les enfants sautillent gracieusement au son d’une douce comptine353. Entre la onzième et la vingt-cinquième seconde de la troisième minute, cette comptine fait office de pont sonore permet

351.  Nous renvoyons à ce que nous avons écrit au sujet du logotype d’Aphex Twin à la fin du chapitre II. 352.  Lire Peter David Mathews, « Music in His Own Image: The Aphex Twin Face », Nebula 1.1, [PDF], juin 2004, accessible sur Internet à l’adresse http://www.nobleworld.biz/images/ARTL8.pdf. 353.  La comptine dit : “The flowers that bloom in the warmth of the sun are there to be loved by everyone...”.

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LES CLIPS DU LABEL WARP

fig. 3.9. Rupture de cadre, de la fiction au réel : le personnage sort de son écran

non seulement de marquer une juxtaposition mais aussi d’aider la musique à redémarrer. Cette pause répond aux attentes du spectateur en montrant des enfants sautillant joyeusement, comme nous pourrions nous y attendre. En montrant un instant des enfants sages, la scène de la petite comptine marque, par opposition une juxtaposition dissonante à l’origine du malaise que nous ressentions inévitablement. Des enfants apparemment sages sont ainsi associés à des actes moins nobles de destruction, de la même manière que le visage au sourire exagéré laisse à penser qu’il n’est pas non plus sympathique ‑ d’autant qu’il est fixe, comme mort, nous y reviendrons. Le canal droit reste muet comme pour signifier son désaccord : non, le monde n’est pas stable comme la comptine aimerait à le faire penser : il est violent.

Ce pont sonore est donc bref et les enfants poursuivent leur casse, se battant pour posséder

le poste de télévision et déchirant joyeusement des amas de poubelles354. Le poste, tombé par terre, présente un écran élastique duquel sort un corps squelettique et glutineux [fig. 3.9]. Il a une bouche tellement grande que les cris qui en sortent décoiffent la vieille dame. Les enfants se retrouvent autour de leur démon devenu un corps physique et qui les prend dans ses bras. Le clip se termine par un mix d’images déjà vues, centré sur le personnage chétif, mélangeant ainsi passé et présent dans une totale indistinction : le monde est fragmenté.

Les petits hommes se présentent presque uniquement lorsqu’un rythme métallique rapide

est entendu. Ce qui pourrait nous laisser à penser qu’ils incarnent ce son, tout comme l’image du visage incarne la voix. Ces personnages bénéficient ainsi d’une consistance sur le plan sonore et dès lors d’une présence visuelle renforcée, d’autant que le bruit qu’ils incarnent est lourd. Nous pouvons également voir dans cette association répétée entre un bruit et ces enfants un leitmotiv, c’est-à-dire « un thème musical caractérisant et accompagnant un personnage ou une idée355 ». Cette association devient indicielle lorsque les enfants tapent contre des barreaux métalliques, produisant ce son.

354.  Sur l’un des murs, vers les deux tiers de la vidéo, se lit « ...is techno AF ». Le premier mot est coupé, si bien que nous ne pouvons nous assurer de la signification du message. Nous pensons y lire daddy, mais sans certitude, nous laissons ce message de côté. 355.  Michel Chion, L’audio-vision, op. cit., p. 46.

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CHIMÈRES

Les décors sont essentiellement statiques et correspondent à un univers industriel désaffecté. Cela nous renvoie directement aux origines de la techno et à celle du label Warp. La première est originaire de Detroit, une ville industrielle, ou, devrions-nous dire, une ville fantôme, explique Mike Rubin : « Les grattes-ciels construits avant-guerre au cœur du centre ville sont laissés à l’abandon356 », décrivant des rues « constellées de taudis délabrés357 ». Warp, nous l’avons dit, a grandi dans un décor tout aussi post-apocalyptique : une ancienne cité industrielle. Le décor est important ; il se retrouve d’ailleurs sur les pochettes célébrant les dix ans du label. C’est cet univers froid et mort que nous explorons dans Come to Daddy. La mobilité est pourtant omniprésente. Cela tient, selon nous, non seulement aux mouvements continus de la caméra, mais aussi et surtout, à la musique : une vie sortant des caves de la cité endormie. La musique, nous l’avons vu, est composée de bruits de glissements, de frottements. Lorsqu’elle prend du rythme, forte est l’impression d’être dans un train en marche, voire dans un wagon heurtant les bas-côtés d’un tunnel. Cette sensation musicale modifie la perception que nous avons des images, en accentuant les déplacements de la caméra, parfois très prononcés. Car les décadrages et les travellings avant sont perçus différemment lorsque nous appliquons une autre musique sur les images, ainsi que nous en avons fait l’expérience. Nous avons été surpris de voir que les changements de plans se faisaient ainsi ressentir plus fortement. Concluons que la musique lie, dans ce cas-ci, les images entre elles. De la même manière, ces mouvements de caméra impliquent une réception plus attentive des mouvements connotés par la musique. Un déplacement continu se ressent, par conséquent, en direction du climax, c’est-à-dire le moment où le démon crie sur la vieille dame (4:20) [fig. 3.9 c]. Le clip contient nombre de légers ralentis et accélérés. Le montage est rapide et alterné. Les images sont dans un mouvement continu par l’action de légers travellings. Il y a peu de mode d’adresse. En cela, le clip est proche des codes cinématographiques classiques. Formellement, les diagonales sont nombreuses, sauf lors de la comptine : ce choix dynamise la composition, mais la rend également instable. C’est sans doute un effet recherché pour emporter le spectateur dans un mouvement continu. Nombreux également sont les flashs. Renvoyant au cinéma expérimental, mais aussi et surtout à l’univers de la performance devant un public, couramment accompagnée d’effets lumineux voire stroboscopiques, ces éclairs blancs ont pour effet de faire non seulement clignoter l’image, mais également la pièce où se trouve le spectateur. Le clip fait ainsi mine d’intégrer le lieu du spectateur dans l’espace du spectacle : il captive.

356.  Mike Rubin, « Techno », Peter Shapiro & Caipirinha Productions, op. cit., p. 148. 357.  Idem.

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fig. 3.10. Brouillage de l’image ; indistinction entre l’espace de l’écran, l’espace réel et, in fine, le réel du spectateur

L’image est sombre et les couleurs lugubres : bleu et vert foncé. Seules quelques touches de couleur rouge ‑ le nœud aux cheveux des enfants, le rouge à lèvres de la vieille dame et la monture de ses lunettes ‑ surnagent dans ces univers tristes et froids. Les bâtiments modernes construits de béton en imposent et marquent leur présence. L’univers choisi a plusieurs points communs avec les clips de heavy-metal. « [Ceux-ci], observe Carol Vernallis, sont souvent situés dans des sites industriels abandonnés, avec des conduites apparentes et des débris jonchant le sol, et sont habituellement tournés en longues séquences avec une teinte bleutée.358 » Les cheveux longs des protagonistes, du « papa » aux enfants, se rattachent sans doute également à l’univers heavy-metal, mais peut-être ne sont-ils simplement qu’à l’image d’Aphex Twin359. Rappelons que la référence au hard rock 360 est présente sur le plan musical avec la prédominance du son de guitares électriques361. Nous avons décrit tant la musique que l’image. Il est temps de comprendre le message de ce clip, s’il n’y en a qu’un. Nous avons trois propositions; La première est technologique : la vieille dame est dépassée par la nouveauté. La seconde est sociale : la télévision est un outil totalitaire. La troisième est philosophique : le monde est fragmenté. Notre préférence va à la quatrième solution qui rassemble les trois premières et toutes celles que nous n’avons pas encore imaginées.

Technologie. Le démon est couramment l’esprit du mal, le tentateur, une personne néfaste.

Mais en informatique, le terme démon (ou daemon362 en anglais) désigne un processus qui s’exécute en arrière-plan363. Ces processus prennent les qualificatifs de parent ou d’enfant selon leur tâche364. 358.  Carol Vernallis, op.cit., p. 79. [Traduit par nous.] 359.  Le musicien est souvent présenté avec des cheveux longs. Voir la photographie d’Aphex Twin in Rob Young, op. cit., p. 155. 360.  Le heavy metal est apparenté au hard rock […] par les instruments utilisés (guitare électrique saturée, basse et batterie) et le son, mais s’éloigne de la structure du blues. « Heavy metal (musique) », Wikipédia, l’encyclopédie libre, [Internet], http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Heavy_metal_%28musique%29&oldid=6762714, consulté le 18 avril 2006. 361.  « Plus que dans n’importe quel style musical, le hard rock se définit par sa guitare », pouvons-nous lire dans HP Newquist et Rich Maloof, Hard Rock Masters, Backbeat Books, San Francisco, 2004, p. 5. [Traduit par nous.] 362.  Disk And Execution MONitor (Moniteur de disque et d’exécution). 363.  D’après le New Oxford American Dictionary, op. cit. [Traduit par nous.] 364.  « D’un côté strictement technique, un démon [..., peut] être n’importe quel processus qui a le processus numéro 1 comme parent (init). Tout processus dont le parent meurt sans attendre le statut de son processus enfant est adopté par init. Une façon commune de lancer un démon est donc de « fourcher » (fork) une ou deux fois et de faire arrêter le parent quand l’enfant commence ses opérations normales. » « Disk and execution monitor », Wikipédia, l’encyclopédie libre, [Internet], http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Disk_and_execution_monitor&oldid=6410901, visité le

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Voilà peut-être une source d’explication : dans le clip Come To Daddy, les intervenants seraient des processus informatiques. Ils auraient été activés par une décharge électrique. Nous comprenons alors l’état de la vieille dame, mal à l’aise avec ces nouvelles technologies. Ce n’est assurément qu’une possibilité parmi d’autres365. Société. Outre son aspect satanique évident, la phrase « I want your soul » nous inspire deux choses. Tout d’abord, nous notons que l’attraction de cette télévision est énorme ; les enfants sont littéralement scotchés à l’écran, comme si on en avait extirpé toute velléité, toute possibilité de réflexion. Ils semblent n’avoir plus d’âme, plus d’émotions ni d’intellect. Ils ont tous le même visage ; ils agissent pareillement. La télévision a « mangé leur âme » pour reprendre les mots répétés par le démon, les utilisant comme serviteurs. Comment ne pas penser à 1984 de George Orwell, un état totalitaire contrôlé par Big Brother, où toutes les pensées sont minutieusement surveillées via de multiples écrans, mais aussi à La foi de nos pères, de Philip K. Dick 366 ? Dans cette nouvelle, le « leader absolu du peuple » utilise la télévision pour véhiculer des discours et contrôler les esprits. Le héros, face à l’image déformée de son écran, tentera de savoir qui se cache derrière cet individu télévisuel. Il se retrouvera finalement face à Dieu lui-même. Plus proche de nous, Videodrome, un film de David Cronenberg (1983), montre également une télévision étrangement vivante et son dangereux pouvoir d’attraction. L’influence de ce film se ressent fortement, surtout au moment où le personnage sort de la télévision mais aussi dans la violence qu’il génère chez ses jeunes serviteurs. Philosophie. Ensuite, nous sommes face à un réel qui perd son âme, aspirée par l’image télévisuelle, comme nous pouvons le voir régulièrement dans les journaux télévisés. L’image du réel passant par le filtre de l’information a tendance à se parer des attributs du réel : ce qui se traduit par la nécessité de « crédibiliser l’information » par une caméra instable, des secousses. La technique est courante dans les reportages367. Nous retrouvons ces effets d’instabilité dans le clip d’Aphex Twin, comme pour donner à l’image une qualité de réel [fig. 3.10] . Or, ce clip mélange deux réalités distinctes : l’espace de la vieille dame ‑ appelons-le diégèse a [fig. 3.8 a] ‑ et l’espace de l’écran

15 avril 2006. 365.  Autre piste de signification, Warhammer 40 000, un jeu de figurines créé en 1987 et présentant un monde futuriste très violent, où la guerre est omniprésente, le Warp est une dimension parallèle à la nôtre dans laquelle les lois physiques ne sont pas les mêmes et où vivent principalement des hérétiques, des pirates et surtout des Démons. Voir « Warhammer 40 000 », Games Workshop, [Internet], http://fr.games-workshop.com/40k/index.asp, visité le 15 avril 2006, ainsi que « Warhammer 40000 », Wikipédia, l’encyclopédie libre, [Internet], http://fr.wikipedia.org/w/index. php?title=Warhammer_40000&oldid=6692720, visité le 15 avril 2006. Il n’y a pas, à notre connaissance, de lien entre le Warp de ce jeu et Warp Records. Toutefois, rien ne dit que la présence de démons dans ce jeu n’ait pas inspiré Come To Daddy. « Venez chez papa » serait alors une sollicitation à s’intéresser à Aphex Twin. Ce dernier étant, comme des millions de démons de Warhammer 40 000, dans le Warp, c’est-à-dire un artiste signé chez Warp Records. Mais peutêtre allons-nous trop loin. 366.  Philip K. Dick, « La foi de nos pères » (Faith of Our Fathers, 1967), in Philip K. Dick, Minority Report et autres récits, traduit par Hélène Collon, Gallimard/ Folio Science Fiction, n° 109, pp. 257-310. 367.  Nous renvoyons, à ce propos, au cours de Christine Servais, Analyse du discours médiatique et à Régis Debray, op. cit., Coll. « Folio Essais », Gallimard, Paris, 1992, p. 480 et suiv.

