MILIEU-CHANTIER : Utopie d'un roulement de la ville sur la ville

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MILIEU-CHANTIER Utopie d'un roulement de la ville sur la ville

MÊmoire de master Situations par Lisa Martin sous la direction d'Éric Watier et la co-lecture de Yannick Hoffert



École Nationale Supérieure d'Architecture de Montpellier Mémoire de master Situations

Lisa Martin Sous la direction d’Éric Watier Avec la co-lecture de Yannick Hoffert

MILIEU-CHANTIER Utopie d'un roulement de la ville sur la ville

Soutenu le 21 janvier 2020 Membres du jury Éric Watier – Directeur d'étude, enseignant à l'École Nationale Supérieure d'Architecture de Montpellier Laetitia Delafontaine – Enseignante à l'Esba-MoCo Yannick Hoffert – Enseignant à l'École Nationale Supérieure d'Architecture de Montpellier Célia Picard – Enseignante à l'École Nationale Supérieure d'Architecture de Montpellier



REMERCIEMENTS

Avant toute chose, je tiens à remercier particulièrement Éric Watier – mon directeur de mémoire à l'École Nationale Supérieure d'Architecture de Montpellier – pour son pragmatisme dans la simplification essentielle des propos de ce mémoire, et pour sa patience dans cette tâche difficile. Merci pour tous ses conseils que j'ai tenté de suivre au mieux. Je remercie Julie Newels – responsable du cours méthodologie de mémoire à La Cambre-Horta à Bruxelles – pour son accompagnement dans la définition et dans la problématisation de mon sujet de recherche. Je remercie également Yannick Hoffert – enseignant à l'École Nationale Supérieure d'Architecture de Montpellier dans le domaine Situations – pour le temps précieux qu'il m'a accordé sur un sujet qu'il connaissait et pour la pertinence des réflexions qu'il a su m'apporter. Ma reconnaissance va aussi à Nicolas Coeckelberghs – un des coopérateurs de BC architects, studies & materials à Bruxelles – pour la visite de leur lieu de travail et pour les réponses apportées sur leur pratique de l'expérimentation par le chantier. Merci à Maarten Gielen – un des coopérateurs de Rotor – pour son accueil et la visite réalisée sur le site de Rotor Deconstruction à Anderlecht. Un grand merci à Jean-Paul Laurent – enseignant à l'École Nationale Supérieure d'Architecture de Montpellier dans le domaine Situations et ingénieur structure – pour ces éclaircissements sur le système de production actuel et son accompagnement tout au long du S9. Ces entretiens et visites m'ont permis d'ouvrir les yeux sur un métier que seul la pratique peut faire connaître. Ils ont été d'une richesse incroyable dans les réflexions de cet exercice de recherche et y ont apporté un aspect concret indispensable. Une pensée particulière à l'ensemble du studio Situations – étudiants, intervenants et enseignants – pour les questionnements soulevés, les expériences réalisées, l'espoir donné sur une architecture résiliente et le partage de valeurs bienveillantes durant ce S9. Et enfin, un tendre merci à Valentin – jeune architecte et ultime (re)lecteur – pour son nécessaire soutien et son accompagnement quotidien.

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PRÉAMBULE

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PRÉAMBULE

Je me suis toujours posée beaucoup de questions sur le sens de ce que l'on était en train de construire. Sans vraie réponse, je n'ai jamais réellement compris comment l'Homme pouvait être à la fois l'être le plus intelligent et le plus destructeur1. La situation catastrophique dans laquelle nous sommes aujourd'hui interroge autant notre responsabilité passée que le rôle que nous avons à tenir pour l'avenir. Ces deux dernières années de master ont été l'occasion pour moi de me positionner sur l'architecture de réemploi. L'année d'Erasmus à Bruxelles comme le S9 dans le domaine d'études Situations m'ont permis d'engager une recherche nécessaire autour du Cycle de la Matière2. En effet, nous devons renverser au plus tôt notre manière de construire : une réévolution3 considérable du secteur de la construction doit se faire pour repenser notre usage de la matière. En tant qu'architecte future, ce mémoire entame ainsi une réflexion sur cette future pratique. Il est l'opportunité pour moi d'essayer de comprendre comment m’insérer et comment matérialiser les projets de l’après. Je souhaite remettre en question l’emploi décontextualisé du catalogue d’architecte, ouvert pour décider de la consistance d’un projet. C'est ici un chantier personnel autour de la pensée du construire, et plus largement de celle d'une matière grise à collecter. Je suis certaine que la ré-évolution souhaitée est en lien étroit avec l'introduction d'une matière située dans le processus de conception, et qu'elle pourra alors revaloriser la matière de nos villes. Je pars du principe que cette re-matière4 doit être pensée à travers l'usage raisonné de sa disponibilité : son emploi comme le réemploi de ses matériaux doivent s'envisager localement. Mon rôle d’architecte future est ainsi questionné dans l'intégration d'une démarche de réemploi et dans la transposabilité des éléments employés. Quelle architecte ai-je envie d'être ?

1 Jean-Robert Viallet. L’Homme, destructeur de la Terre. Paris : Arte, 2019. 1 heure 39 minutes. 2 Appel à projet du Cycle de la Matière lancé par le Ministère de la Culture et étudié pendant le S9 dans le domaine Situations. 3 Le secteur du BTP n'a cessé d'évoluer et est à la fois le premier consommateur de ressources naturelles minérales comme le premier producteur de déchets : plus de 440 millions de tonnes de granulats extraits et plus de 260 millions de tonnes de déchets produits par an. Il est indispensable aujourd'hui d'entamer sa ré-évolution. 4 La matière employée doit être réemployée aujourd'hui mais aussi réemployable demain.

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TABLE DES MATIÈRES

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INTRODUCTION ................................................................................................................. 9 I - L'ESPACE DES CHOSES Ex nihilo .................................................................................... 14 A - CONTEXTE D'INDUSTRIALISATION ....................................................................................... 16 MATIÈRE(S) DE L'INDUSTRIE DU DÉCHET ...................................................................... 16 L'HOMME À L'HEURE DU JETABLE ................................................................................. 21 CULTURE D'UNE SOCIÉTÉ MARCHANDE ........................................................................ 29 B - MUTATION DE CULTURE CONSTRUCTIVE ............................................................................ 33 II - ÉTAT DES CHOSES Ex nihilo nihil fit ............................................................................. 36 A - NÉCESSAIRE RESSOURCE ...................................................................................................... 38 FORMALISATION DU RÉ-EMPLOI ................................................................................... 38 RECYCLER LE RÉEMPLOI ................................................................................................. 43 B - NÉCESSAIRE RECHERCHE ...................................................................................................... 44 FORMALISATION DU RE-PENSÉ ..................................................................................... 44 III - DE L'ESPACE AU MI-LIEU Matière en chantier ............................................................ 52 A - REPASSER À UN ÉTAT STABLE .............................................................................................. 54 MILIEU (OPPORTUNISTE) ............................................................................................... 55 CHANTIER (OPPORTUNISME) ......................................................................................... 56 B - MOMENT-CHANTIER ............................................................................................................ 63 IV - MILIEU-CHANTIER In situ in vivo ................................................................................ 66 A - MATIÈRE(S) DE CHANTIER POTENTIELLE ............................................................................. 68 MAGASIN (DE CHANTIER) - figure 1 ............................................................................... 73 RÉSEAU (INTER-CHANTIERS) - figure 2 .......................................................................... 77 MANUFACTURE (DE CHANTIER) - figure 3 ..................................................................... 87 B - CONSTRUIRE LA SITUATION ENSEMBLE ............................................................................... 97 V - MATIÈRE GRISE Par, pour et avec le milieu ............................................................... 100 A - ARCHITECTE DE MILIEU ...................................................................................................... 102 RÉADAPTATION DE MÉTIER(S) D'ARCHITECTE ............................................................ 102 LE NON-CATALOGUE DE L'ARCHITECTE DE MILIEU .................................................... 104 B - ARCHITECTURE DE PROCESSUS .......................................................................................... 106 INFINIE RECHERCHE ..................................................................................................... 106 ARCHÉOLOGIE DES SAVOIRS ET DU FAIRE .................................................................. 110 MODÈLE-MATIÈRE EN MOUVEMENT .......................................................................... 113 ÉDUCATION CONSTRUCTIVE À LA NON-CONSTRUCTION ........................................... 116 CONCLUSION ................................................................................................................. 119

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INTRODUCTION

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INTRODUCTION

Aujourd’hui, il faut changer radicalement notre manière d’habiter la Terre5. Et pour nous architectes, notre manière de la construire6. L’architecte a – depuis trop longtemps – mis des distances avec la matière qu'il emploie. Premièrement, l'industrialisation des débuts de la révolution industrielle en est l'une des principales origines et continue de dessiner l'écart de l'Homme à son milieu. Elle a transformé notre rapport à la matière, à l'environnement et à nous-même. Ensuite, la mondialisation a mis de côté la notion même de milieu. Le local a laissé place au global, au marché consumériste et standardisé de l'import-export : les matières sont délocalisées, parcourent des milliers de kilomètres, subissent de nombreuses transformations, consomment toujours plus d'énergie et deviennent aussitôt déchets. Un usage déraisonné qui entraine des réactions en chaîne ayant des conséquences multiples sur notre environnement : surexploitation des ressources, extraction massive, destruction des écosystèmes, effondrement de masse, dérèglement environnemental dû à l'énergie grise etc. C'est l'ère de l'anthropocène, ère d'un déséquilibre environnemental, écologique et politique... On produit sans compter des objets neufs, prévisibles et strictement maîtrisables. Une économie linéaire du chacun sa place où tout est automatisé : séparation des tâches, division des responsabilités par relation contractuelle, disparition du rôle d'artisan pour celui d'exécutant, normalisation accrue, disparition du rôle de bâtisseur pour celui de concepteur, mise à distance du chantier etc. L'Homme et la matière sont des produits où l'industrie est devenue la norme. L’enjeu pour l’architecte d’aujourd’hui – non d’être tout autre que celui d’il y a cinquante ans7 – est marqué par l’urgence. Une urgence face à la limite finie de nos ressources, celle aussi du passage d'un point de non-retour. Une prise de conscience s'est faite sur le réemploi aujourd'hui. Elle nous guide vers un rôle à tenir. Nous sommes au début du XXI° siècle et de réels changements semblent enfin s'opérer. Le réemploi se formalise. Les déchets issus de la démolition-déconstruction sont de nouveau, potentiellement ré-exploitables8. Dans ce mémoire nous envisagerons les nouveaux rapports à la matière et plus particulièrement à celle du sur place. Il est temps de recontextualiser le catalogue de 5 Yona Friedman. Comment habiter la terre. Paris : Éditions de l’Éclat, 2016. 6 « Le secteur européen de la construction représente, à lui seul, près de 50 % de la consommation des ressources naturelles et près de 40 % de la production des déchets sur l’ensemble du territoire européen. » Ressources : Le portail de la récup’ et de la valorisation. Mundo Namur : Fédération des entreprises d’économie sociale actives dans la récupération, le recyclage et la valorisation des ressources. Web. http://www.ressources.be/fr - dans l’onglet Les filières - Matériaux de (dé)construction. 7 William McDonough, Michael Braungart. Cradle to Cradle : Créer et recycler à l’infini. Paris : Éditions Alternatives, 2011. 8 Directive n° 2018/851 du 19/11/08 modifiant la directive 2008/98/CE relative aux déchets.

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l’architecte. Pour ce faire, nous étudierons trois acteurs-architectes dans leurs rapports particuliers à la matière première. Ces architectes sont : Bellastock, Rotor et BC architects. Leurs postures variables appuient l’existence et l'emploi d'une matière première seconde, celle du réemploi. Ces études de cas se concentrent sur la France et la Belgique et sont de potentiels projets pilotes capables de faire changer de paradigme, le secteur de la construction. En effet, ces acteurs réintroduisent le rebus au rang de ressources disponibles. Ils la repensent et replacent au sein du processus de conception. Soutenus par l’Union Européenne et des institutions publiques, ces architectes tentent de renverser les codes du catalogue normalisé de choix en une véritable éthique du faire. Nous verrons à travers ces études de cas, l’apparition de trois figures d'un milieu-chantier capables de faire évoluer le secteur de la construction bénéfiquement : le magasin de chantier, le réseau inter-chantiers comme métabolisme urbain et enfin, la manufacture de chantier. Nous nous demanderons ainsi : Le (ré)emploi d’une matière architecturale située9 dans le processus de conception, peut-il faire évoluer le secteur de la construction en un milieu résilient ? Et ce, sous le cas particulier du chantier et des interrelations qu’il a perdu un temps. D’une part, nous entendrons par matière architecturale l’ensemble des matières, matériaux et édifices promptes à être (ré)employés. Pour simplifier, nous utiliserons souvent le terme matière pour définir cet ensemble de ressources disponibles. Puis nous entendrons par milieu résilient l’ensemble des composantes (acteurs, ressources, construits…) unies par une localité acceptable et liée à des transports limités. Il s'agira d'un ensemble d’organismes en interrelation géographique : celle d’un territoire, d’une région, d’une ville, d’un chantier. Nous nous attacherons ainsi à la définition biologique du terme milieu comme "ensemble des éléments matériels et des circonstances physiques qui entourent et influencent ou conditionnent les cellules, les organismes vivants10". Nous partirons des hypothèses qui suivent. Le milieu doit être source de reconstruction. Le processus conception-réalisation doit être pensé en corrélation d'un gisement local. La matière employée par l’architecte doit être située. Et, le chantier doit être vu comme le lieu des possibles. Nous nous intéresserons ainsi particulièrement à la notion hypothétique et engagée de milieu-chantier. L’idée est de la définir et d’en démontrer l’importance dans les enjeux qui nous concernent tous, architectes.

9 La matière architecturale située est propre à un gisement, au sein d’un milieu. Elle concerne ainsi les ressources premières (matières extraites du sol), les ressources secondes (matériaux issus des matières transformées et extraits des bâtiments lors d'une déconstruction sélective par exemple) et les ressources construites (bâtiments latents capables d'être réhabilités ou reconstruits). 10 Cnrtl. Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales. Web. https://www.cnrtl.fr/definition/milieu

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MATIÈRES DU MÉMOIRE

Le plan de travail se présente de la manière suivante : Nous nous intéresserons en première partie au contexte de perversion de la matière à l’ère de l’anthropocène. De la dureté du cadre réglementaire à la contamination des produits industriels en passant par l’éloignement progressif de l’artisan : le secteur de la construction s’est éclaté et ne peut donc (plus) fonctionner comme un milieu résilient. En seconde partie, nous ferons un point sur le statut du réemploi dans le contexte normé et industriel de l'actuel secteur du bâtiment. Nous évaluerons son état à l'aide des trois auteurs-architectes choisis comme études de cas : Bellastock, Rotor et BC architects. Des acteurs qui font bouger les lignes des textes normatifs en produisant des guides pour la reconstruction du secteur. Troisièmement, nous reviendrons sur la définition de milieu et la résilience qu’il sousentend ici. Nous le verrons comme une énergie déjà fournie et par conséquent à entretenir, réparer, suturer ou déconstruire dans le pire des cas. Nous ferons également un point sur le statut actuel du chantier et nous le définirons progressivement comme une opportunité de recontextualiser les projets à un milieu. Les études de cas permettront d'illustrer les processus de chantier en place. Nous établirons par la suite l'existence d'un milieu-chantier et des trois figures qu'il sous-entend. Nous analyserons ces trois figures à travers les études de cas choisies capables de faire évoluer le secteur de la construction bénéfiquement. Le magasin de chantier (Rotor Deconstruction), le réseau inter-chantiers comme métabolisme urbain (Plaine Commune et Bellastock) et enfin, la manufacture de chantier (BC materials). Cette partie constituera l'intention centrale de ce mémoire et tentera de mettre en lumière des dispositifs résilients. Dernièrement, nous poserons la question de l’avenir du réemploi à travers l’emploi11. La matière employée aujourd’hui se doit d'être un jour (re)transposée ailleurs. L’idée est d’envisager le cadre dans lequel nous nous insèrerons en tant qu’architecte et de comprendre comment y parvenir dans ce modèle en mouvement. Cette ultime partie s'ouvrira sur deux états d'une importance fondamentale : l'architecte de milieu et l'architecture de processus. Ces états appuieront une certaine conscience territoriale : celle d'un lieu, d'un temps vécu et de ses relations.

11 Avant le réemploi, il y a d’abord le présent de l’emploi qui doit donc assurer la possibilité d’un ré- futur.

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I. ESPACE DES CHOSES12 Ex nihilo

12 Cette partie fait l'état du contexte : Pourquoi et comment en est-on arrivé là ?

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I - L'ESPACE DES CHOSES Ex nihilo La ville a toujours été une mine de ressources pour sa propre reconstruction. Chaque pierre était utilisée et réutilisée infiniment et ce, depuis bien longtemps. Les Romains réutilisaient déjà celles des temples grecques pour construire leur cité in situ. Et des années plus tard, on en retrouvait même dans les édifications telles que les églises ou certaines vieilles maisons de maîtres. En somme, toute matière était bonne à prendre et à reprendre. La ville résonnait ainsi comme un chantier permanent, en mouvement. Un ensemble d’éléments y étaient transposables et nous y ressentions d’autant plus la notion même de milieu. A - CONTEXTE D'INDUSTRIALISATION

MATIÈRE(S) DE L'INDUSTRIE DU DÉCHET Le réemploi a commencé à disparaître quand le déchet est devenu une caractéristique intrinsèque de son emploi. L'Homme a perdu la main sur la matière. Simple déchet. Le terme de déchet apparaît à l'ère industrielle. Par définition il est "altération en volume, quantité ou qualité subie par une chose pendant sa fabrication, sa manipulation ou sa mise en vente13". Au-delà d'être chute, il désigne aujourd'hui le statut ultime de tout produit. Sa définition passée et son statut actuel marque une évolution vers une société de produit. 13 https://www.cnrtl.fr/definition/déchet

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Malgré cela, le déchet est longtemps resté la simple « quantité perdue dans l'emploi d'un produit14 ». Il était alors strictement résiduel et ses caractérisations étaient plurielles : ordures, gadoues, raclasses etc. Un vocabulaire riche qui avait, d'une part l'avantage de préciser le déchet en question, et aussi d'une autre d'en permettre sa récupération. Il s'agissait alors d'un « reposoir de détritus réutilisables » puisque précisé. En somme, chaque déchet avait une dénomination équivalente à sa réutilisation. Dès la fin du XIX° siècle, le contenu du mot déchet laisse entrer tout et n'importe quoi dans les poubelles du préfet de même nom, comme le précise Jean Lebrun. Cette évolution radicale est la conséquence de l'industrialisation comme de l'expansion de ses secteurs. L'hygiénisme montant rend sale ces détritus multiples qui s'entassent et se mélangent. Comme ils ne sont plus à l'air libre, ils finissent par ne faire qu'un et n'être que déchet. À cette époque ville et campagne se séparent, se fracturent et n'ont plus d'action l'une sur l'autre. Les matières premières s'importent et le milieu n'est plus la stricte ressource. Le début du XX° siècle transforme peu à peu le déchet en l'inutile. Et comme l'appuie Jean Lebrun : « C'est presque un paradoxe, tout de même : c'est au moment où les villes consomment de plus en plus qu'elles prennent l'habitude de perdre presqu'autant. » Le consumérisme de masse a qualifié d'inutile une partie de la matière disponible. Une fracture s'est créée entre le neuf et l'usagé, entre le à prendre et le à jeter. L'invention des déchets a fini par rendre erronée la notion de métabolisme urbain. Comme le soulève Sabine Barles15 – professeure, chercheure et ingénieure en génie civil spécialisée dans l'étude du métabolisme urbain, invitée par Jean Lebrun – l'entremêlement de la ville à l'agriculture s'est rompu par l'industrialisation. On a perdu complétement le système de valorisation et de complémentarité qui existait alors entre les deux, jugé insuffisant pour répondre à la demande industrielle. Une fracture s'est créée entre culture et nature. L'Homme devient maître de son environnement et l'exploite sans pour autant le réutiliser. Sa gestion strictement efficace et rentable des flux du métabolisme urbain a mené à la perte de valeur des sous-produits urbains. De plus, « La dévalorisation des excrétas urbains à partir de l'entre-deuxguerres contribue à la dégradation de l'environnement, comme à l'épuisement de certaines ressources : à la linéarisation du métabolisme urbain, en somme16. » La production-distributionconsommation de biens industriels – où « 300 kg de nature sont nécessaires pour produire 10 kg de produit industriel17 » – a fini par rejeter la notion de récupération. Nous observons alors une proportion nature-produit qui montre l'inefficacité de l'industrie dans sa rentabilité matérielle. L'apparition de la matière-plastique entre les mains de l'Homme a forcé ce dernier à abandonner les matières-autres à l'environnement. L'énergie consommée par les villes a été décuplée par la délocalisation des industries et l'import-export aussitôt nécessaire. 14 Jean Lebrun. « Depuis quand, les déchets ? », La Marche de l'Histoire. France Inter. 27 mars 2019. 28 minutes. 15 Id. 16 Julien Choppin, Nicola Delon. Matière grise : matériaux, réemploi, architecture. Paris : Pavillon de l’Arsenal, 2014, p. 39. 17 Ibid., p. 18.

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L'industrie humaine a étendu son contrôle sur la nature sans même se soucier des conséquences sur l'Homme, la matière et son milieu. Matière folle. Nous savons que plus le matériau est complexe, plus nous utilisons de l'énergie (grise) et plus nous aurons besoin d'énergie pour sa transformation ultérieure (recyclage) d'après le livre Matière grise. L'énergie grise, ou l'énergie incorporée par l'élément désigne alors la quantité d'énergie nécessaire à la production et à la vie de ce produit comprenant ainsi la conception, l'extraction des matières premières, le transport, la transformation, la fabrication, l'usage et le recyclage de toute matière. Elle précède et succède tout produit. Les enjeux environnementaux actuels montrent un manque de prise de conscience sociétale quant à l'impact de cette production complétement grisée. La matière est devenue folle. Il faut aujourd'hui la cadrer, la limiter.

En entrant dans un processus industriel, la matière est devenue produit. Linéairement, elle est par la même occasion devenue un déchet. Il est primordial aujourd'hui d'envisager le cycle de vie matériel pour (re)assurer la permanence du métabolisme urbain. La rupture nature-culture qui s'est créée avec l'avènement des produits industriels, a fini par faire sentir les limites de la Terre en rendant inopérationnel la notion même de réemploi. L'industrie du déchet en naissant a fait croire à la possibilité d'une production sans limites, à l'existence d'une matière infinie.

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18 La matière première est extraite massivement dès les premiers siècles d'industrialisation. Industriellement transformée, elle devient un matériau de construction de plus en plus énergivore.

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L'HOMME À L'HEURE DU JETABLE En même temps que la matière s'est éloignée de la main, les hommes se sont aussi distancés. L'industrialisation et la mécanisation a eu un impact considérable sur la distanciation entre les acteurs de projet. Les rapports architecte/acteurs de projet et chantier/matière ont ainsi été bouleversés. L'architecte à l'heure du jetable. Ainsi avant toute chose, il est important de revenir sur la figure de l'architecte. Ce dernier semble avoir subi ou être responsable en partie de l'éloignement de la matière au projet. Aujourd'hui, le choix matériel n'a que peu de conséquences sur la conception architecturale et les propriétés matérielles qualitatives ont été oubliées19. À la Renaissance, l'architecte était un maître-bâtisseur responsable d'une mise en forme située, par des savoir-faire localisés. Ses codes de représentation étaient alors bien loin de ceux de l'architecte-concepteur d'aujourd'hui. Il allait dans les carrières de pierre choisir la matière première jusqu'à sa transformation progressive sur chantier. Les projets prenaient forme au fils du temps par cette construction sur site. Les chantiers des cathédrales par exemple, n'étaient en aucun cas pensés dans leur ensemble mais issus d'un assemblage successif savamment observé et guidé par le dit maître, sagement accompagné de ses hommes de savoir-faire. On ne peut dire que cette forme de projet faite de maître et d'hommes est essentielle. L'architecte ne doit plus être maître de rien. On comprendra cependant que la coévolution entre société et profession d'architecte a fini par marquer l'éloignement de la matière aux mains des hommes comme des mains aux hommes. Cette distanciation a ainsi commencé à la Renaissance où la conception est devenue petit à petit indépendante de la construction, et s'est amplifiée bien plus tard quand l'industrialisation a eu un impact grandissant sur la construction : forme et dessin ne s'inscrivent plus directement dans la matière mais adaptent la réponse matérielle aux lois de l'exécution (cahier des charges, réglementations etc.). L'ouvrier à l'heure du jetable. Dès le début de la révolution industrielle, un fossé se creuse peu à peu entre les différents acteurs de la construction : « Sur les sites où se déroule l’extraction et ceux où s’effectue la production des éléments, le modèle des artisans propriétaires de leurs outils de production cède progressivement la place à la relation contractuelle établie entre un employeur et des travailleurs salariés20. » La pré-industrialisation chamboule l’art de bâtir et l’artisanat se perd progressivement : « le travail devient une marchandise parmi d’autres21 ». Le XX° siècle 19 La plupart des bâtiments construits aujourd'hui ont une structure de béton avec une double-peau en façade. Ces boîtes étanches généralisées ne profitent plus de la perspiration propre à certains matériaux par exemple, et sont assistés en permanence (ventilation mécanique, climatisation, chauffage centralisé etc.). 20 Michaël Ghyoot, Lionel Devlieger, Lionel Billiet, André Warnier, ROTOR. Déconstruction et réemploi : Comment faire circuler les éléments de construction. Bruxelles : Presses polytechniques et universitaires romandes, 2018, p. 112. 21 Id.

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marque par la suite une rupture brutale avec la notion de récupération sur chantier. Tout s’est uniformisé, standardisé, réglé et figé. L’industrialisation, la globalisation et la normalisation poussent le secteur de la construction à se codifier toujours plus. Apparue dès la fin du XVIII° siècle, cette ère de changement donne lieu à un nouveau paradigme architectural : celui de la vitesse. Un « paradigme industriel et tayloriste22 » selon Julien Choppin et Nicola Delon. Le service est remplacé par du temps-court. Le toujours plus vite laisse de côté les savoir-faire pour un travail à la chaîne bien plus rentable. La main d’œuvre se voit payée à l’heure, plutôt qu’au forfait. L’artisan disparaît au profit de la mécanisation. La machine précise et rapide vient soutenir et paradoxalement éradiquer le travail manuel et humain des ouvriers. La machinalisation préfigure alors la production de masse comme l'explique le documentaire L’Homme, destructeur de la Terre23. Le progrès plonge ainsi la matière dans une innovation technologique infinie et sérielle, l’éloigne par la même occasion de la main de l’Homme et chamboule son utilisation sur chantier. En effet, la complexification matérielle simplifie paradoxalement sa mise en œuvre : « La décomposition en postes fixes d’un processus de production complexe simplifie considérablement la notion de travail24. » Cependant elle complique aussi sa déconstruction ultérieure. Les matériaux composites, les bétons monolithiques criblés de tiges métalliques, les modes d’assemblages fixes et les dérivés du pétrole s’éloignent de la substance même de la matière. Ils rejoignent par conséquent difficilement les filières de déconstruction sélective. Composée de tout et de rien, leur forme matérielle plurielle en fait des matériaux intrinsèquement obsolètes. On observe ce que Michaël Ghyoot appelle le « formatage des matériaux de construction25 ». Un formatage qui rend quasi impossible leur réemploi puisqu'il éloigne l'Homme de ses savoir-faire culturels et le contraint à une technicité matérielle exagérée et souvent incompréhensible. Ainsi, le cheminement de la matière s’est vu perverti par le cadre réglementaire de son secteur d’application. Un secteur qui est grandement influencé par le monopole industriel. On ne parle plus qu’en terme de performance, de temps-court et de coût. On ne voit plus de progrès que dans la croissance et l'économie. Dans les deux pages qui suivent, une frise réalisée à partir de l'article de Pierre Chemillier en illustre la cause. Le besoin de reconstruction après la guerre de 1939-1945 a induit une forte industrialisation et une réglementation économique et politique de l'acte de construire. L'urgence de ce temps-là a poussé la production architecturale à s'intensifier et à s'uniformiser.

22 Julien Choppin, Nicola Delon, op. cit., p. 32. 23 Jean-Robert Viallet. L’Homme, destructeur de la Terre. Paris : Arte, 2019. 1 heure 39 minutes. 24 Michaël Ghyoot, Lionel Devlieger, Lionel Billiet, André Warnier, ROTOR, op. cit., p. 113. 25 Michaël Ghyoot. « Le concepteur et les matériaux de construction – Éléments de réflexion pour une reconfiguration des circuits de l’économie matérielle par les pratiques architecturales contemporaines. » Thèse sous la direction de Jean-Louis Genard. Université Libre de Bruxelles – Faculté d’Architecture La Cambre Horta, 2013-2014, p. 19.

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Frise réalisée à partir de l’article de Pierre Chemillier : L’épopée de l’industrialisation du bâtiment après la guerre 1939-1945.

Après 1914-1918 Début du débat sur l’industrialisation du bâtiment. Pionniers impressionnés par les résultats atteints par l’industrie automobile et aéronautique Maison en série, préfabrication partielle en usine, recours à matériaux modernes : Walter Gropius, Henri Sauvage, Jean Prouvé, Le Corbusier, Auguste Perret...

1946-1947 Chantier expérimental de Noisy-leSec, permettant la réalisation de maisons individuelles en préfabrication intégrale. 1944-1946 Reconstruction d’Orléans avec l’architecte Pol Abraham, utilisant des éléments de planchers, de bloc-eau, de blocbaies sélectionnés dans le cadre d’un concours organisé par l’État : le «traditionnel évolué».

Opération LOGECO permettant d’obtenir une aide financière à condition d’utiliser des «planstypes homologués» par l’Administration, pour la construction de maison individuelle ou petit collectif.

1945-1950 Reconstruction du Havre par l’architecte Auguste Perret, appliquant également des éléments sélectionnés. 1951 46 000 logements / an

1950 Concours conception-réalisation pour 800 logements, quai Rotterdam à Strasbourg.

1945 Situation désastreuse du bâtiment en France car peu de construction avant la guerre et beaucoup de destruction : prix du mètre carré élevé, manque de matériel et matériaux, manque de main d’œuvre qualifiée, productivité faible des techniques de construction traditionnelles... Selon les précurseurs, seule l’industrialisation par le report de la production en usine, peut résoudre le problème : remise sur pieds des industries de bases et implication de l’État dans la reconstruction par le financement, en développant le mouvement HLM, en favorisant la mise au point de nouveaux modes de construction par des concours, en encourageant la recherche et la normalisation.

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1956-1957 Politique active d’immigration. Opération «Économie de Main d’œuvre» permettant de sélectionner une vingtaine de procédés de préfabrication : 12 000 logements répartis en opérations de 300 logements et plus.

1952 Attribution d’un marché de 4 000 logements au procédé Camus de construction par grands panneaux de béton, permettant la construction de la première usine de préfabrication à Montesson près de Paris. Création du «Secteur Industrialisé» par le Ministre de la Reconstruction, Claudius Petit, portant sur 12 000 logements par an environ par opérations de 1 000 logements, associant des bureaux d’études afin d’avoir un projet d’exécution très détaillé pour consulter les entreprises, et utiliser des éléments sélectionnés par concours (meubleséviers, portes-planes...). Fin du secteur en 1957

«Préfabrication lourde» : procédés de préfabrication utilisant principalement le béton et émanant de bureaux d’études (BET), gros œuvre incorporant souvent du second œuvre. En concurrence : développement de la technique des coffrages-outils métalliques (tables, banches, tunnels...) pour mouler le béton en place. Pionnier en amenant les machines sur le chantier.

1957 270 000 logements / an


1977 Loi sur l’architecture. Création de la Mission Interministérielle pour la qualité des constructions publiques.

Années 1970 Rejet des formes d’urbanismes des grands ensembles. Création du Plan Construction soulignant l’importance de l’innovation et de la qualité architecturale. Volonté de décentralisation des actions de l’État au profit des collectivités locales.

Organisation par l’État de concours de sélection de «systèmes constructifs» et «composants autonomes». Industrialisation par le composant et création de l’Association Construction et Composants (ACC) : règles de coordination dimensionnelle, «industrialisation ouverte».

1964 360 000 logements / an

1958 Création des Zones à urbaniser en Priorité (ZUP), visant à regrouper les logements à construire afin de limiter les dépenses d’équipements publics. Toutes opérations de plus de 100 logements devait être implantée dans une ZUP, favorisant le développement d’un urbanisme de grands «plans de masse» avec des «tours et des barres» nommé «urbanisme de chemin de grue». Possibilité de passer de gré à gré, après avis d’une Commission nationale, pour les «marchés triennaux» (portant sur 3 années), avec garantie de financement de l’État les 2 et 3ème années.

1968-1969 Un groupement d’entreprises coordonnée par Stribick et les architectes Carrot et Delfante gagne le concours d’État associé à une opération de 15 000 logements : recours à l’utilisation de modèles, projets-types établis par une équipe architecte-entrepreneur et agréés par l’État et groupement des commande. 1969 Lancement par l’État du «Concours Internationale de la maison individuelle» auprès de groupement associant aménageurs, promoteurs, architectes, entrepreneurs. Fin du programme en 1975.

1983 Lancement de l’action «Produits Industriels et Productivité (PIP) visant à promouvoir la fabrication et la vente de composants dans un «marché ouvert» : mobilisation des industriels encourageant la signature de «conventions programmes de fournitures», adaptation des procédures de dévolution des travaux permettant aux entreprises de répondre aux appels d’offres en utilisant des composants (consultation sur avant-projet performanciel), constitution de «catalogues» de composants comportant chacun son «logiciel» d’utilisation.

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Sur-normaliser les hommes. Face à la sur-normalisation d'une haute technicité industrielle les acteurs de projet ont fini par être dépossédés de la consistance du projet. Cette complexification a rendu illisible le rôle de chacun dans le faire avec : a fini par le bannir. De plus, les contraintes techniques, administratives et économiques finissent par reléguer au second plan les véritables préoccupations projectuelles. On a perdu en capacité réflexive constructive. L'établissement de systèmes préconçus a inhibé le foisonnement conceptuel de la question d'usage à un ensemble de réponses préétablies : celles d'un catalogue de conduites matérielles dites standards. Cette standardisation montre le secteur de la construction comme appartenant à un système de croissance global et monopolistique qui fonctionne presque strictement linéairement. Il a pris pour habitude de consommer et de jeter en s'ouvrant au monde et en étendant son emprise.

Aujourd'hui on déconstruit et reconstruit des bâtiments toujours conformément aux règles. On se limite à suivre étroitement les exigences remplies par des éléments industriels. Les normes et les réglementations sont faites de prescriptions standardisées : que ce soit les réglementations incendies, phoniques, thermiques ou sismiques, toutes donnent à utiliser des matériaux industriels dits prescriptibles. Les Eurocodes ne connaissent pas l'exception car il est plus facile d'uniformiser pour appliquer. Ainsi à l'échelle européenne, les matériaux se résument donc à leurs performances. L'uniformisation normative veut assurer une certaine compatibilité des éléments pour faciliter leur circulation. Ce langage universel encadre les échanges de marchandises et décontextualise les systèmes constructifs soumis à des éléments génériques. L'industrie de la construction par son foisonnement de règles a ainsi dissous toute possibilité de singularité et anéanti par la même occasion l'efficacité et la pérennité de tout processus de récupération. Dans ce système, il reste impossible de passer par un processus singulier puisque la « norme européenne (...) définit des tableaux généraux fixant la valeur des contraintes admissibles pour tous ces efforts physiques26 » et rend ainsi généralisable et unifiable toute situation : « La spécification des produits industriels va ainsi par principe à l'encontre de toute polyvalence d'usage dans la construction et, par conséquent, de toute adaptation possible à une autre fonction (...) car l'accord nécessaire des instituts de normalisation et des grandes industries de la construction (...) tend à cette spécification des matériaux pour des usages toujours plus spécifiques27. » Ainsi comme nous l'indique Déconstruction et réemploi : Comment faire circuler les éléments de construction, la conception d’un usage circulaire des ressources a presque disparu, en même temps que l'artisanat, lorsque la normalisation industrielle a redéfini strictement une réalisation d'exécution. La norme qui se lie au catalogue industriel limite donc une quelconque résilience.

26 Michaël Ghyoot. « Le concepteur et les matériaux de construction – Éléments de réflexion pour une reconfiguration des circuits de l’économie matérielle par les pratiques architecturales contemporaines. », op. cit., p. 57. 27 Julien Choppin, Nicola Delon, op. cit., p. 31.

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Normalisation à (re)jeter ? Nous nous demandons aujourd'hui si la passerelle entre l'industrie et l'architecture 28 est encore viable à l'ère du consumérisme de masse. En effet, la première ayant déjà littéralement transformé la seconde, une passerelle de plus semble être encore une fois une fausse solution. Par conséquent, si la subsistance de la matière de (ré)emploi n'a pas sa place dans un système industrialo-normé, il se pose alors la question d'en sortir.

En effet, selon Julien Choppin et Nicola Delon : « L’industrie contemporaine multiplie des procès de recyclage conformes à ses modes de production et de transformation (…) elle préserve sa domination sans partage du secteur du bâtiment et perpétue son modèle économique, capitaliste et monopolistique, et surtout l’essentiel de l’empreinte écologique qui est aujourd’hui la sienne29. » Les acteurs de ce secteur ont plus tendance à essayer de faire moins mal qu’à essayer de faire bien30. L’emploi d’une matière durable non-industrielle comme le réemploi d’une matière existante se fait difficilement contrairement à l'emploi du neuf qui reste bien plus simple. Les matériaux industrialisés et standardisés font ainsi de l'ombre aux usagés issus de bâtiments puisque l'emploi de matériaux seconds de bâtiments comme le réemploi de bâtiments construits sont suspectés de ralentir le temps et de distendre les phasages : ils demandent du temps et de l'attention mais peu d'hommes semblent vouloir ou pouvoir leur accorder. La complexité du cadre normatif en est une des principales origines. Les réglementations sont sans cesse réévaluées et réajustées. Presque écrasés, les hommes se plient aux prescriptions et avec eux la matière rentre dans le prescriptible : « On estime que la somme des textes normatifs pouvant s'appliquer à la construction équivaut à une pile de feuilles de format A4 d'une hauteur de 9 mètres (...) un océan normatif (qui) amoindrit la performance des normes31. » Ces réglementations entretiennent ainsi de nombreux freins qui lassent les concepteurs à la recherche d'une démarche alternative et qui les résignent à laisser de côté le combat à mener face aux administrations. Ils choisissent alors la facilité d’exécution de ce qui est strictement prévisible, industriellement. Dans sa thèse Aperçu des pratiques de réutilisation des déchets dans la construction – Possibilités, opportunités et limites, Michaël Ghyoot le confit : « La nécessité de fournir une description générique est une contrainte lourde. » Le réemploi fait peur et il est dur de changer son image aujourd'hui. Le modèle de notre société a fini de plus par l'éradiquer puisque le système en place demande au réemploi une généralisation de matériaux et de matières toujours « spécifiques, singuliers et situés (…) qui se prêtent mal à une description standardisée et neutralisée32 ». Il est dur de mettre une règle sur

28 Julie Benoît, Grégoire Saurel, Mathilde Billet, Frédéric Bougrain, Sylvain Laurenceau. « REPAR 2 : le Réemploi passerelle entre architecture et industrie. » Étude, Rapport de l’Ademe, Bellastock et CSTB. Collection Expertises, avril 2018. 29 Julien Choppin, Nicola Delon, op. cit., p. 32. 30 William McDonough, Michael Braungart, op. cit., p. 14. 31 Julien Choppin, Nicola Delon, op. cit., p. 150. 32 Michaël Ghyoot. « Le concepteur et les matériaux de construction – Éléments de réflexion pour une reconfiguration des circuits de l’économie matérielle par les pratiques architecturales contemporaines. », op. cit., p. 21.

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l'exception. La normalisation induite par le système réduit donc forcément les possibles, et encore plus loin, inhibe le réemploi. Pourtant jusqu’ici, le savoir est de norme. Il découle d'une norme calquée sur l’industrie et dicte aux hommes d'agir toujours conformément à. Ainsi, par son industrialisation le secteur de la construction ne fait face qu’au connaissable, au réglable et au planifiable. Ceci facilite le respect d’une temporalité horlogée : « les matériaux neufs sont disponibles et prévisibles dans le temps » et sont donc facilement descriptibles « dans le langage du cahier des charges33 ». La standardisation inhibe l'exception et généralise la production. En effet, « l’exigence d’une parfaite prévisibilité – cette abstraction de la temporalité propre à l’état industriel – s’oppose alors au réemploi de ces matériaux aux comportements imprévisibles34 ». Produits neufs et éléments de réemploi s'opposent et ne peuvent ainsi suivre le même parcours. Le système en place n'a pourtant qu'un seul parcours à proposer, celui d'une temporalité de productivité courte et linéaire où le temps est de l'argent. La temporalité économique contraint le secteur à une maîtrise totale de la matière qu'il consomme, où jeter est devenu le geste final de cette maîtrise. La notion de temps s'est tendue et celle de l'espace s'est distendue : « Ainsi le paradigme de l’industrie moderne subordonne le temps à l’espace d’une parfaite prévisibilité et, grâce aux nouvelles technologies de reproduction, simule parfaitement l’imparfait, prévoit l’imprévu, contrôle l’incontrôlable, échantillonne la nature et le vivant, réduit l’histoire de la vie à des images sans être ni devenir35. » La délocalisation industrielle a dé-spatialisé la matière de son milieu, l'a décontextualisée. Ainsi, « suivant les logiques industrielles des produits de grande consommation (…), les produits de constructions se sont uniformisés, standardisés, déconnectés de leur territoire d’application36 ». Le secteur de la construction s'est globalisé et le terrain de projet s'est étendu à l'espace global. Les matières se cherchent le plus souvent loin du territoire de projet puisque grâce au progrès des transports et de la communication, le rapport entre la conception et la réalisation est aujourd'hui complètement détaché du contexte de projet : il est presque acontextuel. Le temps de la réalisation – celui du chantier – semble être le seul moment où le site est investi par des hommes. Le rejet de la norme industrielle est nécessaire pour favoriser l'implantation du réemploi comme nouvelle forme de projet. La normalisation n'est peut-être pas à rejeter tout entière mais il reste cependant primordial qu'elle retrouve une cohérence territoriale capable de générer des projets résilients.

33 Michaël Ghyoot. « Le concepteur et les matériaux de construction – Éléments de réflexion pour une reconfiguration des circuits de l’économie matérielle par les pratiques architecturales contemporaines. », op. cit., p. 24. 34 Julien Choppin, Nicola Delon, op. cit., p. 29. 35 Ibid., p. 30. 36 Ibid., p. 149.

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(Ré)emploi ? Revoyons ainsi la place du réemploi dans notre société actuelle. Il serait nécessaire d’envisager la circularité d’une matière située pour que le réemploi soit efficient. La situation de proximité est ainsi un préalable indispensable à l'économie circulaire. Cette économie circulaire semble pouvoir permettre une certaine résilience à travers une conscientisation des limites de nos ressources naturelles.

De ce fait, l'idée est d'interroger ainsi la potentialité de ce secteur à se relocaliser et à fonctionner comme un milieu. Dans ce milieu, on fait l'hypothèse que le déchet ne peut exister : il reste toujours ressource. Cette redéfinition nécessaire montre le milieu comme ce qu'il a toujours été, une mine-ressource capable de se (re)construire sur elle-même. En perpétuelle évolution ce milieu laisse entre nos mains une matière construite à disposition (bâtiments à réhabiliter ou rénover, bâtiments à déconstruire) et l’opportunité d’une production de matière locale (matière biosourcée, matériaux de déconstruction). Il ne s'agit pas là d'une invention mais bien de la réémergence de ce qu'on a finalement toujours su faire : voir autour de nous. Les matières de construction peinent pourtant à subsister ou juste à exister dans le cadre réglementaire actuel puisque dans le réemploi, le standard n'existe plus. Bien que certains acteurs – comme les études de cas – explorent la question depuis des années déjà, le réemploi n'a que peu de place dans le système normé actuel. Aujourd'hui, ces derniers cherchent ainsi à formaliser le réemploi. Il reste cependant difficile de comprendre l’intérêt de formaliser une matière donnée dans un cadre industriel global et obsolète, incompatible avec la notion de milieu. On tente de faire entrer la matière de réemploi dans une économie circulaire tout en sachant que « la réponse systématique à cette dévastation industrielle est l’application du "moins mauvais" (...) cette démarche a son propre vocabulaire (…) : réduire, éviter, minimiser, soutenir, limiter, arrêter37 ». Une démarche qui ne peut donc finalement jamais subsister et s’équilibrer. Les tentatives de formalisation surlignent ainsi l'incompatibilité de l'exception (réemploi) avec la règle (norme). La société ne sait ni ne peut pas formaliser le réemploi, et encore moins y consacrer du temps.

37 William McDonough, Michael Braungart, op. cit., p. 70.

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CULTURE D'UNE SOCIÉTÉ MARCHANDE Abandonnant matière et Homme, la société s'est vue normalisée à un système de production et de consommation. Nous explorons ici en quoi la loi du marché aujourd'hui est celle du court terme, du quantitatif et non du qualitatif. Nous verrons ainsi comment les acteurs de projet arrivent, ou non, à s'ancrer dans un système financier en profond déséquilibre. La société, une machine systématique. À la moindre défaillance, on reprend les textes normatifs pourtant le système est luimême défaillant et on n'en reprend rien. On le laisse continuer de tourner et d'écrire sa propre destruction. On ne sait que modifier quelques points et non l'ensemble. On s'arrête aux pratiques décrites dans les lignes de ces textes sans jamais vraiment les éprouver. De plus, cette modification systémique est trop systématique puisque finalement, les groupes de discussion qui tentent de faire avancer les choses le font essentiellement dans leur sens : ce sont les représentants des industries qui sont aux premières loges et qui savent se placer à leur avantage. La norme est devenue un moyen pour certains lobbies de créer un business lucratif et de maintenir leurs profits au détriment de l'environnement et du bien commun.

Ainsi, l'économie guide la production et les valeurs de la production : « le système des financements et des assurances des bâtiments (...) enferme l'acte de construire dans les circuits de la production, de la distribution et de la consommation des biens industriels, rejetant le réemploi et autres "circuits courts" dans les marges de construction38 ». En effet comme JeanPaul Laurent – enseignant à l'École Nationale Supérieure d'Architecture de Montpellier dans le domaine Situations et ingénieur structure – l'avance, normer permet à un ensemble juridique de fonctionner et les normes restent entièrement pilotées par des assureurs39. Elles supposent alors une incapacité de l'Homme à évaluer et gérer une situation particulière. La norme uniformise les situations et prend pour principe une organisation rigoureuse et descriptible dans les textes. Ainsi, le système global écrit et scelle le destin de chacun. Le moindre maillon de l'engrenage-système ne peut tourner qu'avec lui car il est bel et bien enchevêtré dans l'ensemble. Avant de nous intéresser à ce qu'est devenu l'objet-entreprise40, nous allons tenter de clarifier le modèle dans lequel il s'insère. Pour traduire la complexité de cet ensemble, nous nous basons particulièrement sur deux vidéos réalisées par Vincent Verzat41. Ces vidéos permettent d'en simplifier le propos. 38 Julien Choppin, Nicola Delon, op. cit., p. 31. 39 Jean-Paul Laurent. Ingénieur structure et enseignant. École Nationale Supérieure d'Architecture de Montpellier. 23 et 24 octobre 2019. Entretien oral 2h45. 40 À l'heure du jetable, tout devient objet. 41 Vincent Verzat. Partager c'est sympa : EFFONDREMENT - La Résistance s'Organise. [en ligne]. 4 septembre 2019. 22 minutes 19. [consulté le 20 septembre 2019]. Disponible à l'adresse : https://www.youtube.com/watch?v=tH5EMxQbrQg Vincent Verzat. Partager c'est sympa : Un Crime Orchestré. [en ligne]. 29 septembre 2019. 14 minutes 33. [consulté le 3 octobre 2019]. Disponible à l'adresse : https://www.youtube.com/watch?v=Nku6KgBhx_0

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Tout d'abord : « La civilisation dans laquelle nous vivons repose sur de grands piliers : l'économie mondiale au service de la consommation de masse ; l'énergie qui l'alimente et qui est composée à 85% d'énergies fossiles ; l'État qui fournit le cadre ; et l'environnement sur lequel on prélève les ressources du système Terre et qui permet la vie42. » Selon lui, il s'agit d'un modèle-système qui fonctionne uniquement en flux tendus : on a supprimé les stocks et optimisé la chaîne de production pour réduire les coûts et surtout maximiser les profits. Un système qu'il qualifie de « modèle civilisationnel immunodéprimé ». Cela signifie en somme que ce modèle ne peut supporter le moindre flanchement ou la moindre déviance. Il serait perturbé par le moindre changement dans l'alimentation de la machine qu'il est. Il a fini par machinaliser l'économie en transformant les ressources humaines et matérielles en de simples chiffres juxtaposés. La transmission des petites entreprises familiales et artisanales a tristement laissé place à des monopoles puissants économiquement et à leur concurrence déloyale. Les hommes ont perdu une part de leur dignité et ont été impactés par un système qui les a contraints à ne plus penser. Le travail et l'Homme se sont ainsi dévalorisés et l'entreprise est devenue une machine de plus de la machine-système. Objet(s) d'une culture économique. Appuyé par des économistes, Vincent Verzat insiste sur le fait que les banques centrales ont fini par casser l'économie. Le jeu du court-terme et de l'emprunt qui a fait suite à la privatisation des banques met la pression sur le financement entrepreneurial. Le système est devenu un système-dette. La politique d'injection permanente d'argent de la banque centrale européenne a eu pour conséquence directe le renforcement des bulles des dettes privées qui correspondent aujourd'hui à 225% du PIB mondial. Dans ce système économique, les entreprises fonctionnent à court terme et tentent comme elles peuvent d'éviter l'endettement. Elles paraissent ainsi esclaves d'une machine-système qui ne cesse de tourner sans jamais se retourner. Les entreprises s'essoufflent et n'ont aucune marge de manœuvre, aucune idée de leur propre avenir. Le temps serait devenu une donnée instable et immaîtrisable.

Pour revenir à l'objet-entreprise, il s'agit d'une activité socialement organisée qui combine des facteurs de production de biens, de services et d'échanges. Elle est par définition économique la "mise en œuvre de capitaux et d'une main d'œuvre salariée en vue d'une production ou de services déterminés43". Pour produire – des bâtiments, des machines ou du matériel – l'entreprise s'équipe de forces humaines et mécaniques. Ces forces représentent alors des outils de production. Dans le cas du secteur de la construction, la mise en œuvre de l'entreprise se fait sur chantier et fonctionne ainsi par l'organisation d'une main d'œuvre recrutée, formée et gérée. L'ensemble de son activité est dicté par une logistique importante en termes de transport, de stockage, de planning et de financement. Le chantier et la fabrication sur chantier demandent un acheminement et une gestion du temps très stricte où les procédures sont millimétrées en 42 Vincent Verzat. Partager c'est sympa : EFFONDREMENT - La Résistance s'Organise, op. cit. 43 https://www.cnrtl.fr/definition/entreprise

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termes d'assurances, de sécurité et de coordinations. Pourtant, comme le précise Éric Toussaint : « Le métier du crédit de l'épargne et des assurances est trop sérieux pour le confier à des banquiers capitalistes qui cherchent leurs profits immédiats en prenant tous les risques possibles et imaginables du moment qu'à courte vue ça leur permet de s'enrichir44. » L'économie est trop loin des hommes et ne peut en cela (re)devenir circulaire. Le modèle sociétal actuel guidé ainsi par le profit lance les entreprises dans la machine infernale de la productivitérentabilité. Il reste difficile de prendre du recul dans une société temporisée. Cela a pour conséquence une absence totale de réflexivité dans la production : il n'y a aucun retour sur cette dernière autre que celle de chiffres. La société guide ainsi strictement les entreprises vers ce que son système a mis en place : « Dans un système de production actuel qui a trouvé son équilibre et même plus que son équilibre puisque maintenant il est en train de faire du territoire, la façon de concevoir aussi elle est dictée (...) par l'industrie45. » Tout est en déséquilibre mais tient pourtant par habitude. Tranches expertes d'une culture scellée. Les entreprises du secteur du BTP46 s'ancrent sur un marché public qui guide la construction de nos villes47 : de grands projets y sont construits et représentent des chiffres importants pour la construction. Par son statut public, il est un des marchés les plus réglementés du secteur et a réglé très tôt les liens entre ses acteurs. On observe une absence presque totale de dialogue puisque les relations sont dictées par le contractuel : l'acte de construire se fait par phasages strictement linéaires qui séparent par la procédure maître d'œuvre/maître d'ouvrage/entreprises. Les hommes sont des pièces de l'engrenage qui ne se touchent jamais vraiment.

Ainsi ancré dans un système global, « chaque intervenant sur le projet (...) ramènent systématiquement le projet dans leur camp en fonction de leur système de production (...) la façon de concevoir les systèmes constructifs isole les gens, les systèmes en tranches experts vont faire que chaque intervenant (...) peut critiquer l'autre, va se coller contre et s'en va48 ». Si ce n'est pas sa culture, le producteur ne sait pas produire avec et ne peut donc pas rentrer dans le matériau et encore moins se liaisonner aux autres. La culture experte ne sait pas inclure les éléments autres : « Le problème aujourd'hui c'est qu'on a dévaloriser le côté main d'œuvre pour

44 Éric Toussaint est l'auteur du livre Système dette, porte-parole international du comité pour l'abolition des dettes illégitimes et membre du conseil scientifique d'ATTAC. Dans Vincent Verzat. Partager c'est sympa : Un Crime Orchestré. op. cit. 45 Jean-Paul Laurent. Ingénieur structure et enseignant. École Nationale Supérieure d'Architecture de Montpellier. 23 et 24 octobre 2019. Entretien oral 2h45. 46 Bâtiment et Travaux Publics. 47 « Avec un chiffre d'affaires total dépassant 170 milliards d'euros, plus de 1,4 million de salariés et plus de 536 000 entreprises, le secteur du bâtiment et des travaux publics (plus connu sous son acronyme BTP) est un poids lourd de l'économie française. » IdelecPlus. Idelec Plus : Entreprise d'électricité générale. Web. https://www.idelecplus.com/blog/comprendre-secteur-du-batiment 48 Jean-Paul Laurent. Ingénieur structure et enseignant. École Nationale Supérieure d'Architecture de Montpellier. 23 et 24 octobre 2019. Entretien oral 2h45.

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pouvoir valoriser (...) des systèmes constructifs hyper performants, experts et collés entre eux. Le problème du réemploi c'est qui ne se pose pas automatiquement aux systèmes experts et il ne se pose pas automatiquement en système de collaboration avec les autres systèmes (...) y'a pas que des produits valorisés y'a aussi des liaisons qui sont valorisées, des façons de liaisonner les choses49. » Il existe ainsi aujourd'hui une absence presque totale de collaboration et de compatibilité entre les éléments de réemploi et les éléments industriels. Leur impossible liaisonnement traduit un problème culturel mono-orienté par l'expertise. Dans cet esprit-là, il semblerait que cet état des choses traduit l'impossibilité qu'un changement partiel impacte le système en place. Un engrenage ne peut se stopper. Il faudrait ainsi rebâtir en repartant de la base comme l'avance Vincent Verzat : « On ne persuade pas une machine, on la casse50. » Pourtant il paraît impensable de tout jeter puisque comme l'appuie Jean-Paul Laurent, on ne peut déréglementer à zéro avec les habitudes prises par le système de production51. La société qui tient par habitude n'aurait ainsi pas la force de survivre à son propre effondrement. L'Homme du jetable et son système obsolescent doivent être réemployés aujourd'hui.

49 Jean-Paul Laurent. Ingénieur structure et enseignant. École Nationale Supérieure d'Architecture de Montpellier. 23 et 24 octobre 2019. Entretien oral 2h45. 50 Vincent Verzat. Partager c'est sympa : EFFONDREMENT - La Résistance s'Organise, op. cit. 51 Jean-Paul Laurent. Ingénieur structure et enseignant. École Nationale Supérieure d'Architecture de Montpellier. 23 et 24 octobre 2019. Entretien oral 2h45.

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B - MUTATION DE CULTURE CONSTRUCTIVE

Nous pouvons nous interroger sur la difficulté de réemployer la société marchande d'aujourd'hui et de réorienter les pratiques des hommes qui ont fini par la définir. Pour cela, nous devons repenser nos modes de production et essayer de comprendre s'il nous faut construire à avec ou contre la culture dominante. Nous devons nous interroger aussi sur la potentielle capacité de la culture du réemploi à renverser le système en place. Acteurs de la mutation. En tant qu'acteurs de la construction, il est ainsi important de comprendre et d'identifier les cultures dominantes en place. Et plus particulièrement en tant qu'architecte, de prendre conscience de sa propre pratique pour pouvoir la modifier. Cette pratique est en effet étroitement liée aux systèmes en place et seul l'analyse approfondie de ses mécanismes de fonctionnement pourrait permettre d'envisager son évolution.

La culture dominante génère un contexte de production prédéterminant. Elle crée un monopole de systèmes constructifs et productifs linéaires qui fonctionnent en boucles fermées. Elle fait partie intégrante de la société, et est en cela le miroir d'une politique urbaine globalisée. Son étendue idéologiquement mono-orientée est une conséquence directe de l'industrialisation passée. Pourtant, la culture constructive systémique et systématique ne doit plus tenir pour habitude. Le travail amorcé par certains acteurs – dont les études de cas font partie – permet d'encourager une culture circulaire et la circulation de cette culture, afin de faire entrer l'élément tordu dans un dispositif duquel le système l'aurait instantanément évincé. Il est indispensable de retrouver une logique sans rejeter brutalement la culture en route puisqu'il n'y a que par sa compréhension que nous pourrons réellement envisager ses limites, et potentiellement agir dessus. Il ne s'agit pas de refaire entrer les choses dans le système en place mais bien de reconstruire progressivement le monde qui les acceptera. Pour être résiliente, la culture dominante doit tirer ses bénéfices du contexte existant, de la situation et du milieu qui ne sont autres que les siens. Le problème de globalisation est à solutionner : en repartant du site et du territoire, en s'appuyant sur les dispositifs constructifs qui lui sont propres, et surtout en partant du principe que la stricte solution n'existe pas. Société métissée ? Je ne tiens pas pour posture première cette société métissée, cependant, la réflexion sur ce sujet me pousse à croire que la culture dominante ne disparaitra pas instantanément. En effet, j'ai pensé un temps que la société entière devait évoluer sans pour autant croire qu'elle en était capable. L'émergence d'une contre-culture prendra forcément du temps : c'est en cela que le métissage semble inévitable. Ainsi, la seule chose que je manifeste aujourd'hui est le fait qu'une partie d'elle peut réévoluer et ainsi se métisser à l'autre, temporairement.

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Le monde est fait d'exceptions et ce, à toutes les échelles. Cela tient certainement plus d'une conviction que d'une démonstration mais je suis bien consciente que le changement total ne s'opérera pas aujourd'hui. Faisons alors l'hypothèse qu'un système de valeurs bienveillant reémerge à son tour et participe à faire muter celui qui persiste. Résignés, l'idée n'est pas d'aller contre le système en marche mais bien en parallèle pour tenter de le ralentir et pour nuancer la culture qu'il a produit. Sans tout faire brûler non plus52, la contre-culture doit être s'exercer de manière assez forte pour retrouver un sens critique commun, et espérer voir un jour les institutions se ranger dans le camp de la résilience. Imposée aux géants du BTP par exemple, cette contre-culture pourrait amorcer leur adaptation forcée, ou éventuellement, leur propre démantèlement. Le temps du changement, nous sommes contraints de laisser du temps.

Il est inenvisageable aujourd'hui de tout rebâtir de fond en comble, cependant, il reste indispensable que les institutions se portent garantes des changements radicaux du système de production et d'extraction des ressources. L'Homme du jetable doit être accompagné pour recycler53 sa société et réadapter ses rythmes. Le passage à une société de réemploi pourrait potentiellement encourager la réévolution du secteur de la construction et espérons un jour, de la société entière.

52 Ironiquement... Détruire par le feu n'a jamais arrangé les choses. 53 Par définition, "réutiliser en les adaptant des ressources déjà exploitées par d'autres", "faire repasser dans un circuit ou dans un cycle". https://www.cnrtl.fr/definition/recycler

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II. ÉTATS DES CHOSES54 Ex nihilo nihil fit

54 Le passage à la partie suivante découle d'un point sur I. L'ESPACE DES CHOSES. Cette partie a fait l'état du contexte de marchandisation de la société. Nous nous sommes demandés comment nous en étions arrivés là, et ce qui faisait que le réemploi avait disparu aujourd'hui. Les premiers constats ont été les suivants : - La société-système actuelle marchande Homme et matières comme des produits. - La société-système n'accepte pas le réemploi puisque produit = déchet. - Les produits industriels sont difficilement réemployables. Nous pouvons faire cependant deux hypothèses : - Une société de réemploi pourrait faire évoluer la société-système actuelle. - Un métissage (temporaire ou pérenne) pourrait s'envisager, et offrirait d'un part une acculturation du réemploi, et de l'autre une déculturation de l'industrie dominante (culture progressive à deux vitesses). Ainsi, le passage à une société de réemploi pourrait être bénéfique. La partie suivante II. ÉTATS DES CHOSES interroge sur la formalisation du réemploi dans la société actuelle.

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II - ÉTAT DES CHOSES Ex nihilo nihil fit A - NÉCESSAIRE RESSOURCE

FORMALISATION DU RÉ - EMPLOI La société-système et les modes de production qui lui sont propres inhibent l'efficience du réemploi et freinent la mise en place d'une réelle économie circulaire de la matière. Paradoxalement, elle exige la formalisation du réemploi qui est pourtant hors-norme. A-normalisable. Face à ces freins, le réemploi sur chantier se teinte d’expérimentation. Ces dernières années ont vu naître une sorte de « bricolage juridique » comme le soulève une des membres de Bellastock dans un entretien : « Si on ne fait pas évaluer nos prototypes, ce qu’on fait restera dans le domaine de l’expérimentation (…) on teste de façon empirique puis, on monte en généralité (…) puis, derrière, ça structure la filière et la filière en se structurant, pousse la réglementation pour devenir une pratique courante55. » L’objectif est de faire bouger la norme, et le faire est une porte d'entrée à cette évolution. L’Union Européenne et les institutions publiques soutiennent les acteurs émergents du réemploi pour que la filière se structure. Des avancées semblent s’opérer aujourd’hui, et prônent un ré-évolution du secteur de la construction.

Ainsi, nous nous demandons dès lors où en est le réemploi aujourd'hui. Selon Julien Choppin et Nicola Delon : « Pour sortir de la marginalité, (la filière du réemploi) doit (...) fédérer les acteurs afin de peser sur la progression des réglementations et proposer des produits à l'utilisation "sécurisée" répondant à toutes les exigences56. » Pour qu'ainsi parallèlement, les instances prennent des dispositions. Une série d'évolutions s'est en effet enclenchée à l'échelle européenne. Elles concernent autant la France que la Belgique. Un ensemble de nouvelles réglementations, normes et directives ont vu le jour. Pour exemple, l'Union Européenne a mis à jour la Directive Européenne 2008 en 201857. Cette dernière redonne une hiérarchie des modes de traitement des déchets nommée échelle de Lansink afin d'inciter les acteurs à faire mieux. Cette hiérarchie est une pyramide d'ordre de priorités orientée de haut en bas : prévention, réutilisation, recyclage, compostage, incinération et enfin mise en décharge en dernier recours. Cette mise à jour continue pourtant de marquer un paradoxe puisque la meilleure manière de gérer un déchet est d'éviter qu'il n'en devienne un. On voit apparaître dans la législation des 55 Julie Benoît. École d’Architecture de Paris Belleville, 19 mai 2016. Entretien Bellastock. Amsing, Tatiana. « Le réemploi : mutation du cerveau de l’architecte ? » Mémoire sous la direction de Frank Vermandel et JeanChristophe Gérard. École Nationale Supérieure d’Architecture et Paysage de Lille, 2015-2016. 56 Julien Choppin, Nicola Delon, op. cit., p. 123. 57 Directive n° 2018/851 du 19/11/08 modifiant la directive 2008/98/CE relative aux déchets.

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ambitions de soutien et de prévention des logiques de réemploi. Cette directive veut éviter le passage des produits au statut de déchet mais ne parlent pourtant pas encore de réemploi58. Les prescriptions semblent ainsi à contre-sens puisqu'il est quasiment impossible de faire entrer l'imprévisible dans le prescriptible. Le projet de loi sur l'économie circulaire – en pour parler à l'Assemblée nationale en France – est un bon exemple et l'article d'Elisabeth Gelot insiste sur le Pourquoi faut-il suivre de TRÈS près la loi sur l'économie circulaire. En effet, le diagnostic-déchets pourrait voir prochainement les -matériaux s'y ajouter59. Cette fusion veut rendre possible la passerelle directe entre déchets et ressources. Ainsi réunis sous une même phase, ces diagnostics visent à décroitre la consommation matérielle et boulimique du secteur de la construction. L'idée est d'envisager préalablement les différentes étapes de vie de la matière – produits, matériaux et déchets – dans un diagnostic global. Ces institutions se donnent le rôle d'encadrer le réemploi, cela est un fait. Cependant comme on l'a déjà vu, en encadrant normativement dans la règle loin de l'exception, il reste difficile de faire mieux. De plus, ce deux-en-un a l'effet pervers d'exiger des garanties de compétences, d'assurances et donc de charges financières écrasantes comme l'appui Elisabeth Gelot dans son article. Le risque surligné est premièrement l'accaparement du gisement vers le recyclage plutôt que le réemploi. Et secondement, l’accaparement du gisement par une concurrence déloyale. En effet, les grands diagnostiqueurs immobiliers ont le pouvoir de s'emparer de marchés naissants et d'en faire des produits de rentabilité. Ainsi, « sous couvert d'hygiène, de normes techniques et de sécurité, on tendra à interdire l'accès des petits récupérateurs au chantier de démolition60 » et à faire perdurer l'emprise monopolistique sur le secteur de la construction. Cependant si le diagnostic prescrit n'est pas fait, on ne prévoit pas encore de sanction. Le projet de loi ne pallie donc pas réellement au problème de responsabilité des déchets. En effet, l'article 8 du projet de loi parle de la REP, le régime de Responsabilité Élargie des Producteurs. Cette dernière pourrait avoir pour effet d'amplifier le recyclage au détriment du réemploi et se contenter simplement de faire moins mal. L'article d'Elisabeth Gelot nous l'indique : "privilégier et développer le réemploi ne fait pas partie aujourd'hui des objectifs principaux des REP". L'écocontribution suggérée par le projet de loi pourrait alors très vite être détournée et exemptée sous la seule action d'une remise seconde sur le marché (recyclage). Cette action est catastrophique car elle n'est pas durable dans le temps. Le matériau en étant

58 Le réemploi est opérant avec des biens sans modification de leur usage et non des déchets, tandis que la réutilisation et le recyclage concernent uniquement une opération sur les déchets. Le paradoxe réside dans le fait qu'on ne veut plus de déchet et pourtant on continue de prescrire de faire avec. 59 Le diagnostic déchets-matériaux est uni sous la même phase : c'est un "diagnostic relatif à la gestion des matériaux et des déchets de la démolition ou réhabilitation significative des bâtiments", article 6 du projet de loi présenté par Brune Poirson. Gelot, Elisabeth. « Réemploi des matériaux : pourquoi faut-il suivre de TRÈS près le projet de loi sur l'économie circulaire ? ». MATERIAUXREEMPLOI.COM, Web. 20 septembre 2019. 60 Julien Choppin, Nicola Delon, op. cit., p. 93.

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recyclé perd toute sa qualité intrinsèque. Il est donc d'autant plus difficile de prolonger son cycle de vie ultérieur. Nous avons pour exemple la mise en place de REP pour les emballages : ces derniers sont recyclés une à deux fois et ne peuvent ensuite plus jamais l'être puisque la matière reste entropique. À contrario, les consignes en verres sont réemployées et ce, potentiellement infiniment. Pour autre exemple, la ligne de temps des deux pages qui suivent a été réalisée par Rotor et illustre le développement du secteur du recyclage des déchets inertes en Belgique. On comprend à quel point ce développement a mis du temps mais aussi qu'il ne concerne que très peu le secteur du réemploi : « Il est intéressant de constater que les obligations réglementaires en matière de recyclage arrivent après plusieurs années de recherches préalables, d'investissements, de projets pilotes et la mise en place d'organismes sectoriels. Ces jalons coïncident avec la mise au point de dispositifs de certification des performances pour les granulats issus du recyclage61. » Ces normalisations traite uniquement du recyclage d'éléments issus de la démolition : leur réemploi n'est pas envisagé. De telles lois affectent ainsi les efforts en place. L'amplification du recyclage a pour conséquence directe l'anéantissement du réemploi.

61 Michaël Ghyoot, Lionel Devlieger, Lionel Billiet, André Warnier, ROTOR, op. cit., p. 62.

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Frise Rotor, pourquoi le réemploi ? réalisée par Rotor : Déconstruction et réemploi (p. 62-63).

1982 Le CSTC publie un article sur le recyclage des décombres à Bruxelles.

1990 Création du groupe de travail «Réemploi des déchets» au sein du département Environnement et Infrastructure de la communauté flamande. Il élabore des circulaires relatives au réemploi des déchets dans les travaux d’infrastructure et définit les bases techniques pour l’utilisation des débris.

1984 Le Bulletin de l’Association Internationale de Géologie de l’Ingénieur publie un article intitulé «Les bétons de démolition source de granulats».

1991 Création de l’entreprise Tradecowall (issue de la Confédération de la construction wallonne). Son objectif : la réduction du volume de déchets mis en décharge.

1980

1990

1989 Inauguration de l’écluse de Berendrecht dans le port d’Anvers. Le béton massif des nouveaux quais a été réalisé avec du granulat recyclé.

1950-60 Des cahiers des charges établissent des dispositions relatives à la fabrication de béton à base de débris de maçonnerie. 1983 Fondation de COPRO active dans le contrôle des produits de construction, qui se spécialise ensuite dans le contrôle des granulats recyclés.

1987 Fondation de Recymat, qui promeut et étudie le recyclage des déchets.

1994 Le CSTC crée un pôle de guidance techno-logique «Recyclage dans la construction. Le Gouvernement wallon décide d’allouer 140 millions de francs belges pour implanter un réseau de centres fixes de recyclage de déchets inertes en Wallonie.

1992 Constitution du groupement d’intérêt économique Recywall qui mène des recherches trans-sectorielles sur la question des déchets et de leur valorisation.

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2007 Le secteur du recyclage de déchets de construction produit 3 000 000 tonnes de granulats recyclés (ce qui équivaut à un tas d’environ trois fois la taille de la butte du lion de Waterloo).

1999 La Belgique compte près de 90 installations (fixes et mobiles) de recyclage des débris.

1995 (16 mars) La Région Bruxelles-Capitale adopte un arrêté rendant obligatoire le recyclage de la fraction pierreuse et sableuse des déchets de construction ou de démolition. Le CRIC, à l’initiative du CSTC et en concertation avec COPRO, met en place un système de classification des performances pour les granulats issus du recyclage.

2004 Le CSTC lance le logiciel MEDECO qui permet d’établir un métré des déchets libérés dans un chantier. 2000

1998 Le Comité de direction pour la certification des granulats du CRIC et le CSTC élaborent les PTV 406, un ensemble de prescriptions techniques concernant les granulats recyclés.

1996-2001 Le CSTC, dans le cadre d’un projet européen de recherche, érige la Recyhouse, un bâtiment témoin réalisé entièrement à partir des produits recyclés disponibles sur le marché.

2010

2009 La Flandre rend obligatoire la réalisation d’un inventaire pré-démolition pour tout bâtiment de plus de 1000 m3.

2008 La construction du nouveau siège de l’OTAN implique la démolition d’une soixantaine de bâtiments. Accompagné par le CSTC, l’OTAN procède au concassage in situ des débris. Près de 110 000 m3 de gravats vont être réutilisés sur place pour les travaux de fondations.

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RECYCLER LE RÉEMPLOI Aujourd'hui, la formalisation du réemploi est en fait celle du recyclage. Si on ne change pas la machine-système on ne peut pas réemployer, ou alors on réemploie simplement des éléments en les mettant dans une position servile subordonnée aux modes industriels. En effet selon Jean-Paul Laurent, l'émergence du réemploi ou sa réémergence a le problème de nécessiter du temps. Aujourd'hui, il n'y a pas de règles ni de principes clairement définis et donc peu d'adaptations envisageables. En attendant que ce temps soit donné pour un réemploi efficient, il figure toujours comme un déchet d'apparat. Réemploi servile. En effet, les éléments de réemploi sont aujourd'hui des éléments auxquels on met une sorte de béquille constructive : on les met dans un cadre, on les utilise comme remplissage sans vraiment leur donner un avenir propre. La définition du réemploi s'arrête au simple fait d'"employer de nouveau62".