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démoniaque ‑ diégèse b [fig. 3.8 b]. Les enfants ont ainsi le même visage que le personnage du poste de télévision, ce dernier infectant ceux qui le vénèrent. Le personnage interagit ; voyant les enfants s’approcher, il sourit. Il se présente comme un personnage vivant ; ce qui se confirme ensuite. Outre ces correspondances, de multiples aller-retours de la diégèse a à la diégèse b, par montage rapide, montrent une réalité de plus en plus difficile à distinguer de la fiction [fig. 3.10 d]. Cette confusion va jusqu’à brouiller le poste de télévision du spectateur même. La diégèse a subit finalement les mêmes effets de brouillage que le poste de télévision (diégèse b) [fig. 3.10 a et b], jusqu’à voir le personnage de la télévision (diégèse b) sortir de son poste (et aller vers la diégèse a) [fig. 3.9 a et b]. Parallèle étonnant : la confusion a également lieu dans un des premiers clips diffusés sur MTV, Video Killed The Radio Stars (Russell Mulcahy, 1979), de The Buggles. À propos de Come To Daddy, Steven Shaviro écrit très justement que ce clip « refuse de faire la différence entre l’espace physique et l’espace de l’écran, ou entre des objets réels et leurs représentations imaginaires.368 » Nous y voyons, entre autres, une critique appliquée de l’indistinction devenue courante à la télévision369, entre la réalité et la fiction, entre le réel et son image. En d’autres termes, nous assistons à une perte de repères non seulement temporelle, par l’effet des ralentis et accélérés, mais aussi spatiale, par la concomitance des diégèses due à un montage serré370. Le réel est fragmenté par l’écran : le clip ne le cache pas, il l’affirme. Le réel est ainsi montré comme il est : une chimère dans les deux sens du terme, mirage et chaos. Avatars et dématérialisation du corps

Cette confusion se retrouve dans le phénomène des avatars. Un avatar, c’est une chimère : une composition créative de son propre corps hors de la réalité physique, qui change en fonction des goûts et des envies et qui peut, donc, prendre différentes formes. Dans la religion hindoue, du sanskrit avatâra (« descente »), un avatar est chacune des incarnations du dieu Vishnou. Aujourd’hui, nous utilisons le terme avatar pour un autre type de « réincarnation » : la « représentation virtuelle créée par un internaute pour évoluer dans le cyberespace371 ». Là encore, le terme virtuel est, selon nous, mal choisi et porte à confusion. Une représentation ne peut pas, par définition, être virtuelle372 . Il serait préférable de parler de représentation « synthétique » ou « de synthèse ».

Le clip Come To Daddy, mais aussi Windowlicker, présente des personnages ayant tous le

même visage : celui de Richard D. James, tel qu’il a pu apparaître sur certaines pochettes de disque,

368.  Steven Shaviro, Connected, or, What It Means to Live in the Network Society, University of Minnesota Press, Minneapolis, 2003, p. 10. [Traduit par nous.] 369.  Nous pensons, entre autres, aux nombreuses émissions dites de téléréalité. 370.  Notons que la berlinoise Ellen Allien présente un mélange d’écrans similaire dans son clip Down. 371.  « Avatar », Le Nouveau Petit Robert, op. cit., p. 194. 372.  Voir p. 46.

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fig. 3.11. Le sourire étrange d’Aphex Twin sur deux pochettes d’albums : I Care Because I Do et Richard D. James Album (WARP30 et WARP43)

comme Richard D. James Album (1996) et I Care Because You Do (1995) [fig. 3.11]. Son sourire est exagéré. « L’impression première d’un large et joyeux sourire fait vite place à un sentiment d’inquiétude373 », constate Peter Davis Mathews. Cette impression est d’autant plus accentuée par la macabre fixité du visage.

Un détour par le clip Windowlicker (Chris Cunningham, 1999) est utile. Ce clip, pensé

dans une démarche bien plus commerciale374, présente deux jeunes hommes qui se disputent dans leur décapotable. Deux filles attirent leur attention. Une longue discussion s’ensuit : les deux hommes désirant les faire monter dans leur auto, les deux filles, évidemment, refusent. C’est alors qu’une limousine incroyablement longue envoie, par surprise, les deux hommes et leur voiture hors du cadre. Arrêtée au niveau des filles, une vitre s’abaisse, faisant apparaître Aphex Twin. Celui-ci sort de la limousine et danse d’une manière iconoclaste. Les deux filles en sont éberluées : leur tête prend les traits du visage d’Aphex Twin. Emmenées dans la limousine, elles caressent Aphex Twin de manière langoureuse, voire pornographique. Sur la plage, plusieurs filles dansent autour de Richard D. James. Les deux hommes, qui les ont suivis, regardent la scène, non sans être captivés par les corps de rêve des filles. Leurs visages sont tous plus effrayants les uns que les autres. « Le morceau était tellement sexuel et féminin que j’ai décidé de prendre l’angle sexuel375 », explique Chris Cunningham. « J’ai essayé de produire une imagerie aussi commerciale que possible mais [aussi] de créer un contenu totalement tordu. Je pense que le morceau lui-même peut être décrit ainsi.376 »

Dans Come To Daddy, la jeunesse est associée à la vieillesse : les enfants ont un visage d’adulte.

Dans Windowlicker, les genres se mélangent : les femmes prennent un visage d’homme. Bien que la chirurgie esthétique fasse des miracles, le lieu où ces changements se réalisent de manière courante est le cyberespace. Il autorise ces changements synthétiques de genre et d’âge et, finalement, de corps. 373.  Peter David Mathews, art. cité., p. 65. [Traduit par nous.] 374.  Lire Chris Cunningham, livret cité, p. 27. 375.  Idid., p. 28. [Traduit par nous.] 376.  Idem. [Traduit par nous.]

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fig. 3.12. Windowlicker (Chris Cunningham, 1999)

Nous avons écrit plus haut que les nouvelles technologies nous renvoyaient à notre propre finitude. L’homme, enfermé dans son propre corps n’a qu’une seule envie : en sortir. Le désir de dominer sa propre matérialité, de se construire soi-même, sans les contraintes biologiques, se retrouve dans le phénomène de la chirurgie esthétique, mais aussi dans la notion d’avatar. Cette « réincarnation » dans un personnage de synthèse permet, en effet, la manipulation et la transformation de sa propre identité. Par conséquent, la notion de corps naturel s’en trouve désorientée, ainsi que l’explique Barbara Becker : « Il n’est pas possible de parler de la nature en elle-même ou au sujet de “corps naturels” sans être confronté au problème de l’essentialisme. Nous ne pouvons ignorer le fait que la nature (ou ce que nous décrivons comme “nature”) est formée par des processus sociaux et se révèle être une construction sociale. La différence entre la nature et la culture est systématiquement produite par une longue tradition d’appropriation et d’oppression. Ce que l’on considère comme naturel est généré en grande partie par la communication. [...] Donc, la différence entre les phénomènes naturels et artificiels, réels et virtuels, matériels et immatériels n’est pas ontologique, mais change en fonction des améliorations technologiques et des méthodes de communication.377 »

Dans les deux clips d’Aphex Twin, les corps prennent des apparences étonnantes. Les

enfants comme les jeunes filles se sont identifiés à Aphex Twin au point de perdre leur propre visage. Mais ne serait-ce pas plutôt l’inverse : à savoir, l’illustration de la réalité d’un musicien fermé sur lui-même au point de ne plus avoir de contact avec d’autres personnes. En effet, Aphex Twin, que l’on présente comme renfermé sur lui-même378, évitant le contact avec le monde réel, se renferme ainsi dans sa propre imagination. Il crée un monde à son image, où la dissonance n’existerait pas : les enfants, les femmes, même la musique seraient à son visage. Certaines personnes ont en effet

377.  Barbara Becker, « Cyborgs, Agents, and Transhumanists: Crossing Traditional Borders of Body and Identity in the Context of New Technology », Leonardo, vol. 33, n° 5, 2000, p. 361. [Traduit par nous.] 378.  « Mr James habite dans une ancienne banque dans le sud de Londres, dans le quartier d’Elephant & Castle [...] Un home sweet home qu’il a transformé en véritable bunker et duquel il ne sort qu’en cas de force (ou d’envie) majeure. Il lui arrive souvent de passer ainsi des semaines entières terré au fond de son QG, sans mettre le nez dehors, ni même avoir la moindre idée de ce qui se passe dans le monde. Preuve qu’il vit définitivement dans le sien. » « Aphex Twin de A à Z », Trax, revue citée, p. 29.

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fig. 3.13. Spectrogramme obtenu en utilisant un extrait de neuf secondes du titre [Formula] d’Aphex Twin. L’axe vertical correspond à la fréquence, l’axe horizontal au temps. © Bastwood

analysé au spectrogramme le titre [Formula] 379, présent dans le maxi Windowlicker380 , et en ont retiré le visage d’Aphex Twin [fig. 3.13] . Ce n’est, selon nous, rien de moins que du solipsisme : il n’y a pas d’autre réalité que lui-même. Cela renforce la position dominante de Richard D. James dans sa propre réalité : c’est un modèle pour les enfants, lui qui danse comme un Dieu et fait danser les filles autour de lui. Serait-ce un rêve ?

Barbara Becker explique que les concepts de self-control, de planification, de réalisation

de soi, qui apparaissent souvent dans les écrits à propos des mondes virtuels, « révèlent le désir caché de faire disparaître toutes les dimensions dissonantes, problématiques, indisponibles de sa propre identité ainsi que celles des autres en supprimant les moments de matérialité dissonants voire impossibles381 ». Cela nous renvoie aux sociétés totalitaires, dont nous avons déjà fait mention en citant 1984 de George Orwell. « La fuite des masses devant la réalité, écrit Hannah Arendt, est une condamnation du monde dans lequel elles sont contraintes de vivre et ne peuvent subsister, puisque la coïncidence en est devenue la loi suprême et que les êtres humains ont besoin de transformer constamment les conditions chaotiques et accidentelles en un schéma d’une relation cohérente.382 »

« Pince-moi, je rêve ! », avons-nous l’habitude de dire lorsque la réalité nous paraît incroyable.

De fait, « il n’y a jamais une coïncidence totale entre la main qui touche et l’objet ou la personne 379.  Parfois appelé [Symbol] ou [Equation]. Lire à ce propos David Mathews, art. cité., pp. 71-72 ainsi que « The Aphex Face », Bastwood, [Internet], http://www.bastwood.com/aphex.php, visité le 24 juillet 2006. Ce n’est pas sans rappeler les expérimentations de Norman McLaren qui créait des sons en modifiant visuellement la piste sonore, « The Handwritten Sound Track », Music Educators Journal, vol. 55, n° 3, novembre 1968, p. 114. 380.  “In terms of promotion, ‘Windowlicker’ was madness. It was a single that wasn’t on any album and we didn’t have an album lined up and it’s never been on an album. But it was definitely the right thing to do” , note Steve Beckett dans Piers Martin, art. cité. 381.  Barbara Becker, art. cité, p. 365. [Traduit par nous.] 382.  Hannah Arendt, Les Origines du totalitarisme - Le Système totalitaire, Coll. « Points Essais », Éditions du Seuil, Paris, 1972, p. 79. Les Nazis, en désirant supprimer le peuple Juif, pensait créer un monde sans dissonance. De même, Aphex Twin présente un monde à son image. Nous ne comparons pas Aphex Twin à Hitler car le niveau de réalité est différent : l’un se situe au niveau de l’image et du monde des idées, l’autre du réel et du monde physique.

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qui est touchée. [...] Le corps est l’endroit où l’interne et l’externe, la liberté et la détermination se rencontrent383 », fait valoir Barbara Becker. « En communiquant avec le monde à travers une technologie ou un média, les gens tentent d’échapper à la résistance de sa matérialité ; par conséquent, la force du sujet semble augmenter. » Le toucher est ce qui lie le sujet au monde, l’intention à la matérialité du réel. La vieille dame et les démons ainsi que les filles aux visages d’Aphex Twin et les jeunes hommes ne se touchent jamais. Ne se touchent que ceux qui ont le même visage, celui d’Aphex Twin, au mieux ignorant ceux qui sont différents, au pire leur faisant peur, à la manière du Démon face à la vieille dame.

Ce refus de l’apparence de l’Autre est aussi un pied-de-nez au consumérisme décrit au

chapitre II. En effet, Aphex Twin semble inverser le rapport créé par la publicité : ainsi, il ne veut pas devenir plus jeune ou plus sexy. Il rend une apparence monstrueuse à ce qui est désormais lisse et pur dans nombre de clips. Il devient un héros de l’instable, de l’imagination, du possible. Dick Tomasovic nous rappelle que « traditionnellement, le monstre, figure inversée du héros, est chargé de symboliser une série de valeurs négatives, désordonnées, pulsionnelles et chaotiques384 ». « Ainsi, affronter le monstre [...] consiste à se battre pour rétablir un monde ordonné et pur.385 » L’ethnologue Susan Stewart précise « qu’un monstre de la nature est toujours en réalité un monstre de la culture386 ».

Faire revenir le monstrueux, c’est amener le bruit et, donc, la subversion culturelle387. Le

bruit, c’est justement ce que le sampling permet d’intégrer à une composition. Vouloir Daddy à la manière des enfants de Come To Daddy, c’est-à-dire tenter de s’accaparer la musique, se traduit par une perte de personnalité : consommer, c’est nier sa capacité à créer soi-même. Par contre, créer la musique, comme le fait Aphex Twin, c’est s’ouvrir à un univers personnel, reconnaître l’aspect fragmentaire du réel, et, pourquoi pas, en partager ensuite les débris. Voilà peut-être ce que Daddy veut dire. Bien plus qu’une greffe d’image : la chimère multimedia

La première des associations chimériques ayant lieu dans le clip n’est pas à chercher dans le contenu de l’image mais bien dans un cadre d’un degré supérieur, au sens de Erving Goffman. C’est en effet au niveau de l’association des medias entre-eux, et non de l’aspect fragmentaire des objets

383.  Barbara Becker, art. cité, p. 364. [Traduit par nous.] 384.  Dick Tomasovic, Freaks - La Monstrueuse Parade de Tod Browning - De l’exhibition à la monstration, du cinéma comme théâtre des corps, Éditions du Céfal/ Centre International S.-A Steeman, Liège, 2005, p. 61. 385.  Idem. 386.  Cité par Gaby Wood, op. cit., p. 257. 387.  Sur la notion de bruit, lire Jacques Attali, op. cit.

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fig. 3.14. Représentation graphique de la bande-son du clip Dayvan Cowboy. Nous repérons cinq phases que nous associons subjectivement à la jeunesse, l’adolescence, l’ âge adulte, la vieillesse et la mort.

représentés, que se situe l’aspect chimérique principal du clip. La chimère a trois têtes ? Le clip aussi : la musique, l’image et les paroles. Il en a même une quatrième, le texte, voire plus : les effets sonores, les marques, etc. Le lien entre la musique et les images reste essentiel. Prenons à ce propos l’exemple de Dayvan Cowboy. Il nous permettra de montrer que, loin d’être une simple association, le clip est bien plus que la somme d’une musique avec des images. De leur relation naissent, en effet, des sens inattendus.

La musique. Le titre Dayvan Cowboy est issu de l’album The Campfire Headphase (2005) des

Boards Of Canada 388 . La musique, d’une durée de 4,34 minutes, est une suite électronique vaporeuse composée de riffs de guitare, de sons de grelots probablement produits par des tambourins et de voix féminines étouffées, liées par des envolées de violon et de bruits venteux et granuleux rythmés de sons de batterie et de cymbales. Nous y avons repéré cinq phases. Les deux premières parties comprennent une longue et instable entrée en matière et une prise de confiance (de 0:46 à 1:42), les deux phases suivantes, après des sons brumeux de voix féminines, laissent entendre le rythme s’affirmer (1:42 à 2:45) et présentent, avec assurance, les sons de violons et puis de cymbales (dès 2:45). La dernière, très courte, est basée sur des riffs de guitare à l’intensité décroissante (de 4:19 à 4:34).

388.  Le nom du groupe a été inspiré par le National Film Boards Of Canada. Retourné en Écosse après un déménagement temporaire au Canada, le duo formé par Michael Sandison et Marcus Eoin crée de la musique depuis 25 ans, d’abord au sein d’une communauté d’amis et d’artistes nommée Hexagon Sun. Basés ensuite à Edimbourg, il signèrent sous le label Skam, puis sortirent chez Warp Music Has The Right To Children (1998) et Geogaddi (2002), deux albums d’électronique douce et intemporelle aux textures electro folk et au son vaporeux. Lire Rob Young, op. cit., p. 158, ainsi que « Boards Of Canada », All Music Guide, [Internet], http://www.allmusic.com/cg/amg.dll?p=amg&sq l=11:4dj97i5og74r, visité le 19 juin 2006.

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fig. 3.15. Caspar David Friedrich, Trois Âges de la vie (ou Les Trois Âges de l’homme) (1834-1835, huile sur toile, 72,5 cm x 94 cm) © Museum der Bildenden Künste, Leipzig, Allemagne

fig. 3.16 a. Pochette du disque The Campfire Headphase (2005) du duo Boards Of Canada (WARP123) b. Pochette du maxi Trans Canada Highway E.P. (2006) (WAP200CDD)

Avant de visionner un clip, il est intéressant d’imaginer ce que la musique véhicule et de

tenter de deviner quelles images pourraient l’accompagner. Concernant le titre Dayvan Cowboy, après une naissance tremblante, l’introduction de la musique serait ainsi perçue comme la jeunesse de l’homme, instable, suivie de l’âge adolescent ‑ rythmiquement plus confiant ‑ de l’âge adulte ‑ sûr de lui ‑ enfin, d’une routinière vieillesse et d’une mort rapide. Chacun de nous peut avoir une autre interprétation. Nous décrivons la musique telle que nous la percevons d’une manière subjective. Ainsi, visuellement, afin de bien faire comprendre l’importance du message musical, nous pensons que Dayvan Cowboy pourrait s’écouter face au tableau de Caspar David Friedrich Les trois âges de l’ homme (1834) [fig. 3.15]. Elle et lui font usage, selon nous, du thème de la vie et du destin humain389. Le tableau présente trois hommes placés sur une avancée de terre et face à la mer selon trois âges.

389.  Lire à ce propos Pierre Somville, « Romantisme : le dit et le non-dit », Art et symbole dans la peinture moderne, Pierre Mardaga Éditeur, Liège, 1987, pp. 35-40.

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fig. 3.17. Saut dans le vide et surf dans Dayvan Cowboy (Melissa Olson, 2006), un clip de Boards Of Canada

Le plus vieux est prêt à monter sur le navire le plus proche, le second attend le navire suivant et le dernier aperçoit à peine le sien.

La pochette. L’illustration du maxi Trans Canada Highway EP, avec lequel était distribué

le dvd du clip, renforce ce thème en se donnant le nom de l’autoroute reliant toutes les provinces du Canada et en présentant une route stylisée : là aussi se retrouve un départ vers une destination inconnue. Parallèlement, la pochette de l’album The Campfire Headphase présente un homme tournant le dos à la mer, comme s’il tentait d’ignorer l’arrivée de son navire... [fig. 3.16 a] Ainsi, la musique est non seulement perçue d’une manière subjective par chacun de nous, mais le contexte externe influence la réception que l’on en a : la pochette apporte des éléments supplémentaires ou un état d’esprit particulier. Nous en sommes rarement indifférents lorsque nous écoutons un disque. Si nous lisons une critique musicale de l’album qui indique qu’il a été écrit près d’une plage, par exemple, nous ajouterons ces connaissances à notre écoute qui en sera, dès lors, modifiée.

Le clip. Réalisé par Melissa Olson, Dayvan Cowboy est composé d’images d’archives. Celles-

ci présentent un saut de plus de 31 km au dessus du niveau de la mer réalisé par le pilote de l’United States Air Force Joseph W. Kittinger Jr.390 [fig. 3.17 a et b] ; exploit suivi d’impressionnantes figures nautiques du surfeur Laird Hamilton [fig. 3.17 d]. Le premier, considéré par certains comme le premier homme ayant été dans l’espace, a réalisé les plus hauts sauts, le second a sauté par dessus les plus grandes vagues et, ce, le plus rapidement391. Le clip fait penser à deux films de la trilogie de Godfrey Reggio Koyaanisqatsi (1983) et Naqoyqatsi (2002) 392 . Ces films, présentent une suite d’images ‑ nous pourrions même parler de mixage d’images ‑ avec une musique de Philip Glass. À la fin de Naqoyqatsi, un homme saute également dans le vide. Nous retrouvons le thème de la chute dans 2001, l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, lorsque Hal détruit l’arrivée d’air du scaphandre 390.  Lire « The 20-Mile Fall », Time Magazine, 29 août 1960. Lire également « Joseph W. Kittinger », Wikipedia, The Free Encyclopedia, [Internet], http://en.wikipedia.org/wiki/Joseph_Kittinger, visité le 18 juillet 2006. 391.  “A thrill junkie, he surfed the highest waves, bungee jumped from a 700-ft. bridge and broke the European speed record for windsurfing. He even stunt surfed in the opening sequence of the 2002 James Bond film Die Another Day.” Terry McCarthy, « When The Surf ’s Way Up - Who cares if it’s dangerous? A cadre of daredevils is chasing the 100-ft. swell », Time Magazine, 19 juillet 2004. 392.  Lire Roger Ebert, « Naqoyqatsi », Roger Ebert’s Movie Yearbook 2005, Andrews McMeel Publishing, Missouri, 2004, pp. 474-475. « J’ai des problèmes avec Naqoyqatsi en tant que film, mais considéré comme clip, c’est assez remarquable », écrit Roger Ebert. [Traduit par nous.]

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LES CLIPS DU LABEL WARP

de Frank, le laissant tomber, mort, dans le vide. Nous pensons aussi au clip When You’re Falling (Adam Berg, 2001) de Afro Celt Sound System, où un homme ne cesse de tomber, ainsi qu’à Bentley’s Gonna Sort You Out (Hammer & Tongs, 1997) du groupe anglais Bentley Rhythm Ace, où un saut en parachute est inversé chronologiquement, du sol à l’avion.

L’image affiche son recyclage : elle garde les traces du temps. Elle est abîmée et laisse

apparaître des défauts, des grattes sur l’émulsion. Le film sur pellicule marche vers sa disparition : chaque visionnage ôte de la matière émulsionnée de la pellicule, en abîme les perforations, etc. Le choix de conserver ces défauts tient, peut-être, de la volonté de garder ces traces du temps. La vidéo se donnerait elle-même comme empreinte de l’histoire. Mais c’est aussi, selon nous, une façon de marquer le temps en s’opposant à une caractéristique de l’image numérique qui est d’être, d’une certaine manière, intemporelle. Car, à l’ère du numérique, il n’y a, en effet, plus de différence entre l’original et la copie, du fait de la dématérialisation des supports. « Cela veut dire, explique Douglas Davis, que toute œuvre vidéo, audio, ou photographique, peut être reproduite indéfiniment sans dégradation, toujours la même, toujours parfaite.393 » Voilà pourquoi le numérique a vu se développer avec tant d’ampleur l’art du découpage, du « copier-coller » : il n’y a plus de perte à chaque copie.

Revenons au clip. Tremblante, l’image offre des vues en plongée au départ d’un ballon,

celui-ci étant également filmé de loin. L’homme s’étant décidé à sauter, les images se bousculent jusqu’à faire perdre la notion d’espace. Par l’utilisation d’une caméra subjective, l’image offre une vue en chute libre. Des plans en plongée du tapis nuageux se confondent avec les étendues maritimes. Dominent le blanc et une gamme étendue de couleurs bleues. Parachute ouvert, l’homme se dirige vers la mer. Il plonge et ressort de l’eau le ventre sur une planche de surf prêt à dominer l’élément marin. Un dauphin l’accompagne un moment, une mouette regarde la scène ; après quelques pirouettes, le clip se clôt d’un coucher de soleil.

D’une origine pourtant différente, l’image semble « bien coller » à la musique. Cela est

dû, selon nous, aux points de synchronisation ‑ qui, nous l’avons vu, sont des ancres liant l’image au son ‑ mais également au rythme et, c’est à souligner, aux caractéristiques des objets des medias utilisés, qu’ ils soient sonores ou visuels. Les sons correspondent en effet aux masses et aux mouvements à l’image. Le ballon bouge à la manière d’une cloche, un son que l’on entend par ailleurs. Les bruits de vent s’accordent aux images de nuages. Le son du violon coïncide parfaitement avec les mouvements fluides des vagues ; les sons de cymbale rendent bien les éclaboussures. Ainsi, les objets à l’intérieur de l’image correspondent a priori aux sons de Dayvan Cowboy.

Intéressons-nous à ce que Michel Chion définit comme les « moment[s] saillant[s] de

393.  Douglas Davis, « The Work of Art in the Age of Digital Reproduction (An Evolving Thesis: 1991-1995) », Leonardo, vol. 28, n° 5, 1995, p. 382. [Traduit par nous.]

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CHIMÈRES

rencontre synchrone entre un moment sonore et un moment visuel394 » et que nous avons défini dans le chapitre II. Le son du tambourin ne se fait entendre qu’à la 23éme seconde, mais au moment exact où l’homme saute dans le vide. De même, le bruit de guitare ne se perçoit qu’une fois la couche de nuages traversée. Un son net s’entend face à un ciel bleu et clair en opposition avec le son ténébreux et nuageux. Le plongeon dans l’élément marin est également le moment précis où commencent les sons de violon dans un rythme plus marqué. Il serait aisé de mettre à jour d’autres points de synchronisation. Nous pouvons déjà écrire que ces moments d’ancrage du son dans l’image servent non seulement à lier les deux médias entre eux, mais également à accorder le montage visuel à la structure musicale, entendu que ces points se situent à la jonction des différentes parties musicales que nous avons mises à jour plus haut. Ainsi l’image présente une introduction, une deuxième partie débutant au saut du ballon, un plongeon introduisant une troisième partie et une fin rapide. Toutes ces parties correspondent à celles de la musique.

Musique + Image. Le saut dans le vide et le surf sont deux actions de dépassement de soi.

Elles travaillent le sens avec celui, latent, que nous avons écrit plus haut à propos de la musique. Celle-ci était, disions-nous, le déroulement de quelque chose comme la vie. Selon nous, l’image ajoute, à ce que nous avons écrit, le dépassement de l’être. Le fait de se vaincre soi-même est, peut-être, à rattacher à cette volonté de puissance dont parlait Friedrich Nietzsche : « la volonté de puissance pousse au risque, à affronter les dangers, elle tend à abréger la vie car ce qu’elle cherche n’est pas nécessairement la durée, mais bien l’instant (ou l’éternité) 395 », commente Jeanne Hersch à ce propos. La relation de sens entre le son et l’image ne se limite pas à une simple addition : naissent, parfois, des sens inattendus. Prenons, par exemple, la chute. À l’opposé de celles de Wile E. Coyote, le personnage animé de Chuck Jones396 , caractérisée par un son fluide et continu allant vers les fréquences graves et un fracas final, la chute de notre clip est accompagnée de boucles sonores rythmées. Preuve que ce rythme peut être compris comme leitmotiv397 accompagnant le personnage, il disparaîtra lors de la traversée des nuages pour revenir progressivement dès le retour de l’homme. À l’instar du rythme quotidien ou de celui des saisons ou de la mode, ce leitmotiv, par son rythme répété, nous rappelle que toute avancée est tissée de répétitions. Ou serait-il peut être plus juste de parler de chute : l’échec rythme nos vies. Cette répétition fait peut-être également référence, pour

394.  Michel Chion, L’audio-vision, op. cit., p. 52. 395.  Jeanne Hersch, L’étonnement philosophique - Une histoire de la philosophie (1993), Gallimard/ Folio Essais, Paris, 2002, p. 381. 396.  À propos de Bip-Bip et Coyote, lire Dick Tomasovic, Le corps en abîme - Sur la figurine et le cinéma d’animation, Raccords, Rouge Profond, Pertuis, 2006, pp. 130-137. 397.  Thème musical caractérisant et accompagnant un personnage ou une idée. Lire Michel Chion, L’audio-vision, op. cit., p. 46.