À l'inverse, le recyclage des matériaux de récupération est défini par l'"ensemble des techniques ayant pour objet de récupérer les déchets urbains, industriels et agricoles, et de les restituer aux industriels capables de les réutiliser63". Le recyclage nécessite ainsi une réinjection obligatoire dans les boucles industrielles et appartient au système de production. Il ne touche donc pas au processus du système puisqu'il nécessite une transformation industrielle. Il rentre simplement dedans, tranquillement. Jean-Paul Laurent voit le recyclage comme une ambition de réparation du système, mais qui repasse cependant par l'ensemble du processus industriel. En effet, le recyclage nécessite de revenir en haut du processus et de rerentrer dans le cycle64. De cette manière, on ne peut pas changer les cultures. On reste dans la production réglementaire, prescriptible et transmissible dans les textes. On continue de nourrir le système et on empêche qu'une réelle économie circulaire se fasse. Ainsi : « Dans un premier temps, il faut trouver une échelle de recyclage ou réemploi sur un petit truc qui se fait qu'en éléments portés ou décoratifs, donc trouver des pistes comme ça par rapport à l'arsenal réglementaire c'est ce qui touche le moins le processus, c'est ce qui changera le moins les cultures. (...) Là on a besoin quand même d'une évolution culturelle65. » Les tentatives de réemploi renvoient parfois une image contre-productive, et restent souvent du recyclage. Dans les textes la norme prescrit le minimum : le recyclage fausse les attitudes à l'égard du réemploi. Les acteurs pionniers – dont les études de cas font partie – se voient ainsi soutirés les efforts fournis pendant tant d'années pour faire émerger une culture efficiente du réemploi. L'évolution culturelle est indispensable. 62 https://www.cnrtl.fr/definition/réemploi 63 https://www.cnrtl.fr/definition/recyclage 64 Jean-Paul Laurent. Ingénieur structure et enseignant. École Nationale Supérieure d'Architecture de Montpellier. 23 et 24 octobre 2019. Entretien oral 2h45. 65 Id.

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B - NÉCESSAIRE RECHERCHE

FORMALISATION DU RE - PENSÉ L'ensemble des prises de décisions législatives ont fait suite aux efforts de pionniers tels que Bellastock ou Rotor en Europe. Des acteurs qui se sont inspirés et renseignés d'autres pionniers aux États-Unis66 dans les années 90 notamment. Ces deux coopératives d'acteurs s'ancrent ainsi dans le territoire européen et prennent le relais en tant qu'initiateurs. Des principes d'économie circulaire s'installent alors progressivement mais font toujours face aux défis techniques, législatifs, sociaux et culturels. Les cas d'études choisis rassemblent des chercheurs et des concepteurs soucieux que le réemploi s'opère enfin, non sans mais par-delà les difficultés. Coopératives de déculturation. Bellastock et Rotor sont deux associations qui sont devenues sociétés coopératives depuis peu. Le passage d'un statut d'association à un statut de coopérative marque un changement dans le poids qu'elles ont sur le marché de la construction. Elles se composent de personnes de divers horizons capables d'agir à plusieurs niveaux. On compte parmi eux des architectes, chercheurs, scénaristes, juristes, ingénieurs et autres professionnels.

En Belgique, Rotor travaille sur quatre grands axes : la recherche, la déconstruction, le design et les expositions-publications. Nous nous intéresserons particulièrement à ces deux premiers axes – recherche et déconstruction – pour définir leur rôle dans l'actuel réemploi. En ce qui concerne la recherche, ils produisent des études pour des commanditaires. Ils entretiennent notamment une relation avec l'administration de la gestion de l'environnement de la région Bruxelles-Capitale, Bruxelles-Environnement. Parallèlement, Rotor Deconstruction (Rotor DC) est un bureau de déconstruction créé il y a de cela 5 ans d'après Maarten Gielen67. Il s'agit d'une de leurs activités les plus récentes. Ils interviennent en tant qu'entrepreneurs pour déconstruire et ainsi précéder les démolisseurs (démontage et conditionnement). Ils s'occupent par la suite du stockage (reconditionnement), de la caractérisation (analyse) et de l'écoulement (revente)68. Par leur activisme dans le domaine de la déconstruction, ils apportent ainsi de la matière à leur recherche : en 2009, la Fédération de la Ressource demande à Rotor de réaliser une étude sur le potentiel du réemploi des éléments issus de la déconstruction. Cette demande aboutit à la création d'un guide pratique sur le réemploi en 2013. Ils y proposent une méthodologie d'application pour rendre opérationnel le réemploi sur des chantiers publics comme privés. Dans Déconstruction et 66 À titre d'exemple, on retrouve dans Craddle to craddle un ensemble de pionniers américains tels que Rural Studio qui agissent pour la plupart pour le secteur privé, en auto-construction. Le vrai enjeu aujourd'hui est de faire entrer le réemploi sur des projets publics, dans la politique des villes. 67 Maarten Gielen. Rotor Deconstruction. Rue Prévinaire, 58, Anderlecht. 19 février 2019. Visite de site. 68 Michaël Ghyoot. « Le réemploi des éléments de construction : avec ou sans architectes ? ». Marseille : École Nationale Supérieure d'Architecture de Marseille. 22 novembre 2016. Conférence.

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réemploi : Comment faire circuler les éléments de construction69, Rotor fait un état des lieux du réemploi de matériaux de construction et envisage ainsi les perspectives d'avenir des filières du réemploi en partenariat avec l'ADEME70. En France, Bellastock travaille également sur quatre grands axes similaires : le réemploi, l'urbanisme transitoire, la recherche et la formation. Ils travaillent ainsi de la même manière sur les avancés réglementaires du réemploi. Bellastock publie en 2018 le guide REPAR #271 en partenariat avec l'ADEME également : c'est un guide qui fait l'état du programme de « Recherche et Expertise » sur le réemploi en construction. Le guide REPAR #2 est aussi disponible en consultation sur internet. On y propose72 la mise en place d'une méthode opératoire de prescription du réemploi : des cahiers des charges types pour réaliser le diagnostic ressource, 14 fiches techniques d'éléments de (re)construction évalués par un bureau d'étude et 2 référentiels techniques génériques de mise en œuvre de produits de réemploi-béton expérimentés par Bellastock. Ce guide valide également la recherche d'un cadre opérationnel : des tableaux et schémas explicatifs, une modélisation socio-économique et un indicateur de performances pour comparer la solution de réemploi à une solution neuve. Il s'agit ainsi d'un catalogue de ressources techniques, économiques et environnementales piloté par Bellastock et soutenu juridiquement par l'ADEME et le CSTB73.

69 Michaël Ghyoot, Lionel Devlieger, Lionel Billiet, André Warnier, ROTOR, op. cit. 70 Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Énergie. 71 Julie Benoît, Grégoire Saurel, Mathilde Billet, Frédéric Bougrain, Sylvain Laurenceau. « REPAR 2 : le Réemploi passerelle entre architecture et industrie. » Étude, Rapport de l’Ademe, Bellastock et CSTB. Collection Expertises, avril 2018. 72 Ademe. Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie. Web. https://www.ademe.fr/repar-2-reemploi-passerelle-entre-architecture-industrie 73 Centre Scientifique et Technique du Bâtiment.

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Ce programme de recherche par s'est déroulé en 6 phases entre 2014 et 2018 comme illustré sur le schéma ci-dessous74 et est une matière de plus à leur recherche.

74 Bellastock. Bellastock. Web. https://www.bellastock.com/projets/repar-2/

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Ce guide tente de remédier à l'absence de synergies qu'il existe entre les différents chantiers, tant sur les aspects géographiques, temporels que matériels. Référentiel de réemploi. Ces auteurs-architectes se montrent ainsi soucieux d'actionner les leviers nécessaires à l'implantation d'une véritable filière de réemploi. Ils mettent en place ces références-réemploi d'expertises à destination des acteurs de projet. Ces nombreux écrits et protocoles s'adressent autant aux générations actuelles et futures, qu'aux praticiens de la construction (architectes, ingénieurs, commanditaires, maître d'œuvre, maître d'ouvrage, institutions, chercheurs etc.). Bellastock comme Rotor travaillent ainsi sur la mise en place de catalogues techniques et de protocoles de caractérisation des matériaux. Ils offrent à l'architecte et aux autres acteurs de la construction, un rôle de conseil. Les guides montrent ainsi que le réemploi peut être autant fiable qu'assurable techniquement. L'idée est de donner des moyens de s'emparer du réemploi à travers de nouveaux outils de projet. Dans la caractérisation de leur demande, ces guides se veulent principalement à destination de la maîtrise d'œuvre pas tout à fait adepte des modes de réemploi envisageables. Ils proposent des procédés constructifs applicables et réplicables qui se situent selon Bellastock juste avant la règle professionnelle. Les filières ne sont pas encore structurées, et des catalogues de procédés techniques servent d'exemples et accompagnent la structuration. Cette dernière concerne les acteurs de projet à identifier pour que les acteurs du réemploi se placent là où besoin est, à l'endroit où faire levier.

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Reterritorialisation par le réemploi. L'ensemble des acteurs de projet gagnent ainsi à se restructurer en retrouvant un rôle territorial dans le système de production. Au-delà de l'aspect réglementaire, ces acteurs se reterritorialisent par l'usage situé du réemploi, comme les architectes de NA Architecture le soulignent :

« La grande variété de matériaux et de composants de réemploi disponibles est incompatible avec le cadre réglementaire. Chaque projet devient à nouveau un prototype, dans lequel l'industrie perd la main au profit de l'artisanat. L'architecte redevient alors cet inventeur qui doit questionner chaque nouveau matériau lui arrivant dans les mains. La souplesse sur le chantier redevient nécessaire, les artisans regagnent en savoir-faire. Les territoires retrouveront leur identité 75. » Le réemploi implique en effet un contexte d'actions localisables. Pour être efficient, il nécessite à la fois d'être situé mais aussi d'être expérimenté. Il permet alors de regagner en identité en partageant un imaginaire collectif : on réemploie le vécu d'une matière, on réemploie l'histoire d'un bâtiment et on réemploie surtout les savoir-faire des artisans. L'aspect narratif dessine et renforce ainsi une identité commune. L'architecture comme "art, science et technique de la construction, de la restauration" a des "caractères architecturaux typiques"76 propres à l'identité de chaque territoire. L'aspect identitaire renforce la cohésion sociale autour d'un imaginaire collectif permettant à chacun de s'ancrer et d'exister. L'architecture participe ainsi à co-construire une biographie territoriale (matières et matériaux situés, monuments historiques localisés, savoir-faire mobilisés etc.). Par leur propre reterritorialisation, Bellastock comme Rotor semblent prendre en main la refonte de cette identité commune autour des acteurs de projet : des valeurs communes sont partagées dans le faire ensemble et sont à même de créer des correspondances. Ainsi, repenser la manière de construire – matières et systèmes constructifs – va de pair avec la question sociale. Comme pour le réemploi d'éléments seconds du bâtiment, BC materials s'attachent à réinterroger le cadre normatif par l'expérimentation de la matière-terre issue de l'excavation. Dans l'entretien effectué avec Nicolas Coeckelberghs, il distingue la normalisation de la ressource primaire (matière) de la normalisation du matériau. La première nécessite une agrégation permettant la seconde puisque la matière a besoin d'être utilisable pour qu'on puisse en faire des matériaux. La seconde normalisation sur les matériaux assure ainsi par la suite, leur prestation et leur mise en œuvre. Les normes en Belgique ne sont

75 Mehtab Sheick, Sébastien Fabiani. « Réutilisation, réemploi et recyclage, la pratique des trois "R", par NA Architecture » AMC, Web. 7 décembre 2015. 76 https://www.cnrtl.fr/definition/architecture

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cependant pas obligatoires pour pouvoir utiliser un matériau77. Sur leur site de production, la coopérative BC materials a donc un permis d'environnement avec Bruxelles-Environnement pour faire sortir la terre du statut de déchet, et pour en faire des matériaux de construction. Dans un contexte où les matière-terre manquent de formalisation, BC s'appuie sur la norme allemande déjà en place pour développer la norme belge (ou européenne) avec le CSTC78 dans un objectif prénormatif. Ils se basent ainsi sur des fiches techniques et des tests d'expérimentations de cette matière et de ses matériaux pour pré-décrire selon certaines normes. Ils prennent alors des responsabilités sur les matériaux qu'ils vendent en leur redonnant des valeurs normatives : celle de la compression, de l'abrasion ou encore de la mise en œuvre. L'idée est de travailler à tous les niveaux en amont et en aval, de la matière au matériau. Autour du cycle de vie de la terre, BC interrogent alors les capacités de la matièreterre et des matériaux-terre à travers l'expérimentation de leur construction. Construire la mutation. Ainsi, ces acteurs reconstruisent le cadre normatif du projet, et posent de nouvelles questions en faisant évoluer le secteur de la construction. L'acte de construire se met en tension :

« Qu’est-ce-que construire en effet, dans le dispositif économique et réglementaire qui en délègue l’autorité au professionnel que l’on nomme architecte et dont le tissu diversifié d’innombrables industries et entreprises de construction entreprend l’exécution ? Qu’est-ce-que la construction, dans la création d’un dispositif virtuel qui procède pratiquement d’un unique code d’anticipation, le dessin, et dont l’orientation graphique canalise l’essentiel des configurations admissibles ? Qu’est-ce-que la construction, encore, dans un processus d’anticipation et de décision qui joue sur des stratégies instables, toujours reformulées, toujours renégociées, et dont le modèle d’action repose avant tout sur une capacité de persuasion esthétique79? » Cette capacité de persuasion esthétique inhibe encore aujourd'hui la situation d'identité. Une société d'image règne sur l'imaginaire social. Le dessin prévaut sur le vécu du terrain et on transpose sans réflexions des concepts d'ici et d'ailleurs à des cultures constructives endémiques. L'uniformisation constructive a généralisé l'architecture. À contre-pied, Rotor, Bellastock comme BC s'adonnent ainsi à leur rôle de sensibilisation et de pré-formalisation de cultures constructives (ré)émergentes. Dépassant la persuasion esthétique, ils tentent d'éradiquer les images négatives autour des éléments de réemploi et des matières de construction de manière générale, et défendent plutôt une persuasion éthique.

77 Nicolas Coeckelberghs. BC architects, studies and materials. Tour&Taxis. 3 juillet 2019. Entretien oral 1h04. 78 Centre Scientifique et Technique de la Construction. 79 Philippe Potié, Cyril Simonet. Culture constructive. Paris : Parenthèses, Les cahiers de recherche, n°29, 1992.

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De plus, selon Antoine Aubinais, l'architecture est un sujet de société80 qui ne peut plus être discutée qu'entre sachants. Elle a un vrai rôle dans la mutation des mentalités et des valeurs. La nécessaire recherche autour du réemploi porte bien au-delà de la réinjection matérielle, sur l'évolution sociétale et la réévaluation des liens sociaux par l'acte de bâtir. En somme, sur une sensibilisation commune de l'Homme à l'Homme, et de l'Homme à la Terre. La sensibilisation d'un ensemble de cellules qui dépendent d'un même organisme. Nous nous interrogeons ainsi alors sur la notion de milieu et sur sa capacité à reterritorialiser l'écosystème vivant qui l'habite.

80 Antoine Aubinais. « L'Architecture du Réemploi ». Conférence Bellastock. Montpellier : École Nationale Supérieure d'Architecture de Montpellier. 6 novembre 2019. Conférence.

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III. DE L'ESPACE AU MI-LIEU81 Matière en chantier

81 Le passage à la partie suivante découle d'un point sur II. ÉTATS DES CHOSES. Cette partie a permis de comprendre le rapport du réemploi au contexte d'industrialisation de la sociétésystème, et plus particulièrement le rapport de l'expérimentation informelle et de la formalisation normative. Nous nous sommes alors interrogés sur où en était le réemploi aujourd'hui. Les constats premiers ont été : - Le réemploi trouve sa pré-formalisation dans des référentiels pionniers. - La formalisation du réemploi est pourtant celle d'un recyclage inefficient. Malgré cela, les hypothèses dégagées nous permettent de garder espoir : - Le réemploi pourrait se formaliser grâce au chantier et à un certain bricolage juridique. - Le réemploi pourrait permettre, par sa situation locale, la reterritorialisation de nos milieux. De la suite de ces hypothèses, la partie III. DE L'ESPACE AU MI-LIEU remet en perspective les bénéfices liés aux notions de milieu et de chantier qui peuvent potentiellement rendre efficient le réemploi aujourd'hui.

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III - DE L'ESPACE AU MI-LIEU Matière en chantier Dans le contexte qui est le nôtre, l'espace est sans limite et c'est cette absence de limites qui a fini par le rendre instable. Il semble essentiel de repasser à un état stable. La société, l'Homme et la matière doivent s'ancrer à nouveau à un milieu, et se reterritorialiser enfin. A - REPASSER À UN ÉTAT STABLE Espace infini. L'espace c'est le grand, l'immense, l'étendue dans lequel l'Homme est englobé. Philosophiquement il se définit par un "milieu idéal indéfini, dans lequel se situe l'ensemble de nos perceptions et qui contient tous les objets existants ou concevables82". Il n'est donc propre à rien puisqu'appartenant à tout. Du lieu au mi-lieu : l'espace se compose, décompose et recompose en sous-espaces. Ces sous-espaces évoquent des idées d'appartenance et d'ancrage. Nous avons pourtant trop souvent voulu globaliser et étendre notre emprise sans jamais réussir à nous ancrer réellement. L'Homme a besoin d'une échelle tangible pour persister comme être social :

« Je crois qu'il faut inverser radicalement les institutions industrielles, reconstruire la société de fond en comble. Pour être efficient et rencontrer les besoins humains qu'il détermine aussi, un nouveau système de production doit retrouver la dimension personnelle et communautaire. La personne, la cellule de base conjuguent de façon optimale, l'efficacité et l'autonomie : c'est seulement à leur échelle que se déterminera le besoin humain dont la production sociale et réalisable83. » Pour envisager une société qui ne soit pas hyper-industrielle et sans futur, il nous faut reconstruire les contours théoriques conscients des échelles et des limites naturelles existantes selon Ivan Illich. Il est nécessaire de comprendre l'équilibre fragile et complexe de la vie, et de se réintéresser aux rencontres humaines, aux interrelations, aux nécessités de chacun et de tous. Un système résilient l'est ainsi par une revalorisation de l'Homme et de la nature. L'heure est sûrement à la mise en chantier des ressources humaines, et à une profonde remise en question de nos besoins sociétaux. Il est temps de retravailler sur les acquis passés en partageant l'aspect communautaire et en reconnectant par la même occasion les hommes à leur milieu.

82 https://www.cnrtl.fr/definition/espace 83 Ivan Illich. La convivialité. Paris : Seuil, 2003, p. 27. Dans Julien Choppin, Nicola Delon. Matière grise : matériaux, réemploi, architecture. Paris : Pavillon de l’Arsenal, 2014, p. 83.

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MILIEU (OPPORTUNISTE) Milieu défini. Le passage de l'espace au milieu traduit une dimension écosystémique et une variation d'échelle essentielle : une étendue respectable qui permet de connaître son territoire, et surtout de faire avec. Localement, la table rase n'est pas acceptée. Cette table est celle de notre histoire. Une table sous laquelle on s'assoit, sur laquelle on se nourrit et sur laquelle on pose les choses. Elle est un vade-mecum84 à porter de main, l'aide-mémoire du territoire qui est nôtre.

Ainsi, le milieu est un sous-espace d'appartenance directement lié à la notion d'habitat et d'ancrage. Dans le cas particulier de l'Homme, ce dernier représente pour lui un écosystème auquel s'ajoute un ensemble de composantes sociales et culturelles qui l'enrichissent et le complexifient. Il est en cela un territoire d'appropriation et d'adaptation au-delà de la simple étendue qui limite la notion géographique de territoire. La prise en compte de ce milieu écosystémique implique donc une (re)territorialisation de l'Homme à l'échelle du vivant, par la connaissance de son environnement et le savoir-faire de son territoire : « Le milieu, c’est l’équilibre, une manière de se situer entre les choses, de ne pas croire aux "débuts" ex nihilo, mais à des transformations plus patientes ; avoir conscience des interdépendances, se méfier des certitudes, des manuels et des normes85. » En effet, revenir à l'échelle de limites naturelles assure l'équilibre de la vie qui appartient à ce qui est tangible de nos mains et de nos yeux. Le milieu est ainsi par définition "ce qui entoure un être ou une chose, ce dans quoi un corps ou un être vivant est placé". C'est un "ensemble d'éléments matériels et des circonstances physiques qui entourent et influencent ou conditionnent les cellules, les organismes vivants". Ce peut aussi être, un milieu géographique comme "espace naturel ou aménagé qui entoure un groupe humain et dont les contraintes climatiques, biologiques, politiques, etc. retentissent sur le comportement et l'état de ce groupe". Il évoque ainsi ses relations internes comme un "ensemble de personnes formant un groupe social ou professionnel déterminé86". La notion de milieu sous-entend ainsi toutes potentielles coexistences, et par conséquent un ensemble de cercles d'interrelations. Pourtant le milieu n'est pas unique et différents milieux s'entrelacent spatialement. Là existe la question des échelles et de leurs limites. L'entrelacement des échelles dont parle Frédérique Bonnet est un ensemble d'outils liés au territoire. L'idée n'est pas de s'enfermer dans une région, un département ou une ville en mettant en place une autarcie constructive et en se fermant complétement au monde, mais de tenter d'envisager des logiques de 84 Par définition, le vade-mecum est un "recueil contenant des renseignements sur les règles d'un art ou d'une technique à observer ou sur une conduite à suivre et qu'on garde sur soi ou à portée de main pour le consulter". https://www.cnrtl.fr/definition/vade-mecum 85 Frédérique Bonnet. « Matérialité et esprit des lieux ». Conférence Cycle Matière. Bordeaux : Le 308. 12 juillet 2016. Conférence. 86 https://www.cnrtl.fr/definition/milieu

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coopérations conscientes et résilientes entre ces différentes échelles tout en essayant de réemployer le territoire en l'état. La question de la résilience est intrinsèque à celle de milieu. Par définition, elle est la "résistance d'un matériau au choc87" et ainsi par analogie, la capacité de résorption de la matière des villes au choc industriel, et de l'éloignement qu'elle a subi dès lors à son milieu. On peut parler de matière résiliente par son milieu. De plus, dans tous les milieux urbains, les chantiers sont multiples et restent des lieux d'interrelations : les relations y sont concentrées et toujours interdépendantes. Le chantier constitue ainsi une situation propice à la naissance d'un potentiel milieu-chantier : c'est un lieu de correspondance entre l'Homme et son environnement construit. Ayant subi le choc industriel, les potentielles transformations du chantier restent cependant minimes aujourd'hui : le chantier a perdu peu à peu le caractère opportun88 du faire avec. Nous tentons d'expliquer pourquoi dans le chapitre qui suit et nous montrons alors en quoi le retour du réemploi peut en faire un des milieux urbanisés résilients.

CHANTIER (OPPORTUNISME) Le chantier est un milieu régit par un fonctionnement politique et économique qui n'échappe pas aux monopoles de la construction comme nous le montrerons avec Pierre Bernard dans les lignes qui suivent. Appuyant ce propos, Ali Ismaël parle dans son mémoire d'un milieu dans lequel il faut se battre : un « lieu d'engagement ». En effet, c'est par : « La connaissance de la matière, de ses propriétés et des forces qui la traverse que le bureau peut concurrencer l'hégémonie des grandes entreprises de constructions, les concurrencer sur leur propre terrain. Le terrain du gros œuvre, le terrain du chantier89. » Ici, le bureau c'est l'architecte qui se construit encore et adopte une attitude d'apprentissage permanent. Ce sont ces « architectes (qui) refusent les standards constructifs imposés par l'industrie du bâtiment90 » et qui luttent aujourd'hui pour rendre au chantier ses bénéfices perdus. Séparation sur chantier. Nous nous demandons ici comment la séparation sur chantier a fini par s'opérer et quelles en sont les conséquences sur la manière de construire. L'industrialisation est en grande partie responsable des ruptures hommes/chantier et matières/chantier.

87 https://www.cnrtl.fr/definition/résilience 88 Par définition, "qui vient à propos, qui convient à la situation du moment". La situation du moment est celle de la déconstruction : il est opportun de réemployer la matière disponible les sites de chantier. https://www.cnrtl.fr/definition/opportun 89 Ali Ismaël. « L’apologie du faire : ou le chantier au service de l’architecture » Mémoire sous la direction de Vincent Brunetta, 2018-2019, p. 163. 90 Id.

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Cette séparation est la résultante de décennies de dévalorisation de la condition d'ouvrier. Et par centaines d'années même, de la distanciation entre le savoir et le faire qui a accompagné cette dévalorisation. En effet, la Renaissance a commencé peu à peu à tirer un trait entre représentation et réalisation. D'un côté, le plan et la coupe commencent à s'affirmer et à exister comme modes de représentation à part entière, et de l'autre la réalisation sur chantier continue de construire le projet, pierre à pierre et pas à pas. Au fil du temps, le lieu de la conception s'éloigne ainsi du chantier : les deux se séparent autant socialement que méthodologiquement. L'architecte fuit son rôle de maître-bâtisseur et ne dépend plus vraiment pour construire du savoir-faire direct de ses ouvriers. Il devient progressivement maître-concepteur et prend le pouvoir constructif à sa charge. L'ouvrier devient exécutant et suit strictement les dessins codés de la représentation architecturale. Ce changement de rapport entre les acteurs de projet a fortement impacté les différentes professions et les valeurs qu'elles dégageaient. On observe ainsi un impact de la société sur ces milieux socio-professionnels : les systèmes en place reflètent la société qui les a façonnés. Les hommes de chantier – et bien d'autres – ont subi l'application de leur système et se sont ainsi séparés. En effet selon Pierre Bernard : « De manière très directe et presque abrupte, l'activité du chantier est marquée par la séparation. Plus : par le morcellement, voire l'atomisation des tâches. Un chantier est une multitude de tâches limitées, réduites à des opérations dont l'opérateur – l'ouvrier – ne maîtrise pas la finalité à moyen et long terme91. » Le chantier se définit donc aujourd'hui par cette séparation temporisée. La société moderne en voulant rendre toujours plus efficace les systèmes a fini par rendre inefficace l'intelligence des hommes. Ainsi : « La séparation qui caractérise l'activité du chantier n'est pas inhérente à l'acte de construire. (...) Elle est contemporaine de l'émergence de l'architecture moderne qui inaugure et incarne à la fois une nouvelle distribution du pouvoir et une forme efficace de séparation du savoir et du faire92. » La société a mis d'un côté les hommes qui peuvent savoir et de l'autre ceux qui peuvent faire. Cette séparation est le produit d'une société de capital qui a fini par remplacer les hommes par des chiffres. L'Homme s'est alors vu attribuer une limite. On peut cependant envisager qu'une transformation (radicale) de la condition de l'Homme s'opère. Une transformation qui serait loin de l'efficacité peut-être, mais plus proche de l'humain sans doute. En effet malgré cette séparation, le chantier ne peut exister sans les relations qu'il engage : l'Homme a toujours une place centrale puisque la machine ne peut fonctionner sans lui. Le chantier reste en cela un contre-pied comme l'appuie Pierre Bernard : « Il n'en reste pas moins qu'il y a quelque chose dans l'activité du chantier qui résiste et ne se conforme pas au mode industriel93. » Il est une unité de production finale éphémère et 91 Pierre Bernard. « Le chantier ». Criticat n°2. Paris : Association Criticat, septembre 2008, p. 100. 92 Id. 93 Ibid., p. 101.

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changeante. L'épopée de l'industrialisation du bâtiment après la guerre 1939-194594 nous parle alors d'une impossibilité d'industrialiser le secteur du bâtiment puisque le chantier en fait un acte d'hommes, toujours intrinsèquement contextuel. En somme, directement lié à une situation, le chantier de construction ne peut et ne pourra jamais être un produit de l'industrialisation mais il en a pourtant subi les effets. Milieu de valeurs. Le chantier persiste toujours comme un lieu aux valeurs fortes. En tant que phase longue, il s'équipe de lieux d'accueil pour les ouvriers qui y travaillent, de ce que Patrick Bouchain nomme la « base de vie ». Il s'agit d'un lieu de partage ou du partage d'un lieu pendant le temps du chantier. Ce temps de chantier est aussi un temps de vie : les ouvriers y passent des jours entiers, des semaines, voire des mois, et parfois même des années. Il ne peut être une simple application planifiée, et reste un lieu d'interrelations dans son rapport des acteurs au temps du projet. L'entraide, le partage et l'intelligence sont alors quelques-unes des valeurs de ces interrelations de chantier. Les hommes de chantier ne sont peut-être finalement que des gens qualifiés qu'on a fini par enfermer dans un système normatif qui les a déconcertés de leur savoir-faire : l'artisan a muté en ouvrier de pose, son savoir-faire lui a été volé et il faut le faire savoir. Pierre Bernard met en relation cette lutte du chantier contre l'industrialisation et les trois facteurs de résistance qui le définissent. Ces trois facteurs sont intrinsèques à son existence et appuient sa relation située : son rapport au sol, l'absence de distinction entre lieu de production et produit, et enfin l'absence d'objectivation du processus de production. Le chantier se déroule essentiellement in situ : « Les entrepreneurs restent dans une logique de projets et choisissent de façon pragmatique, en fonction des caractéristiques de chaque projet et des conditions du moment et du lieu, les techniques de construction à utiliser, associant en tant que besoin coulage de béton sur le site, préfabrication d'éléments à façon et utilisation de semi-produits et composants du commerce. Le chantier s'est affirmé comme l'unité de production principale qui dicte sa loi technico-économique 95. »

Ainsi pour revenir sur cette impossibilité d'industrialiser le secteur, Pierre Chemillier tente de clarifier les termes d'industrialisation et de construction. L'enjeu est de comprendre l'accélération de l'histoire du bâtiment après la guerre face à l'urgence de la reconstruction. Il est surtout d'envisager l'impact de l'industrialisation sur le secteur de la construction. En préalable, l'industrie a une logique de produit. D'après l'auteur il s'agit d'un processus continu, intégré et totalement maîtrisé. La production en usine centralise la production et la machine fait place à une main d'œuvre spécialisée et toujours non qualifiée. Ainsi par déduction, le produit est défini par une économie de temps et d'espace qui fait de l'unité de production industrielle un espace atemporel comme acontextuel. 94 Pierre Chemillier. « L'épopée de l'industrialisation du bâtiment après la guerre 1939-1945 ». Comité d'histoire. Retranscription écrite, 14 juin 2002. Conférence. 95 Id.

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À contrario, la construction suit une logique de projet où le processus est éclaté. Elle ne peut être fixe car elle dépend de paramètres variables tels que le terrain, le programme ou les acteurs par exemple. Cette unité de production finale est strictement temporelle et contextuelle. La main d'œuvre moins spécialisée y est souvent compétente. Malgré cela, chacune des différentes opérations d'évolution du secteur du bâtiment lui a pourtant fait emprunter une part du processus industriel : « report plus ou moins important de la production en usine, développement de la phase des études, intégration des acteurs, (...) volume important de la commande permettant l'amortissement des investissements et la continuité de la production96 ». Ainsi dans les années 90, la Fédération du Bâtiment s'interroge alors sur la PIP, la politique Produits Industriels et Productivité. L'idée que le travail et l'Homme deviennent peu à peu des produits pose question sur des effets néfastes futurs. Même si jusqu'ici certains paramètres du processus industriel semblent s'appliquer au secteur du bâtiment, la construction n'aurait pas la capacité de répondre aux critères de production industrielle97. Pierre Chemillier est pourtant conscient qu'une part grandissante d'industrie a pénétré le secteur de la construction. Divers produits industrialisés sont devenus maîtres du marché et ont fini par caractériser la plupart des constructions de standard. Les matériaux de base tels que les plastiques, les semi-produits tels que les plaques et les composants tels que les profilés ou les équipements, ont envahi le catalogue de l'architecte : « Il s'agit non pas d'une industrialisation par l'entreprise mais d'une industrialisation par l'industrie, et sur la base de produits laissant une grande souplesse d'utilisation98. » Certaines pratiques persistent pourtant toujours comme le souligne Pierre Bernard : « Autour du noyau que constitue le travail manufacturier, il y a des temporalités propres à des formes disparates d'activité : s'y côtoient des archaïsmes persistants et des espace-temps hyper rationalisés99. » Une coexistence qui peut paraître troublante mais qui est peut-être l'avenir d'un monde à deux vitesses. Sur le chantier les machines et les hommes s'affairent ensemble à battre le blé. Grues poussiéreuses et colorées, camions délavés et bonhommes en fluo ne font plus qu'un. Les phasages se succèdent et tout travail y est organisé. Un temps est donné à chacun mais reste cependant strictement en dehors de la conception. En effet, cet auteur explique : « Une sorte de césure existe dans le continuum de la production de l'architecture, ou plus précisément dans le passage de l'idéalité à la réalité matérielle et culturelle de l'architecture. Cette césure est même entérinée par les lois sur l'ingénierie qui fixent successivement par phases le travail de l'architecte : d'abord l'esquisse, puis l'avant-projet et le projet ; viennent ensuite le chantier et enfin les opérations de réception des travaux. La forme professionnelle de l'exercice du métier d'architecte ne prévoit donc pas de moment partagé

96 Pierre Chemillier. « L'épopée de l'industrialisation du bâtiment après la guerre 1939-1945 ». Comité d'histoire. Retranscription écrite, 14 juin 2002. Conférence. 97 Id. 98 Id. 99 Pierre Bernard, op. cit., p. 106.

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entre conception et fabrication100. » Le problème de ce phasage séparatif réside ainsi aujourd'hui dans le manque de permanence entre les architectes et les autres acteurs du projet. Il n'y a pas de lien permanent de conception-construction101. Les deux phases sont strictement différenciées et ne peuvent s'empiéter administrativement. Chaque phase se succède sans regard de l'une sur l'autre : le retour en arrière est proscrit. Le projet est strictement linéaire et les acteurs se passent la balle à tour de rôle. Ainsi, la séparation subie sur chantier pose la question de la capacité du secteur de la construction à retrouver ce lien permanent entre les acteurs de projet. L'expérimentation peut potentiellement casser la linéarité du projet en renversant les interrelations propres à l'acte de construire. En effet, l'architecte se doit aujourd'hui de prendre part à l'action. Cet activisme peut potentiellement rebâtir des bases saines pour que les acteurs coexistent tout du long, et faire évoluer ainsi les relations de projet. Nous pouvons parler d'une certaine recherche d'horizontalité de projet où l'expérimentation a la capacité de faire entrer plus facilement le réemploi des ressources humaines et matérielles de l'hors-norme102. Potentiel du réemploi sur chantier. Le chantier peut (re)devenir un territoire d'appropriation de la matière par son expérimentation et plus largement, l'expérimentation de la matière sur chantier peut permettre de (re)territorialiser les relations de projet. Un chantier collaboratif et expérimental a la capacité d'accepter le réemploi sous sa forme in situ et le laisse ainsi entrer plus facilement dans le projet.

Premièrement, l'expérimentation sur chantier en fait le lieu de tous les possibles. En cela il est capable d'accroître le potentiel du réemploi, lui-même imprévisible. Il apparaît ainsi comme un lieu ultime d'engagement pour l'architecte, comme pour l'artisan d'ailleurs. Il prend en compte l'espace et le temps. En effet dans son écrit sur le chantier, Pierre Bernard parle du « temps de chantier (...) comme état permanent de la construction et l'heure abstraite. La temporalité longue du bâtiment est celle d'une permanence103 ». Cette idée de permanence est alors liée à une reconstruction intemporelle située qui prend sens dans les enjeux actuels. La reconstruction avec renverse le rapport de la matière au temps tout comme les rapports des hommes à eux-mêmes, à la matière et au temps. Dans son mémoire Ali Ismaël fait l'état de la question : « Quel intérêt la jeune architecture a à (re)mettre le chantier, l'acte du faire, au sein de ses préoccupations ? De ce fait, y'aurait-il effectivement un potentiel au chantier à être partie prenante du projet 100 Pierre Bernard, op. cit., p. 108. 101 À l'exception de quelques rares projets publics de petites échelles. À l'inverse, l'ampleur des grands projets publics n'aide pas à simplifier les relations professionnelles entre les acteurs et rend difficile une co-conception sur chantier. L'échelle des projets et l'état d'esprit de la maîtrise d'ouvrage sont intrinsèquement liés à l'absence de lien permanent. 102 Les matières, matériaux et savoir-faire traditionnels qui ne sont plus prescriptibles par les textes normatifs. 103 Pierre Bernard, op. cit., p. 106.