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LES CLIPS DU LABEL WARP

revenir à ce que nous proposions plus haut, à l’Éternel Retour398 de Nietzsche399. À lire l’image seule, ou à écouter le son uniquement, rien n’aurait pu nous amener à dire cela. Ce n’est qu’un exemple mais nous le voyons : la musique et les images ont créé un sens qui n’existait pas a priori dans l’un ou l’autre media. C’est dans un contexte d’interaction qu’apparaît le sens et non dans un media particulier. La forme du clip : de la fragmentation au formalisme

Nous pouvons considérer le clip comme la réunion de fragments d’origines diverses. Ces fragments perdent souvent leur qualité de simple reproduction du réel pour devenir une association de formes. Ces formes, nous allons le voir, se répondent. Difficile de ne pas faire de lien entre Dayvan Cowboy et le clip Cherish400 (Herb Ritts, 1989) de Madonna, non parce qu’il se déroule aussi près de la mer, mais parce que dans ce clip, raconte Carol Vernallis, « l’image reflète des qualités soniques par la fluidité de mouvement, plus spécifiquement dans l’utilisation des images de l’océan.401 » Nous nous sommes amusés à intervertir les bandes-son des deux clips. L’opération n’est pas sans intérêt. La musique des Boards Of Canada sur le clip de Madonna renforce l’importance des images marines, ce qui revient à dire que la musique contient en elle-même des caractéristiques sonores que nous attacherions aux images de la mer, à celles de l’eau. Plus important, la bande-son de Cherish sur l’image de Dayvan Cowboy renforce la stabilité. Influencé par le rythme affirmé de la batterie, le regard est porté à s’intéresser à ce qui, dans l’image, est dur : comme la planche de surf, ignorée jusque-là, ou la côte, en arrière-plan. Cette musique renforce également les saccades de l’image. Ayant été ralentie pour s’accorder aux qualités sonores de la musique, l’image se déroule, en effet, par à-coups. Là où la musique atmosphérique du clip portait à s’intéresser à ce qui lie, aux fluides, les percussions issues de Cherish renforcent ces micro-sautes. D’un rythme plus rapide, la musique de Madonna met à jour le ralenti appliqué aux images du surfeur. La musique influence la perception de l’image et inversement.

Le clip des Boards Of Canada, en tant que found footage, reprend intégralement des plans

d’un film de Laird Hamilton ; film appartenant au genre surf-movie, dont le clip n’est pas, selon nous, un pastiche, mais bien une citation soustraite à son contexte originel. Comme si nous avions pris une phrase d’un livre de Philip K. Dick, non pour ce qu’il dit, mais pour sa typographie. Mais

398.  Nous pourrions considérer le cinéma comme la répétition d’un même. 399.  Lire Edouard Delruelle, op. cit., p. 239. 400.  Disponible sur Madonna, The Immaculate Collection, [dvd], Warner Music Vision, 1990. 401.  Carol Vernallis, op. cit., p. 211. [Traduit par nous.] Lire l’analyse de Cherish dans ce même ouvrage, pp. 209235, ou dans Carol Vernallis, « The Aesthetics of Music Video: An Analysis of Madonna’s “Cherish” », Popular Music, vol. 17, n° 2, mai 1998, pp. 153-185.

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CHIMÈRES

fig. 3.18. L’ image reflète des qualités soniques : a et b. Cherish (Herb Ritts, 1989) de Madonna c et d. Dayvan Cowboy

le surfeur aurait pu être filmé expressément pour le clip, cela n’aurait rien changé. Car ce n’est pas le surfeur qui est important dans Daywan Cowboy, mais les mouvements, les formes, dans leur relation avec la musique. Il n’est conservé des images que la combinaison des formes et des couleurs.

Cette façon de concevoir l’image nous mène au formalisme. Le terme formalisme est relatif

aux films russes des années 1920 qui favorisaient la forme autant que le contenu402 . « Les réalisateurs comme Eisenstein, Kuleshov et Vertov403 ont été considérés comme des artistes formalistes principalement en raison de leur travail sur le montage ‑ un système d’édition dynamique dans lequel le sens est produit par la juxtaposition de prises et pas nécessairement relié à une narration.404 » Malheureusement, sous Staline, la doctrine du Réalisme Socialiste soviétique va contrarier les recherches de ces cinéastes.405

Les concepts d’Eisenstein s’appliquent étonnamment bien à notre corpus, et, plus

généralement, aux clips. La notion de fragment, tout d’abord, correspond à ce que nous avons dit précédemment sur l’image filmique : « le fragment, prélevé sur le réel, opère dans celui-ci comme une coupure406 ». « Pour Eisenstein, écrit Jacques Aumont, la signification passe par la mise en rapport de chaque fragment avec ceux qui l’entourent.407 » Et celui-ci de citer le théoricien soviétique : « La juxtaposition de deux fragments ressemble d’avantage à leur produit qu’à leur somme408 ». Eisenstein se bat contre l’illusion de la continuité, de la transparence409 : le fragment est « l’exact opposé de la “fenêtre ouverte sur le monde” de Bazin410 ». Il est courant qu’un clip présente des images d’une 402.  Ou devrions-nous plutôt dire l’in-forme, car la forme ne s’oppose pas nécessairement au contenu : prenons l’art typographique comme exemple. Lire Jacques Aumont, Montage Eisenstein, Coll. « Ça/Cinema », Éditions de l’Albatros, Paris, 1979, p. 68. 403.  Ces théoriciens, pour qui le montage servait à assembler des fragments, créant une synthèse nouvelle, et pour qui le sens reposait non en chaque fragment mais dans la juxtaposition, « ne composaient pas une école unifiée ; des désaccords esthétiques significatifs les séparaient », écrit David Bordwell, « The Idea of Montage in Soviet Art and Film », Cinema Journal, vol. 11, n° 2, printemps 1972, p. 9. 404.  Nick Burton, « Formalism », in Roberta E. Pearson et Philip Simpson, op. cit., p. 182. [Traduit par nous.] 405.  Lire David Bordwell, art. cité, p. 15 et suiv. 406.  Jacques Aumont, Alain Bergala, Michel Marie et Marc Vernet, Esthétique du film [3ème édition revue et augmentée], Coll. « Cinéma », Éditions Nathan, Paris, 1998, p. 59. 407.  Jacques Aumont, op. cit., p. 50. 408.  Serguei Eisenstein, Hors-Cadre, 1929, cité par Jacques Aumont, op. cit., p. 50. 409.  Lire Serguei M. Eisenstein, op. cit., p. 119. 410.  Esthétique du film, op. cit., p. 59.

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LES CLIPS DU LABEL WARP

fig. 3.19. Montage des attractions dans (a et b) le clip Itsu et dans (c) le film La Grève (Eisenstein, 1925)

durée extrêmement courte, battant en brèche l’illusion de réalité. Une impression de fragmentation et de discontinuité s’en détache.

La notion de de conflit est, selon nous, directement liée à la fragmentation. Le multimédia

tend vers le conflit, selon Nicholas Cook, « et le conflit tend vers la destruction de l’identité du media411 ». Le modèle du conflit a également été théorisé par Eisenstein412 : « le montage n’est pas une idée composée de fragments mis à la suite, mais une idée qui naît du choc entre deux fragments indépendants.413 » La synesthésie est rare dans le multimedia, avons-nous écrit plus haut. Ainsi, nous ne pouvons que très rarement ‑ voire jamais ‑ considérer une suite d’images comme entière correspondance de la bande-son. Nicholas Cook parle de contest (compétition) entre la musique et l’image, mais aussi entre les effets sonores, les objets à l’intérieur du cadre, les rythmes, les surfaces, les graphiques, les paroles, les textes, etc. Le clip peut ainsi être considéré comme un véritable champ de bataille : le but de chaque media est d’être perçu, tout d’abord et, ce, aussi longtemps que possible. Un media peut tantôt s’opposer à un autre ou l’aider à être mieux perçu. Ainsi, les paroles ne seront perçues que par bribes414 et les images seront perçues différemment en fonction de la musique ou d’un autre media. Nous avons mis à jour cet effet de sélection perceptif lorsque nous avons interverti les bandes-sons de Cherish et de Dayvan Cowboy.

Enfin, la notion de montage des attractions découle tout droit de la notion de conflit. « Est

attraction (du point de vue théâtral) tout moment agressif du théâtre, c’est-à-dire tout élément de celui-ci soumettant le spectateur à une action sensorielle ou psychologique [...] pour produire chez le spectateur certains chocs émotionnels qui, une fois réunis, conditionnent seuls la possibilité de percevoir l’aspect idéologique du spectacle montré, sa conclusion idéologique finale.415 » Dans La grève, Eisenstein introduit, dans une scène de fusillade, des plans de boucherie marquant ainsi l’horreur du combat [fig. 3.19 c]. Pour donner un exemple issu de notre corpus, nous retrouvons

411.  Nicholas Cook, op. cit., p. 124. 412.  Sur le conflit chez Eisenstein, lire Jacques Aumont, op. cit., p. 55. 413.  Serguei M. Eisenstein, Dramaturgie de la forme filmique, cité dans Esthétique du film, op. cit., p. 60. 414.  Sur ce point, lire Carol Vernallis, op. cit., p. 139. 415.  Serguei M. Eisenstein, op. cit. p. 117.

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CHIMÈRES

une utilisation similaire d’images choquantes dans le clip Itsu (Pleix), analysé précédemment416 [fig. 3.19 a et b].

Nous pouvons donc considérer le montage des attractions comme un moyen mis

à disposition de l’image pour poindre vers le spectateur afin de s’extraire du conflit multimedia417. L’image se fait plus agressive afin d’être mieux perçue et ainsi d’avoir plus de poids sur la perception du spectateur418 .

D’autres liens peuvent être établis entre les « nouvelles images », les clips et les théories

formalistes des années 1920. Citons, en vrac, la « tendance à rejeter les scénarios traditionnels en faveur des films avec peu d’intrigues419 » que nous retrouvons dans nombre de clips ; la notion de typage, soit l’utilisation d’acteurs souvent non-professionnels qui avaient l’apparence du rôle, est plus que répandue dans la publicité, où les stéréotypes ne manquent pas, mais aussi dans les clips : « L’homme n’étant montré que pendant un court instant, son aspect devait être excessif à l’extrême420 » ; nous devrions également parler de l’utilisation de la musique de Prokofiev, qui « colle étonnamment au mouvement du montage » dans Ivan le terrible421, et la comparer avec certains clips. Mais, par manque de temps, nous ne pourrons pas continuer ici.

Ainsi, notre discussion sur les chimères nous a conduit à parler de la fragmentation, mais

aussi du collage, du mélange et, finalement, du conflit entre les fragments. Là encore, nous n’avons pas quitté notre chimère, ce monstrueux assemblage de formes où tout bouge, tout court, tout change rapidement. Les assemblages formels nous ramènent au sujet de départ du chapitre II avec la synesthésie où « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent ». La boucle est bouclée. Authenticité et glue musicale

Le dédain académique envers le clip tient peut-être à l’influence des théories d’André Bazin, porté à s’intéresser au référent plutôt qu’à l’image et à favoriser le réel au détriment du montage. Malheureusement, ces théories ne permettent pas de comprendre les clips ou alors d’une manière biaisée. Établir des relations entre les clips et les formalistes russes, mais aussi les avant-gardes modernes, permet de considérer le clip sous un angle nouveau et de le replacer dans une histoire plus riche.422 416.  L’effet qui en résulte est le même, la seule différence étant peut-être que les images de boucherie du clip pourraient faire partie de la narration. Elles n’en restent pas moins intégrées dans un flot d’images d’une esthétique différente. 417.  Le but est d’attirer l’attention du spectateur. Lire Jacques Aumont, op. cit., p. 60. 418.  Selon nous, les images à caractère sexuel ou érotique d’une masse considérable de clips sont utilisés dans le même dessein. Peut-être débordons-nous, alors, sur le sens du montage des attractions. 419.  Nick Burton, art. cité, p. 182. [Traduit par nous.] 420.  Maxime Strauch, in « Autour du film », Serguei M. Eisenstein: La grève/ Octobre, [dvd], Films sans frontière, Paris, s. d. 421.  Serguei M. Eisenstein, op. cit., p. 277. 422.  « L’histoire du cinéma n’est pas isolée de celle des autres arts ; si nous avons à écrire une histoire du cinéma

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LES CLIPS DU LABEL WARP

Tout au plus pouvons nous encore dire que les fragments de réalité qui composent les

chimères audiovisuelles que sont les clips ne sont plus le réel. Nous devrions même dire qu’ils ne sont même plus réels : ces images sont mortes. « La mort, disait Bachelard, est d’abord une image, et elle reste une image.423 » L’image est liée à la mort424 et son aspect mortuaire est d’autant plus prégnant que l’image se présente comme image. Le cinéma d’animation en est un exemple manifeste, ainsi que l’a montré Dick Tomasovic dans Le corps en abîme425. Le clip a beaucoup de points communs avec l’animation. Pensons aux recherches d’Oskar Fischinger ou aux Silly Symphonies de Walt Disney et Carl Stalling ou, plus récemment aux clip de Michel Gondry. Nombre d’animations tiennent d’ailleurs lieu de clip et nous ne saurions toutes les citer. Peut-être que le point commun principal entre l’animation et le clip est ce refus du réel « objectif », partagé par tous et opposé à la subjectivité de chacun. Cela expliquerait la discontinuité, la fragmentation et l’importance du montage dans les clips. Montrer la mort fait peur : c’est l’expérience du déchirement, celle de la finitude de l’homme.

Montrer des fragments de réalité, des morceaux sans vie et les remonter d’une manière

nouvelle, imaginative, c’est un peu ce que tente de faire le clip. Il ne cherche pas à faire semblant que le monde est continu, sensé, clair. Il s’inscrit dans un réel fragmenté, chaotique dont il tente de reconstruire une unité perdue.426 Rappelons que le terme « clip » signifie « extrait » : to clip something off, couper. Il ne nie pas la fragmentation du réel, qu’il soit perçu par l’œil de la caméra, ou par chacun de nous.

La musique fonctionne comme une glue qui rassemble des morceaux de réalité épars.

Mais c’est aussi à cause de la musique, ou grâce à elle, que la réalité peut être fragmentaire. Elle lie les medias entre-eux. C’est d’ailleurs une des fonctions principales de la bande-son dans les films hollywoodiens classiques. « Le montage multi-caméras a été introduit de façon à permettre la variation des prises et la pratique traditionnelle du montage par continuité en maintenant la synchronisation de la bande image à la bande-son427 », écrit John Belton.

La musique est également au centre des synergies que nous avons abordées dans le chapitre

II, à savoir les techniques de marketing croisées entre différents médias. MTV en est l’exemple type : « film + bande originale + clip = $$$ 428 » résument R. Serge Denisoff et George Plasketes.

adéquate, nous devons étudier plus que le film », écrit David Bordwell, art. cité, p. 17. 423.  Gaston Bachelard, La Terre et les rêveries du repos, Paris, José Corti, 1948, p. 312, cité par Régis Debray, op. cit., p. 33. 424.  Lire Régis Debray, op. cit., p. 24 et suiv. 425.  Dick Tomasovic, op. cit. 426.  Ce qui pourrait expliquer l’importance des études consacrées au synchronisme dans les clips. 427.  John Belton, art. cité, p. 231. [Traduit par nous.] 428.  R. Serge Denisoff et George Plasketes, « Synergy in 1980s Film and Music: Formula for Success or Industry Mythology? », Film History 4, n° 3, 1990, p. 257, cité par Jeff Smith, op. cit., p. 187. [Traduit par nous.]

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CHIMÈRES

C’est pourquoi, selon nous, la notion d’authenticité est essentielle. Andrew Goodwin en parle

d’ailleurs à propos de la musique pop.429 Le clip présente un univers personnel fragmenté, subjectif et chaotique ; il comporte, de plus, un message mercantile, nous l’avons vu dans le chapitre II. Face à cela, la notion de vraisemblance n’a pas de sens : un réel qui n’est pas unifié ne peut avoir un sens unique ; même s’il en avait, l’aspect mercantile annihilerait toute croyance en un réel construit dans un but de manipulation. Par contre, l’authenticité430 est requise pour transformer une réalité fragmentée en un réel personnel et pour masquer les volontés commerciales derrière l’expression de vérités profondes de l’individu. Dans les clips, la star se doit d’être vraie pour elle-même.

L’authenticité, c’est ce qu’offre l’ensemble des artistes du label Warp. Ayant la possibilité de

créer leur propre univers sonore et visuel, dans la limite des contraintes de leur propre réel, qu’elles soient technologiques ou économiques, ces artistes font écouter à leur public une part d’eux-mêmes ‑ un fragment ‑ la plus juste qu’ils peuvent offrir. Il ne reste plus qu’à en entendre l’écho dans le quotidien fragmenté de leurs auditeurs.

429.  Lire Andrew Goodwin, op. cit., p. 116 et suiv. 430.  Il serait intéressant de comparer la notion d’authenticité à la notion d’aura de Walter Benjamin, l’authenticité étant une valeur d’unicité dans un monde où la reproduction est maître.

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Conclusion



Entre fusion et fragmentation : le clip

Dans ce mémoire, il est question d’images et de bandes-son. Nous parlons de flirt, d’union et de divorce. Dans le chapitre préliminaire, nous avons situé le clip dans son histoire mythique, celle de son apparition au début des années 1980 avec la chaîne MTV. Nous avons contesté cette origine. Ensuite, dans le chapitre I, nous avons tenté de comprendre ce qui se cachait dernière le vocable « nouvelles technologies ». Nous en avons conclu qu’il n’y avait rien de bien nouveau, si ce n’est, peut-être, l’expansion du numérique. Après avoir questionné la notion de technologie, nous avons contesté la notion d’image virtuelle, préférant celle d’image synthétique. Enfin, selon nous, bien qu’étant un outil époustouflant, la technologie numérique renvoyait in fine l’homme vers sa propre finitude. Les clips de notre corpus se sont révélés être de parfaits exemples.

Les deux chapitres suivants, développés sur la base du chapitre premier, sont complémentaires :

l’un s’intéresse à l’union, l’autre à la séparation. Dans le chapitre II, nous avons métaphoriquement associé le clip à un automate, tout en questionnant la notion de synchronisme. Nous détachant progressivement du principe synchrétique, nous avons dû faire face à une mécanisation des corps et avons tenté de la comprendre. Plus important, nous avons vu que la fusion se situait tant au niveau des medias qui constituent le clip qu’au niveau de l’objet et de sa publicité. La notion de synergie fut alors discutée : l’union stratégique des différents médias. Nous avons considéré le cas du label Warp pour en conclure qu’il était particulier et en réaction contre l’industrie musicale.

Le chapitre III a été l’occasion de considérer l’inverse de la fusion : la confusion ou la

fragmentation. L’aspect fragmentaire du réel avait préalablement été discuté dans le chapitre I ; ici nous le développons : avec le sampling, l’important n’est pas de stocker, mais de recomposer, de reconstruire à partir de ce qui existe déjà. Rien de nouveau à cela : les artistes modernes avaient déjà travaillé le collage, mais la technique fut favorisée, avons-nous dit, par la technologie numérique. Nous avons comparé le clip à une chimère, ce monstre fragmentaire incroyable. Nous nous sommes surtout détaché de plus en plus de la notion d’union en montrant que le conflit est essentiel dans 123


LES CLIPS DU LABEL WARP

fig. 4.1. La bande-son et la fragmentation du cadre dans le clip Papercuts (Barback, 2000) de Broadcast

les œuvres multimedias. Nous avons ainsi écrit que le sens n’existe que dans la relation entre chaque media, dans un contexte particulier. Enfin, le chapitre s’est terminé par la comparaison du clip avec les théories formalistes russes des années 1920.

En étant en décalage par rapport à la majorité des clips, les productions du label Warp

nous ont permis de construire notre propos avec le recul nécessaire. Là où les clips ont l’habitude de cacher leurs structures et leurs modes de fonctionnements, les clips du label de Sheffield offrent un point de vue critique et original qui ne se cache pas derrière de multiples effets ou la (très commerciale) hype. La représentation de la bande-son qui traverse l’ensemble de cet ouvrage n’est pas une simple décoration : dans ce mémoire, nous avons voulu souligner l’importance du son dans les clips et, in fine, dans le cinéma. Comme dans le clip Papercuts [fig. 4.1], ce mémoire montre que la bande-son est plus qu’un simple accompagnement. Trois éléments ont été mis en évidence : la fragmentation, la contextualisation et la relation :

Fragmentation. Le clip présente une vision fragmentée de la réalité. En tant qu’extrait,

traduction du terme anglais clip, il se présente lui-même comme une partie d’un tout plus large encore. Il joue avec la fragmentation du réel, ce dernier étant découpé par l’œil de la caméra ou non. La signification passe par la mise en rapport de chaque fragment avec ceux qui l’entourent.

Contexte. En tant qu’objet populaire, le clip s’explique par la musique pop, rock et toute la

littérature, les pochettes, les publicités, les revues, les critiques, l’art, qui l’environnent ‑ son contexte externe ‑, mais aussi par ses destinées commerciales et le fait qu’il soit une œuvre collective ‑ son contexte interne.

Relation. Bien que la musique soit première, le clip est une création multimedia. Il doit

donc être considéré dans la mise en relation de tous ses éléments ‑ image, texte, musique, etc. ‑ et ne pas limiter son analyse à la seule image, comme cela a souvent et malheureusement été le cas. La musique influence la perception de l’image et inversement. Le conflit est, donc, une notion essentielle dans le multimedia.

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CONCLUSION

Néanmoins, notre recherche est loin d’être terminée. Ce n’est qu’une esquisse que nous avons voulu la plus claire possible mais qui demande à être poursuivie. Nous aurions voulu nous intéresser plus en profondeur au cinéma formaliste russe, aux origines de la musique électronique et à celles des expérimentations liant le son à l’image. Nous aurions voulu tout voir et tout lire. Mais le temps nous a manqué. Rien ne nous empêche évidemment de le prendre maintenant, mais ce sera hors du cadre de ce mémoire.

Ainsi, il est amusant mais surtout indispensable de s’intéresser aux champs de l’audiovisuel

académiquement moins valorisés. Comme les clips du label Warp, objets de notre recherche, mais aussi les autres clips, les bandes-son, les bandes-annonce, les génériques, les pochettes de disques, l’animation, la danse et les publicités qui ont beaucoup à nous apprendre sur leur fonctionnement. Le VJing et les pratiques théâtrales associant son et image paraissent également être des terrains propices aux explorations. Le label Ninja Tune offre un vaste corpus de clips d’une infinie richesse. Il mérite d’être abordé comme nous l’avons fait pour le label Warp. Les artistes comme Björk, Massive Attack et Hexstatic offrent des corpus moins larges mais tout aussi intéressants. D’autres recherches peuvent êtres effectuées sur les réalisations de Michel Gondry, Stephane Sednaoui ou Mark Romanek, entre autres.

Techniquement, il serait enthousiasmant de mettre la main sur des logiciels permettant la

décomposition des différents medias d’un clip et, sinon, de les réaliser soi-même431. Nous pensons à une ligne du temps qui associerait une ligne de photogrammes à une ligne d’ondes sonores et à un oscillogramme. À cela s’ajouterait une ligne permettant d’inscrire du texte. Nos analyses en seraient bien plus aisées. Nos yeux et nos oreilles restant, toutefois, les meilleurs outils à notre disposition.

D’autres ruptures de cadres seront, dès lors et heureusement, encore à prévoir.

431.  Certains logiciels permettent des analyses d’objets multimedias. Hyperresearch offre une version pour l’éducation sur « Hyperresearch Teaching Edition », ResearchWare, Inc., [Internet], http://www.researchware.com/ hr/downloads.html, visité le 6 avril 2006. Raven se borne à l’analyse acoustique et est disponible à l’adresse : « Raven », Cornell Lab of Ornithology, [Internet], http://www.birds.cornell.edu/brp/raven/RavenFullVersion.html, visité le 6 avril 2006.

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LES CLIPS DU LABEL WARP

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Clipographie Références Index Table des matières



Clipographie

Nous réunissons ci-après l’ensemble des clips du label Warp Records classés par ordre chronologique. Lorsqu’un clip a été édité sur support dvd, nous avons mentionné la référence du support. Pour une discographie complète du label, nous renvoyons à l’ouvrage de Rob Young, Label Unlimited: Warp . Testone, Sweet Exorcist, 1990 Réalisation : Martin Wallace et Jarvis Cocker Sur dvd : WarpVision

LFO, LFO, 1991 Réalisation : John Foxx, Penny Downes, Paul Plowman, Gary Smith Sur dvd : WarpVision

Aftermath, Nightmares on Wax, 1991 Réalisation : Jarvis Cocker Sur dvd : WarpVision

On, Aphex Twin, 1993 Réalisation : Jarvis Cocker Sur dvd : WarpVision

.  Les termes filmographie et vidéographie nous paraissant tous deux inadéquats, nous avons opté pour le néologisme « clipographie ». .  Rob Young, op. cit., pp. 186-188.