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d'architecture104? » Les jeunes architectes d'aujourd'hui ont l'envie de révolutionner le secteur de la construction en le forçant à repasser par le faire, et en laissant ainsi entrer la matière dans un processus actif sur chantier. Défendant cela, Tim Ingold est par ailleurs conscient que : « Nous sommes habitués à penser le faire en termes de projet. Faire quelque chose implique d'abord d'avoir une idée en tête de ce que l'on veut réaliser, puis de se procurer les matières premières nécessaires à cette réalisation105. » Il sait aussi que cette vision hylémorphique de la matière à la forme ne permet pas une fluidité réflexive. Le mémoire Le réemploi : mutation du cerveau de l'architecte ? fait alors état d'une ré-évolution par le réemploi et renverse totalement la manière de faire : « La notion de réemploi révolutionne la logique actuelle de conception architecturale : le réemploi positionne le matériau au centre de la réflexion. La matière n'est plus considérée comme abstraite jusqu'à un stade avancé de la conception, comme cela a pu être le cas auparavant106. » Il s'agit de nous requestionner sur nos manières de penser le projet, et d'avoir surtout une méthodologie pour le faire. Ce faire par le faire sousentendu par le chantier possède une potentialité créatrice liée à l'imprévisibilité constructive, à une sorte de magie fédératrice capable de donner forme et de faire exister. Ainsi la manière de faire, la culture constructive et la culture matérielle s'entremêlent. Le faire est l'équivoque d'une mise en matière de l'objet construit où le chantier en est le site et peut aussi en être la stricte (res)source par des opérations de réemploi. Le chantier redevient ainsi le lieu ultime de la conception-réalisation et renforce la réalité concrète de l'architecture. Le quattrocento avait pourtant marqué le passage du savoir-faire à un savoir du faire107 comme le souligne Ali Ismaël dans son mémoire. Pour autant, ceci n'est en rien irréversible. Pour revenir sur la définition du chantier, il est "ensemble des matériaux servant de support". Un "lieu où sont entreposés du bois, du charbon, des matériaux divers...", le "terrain sur lequel on procède à des travaux de démolition, de réparation ou de construction". Il a été par le passé un synonyme de carrière comme "le lieu où travaillent les ouvriers carriers pendant qu'ils procèdent à l'extraction de la pierre" par exemple ou à celui de mine comme quelque chose qui "se déplace au fur et à mesure de l'exploitation d'un gisement108". Ainsi, en tant que lieu même de l'extraction, le chantier se définit et existe par le faire. Il y est consubstantiel : à la fois site de construction et ressource constructive. Le chantier a ainsi la condition d'une exploration et ne peut être que découverte. En cela, il offre au réemploi la chance de susciter l'intérêt et offre la curiosité d'un moment. Il permet d'essayer et donc de renégocier avec ce qui paraissait établi : il est capable de redonner à l'acte de construire, l'ensemble de son potentiel créateur et non plus seulement d'exécution. 104 Ali Ismaël, op. cit., p. 15. 105 Tim Imgold. Faire Anthropologie, Archéologie, Art et Architecture. Paris : Édition Dehors, 2018, p. 59. 106 Tatiana Amsing. « Le réemploi : mutation du cerveau de l’architecte ? » Mémoire sous la direction de Frank Vermandel et Jean-Christophe Gérard. École Nationale Supérieure d’Architecture et Paysage de Lille, 2015-2016. 107 Tim Imgold, op. cit., p. 45. 108 https://www.cnrtl.fr/definition/chantier

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En tant que lieu idéal de l'expérimentation par le faire, il est ainsi pour les études de cas un milieu-opportuniste qui renforce le rapport matière/architecte/conception tout autant que celui architecte/acteurs de projet. Dans un espace-temps tout autre, il parle ainsi de réalisation en conception, liée à l'expérimentation de nouveaux composants d'ouvrage en réemploi par exemple. Le chantier reste un lieu de requestionnement permanent de la condition matérielle d'un milieu, d'une ville, d'un site ou d'un bâtiment. Les études de cas choisies s’interrogent sur la question du réemploi de manière théorique comme pratique et le chantier est leur lieu d'investigation. Il rend capable le réemploi, et c'est parce qu'il y a chantier que des matériaux issus de la déconstruction peuvent lui advenir : il est une caractéristique intrinsèque au réemploi. Malgré cela, le réemploi représente un défi organisationnel de co-construction permanente. L'idée est de parvenir à faire bouger les lignes du secteur de la construction en soulevant des enjeux environnementaux, sociaux, politiques et économiques. En effet, Rotor revient sur l'évolution du marché du réemploi dans son livre Déconstruction et réemploi : Comment faire circuler les éléments de construction. Ils font ainsi l'état du réemploi sur chantier du début du XVII° siècle. À cette époque, des affiches sont placardées dans les rues et indiquent les matériaux à céder des chantiers de démolition. Ces matériaux sont à venir chercher sur place et à débarrasser. Ces chantiers de déconstruction prennent cependant beaucoup de main d'œuvre et de temps et l'impératif du rendement a fini par les laisser de côté, et avec eux le réemploi. Malgré cela, le chantier reste un lieu propice à l'économie matérielle et c'est grâce à l'expérimentation sur chantier que nous pouvons parler aujourd'hui de la réémergence d'une culture (de réemploi) comme un préalable essentiel à la ré-évolution du secteur de la construction. Nous pouvons faire l'hypothèse que les actions alternatives passées par leurs diverses expérimentations, ont eu un impact sur l'évolution progressive de la construction puisque ces modes alternatifs ont la capacité de diffuser une contre-culture109. Ils sont critiques de la culture dominante et la rejettent en partie. Peu à peu, ils font naître alors des initiatives nouvelles chez les acteurs plus officiels qui travaillent sur les projets publics notamment. Certaines collaborations et partenariats ont même parfois lieu avec les institutions comme on l'a vu dans la partie précédente. L'expérimentation fait naître des questionnements essentiels à toute évolution. Il existe ainsi une relation double du réemploi au chantier : le chantier est une opportunité pour la matière du réemploi et la matière du réemploi crée une opportunité pour chantier. L'idée est de s'ancrer dans le réel et de réenvisager le chantier comme un moment à vivre : celui de mains tendues, celles des acteurs de projets vers le savoir et le faire comme une tentative bienveillante de les (ré)unir intelligemment.

109 La contre-culture des années 60-70, aux États-Unis ou en France, rejette l'individualisme et le modernisme architectural, et participe à transformer les modes d'habitat par des expérimentations constructives : elle se tourne vers une (ré)émergence de modes de vie communautaires par exemple.

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B - MOMENT-CHANTIER

Par le chantier, les architectes pris pour études de cas s'attachent à créer un moment. Un moment autour du chantier, un moment par le chantier où tous les acteurs s'affairent à donner l'énergie nécessaire pour fédérer le faire. Acte du moment. En effet selon Nicolas Coeckelberghs, l'acte de construire résiderait avant tout dans l'invocation de ce moment : « C'est à mon avis justement, en introduisant différentes matérialités (...) où on va se dire là on a un matériau qui n'est pas normé, qui va demander un moment d'innovation, où y'a peut-être un workshop qui devra être organisé, et durant ce workshop on peut inviter le maître d'ouvrage, on peut inviter l'entrepreneur, on peut inviter plusieurs personnes (...) et donc ces acteurs clefs se retrouvent autour d'un moment110. » Des moments qui selon Nicolas Coeckelberghs sont des moments de confiance et d'énergies positives aptes à impulser une réflexion ensemble. Des moments où les acteurs retrouvent leurs relations perdues et leurs responsabilités partagées. Des moments d'actions où le site de chantier, la matière et les hommes restent au centre des préoccupations. On peut aussi penser à Pierre Bernard qui évoque poétiquement un acte d'esprit : « La réflexion qu'on lira (...) me vient d'une pratique de vingt ans. (...) Cette réflexion n'a pas pour objet de combler un manque d'enseignement, ni de produire une théorie, mais bien d'esquisser un horizon pratique. Horizon pratique parce que nous sommes des travailleurs de l'esprit (nous concevons) en prise directe sur l'action111. » Un acte d'esprit où l'horizontalité est le maître-mot. Les acteurs font preuve d'activisme et tissent ensemble la toile du pratique, le faire collectif.

La ré-évolution du secteur de la construction peut s'envisager par le chantier. Le temps réglementaire usuel au chantier doit laisser place à un moment où on prend le temps. La (ré)émergence de valeurs y est essentielle tout en y étant liée. Elle entraîne aussi un changement dans les relations des acteurs de projet et repasse par des valeurs vernaculaires, liés à un certain régionalisme112. Un moment en somme, situé. (Re)faire émerger des valeurs. Jean-Paul Laurent, voit la production comme le reflet des « valeurs globales qui nous animent, celles qu'on met dans le projet ». La matière construite est ainsi le reflet de notre société. Les détails constructifs sont une expression de la matière et permettent ainsi une lecture sociétale. Selon lui, il est envisageable de voir dans un bâtiment l'ensemble de ce qui l'a animé, en fonction de ses systèmes constructifs notamment. Les gens se font un mode de vie et le mode de vie finit par faire les gens : il finit par les façonner. À titre d'exemple, les bâtiments 110 Nicolas Coeckelberghs. BC architects, studies and materials. Tour&Taxis. 3 juillet 2019. Entretien oral 1h04. 111 Pierre Bernard, op. cit. p. 99. 112 Rejetant complètement l'universalité propre à l'architecture moderne, le régionalisme critique se réintéresse à la singularité du milieu dans lequel le projet s'inscrit (matières situées, savoir-faire culturels et locaux...).

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de béton empaquetés montrent ainsi un système expert et totalement rigidifié où il est presque impossible de faire entrer une pensée autre : un système industriel cloisonné. Fédérer des acteurs sous-entend aussi de privilégier un financement de la main d'œuvre à celui de composantes machinalisées : plus les assemblages sont complexes, moins la déconstruction sélective est évidente. L'idée est de se réorienter vers des modes de production plus traditionnels et de préférer une dizaine d'ouvriers à un tractopelle, une vingtaine de mains à un bras mécanique. En effet comme l'indique le livre Matière Grise, la société de réemploi s'accompagne du « développement de nouvelles filières créatrices d'emplois non délocalisables » puisqu'il ne s'agit pas d'éléments généralisables. Ce livre nous donne un exemple en chiffre : pour 10 000 tonnes de déchets inertes, un seul homme est nécessaire pour l'enfouissement ou trois pour l'incinération contre trente-et-un pour une déconstruction sélective113. La culture du réemploi induit une reprise en main de la matière par l'Homme qui doit alors nécessairement monter en compétences. Cependant, il n'y a pas forcément d'opposition entre réemploi et mécanisation puisque cette dernière à largement fait progresser les chantiers et même parfois augmenter leur marge d'action. L'objectif est simplement d'être plus durable et soutenable dans notre manière de faire. Ainsi, on observe progressivement une mutation partielle de valeurs114. La société évolue et la pensée du réemploi comme d'un retour à l'artisanat a commencé à réhabiliter l'ouvrier. On observe un réemploi de matières grises comme de matières humaines. Les interbénéfices liés à l'hétérogénéité des groupes de chantier se font sentir : les acteurs de projet gagnent en autonomie tout en étant interdépendants. Il existe une sorte de légitimité du faire ensemble sur et avec le site. Entre savoirs citoyens, expertises, valeurs et confiances, l'idée est ainsi de repérer des situations de productivité résiliente. Le chantier assure une appropriation du lieu et permet de faire pont entre l'objet conçu et l'objet construit, et différencie quelque part l'architecte de l'artiste-architecte 115. Cet organisme pensant et agissant cogère alors matériaux et outils de production : il s'agit là de ce que l'on peut nommer l'immense écosystème de la maîtrise d'ouvrage. La reconnaissance d'un vrai moment-chantier est essentiel à la ré-évolution du secteur de la construction : le temps doit être employer de la meilleure des façons, ensemble.

113 Julien Choppin, Nicola Delon, op. cit., p. 87. 114 Il est important de mentionner que la mutation est restée par endroit une subsistance. Certaines cultures dominantes et situées sont toujours en accord des traditions passées et s'apparentent aujourd'hui à la réévolution souhaitée. 115 L'architecture de la fin du XX° et du début du XXI° siècle a donné une image sculpturale aux constructions avec l'avènement des logiciels paramétriques. La conception est devenue presque artistique et a chamboulée ainsi le rapport des mains qui façonnaient à la matière façonnée.

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IV. MILIEU-CHANTIER116 In situ in vivo

116 Le passage à la partie suivante découle d'un point sur III. DE L'ESPACE AU MI-LIEU. Cette partie a fait l'état des contextes oubliés de milieu et de chantier comme lieux de potentialités et de résiliences. Nous nous sommes interrogés sur ce qui pouvait rendre opérationnel le réemploi et permettre ainsi un changement efficient pour le secteur de la construction. Le constat a été le suivant : - La société-système a fait oublier aux hommes leur milieu d'appartenance. Cependant, il reste dans le passage à une société de réemploi, des hypothèses fortes : - Le réemploi aurait besoin d'être situé et expérimenté pour être efficient. - Le réemploi aurait ainsi la capacité de renforcer le rapport des hommes à leur milieu et au chantier, et de fédérer ainsi le milieu-chantier évoqué. - Des moments-chantier seraient capables de faire évoluer le cadre et la gouvernance de projet. Pour valider ces hypothèses, la partie IV. MILIEU-CHANTIER est une évidence. Le milieu-chantier offre une expérimentation située nécessaire au réemploi. Cette partie illustre alors les figures de chantier en place capables de recontextualiser les faits du projet.

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IV - MILIEU-CHANTIER In situ in vivo Le milieu-chantier est un écosystème à la fois in vivo et in situ. En latin, il est ainsi au sein du vivant et joue du sur place. Nous proposons d'interpréter ici les paramètres qui peuvent le définir. Le chantier est un lieu idéal capable d'amorcer la reconquête de nos milieux et ainsi des ensembles écosystémiques qui les composent. Selon Pierre Bernard, le chantier prépare à l'interprétation. Il est dans l'imprescriptible, l'indescriptible et l'imprédictible, et reste interrogation : « Quand vous replacez les ouvrages dans ce contexte, leur arrivée sur le chantier est un moyen de peser sur les rapports de production, de modifier des modes d'organisation de travail du chantier, d'induire des relations critiques et prospectives au travail (dont on sait qu'il est de plus en plus déqualifié), d'induire une relation autre que celle de la nostalgie du savoir-faire perdu ; d'induire enfin un rapport aux choses en considérant ce que la gestuelle déqualifiée peut produire 117. » Les réadaptations progressives dans la manière de construire sont en lien étroit avec l'évolution des matières de chantier. A - MATIÈRE(S) DE CHANTIER POTENTIELLE

La définition que nous tentons ici du milieu-chantier est illustrée par un ensemble d’acteurs-architectes qui se servent du chantier comme un milieu d’interactions des matières de projet. Ils s'attachent à faire leurs choix matériels de façon pensée, consciente et résiliente en correspondance avec les ressources humaines disponibles. Nous l'avons surligné, Bellastock, Rotor comme BC architects ont une approche réflexive de l’emploi de la matière par le chantier et redynamisent dans le même élan, les relations entre les différents acteurs de projet. Ils repensent et replacent la matière et les hommes au sein du processus de conception sur chantier, ce que l'on a nommé plus haut : une réalisation en conception. Ils partagent l'idée que le secteur de la construction a besoin aujourd'hui d'un changement radical, et invoquent à leur manière la refonte de la notion de milieu. Ville-chantier. La ville est un chantier permanent où tout est déjà là entre nos mains au sein de notre milieu : elle met à notre disposition une matière disponible à réhabiliter, à rénover et à déconstruire. Elle est aussi un palimpseste de couches de possibles par son histoire et évoque des strates capables d'être reconstruites sur, par et avec les ruines du capitalisme118. Ce milieuchantier d'un patrimoine existant-construit abrite l’artisanat d’un ensemble d’acteurs-artisans agiles de leurs mains, et disponibles par leurs savoir-faire. Il nous offre un ensemble d’interrelations à activer ou réactiver pour passer d’une industrie globale à une forme de micro117 Pierre Bernard, op. cit., p. 110. 118 Anna Lauwenhaupt Tsing. Le champignon de la fin du monde : sur la possibilité de vivre sur les ruines du capitalisme. Paris : Les empêcheurs de tourner en rond, 2017.

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industries plus artisanales. Il s'agit de redonner quelque part ses lettres de noblesses aux relations entre les acteurs du faire. La ville a besoin de se construire en acceptant le mouvement et le temps qui lui sont propres, les chantiers permanents qui la composent et recomposent, et l’effervescence matérielle et culturelle qui la définit. Nous pouvons parler d’un réel métabolisme urbain119 : les champs de vue120 sur la matière et ses composantes doivent garder des marges d'action puisqu’elles devront être re-quelque chose demain. L'architecte doit aujourd'hui se réapproprier son milieu en puisant dans ce qui est déjà là. La première matière est celle du construit. Elle est disponible localement et a jadis fourni de l'énergie. La matière de chantier potentielle est donc liée à une certaine archéologie du bâtiment, et repenser cette archéologie matérielle peut aujourd'hui faire évoluer le métier d'architecte en recontextualisant son catalogue. Archéologie matérielle. Le processus de choix matériel est un élément narratif qui appartient au monde du sensible. Il est là pour raconter une histoire, un vécu, et participe à la culture sociétale. La qualité des éléments de réemploi est parfois la même que celle des éléments génériques, cependant l'histoire a raconté est forte : elle est la narration de cultures constructives situées. L'argument de la durabilité et de la circularité est un choix assumé qui doit s'émanciper des idées reçues. Il satisfait les concepts personnels ou collectifs d'une éthique autour de la provenance matérielle.

Dans une logique de réemploi, le choix matériel est parfois une réponse donnée à un besoin et à un moment donné, et n'est pas toujours délibéré : on fait avec ce qu'on a. Cependant, ce phénomène reste tout de même intéressant d'un point de vue archéologique car la lecture de cette histoire permettra de savoir qu'à cet endroit, à ce moment : on était dans le faire avec. En effet selon les architectes du faire pris pour études de cas, l'acte de construire et de matérialiser le projet est une opportunité de langage comme le soulève Maarten Gielen121. Il faut pouvoir s'exprimer et faire pont entre l'économie matérielle informelle et le marché standardisé. Ces architectes tentent alors de trouver du sens, de faire logique et d'activer une certaine matière grise : une certaine mémoire grise. Cette mémoire en tant qu'héritage culturel soulève la question de la transmissibilité. Les codes de lecture et de langage de l'architecte doivent se démocratiser pour transmettre un commun. Ainsi, le monde matériel tient le vécu et l'action du temps qu'il a subi : il est le support d'une histoire commune. Dans cette mesure, l'archéologie matérielle est un premier pas vers 119 Terme employé à Bellastock dans l’élaboration d’un réseau inter-chantiers pour la Plaine Commune en région Île-de-France. 120 La définition Wikipédia est la suivante : "Le champ de vue est la mesure du monde observable tel que vu à un temps donné." Il est important de redonner une temporalité stable à la matière. 121 Maarten Gielen. Rotor Deconstruction. Rue Prévinaire, 58, Anderlecht. 19 février 2019. Visite de site.

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l'acceptation du déjà là : « L'énergie incorporée en architecture, c'est (...) un lien fondamental au temps, à la permanence de la matière au travers des générations, à cette "patine" qui constitue une composante substantielle de l'émotion spatiale 122. » La notion de milieu-chantier insiste sur l'importance d'un temps infini dans la pensée de la matière, à travers son cycle. Il s'agit ainsi d'« inscrire la démarche dans un horizon de temps qui va bien au-delà de la demande immédiate123 ». Non pas la démarche d'une matière infinie mais celle d'un cycle de vie matériel pensé sans fin. Matières et les matériaux doivent être réenvisagés dans le temps par le passage d'une société de produit à une société de services où l'énergie incorporée est conscientisée par les hommes qui en sont la conscience. Notre rôle d'acteurs de projet réside ainsi dans la maintenance et traduit des idées de subsistance et de suture. La maintenance des bâtiments disponibles est indispensable à la permanence de nos villes. L'affirmation du rôle de l'architecte dans la réhabilitation et de la rénovation est essentielle à l'évolution du secteur de la construction. Bâtiment-matière première. Le bâtiment est ainsi la source pure du réemploi de la matière de nos villes puisque nous ne pouvons plus nous permettre de construire sans compter. En effet, l'acte premier de l'architecte d'aujourd'hui est de considérer le bâtiment comme un gisement construit. La mise en chantier de ce bâtiment garde l'avantage du sur site et préserve la matière existante de son statut de déchet.

Ainsi, la priorité est à la rénovation, à la réhabilitation, au renouvellement minimal et partiel. Les études de cas choisies dont Rotor et BC architects, se concentrent quasi uniquement sur du non-porteur et se penchent donc principalement sur de l'aménagement intérieur. Premièrement, cela leur permet d'éviter certains freins administratifs : il reste en effet difficile et coûteux de faire entrer le réemploi structurel dans la plupart des projets publics car les contraintes réglementaires et administratives y sont très lourdes. Secondement, le réemploi d'aménagement a un intérêt de durabilité et d'économie d'action comme le souligne Nicolas Coeckelberghs de BC dans l'entretien effectué : « On préfère se focaliser sur tout ce qui est intérieur parce que là y'a beaucoup beaucoup moins de risques et y'a un potentiel énorme (...) quand on parle de circularité d'un bâtiment, la première chose (...) c'est est-ce qu'il n'y a pas moyen de réutiliser le bâtiment comme tel, d'enlever ce qu'il y a à l'intérieur et de le réaménager (...) c'est bien justement de pouvoir avoir un système qui est adaptable124. » Nicolas Coeckelberghs est conscient des effets de mode de notre société. Le réemploi du bâtiment-matière première entre en correspondance avec la société en mouvement qui l'anime. L'architecte a ainsi le rôle de faire changer les mentalités en construisant à l'intérieur de ce qui reste à construire, et en privilégiant une facilité de 122 Julien Choppin, Nicola Delon, op. cit., p. 159. 123 Ali Ismaël, op. cit., p. 100. 124 Nicolas Coeckelberghs. BC architects, studies and materials. Tour&Taxis. 3 juillet 2019. Entretien oral 1h04.

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transformation des couches constructives les plus soumises à l'entropie. Nous pouvons penser au principe de layering de Stewart Brand125 – visible sur le schéma qui suit – qui illustre l'importance de la distinction de ces couches constructives. En somme, chaque couche a un temps donné et doit pouvoir être changée facilement sans démolition forcée : par exemple la structure a une longévité de 30 à 300 ans contrairement aux revêtements intérieurs ou extérieurs beaucoup moins résistants, de 7 à 15 ans voire 20 ans au maximum.

Les matériaux d'aménagement doivent pouvoir circuler, être démantelés facilement et réinjectés de la même manière. C'est là que la figure du magasin de chantier que nous verrons juste après, prend tout son sens. Ensemencés sur chaque territoire, chacun a l'opportunité d'accepter le déconstruit et de reconstruire avec l'à côté. Il existe ainsi des entrées au réemploi complémentaires dans le projet. Le bâtimentmatière première est à réemployer. Sa réhabilitation peut être couplée avec des parties en place réutilisables ou parfois transférables : nous avons l'exemple des ouvrages constructifs appartenant déjà à un corps architectural tels qu’une charpente ou une simple ferme. On ne va pas éclater les éléments en place mais tenter de les réutiliser pour ce qu'ils sont en les démantelant, en les utilisant sur place ou en les transférant. On va aussi penser les parties futures réemployables pour leur assurer une longévité. Les matières et matériaux injectés doivent être localisables et entrer dans un dimensionnement capable de les pérenniser. Le réemployable de demain va de pair avec une conservation des échelles et des dimensions proches de la ressource matérielle : au moins on a de transformation de la matière au matériau, au plus le réemploi futur est facilité et le recyclage écarté.

125 Stewart Brand. How Buildings Learn : What happen after they’re built. New York : Viking, 1994.

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Ainsi, la conception du projet aujourd'hui doit se coupler avec une recontextualisation des composantes de l'architecture, et doit donc correspondre à leurs disponibilités locales et contextuelles : elle « implique le passage d'une conception axée sur des résultats à une conception basée sur des ressources126 », liée au milieu-chantier. Le paramètre préalable à cette conception émergente est celui de la mise en lumière de ces disponibilités : magasins de chantier, manufactures de transformation de matières ou de matériaux seconds, localisation des sites émetteurs et récepteurs dont le bâtiment-réemploi fait partie à travers un réseau inter-chantiers territorial. Nous verrons ainsi ces trois figures en détail dans les pages qui suivent.

126 Tatiana Amsing, op. cit.

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MAGASIN (DE CHANTIER)

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MAGASIN (DE CHANTIER) - figure 1 Magasin(s) de chantier. Le magasin est par définition historique un lieu aménagé, un "entrepôt pour le dépôt et le stockage de matières premières, provisions ou marchandises127". Par correspondance, le magasin de chantier est le site de stockage des éléments propres au chantier. L'activation ou la réactivation de ce magasin de matériaux est une condition préalable à tout chantier selon JeanMarc Huygen128 où l'élaboration du projet découle de ce que l'on trouve à disposition. Ces matériaux disponibles invitent alors aux questionnements, aux manipulations et aux essais et c'est par l'expérimentation de l'exception que des innovations peuvent apparaître. Nous pouvons établir deux figures variables : le magasin de chantier situé dans une zone définie et celui inhérent à tout site en construction. Permanent ou éphémère, il reste cependant toujours en mouvement. Le magasin de chantier éphémère. On observe aujourd'hui que cette première figure éphémère a disparu. Elle appartenait à un espace-temps bien différent, relatif au métabolisme urbain passé. Le magasin de chantier d'aujourd'hui peut cependant être vu comme l'évolution de ces anciens chantiers de démolition ouverts à la reprise sur site. Cette époque où le déchet n'existait presque pas rendait la matière de chantier récupérable et disponible dans un temps donné. Les chantiers étaient alors ouverts, visibles et lisibles de tous. À ciel ouvert plutôt qu'en déchetterie, ces matériaux restaient ce qu'ils étaient : des ressources. Le magasin de chantier permanent. Le site de Rotor Deconstruction est pris pour étude de cas. Il se situe dans la région Bruxelles-Capitale en Belgique dans la zone industrielle de la commune d'Anderlecht. Au cœur de la capitale, il est une plateforme tournante pour les matériaux issus de la déconstruction sélective. Il s'agit d'un entreposage permanent de matériaux seconds d'une superficie d'environ 10 000 m2. Ce magasin de chantier à ciel ouvert comme en hangar dispose d'ateliers de reconditionnement proches des zones de stockage. Cette proximité facilite la logistique des matières secondes sur le site.

Le site de Rotor Deconstruction est schématisé sur la page qui suit. Il s'équipe de deux hangars de plus de 4 000 m2 et 800 m2 au sol dans lesquels les matériaux sont reconditionnés et stockés de manière temporaire. Le reste de la surface au sol représente un vide logistique essentiel aux flux des matières de réemploi. Le plus grand hangar abrite aussi la coopérative de bureaux de Rotor et permet d'intégrer un pôle recherche au site de stockage.

127 https://www.cnrtl.fr/definition/magasin 128 Julien Choppin, Nicola Delon, op. cit., p. 156.

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À l'ère de son temps, Rotor a aussi mis en place un store web pour la revente des produits de déconstruction. Cette plateforme numérique permet de gérer les stocks dans le temps et de faciliter leur écoulement. Elle les répertorie et fonctionne comme un véritable catalogue d'aménagement intérieur. C'est une extension actuelle du magasin de chantier. On y trouve des portes, luminaires, éléments de sanitaires et autres fournitures. Un ensemble matériel qui propose l'insolite, évoque la créativité et invite à raconter une histoire. Cette matière parle de vécu et nous replonge dans les traditions d'une époque autre, pas si loin d'hier.

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En effet, la presque totalité des objets collectés par Rotor Deconstruction est de qualité plutôt noble par souci de revente et remonte à l'époque pré-moderniste. Les portes et planchers en chêne, les luminaires émaillés, les carreaux ciment, les céramiques colorées et autres beautés architecturales continuent d'offrir ce qu'elles ont toujours promis : la longévité. Une longévité qui s'apparente presque à l'éternité puisque ces matériaux minutieusement sélectionnés sont intemporels : l'obsolescence les a épargnés. Rotor Deconstruction fédère ainsi une archéologie matérielle à travers son savoir de faire parler l'histoire. Nous avons l'exemple de carrelages de ciment démantelés, reconditionnés et vendus avec un fascicule de mise en œuvre. En préalable du démantèlement, un relevé de motif sur existant est réalisé pour faire état de la mise en place préexistante. Le matériau de sol et son caractère Art Déco129 sont achetés ensemble sous une même entité de narration. Le matériau garde son intelligence et sa valeur d'antan, déjà fournies. Rotor fait ainsi l'état d'une archéologie de mise en œuvre où le dessin à la même valeur qu'un relevé photogrammétrique130, propre au domaine de l'archéologie. Le dessin prend ici un rôle de transmission important à soulever. La seconde étape est la préparation au réemploi. Les carreaux en question sont démantelés et plongés dans des bains de vinaigre suffisamment acide pour compenser le caractère basique du mortier collé dessus et optimiser ainsi l'opération de nettoyage. La dissolution des éléments excédants est rapide et quelques jours après une solution pH neutre est obtenue par le mortier dissous. Cet exemple montre que le matériau se (re)généralise en se régénérant. L'entreprise de déconstruction récupère aussi des matériaux plus industriels comme des équipements de bureaux notamment. La demande y est forte sur la capitale et les gros stocks de standards sont parfois plus faciles à écouler que l'exception. À l'inverse, cette dernière fait plus facilement le bonheur de particuliers, pièce à pièce et peu à peu. L'écoulement des éléments de déconstruction aujourd'hui reste cependant difficile et génère un problème de stockage. La visibilité nécessite une certaine sensibilisation essentielle à la mutation des besoins matériels. Rotor dispose d'un show-room mettant en valeur les matériaux en question sur le site de Rotor Deconstruction, à côté de la coopérative de bureaux. Pour être efficient, ces stocks doivent aussi se coupler avec des exemples de mise en œuvre. Ainsi, ensemencés sur le territoire la figure du magasin de chantier ne demande que des chantiers pour se vider ou pour simplement exister. Un rapport fort doit revenir entre les chantiers permanents qui ponctuent le territoire et le métabolisme urbain qui l'anime.

129 Michaël Ghyoot. « Le réemploi des éléments de construction : avec ou sans architectes ? ». Marseille : École Nationale Supérieure d'Architecture de Marseille. 22 novembre 2016. Conférence. 130 La photogrammétrie utilisée en archéologie est un mode de relevé par photographies reliées par points GPS. C'est un mode de représentation du vrai, de ce qui a existé et qui subsiste encore en l'état.

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RÉSEAU (INTER-CHANTIERS)

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RÉSEAU (INTER-CHANTIERS) - figure 2 Le métabolisme est par définition l'"ensemble des réactions de synthèse, génératrices de matériaux (anabolisme), et de dégradation, génératrices d'énergie (catabolisme), qui s'effectuent au sein de la matière vivante à partir des constituants chimiques fournis à l'organisme par l'alimentation et sous l'action de catalyseurs spécifiques". Et aussi l'"ensemble des réactions qui assurent la jonction entre les mécanismes de synthèse et les mécanismes de dégradation131". En somme, il est entropique et se destine ainsi à être toujours en mouvement. Cet organisme évolue sans cesse, subit l'action du temps et est en cela imprévisible. Par analogie, on peut prendre cette définition de métabolisme comme celui des mécanismes du capital synthétisé par l'Homme qui se dégrade sous l'action entropique de la matière : les ruines du capitalisme sont le nouveau terreau de nos villes. Le métabolisme urbain Plaine Commune. Nous nous intéressons particulièrement au réseau inter-chantiers du territoire de la Plaine Commune en région Île-de-France. Ce projet de métabolisme urbain est piloté par Plaine Commune, et plus particulièrement par Bellastock qui n'est autre que le mandataire d'un groupement de six partenaires132. Il s'agit comme précisé sur leur site web : d'un "nouveau modèle soutenable d'aménagement du territoire" qui invoque ainsi la "mobilisation de ressources matérielles et humaines endogènes du territoire".

Ce projet-pilote s'étale sur une période de trois ans et s'applique au secteur du bâtiment. Il a débuté en avril 2018 et intègre une démarche d'économie circulaire autour des "3R"133. Réemploi, réutilisation et recyclage sont ainsi au centre des activations au même titre que le développement des filières qui les définissent. Bellastock coordonne le projet et l'ensemble de ses acteurs en les articulant autour de cinq axes de travail schématisés ciaprès134 : les six partenaires ont tous un rôle à tenir dans la fédération d'une culture de réemploi territoriale. Le premier axe est le point de départ : l'expérimentation d'une démarche de réemploi inter-chantiers est essentielle pour rendre opératoire le projet Plaine Commune dans le temps. Sans ce préalable, les autres acteurs-partenaires du projet ne pourraient pas assurer le déploiement de la démarche sur le territoire.

131 https://www.cnrtl.fr/definition/métabolisme 132 Le groupement se compose de : Bellastock (mandataire), Auxilia (stratégie de la Transition), Albert&Co (référent technique), Phares (expertise et accompagnement ESS), Recovering (filières de recyclage innovantes), Encore Heureux (cadrage d'une plateforme numérique), CSTB (modélisation socioéconomique), Halage (IAE et mise en place de chantiers démonstrateurs) ; les experts en sous-traitance : BTP Consultants (bureau de contrôle). 133 Réduire Réutiliser Recycler. 134 Bellastock. Bellastock. Web. https://www.bellastock.com/projets/metabolisme-urbain-de-plaine-commune/

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Nous nous intéressons ainsi particulièrement à la mise en place de ce réseau interchantiers à travers l'expertise de Bellastock, Albert&Co et Recovering. Cette mise en place d'une démarche opérationnelle de réemploi traduit un long travail de planification, d'optimisation, d'identification et de caractérisation des ressources du territoire. L'idée est d'établir une carte concrète de la mine urbaine qui définit le milieu de la Plaine Commune. Pour cela, Bellastock a identifié trente sites pilotes émetteurs et récepteurs de matériaux seconds et a lancé par la suite – à l'aide des cinq autres partenaires Plaine Commune – un appel à projet auprès d'acteurs-entrepreneurs locaux capables de se lancer dans cette démarche de réemploi. Cette phase trisannuelle d'interprétation située s'est divisée en différentes actions successives. La première a consisté à caractériser la mine urbaine, à identifier les matériaux éligibles au réemploi et au recyclage, et à diagnostiquer les ressources des sites pilotes représentatifs du territoire. La deuxième, à planifier la mise en place opérationnel du réemploi, à introduire des clauses métabolisme urbain dans les documents cadres et dans les référentiels d'aménagement du territoire, et à accompagner les maîtrises d'ouvrages des projets pour créer des opportunités de synergie. Et enfin, la troisième a permis d'élaborer des documents et méthodologies génériques à destination des acteurs pour déployer la démarche à l'issue des trois ans135.

135 Bellastock. Bellastock. Web. https://www.bellastock.com/projets/metabolisme-urbain-de-plaine-commune/

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Le diagnostic effectué par Bellastock crée l'opportunité de construire ensemble la valorisation de demain. Ce travail d'interprétation se veut fédérateur du milieu-chantier Plaine Commune. Dans l'appel à projet, des fiches-matières sont transmises et caractérisent cinq familles de matériaux dits stratégiques : la terre cuite (brique pleine et tuile à emboîtement), les menuiseries extérieures (pvc, bois et métal), la serrurerie (métallerie), le bois et le béton. Ces choix ciblés permettent aux acteurs de projet de se focaliser sur les matériaux les plus présents sur les sites identifiés mais aussi plus largement dans le secteur de la construction. En effet, il s'agit de matériaux industriels connus de tous. Facilitant leur lecture, ces fiches-matières sont organisées en trois parties de manière à être le plus explicites possible : une partie descriptive renseigne sur le gisement et les systèmes constructifs en place, une partie cartographique localise les matériaux sur les chantiers du territoire et une partie démonstrative informe sur les transformations envisageables aujourd'hui pour suivre la démarche des "3R". Comme un cahier des charges ouvert, l'appel à projet propose ainsi une action sur les "nouveaux marchés du métabolisme urbain136" identifiés. Le secteur métabolique de la Plaine Commune y est défini et permet aux entrepreneurs de se positionner par une réponse au "3R". Les cartes leur sont données pour réévaluer leur pratique. Nous avons ci-dessous un schéma illustrant la démarche d'économie circulaire.