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LES CLIPS DU LABEL WARP Tied Up, LFO, 1994 Réalisation : David Slade Sur dvd : WarpVision

Wilmot, Sabres Of Paradise, 1994 Réalisation : Douglas Hart Production : Momentum Sur dvd : WarpVision

Fracture, Seefeel, 1994 Réalisation : Seefeel Sur dvd : WarpVision

Donkey Rhubarb, Aphex Twin, 1995 Réalisation : David Slade Direction photo : Nigel Kinnings Sur dvd : WarpVision

Second Bad Vilbel, Autechre, 1995 et 2002 Réalisation : Chris Cunningham Production : Cyndi Rhoades Producteurs délégués : Mary Calderwood, Derin Schlesinger Direction photo : Charles Teton Montage : Chris Cunningham, Nick Spencer Direction artistique : Dillon Jenkins Conception du robot : Chris Cunningham Sur dvd : WarpVision et The Work of Director: Chris Cunningham Come To Daddy, Aphex Twin, 1997 Réalisation : Chris Cunningham Production : Cindy Burnay Direction photo : Simon Chaudoir Montage : Gary Knight Lieu de tournage : Thamesmead Housing Estate, Wollwich, à l’est de Londres Sur dvd : WarpVision et The Work of Director: Chris Cunningham Come On My Selector, Squarepusher, 1997 Réalisation : Chris Cunningham Production : Cindy Burnay Direction photo : Alex Barber Montage : Chris Cunningham Direction artistique : Ivan Unwin, Chris Oddy Lieu de tournage : Northwick Park Hospital, Londres Sur dvd : WarpVision et The Work of Director: Chris Cunningham

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CLIPOGRAPHIE Midsummers Night, Jimi Tenor, 1998 Réalisation : Jimi Tenor et Sökö Kaukoranta Sur dvd : WarpVision

Windowlicker, Aphex Twin, 1999 Réalisation : Chris Cunningham Production : Cindy Burnay Producteurs délégués : Steve Beckett, Rob Mitchell Direction photo : James Hawkinson Montage : Chris Cunningham Masques : Paul Catling Chorégraphie : Vincent Patterson Distribution : Aphex Twin, Marcus Morris, Gerry Cruz, Marcy Turner... Lieu de tournage : Los Angeles et Santa Monica Beach, Californie, États-Unis Sur dvd : WarpVision et The Work of Director: Chris Cunningham Total Devastation, Jimi Tenor, 1999 Réalisation : Jimi Tenor et Sökö Kaukoranta Sur dvd : WarpVision

Papercuts, Broadcast, 2000 Réalisation : Barback Sur dvd : WarpVision

Daddy’s Car, Jamie Lidell, 2000 Réalisation : Frederick D Production : Taxitaxi Sur dvd : WarpVision

I’m Not Confortable Inside My Mind, John Callaghan, 2000 Réalisation : John Callaghan Post-production : John Fisher Sur dvd : WarpVision

Some Kind Of Kink, Red Snapper, 2000 Réalisation : Richard Anthony Sur dvd : Extra - A Coll. Of Outstanding Electronic Music

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LES CLIPS DU LABEL WARP Perpendicular/ Vector, Antipop Consortium, 2001 Réalisation : Markus Wambsganss Production : Kaliber16 Direction photo : Kolja Raschke Distribution : Meret Becker, Jurgen Ploog Sur dvd : WarpVision Eyen, Plaid, 2001 Réalisation : Jean Luc Chansay Sur dvd : WarpVision

New Family, Plaid, 2001 et 2006 Réalisation : Bob Jaroc Une nouvelle version de New Family est sortie en 2006. Sur dvd : Plaid & Jaroc Bob, Greedy Baby

Ghostlawns, Antipop Consortium, 2002 Réalisation : Carlos Arias Sur dvd : WarpVision

Gantz Graf, Autechre, 2002 Réalisation : Alexander Rutterford Sur dvd : WarpVision et Autechre, Gantz Graf

Gob Coitus, Chris Clark, 2002 Réalisation : Lynn Fox Production : Lynn Fox Sur dvd : WarpVision et Creative Review dvd (2002)

Gob Coitus, Chris Clark, 2002 Réalisation : Richard Fenwick Production : Dallas Synnott, Giles Johnson Montage : Richard Fenwick Animation 3D : Dan Capstick Sur dvd : Creative Review dvd (2002) et Richard Fenwick, Selected Experimental Work

Half Of What, Prefuse 73, 2002 Réalisation : Ed Holdsworth Sur dvd : WarpVision et Creative Review dvd (2002)

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CLIPOGRAPHIE Half Of What, Prefuse 73, 2002 Production : Mitget (Cedric Perrier et Naomi Tamamura) Sur dvd : Creative Review dvd (2002) et Onedotzero_Select dvd1

Itsu, Plaid, 2002 Réalisation : Pleix Collective Sur dvd : Creative Review dvd (2002) et Onedotzero_Select dvd1

Itsu, Plaid, 2002 Réalisation : Geoff McFetridge Sur dvd : Creative Review dvd (2002)

Little Numba, Mira Calix, 2002 Réalisation : Daniele Lunghini Animation : Diego Zuelli Sur dvd : WarpVision et Creative Review dvd (2002)

Little Numba, Mira Calix, 2002 Réalisation : Sam Tootal Sur dvd : Creative Review dvd (2002)

25101999, Brothomstates, 2002 Réalisation : Nano Sur dvd : Creative Review dvd (2002)

25101999, Brothomstates, 2002 Réalisation : Ariane Geil Sur dvd : Creative Review dvd (2002)

Zeal, Plaid, 2003 Réalisation : Minivegas Production : Kit Hawkins Direction photo : Mark Wolf Post-production : Glassworks Montage : Tom Palliser, Ian Anderson

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LES CLIPS DU LABEL WARP Nannou, Aphex Twin, 2003 Réalisation : Laurent Briet Production : Little Minx Sur dvd : WarpVision

Freak, LFO, 2003 Réalisation : Daniel Levi Production : Gustav Geldenhuys, Richard Packer, Independent Créateur des costumes : Rachel Santoro Sur dvd : WarpVision

I Love Acid, Luke Vibert, 2003 Réalisation : Delicious 9 (Teemu Auersalo) Sur dvd : WarpVision

The City, Jamie Lidell, 2004 Réalisation : Frederic D Sur dvd : WarpVision

Mutescreamer, Beans, 2004 Réalisation : Adam Levite Sur dvd : WarpVision

The Coast Is Always Changing, Maxïmo Park, 2004 Réalisation : Mat Fleming, Christo Wallers Production : Mat Fleming, Christo Wallers Montage : Mat Fleming, Christo Wallers, Clive Tonge Sur dvd : Maxïmo Park, Found On Film

Apply Some Pressure, Maxïmo Park, 2004 Réalisation : Jaron Albertin Production : Craig Fleming Direction photo : Derek Rogers Style : Clair Edmondson Maquillage : Bora Sur dvd : Maxïmo Park, Found On Film Graffiti, Maxïmo Park, 2005 Réalisation : Lynn Fox Production : Anna Brunoro Direction photo : August Jacobson Direction artistique : Ben Ansell Montage : Joe Gues Sur dvd : Maxïmo Park, Found On Film

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CLIPOGRAPHIE Going Missing, Maxïmo Park, 2005 Réalisation : Chris Cairns Production : Grace Bodie Direction photo : Ben Moulden Direction artistique : Ollie Evans Sur dvd : Maxïmo Park, Found On Film Apply Some Pressure 2, Maxïmo Park, 2005 Réalisation : Diamond Dogs Production : Kristin Rathje Direction photo : August Jacobson Direction artistique : Diamond Dogs, Ben Ansell Montage : Amanda Sur dvd : Maxïmo Park, Found On Film I Want You To Stay, Maxïmo Park, 2005 Réalisation : Ramon Bloomberg Production : Mark De Pace Direction photo : Andrij Parekh Montage : Todd Stewart Sur dvd : Maxïmo Park, Found On Film Caretstik, Plaid, 2005 Réalisation : Alexander Gelman Production : Charlex Directeur créatif délégué : Alex Heil Sur dvd : Creative Review dvd10 et Stash, numéro 12

Caretstik, Plaid, 2005 Réalisation : Tim Redfern Production : Katie Lincoln Sur dvd : Creative Review dvd10

I Turn My Face to the Forest Floor, Gravenhurt, 2005 Réalisation : Ralitza Petrova Production : Zara Balfour, Paul Zabihi Direction photo : Duncan Telford Maquillage : Claire Williams Sur dvd : Creative Review dvd10

I Turn My Face to the Forest Floor, Gravenhurt, 2005 Réalisation : Thomas Hicks Production : Thomas Hicks Sur dvd : Creative Review dvd10

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LES CLIPS DU LABEL WARP Sans Titre, Home Video, 2005 Réalisation : Barry Murphy Production : Kineticult Animation : Juan Fontanive, David Borrull, Matt Abbiss, Fergal Brennan, Sandeep C Sur dvd : Creative Review dvd10

Sans Titre, Home Video, 2005 Réalisation : Mr. McElwaine Production : Yan Schoenefeld, Mr. McElwaine Films Direction photo : Toshiaki Ozawa Montage : Geordie Anderson Sur dvd : Creative Review dvd10

Is This A Real City, Jimmy Edgar, 2005 Réalisation, animation, montage : Ben Dawkins Production : Stephen Brierley, Rhun Francis, Ben Dawkins Acteur : Mark Hopkinson Sur dvd : Creative Review dvd10

Is This A Real City, Jimmy Edgar, 2005 Réalisation : Thomas Euvrie et Pierre Prieur Production : Thomas Euvrie et Pierre Prieur Sur dvd : Creative Review dvd10

Umbra/ Penumbra, Mira Calix, 2005 Réalisation : Liam O Production : Liam O Sur dvd : Creative Review dvd10

Umbra/ Penumbra, Mira Calix, 2005 Réalisation : Bentley Production : Bentley Sur dvd : Creative Review dvd10

Dayvan Cowboy, Boards Of Canada, 2006 Réalisation : Melissa Olson Sur dvd : Boards Of Canada, Dayvan Cowboy Music Video - Promotional dvd

War Dialer, Plaid, 2006 Réalisation : Bob Jaroc Sur dvd : Plaid & Jaroc Bob, Greedy Baby

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CLIPOGRAPHIE I Citizen The Loathsome, Plaid, 2006 Réalisation : Bob Jaroc Sur dvd : Plaid & Jaroc Bob, Greedy Baby

The Launching Of Big Face, Plaid, 2006 Réalisation : Bob Jaroc Sur dvd : Plaid & Jaroc Bob, Greedy Baby

Zn Zero, Plaid, 2006 Réalisation : Bob Jaroc Sur dvd : Plaid & Jaroc Bob, Greedy Baby

The Return Of Super Barrio, Plaid, 2006 Réalisation : Bob Jaroc Sur dvd : Plaid & Jaroc Bob, Greedy Baby

E.M.R, Plaid, 2006 Réalisation : Bob Jaroc Sur dvd : Plaid & Jaroc Bob, Greedy Baby

Super Positions, Plaid, 2006 Réalisation : Bob Jaroc Sur dvd : Plaid & Jaroc Bob, Greedy Baby

To, Plaid, 2006 Réalisation : Bob Jaroc Sur dvd : Plaid & Jaroc Bob, Greedy Baby

Crumax Rins, Plaid, 2006 Réalisation : Bob Jaroc Sur dvd : Plaid & Jaroc Bob, Greedy Baby

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Zala, Plaid, 2006 Réalisation : Bob Jaroc Sur dvd : Plaid & Jaroc Bob, Greedy Baby

Assault On Precinct Zero, Plaid, 2006 Réalisation : Bob Jaroc Sur dvd : Plaid & Jaroc Bob, Greedy Baby


Références

Bibliographie sélective

Il existe malheureusement peu d’ouvrages sur les clips ayant été traduits en français. Aux étudiants désirant s’intéresser à ces objets multimedias, nous réunissons, ci-après, les documents directement concernés : Chion Michel, Un art sonore, le cinéma, Coll. « Cinéma Essais », Cahiers du Cinéma, Paris, 2003. —, L’audio-vision - Son et image au cinéma, Coll. « Cinéma », Armand Colin, Paris, 2005, [deuxième édition]. Cook Nicholas, Musique, une très brève introduction, traduit de l’anglais par Nathalie Gentili, Éditions Allia, Paris, 2006. Première édition sous le titre Music : A very short introduction, Oxford University Press, 1998. —, Analysing Musical Multimedia, Oxford University Press Inc., New York, 1998, [reprinted, 2004]. Fraser Peter, Clark Vivienne (Editor), Teaching Music Video, Teaching Film and Media Studies Series, BFI (British Film Institute) Publishing, Londres, 2005. Frith Simon, Goodwin Andrew et Grossberg Lawrence (Edited by), Sound and Vision: Music Video Reader, Taylor & Francis Books Ltd., 1993. Goodwin Andrew, Dancing in the Distraction Factory : Music Television and Popular Culture, University of Minnesota Press, Minneapolis, 1992. Huron David, « Music in Advertising: An Analytic Paradigm », The Musical Quarterly, vol. 73, n° 4, 1989, pp. 557‑574. Johnson William, « Sound and Image: A Further Hearing », Film Quarterly, vol. 43, n° 1, automne 1989, pp. 24‑35. Prince Stephen, « True Lies: Perceptual Realism, Digital Images, and Film Theory », Film Quarterly, vol. 49, n° 3, printemps 1996, pp. 27‑37. Smith Jeff, The Sound Of Commerce - Marketing Popular Film Music, Columbia University Press, New York, 1998. Vernallis Carol, Experiencing Music Video: Aesthetics and Cultural Context, Columbia University Press, New York, 2004.

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Index

1984 103, 107 2001, l’odyssée de l’espace 51, 111 25101999 51, 133 3SPACE 51 A accumulation à des fins consuméristes 77 à des fins créatives 92 acoustique 16 Adobe 23 affiche 84 Aftermath 95, 129 AFX. Voir Aphex Twin AKA 22 Jaron Albertin 134 All Is Full Of Love 39 ambient 22 Amérie 14 Amon Tobin 51 analogique 29 ancrage 69 effet de réalité 69 Ian Anderson 21 Animals 72 animation 20, 29, 118, 125 animation 3D 22 animation de marionnettes 91 Annie 74 Richard Anthony 131 Antipop Consortium 33, 68, 75, 132 Anvil Vapre 36 Aphex Twin 29, 33, 57, 61, 82‑83, 93‑95, 97, 103, 105, 107, 129‑131 logotype 84, 99 apparence 77 apparence de changement 79 apparence physique 74, 80 silhouette 76 Apple 23, 76‑77 publicité 36, 39 Apply Some Pressure 134

Apply Some Pressure (2) 79, 135 Hannah Arendt 107 Areva 73 Carlos Arias 75, 132 Around The World 74 art 34 arts plastiques 94 art synesthésique 65 démarche artistique 84 matériaux non-artistiques 94 moderne 117 pratique de son matériau 47 artiste fêlé 52 Assault On Precinct Zero 138 assemblage d’images hétérogènes 94 association arbitraire 65 Jacques Attali 57, 77‑78, 83 audience 80 audio-logo-visuel 14 audiovisuel 14 Teemu Auersalo 134 Jacques Aumont 115 Autechre 35, 48, 51, 130, 132 logotype 50, 84 authenticité 117‑119 automate 52, 57, 74 affirmation du pouvoir 57 répétition 65 automatisme automatisme des corps 74 avatar 104 B Gaston Bachelard 118 bande-annonce 14 bande-son 14, 79, 114, 116, 123 cinéma classique 118 bande originale de film 81, 118 bande promo. Voir clip bande vidéo promotionnelle. Voir clip

Barback 124, 131 Charles Baudelaire 59, 62 André Bazin 43, 115, 117 Beans 75, 134. Voir aussi Antipop Consortium Yann Beauvais 94 Barbara Becker 108 Steve Beckett 20, 52 Bellérophon 90 John Belton 118 Walter Benjamin 45 Bentley 136 Berkeley 43, 46 Big Brother 103 Big Loada 95 binary digit. Voir chiffre binaire Timothy Binkley 34, 41, 51 bit. Voir chiffre binaire Björk 28, 39, 41, 125 John Blacking 73 Earl Blaize 75 Bleep.com 22 Ramon Bloomberg 135 blues 21 Boards Of Canada 14, 29, 109, 114, 136 bodybuilding. Voir culturisme body sculpt 73 Bohemian Rapsody 16 David Bordwell 115 Jean-Michel Bouhours 94 Ray Bradbury 43 Georges Braque 45, 89 breakbeat 95 Laurent Briet 57, 134 Broadcast 124, 131 broadcast design 22 Brothomstates 51, 133 brouillage 43 bruit 83, 92 bruitisme 92 byte. Voir octet

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LES CLIPS DU LABEL WARP C cadre 44 d’un degré supérieur 108 maîtriser le cadre 45 multiples cadres 45 rupture de cadrage 7, 45, 100, 125 Chris Cairns 135 caméra dv 14 caméra obscura 47 capitalisme 73 monde rationalisé 73 système capitaliste 77 Caprice en couleur 17 captiver 79, 101 Caravelle Tele Box 18 Caretstik 93, 135 Carie 90 Caustic Window. Voir Aphex Twin cd-rom 28 chanson 15 Le Chanteur de jazz 17 Dominique Chateau 27 cheerleading. Voir pom pom girls Cherish 114, 116 Chewing Gum 74 chimère 44, 90‑91, 109. Voir aussi avatar aspect chimérique 92, 97 association chimérique 108 La Chimère d’Arezzo 90 Michel Chion 7, 14, 41, 62, 68, 112 chirurgie esthétique 74, 83, 105 choquer 80 chorégraphie 82 Cinebox 18 cinéma 35 diversité 31 hard core 73‑74 publicité 80 société de production de films 81 technologie 45 technologies d’imagerie numérique 31 Cinématique 18 cinématographe 16, 47 citation 114 Chris Clark 40, 95, 132 Claro 51 clip 13 analyse de clip 23 champ de bataille 116 couper 13, 118 fusion entre un produit et sa propre publicité 80 historique du clip 16 industrie de promotion de l’industrie musicale 39 objet promotionnel 39, 78, 84 originalité 84

148

répétition 39, 58 Anton Corbijn 23 clip musical. Voir clip Correspondances 59 clip vidéo. Voir clip couleur 48 club 75 entendre les couleurs 63 Jarvis Cocker 93, 95, 129 couplet 82 code 83 Wile E. Coyote 113 coexistence Creative Review 40, 69 coexistence ordinaire du son et de créativité 30 l’image 65 Hervé de Crécy 73 coïncidence 107 Crisantemi 50 Jonathan Cole 74 David Cronenberg 43, 103 collage 89, 94, 117, 123 Alan Crosland 17 collage dynamique 89 Crumax Rins 137 d’éléments hétérogènes 91 cubisme 45, 94 sur différents calques 89 culture sur différents medias 89 nature 108 Colleen 70 culturisme 74 Colourbox 17 Chris Cunningham 23, 35, 36, combinaison concomitante 15 39, 97, 105, 130‑131 Come On My Selector 33, 95‑97, cyberespace 51, 104 130 espace 41 Come To Daddy 61, 94, 97‑104, D 130 dadaïsme 94 compétition 15, 116 Daddy’s Car 131 conflit 116 Daft Punk 74 complémentarité 15 dance music 21, 69, 75, 83 complementation. Voir complémenaspect machinique et répétitif 83 tarité Danone 84 composition 64 danse 75, 125 composition complexe 64 danse mécanique 58 composition mélodique 64 déplacement mécanique 73 composition symphonique 64 mouvement corporel 69 composition 92, 108 mouvement horloger 75 concurrence 82 Ben Dawkins 136 conflit 116‑117 Dayvan Cowboy 14, 29, 94, notion de de conflit 116 109‑114, 116, 136 conformance. Voir similarité Régis Debray 46 consommation déchirement 118 automate 77 découpage 112 consommateur 20 dédain académique 117 enfermement social 78 Mike DeGagne 73 indifférentiation 76 Delicious 9 33, 134 pour consommer 77 Edouard Delruelle 43 pour ressembler 76 démon 102 système 83 design 34 consumérisme 80 Designers Republic 21, 63, 71 contest. Voir compétition Diamond Dogs 79, 135 contexte 15, 114, 124 Philip K. Dick 43‑44, 103, 114 contexte externe 124 Die Another Day 14 contexte interne 124 diégèse 103 contexte musical 15 concomitance 104 continuité. Voir aussi Sphinx digital media. Voir médias numériillusion de la continuité 115 ques montage par continuité 118 disc-jockey 31, 64 contrainte discours contrainte économique 84 discours pluricode 66. Voir aus‑ Nicholas Cook 7, 9, 14, 30, 48, si multimedia 59, 116 Walt Disney 17, 58, 67, 118 Elena Copenkova 63‑64 disque copie 112 commerce 81 copier-coller 89, 94, 112 vente 31 Sofia Coppola 44


INDEX disque dur 76 dissonance 107 DJ. Voir disc jockey documentaire 17 Fats Domino 17 Don Juan 17 Donkey Rhubarb 82‑83, 130 Penny Downes 129 downtempo 22 Draft 7.30 48 drogue 33 drum ‘n’ bass 95 Philippe Dubois 46, 47 Marcel Duchamp 93 Kirsten Dunst 45 durée 15, 77 dv 52 E E.M.R 137 échantillon 83, 94 échantillonnage 92‑93, 123 trois formes 92 échantillonneur 92 caisse de disque numérique 92 écran 100 deux dimensions 42 écran cinématographique 44 écran télévisuel 44, 75. Voir aus‑ si fractionnement du réel faire écran 29 fragmentation du réel 75, 104 édition musicale 81 impression de partitions 30 effet sonore 17, 96, 116 effets spéciaux 13, 46, 47 effet visuel 47 Sergueï Eisenstein 43, 65, 115‑117 electronica 22 Pyrrhon d’Élis 43 EMI Music 22 eMusic 14 enfant 102 enregistrement du son densité variable 17 élongation variable 17 procédé optique 17 enregistreur sur bandes 52 Marcus Eoin. Voir Boards Of Canada espace espace du spectacle 101 lieu du spectateur 101 esthétique romantique 35 Éternel Retour 114 éternité 113 Thomas Euvrie 136 eXistenZ 43 experimental techno 22 expérimentation 17 Experts en énergie 73

extrait 13 Eyen 29, 33, 95, 132

Graffiti 134 gramophone 31 graphique 116 graphique informatif 73 Gravenhurt 135 grille 75 groove 95 gros plans 75

F Fantasia 17, 58, 62 fenêtre ouverte sur le monde 115 Richard Fenwick 22, 40, 132 fiction 44 film vidéo. Voir clip finitude 52, 118, 123 Firestarter 98 Oskar Fischinger 16, 118 flash 101 Flash (Adobe) 23 Gustave Flaubert 90‑91 Mat Fleming 134 formalisme 114‑116 formalisme russe 43, 115 formation 8 forme 115 caractère et atmosphère 63 in-forme 115 [Formula] 107 found footage 93, 114 Lynn Fox 33, 132, 134 Wallace Fox 17 John Foxx 129 Fracture 130 fragment 89, 115, 119 choc 116 conflit 117 de réalité 93 fragment de réalité 118 juxtaposition 94, 115 fragmentation 124 du réel 44‑45, 118 Pete Fraser 16 Freak 33, 134 Frederick D 131 Caspar David Friedrich 110 funk 21 futurisme 45 G Gantz Graf 48‑51, 58, 132 Ariane Geil 133 Alexander Gelman 135 Ghost Dog: The Way of the Samurai 41 Ghostlawns 33, 75‑77, 132 Stanley Gibb 15 Philip Glass 111 Jacques Gleyse 73‑74 globalisation 29 Globe-Mills Production 18 glue musicale 117‑118 Gob Coitus 33, 40‑44, 69, 95, 132 Erving Goffman 7, 44, 46, 108 Going Missing 135 Michel Gondry 28, 41, 74, 118, 125 Andrew Goodwin 7‑8, 15‑16, 19, 64, 78‑79, 92, 119

H H5 23, 73 Georges Hacquard 62, 65 Half Of What 132 hallucination 33 Laird Hamilton 111, 114 Ed Handley 64. Voir Plaid Douglas Hart 130 heavy metal 19, 102 Martin Heidegger 34 héritage culturel 94 Jeanne Hersch 113 Paul Hertz 65 Hexstatic 51, 125 Thomas Hicks 135 hip-hop 21 Hipgnosis 72 histoire 91, 112 anti-histoire 91 conception 30 hit-parade 31, 78 affichage de la vitesse de l’échange 78 hits. Voir tubes Home Video 136 homme mortel 57 horloge 57, 75 Ludovic Houplain 73 house 20, 74, 82 Human Behaviour 28 Philipp Hunt 22 David Huron 78 I I’m Not Confortable Inside My Mind 131 I Care Because You Do 105 I Citizen The Loathsome 137 idéologie 47 illusion 43. Voir image I Love Acid 33, 134 image 43, 118 brouillage de l’image 102 disparition 112 illusion 43 image à caractère sexuel 117 image d’écran 46 image de synthèse 31, 32, 40, 47, 48 structures de synthèse 42 image du réel 45 image informatique 46 image latente 46

149


LES CLIPS DU LABEL WARP image numérique 48, 112 image réelle 45 imagerie informatique 47 image sensible 46 image synthétique 46, 91. Voir aussi image de synthèse image virtuelle 40, 45‑47 imitation 43 machine à image 47 mort 118 nouvelles images 8, 29, 32, 40, 117 qualités soniques 114 recyclage 112 représentation 46 ressemblance 43 imagination 44 vaine imagination. Voir chimère imitation. Voir image; Voir aus‑ si mickeymousing immobilité. Voir Sphinx impression 64 imprévisibilité. Voir chimère improvisation 64 industrie bâtiment industriel 71 monde industriel 39 Révolution Industrielle 74 sites industriels abandonnés 102 ville industrielle 71, 101 infini claustration de l’infini 51 infinité oppressante 52 infographie 43 information graphic. Voir graphique informatif instruments 64 Intelligent Dance Music 22, 83 interaction 14, 114 intermedia 15 Internet 28, 41, 69 interversion 114, 116 iPod 76 I Smell Quality... 33 Is This A Real City 136 Itsu 33, 69‑73, 82, 95, 117, 133 iTunes Music Store 14 I Turn My Face to the Forest Floor 135 Ivan le terrible 117 I Want You To Stay 135 J Michael Jackson 16 Richard D. James 97, 104. Voir Aphex Twin Richards S. James 17 William James 44, 46 Jamie Lidell 131 Jim Jarmusch 41 Bob Jaroc 66‑67, 132, 136‑138 Mark Jarzombek 91

150

jazz 21, 95 Tom Jenkinson. Voir Squarepusher jeunesse 97 jeunisme 82 jeu vidéo 51 Jimmy Edgar 136 La Joconde 46 Jóga 41 John Callaghan 131 Chuck Jones 113 Josh and Xander 39 juke-box 17 Panoram 18 Laurent Jullier 8, 28 Jumpers 41 jungle 95, 98 Jurassic Park 44 K Moisei Kagan 35 Vassily Kandinsky 63‑64 Emmanuel Kant 35 Sökö Kaukoranta 131 Joseph W. Kittinger Jr. 111 Naomi Klein 80 Jean-Marie Klinkenberg 15, 66 Wolfgang Köhler 62 Koyaanisqatsi 111 Kraftwerk 21, 76 Stanley Kubrick 51, 111 Lev Kuleshov 115 L La grève 116 Julien Offray de La Mettrie 57 John Landis 16 leitmotiv 113 Le Mariage de Figaro 51 Daniel Levi 134 Adam Levite 134 Alain Levy 22 LFO 32, 93, 129, 134 Liam O 136 Jamie Lidell 134 lien lien chronique 68 lien ponctuel 68 Steven Lisberger 51 Little Numba 133 logiciel 125 logotype 84 Aphex Twin 84 Autechre 84 Maxïmo Park 84 MTV 19 Warp Records 21 Low Frequency Oscillators. Voir LFO George Lucas 51 Luke Vibert 134 Daniele Lunghini 133 Lycie 90

Len Lye 17 M Mac 52 machine 47, 92 conscience du réel 48 interventionnisme 48 Nancy Macko 30 Madonna 14, 61, 83, 114 Majors 31 manipulation 119 Lev Manovich 93 Marie Antoinette 44‑45 Massive Attack 125 Master-View 51 Peter Davis Mathews 105 The Matrix 43, 51 Maxïmo Park 79, 134‑135 logotype 84 Matt McCorminck 41 John McCready 32 Mr. McElwaine 136 Geoff McFetridge 133 Norman McLaren 17, 107 media 9, 34, 114 association des medias 108 caractéristiques des objets 112 destruction de liidentité 116 interaction 114 média 9, 34 média analogique 34 média numérique 34 système de médias 78 mélange 117 Georges Méliès 47 mémoire 76 numérique. Voir échantillonneur; Voir aussi iPod mémorisation 92 abbé Mical 57 Microsoft 19 Midsummers Night 131 Mills Novelty Company 17 Minivegas 59, 133 Mira Calix 136 Rob Mitchell 20 Mitget 133 mixed-media 15 modernisme hypermodernisme 21 monde de synthèse 46 fragmenté 102 hypocrite stabilité 97 physique 46 rationalisé. Voir capitalisme virtuel 107 mondialisation 29 monstre 108. Voir aussi chimère montage 47, 117 formalisme 115 fractionnement du réel 75