136 Appel à projet Plaine Commune disponible sur le site web : https://www.bellastock.com/projets/metabolisme-urbain-de-plaine-commune/

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Pour illustrer la présentation de cet appel à projet, nous prenons pour exemple le cas des briques pleines sur le territoire Plaine Commune. Ci-dessous schématisée, leur cartographie indique les disponibilités matérielles et les transférabilités envisageables entre sites émetteurs et sites récepteurs. Cette partie cartographique a été réinterprétée ici pour surligner les flux des briques pleines de réemploi entre les chantiers de Plaine Commune. Le gisement est caractérisé et précisé afin de concrétiser un métabolisme urbain efficient : 4 000 m3 de briques pleines ont été identifiées sur sept sites variables tels que les hangars SNCF de Saint-Ouen, l'ensembles des bâtiments d'habitation et de logements de caserne de Fort de l'Est à SaintDenis ou encore le site industriel Techniparc de la ZAC Pleyel. Cet ensemble constitue un patrimoine existant en désuétude qui mérite d'être réemployer aujourd'hui.

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Ci-dessus, une réinterprétation entre la partie descriptive et la partie démonstrative a été réalisée. Premièrement, les briques pleines sont décrites puis montrées dans leurs états possibles à la collecte. Cette partie double renseigne sur le matériau et sur les systèmes constructifs en place : dimensionnement, appareillage, caractéristique d'ouvrage (maçonnerie autoporteuse, de remplissage ou de parement), finition, nature des mortiers, usage, époque de construction, méthode de dépose préconisée etc. Secondement, des exemples de domaines de réemploi/réutilisation/recyclage sont donnés à titre indicatif et sont ainsi des propositions démonstratives pour répondre à la démarche autour des "3R"137. 137 Appel à projet Plaine Commune disponible sur le site web : https://www.bellastock.com/projets/metabolisme-urbain-de-plaine-commune/

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Recherche de l'opérationnel. Ce projet donne naissance ainsi à cinq filières comme pionnières d'un secteur en mouvement : des graines essaimées capables de se déployer, de se développer et de proliférer138.

Plaine Commune a aussi un poids important dans l'évolution du cadre de projet. Comme le souligne Julie Benoît dans l'entretien effectué par Tatiana Amsing, ce projet-pilote renverse la linéarité projectuelle. Cette dernière impose à la maîtrise d'ouvrage une délégation de ses matériaux de déconstruction lors du diagnostic-déchets ainsi que le rachat de services et de nouveaux produits auprès des entreprises et producteurs de matériaux lors de la construction. En effet dans un schéma classique de projet, ce sont les entreprises qui restent propriétaires des matériaux quoiqu'il advienne. Les sites de projet sont alors dépossédés de tous les matériaux disponibles qui sont évacués. La gestion d'une matière déjà localisée chamboule ce rapport de la matière aux acteurs et au site de projet, et fait ainsi évoluer le secteur de la construction. La matière disponible reste sur place pour que la maîtrise d'ouvrage garde « main mise sur la valorisation des matériaux » et la réinjecte dans les projets. Ceci permet de palier au problème actuel de la maîtrise d'ouvrage qui ne sait pas ce qu'elle achète et encore moins ce qu'elle perd puisqu'elle ne contrôle rien et dépend des producteurs de matériaux. À contrario, la circularité projectuelle mise en place pour Plaine Commune envisage le stockage de ces matières par des opérateurs spécialisés sur place, sur le territoire. Les connaissances sur ces matières et matériaux sont ensuite diffusées aux entreprises pour penser leurs mises en œuvre et fournir un service de revalorisation. Les différentes maîtrises d'ouvrage de Plaine Commune restent donc propriétaires des matériaux et les entreprises restent propriétaires de leur savoir-faire : chacune d'elles à leur niveau d'action font prises sur la valorisation. Composé d'un ensemble de maîtrises d'ouvrage, le réseau inter-chantiers Plaine Commune est à la fois une « collecte multi-site » et une « recherche sur la circulation de la matière et de l'information » comme l'appuie Julie Benoît. Elle offre ainsi une base de planification pour rendre la démarche opérationnelle. Le caractère opérationnel de cette démarche demande un temps d'organisation. Ainsi en offrant ce rôle aux maîtrises d'ouvrage, Bellastock a pour intension de mieux caractériser leur commande. L'idée est de comprendre la situation de projet du territoire et d'en identifier les ressources matérielles et immatérielles. Ils prennent action dans l'intensification de cette situation et dans la diffusion de sa culture. Matériaux, savoir-faire et acteurs locaux sont ainsi des entités à réactiver et à faire correspondre. Ces trois entités en retrouvant leur correspondance, rendent opératoires les filières d'économie circulaire afin de « limiter les entrées comme à Plaine Commune (...) (1,3 millions de tonnes et autant de sortie et 40 millions de tonnes de stock avec beaucoup de reconversion chaque année) (...) il faut puiser 138 L'objectif est aussi de générer de nouveaux emplois par un Appel à Manifestation d'Intérêt (AMI) qui a été publié fin 2019 et mobilisera ainsi, un ensemble d'opérateurs volontaires (entreprises ESS, de réinsertion, entreprises classiques...) pour Plaine Commune.

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dans ces 40 millions de tonnes pour reconstruire la ville sur elle-même139 ». Maîtrises d'ouvrage, maîtrises d'œuvre et entreprises s'unissent pour envisager le métabolisme urbain Plaine Commune de demain. Fédérée par Bellastock, cette démarche s'ancre au territoire grâce à son diagnostic technique et architectural (échelle de bâtiment) et à son diagnostic urbain (échelle du territoire). En somme, il s'agit d'une mise en correspondance de situations particulières (singularité de chaque sous-situation) localisées à une situation territoriale donnée (situation générale). Pour se faire, les coopérateurs de Bellastock diversifient leurs casquettes afin d'intervenir dans les différentes phases de projet et d'accompagner les acteurs de Plaine Commune. Dans un premier temps, ils sont assistants-réemploi à la maîtrise d'ouvrage par leur activisme dans le diagnostic-gisement. Puis dans un second temps, ils travaillent sur une comaîtrise d'œuvre dans la « programmation de chantier parallèle coordonnée à la programmation de site140 ». L'idée est de fédérer auprès de l'ensemble des acteurs une logique constructive située et les moyens de faire logique. Les coopérateurs de Bellastock mettent ainsi le pied dans différentes phases du projet et adaptent alors son cadre classique et hyper-phasé. La mutation du métier d'architecte a un impact non négligeable sur celui des autres acteurs de projet. Comme l'appuie Bellastock : « Si on refonde la gouvernance de la matière, alors on dit, la matière, qu'elle soit en cours de construction ou de déconstruction, est une propriété de la MOA qui n'achète plus qu'un service à l'entreprise.141 » Les diagnostiqueurs et les opérateurs de collecte font évoluer la relation maîtrise d'ouvrage/entreprises : ces dernières répondent par la matière disponible qui appartient à la maîtrise d'ouvrage. Cette nouvelle gouvernance de projet est celle d'une notion de service qui se tisse entre les acteurs. Un dialogue d'action basé sur la maintenance et la permanence est mis en place, et est capable de faire évoluer les pratiques. Le but est par exemple « de faire parler un technicien avec un architecte qui va parler avec une entreprise de démolition qui va modifier son projet142 », où ce faire parler se fait par la matière d'ouvrage. Ainsi, Bellastock sensibilise et accompagne une logique d'interbénéfices. L'adaptation de l'architecte pluriel d'aujourd'hui passe forcément par la réadaptation de l'ensemble des acteurs de projet à leur situation.

139 Julie Benoît. École d’Architecture de Paris Belleville, 19 mai 2016. Entretien Bellastock. Dans Tatiana Amsing. « Le réemploi : mutation du cerveau de l’architecte ? » Mémoire sous la direction de Frank Vermandel et Jean-Christophe Gérard. École Nationale Supérieure d’Architecture et Paysage de Lille, 2015-2016. 140 Comme le précise Julie Benoît, la maîtrise d'œuvre est accompagnée et aidée dans la définition de ces lots en fonction du diagnostic gisement. On imagine alors qu'ils ont un rôle de transmission dans ce catalogue informel. 141 Julie Benoît. École d’Architecture de Paris Belleville, 19 mai 2016. Entretien Bellastock. Dans Tatiana Amsing. « Le réemploi : mutation du cerveau de l’architecte ? » Mémoire sous la direction de Frank Vermandel et Jean-Christophe Gérard. École Nationale Supérieure d’Architecture et Paysage de Lille, 2015-2016. 142 Id.

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Fédérer des acteurs locaux. Nous nous intéressons d'autre part à la mise en place de la plateforme web Opalis 143 par Rotor en partenariat avec Bruxelles-Environnement et la région Bruxelles-Capitale. Cette plateforme cible l'ensemble des acteurs du réemploi sur le territoire belge et peu à peu français depuis plusieurs années.

Le réseau Opalis constitue un répertoire d'entrepreneurs qui ont le savoir-faire de ces matériaux : un ensemble d’artisans et de petites et moyennes entreprises qui s'engagent dans la remise en circulation d’éléments seconds. Ils sont ainsi capables de construire avec du réemploi et fonctionnent pour la plupart comme des magasins de chantier. Opalis participe ainsi à étendre la culture du réemploi en caractérisant le gisement d’artisans spécialisés dans ces ressources territoriales et en les rendant visibles de tous. Dans la fédération d'acteurs territoriaux, Bellastock et Rotor ont pour point commun une classification par la matière après repérage des gisements : magasins de chantier, entreprises de construction et bâtiments existants à déconstruire ou reconstruire sont spécialisés aux matériaux disponibles. Ils produisent des fiches-matières aptes à faciliter la connaissance générale de ces matières premières nouvelles, et permettent ainsi de les faire rentrer plus officiellement dans le catalogue de l'architecte. Comme on le voit avec Opalis, la Belgique dispose déjà d'acteurs-entrepreneurs spécialisés en réemploi (d'aménagement du moins). En France, Bellastock et d'autres acteurs-architectes proposent et appuient l'intensification de leur mise en place. La France est en retard quant à la culture du réemploi mais les nouveaux marchés de Plaine Commune se déploient et d'autres voient le jour progressivement. Cet appel à projet offre aux entrepreneurs français la possibilité de réorienter leur activité de production en étant accompagnés. En intégrant la mise en place de cette démarche, ils peuvent alors se positionner à différentes échelles : celle de la collecte et de la fabrication (conditionnement, stockage et préparation), celle de la fourniture, celle de la mise en œuvre, et celle de la maintenance (réparation). Promouvant la réintroduction de la notion de métabolisme urbain, ces échelles traduisent l'intemporalité d'une stratégie constructive nouvelle et un changement de paradigme pour les entreprises du secteur de la construction en région Île-de-France. En cours ou déjà opérationnelle, la fédération d'un réseau d'acteurs reste un point central à Bellastock et Rotor qui deviennent de réels médiateurs du réemploi. Ils proposent une recherche de réflexivité autour de ce qui est déjà su et sur ce qu'il y a à savoir. Par l'émergence de la figure du magasin de chantier, ils entretiennent également une relation forte avec le territoire qu'ils investissent : la mise en place d'un ensemencement de magasins de chantier éphémères sur le territoire Plaine Commune ou le magasin permanent du site de Rotor Deconstruction.

143 Opalis. Rotor : Annuaire d’entreprises. Web. https://opalis.be/fr

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Cependant, à travers cette démarche leur façon d'aborder le projet ne modifie pas la production actuelle de matière : on met en place un système de récupération d'éléments issus du modèle industriel où le diagnostic-ressources pallie au diagnostic-déchets. D'une certaine manière, on modifie simplement la gestion de la production industrielle en permettant un relatif recyclage la plupart du temps. Les magasins de chantier sont des outils essentiels au métabolisme urbain. Ils assurent la permanence d'un réseau inter-chantiers en mettant à disposition le gisement des matériaux disponibles. D'autre part, une autre figure – celle de la manufacture de chantier – semble indispensable au changement du système de production. En effet, la manufacture de chantier permet de réenvisager la production sur site de ce dont on a besoin pour construire, et peut ainsi potentiellement renverser les rapports de l'artisanat à l'industrie.

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MANUFACTURE (DE CHANTIER)

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MANUFACTURE (DE CHANTIER) - figure 3 La manufacture définit l'action de fabriquer, de façonner à la main, de manufacturer. Sa "forme historique est celle d'une organisation de travail fondée sur la technique manuelle et caractérisée par la concentration de la main d'œuvre, par la subdivision de chaque processus de production en une série d'opérations de travail simplifiées, par la différenciation et la spécialisation des instruments de travail (chaque outil ne servant qu'à un seul procès de production)144". L'organisation temps/espace/économie a cependant fait du chantier un espace abstrait et rationnalisé en décalage du site de faire qu'il aurait pu continuer à être, et où la figure de la manufacture s'est peu à peu perdue. Le travail manufacturier de la main a presque disparu avec l'industrialisation sérielle. Nous nous demandons en quoi son retour peut rééquilibrer les outils qui prolongent la main. Manufacture(s) de BC materials. Pour illustrer la réémergence de la manufacture de chantier, nous prenons l'exemple de BC materials, la coopérative de matériaux de BC architects & studies, qui travaille sur l'économie circulaire de la terre d'excavation en région bruxelloise145. Leurs préalables sont les suivants : - Tous travaux de terrassement soulèvent et extraient une quantité phénoménale de terre. Brassée en masse, elle constitue l'une des plus vastes ressources où le chantier est le lieu premier de sa disponibilité. À titre d'exemple, 2 millions de tonnes de terres d'excavation par an sont extraites sur Bruxelles et 20 millions de tonnes par an en Flandres146. - Cette matière-terre est encore vue comme un déchet aujourd'hui mais est pourtant infiniment circulaire sous la condition de ne pas être polluée. Le déblai doit être réutilisé plutôt qu'envoyé en site d'enfouissement.

On observe de la même manière que pour le magasin de chantier, deux variables de la manufacture de chantier. L'une sur leur site de bureaux, est permanente. Et l'autre, se délocalise sur les sites de chantier lorsque besoin est de produire un matériau avec la terre d'excavation disponible. C'est deux angles d'attaque permettent de précéder une production par l'expérimentation et de prévenir ainsi la matière-terre de son statut de déchet.

144 https://www.cnrtl.fr/definition/manufacture 145 BC materials a un contrat avec Bruxelles-Environnement pour faire sortir la terre d'excavation, du statut de déchet. Des subsides lui sont ainsi donnés. 146 Nicolas Coeckelberghs. BC architects, studies and materials. Tour&Taxis. 3 juillet 2019. Entretien oral 1h04.

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La manufacture sur leur site de bureaux. BC materials est le pionnier de la construction circulaire en terre crue en Belgique, et ouvre officiellement son site de production le 25 avril 2019 proche des locaux de l'entité BC architects & studies dont elle est le spin-off147. Située sur le site de Tour&Taxis au nord de Bruxelles, cette manufacture de chantier – schématisée ci-contre – permet de monter une filière de production et de stockage temporaire sur leur site de bureaux afin d'intercepter une partie des terres d'excavation qui partent aujourd'hui à l'enfouissement. À l'heure actuelle sur une production artisanale, il reste cependant difficile de diminuer la perte de cette matièreressource.

L'entreprise propose à la vente une gamme de produits prêts à l'emploi pour particuliers et promoteurs tout en garantissant des matériaux de qualité pour les projets de son entité principale BC architects & studies. Ces matériaux sont auto-suivis puisque fabriqués par les mêmes acteurs sous un statut juridique différent. Actuellement, trois produits y sont proposés pour de l'aménagement strictement intérieur : la BRICKETTE (brique pour mur intérieur), le BRUSSELEIR (enduit intérieur) et le KASTAR (terre de pisé pour sol, mur et mobilier intérieur). Ce hall de production s'équipe ainsi de matières – brique de terre, enduits d'argile et terre à pisé – capables de donner une alternative aux produits industriels classiques devenus presque traditionnels. Elles se proposent de remplacer ainsi ces produits qui sont souvent non-locaux et énergivores : brique de terre cuite ou ciment, enduit intérieur ou plâtre et béton banché. 147 Woutier Polspoel. « Le pionnier de la construction en terre crue circulaire ouvre un premier site de production ». Architectura.be, Web. 02 avril 2019.

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Par l'expérimentation, BC usine une production qui a déjà été testée et dont la composition a été approuvée. Issus presque directement d'une matière-mère et ainsi très peu

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transformés, ces produits alternatifs permettent une certaine résilience. La matière-mère en question révolutionne par sa localité, sa circularité infinie et ses multiples qualités architecturales. Dans une optique de maintenance des bâtiments par exemple, ces matières sont un réel atout et peuvent avoir une place considérable : elles permettent un aménagement intérieur qui peut facilement être déconstruit. Cette action sur l'après permet d'être en accord avec la plupart des enjeux environnementaux. En effet, la terre a de nombreux avantages qui sont renforcés en rénovation ou en réhabilitation. Elle peut rendre capable un bâtiment donné : améliorer la qualité hygrométrique d'un mur en absorbant ou rejetant l'humidité, améliorer le confort d'été et la qualité phonique des parois, assurer une correction thermique, rendre plus stable au feu, et même permettre le stockage du CO2. Ces matières agissent ainsi directement sur la permanence des bâtiments, et BC materials met un point d'honneur à n'ajouter aucun stabilisant tel que le ciment pour assurer et faciliter son recyclage ultérieur. Les seules matières additionnées restent écologiques et décomposables (paille, sable, argile etc.). Le matériau mis en place retournera à la Terre presque plus simplement que ce qu'il en est sorti. Il est important de noter que l'utilisation de la terre crue n'est pas nouvelle et a même un jour été la norme comme nous renseigne Nicolas Coeckelberghs dans l'article Le pionnier de la construction en terre crue circulaire ouvre un premier site de production. Il pense notamment à Bokrijk : un village entier construit de terre et déplacé dans le parc naturel de même nom à l'est de la Belgique sur la route de Genk. Cette patrimonisation valide une beauté et une qualité architecturale intemporelle.

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L'activisme de BC sur la spécialisation dans cette matière-terre continue de changer les consciences. Son expérimentation sur leur site de bureaux permet de peser sur son statut de déchet lorsqu'elle sort du chantier. Ainsi la terre crue qui avait presque disparu depuis des décennies, reprend peu à peu sa place dans un système en mouvement. Ces acteurs font preuve de compréhension et sont à l'écoute d'un milieu en évolution. Avec de telles initiatives le secteur de la construction devient plus résilient. Dans l'article Le pionnier de la construction en terre crue circulaire ouvre un premier site de production comme dans l'entretien Nicolas Coeckelberghs de BC, le principe est d'entraîner ce marché de niche vers un marché en croissance. Pour cela il est nécessaire de faire évoluer les mentalités. Les particuliers, les commanditaires mais aussi les architectes doivent réapprendre aujourd'hui à remettre les mains dans ce qui est à disposition. L'expérimentation est permise par la remise en main de la matière de projet, et est indissociable de la repensée des outils de production : d'une part sur le chantier en amenant la machinerie sur place, et d'une autre en transposant la matière latente sur le site de production de BC materials. La manufacture de bureaux dispose ainsi d'un ensemble de machines à échelle humaine, mobiles et délocalisables voire (re)localisables. Ceci assure une facilité de déplacement de l'unité de production sur le site de chantier. La manufacture sur le site de chantier. La délocalisation temporaire est indispensable. La manufacture est déplacée sur le site de chantier et le projet est travaillé dans un même moment de conception-construction où le spin-off BC materials a alors un rôle de co-gestion ou de co-production dans le projet. Son savoir-faire permet de tester la terre en place (composition variable selon les strates géologiques) et de développer ainsi une (re)composition en accord avec le système constructif à mettre en place. Le matériau est ainsi produit à partir de la matière-terre du site en question.

Production matérielle et architecturale se fondent dans un même élan de faire in situ. Le produit mis en forme correspond au système constructif mis en place. L'unité d'extractionproduction déplacée in situ ramène les outils au plus proche de la matière, et permet une résolution technique située. Il s'agit d'un réel équipement interne au chantier. Nous verrons pour cela dans les pages qui suivent le cas de la Maison Régionale d'Edegem : une construction publique faite de terre qui marque un retour vers des procédés manufacturés par BC materials.

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La Maison Régionale d'Edegem est un centre régional de sensibilisation sur la nature et l'écologie. Elle est née de la transformation d'un ancien hangar située sur le parc Fort V au sud d'Anvers en Belgique. La schématisation ci-dessus de son processus constructif illustre le déplacement de l'unité de production manufacturière de BC materials.

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BC architects, studies & materials se sont emparés de cette surface couverte comme d'un atelier de production in situ capable d'abriter également le futur objet de la demande architecturale. L'implantation du projet dans ce hangar offre la possibilité de créer un jardin clos sur lequel l'architecture peut s'ouvrir. Le pavillon est un rectangle qui s'articule en pivot dans le hangar existant. Les voûtes produites s'inspirent de l'architecture de Fort V et font ainsi parties de la culture constructive en place. La structure se compose de voûtes maçonnées constituées de terres locales. Le module constructif est celui de briques de terre crue comprimées revêtues d'une couche isolante de chaux-chanvre projeté. La structure se limite intelligemment à deux techniques écologiques et biosourcées qui en font un bâtiment à bilan CO2 négatif. Un argument qui conscientise le cycle de vie du bâtiment puisqu'on s'intéresse à l'avant comme à l'après : non stabilisées, les briques peuvent facilement redevenir terre. Dans cet espace couvert, le vide alentour laisse un espace libre autour de l'objet fonctionnel co-construit par BC lors de trois workshops. Ce vide intérieur permet alors un espace aux possibles infinis pour le projet d'une part (plantations diverses, bar estival, évènements variables etc.), et donne d'autre part une place à l'atelier du temps de chantier. Il s'agit d'un réel atout en tant que vide logistique pour la production sur site qui facilite alors le travail manufacturier. Le projet de la Maison Régionale d'Edegem a une configuration particulière. BC gagne un concours d'architecture en appel d'offre avec un dessin d'arches rapidement discuté avec un entrepreneur ayant le savoir-faire nécessaire. Plutôt que lancer le dossier d'exécution avec le cahier des charges en appel d'offre public pour trouver un entrepreneur général, les coopérateurs de BC décident de se tourner à nouveau vers l'entrepreneur et organisent un premier workshop pour définir ensemble les points encore flous, en prenant une avance incertaine sur la suite. Le premier workshop, ouvert à tous, s'organise alors le jour de la fête d'Edegem. Il est pour eux l'opportunité de faire les mélanges de terre afin de trouver la composition idéale des briques de terre crue, et de tester le prototype d'arche sur site et ce, avec le maçon possible et l'ingénieur stabilité qui a aidé à dimensionner la taille et largeur du prototype en question. L'entrepreneur est alors présent durant trois jours et montre une certaine volonté devant le maître d'ouvrage. Ce moment est l'occasion aussi pour BC de prendre certaines mesures, de redessiner et d'adapter finalement le projet comme l'outil de production à la situation de terrain. Le prototypage permet de comprendre comment on construit pour dessiner de la meilleure manière ce qu'on va construire : « c'est juste de comprendre comment une brique est maçonnée pour pouvoir justement mieux dessiner le bâtiment148 ». Par la suite lorsque le projet est mis en appel d'offre public, l'entrepreneur a déjà une avance et peut mettre un prix juste. La co-construction est bénéfique à tous mais n'est envisageable

148 Nicolas Coeckelberghs. BC architects, studies and materials. Tour&Taxis. 3 juillet 2019. Entretien oral 1h04.

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que si le maître d'ouvrage est soucieux d'innover avec les matériaux, et conscient de laisser du temps pour tester comme l'appuie Nicolas Coeckelberghs. La conception-réalisation de cette Maison Régionale a donc renverser l'organisation classique de l'appel d'offre public puisque BC et les acteurs clefs de projet ont travaillé main dans la main à répondre au plus tôt et à rendre pertinentes les solutions techniques envisagées comme envisageables. L'expérimentation du prototypage validé est suivie de deux workshops de construction où l'organisation sur chantier est un maître mot. L'emplacement des outils de production et celui du stockage temporaire est défini. En quelques chiffres, le chantier a représenté 19 000 briques de terre crue produites in situ en trois semaines de construction et 312 m2 d'enduit chauxchanvre projeté en deux semaines. Au-delà de leur organisation, ces deux workshops de mise en œuvre ont permis l'apprentissage de 150 volontaires étalés sur toute la période. L'opportunité des workshops permet ainsi d'être ensemble autour d'un moment-chantier, celui du faire, et assure une formation collective au travail manufacturier. Dans ses écrits, Pierre Bernard rapproche le chantier d'une manufacture : « Le travail appartient à une forme de travail manufacturière. (...) Plus que la gestuelle de la main, la matière et l'esprit se joignent par ce tiers qu'est l'outil (intercesseur, médiateur et prolongement organique), auquel le compagnon vouait quasiment un culte 149. » L'outil est de pair avec la main et définit l'acte même de construire. Les volontaires accompagnés par les acteurs de projet ont ainsi suivi une sorte d'apprentissage tutoré essentiel à la compréhension constructive et à l'utilisation de ces outils constructifs. Les outils de production de BC materials se limitent alors à de petites machineries, compréhensibles : une presse, un malaxeur, un fouloir pneumatique etc. Proches de la main, ils font l'éloge de l'artisanat et traduisent des traditions passées. Les outils dialoguent avec la matière par le geste éprouvé. Pour illustrer cela, on peut penser au livre écrit par Pauline Lefevre en collaboration avec BC, The Act of building150 : l'acte de construire. Les chapitres se divisent intelligemment par l'outil qui a défini leur pratique. Les projets se retrouvent alors mêlés et disjoints, traduisant des cultures constructives variables, changeantes et adaptées. Ces outils découlent d'une envie de chercher dans le milieu alentour des provisions à la production comme un motif réfléchi de légitimer le faire. Ainsi, les coopérateurs de BC ont une réflexion dans la manière de consommer la matière (plus locale par circuit-court), de produire la matière (artisanale et moins industrielle) et de penser la conception (constructible, déconstructible et reconstructible). Ces architectes se spécialisent ici sur une matière qu’ils précisent, expérimentent et comprennent à travers l'acte de construire et surtout à travers l'expérimentation sur chantier. Ils reprennent ainsi les rênes de la matière par le chantier et du chantier par la matière en ayant 149 Pierre Bernard, op. cit., p. 102. 150 Pauline Lefevre, BC architects & studies. The Act of Building. Anvers : Flanders Architecture Institute. 2018.

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une production propre de matériaux et des outils de production qui la permettent, et ce non « pas pour mettre en œuvre le bâtiment mais (...) pour justement produire certains éléments qui vont constituer le bâtiment151 ». En tant qu'outil de production, cette unité est pensée en amont et éprouvée dans sa capacité techniciste. La manufacture de chantier est ainsi indissociable de la co-construction d'une situation et de l'évolution du système de production actuel. Manufacture temporaire localisée au chantier et manufacture pérenne délocalisée au site de bureaux appartiennent toutes deux au territoire de projet. Ces deux figures se complètent et sont ainsi indispensables. Elles jouent de l'expérimentation pour combattre les freins réglementaires liés aux matériaux-terre. La première a l'avantage de répondre in situ à la résolution technique où « si c'est des problèmes de structure (...) on fait des essais-grandeurs152 » et la seconde, celui de manufacturer un élément en préfabrication dans l'atelier permanent et ainsi de « travailler avec un élément industriel au service de la vitesse 153 ». La préfabrication peut permettre une certaine efficacité et a un impact bénéfique sur la gestion du temps de chantier. Dans ces deux approches, la fabrication de la matière régit la mise en place du chantier et donne le tempo de la mise en matière.

(MAGASIN + MANUFACTURE) (DE CHANTIER) = RÉSEAU (INTER-CHANTIERS) En somme de ces trois grandes figures identifiées et de leurs variantes : la manufacture de chantier (in situ au chantier ou délocalisée au territoire) permet une transformation située de la matière disponible, le magasin de chantier (éphémère ou permanent) permet de pérenniser la disponibilité de ses matériaux par le stockage, et enfin le réseau inter-chantiers permet d'assurer une transférabilité entre les transformations matérielles manufacturées et les disponibilités magasinières.

151 Nicolas Coeckelberghs. BC architects, studies and materials. Tour&Taxis. 3 juillet 2019. Entretien oral 1h04. 152 Jean-Paul Laurent. Ingénieur structure et enseignant. École Nationale Supérieure d'Architecture de Montpellier. 23 et 24 octobre 2019. Entretien oral 2h45. 153 Id.

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B - CONSTRUIRE LA SITUATION ENSEMBLE

Les hommes restent les principaux leviers d'action de la culture constructive de demain. Construire la situation ensemble sous-entend de reconstruire le cadre dans lequel s'insère le projet. Selon Jean-Paul Laurent : « Le système de production a une influence sur le projet donc le contenant doit être adaptable pour que le projet puisse s'écrire154. » Il est donc essentiel pour penser le projet de penser l'outil de production qui va faire le projet en intervenant très en amont dans la co-construction de la situation projectuelle. L'idée est de « construire la situation de projet avant de construire le projet ». Les différents acteurs doivent ainsi avoir envie de rentrer dans un processus de co-construction hors du cadre de projet préétabli. Il s'agit ainsi de fédérer un outil à la fois social et culturel capable de faire appuie sur la ré-évolution de l'acte de construire. Situation d'innovation. Le fait d'être sur des matériaux moins conventionnels nécessite un temps d'innovation selon Nicolas Coeckelberghs. En effet, comme on l'a vu les coopérateurs de BC développent le projet par un aller-retour entre dessin et expérimentation constructive sur site et ce, avec les acteurs clefs. Ils sont ainsi présents à tous les moments clefs et gardent un pied sur le chantier. Dans ce modèle-là déviant alors du cadre classique, les acteurs sont amenés à être repenser. L'architecte, le maître d'ouvrage et l'entrepreneur co-construisent un cadre opérationnel apte à répondre aux zones grises de la non convention où « ces zones grises (...) laissent de nouveaux la possibilité d'innover à l'intérieur155 ». Ensemble et en confiance, chacun prend ses responsabilités et les relations entre ces différents acteurs gagnent en horizontalité. La réalité constructive testée est issue d'une co-conception dessin/test en amont. Elle est bénéfique à la faisabilité du dossier d'exécution et évite de probables fautes ou changements sur chantier dus à l'innovation156. De plus, « ces projets émergents (...) sont toujours assez bien faits parce qu'on prend du temps, plus de réflexion157 » : le temps donné à la recherche est bénéfique.

La construction de la situation de projet transforme ainsi le chantier en un réel laboratoire de recherche par le faire qui permet l'expérimentation de solutions techniques applicables à un moment, à un endroit, à une histoire et surtout à des hommes. Il s'agit de comprendre le milieu, ses acteurs et leurs correspondances et de les éprouver. Une équipe du moment est créée où l'énergie d'« une équipe qui soit Master Builders158 » régit l'ensemble comme le confit Nicolas Coeckelberghs. Un équipe qui est bien loin de l'unique Master Builder qu'est l'architecte d'aujourd'hui et de son équipe exécutante. 154 Jean-Paul Laurent. Ingénieur structure et enseignant. École Nationale Supérieure d'Architecture de Montpellier. 23 et 24 octobre 2019. Entretien oral 2h45. 155 Nicolas Coeckelberghs. BC architects, studies and materials. Tour&Taxis. 3 juillet 2019. Entretien oral 1h04. 156 Id. 157 Jean-Paul Laurent. Ingénieur structure et enseignant. École Nationale Supérieure d'Architecture de Montpellier. 23 et 24 octobre 2019. Entretien oral 2h45. 158 Nicolas Coeckelberghs. BC architects, studies and materials. Tour&Taxis. 3 juillet 2019. Entretien oral 1h04.

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Homme(s) de situation. Le chantier est une situation propice où « l'ouvrier du chantier doit se matérialiser par la porosité de la limite chantier/ville » selon Bellastock. Son ouverture est ainsi essentielle à l’observation et à la transmission d'une culture émergente. Le milieu-chantier propose une situation nouvelle, dans laquelle l'ouvrier comme l'architecte agissent en conscience des problématiques qui les entourent (urbaines, sociales, environnementales...). Ils restent ouverts et critiques par l'opportunité d'éprouver qui leur est donnée. Les acteurs de projet gagnent en réflexivité et remettent en question leurs pratiques. Comme on a pu le voir, le nécessaire déformatage du catalogue matériel de l'architecte en fait le premier concerné : conserver les propriétés d'une matière, d'un bâtiment ou d'un site et limiter leur transformation est indispensable. Le pouvoir constructif de l'élément doit être écouté et entendu puisqu'il faut comprendre l'équilibre dont il a besoin.

Ainsi, l'architecte a le devoir de suivre cette logique d'équilibre. L'aller-retour conception-réalisation permet alors de connecter le faire au dessin – le chantier à la conception – tout en gardant des marges de manœuvre pour assurer la permanence de la matière. Les dessins de constat ou la photogrammétrie sont une base première à l'archéologie matérielle. Ils permettent d'assurer la faisabilité de tests empiriques et conservent une représentation qui ne se limite pas à une unique réalisation. Le projet regagne en capacités et tient un territoire par ses ressources (acteurs, matières, savoir-faire etc.). Les ressources humaines territoriales gagnent à retrouver une correspondance de leurs savoir-faire à la matière et créent de la précision grâce à un dialogue d'action. La revalorisation de la condition de l'Homme et de son travail est une condition nécessaire à la ré-évolution souhaitée. La maintenance et l'adaptation des savoir-faire « prouve une volonté profonde de compréhension des sphères humaines et territoriales, sur une implantation à l'échelle locale159 ». La cohésion sociale sera regagnée par une réorientation vers des savoir-faire locaux et par un retour vers une certaine vérité matérielle. Le réemploi est une attitude globale, un regard porté sur les choses. Il transmet des valeurs au-delà de la réinjection matérielle (sociales, humaines, environnementales...). En effet comme l'appuie Jean-Paul Laurent, la façon dont on va produire la matière est étroitement liée à celle dont on va traiter les gens : repenser une situation projectuelle de confiance est donc primordiale. Cependant, pour être efficiente, cette mutation doit être accompagnée par les municipalités locales afin que les entreprises aient la capacité d'adapter leurs compétences, de structurer leurs outils de production et de pérenniser les savoir-faire aussitôt acquis.

159 Julien Choppin, Nicola Delon, op. cit., p. 23.

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V. MATIÈRE GRISE160 Par, pour et avec le milieu

160 Le passage à la dernière partie découle d'un point sur IV. MILIEU-CHANTIER. Cette partie a fait l'état d'un besoin de reterritorialisation et de reconstruction du système en place. La notion de milieu-chantier a été définie grâce aux études de cas choisies qui ont données le constat suivant : - Les différentes figures de chantier permettent de mettre en place un mode opératoire pour le réemploi : le magasin de chantier, le réseau inter-chantiers et la manufacture de chantier. Ainsi, l'hypothèse consiste à dire que : - Ces figures pourraient changer la société-système par la revalorisation des ressources humaines et matérielles (savoir-faire localisés aux ressources disponibles). La dernière partie, V. MATIÈRE GRISE, met alors un point final à ce mémoire et traduit deux états fondamentaux aujourd'hui : l'architecte de milieu et l'architecture de processus.

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V - MATIÈRE GRISE Par, pour et avec le milieu A - ARCHITECTE DE MILIEU

RÉADAPTATION DE MÉTIER(S) D'ARCHITECTE De l'architecte-bâtisseur à l'architecte-concepteur. De Brunelleschi à Borromini. L'architecte a toujours tenu un même rôle incertain d'accompagner le faire en le pensant. Aujourd'hui, le métier se diversifie pour contrer le modèle triangulaire de la loi de 39 qui a voulu la séparation des responsabilités entre les acteurs de projets : entre l'architecte, le constructeur et le commanditaire. Les études de cas choisies marquent un désir d'adaptation de l'architecte à son milieu. BC architects, Rotor et Bellastock développent tous trois des sub-métiers leur permettant d'exercer dans un cadre légal un métier aux nouvelles facettes. Mutation de l'architecte(s). Rotor, Bellastock et BC architects ont des entités distinctes. BC architects, studies & material a trois casquettes : BC architects, une agence d'architectescollaborateurs sensibilisée au développement durable ; BC studies, une ASBL à portée pédagogique comme laboratoire de recherche sur l'expérimentation et l'éducation à architecture ; et BC materials une coopérative lancée dans la valorisation des terres d'excavation locales et dans la production de matériaux de terre crue. Rotor en a deux : la coopérative d'architectes et de designers Rotor ; et l'entreprise de déconstruction et de valorisation Rotor Deconstruction. Les raisons de la multiplication des casquettes de ces architectes sont autant légales, techniques qu'administratives. Leurs entités sont nécessairement disjointes pour suivre le cadre normatif belge : entre ceux qui vendent les matériaux et ceux qui les utilisent. Ces entités leur donnent aussi comme aux coopérateurs de Bellastock la capacité d'être des architectes-glaneurs, et d'appartenir non plus seulement à ceux qui produisent et utilisent la matière mais aussi à ceux qui la collectent. L'objectif est de mieux la (re)construire.