INDEX montage rapide 78 montage serré 104 montage virtuel 30‑31 nouvelles méthodes 52 photomontage 94 procédés du montage 94 édition dynamique 115 montage des attractions 116 motion design 20, 22 motion graphics 40 mouvement de la caméra 101 mouvement corporel. Voir danse mouvements à l’image 112 synchronisation 69 Movitone 17 Wolfgang Amadeus Mozart 51 mp3 31 MTV 16‑20, 31, 80, 81, 104, 123 esthétique MTV 29 Logotype 19 Russell Mulcahy 104 multimedia 9, 14, 58, 89 conflit multimedia 117 objet multimedia 8, 14, 91. Voir aussi clip œuvre multimedia 13 multimédia 9 Barry Murphy 136 musical illustration 17 music commercial 13 music promo. Voir clip music promo video. Voir clip music video. Voir clip musique 13, 15, 40 accompagnement 81 achat 31 cinéma 17 commerciale 83 dimensions visuelles 64 distribution musicale 30, 69 inappropriée 17 industrie musicale 31 marchandise 77 métaphore de la musique 62 musique à la maison 52 musique concrète 48 musique de film 95 musique électronique 32, 48 musique populaire 64 musique sur ordinateur 52 musique synthétique 32, 48 origines africaines 21 origines américaines 21 présence tangible 17 production musicale 52 révolution musicale 20 société 73 Mutescreamer 134 mythologie grecque 90

N Nannou 57, 134 Nano 133 Naqoyqatsi 111 nature culture 108 New Family 132 new pop 19 Friedrich Nietzsche 113 Nightmares on Wax 95, 129 Nike 84 Ninja Tune 14, 51, 125 notation notation traditionnelle 17 note 64 nouvelles technologies 20, 28 de l’information et de la communication 28 numérique 29, 31, 64 image numérique 43 médias numériques 29, 34 perte 31 qualité 31 révolution numérique 28 signal numérique 46 suppression d’intermédiaires 31 numérisation 92 O octet 30 œil de la caméra 43, 118, 124 œuvre d’art réalité de l’œuvre 94 Melissa Olson 111, 136 On 93, 129 optique 16 ordinateur ordre 57 technologie transparente 34 ordre 108 ordinateur 57 ordre établi 97 organisme organisme créé artificiellement. Voir chimère George Orwell 43, 103, 107 P Panoram. Voir aussi Soundies Papercuts 124, 131 parent 102 parole 15, 82, 116 pastiche 114 Pégase 90 peinture 94 perception 43, 117 illusion d’optique 45 influence 114, 124 par bribes 116 simultanée. Voir synesthésie subjective 110 trouble. Voir synesthésie performance 74

Perpendicular/ Vector 33, 68, 132 personnalité perte de personnalité 108 Ralitza Petrova 135 phonographe 16 photographie 35, 43, 47 Photophone 17 Pablo Picasso 45, 89 picture element. Voir pixel Pigs On The Wing et Pigs (Three Dif‑ ferents Ones) 72 Pink Floyd 71‑72 Giusy Pisano 16 piste sonore 58 pixel 48 Michael Place 71 Plaid 29, 59, 64, 95, 132‑138 planification 107 Platon allégorie de la Caverne 43 play-back. Voir présonorisation Pleix 69, 117, 133 Paul Plowman 129 pochette de disque 48, 64, 84, 110‑111, 124 Animals 72 Polygon Window. Voir Aphex Twin pom pom girls 76 pont sonore 100 pop 21, 82, 119 pop video. Voir clip Pornokratès 72 portillon 47 Ulf Poschardt 30 posséder 77 postmodernisme 8 formes post-modernes 28 potentiel jamais satisfait 77 Prefuse 73 132 présence féminine 80 Killah Priest 75‑76 Pierre Prieur 136 Stephen Prince 31, 44 The Prodigy 98 production 74 progrès continu idéologie du progrès continu 29 projection 47 promo. Voir clip publicité 39, 91, 108, 123, 125 cinéma 80 clip 78 consommation de la publicité 80 industrie de promotion de l’industrie 39 rôle 78 Giacomo Puccini 50 Pulse 51

151


LES CLIPS DU LABEL WARP Q Queen 16 R Radar Festival 14 radio 28, 31, 78, 81 rap 21 rationalisation forme rationalisée 79 rationalisation du corps 73 raves 33 rayon x 43 RCA 17 ready-mades 93 réalisation de soi 107 Réalisme Socialiste 115 réalité 44, 91 de l’œuvre d’art 94 effet de réalité 69 fragment 93, 118 illustration de la réalité 106 réalité immanente 46 réalité intangible 41 réalité synthétique 44 réalité virtuelle 44 saisie 45 recombinatoire 94 Tim Redfern 93, 135 Red Snapper 95, 131 réel 117 attributs 103 contraintes 108, 119 coupure. Voir fragment culture 46 fragmenté 44, 47, 104, 118 idée du réel 46. Voir aussi image objectif 118 qui perd son âme 103 suite d’images 43 reflet 43 refrain 79, 82 Godfrey Reggio 111 relation 124 relation changeante 65 relation cohérente 107 relation complexe 89 relation de sens 113 relations mutuelles 15 relation son/image 64 relations simultanées 23 Remind Me 73 rendement 74 Jean Renoir 43 répétition 82‑83, 114. Voir aus‑ si synchronisme automate 65 automatisme 58 boucle 58 destruction de la valeur d’usage 83 forme 79 mémorisation 78

152

parole indéfiniment reproductible 57 publicité 78 réappropriation 77 remise en cause 83 sample 83 visionnage 78 représentation représentation sensible en puissance 46 synthétique 104 réseaux informatiques 28 Resfest 14 rêve 44, 97. Voir aussi chimère Little Richard 17 Richard D. James Album 105 Arthur Rimbaud 59 Herb Ritts 114 RND#24: Artificial Words 40 Rob Young 22 rock 21 hard rock 102 Mark Romanek 125 James Roosevelt 18 Barnaby Roper 74 Félicien Rops 72 James Rosenquist 93 Jacques Rousseau 91 Röyksopp 73 Mike Rubin 101 rupture idéologie de la rupture 29 Luigi Russolo 92 Alexander Rutterford 48, 51, 132 rythm ‘n’ blues 21 rythme 69, 112, 116 rythme visuel mécanique 27 S Sabres Of Paradise 130 sample 83. Voir aussi échantillon sampler 40, 92. Voir aussi échantilloneur caisse de disque numérique 92 sampling 89, 92‑93, 108. Voir aussi échantillonnage sampling visuel 93 trois formes 92 Sam Tootal 133 Michael Sandison. Voir Boards Of Canada Sans Titre 136 M. Sayyid 75 scepticisme 43 Cecile Schott. Voir Colleen science-fiction 43 Scopitone 16‑18 Second Bad Vilbel 33, 35‑39, 130 Stephane Sednaoui 125 Seefeel 130 self-control 107

sexe 79, 82, 117 fins capitalistes 82 Shake 23 Adrian Shaughnessey 83 Sheffield 20‑21, 71 Alastair Siddons 16 silhouette 76 automate 76 Silly Symphonies 17, 118 similarité 15 single 19, 79, 81, 84 David Slade 33, 82, 130 Sleater-Kinney 41 slogan 79 Gary Smith 129 Jeff Smith 7, 14, 80 société 103 stabilisation 77 totalitaire 107 solfège 30 Some Kind Of Kink 95, 131 son traduction visuelle 61 troisième dimension 42 Pierre Sorlin 14, 20 Soundies 17‑18 spectrogramme 107 Sphinx 90‑91 Steven Spielberg 44 Spokes 59 Squarepusher 95‑97, 130 Carl Stalling 118 star 45 création artificielle 45 Star Wars 98 Susan Stewart 108 stockage 77, 123 refus du stockage 83 Karlheinz Stockhausen 52 The Streets 16 structure structure volumétrique en trois dimensions 42 subjectivité 118 subversion 82‑83 subversion culturelle 108 Such Great Heights 39 Super Positions 66‑67, 137 support cd 31, 52 dématérialisation du support 112 dvd 14, 22, 31, 52, 84 surf-movie 114 surface 116 surréalisme 94 surveillance caméras de surveillance 40 Sweet Exorcist 32, 129 symbolisme 59 synchrèse 68 synchronisation 36, 118 ancrage 69


INDEX difficulté 17 légère distance sémantique 67 mickeymousing 67 point de synchronisation 42, 61 postsynchronisation 66 présonorisation 67 synchrèse 68 synchronisation ponctuelle 68 synchronisme 65‑69 dire la même chose 65‑66 synergie 81 synesthésie 58‑64, 117 art synesthésique 65 critique 65 fusion synesthésique 58 personne synesthésique 65 synthèse représentation 104 synthétiseur 40, 48 T Philip Tagg 23 Frank Tashlin 17 tavoletta 47 Timothy D. Taylor 30 technique 34‑35 technique automatique 58 technique de synthèse 48 techno 21, 27, 32, 74, 82, 101. Voir aussi technologie ambient techno 82 détournement 40 hardcore techno 98 technologie 27, 35, 48, 92 dernières technologies 29 nouvelles technologies 28, 106, 123 objet technologique 32 société technologique 34 technologie numérique 123 technologies numériques 31, 47 utilisation créative 97. Voir aus‑ si échantillonnage technology. Voir technologie téléchargement 69 télégraphe électrique 28 téléphone 28 télévision 14, 28, 31, 35, 47, 78, 99 temps trace du temps 112 usure temporelle 57 Jimi Tenor 131 Testone 32, 33, 129 tête 95 tête parlante 57 That Track 51 théâtre 116 The Buggles 104 The Campfire Headphase 109 The City 134 The Coast Is Always Changing 134

The Dice Man. Voir Aphex Twin The Duke Of Harringway. Voir Squarepusher The Girl Can’t Help It 17 The Launching Of Big Face 66‑67, 137 The Postal Service 39 The Return Of Super Barrio 137 Thriller 16 THX-1138 51 Tied Up 130 To 137 Dick Tomasovic 108, 118 Total Devastation 131 Trans Canada Highway 14 Trans Canada Highway E.P. 110 transcodage 66 transmission par satellite 31 transparence 115 trip-hop 95 Trois Âges de la vie 110 Tron 51 trucage 47 tube 31, 81 Andy Turner 64. Voir Plaid typage 117 typographie 114 art typographique 115

visage 82, 104 Aphex Twin 95, 99, 105, 107‑108 visualisation 46 visual jockey 64 Vitaphone 17 VJ. Voir visual jockey VJing 93, 125. Voir aussi visual jockey Vogue 61 vol de fragments 92 Volkswagen publicité 36 volumetric pixel 48 voxels. Voir volumetric pixel Voyelles 59 vraisemblance 119 vues Lumière 16

W Andy & Larry Wachowski 43, 51 Michael Wadleigh 17 Wagon Christ 70 Martin Wallace 129 Christo Wallers 134 Markus Wambsganss 68, 132 War Dialer 136 Warner Bros. 81 Warner Records 81 U Warp UA Records 81 signification 21 Ubik 43 Warp Films 22 Umbra/ Penumbra 136 Warp Records 8, 20‑22, 82‑84, union 101, 124 de la musique avec des images 80 dixième anniversaire 71 union naturelle perdue 65 logotype 21, 31, 39 United Artists 81 son Warp 22 univers Warp X 22 univers virtuel 41 Web design 22 Untilted 48 Western Electric 17 white labels 20 V Robbie Williams 83 valeur Wilmot 130 valeur statutaire 77 Windowlicker 29, 33, 94, 104‑107, Edgar Varèse 52 131 Verbal 51 Gaby Wood 57 Carol Vernallis 7, 14‑15, 64, Woodstock 17 74‑75, 89, 102, 114 Dziga Vertov 115 X Viacom 19 Iannis Xenakis 52 Luke Vibert 33, 70 Z vidéo 13, 43, 112 Zala 138 vidéo-clip. Voir clip Zeal 59‑65, 133 vidéoclip. Voir clip Zn Zero 137 Videodrome 103 Diego Zuelli 133 Video Killed The Radio Stars 104 vidéo musicale. Voir clip Nick de Ville 72 ville ville fantôme 101 Léonard de Vinci 46 violence 80, 82

153



Table des matières

Remerciements

4

Sommaire

5

Introduction

7

Avertissement : média et media

9

Préliminaires

13

Le clip n’est pas du cinéma

13

Du mythe à l’histoire

16

Le non-conformisme de Warp Records

20

Le flirt technologique

27

Nouvelles images, nouveaux sons et perte de repères

27

La technologie numérique

29

Technè, Ars, Science, Technology, Design : un flou à se réapproprier

34

De l’image virtuelle à l’image synthétique 40 Images et sons synthétiques 45 Automates : l’union

57

La fusion synesthésique 58 Synchronisme, synchrèse et ancrage 65 Synchronisme corporel et mouvements mécaniques 69 Synergie et fusion de l’objet et de sa publicité

78

Warp : discourir de la répétition contre la répétition du discours

82


LES CLIPS DU LABEL WARP

Chimères : le divorce

89

La chimère : entre rêve et cauchemar

90

Les chimères et le sampling

92

Collages, du réel à la fiction et de la chimère à la réalité

93

Avatars et dématérialisation du corps

104

Bien plus qu’une greffe d’image : la chimère multimedia

108

La forme du clip : de la fragmentation au formalisme

114

Authenticité et glue musicale

117

Entre fusion et fragmentation : le clip

123

Clipographie

129

Références

139

Index

147

Table des matières

155

156




Achevé d’imprimer à Liège le 15 août 2006 Typographie : Adobe Garamond et Frutiger Mise en pages sur Adobe InDesign cs2



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