On peut se poser la question si ce métier de collecte, d'architecte qui glane, est temporaire et découle seulement d'une nécessité de réadaptation au milieu actuel, ou si elle tend finalement à se pérenniser. Cette question a été posée durant les entretiens effectués et chacun souligne le fait qu'il était bien là avant, et qu'il a en fait toujours été là161. Jean-Paul Laurent, prend l'exemple de l'artiste Michel-Ange qui allait alors dans la carrière pour choisir le marbre avec lequel il allait penser la statue : « c'est le matériau qui parle, c'est le matériau qui fait le projet162 ». De même que pour la construction des cathédrales, la matière d'amont permet un chantier réflexif duquel l'architecte-collecteur peut s'emparer. Ils entrent 161 Nicolas Coeckelberghs. BC architects, studies and materials. Tour&Taxis. 3 juillet 2019. Entretien oral 1h04. 162 Jean-Paul Laurent. Ingénieur structure et enseignant. École Nationale Supérieure d'Architecture de Montpellier. 23 et 24 octobre 2019. Entretien oral 2h45.

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alors en symbiose avec leur milieu et deviennent diagnostiqueurs, déconstructeurs sélectifs et autres en se donnant les rôles dont ils ont besoin. La pérennité de l'architecte-collecteur et sa formalisation hors subsides passera indispensablement par un changement gouvernemental comme l'appuie Nicolas Coeckelberghs, celui d'une vraie taxe carbone sur la consommation et l'extraction des ressources primaires où « ceux qui ne sont pas sur cette logique, devront payer justement le coût écologique que ça a sur les générations futures163 », où le bilan carbone est considéré et où chacun est responsabilisé à un développement sociétal durable (sur ce qui se fait aujourd'hui et sur ce qui se fera demain). L'éducation à l'architecture, l'éducation à la vie plus largement, est un préalable pour retrouver des valeurs d'un horizon commun. L'idée pour ces architectes en mutation est avant tout de « retransmettre directement aux générations futures (...) pour que eux ne l'oublient pas et puissent les prendre (...) peut-être plus comme pionnier d'une recherche appliquée sur le marché de ces nouveaux matériaux circulaires164 », qu'ils puissent avoir les clefs pour comprendre les enjeux de demain. Ainsi, ils sont aussi architectes-pédagogues et tentent de sensibiliser les générations futures – BC studies ou encore Actlab, le laboratoire de Bellastock – en faisant des workshops par exemple. Entre savoir et faire, du savoir-faire au faire-savoir : ils pré-invoquent un manifeste pour la gestion durable de leurs milieux. Adaptés, ils transmettent alors les valeurs d'architectes de milieu. Il est important de noter qu'en prenant un rôle d'architectes-pédagogues, ces acteurs font pont entre la pratique professionnelle actuelle et une pratique environnementale souhaitée. De ce point de vue, il existe encore un fossé avec la pratique disciplinaire. La théorie en architecture ne parle que très rarement de pratiques raisonnées. Les rapports discipline/école/profession sont ainsi strictement historiques et racontent bien plus l'histoire de concepts, que celle de vérités. Comme l'appuie Jean-Paul Laurent, la formation d'école d'architecture aujourd'hui réduit le métier d'architecte à celui qui fait les façades. Il est nécessaire d'en étendre la vision pour regagner en savoir-faire : il nous faut repositionner la profession à l'égard de la matière, et surtout à l'égard de la nature165. L'étudiant en architecture doit pour cela retrouver une critique réflexive sur l'enseignement qu'on lui donne. La pédagogie expérientielle166 renverse par exemple le modèle de l'enseignement de projet actuellement décontextualisé. En réadaptant leur métier, ces architectes transmettent des valeurs nouvelles au cœur des enjeux environnementaux actuels.

163 Nicolas Coeckelberghs. BC architects, studies and materials. Tour&Taxis. 3 juillet 2019. Entretien oral 1h04. 164 Id. 165 Jean-Paul Laurent. Ingénieur structure et enseignant. École Nationale Supérieure d'Architecture de Montpellier. 23 et 24 octobre 2019. Entretien oral 2h45. 166 Terme employé par Yannick Hoffert, enseignant dans le domaine Situations à l'École Nationale Supérieure d'Architecture de Montpellier.

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LE NON-CATALOGUE DE L'ARCHITECTE DE MILIEU En diversifiant leur métier, ces architectes reprennent en main les ressources matérielles et humaines de leur milieu et défendent ne finalement pas avoir de catalogue. À la question : « c'est quoi en quelque sorte, votre catalogue d'architecte ? », Nicolas Coeckelberghs de BC répond : « On n'a pas de catalogue. À chaque projet qu'on commence on arrive sur place, on va regarder simplement autour de nous ce qui est construit, comment c'est construit et ça, ça va devenir notre catalogue pour ce projet spécifique et va nous faire décider quel matériau on va utiliser167. » Ainsi, comme il l'avance il s'agit de développer un système constructif adéquat en correspondance avec la situation de projet, en compréhension de son aspect vernaculaire, de ses traditions, et de ses cultures constructives. Il définit cela comme une « logique du moment et de l'endroit de cette tradition ». Les architectes s'adaptent mieux que jamais à ce qu'ils ont à disposition par leur logique de puiser sur place. Leur catalogue est ainsi indéfini et s'attache strictement au milieu-chantier auquel ils appartiennent, duquel ils construisent, déconstruisent et reconstruisent. En accord de ce non-catalogue, Boris Bouchet du Collectif AJAP 14 défend une pratique réfléchie de l'architecture : « Neuve ou recyclée, naturelle ou artificielle, inventée ou traditionnelle, chaque projet d'architecture consomme de la matière. Et même si la grande majorité des constructions neuves tend à se construire de manière "standardisée", les architectes ne sont pas plus condamnés au catalogue qu'ils ne le sont à imaginer que l'épiderme de structure de béton caractérisée par les bureaux d'études et les industriels168. » Le non-catalogue de l'architecte est un choix éthique. Il ne découle pas d'une obligation mais bien d'une sensibilité. La condition d'Homme est une affaire de choix, et ces choix en se faisant guideront l'Homme dans ce qu'il veut être. Il est capable en tant qu'être pensant, comme tout acteur de projet, de construire le cadre qui sera le sien : « Faire avec la réalité de chaque milieu, c'est ainsi transformer cette matière disponible – physique et immatérielle – en source de conception. La recherche d'une matière naturelle interroge par la même les modes opératoires du processus morphogénétique du projet architectural. Le choix et la forme de la matière ne sont plus une décision détachée des enjeux contextuels, ou prise a posteriori d'une définition conceptuelle, mais une réalité simultanée et constitutive du projet architectural169. »

167 Nicolas Coeckelberghs. BC architects, studies and materials. Tour&Taxis. 3 juillet 2019. Entretien oral 1h04. 168 Boris Bouchet. « Nouvelles richesses ». Conférence Cycle Matière. Bordeaux : Le 308. 29 septembre 2016. Conférence. 169 Frédérique Bonnet. « Matérialité et esprit des lieux ». Conférence Cycle Matière. Bordeaux : Le 308. 12 juillet 2016. Conférence.

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Ainsi, le milieu est une source capable de matérialiser un projet durable. L'ensemble des hommes forme un organisme propre à ce milieu. Cet organisme s'y développe, grandit et ses relations sont celles de correspondances et d'interbénéfices. La symbiose doit être celle du vivant et du non-vivant, en accord avec leur temps. Il nous faut résonner aujourd'hui dans le temps infini d'un espace défini : matière et matériaux doivent être transposables dans le temps (infini) moins que dans l'espace (fini). L'idée est de créer de la technicité intelligente en envisageant une démarche rétrospective comme prospective. Le non-catalogue est plus le signe de la mutation des pratiques, qu'un simple catalogue d'objets. L'idée est de chercher par l'expérimentation du faire des dispositifs adaptés à un milieu donné et d'en voir les dispositions passées. Les études de cas de ce mémoire s'attachent ainsi à construire leur cadre propre pour écrire les marchés en développant des prototypes et en adaptant progressivement leur écriture aux besoins du réemploi. Le processus en est sans fin.

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B - ARCHITECTURE DE PROCESSUS

L'architecture appartient à un espace-temps, un tangible. Elle ne peut-être en cela qu'un processus infini puisque soumis à l'entropie. L'acceptation du faire avec porte bien plus sur le processus que sur le résultat attendu. INFINIE RECHERCHE. Processus ouvert. Les trois études de cas mettent un point d'honneur au partage de leurs connaissances. Tout est en open source, et c'est un gain de temps dans ce long processus de recherche. Ce désir d'ouverture s'explique par le fait que la connaissance était en partie à disposition et que chacun s'est approprié l'avant : rien n'a finalement été inventé, tout est à innover. Nous avons l'exemple de BC studies spécialisés dans la terre d'excavation : ils ont autant usé des manuels de tradition d'un réseau européen totalement ouvert qu'innové par l'expérimentation de nouveaux dispositifs adaptés à leur milieu d'action.

Fonctionnant comme des laboratoires de recherche en prise directe sur l'action : Rotor, Bellastock et BC architects expérimentent leur quête infinie du faire résilient. Ils cherchent ainsi de potentielles acceptations du réemploi : celles de terres d'excavations comme celles de matériaux-déchets. En effet comme le dit Nicolas Coeckelberghs, leur parcours se rejoint étroitement là où la spécialisation sur la matière se différencie : « Rotor, comme ils sont sur le même territoire que nous (...) Ça aide et puis on discute un petit peu des enjeux, de ce qu'eux font puisqu'au final ils ont à peu près le même parcours que le nôtre sauf qu'ils sont partis sur un autre matériau170 (...) ils ont on va dire 2-3 années d'avance sur nous, donc du coup c'est très intéressant de discuter avec eux pour pouvoir déjà anticiper sur des fautes ou des choses pareils171. » Ainsi conscients que le cadre actuel rend difficile leurs pratiques, le partage permet d'anticiper les freins déjà observer. Ces acteurs se spécialisent, produisent, inventorient et surtout échangent un savoir sur les matières d'innovation. Le travail en open source permet ainsi de relayer les connaissances à travers une réelle économie de la matière grise172. En effet, l'innovation se nourrit de ce qui a été : on ne fait que s'emparer de ce qui a été commencé. Elle est en action sur une chose nouvelle introduite dans une suite existante. Innover c'est performer avec les traditions, s'y confronter et s'en inspirer. On ne peut nier alors à quel point l'architecture est faite de processus. Elle s'inscrit intemporellement dans ce que Marguerite Yourcenar voit comme une suite de présents successifs : « Les Hommes qui inventèrent le temps, ont inventé ensuite l'éternité comme 170 Les terres d'excavation pour BC, les matériaux issues de la déconstruction sélective pour Rotor et Bellastock. 171 Nicolas Coeckelberghs. BC architects, studies and materials. Tour&Taxis. 3 juillet 2019. Entretien oral 1h04. 172 Terme employé par Éric Watier, enseignant à l'École Nationale Supérieure d'Architecture de Montpellier.

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contraste (...). Il n'y a ni passé, ni futur mais seulement une série de présents successifs, un chemin, perpétuellement détruit et continué, où nous avançons tous. » Laboratoire de recherche. La recherche de processus traduit l'importance d'un urbanisme progressif en correspondance à l'archéologie urbaine : un chantier ouvert et permanent.

Les acteurs pris pour études de cas sont ainsi des architectes-chercheurs dans un processus permanent d'expérimentation. Ils font de l'architecture, un réel laboratoire de réflexivités sur l'acte de construire. Tim Ingold appuie un parallèle intéressant entre le chantier de construction de la cathédrale de Chartres au XVI° siècle et un laboratoire de recherche contemporain. Il tient ce parallèle de David Turnbull qui voit certaines correspondances entre les deux. Nous avons d'une part le rapport à l'échelle 1, d'une autre le rapport au sur place et enfin, le rapport à la pratique par le faire. Ces trois paramètres essentiels soulignent l'importance d'une situation de terrain. Et c'est précisément cette situation de terrain de constructions et reconstructions continues qui demande un travail de recherche par le faire et non seulement par la pensée. Dans le cas d'un chantier permanent, il n'y a qu'en y étant qu'on peut possiblement agir : les études de cas sont de véritables architectes de terrain. En effet, selon David Turnbull cité par Tim Ingold : « La technoscience d'alors et d'aujourd'hui est le résultat de pratiques désordonnées, localisées et contingentes173. » La localité précède toute science de la technique. Le chantier constitue à la fois un processus de recherche et une recherche de processus. Il peut permettre de répondre à la pression structurelle réglementaire grâce à des éléments testés empiriquement. Il donne la capacité de résoudre un problème classique architectural en donnant diverses marges de manœuvre : « Les règles suivies par les constructeurs des cathédrales du Moyen Âge ne déterminaient pas, ni ne pouvaient déterminer, leur pratique en détail, mais elles leur accordaient plutôt une marge pour l'exécution, susceptible d'être adaptée aux exigences de la situation de terrain174. » À l'inverse aujourd'hui – puisque l'image prédomine – certains projets publics décuplent souvent les moyens humains et matériels initialement prévus, pour palier à ce manque de marge et tenter de conserver leur conception originelle sans forcément l'adapter aux situations de chantier. Selon Jean-Paul Laurent, il existe dans le laboratoire de recherche une réflexion qui tire vers un horizon, toujours lié à une intuition. Ce dernier précise que les cathédrales sont des structures impossibles à concevoir et qu'elles nécessitent alors une intuition constructive sur chantier : ces dernières ont été bâties avec un matériau de base et évoquent la puissance de la pratique humaine175. Ainsi, les exigences de la situation de terrain et l'intuition constructive sur 173 Citation de David Turnbull. The Ad Hoc Collective Work of Building Gothic Cathedrals..., art. cit., p. 332. Dans Tim Imgold, op.cit., p. 136. 174 Tim Imgold, op.cit., p. 134. 175 Jean-Paul Laurent. Ingénieur structure et enseignant. École Nationale Supérieure d'Architecture de Montpellier. 23 et 24 octobre 2019. Entretien oral 2h45.

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chantier lient la matière aux outils réflexifs de sa production où la main est le prolongement de l'être pensant. Main et matière dialoguent ainsi par l'outil vers un horizon commun, celui d'une constructivité réflexive. La main pensante ou le prolongement de l'outil réflexif. L'acteur de projet lie sa pensée aux outils de production dont il a besoin. Ces instruments sont indispensables à la pensée de l'espace et même plus intimement à l'espace en lui-même selon Tim Ingold. Ce dernier voit les maquettes, les gabarits prédécoupés, la règle, l'équerre et nombre d'outils prolongeant la main et matérialisant l'esprit comme des éléments essentiels au passage à l'échelle 1, au vrai. Nous avons l'exemple des épures à échelle 1 du charpentier qui a gardé une certaine compétence technique propre aux bâtisseurs, et ainsi leur outil de dessin. L'idée est de se mettre dans un système de dimensionnement capable de dialoguer avec l'existant, et de le matérialiser pour traduire sa vérité constructive.

Toujours appuyé par Tim Ingold, il existe une correspondance de la matière à l'outil, surlignant celle de la main à la matière. Cette correspondance dépend des caractéristiques matérielles intrinsèques : les matières et les matériaux sont intimement liés et parlent chacun de l'autre. Réapprendre à écouter leurs caractéristiques permettait à l'Homme une compréhension plus profonde de ces dernières. La pierre c'est la stabilité, la solidité, et parfois même la porosité. La terre c'est la respiration, la gestion interne de l'hygrométrie. Le bois c'est les fibres, la verticalité, la souplesse et la flexion etc. L'outil répond ainsi à ses caractéristiques matérielles : les ciseaux à bois permettent de suivre les fibres, le fils à plomb assure le point vertical nécessaire à la maçonnerie etc. Chaque matière rend concevable la qualité architecturale souhaitée et l'outil qui prolongera la main où la granulométrie et la masse ne sont qu'une liste non-exhaustive de tout ce qu'on sait pourtant déjà sur les matières de nos villes, sur les gestes de nos vies. Les matériaux de réemploi de demain tiendront d'office autant de l'intelligence matérielle que de l'habileté des hommes qui pourront la révéler. L'exécutant laissera sa place à l'artisan. L'architecture vraie retrouve ses influences formelles et structurelles dans l'habileté des choses, dans le pouvoir de ce que la nature nous offre. La correspondance des instruments main/outil/matière est essentielle à la reterritorialisation de la profession d'architecte. D'agir en pensant à penser en agissant. La représentation architecturale176 marque une scission entre la conception et les faits d'exécution. La représentation du projet reste une figure autonome et indépendante qui amène à générer le projet d'architecture. De la même manière, le faire du chantier devient une figure autre de ce projet.

176 Dessins d'architecture : plans, coupes, perspectives... La représentation architecturale a remplacé presque strictement le rôle de bâtisseur par celui de concepteur, la pratique par la théorie.

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Par son appartenance directe à un territoire, le chantier apparaît légitime par sa consistance située où faire s'oppose à représenter. L'un donne une réalité concrète tandis que le second, une image abstraite. Pour en redevenir l'intermédiaire, l'architecte gagnerait à penser par le faire pour amplifier le sens de sa représentation architecturale. L'objectif est ainsi de repasser par « des manières de penser en agissant, plutôt que des manières d'agir en pensant, selon une opposition qui, dans les établissements d'enseignement supérieurs, s'est traduite par l'opposition académique entre les théoriciens et les praticiens177. » Pour se faire, le Means Oriented Design réinterroge la manière d'appréhender la matière de projet. Il s'agit d'un changement radical des clauses usuelles de la conception. Traduit Moyens de Conception Orientée, il propose une recherche de méthodes bénéfiques à la gestion circulaire des ressources en axant la conception sur les moyens. Il s'agit d'écrire en construisant et en pensant la matière par le chantier. Ce dernier devient alors un centre de réflexion apte à court-circuiter la linéarité des flux de matières pour ouvrir les possibles. Ceci sous-entend autant une économie de moyens qu'une localité des moyens liée à leurs préexistences. Il s'agit d'une invocation de la matière du re-. Ainsi, le concepteur gagne à retrouver son rôle de bâtisseur comme le soutien les architectes de NA Architecture : « Nous tentons d'aborder autrement la pratique architecturale en nous basant notamment sur les trois "R". Cette démarche (...) nous incite à explorer les possibilités de mettre en œuvre de nouvelles pratiques. Cette stratégie constructive, qui vise à utiliser les déchets comme ressource matérielle, implique en effet l’invention de nouveaux procédés constructifs, valorisant le savoir-faire artisanal plutôt que la production industrielle. Elle nécessite également de réinventer les moyens d’accès à la matière. Les ressources matérielles et humaines deviennent ainsi constitutives du processus de projet. Enfin, nous sommes persuadés que cette démarche repositionne l’architecte comme bâtisseur et acteur de la société178. » Bâtir est tout simplement la meilleure manière d'agir et de faire. La (ré)émergence de la figure d'architecte-bâtisseur aujourd'hui donne à ce dernier une conscience du temps nécessaire à l'acte de construire et induit forcément l'acte d'expérimenter à la réflexion. La nécessité de retrouver une échelle de temps propre à l'expérimentation est indispensable dans la ré-évolution.

177 Tim Imgold, op. cit., p. 14. 178 Mehtab Sheick, Sébastien Fabiani. « Réutilisation, réemploi et recyclage, la pratique des trois "R", par NA Architecture » AMC, Web. 7 décembre 2015.

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ARCHÉOLOGIE DES SAVOIRS ET DU FAIRE Sous le prisme de l'archéologie, le rapport du temps à notre territoire est modifié. Son ralentissement est contraint et magnifie l'énergie déjà fournie. Construire de la lenteur. Par définition, l'archéologie est la "science qui a pour objet d'étude des civilisations humaines passées à partir des moments et des objets qui en subsistent179". Liée à ces moments de subsistance, l'archéologie urbaine prend aujourd'hui une grande place dans la refonte sociétale et dans son passage à la résilience. La photogrammétrie sur existant par exemple a un rôle d'objectivité constructive. Elle permet de souligner la ruine comme un motif constructif. Elle la rend visible comme lisible et donne ainsi les moyens de privilégier la réparation par une prise en compte objective de la matière existante : « Construire (...) et à l'inverse de l'acte de consommer, c'est donner de l'espace au temps ou du temps à l'espace, ralentir le processus entropique qui précipite les choses et les objets vers leur désintégration180. » Ralentissant notre système de production, la ruine n'est plus destinée à disparaitre et garde sa position par rapport au sol. Le chantier de reconstruction a ainsi le double statut d'être le site qui porte le projet et la ressource qui est portée. Il permet de faire projet par le site.

Les acteurs pris pour études de cas font des tentatives par le projet de fédérer un dispositif nouveau qui passent fondamentalement par trois points : la reformulation de la position du concepteur et de l'ouvrier, la revalorisation des savoir-faire et de leur apprentissage, et enfin la transmission de valeurs. À l'inverse du système industriel qui place la matière transformée au-dessus de tout, ce dispositif d'équités remet à l'horizontale les rapports des hommes à la matière et ainsi ceux de la culture à la nature. L'idée est de diminuer la productivité en se passant d'une transformation industrielle techniciste et énergivore, et d'augmenter les savoir-faire des hommes en correspondance avec leur milieu. Archéologie territoriale commune. La transmission de valeurs est un point essentiel à la mise en mouvement de l'actuel secteur de la construction. L'archéologie des savoirs et du faire concerne cette mise en commun culturelle où : « Les dispositifs et les environnements construits sont à la fois des expressions et des incubateurs fondamentaux du temps humain, dont la vocation est de ménager voire d'augmenter la profondeur de champs des 3 instances du temps (...) passé, présent, futur ainsi que leur relative "continuité locale"181. » Cette continuité locale est un héritage transmissible. Pour illustrer cette nécessaire transmission nous avons l'exemple du site d'ActLab mis en place par Bellastock en région Île-de-France. 179 https://www.cnrtl.fr/definition/archéologie 180 Julien Choppin, Nicola Delon, op. cit., p. 107. 181 Ibid., p. 108.

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Le site d'ActLab – schématisé ci-dessous – illustre la limite poreuse qui existe entre ville et chantier et a pour objectif premier de sensibiliser les visiteurs, les acteurs et les usagers à des matières de réemploi territoriales.

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Ainsi, Bellastock développe des temps d'ouverture de l'inter-chantiers et diffuse une culture du réemploi. C'est une manière pour eux de faire entrer les savoir-faire dans l'identité commune territoriale, et de permettre au déjà là de se mettre en mouvement : « On préfigure la logistique avec les acteurs qui sont nos relais locaux et qu'on aura pu identifier. On imagine des composants d'ouvrage pour pouvoir les tester et les fiabiliser en fonction du domaine d'emploi qu'on a choisi. Le domaine d'emploi, c'est ce qu'on peut faire en termes de force et de mécanique. Le composant d'ouvrage, c'est vraiment le procédé constructif (...) avec ces deux choses on caractérise les prototypes. On organise la gestion de la matière pendant la préconfiguration, c'est-à-dire la ressourcerie de matière182. » ActLab forme ainsi une véritable ouverture culturelle183 capable de rendre visible les dynamiques potentielles d'aménagements du territoire et d'avoir un impact sur les politiques urbaines. À titre d'exemple, le site dispose déjà de six prototypes en accord avec l'appel à projet Plaine Commune. La figure du laboratoire d'expérimentation d'ActLab invite à la curiosité et propose une rencontre culturelle avec ce que l'archéologie territoriale propose. Les flux entrants sur le site permettent une mise en main des matières disponibles sur le territoire, et leur expérimentation permet d'en faire par la suite des flux sortants. Les sorties sur le territoire correspondent alors aux projets d'aménagement en cours tels que Plaine Commune ou encore l'éco-quartier fluvial de l'Île-Saint-Denis. L'archéologie territoriale est surlignée dans sa capacité de transmission au grand public. Ainsi selon le livre Matière Grise, le laboratoire de recherche d'ActLab axe sa réflexion sur des actions architecturales constructives in situ et in vivo capables de revaloriser le temps de la mutation du territoire en le rendant lisible de tous : « L’aspect démonstratif et participatif est un moteur important pour la crédibilisation du réemploi. Le réemploi est généreux, de par la taille des gisements qu'il active. Pouvoir déambuler dans un lieu manifeste draine un public qui active les transferts de savoir et de savoir-faire nécessaire au réemploi184. » La déambulation se fait grâce à une passerelle-observatoire publique située au cœur du site. Elle permet au public de s'intéresser à la démarche de réemploi en cours. L'évolution des mœurs est essentielle à celle des modèles matériels.

182 Julie Benoît. École d’Architecture de Paris Belleville, 19 mai 2016. Entretien Bellastock. Dans Tatiana Amsing. « Le réemploi : mutation du cerveau de l’architecte ? » Mémoire sous la direction de Frank Vermandel et Jean-Christophe Gérard. École Nationale Supérieure d’Architecture et Paysage de Lille, 2015-2016. 183 Antoine Aubinais. « L'Architecture du Réemploi ». Conférence Bellastock. Montpellier : École Nationale Supérieure d'Architecture de Montpellier. 6 novembre 2019. Conférence. 184 Julien Choppin, Nicola Delon, op. cit., p. 67.

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MODÈLE-MATIÈRE EN MOUVEMENT Matières et matériaux demandent aujourd'hui des modèles en mouvement, moins figés et capables d'accepter l'écoulement du temps et l'entropie matérielle. Tempus. Renforcer notre connaissance de la matière qu'on emploi et de son insertion dans le temps est une nécessité :

« Plus la flexibilité de l'objet est prévue dès le premier niveau, plus on est efficace et économe en matière et en énergie. La flexibilité est une souplesse de la matière organisée et fabriquée pour qu'elle serve le plus longtemps possible et convienne à de nouveaux usages, qu'elle s'y adapte. C'est une projection dans l'avenir avec comme projet la réduction de l'entropie185. » Ainsi soumises à l'entropie, les matières ne subissent pas la même altération face au temps et c'est là que l'étude des cycles de vie devient une priorité pour les acteurs de la construction. Le plan de démontage, l'application du principe de layering, la compréhension des boucles de circularités entrent peu à peu dans les consciences. Il y a certaines couches d'actions dans lesquelles nous pouvons agir aujourd'hui. D'autres ferment cependant le champ des possibles et ne permettent pas toujours de faire mieux : la démontabilité des éléments, leur prototypage accru et nombre de solutions généralisables se veulent répondre aux enjeux réemploi/temps mais ne sont pas toujours à prendre comme strictes protocoles. En effet, penser à défaire avant même d'avoir pu faire et ceux à tout endroit du monde soulève de nombreux paradoxes. Ces solutions passent majoritairement par des réponses de liaisonnements et de systèmes qui limitent étroitement nos architectures à un mode constructif rigide. Nicolas Coeckelberghs de BC dans l'entretien effectué en juillet dernier l'appuie : la Click Brick, les systèmes poteaux-poutres préfabriqués, et autres modules préindustriels laissent peu de place à l'architecte qui pense, et au bâtiment qui vit. Ces systèmes sont capables de créer du neuf mais plus rarement de participer à de l'existant. Ils sont certes intéressants du point de vue démontage-circularité mais ils amplifient les phénomènes d'industrialisation et d'uniformisation architecturales. La démontabilité et donc la transférabilité des éléments restent cependant liée à leur consistance matérielle : elle concerne principalement les constructions sèches tels que le bois, la pierre ou encore le métal. La non démontabilité à l'inverse, concerne plus les éléments humides scellées par des finitions tels que le béton, la terre stabilisée ou la brique, qui nécessitent alors une déconstruction plus complexe. La réponse matérielle ne peut pas être systématique et donnera le tempo au chantier de construction comme de déconstruction 185 Jean-Marc Huygen. La poubelle et l’architecte : vers le réemploi des matériaux. Arles : Actes Sud, 2008, p. 40.

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puisque la matière est liée à son temps de mise en œuvre, de manipulation, de séchage, de pose ou dépose etc. Le choix matériel doit forcément dépendre du programme et de sa pérennité, et doit s'adaptée aux valeurs à transmettre. Les systèmes ou dispositifs ne peuvent s'appliquer partout mais se lient plutôt à la particularité de chaque situation. Son temps de vie est intimement lié à celui du bâtiment mis en forme. L'architecte est ainsi amené aujourd'hui à remettre en mouvement les attentes de projet par un compromis entre le programme à mettre en place et la disponibilité matérielle à réutiliser. Le projet devient une compensation entre le dessiné et le déjà là : l'architecte a le devoir de mettre la matière au bon endroit en réadaptant les attentes de la maîtrise d'ouvrage à la ressource. Le programme est ainsi à rediscuter pour générer du plus avec du moins. Il est important de tirer parti des contraintes fortes liées à la matière de réemploi. L'architecture moderne du plan libre/portée infinie/façade vitrée s'était définie comme la règle de la bonne architecture mais ces acquis sont à revoir aujourd'hui afin de créer autre chose. Ainsi, l'architecte doit se réintéresser aux singularités du bâtiment, réparer le réemployable et réenvisager les espaces vécus. Il doit aussi se reconcentrer sur des valeurs plus justes telles que le régionalisme, le bioclimatisme etc. L'architecture se lie à un territoire, à un site bâti, à un matériau, et est en cela unique. Le bon matériau au bon endroit implique une adaptation du projet à la matière et non l'inverse. La pensé matérielle est en éternel mouvement et doit bannir les réponses préétablies. L'éternel mouvement. Nous prenons l'exemple de la terre – une matière réversible – pour illustrer le besoin d'un modèle-matière en mouvement. Fonctionnant par changement de phases, elle ne peut se soumettre à des règles définies puisqu'elle s'adapte toujours à son environnement. Elle a ainsi besoin d'un modèle dynamique à l'inverse total des modèles de calculs statiques actuels sur la question thermique par exemple. Il devient indispensable de laisse des marges d'action sur le cycle de vie des matières produites, et de faire évoluer ces modèles qui n'acceptent pas l'exception. L'intelligence doit être rendue à la matière.

Nous pouvons par exemple parler de BC qui s'est spécialisé sur la terre crue mais qui garde cependant à l'esprit une certaine diversité d'actions : « L'architecte doit avoir une idée un peu plus grande que un matériau, parce qu'on ne parle pas pour faire de l'architecture que de matériaux, on parle d'espace, on parle de liaison entre différents espaces, de social186. » Il existe ainsi un ensemble de coexistences matérielles et humaines à prendre en compte. Ces points d'interactions font alors exister des projets architecturaux et surtout sociaux. Selon Nicolas

186 Nicolas Coeckelberghs. BC architects, studies and materials. Tour&Taxis. 3 juillet 2019. Entretien oral 1h04.

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Coeckelberghs, l'approche de différents angles reste indispensable pour éduquer à l'architecture, par la matière notamment. De plus, cette nécessaire éducation reste indispensable à la ré-évolution de notre société et passe aujourd'hui par la mise en mouvement des pris pour acquis et par l'innovation du déjà là : « Cette innovation va justement faire évoluer, sortir des standards (...) qui sont justement pas du tout durables et d'aller vers de nouvelles techniques, de nouvelles mises en place de chantier, de nouvelles mises en place de conception (...) vers quelque chose de plus durable 187. » Nicolas Coeckelberghs partage par exemple son expérience sur un projet et montre l'importance de l'adaptation : « On va partir (...) sur une construction bois et on préfère travailler avec des artisans locaux qui n’ont peut-être pas le système constructif mais avec qui on peut développer un système constructif qui sera adéquat pour ce projet-là quoi. On aime bien le sur-mesure en fait188. » Loin de vouloir répondre systématiquement, l'idée est de laisser un temps pour se réapproprier le territoire, s'y ancrer davantage et retrouver alors le bon processus de réponse. L'adaptation située reste ainsi le plus grand besoin de l'architecte d'aujourd'hui, pour qu'il puisse enfin habiter son milieu et son temps, et ce de manière résiliente. Entre mouvement, processus et recherche, le milieu-chantier nécessaire permet de rendre opérationnel le réemploi de la matière disponible par sa pensée en amont comme en aval. Le temps offre la potentialité au processus de conception-réalisation d'un bâtiment de se lier à sa situation plurielle (histoire, savoir-faire, acteurs, bioclimat, milieu, orientation, temps, ressources...). L'architecture est liée au mouvement du temps au territoire et a besoin d'affirmer son dialogue situé.

187 Nicolas Coeckelberghs. BC architects, studies and materials. Tour&Taxis. 3 juillet 2019. Entretien oral 1h04. 188 Id.

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ÉDUCATION CONSTRUCTIVE À LA NON-CONSTRUCTION Le plus difficile aujourd'hui est de retrouver un horizon commun, de faire entrer la matière disponible et sa conscientisation dans les mœurs. Architecte de demain. L'architecte de la non-construction189 n'est pas forcément celui qui prescrit de ne rien faire mais celui qui se questionne sur comment le faire. Il est surement même l'architecte de la reconstruction. Dans l'article Permis de (ne rien) construire : Manifeste pour la permanence des chantiers un parallèle est fait entre la construction physique et la construction mentale : « En se construisant un habitat, l'humain se construit comme être social190. » L'Homme doit aujourd'hui se revaloriser et se reconstruire. Cette reconstruction essentielle à la ré-évolution passera forcément par un changement de paradigme : la permanence des chantiers est liée à une société de savoir-faire partagés, de réparations et de maintenances. Dans ce changement progressif de paradigme, l'architecte a le devoir de retrouver une logique d'intelligence où « d'abord il faut qu'il y ait des exemples qui marchent et faut essayer surtout de ne pas construire trop de contre exemples191 ». Il est important de crédibiliser un commun tout en conscientisant la société. La valeur de l'exemplarité est un préalable à l'éducation comme à la transformation de l'architecture pour transmettre de justes valeurs sur l'hors-norme. Architecte a-normé ? J'ai pensé un instant que la norme empêchait strictement l'action résiliente de l'Homme sur son milieu, c'est peut-être le cas. Je crois que c'est plutôt l'organisation de sa société qui l'a poussé à la dérive, et qui a fini par rendre obsolète sa propre pratique.

La normalisation permet à l'architecte d'éviter les risques tandis que l'expérimentation sur l'hors-norme lui offre aujourd'hui, une opportunité de s'y confronter. Loin des textes, le terrain est la meilleure manière de penser le projet en faisant participer les usagers : il faut écrire la situation de projet ensemble. Repenser le projet nécessite forcément « un architecte qui connait les risques et qui sait bien détailler, qui est ouvert à ça et un maître d'ouvrage qui comprend ça192 ». Seule une équipe peut dépasser la pratique par la connaissance, l'ouverture et la compréhension des enjeux qui sont aujourd'hui communs. L'idée n'est pas de gérer tous les risques mais de répondre à ceux qui sont pertinents dans la situation projectuelle en évaluant une position par rapport aux risques : « Comment on gère le risque global et même sur la société quel est le risque qu'on veut gérer193? » La gestion des 189 Dimitri Minten, Tim Vekemans. « Plaidoyer de la non-construction. » (Re)cycle (Re)habilitate. Belgique : A+ 258 Architecture en Belgique, février/mars 2016. 190 Éric Chenet. « Permis de (ne rien) construire : manifeste pour la permanence des chantiers ». Chantier (1). Montréal : ETC Montréal, Revue de l'Art Actuel, n°73, mars/avril/mai 2006. 191 Nicolas Coeckelberghs. BC architects, studies and materials. Tour&Taxis. 3 juillet 2019. Entretien oral 1h04. 192 Id. 193 Jean-Paul Laurent. Ingénieur structure et enseignant. École Nationale Supérieure d'Architecture de Montpellier. 23 et 24 octobre 2019. Entretien oral 2h45.

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risques reste en effet ce qui bloque les projets dans la réglementation. On prévoit tout pour qu'il ne se passe rien : les projets sont sur-sécurisés et complètement figés. Pour cela, JeanPaul Laurent voit la solution d'un contrôle extérieur (objectif) qui passe par un conseiller sans l'implication d'une part à prendre, mais juste celle d'une bonne foi à donner. Cela permettrait de voir plus loin que sa propre production en élargissant et partageant les savoir-faire grâce à l'intermédiaire d'un médiateur : « Celui qui comprend bien la réglementation il a la logique, ce qu'il veut lui c'est gérer le risque global. (...) Il faudrait mettre des gens comme ça (...) des gens qui sont des professionnels mais qui sur certains projets ont un œil extérieur, ne sont pas impliqués, ils vont voir plus de choses et ils viennent là pour aider les rouages à fonctionner194. » Il est donc intéressant selon lui de faire le projet avec un juriste-assureur et un bureau de contrôle dans l'accompagnement plutôt que dans la sanction, et d'y partager les responsabilités pour amoindrir les éventuelles fautes : « un juriste-assureur (...) ça suffirait c'est à dire : relâcher les contrats, relâcher ce qui est assurable, repenser ça c'est matière numéro 1 et avec les entreprises ça libère beaucoup et donc une fois qu'on a libéré les gens ont envie de faire des choses ensemble et là ça marche 195. » Le problème du manque de permanence entre les acteurs de projets est alors partiellement réglé et celui qui approuve la technicité matérielle n'est plus que du côté des assurances. Une réelle équipe est créée et tous avancent ensemble vers un horizon commun. Cependant : « Le premier matériau c'est les hommes, si vous faites les projets comme ça il faut choisir le bureau de contrôle qui a l'oreille et qui a le savoir-faire196. » Pour être efficiente, il est indispensable que cette équipe partage les mêmes valeurs. Architecte a-industriel ? J'ai cru pendant un moment que l'industrie – néfaste à l'Homme et à tout ce qu'elle transforme – devait disparaître toute entière. Il semble intéressant de noter que les architectes étudiés la voient indispensable à notre société et envisage même son réemploi efficient pour « essayer d'avoir des collaborations avec des industriels, (...) d'avoir la réflexion de est-ce que y'a pas moyen d'adapter légèrement les machineries existantes pour pas avoir des nouveaux investissements à faire et de pourvoir avoir une augmentation de production, une efficacité de production197. » Il est vrai que la société a évolué grâce à elle puisqu'elle soulage les hommes par une mécanisation avancée et facilite de difficiles métiers.

Bien entendu, ces architectes défendent une réflexion sur des usines moyennement locales où la matière fait sens : « une logique (...) du matériau qui t'oblige à être décentralisée198 ». 194 Jean-Paul Laurent. Ingénieur structure et enseignant. École Nationale Supérieure d'Architecture de Montpellier. 23 et 24 octobre 2019. Entretien oral 2h45. 195 Id. 196 Id. 197 Nicolas Coeckelberghs. BC architects, studies and materials. Tour&Taxis. 3 juillet 2019. Entretien oral 1h04. 198 Id.

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La résilience industrielle passera forcément par des micro-industries projetées comme de petites unités de production proches de la matière et diffusées sur le territoire. Cependant, le monde industriel a pourtant généré des pathologies qui ne doivent pas perdurer. Il reste donc indispensable – à l'architecte et aux autres acteurs de projet – d'avoir une réflexivité199 sur leurs outils de production, et surtout sur leur manière de produire. L'architecte a-industriel n'est pas celui qui nie totalement l'industrie mais celui qui la requestionne enfin, pour retrouver une critique constructive de ses pratiques.

199 Par définition, "réflexion se prenant elle-même pour objet ; propriété consistant à pouvoir réfléchir sur soimême", "réflexive est plus que réfléchie". https://www.cnrtl.fr/definition/réflexivité

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CONCLUSION200

200 Le passage à la conclusion se termine par un point sur V. MATIÈRE GRISE. Cette partie a fait l'état de la nécessaire mutation de l'architecte dans les enjeux actuels. Le milieu-chantier qu'il fédère rend le secteur de la construction plus résilient et doit ainsi se pérenniser. Pour cela la mutation du métier d'architecte(s) doit subsister : - L'architecte est un architecte de milieu et se lie à un territoire. - L'architecture est un processus permanent qui se lie à un temps infini. - La mutation sociétale traduit une société à deux vitesses où il est indispensable de construire de la lenteur : l'archéologie des savoirs et du faire comme l'éducation constructive à la nonconstruction sont indispensables.

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CONCLUSION

Nous nous sommes demandés si le (ré)emploi d’une matière architecturale située dans le processus de conception, pouvait faire évoluer le secteur de la construction en un milieu résilient ? Et ce, sous le cas particulier du chantier et des interrelations qu’il a perdu un temps. Étant l'exercice de recherche d'une architecte future, le contexte premier de ce mémoire est celui d'une profession. Ainsi après avoir fait l'état du contexte qui l'a chamboulé, il est temps désormais de conclure sur les manières de lui redonner une place sensée. L'architecte – metteur en matière – doit faire correspondre la conception architecturale à une recherche résiliente de choix matériels. Ce mémoire amorce ainsi ma future insertion, et questionne en particulier le catalogue d'architecte pris pour acquis aujourd'hui. À cette problématique, les trois figures de chantier choisies ont prouvé une certaine résilience par leur manière de faire subsister la matière utilisée : ces études de cas fédèrent un milieuchantier inhérent au processus de conception-construction. Pour cela, elles axent leur recherche sur l'expérimentation par le chantier de matières vues aujourd'hui comme des déchets – terres d'excavations, matériaux seconds issus de la déconstruction et bâtiments construits à l'abandon – et font ainsi évoluer leur statut. De plus, nous avons conclu suite à l'étude de ces architectes-chercheurs, que cette évolution avait le mérite de bouleverser le cadre actuel de projet. Par sa diversification, le métier d'architecte se réadapte pour rendre opérationnel le réemploi et multiplie ses actions sur le secteur de la construction. Par la réappropriation du chantier, la profession d'architecte se reterritorialise, revalorise celle des hommes de chantier et réincarne alors des métiers de tradition. Par l'expérimentation sur chantier, les relations entre les acteurs se consolident, gagnent en permanence et appuient la subsistance de la matière-ressource. Par sa mise en situation, la démarche de réemploi amplifie le rapport de l'architecte à son milieu et recontextualise ainsi son non-catalogue. En somme, le changement de paradigme de l'acte de construire se traduit par la remise à l'horizontale de la hiérarchie constructive où Homme et matière étaient vus comme secondaires. Ils redeviennent ainsi la norme et sont au centre des préoccupations actuelles. L'architecte n'est plus le chef d'orchestre d'un ensemble d'acteurs mais bien le médiateur d'une culture à transmettre. Il a un rôle d'équilibre. Il ne s'agit pas d'être dans l'innovation perpétuelle mais bien de savoir regarder en arrière, et d'attraper le présent pour bâtir le futur : la déculturation de la ville jetable est inévitable.

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Dans leur efficience, les réponses apportées restent cependant dérisoires. Il parait impensable qu'une ré-évolution sociétale totale s'envisage aujourd'hui. Une société à deux vitesses se dessine alors pour relier peu à peu la culture à la nature : le métissage sociétal est essentiel pour faire prise sur l'actuel. Dans cette optique, lié à la nécessité d'un autre rapport au temps, un espace tridimensionnel de production se distingue aujourd'hui (chacun à sa part d'action sur la matière de (ré)emploi) : celui de la matière biosourcée et géosourcée de la Terre à la Terre (boucle fermée 1, vers la nature) ; celui de la matière de l'existant-industriel qui ne rentre que très peu dans un réemploi efficient dû à sa transformation irréversible et qui s'apparente plutôt au recyclage (boucle fermée 2, vers industrie et sans modification du système actuel) ; et enfin, celui de la mixité matérielle d'un réemploi efficient dans le construit (boucle ouverte entre 1 et 2, avec adaptation du système de production). L'intérêt de définir des limites dans l'usage des ressources est de conscientiser sur la circularité nécessaire et de limiter alors les échelles de production : rouvrir des manufactures de production locales, s'équiper de magasins de chantier permanents ou éphémères, intégrer un réseau inter-chantiers opérationnel sur chaque territoire, ensemencer des micro-industries ou réemployer des industries en les adaptant, et surtout développer des laboratoires de recherches et d'expérimentations... En somme, remettre sur pied un milieu-chantier métabolique indispensable à la permanence des villes et ainsi redéfinir un usage situé du noncatalogue de l'architecte de milieu. Dans cette recherche de résilience, le retour vers la nature est essentiel. La ville doit se relier avec l'agriculture. L'architecture doit se réorienter vers des filières émergentes et alternatives offertes par une production biosourcée bénéfique : la paille est aujourd'hui une matière disponible en quantité et un très bon isolant ; la culture du bois est essentielle à la protection contre l'érosion des flancs de montagnes et ses dérivés sont écologiques et performants ; la terre est excavée en masse et présente de nombreuses qualités architecturales, énergétiques et hygrométriques de régulation naturelle ; la pierre est un matière durable et a d'excellentes propriétés thermiques etc. La matière et les matériaux naturels sont une richesse que la nature nous offre. La symbiose entre le vivant et le non-vivant est indispensable à la résilience. Ainsi, l'évolution de la réglementation vers des modèles territoriaux en mouvement, et la réorientation de l'architecture vers un bioclimatisme régional, feront penser enfin les bâtiments comme des organismes vivants endémiques et évolutifs. Cependant, le changement n'arrivera jamais seul... Les acteurs de la mutation ont besoin plus que jamais d'être soutenus. Pour que le secteur de la construction évolue réellement, les institutions ont un vrai rôle à jouer dans la refonte sociétale : elles doivent s'impliquer dans des politiques urbaines régionales et locales et développer alors une organisation résiliente sur le plan territorial. Plus largement, des directives européennes et

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internationales quant au bilan carbone doivent s'appliquer dès maintenant pour changer les pratiques à la source et responsabiliser les inconscients201. Pour être un peu optimiste, les études de cas ont prouvé bienheureusement que le (ré)emploi de la matière architecturale située avait un réel poids dans l'élaboration de la situation de projet et dans l'évolution de sa gouvernance. La démarche de réemploi renverse complétement les dispositions passées en impliquant la reconstruction du cadre de projet, dans lequel l'architecte et les autres acteurs de projet agissent. Le nécessaire soutien des institutions publiques accompagnera ainsi la ré-évolution de la gouvernance des hommes entre les hommes et revalorisera en même temps, Homme et matière. Mon rôle futur d'architecte intègre donc la pensée du réemploi dans le processus de conception-construction où l'emploi matériel retrouve une logique dans le temps et l'espace. L'éthique du faire par l'expérimentation est un préalable qui marque l'évolution des pratiques vers une conscience territoriale : mon métier est celui d'une architecte de milieu ancrée dans un processus architecturale infinie. Mon époque est celle d'un investissement nécessairement situé autour de ressources disponibles et indispensablement expérimenté sur chantier. (Re)territorialisons dès lors une architecture tangible propre à une histoire qui nous est commune. Ainsi dans mon esprit, le mot déchet subit aujourd'hui son obsolescence. Dans ma pratique, les ressources disponibles s'ouvrent sur l'ensemble matériel localisable à ma situation : celui de la subsistance de bâtiments construits et de leur pérennisation par une nécessaire maintenance des matières et matériaux qui (re)circulent aujourd'hui.

201 Ignorants du problème ou de la solution. Commentaire inspiré des rencontres EnsaÉco qui se sont déroulées cette année à Montpellier sous le nom de : « Changement climatique : les architectes veulent-ils faire partie du problème ou de la solution ? ».

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OUVERTURE

L'École Nationale Supérieure d'Architecture de Montpellier – comme bien d'autres écoles et ce, quel que soit la discipline – est en retard sur la nécessaire transition écologique. Appuyant cette transition, le réseau EnsaÉco202 a publié dans le cadre des rencontres qui se sont déroulées à Montpellier cette année : un Livre Vert énonçant les « 20 mesures basculantes »203 essentielles à une évolution pédagogique écologique dans les ENSA de France. Une éducation constructive durable est inévitable pour les générations futures. Les enjeux écologiques ne doivent plus être une option mais faire partie intégrante de l'ensemble du cursus scolaire. La formation résiliente autour d'une société métabolique est à intégrer au plus tôt dans la pédagogie des futures architectes, et plus largement de tous les acteurs de la société : des formations autour du réemploi, des formations aux savoir-faire locaux, des formations au bioclimatisme territorial, des formations au partage citoyen et bien d'autres formations (re)valorisantes sont essentielles. L'Homme doit réapprendre dans l'altérité et regagner sa place dans un écosystème territorial duquel il n'est plus le maître. Le projet d'architecture devient un organisme d'appropriation du territoire et s'ancre dans un processus permanent. L'avenir est entre les mains de la jeune génération qui a de nouvelles valeurs du bon sens. L'étudiant est le premier levier du changement : l'humilité du savoir est à cultiver, le sens critique est à retrouver. Le S9 dans le domaine d'études Situations m'a permis de continuer la recherche déjà commencée à Bruxelles, sur l'expérimentation située de la matière disponible. Je suis certaine aujourd'hui que cette réflexivité a fait évoluer la pratique de mon métier en précisant mon rôle dans la mise en matière. La manipulation de la matière, l'expérimentation des savoir-faire de chantier et les résolutions techniques singulières sont essentielles à la compréhension des ressources humaines et matérielles, et orientent vers une conscience commune de l'échelle locale. Ce sont ces valeurs constructives qui porteront demain la transition écologique nécessaire au changement de paradigme.

202 Réseau scientifique et pédagogique de l'enseignement de la transition écologique dans les écoles d'architecture et de paysage. La publication du Livre Vert a été dirigée par Philippe Villien, pilote du réseau EnsaÉco, et Dimitri Toubanos, coordinateur. 203 Ces mesures basculantes font l'état de « pratiques vertueuses, émergentes et démonstratives » déjà en pratiquent dans certains ateliers pédagogiques des ENSA de France.

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TABLE DES MATIÈRES DÉTAILLÉE REMERCIEMENTS ............................................................................................................... 4 PRÉAMBULE ...................................................................................................................... 5 TABLE DES MATIÈRES ........................................................................................................ 7 INTRODUCTION ................................................................................................................. 9 I - L'ESPACE DES CHOSES Ex nihilo .................................................................................... 14 A - CONTEXTE D'INDUSTRIALISATION ....................................................................................... 16 MATIÈRE(S) DE L'INDUSTRIE DU DÉCHET ...................................................................... 16 L'HOMME À L'HEURE DU JETABLE ................................................................................. 21 CULTURE D'UNE SOCIÉTÉ MARCHANDE ........................................................................ 29 B - MUTATION DE CULTURE CONSTRUCTIVE ............................................................................ 33

II - ÉTAT DES CHOSES Ex nihilo nihil fit ............................................................................. 36 A - NÉCESSAIRE RESSOURCE ...................................................................................................... 38 FORMALISATION DU RÉ-EMPLOI ................................................................................... 38 RECYCLER LE RÉEMPLOI ................................................................................................. 43 B - NÉCESSAIRE RECHERCHE ...................................................................................................... 44 FORMALISATION DU RE-PENSÉ ..................................................................................... 44

III - DE L'ESPACE AU MI-LIEU Matière en chantier ............................................................ 52 A - REPASSER À UN ÉTAT STABLE .............................................................................................. 54 MILIEU (OPPORTUNISTE) ............................................................................................... 55 CHANTIER (OPPORTUNISME) ......................................................................................... 56 B - MOMENT-CHANTIER ............................................................................................................ 63

IV - MILIEU-CHANTIER In situ in vivo ................................................................................ 66 A - MATIÈRE(S) DE CHANTIER POTENTIELLE ............................................................................. 68 MAGASIN (DE CHANTIER) - figure 1 ............................................................................... 73

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RÉSEAU (INTER-CHANTIERS) - figure 2 .......................................................................... 77 MANUFACTURE (DE CHANTIER) - figure 3 ..................................................................... 87 B - CONSTRUIRE LA SITUATION ENSEMBLE ............................................................................... 97

V - MATIÈRE GRISE Par, pour et avec le milieu ............................................................... 100 A - ARCHITECTE DE MILIEU ...................................................................................................... 102 RÉADAPTATION DE MÉTIER(S) D'ARCHITECTE ............................................................ 102 LE NON-CATALOGUE DE L'ARCHITECTE DE MILIEU .................................................... 104 B - ARCHITECTURE DE PROCESSUS .......................................................................................... 106 INFINIE RECHERCHE ..................................................................................................... 106 ARCHÉOLOGIE DES SAVOIRS ET DU FAIRE .................................................................. 110 MODÈLE-MATIÈRE EN MOUVEMENT .......................................................................... 113 ÉDUCATION CONSTRUCTIVE À LA NON-CONSTRUCTION ........................................... 116

CONCLUSION ................................................................................................................. 119 OUVERTURE .................................................................................................................. 123 TABLE DES MATIÈRES DÉTAILLÉE ................................................................................... 125 ENTRETIENS ................................................................................................................... 127 I. ENTRETIEN AVEC NICOLAS COECKELBERGHS ....................................................................... 128 II. ENTRETIEN AVEC JEAN-PAUL LAURENT ............................................................................... 141 ...GRAPHIE ..................................................................................................................... 159 BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................ 160 ARTICLES & RAPPORTS ................................................................................................. 160 ARTICLES WEB .............................................................................................................. 161 MÉMOIRES & THÈSES .................................................................................................. 161 CONFÉRENCES .............................................................................................................. 162 ENTRETIENS & VISITES ................................................................................................. 162 ÉMISSION RADIO .......................................................................................................... 162 VIDÉOGRAPHIE ............................................................................................................. 163 LOIS & DIRECTIVES ....................................................................................................... 163 SITES WEB .................................................................................................................... 163 ICONOGRAPHIE ............................................................................................................ 164

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ENTRETIENS

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I. ENTRETIEN AVEC NICOLAS COECKELBERGHS Entretien du 3 juillet 2019 avec Nicolas Coeckelberghs, un des coopérateurs et des cofondateurs de BC architects, studies & materials. Pour te présenter un peu mon mémoire, j'interroge les nouveaux rapports de l'architecte à la matière du sur place où le déchet va devenir ressource et je le vois comme une opportunité pour recontextualiser le catalogue de l’architecte. Je m'intéresse à trois acteurs-architectes – Bellastock, Rotor et BC architects – qui emploient une matière première seconde issue du réemploi de déchets et qui s'attachent à la repenser, à la replacer au sein d'un processus de conception sur chantier, ou lié au chantier du moins. Ma problématique générale est : Le (ré)emploi d’une matière architecturale située dans le processus de conception, peut-il faire évoluer le secteur de la construction en un milieu résilient ? Et ce, sous le cas particulier du chantier et des interrelations qu’il a perdu un temps. Nicolas, peux-tu te présenter brièvement, ton parcours, comment tu es arrivé là ?

Oui. Moi je suis Nicolas Coeckelberghs. Je fais partie de BC architects & studies d'abord, puis maintenant BC materials qui est une nouvelle coopérative, une nouvelle entreprise. Donc c'est trois entités différentes. Il y a BC materials qui est une coopérative de production de matériaux de terre crue ; BC studies qui est un laboratoire de recherche on va dire sur l'expérimentation en architecture et l'éducation de l'architecture par rapport aux aspects de développement durable on va dire sur l'architecture ; et BC architects qui construit en fait, qui construit toujours sensible aux humains et au développement durable. On a commencé à quatre potes pendant nos études. On a commencé avec BC studies qui était une petite ASBL, on faisait des petits projets un peu partout. Et puis après on a construit, enfin on a eu la demande de construire une bibliothèque en Afrique, donc on est parti au Burundi pour aller développer et construire ce bâtiment. Et là sur place on s'est rendu compte que les ressources nécessaires étaient assez chères dès qu'elles étaient importées et qu’on n’avait pas tellement d'argent pour pouvoir construire ce bâtiment. Donc on est parti de l'idée de travailler avec ce qu'on trouvait autour de nous. Pour une raison économique d'abord, et puis après évidemment une raison écologique, mais qui était peut-être moins importante on va dire pour eux puisque finalement c'était plus la raison et l'intérêt c'est qu'on mettait de la main d'œuvre locale au travail aussi, on privilégiait la main d’œuvre à faire venir des machines et des matériaux. (...) Grâce à ce projet on va dire, on a commencé à se spécialiser en construction en terre mais d'autre part y'avait d'autres matériaux comme le sisal qui était aussi utilisé, y'a aussi des moellons de pierre qui venaient du site d'à côté. Mais on a commencé pour ce projet à se spécialiser un peu dans la construction en terre crue. Et puis après de retour en Belgique on a commencé à faire de petits projets où on s'est dit ça serait cool de faire de la terre crue aussi en Belgique. Donc on a commencé à se spécialiser dans la reformulation en terre, qui était une entité spécifique à BC studies. Et puis, petit à petit on a commencé à faire ça pour d'autres architectes, on a commencé à faire de la consultance. Et là BC studies était vraiment demandée pour pouvoir faire, pour un architecte, reformuler des terres locales en matière d'expertise. Et donc à un moment on s'est dit : "bon ça devient un petit peu moins expérimental que ça l'était avant" et donc c'est parti sur l'idée de lancer une entreprise qui produirait ces matériaux. Au lieu de vendre juste des formules, on va vendre les matériaux prêts à l'emploi et toujours faire de l'expertise ou de la consultance si des gens veulent pas le matériau mais juste la recette, pour pouvoir aller se déplacer sur place et que BC studies redevenait on va dire un laboratoire d'expérimentation et puisse de nouveau se lancer sur d'autres matériaux ou d'autres techniques de construction sans devoir se focaliser plus sur la terre, parce que la terre n'allait plus devenir de l'expérimentation, mais devenait presque un business. Donc ça l'est maintenant, pour BC materials. Donc c'est un petit peu comme ça le parcours. Pour pouvoir arriver à ça, j'ai dû faire aussi moi-même une formation aussi au CRAterre, un post master en architecture de terre crue où je me suis formé justement sur la reformulation de la terre, l'utilisation de la terre crue dans le bâtiment. Ken mon collègue, lui, en même temps aussi mais plus vers le réseau pas français mais le réseau autrichien-allemand de Lehm Ton Erde et BASEhabitat. C'est ça l'intérêt pour vous d'avoir plusieurs casquettes, c'est de pouvoir à la fois expérimenter et avoir aussi plusieurs rôles ?

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Et d'avoir surtout le pied dans le chantier, parce qu'on se rend compte que quand on est sur des matériaux qui sont moins conventionnels, qu'on est sur de l'innovation pure et dure, qu'il faut justement un petit peu repenser l'architecte, maître d'ouvrage et entrepreneur et d'avoir un petit peu plusieurs casquette et d'être à plusieurs endroits et c'est comme ça qu'on a aussi lancé ce concept de The Act of Building. Où là l'idée c'est vraiment d'être présent à tous les moments on va dire, clefs, et avec tous les acteurs de projets pour pouvoir construire ensemble, développer ensemble, dessiner ensemble. Vous avez développé des projets et réflexions dans des contextes géographiques très variés. Il y a dans votre travail un fort rapport matière/chantier/conception. Je sais que cela a été très intense pour Muyinga. Quelle a été cette première vision du chantier et quel impact y'a-t'il eu sur l'expérience future de la conceptualisation des projets ?

Un impact immense puisque c'est parti d'une approche assez naïve on va dire, puisque nous on pensait que c'était ça l'architecture, de devoir tout développer soi-même et donc on est revenu avec ce bagage. Au début on pensait qu'on allait aider les petits africains en leur construisant une école mais finalement on s'est rendu compte qu'on a appris beaucoup plus qu’eux ont appris de nous. Mais vraiment beaucoup beaucoup plus. Donc ce bagage on l'a pris avec nous, cette idée d'acte de construire, de construire ensemble dans un univers où tout le monde se fait confiance, où y'a pas de permis de construire, où y'a pas de décennale, où y'a pas d'entrepreneur générale. Tout le monde construit ensemble, on a dû produire des matériaux et donc ça c'est vraiment et ça a été le déclic pour nous à mon avis, qui est vraiment parti par hasard parce que c'était assez naïf de notre part, et qui a vraiment donné le concept on va dire de BC architects, studies & materials. D'accord, je suppose que c'est ça aussi qui a donné une grande place de la matière dans votre processus de conception ?

Oue. En effet, la matière c'est les matériaux naturels et les matériaux qui sont dans les alentours. L'importance de comprendre l'habitat vernaculaire, comprendre que y'a une tradition souvent, une culture constructive dans plusieurs endroits, à tout endroit où on va y'a toujours eu une culture constructive. C'est depuis le modernisme qu'on a mis un peu de côté la culture constructive et qu'on est reparti sur une architecture plus internationale, qui peut être copier un peu partout, standard. Et là, c'était de partir sur l'idée de, autant développer une architecture qui est en créée déjà dans une certaine tradition, mais d'innover sur des matériaux ou des façons d'entrée de bâtiment, de juxtaposition d'espaces, pour justement innover parce qu'on ne peut pas juste copier on va dire ce qui existait avant mais il faut quand même avoir un certain respect de cette tradition. Et ça on le retrouve dans tous les projets de BC architects maintenant, à tout endroit qu'on construit. Par exemple à Edegem aussi, cette maison régionale qu'on a construit avec des briques de terre crue qui ont été produites sur place. L'architecture, c'est une architecture d'arche qui est logique parce que c'est un matériau qui marche mieux en compression qu'en traction et ces arches on les retrouve partout dans le fort, parce que c'est un fort qui a été construit justement en brique cuite et cette logique de construire en compression, c'est une logique du moment et de l'endroit de cette tradition. Il y a un peu une mise en abîme de l'élément et de la matière...

Exactement. Ok. Comme tu l'as dit, vous avez eu un point de départ plutôt hors-cadre législatif vu que vous étiez en Afrique et que le chantier découle encore d'une sorte de tradition. Dans un schéma plus classique, il est plus une résultante de la conception, un phasage assez réglementé et plutôt temporisé. Tu as commencé un peu à l'expliquer, mais qu'est-ce qui différencie vraiment ce que vous avez pu expérimenter ailleurs, des chantiers du territoire belge, qui sont par exemple dans un cadre public beaucoup plus restreint ?

Hm. On se rend compte que y'a beaucoup de restrictions. Surtout en Belgique où on a trois différents gouvernements, avec des règles différentes. Et qu’il faut arriver à jouer avec celles-ci pour pouvoir innover. Et, c'est peut-être d'un côté la difficulté, mais d'un autre côté c'est tellement compliqué que personne ne comprend donc du coup ça crée énormément de zones grises et ces zones grises nous laissent de nouveaux la possibilité d'innover à l'intérieur. Même s’il faut faire attention parce que souvent ces règles n'ont pas été écrites pour n'importe quoi. Par exemple, quand on a eu en 2014 je crois, un Bouwmesteerlabel justement pour réfléchir au triangle de l'architecte, l'entrepreneur et le maître d'ouvrage, et qui finalement est une règle, une loi qui a été

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mise en place pour pouvoir protéger la profession de l'architecte, pas pour l'empêcher justement d'innover mais pour protéger. Et c'est parti tellement loin que ça a embêté, enfin commence à limiter l'innovation de l'architecte mais d'un côté c'est pour la protéger donc il faut respecter aussi ces règles et essayer de les comprendre et pas juste les surpasser. Et, vous avez ramenez les connaissances et le processus vers la Belgique. Est-ce-que c'était une manière de recontextualiser la profession sur votre territoire, et d'essayer aussi de s'adapter à un milieu qui est le vôtre à la base ?

Tout à fait. Tu en as aussi parlé, vous avez une pratique horizontale de la profession, où les acteurs de projet gagnent à trouver une place équitable. Donc en s'éloignant du modèle de la loi de 39 sur la séparation des responsabilités et aussi du modèle préindustriel, comment vous arrivez finalement aujourd'hui dans ce contexte belge, à recréer des interrelations au sein du projet ?

Hm. C'est à mon avis justement, en introduisant différentes matérialités, où là justement on a une nouvelle réflexion où on va se dire là on a un matériau qui n'est pas normé, qui va demander un moment d'innovation, où y'a peut-être un workshop qui devra être organisé, et durant ce workshop on peut inviter le maître d'ouvrage, on peut inviter l'entrepreneur, on peut inviter plusieurs personnes. Tous les acteurs clefs, et donc ces acteurs clefs se retrouvent autour d'un moment on va dire, qui peut être le workshop où on va faire des briques, où on va mettre en œuvre du pisé, où on va faire quelque-chose, du chaux-chanvre ensemble. Et ces moments assez forts justement on va faire la réflexion en se disant "bin oui c'est un moment de confiance, tout le monde fait en sorte de faire de son mieux", y'a beaucoup d'énergies positives à ce moment-là qui sont mises en place, et permettent justement de se dire "bin voilà on est parti tous de bonnes intentions et ce n’est pas le but justement de limiter... de s'affirmer. Ok. Pensez-vous que cette horizontalité des responsabilités sur chantier amène à retrouver des relations qu'on a un peu perdues aujourd'hui entre les acteurs de projet ?

Tout à fait. Hm... Tout à fait de pouvoir téléphoner en amont d'un projet à un entrepreneur, de pouvoir lui demander "comment est-ce que tu mettrais ça en œuvre", "ah c'est plus compliqué comme ça". On retravaille son projet, son dossier d'exe pour avoir un dossier d'exe qui soit faisable, et donc ça c'est possible justement quand on peut travailler en amont. Par exemple pour revenir sur le cas d'Edegem on a avant, là on est sur le cas spécifique de cette maison régionale, on a un appel d'offre qui est super classique. Donc on a un concours d'architecture qui est gagné par BC architects où y'a un dessin avec des arches sans qu'on en est vraiment parlé avec un entrepreneur à ce moment-là, on en a juste discuté "ça ça pourrait être intéressant", "oui voilà", peutêtre quelques éléments qu'il donne à ce moment-là mais encore rien de spécifique. On gagne le projet et après on doit faire un dossier d'exécution avec un cahier de charges, avec des plans, avec des métrés, qui lui va partir en appel d'offre public pour trouver un entrepreneur général. Et bien, ou bien on aurait tout dessiné et décrit comme on le pensait et probablement qu'il y aurait eu des fautes, des changements sur chantier. Nous ce qu'on a décidé c'était en amont avant de lancer cet appel d'offre public et de le publier, on a organisé un workshop durant la journée du parc d'Edegem où y'a tous les gens des alentours qui pouvaient venir, durant ce workshop qu'est-ce qu'on a fait, on a essayé de définir tous les points qui étaient encore un petit peu incertain et flou. Donc par exemple on a décidé de faire les mélanges de terre déjà à ce moment-là, pour trouver la bonne composition de nos briques, pour pouvoir le décrire dans le cahier des charges, déjà avec l'entrepreneur qui probablement allait répondre à ce projet ou un entrepreneur possible, avec un maçon possible qui allait être mis sur le projet, on a fait un prototype d'arche, pour voir si ça fonctionnait tout simplement, avec l'ingénieur stabilité aussi, qui avait défini la largeur ou la taille de ce prototype qu'on allait faire. Durant ces trois jours on a fait ça tous ensemble, tout le monde était là, même si tout le monde savait que c'était incertain on va dire, que l'entrepreneur il ne pouvait pas savoir à 100% qu'il allait avoir le projet. En tout cas il a montré déjà devant le maître d'ouvrage qui été là aussi une certaine volonté. Nous on a pu prendre certaines mesures en se disant "ok, ça ça ne marche pas, on va faire comme ça". Redessiner ou réadapter on va dire nos plans. Le mettre en appel d'offre public et eux avaient déjà une avance sur les autres puisqu'ils savaient remettre un prix beaucoup plus juste on va dire, sachant déjà d'avoir testé quelque chose avec nous et donc du coup on gagnait aussi l'appel d'offre public. Et ceci sur place ? À Edegem ?

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C'était à Edegem, sur place avec le maître d'ouvrage, déjà dans le même hangar... Mais ceci ça a surtout été possible parce que le maître d'ouvrage été déjà intéressé, voulait innover avec ces matériaux et comprenait qu'il fallait un petit peu tester. Tu sais maintenant, je vais t'avouer que c'est un système d'appel d'offre public très très limité, maintenant y'a d'autres systèmes qui sont beaucoup plus intéressants comme par exemple les appels d'offre Design & BuilD où l'entrepreneur et l'architecte vont répondre ensemble, donner un prix pour un projet et un dessin en même temps et donc là ils sont depuis le début. Mais ça souvent ces appels d'offre ils sont faits pour des projets à partir de 10-20 millions d'euros et donc du coup qui ne sont pas encore utilisés énormément pour des petits projets. Mais c'est un petit peu ce que vous faites d'une manière ? Vous avez pris les devants sur ça...

On a pris les devants sur ça oue. Mais parce que le maître d'ouvrage a pu libérer un certain budget pour pouvoir organiser ce workshop en amont, donc y'a eu beaucoup de chose, que l'entrepreneur lui était dévoué à venir gratuitement pour pouvoir faire ça, donc voilà y'a dû avoir de la volonté. Donc si on voulait pouvoir mettre ça à un système on va dire normal, conventionnel, on devrait plus partir sur une idée d'appel d'offre Design & BuilD, mais pour des plus petits budgets quoi. Ok. Et, vous considérez vous vous-même comme des architectes-artisans ?

Non. Non ?

Non. Hm. Bon y'a certains projets où on a testé en disant "bon voilà cette partie-là du projet on va construire nousmême". Donc c'est vrai que ça aide on va dire et parce que là on fait directement, mais on se rend compte que y'a tous les artisans qui peuvent le faire mieux que nous et que nous on est juste des architectes qui ont pas mal de connaissances on va dire sur la mise en œuvre c'est vrai. Mais y'a toujours des artisans qui peuvent faire mieux et donc on se rend compte que ce n’est pas notre terrain. Par contre produire des matériaux ça c'est autre chose. Donc maintenant on a décidé de se limiter à la production des matériaux mais pas à la mise en place de ces matériaux. D'accord. Et, face à la mise à distance usuelle de la matière à l'architecte et au chantier, est-ce-que vous avez-vous la sensation de reprendre les rênes quelque part ? Peut-être de la matière par le chantier ou du chantier par la matière...

Hm. Dans quelles mesures vous pensez que l'architecte doit exercer un métier de terrain ?

Hm. Je crois que...hm. Souvent il y a cette mise à distance. Cette mauvaise idée de dire "l'architecte il fait ses études et il voit son job comme un job de bureau et qu’il n’a pas envie de revenir à cette idée de maçonner des briques ou de quelque chose de pareil". Mais ce n’est pas ça le but, c'est juste de comprendre comment est-ce qu'une brique est maçonnée pour pouvoir justement mieux dessiner un bâtiment. Je crois qu'il y a toujours une importance d'avoir dans le bâtiment chacun différents focus, et de déjà avoir une approche on va dire des différents focus, et c'est ça dans l'éducation à l'architecture on se rend compte qu'il y a énormément de demandes de jeunes architectes qui veulent justement avoir les mains dans la matière pour pouvoir mieux comprendre. Ce n'est pas dans le but je crois de se dire qu'on va devenir entrepreneur après nos études mais c'est plus dans le but de vouloir comprendre, de mieux comprendre en fait que tout est devenu très très abstrait dans l'architecture et c'est de revenir à du concret en fait. Sans devoir dire que l'architecte devrait devenir le Master Builders et de pouvoir tout construire. Je crois que ça c'est quelque chose qui est passé, mais par contre créer une équipe qui soit Master Builders, ça ça peut être quelque chose qui est du futur. Oui. Et à travers cette équipe finalement, est-ce-que vous pensez que cette gestion du chantier peut faire évoluer bénéfiquement le secteur de la construction ?

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Je crois oui. Je crois dans le sens où ça permet justement une sorte d'innovation et cette innovation va justement faire évoluer, sortir des standards, des standards qui sont justement pas du tout durables et d'aller vers de nouvelles techniques, de nouvelles mises en place de chantier, de nouvelles mises en place de conception peuvent aller vers quelque chose de plus durable. Oui bien sûr. Et donc vous vous êtes spécialisés surtout sur la terre. Quels sont pour vous, les intérêts de l'architecte à se spécialiser et y-a-t’il des limites à cela ?

Hm. La terre dans notre cas c'est un petit peu un hasard et puis une passion aussi qui s'est lancé de certaines personnes de chez BC. Maintenant est-ce que se spécialiser vraiment dans quelque chose c'est quelque chose d'important ? Je ne sais pas. Je crois que l'architecte doit avoir une idée un peu plus grande que un matériau, parce qu'on ne parle pas pour faire de l'architecture que de matériaux, on parle d'espace, on parle de liaison entre différents espaces, de social... y'a pleins d'aspects super importants et je crois que l'architecte doit rester un petit peu plus altruiste et d'avoir tous ces aspects ensemble. Mais par contre se spécialiser dans quelque chose ça aide un peu et spécifiquement pour la terre, dans mon cas parce que c'est ma passion, ça m'a aidé à aimer beaucoup plus le béton par exemple. Ah oui ?

Pourquoi ? Parce que en un coup on comprend quand on se lance dans la terre crue, on essaye de comprendre pourquoi, comment ça fonctionne aussi la terre crue, on comprend que ce sont des sortes de grains et que y'a des argiles qui permettent de faire coller les choses et on se rend compte que en fait le ciment c'est l'évolution de l'argile, un matériau incroyable qui permet de fabriquer des matériaux super super durs et on commence à vraiment apprécier le béton pour sa technologie et ses capacités justement mécanique. Après il est mal utilisé dans énormément de cas, il est très mal utilisé et trop utilisé mais ça reste un matériau incroyable. Oui. Et puis c'est une sorte de béton en fait ce que vous faites ?

Oui. On appelle ça un béton d'argile. Et vous en avez déjà parlé, ça vous permet aussi de monter en compétences le fait de se spécialiser ?

Oui. Très bien. Vous fonctionnez souvent avec un atelier sur site, on en a déjà parlé dans le cas d'Edegem par exemple, donc c'est une sorte d'unité de extraction/production qui est placée in situ et qui permet d'être plus proche de la matière disponible. Comment définiriez-vous votre boite à outils quelque part ?

Hm. Donc du coup ce n'est pas pour mettre en œuvre le bâtiment mais c'est pour justement produire certains éléments qui vont constituer le bâtiment et notre boite à outils bin c'est un malaxeur, c'est une presse, c'est... des gens motivés justement pour pouvoir faire ça, c'est... voilà c'est ça les outils adéquats on va dire pour pouvoir faire cet élément du bâtiment. Et ce qu'on pourrait dire finalement qu'ils sont plus à l'échelle de l'Homme ? Dans le sens où ils renforcent le rapport machine/Homme ?

Hm. Au niveau où on est en train de tourner maintenant avec BC materials, oui. Parce que ça reste assez artisanal et qu'on se rend compte que c'est quelque chose qui marche bien, même les maîtres d'ouvrage aiment ce côté artisanal parce que justement ça leur donne une pâte, un caché au bâtiment. Maintenant, j'ose pas dire non plus que c'est la solution pour tout parce que l'industrialisation est quand même importante dans la société où on vit où bientôt on sera 9 milliards de personnes et qu'il faut justement pouvoir répondre à cette grande masse et que les industriels sont très importants dans leurs développements aussi et y'a beaucoup de chose à faire sur le développement donc je suis pas, absolument pas contre la machinalisation mais je crois que les deux peuvent vivre en harmonie tout simplement. On va revenir après sur l'industrie, mais je voulais dire aussi que la terre d'excavation est considérée actuellement comme un déchet même si le statut est en train de changer. Mais c'est aussi un commun, comme l'eau, l'air et, le

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sable autrefois, qui pose problème aujourd'hui. Comment vous gérez-vous votre approvisionnement ici sur Bruxelles ?

L'approvisionnement pour l'instant on travaille avec des terrassiers, en particulier un parce qu'il a à peu près 90% du marché à Bruxelles, et comme eux ils ont cette expertise on va dire de sortir des terres, de faire des tas différents pour certaines applications, on a la possibilité tout simplement de s'intégrer à cette filière qui existe déjà et de juste leur demander ce qu'on a besoin parce qu'eux l'ont déjà en fait. Et ce que vous avez des contrats et est-ce que vous la payez ?

Non. Elle est tout à fait gratuite parce que pour elle c'est un déchet, enfin pour la société ce sont des déchets et ils doivent payer pour pouvoir les faire sortir donc si c'est sur leur chemin vers on va dire le centre d'enfouissement ou que c'est un tout petit détour, ça les arrange. Et par contre c'est vrai que dans un futur où on aura plus de volume, on pourra leur demander de payer. De eux payer ?

Oui, de eux payer pour nous apporter la terre. Est-ce-que vous avez déjà senti la limite dans l'accès à une terre locale ? J'imagine que non ?

Non. Hm. Si aujourd'hui, avec le Congé du Bâtiment204... (Rires) Ok. Par rapport au temps du coup... (Rires). Et un peu ironiquement du coup, pensez-vous qu'il pourrait être dangereux de l'exploiter massivement ? D'avoir un lobby de la terre en quelque sorte...

Non. Non parce que, dans le sens où je crois qu’un lobby de la terre... fin quoique on ne sait jamais, le lobby du sable il existe déjà, mais tous les lobbies sont dangereux maintenant c'est un peu à voir. Par contre d'un autre côté si le lobby se transforme vers quelque chose de plus durable et fait en sorte que notre société justement soit plus durable, c'est peut-être un bon lobby donc... C'est une question difficile. Oue. Bin c'est dans l'extraction massive en tout cas...

En tout cas nous, BC materials, quelqu'un du lobby nous contacte pour ces questions spécifiques avec un intérêt même économique, ça nous intéresse, ça nous arrange parce qu'on pense vraiment que nous notre but avec notre coopérative, et c'est écrit dans nos statuts aussi de la coopérative, c'est de faire évoluer le secteur de la construction en quelque chose de plus durable, et de plus sain. Et je crois que si les lobbies justement qui ont un volume qui est nettement nettement plus grand que le nôtre qui reste une production artisanale, si vraiment ça les intéresse et qu'ils veulent se transformer, ça peut être que bénéfique pour la société. Est-ce que cela est dû par rapport au fait qu'elle a une capacité de retransformation, par rapport au sable par exemple ?

Hm. C'est plus durable. Hm. Ici sur le territoire belge, vous construisez en terre mais quand est-il des autres matériaux ? Êtes-vous dans la même logique de puiser sur place ? Et, c'est quoi en quelque sorte, votre catalogue d'architecte ?

Hm. Premièrement on n'a pas de catalogue. À chaque projet qu'on commence on arrive sur place, on va regarder simplement autour de nous ce qui est construit, comment c'est construit et ça, ça va devenir notre catalogue pour ce projet spécifique et va nous faire décider quel matériau on va utiliser, comme par exemple on a une rénovation d'une maison où on doit démolir une grande quantité de la maison pour pouvoir reconstruire un volume à l'intérieur. On ne va pas partir sur la terre crue parce qu'on va avoir à peu près des milliers et des milliers de

204 L'organisation d'un workshop tombe en même temps que le Congé du Bâtiment. BC a donc ironiquement du mal à trouver de la terre disponible pour son workshop.

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briques cuites qui vont simplement être déconstruites et démantelées, autant les réutiliser que d'aller amener de nouveaux matériaux. Je suppose qu'à la question : Est-ce que vous vous sentez dépendant en partie, d'un catalogue industriel ? La réponse est non...

Non. Absolument pas. D'ailleurs, ça c'est le grand danger que l'on voit maintenant, tout le monde parle d'économie circulaire. Tout le monde. Et y'a énormément de boites, de start-up qui se lancent dans l'industrialisation de certains produits qui se disent circulaires. Comme la Click Brick qui est une brique avec une association de pastique qui permet de ne pas mettre de mortier pour simplement démonter les briques, ou les systèmes de poteauxpoutres en bois avec des connexions remplies de métal mais qui limitent notre architecture à un système constructif qui est très très très rigide. Qui peut être intéressant dans l'idée de démontage et de circularité, mais qui limitent après l'architecte. Nous ça j'avoue que ça ne nous intéresse pas tellement. On est à un projet où on va partir aussi sur une construction bois et on préfère travailler avec des artisans locaux qui n’ont peut-être pas le système constructif mais avec qui on peut développer un système constructif qui sera adéquat pour ce projet-là quoi. On aime bien le sur-mesure en fait. Et adéquat aussi dans l'idée de le réemployer après ?

Exactement oue. Vous êtes des opérateurs de collecte de la matière en quelque sorte, un peu comme Rotor ou Bellastock. Avezvous déjà travaillé ou échangé avec eux et quel est votre regard actuel sur le réemploi ?

Bin Rotor, comme ils sont sur le même territoire que nous, on va souvent boire des bières ensemble (Rires). Ça aide et puis on discute un petit peu des enjeux, de ce qu'eux font puisqu'au final ils ont à peu près le même parcours que le nôtre sauf qu'ils sont partis sur un autre matériau205 on va dire. Mais ils ont à peu près le même parcours et ils ont on va dire 2-3 années d'avance sur nous, donc du coup c'est très intéressant de discuter avec eux pour pouvoir déjà anticiper sur des fautes ou des choses pareils. Bellastock on les connait parce que certaines personnes faisaient partie du CRAterre donc on les connait un petit peu, et qu'on a un petit peu suivi certains des festivals mais on n'est pas sur un échange régulier avec Bellastock. Et quel est le potentiel du chantier selon vous à rendre opérationnel le réemploi ? Dans le sens où on est sur place et où on a une manière différente de l'approcher ce qu'il fait qu'il est beaucoup plus dans la conception...

Tu veux dire quel est le potentiel d'un certain chantier ou... ? Non plutôt le potentiel de votre processus de chantier, dans la manière dont vous avez de l'envisager. Et rendre opérationnel le réemploi, dans le sens où il est pensé en amont comme en aval.

Mais on est de toute façon dans une logique de circularité. Que ce soit une démontabilité totale je ne vais pas dire ça... parce qu'on aime bien aussi construire de beaux murs monolithiques aussi et qui doivent être démolis tout simplement après utilisation. Mais alors là on va faire des réflexions sur utiliser de la terre crue par exemple en se disant que si on démolit on pourra refaire une brique avec, mais ce ne sera pas du réemploi. Oui, plus une réutilisation.

Voilà. Par rapport à ce métier de collecte, de l'architecte qui glane, est-ce-que vous pensez que c'est un métier temporaire ? Un métier qui découle d'une adaptation au milieu qui est actuel, et qui peut évoluer dans le temps ? Ou un métier qui va rester justement ?

Hm. Bonne question. À mon avis c'est un métier qui va revenir, parce qu'il était là avant. Avant on réemployait énormément quand tu vois, y'a plein de bâtiments, d'anciens bâtiments où on retrouve des poutres en chêne qui 205 Les terres d'excavation pour BC, les matériaux issues de la déconstruction sélective pour Rotor.

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ont été retournées tout simplement et où tu vois encore les entailles en dessous des autres poutres secondaires probablement d'antan parce qu'elles sont plus utilisées donc elles vont être simplement retourner les poutres en chêne. Donc, avant ça se faisait énormément, maintenant plus. Je crois pour cela, pour que ce soit un métier de futur, c'est aussi simple que ça il faut qu'il y est un changement gouvernemental, une vraie taxe carbone, une vraie taxe sur la consommation et l'extraction des ressources primaires et là on pourra réfléchir à de nouveaux métiers, non subsidier tout simplement. Parce que maintenant on est sur une logique de subsides de ces nouveaux métiers mais à un moment il faudra stopper les subsides et que ce soit l'inverse qui se passe, et que ce soit une pression on va dire... de se dire que ceux qui ne sont pas sur cette logique, devront payer justement le coût écologique que ça a sur les générations futures. Ça on n'y est pas encore, mais y'a déjà des réflexions qui se font... ici par exemple à l'IBGE206 ou dans certains gouvernements. Ok. Et comme eux quelque part, vous êtes aussi des architectes-pédagogues, avec BC studies. Ça signifie quoi pour vous ce partage de connaissances, ce travail sur une nouvelle expertise à travers l'expérimentation ?

C'est super important. C'est énormément important parce qu'on est très... on sait très bien que ce chiffre en tout cas de taxe carbone, de chiffres de société on va dire, va se faire demain. Donc du coup nous ce qui nous importe c'est que toute l'expérimentation, les nouvelles connaissances qu'on a, on veut les retransmettre directement aux générations futures et pour que eux ne l'oublient pas et puissent les prendre si finalement ça va se faire et qu'ils puissent travailler dessus ces connaissances qui ont été faites. Donc on se voit un petit peu comme une sorte de, en tout cas avec BC materials, peut-être plus comme pionnier d'une recherche appliquée sur le marché de ces nouveaux matériaux circulaires. Ok. Pour revenir un peu à un cadre public assez réglementaire et figé, comment pensez-vous le chantier et comment le solutionnez-vous ou l'anticipez-vous dans son rapport au temps ?

Ça c'est une grande difficulté oui. C'est toujours la même chose, c'est tout le monde veut construire rapidement et que souvent ces éléments ralentissent. Donc ça c'est une difficulté. C'est comment on les solutionne, on n’a pas vraiment de solutions très claires, on essaye de discuter le plus possible avec le maitre d'ouvrage et de lui faire comprendre que c'est vraiment important si il veut ce résultat, il faut donner le temps. Mais ce n’est pas toujours si facile. Même à Bokrijk on a eu énormément de difficultés à faire comprendre ce message et c'est pour ça que le projet ne s'est pas super bien terminé on va dire. Et donc voilà, ce n’est pas facile. Est-ce que c'est plus facile dans un cadre privé que dans un cadre public ? Ou cela dépend plus du maitre d'œuvre ou d'ouvrage en question ?

Ça dépend oui. Je ne dirais pas que... parce que en public parfois ils ont aussi le temps et même parfois plus que chez un privé, donc c'est vraiment spécifique. Bien. Sur le territoire belge, les contraintes normatives de projets publics sont assez strictes. Vous avez un atelier, une sorte de manufacture sur votre site de bureaux et vous êtes aussi en contact avec des centres de recherche. Comment vous arrivez à normaliser la terre d'excavation aujourd'hui ?

Pour l'instant on est, y'a deux choses sur le point de la normalisation. La normalisation d'abord de la ressource primaire, et la normalisation du matériau qu'on va produire. Ce sont deux normalisations, deux sets de normes tout à fait différentes. Donc pour les matériaux y'a une normalisation de la prestation du matériau ou de la mise en œuvre du matériau qui peut se faire pas la CSTC207, qui peut être fait par le CSTC ou qui peut être fait par d'autres organismes. Et ça on est sur des groupes de travail justement pour pouvoir organiser ça. Parce que pour l'instant y'a pas vraiment de normes, y'a une norme allemande donc ce qu'on fait nous c'est qu'on suit la norme allemande et qu'on essaye de développer avec le CSTC la norme belge ou européenne dans un futur mais c'est des trucs prénormatifs. Et puis après, la norme sur la ressource primaire elle existe déjà puisque pour pouvoir utiliser nos terres on doit avoir une agrégation, qui montre que nos terres ne sont pas polluées et sont utilisables pour en faire des matériaux... et donc on doit sortir du statut de déchet. Ça c'est grâce à notre permis d'environnement qu'on a sur notre site pour pouvoir faire sortir du statut de déchet cette terre vers un matériau de construction. 206 Bruxelles-Environnement - Institut Bruxellois pour la Gestion de l'Environnement. 207 Centre Scientifique et Technique de la Construction.

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Ce permis d'environnement il est avec Bruxelles-Environnement ? Ou BeCircular ?

Non c'est l'IBGE c'est ici, BeCircular ils sont au deuxième étage et comment ça s'appelle encore tout ce qui est terrassement et terre je crois que c'est au quatrième ou au cinquième étage... et ils ne se parlent pas hein. Ok. Et le rapport c'est juste un contrat aujourd'hui que vous avez ? A essayer de la faire dépasser ce statut ?

Ça a été un peu compliqué on a mis ça en œuvre y'a à peu près un an, juste pour comprendre la législation c'est énormément compliqué, surtout que la législation est complétement différente entre la Flandre et Bruxelles, et que Bruxelles est en Flandre en fait. Donc du coup c'est extrêmement rare qu'une terre soit excavée à Bruxelles et reste à Bruxelles. Donc elle sort toujours de Bruxelles, donc elle doit toujours avoir les deux législations en même temps. Et même si elle va en Wallonie, elle doit passer la Flandre pour aller en Wallonie donc c'est... (Rires) Et est-ce-que vous pouvez parler un peu plus de cette norme allemande et de son projet de traduction ?

La norme allemande elle existe déjà depuis je ne sais plus exactement quelle date, mais elle existe déjà. Donc du coup depuis septembre y'a ce groupe de travail au CSTC qui travaille sur cette étude prénormative pour les enduits de terre et les briques de terre, pas pour le pisé. Donc c'est en cours tout ça, les techniques ne sont pas encore fiabilisées et y'a pas encore d'assurances forcément pour cela ?

Alors pour l'instant il faut savoir que les normes ne sont pas obligatoires pour pouvoir utiliser un matériau. C'est juste une sorte de garantie pour l'architecte, pour le maître d'ouvrage, pour l'entrepreneur par rapport à l'utilisation et la mise en œuvre d'un certain matériau. Mais ce n'est absolument pas obligatoire donc du coup pour l'instant nous ce qu'on fait, c'est qu'on part de bon sens on essaye de faire des bons matériaux, on a une fiche technique qui est assez bien décrite et certains de nos tests que nous faisons sur nos terres ou que nous faisons sur nos matériaux sont décrits selon certaines normes, mais ça ne suit pas encore vraiment une norme générale on va dire, d'application... C'est juste un peu pour valider on va dire vos responsabilités ?

Exactement. Et donc nous on prend nos responsabilités évidemment sur les matériaux qu'on vend, ils ont une certaine valeur en compression, une certaine valeur en abrasion, ils ont une certaine manière dont ils doivent être mis en œuvre et ça s’est décrit dans nos fiches techniques. Et voilà si ça n'a pas fonctionné parce qu'on a fait une faute, et bin voilà on a évidemment nos assurances pour pouvoir nous protéger d'une éventuelle faute qui peut toujours arriver, mais voilà. Et avec BC materials vous avez trois produits développés actuellement, qui sont de l'aménagement intérieur uniquement. Vous faites très peu de construction en extérieur. Est-ce-que vous pouvez m'expliquer pourquoi et est-ce une manière de vous protéger ?

Oui en effet. Donc du coup c'est ça, c'est que y'a moyen de construire avec la terre crue à l'extérieur, ce n'est pas avec toutes les techniques on va dire c'est surtout avec le pisé exposé. Mais ça demande quand même une certaine audace, ça demande un degré de détails donc ça veut dire qu'il faut un architecte qui connait les risques et qui sait bien détailler, qui est ouvert à ça et un maître d'ouvrage qui comprend ça, tout simplement et alors là c'est possible. Maintenant nous ce qu'on veut faire c'est d'arriver à sortir ce matériau d'une niche vers un matériau de croissance et donc du coup on ne va pas se focaliser sur ces matériaux là parce que c'est plus compliqué sans devoir... si on ne veut pas commencer à mettre du ciment, des polymères, des trucs à l'intérieur du matériau pour le rendre plus durable, on préfère se focaliser sur tout ce qui est intérieur parce que là y'a beaucoup beaucoup moins de risques et y'a un potentiel énorme. Parce qu'il faut savoir que quand on parle de circularité d'un bâtiment, la première chose qu'il faut faire c'est est-ce qu'il n'y a pas moyen de réutiliser le bâtiment comme tel, d'enlever ce qu'il y a à l'intérieur et de le réaménager. Donc du coup c'est ça qui va bouger énormément dans les bâtiments bien pensés d'ici plusieurs années. Donc point de vue durabilité je crois que c'est intéressant de se focaliser sur l'intérieur et y'a un potentiel grand parce qu'on voit que les effets de mode sont de plus en plus

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importants pour notre société, les gens veulent du changement après à peine 20 ans donc c'est bien justement de pouvoir avoir un système qui est adaptable. Oui, très intéressant. Et j'avais une autre question par rapport à Martin Rauch, est-ce-que vous projeter de réaliser des bâtiments complets à l'avenir ? J'avais l'exemple du Centre de visite ornithologique en Suisse qui est en murs préfabriqués où lui, je suppose utilise du ciment.

Non y'a pas de ciment. Jamais de ciment sur toutes ses constructions. Lui il a joué sur une niche internationale qui est le pisé. C'est la niche de la niche. Mais il est le meilleur là-dedans du coup il arrive à fonctionner donc voilà, mais c'est incroyable ce qu'il fait. Et lui il est sur du porteur, il est sur de l'exposé. Mais voilà par exemple tu as parlé du centre de visite ornithologique, c'est un des projets où il y a eu le plus de problèmes par exemple. Quel genre de problèmes ?

Y'a eu toute une façade qui s'est à moitié écroulée à cause d'une sorte de... comment on appelle ça en Bretagne, quand le vent souffle de la mer, un crachin il me semble parce qu'ils étaient à côté d'un étang, donc une façade super exposée et donc du coup elle s'est érodée très très très rapidement en l'espace de quelques mois. Donc du coup ils ont dû refaire la façade et là ils ont dû stabiliser, des choses comme ça donc ce n'est pas que ça se passe sans problèmes mais c'est juste qu'il faut prendre ses responsabilités. Martin Rauch demande souvent suffisamment d'argent pour reprendre ses responsabilités et de réparer les dégâts qui auraient pu être fait quoi. Ok. Donc durant le workshop terre crue et aussi là tout à l'heure, vous avez parlé d'industrialiser le procédé de BC materials si la demande viendrait à s'étendre. Que signifie industrialiser le procédé pour vous et comment envisager finalement ce futur industriel de BC materials ?

Hm. Je ne sais pas si BC materials va vraiment s'industrialiser pour arriver à un moment où on va se dire on va acheter une briqueterie et on va aller au niveau industriel. Peut-être, peut-être pas. En tout cas ce qu'on va probablement faire dans un futur plus ou moins proche, c'est d'essayer d'avoir des collaborations avec des industriels, de venir avec nos terres qui sont circulaires, et d'avoir la réflexion de est-ce que y'a pas moyen d'adapter légèrement les machineries existantes pour pas avoir des nouveaux investissements à faire et de pourvoir avoir une augmentation de production, une efficacité de production bien plus haute pour pouvoir justement réduire le coût de la brique ou de l'enduit ou du matériau qu'on voudrait fabriquer beaucoup plus basse que ce que nous on fait avec de l'artisanal. Donc ça c'est des choses qu'on a envie de faire avec BC materials dans un premier temps et puis après à voir. Mais en tout cas d'abord ce qu'il faut faire, c'est que en même temps que créer l'offre il faut créer la demande donc c'est pour ça qu'on a toujours ces workshops, ces sensibilisations. Parce que on peut aller demain chez un industriel et lui demander de faire ça mais après on devra stocker des briques, on devra les mettre quelque part et elles ne vont jamais être revendues rapidement si y'a pas de demande. Donc faut d'abord créer une demande et si la demande va commencer à venir, là on pourra commencer à toquer aux portes des industriels ou alors peut-être que ce sera eux qui viendront vers nous quoi. Ok alors admettons que la demande grandisse je suppose que pour vous l'industrialisation de la terre peut être résiliente puisque circulaire. Mais est-ce qu'il aurait une limite à l'échelle de production ?

Non je crois que la limite qu'il y aura si on veut être vraiment sur une réflexion locale et qu'on ne veut pas perdre l'atout, un des plus grands atouts de la terre c'est qu'il a un bilan carbone neutre quand il est local, c'est qu'il faudra avoir une réflexion sur des usines qui sont, allé, moyennement locales on va dire. Mais là c'est pour ça qu'on a de la chance en Belgique c'est qu'il y a des petites usines à briques un peu partout ici en Belgique donc c'est tout à fait possible. Ce n'est pas quelque chose de non envisageable. C'est vrai qu'il a des très très très grosses usines à brique en Belgique qui exportent on va dire partout en Europe mais il y a des usines à béton par exemple qui sont à peu près partout en Europe, parce qu'il faut savoir que le béton par exemple ça peut durer que 101 minutes avant qu'il parte de l'usine, de la centrale jusqu'au chantier sinon après ça sèche. Donc là on a toujours été sur une logique on va dire du matériau qui t'oblige à être décentralisée, d'avoir plusieurs endroits et j'espère que si on part vers une plus grande échelle de la terre qu'on va prendre en considération l'idée du bilan carbone, que pour toujours rester décentralisé et de pas avoir des productions mégalomanes et d'envoyer nos briques partout au monde.

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Oui ok. Je ne sais pas si vous connaissez bien les deux contextes, contrairement à la France, la Belgique a une décennale qui ne concerne que les produits, pas les procédés. Comment BC arrive à tirer parti de cette différence ?

Ah oue. Une décennale sur les produits mais pas les procédés. Ça je ne sais pas exactement le contexte en France mais je sais que par exemple en Belgique, la grande différence qu'on a avec la France c'est que et ça c'est pour le point de vue architecture, c'est qu’on n’est pas obligé d'avoir un bureau de contrôle en plus sur un chantier. Donc du coup toute la prescription peut se faire, des matériaux, peut se faire par l'architecte selon la prise de risque qu'il veut prendre ou pas et puis sa décennale prend, et c'est si y'a un litige qu'un bureau de contrôle viendra voir si tout c'est bien fait ou mal fait. Donc du coup il n'y a pas de blocage à l'innovation en amont mais il peut y avoir après un blocage plus tard sur une faute qui aurait été faite sur un certain matériau qui aurait été mal prescrit, qu'il n'aurait pas été juste. Mais donc du coup ça permet plus l'innovation et quand même de pouvoir faire des bâtiments qui sortent de la norme. L'utilisation de matériaux qui sont non normés en fait. Je vois et petite question, partagez-vous l'idée que les normes en vigueur restreignent l'usage local d'une matière, en verrouillant notamment la culture constructive ?

Hm. Non pour l'instant pas tout à fait quoi. Fin je veux dire... certaines normes oui mais c'est sous des cas spécifiques et de nouveau... Je ne sais pas. Je ne crois pas franchement souvent les gens disent que le problème c'est la norme mais je crois que ce n’est pas la norme. C'est vraiment la mauvaise image, ça ça joue plus que la norme. En fait je pensais aux concours notamment où on a beaucoup de mal à proposer des solutions différentes parce que du coup elles ne sont pas prises en compte, ou comme tu dis que l'image n'est pas forcément bonne, que ça coûte souvent plus cher...

Oui, ça c'est encore un autre problème le coût mais ça ça peut être réglé par l'industrialisation. Mais je crois que la mauvaise image est quelque chose de plus important que la norme parce que en Belgique on utilise souvent les cahiers de charges, fin les architectes aiment utiliser les cahiers de charges copiés-collés de... je ne sais pas comment on appelle ça en français, en néerlandais c'est Viehmesser, ce sont des habitats sociaux, ils ont un espèce de cahier des charges standard on va dire où y'a une panoplie de matériaux et de procédés qui ont été écrits au fût et à mesure des années et dont la terre ne fait pas partie évidemment. Mais maintenant ils sont en train d'écrire des articles justement sur les enduits, et ça bouge quoi. Donc ça aide un petit peu à faire rentrer dans le commun, dans les mœurs ces matériaux. Mais je crois que d'abord il faut qu'il y ait des exemples qui marchent et faut essayer surtout de ne pas construire trop de contre exemples aussi parce que ça on en voit aussi énormément, qui ne mettent en tout cas absolument pas la terre en avant. Oui en fait je pense que la question est plutôt par rapport au standard que à la norme en effet. C'est plus dans les habitudes...

Exactement. Bien et pour finir, la terre est un déchet quand elle sort du chantier d'où l'enjeux de réemployer sur place. Avezvous des subventions ou aides à la recherche et à l'innovation ou d'autres contrats avec des institutions publiques et territoriales en particulier ?

Donc on a BeCircular qui a investi 80 000 euros dans la coopérative. Fin pas investi, c'est un subside et y'a eu 100 000 euros aussi de Vlaanderen Circulair qui est la même chose mais en Flandre, c'est l'intérêt d'être une société flamande établie à Bruxelles c'est que tu peux jouer sur les deux subsides en même temps, qui n'ont pas été utilisés pour la même chose parce que y'a eu plusieurs choses à faire on va dire, énormément de chose à faire, donc c'est une partie du capital et là maintenant on est en train de faire une levée de fonds de 250 000 euros, une sorte de Crownfunding par des investisseurs externes, probablement organisés par l'ITA2.CO, c'est une société française d'investissements qui cherche des investisseurs, qui sont plus dans l'impact on va dire que sur le retour sur l'investissement. Donc assez intéressant aussi ce qu'ils font. Par rapport à ces gens qui vous donne des fonds ou des subsides, est-ce-que vous avez des comptes à leur rendre ?

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Oui oui, plus ou moins. Après c'est vrai que les subsides c'est moins suivi on va dire que les investisseurs qui lui voudraient savoir si il y a un retour, ou quel est le bilan de la société sur les subsides, on va dire que c'est un espèce de boost où leur but c'est d'avoir un impact sur la circularité et d'avoir les entreprises installées sur le territoire qui s'investissent là-dedans. C'est plus bienveillant qu'économique quoi ?

Exactement oui. Ok et selon vous, ces institutions-là ont-elles un rôle plus grand à jouer dans le soutien de l'expérimentation ? Ou est-ce suffisant à l'heure actuelle ?

Hm. Ça je ne sais pas. Pour nous c'était en tout cas suffisant le subside, en plus c'était toujours mieux, après si ça devient trop ça exagère probablement aussi. Maintenant, je ne sais pas le nombre d'entreprises qui ont fait la demande et qui ne l'ont pas eu, et quel était leur état aussi, ça si tu veux avoir une réponse plus claire sur cette question, je peux te donner le contact d'une personne chez BeCircular qui adore répondre à ce genre de questions. Il s'appelle Anthony Naralingom et lui en fait il travaille pour Hub.brussels donc il est toujours dans les commissions de sélection des dossiers de BeCircular et tout, donc il connait toutes les entreprises qui sont établies sur le territoire bruxellois et qui se lancent dans l'économie circulaire. Super très bien. J'ai une dernière question, vos recommandations influent-elles sur les projets d'aménagement à venir ? Par rapport au fait que les institutions soient en lien...

Oui je crois. Maintenant notre but c'est de, donc si on veut créer marché il faut sensibiliser. Sensibiliser c'est notre façon de faire des workshops mais c'est aussi notre façon de créer des bâtiments exemplaires. Ces bâtiments exemplaires ils doivent, ou bien c'est du public, ou bien c'est du privé qui veulent se lancer dans ces concepts d'économie circulaire mais c'est sûr que ces projets, une fois qu'ils seront construits auront un impact sur d'autres projets qui sont peut-être attirés par ça quoi. Super, merci.

Et tu ne vas pas rencontrer des gens de Terres de Paris ? Terres de Paris ? Ils travaillent avec Bellastock non ? Sur le projet de Plaine Commune ? Je ne sais pas, il faut que je me renseigne...

C'est possible oui. C'est un peu notre grand frère aussi. Bin oui parce que eux ce qu'ils font en fait c'est un peu la même chose... enfin nous on fait la même chose, on les a copiés c'est sûr mais eux sont sur une plus grande échelle en tout cas, ils sont encore vraiment sur le développement, ça va assez lentement et ils ont 7 millions d'euros de capital pour développer une usine qui va être près de Paris... à Sevran. Et donc du coup là ils vont vraiment avoir une grosse, enfin une grosse... 7 millions d'euros c'est jamais très gros non plus mais ça va être une petite usine. Tout est relatif dans le bâtiment...

Oui donc si ça t'intéresse d'avoir le niveau industriel peut-être qu’eux l'ont déjà plus. En plus c'est avec CRAterre, avec Amàco208, et ça c'est intéressant aussi de voir avec eux. Oui c'est intéressant oui. Je ne connaissais pas, peut-être déjà vu ça quelque part mais...

C'est CycleTerre. Faut regarder leur site web : CycleTerre. Super, je vais regarder. Parenthèse à part, j'avais des questions plus personnelles par rapport à la formation que tu as suivi à Grenoble avec CRAterre, tu en as pensé quoi ?

208 Atelier matières à construire.

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Pour moi c'était super bénéfique. Super super bénéfique parce que je suis parti aussi avec un projet personnel, on avait déjà BC, on avait tout déjà établi quoi. Sauf que je crois que je faisais partie des 10% quoi, j'avais un projet et une vraie attente en fait de ce post master et j'étais assez sélectif dans ce que je voulais prendre et ce que je n'avais pas besoin et donc du coup ça a été super bénéfique. Maintenant, pour quelqu'un, et c'est 90% du DSA CRAterre209 qui sont à la recherche d'eux-même et qu'ils veulent voir ce qui est possible, ça a été bénéfique peutêtre pour 20% de ces 90%, dans le sens où certains on finit à travailler pour CRAterre, mais y'en a plein d'autres qui font plus du tout de la terre. Donc voilà ma réponse est oui et non. Oui pour moi oui à 100%. Et c'est pour ça qu'ils essaient de faire des sélections sur portfolio, ils ciblent mais même en ciblant tu vois, tout le monde à fait un petit château de terre quoi, tout le monde à participer un jour à un workshop. Tu supposes que pour les gens qui veulent rentrer ils ont tellement envie qu'ils ne se rendent peut-être pas compte que des fois le bénéfice n'est pas forcément là comme tu dis si tu n'as pas déjà des projets un peu ancrés qui font que...

Exactement oui. Maintenant, et c'est pour ça que je me dis, est-ce-que là ce n’est pas plus intéressant de suivre un stage non rémunéré de 6 mois chez Amàco et Amàco ils sont vraiment dans le développement et ils font des trucs, eux c'est surtout sensibilisation ou alors de se dire moi j'ai travaillé chez CycleTerre pendant 6 mois et là c'est vraiment super appliqué sur un point, parce que CRAterre eux c'est 4 piliers qu'ils ont, le développement en Afrique, donc ils travaillent avec la Croix Rouge, MSF210 pour aller construire des habitations et après y'a la recherche scientifique aussi du matériau, et puis après ils ont l'archéologie aussi parce que je crois que y'a 80% du patrimoine de l'UNESCO211 qui est fait de terre aussi et qu'il faut les restaurer. C'est un laboratoire d'abord en fait donc ils ont des rechercheurs sur ces 4 piliers, le quatrième c'est l'architecture contemporaine et donc ils ont des rechercheurs sur ces 4 piliers et puis après c'est eux qui donnent cours en même temps au DSA. Tu as une fois un cours sur l'archéologie, une fois dans le labo à faire de la granulométrie... donc voilà quoi. Apparemment statistiquement parlant et ça c'est eux qui me l'ont dit, ceux qui arrivent et qui ne savent pas lesquels des 4 piliers ils vont utiliser, au final ils n'en utilisent aucun. Et ceux qui arrivent et qui disent "bin c'est ça qui m'intéresse", bon ils suivent les cours aussi parce que c'est toujours intéressant de voir les cours mais c'est souvent eux qui continuent. Mais c'est super intéressant c'est sûr, c'est pour ça que je me dis si tu te dis "oui moi ce qui m'intéresse c'est comment le développement de cette filière va pouvoir se développer vraiment dans la pratique de cette filière", faut aller travailler chez CycleTerre, faut aller dire "est-ce que je ne peux pas m'incruster". Y'a une fille mais je ne l'ai plus revu qui fait sa thèse sur l'économie circulaire et le flux des matériaux et donc elle analyse CycleTerre aussi plus dans le cadre général d'économie circulaire et flux des matériaux en fait dans les villes je crois que ça s'appelle. Et elle c'est une recherche qu'elle fait chez CycleTerre. Donc je crois qu'ils ont des rechercheurs aussi et qui arrivent qui disent "be moi j'ai mon financement, je voudrais juste m'incruster à votre recherche, qu'est-ceque vous pensez si je fais cette recherche-là en parallèle de ce que vous faites ?", et souvent les gens sont intéressés et nous aussi d'ailleurs, si y'a quelqu'un qui arrive comme ça et qui nous dit "moi ce qui m'intéresse c'est de faire de la recherche sur les granulats de recyclage et de voir ce qu'il y aurait moyen de faire", nous on est pas là-dessus mais on l'utilise un petit peu mais si y'a quelqu'un qui dit nous on veut faire cette recherche bin on va pas le stopper à venir faire ça avec nous quoi. Toujours le problème du financement...

Toujours le problème du financement. Toujours oui. Ok. Et bien super, merci beaucoup.

209 Diplôme de Spécialisation et d'Approfondissement en Architecture de terre. 210 Médecins Sans Frontières. 211 United Nations Educational, Scientific and Cultural Oragnization.

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II. ENTRETIEN AVEC JEAN-PAUL LAURENT Entretien réalisé le 23 et 24 octobre 2019 avec Jean-Paul Laurent, ingénieur-structure dans un bureau d'étude et enseignant structure dans le domaine Situations à l'École Nationale Supérieure d'Architecture de Montpellier. Bonjour Jean-Paul Laurent. Pouvez-vous vous présenter brièvement, votre parcours et comment vous en êtes arrivé là ?

Yes. Alors moi j'ai fait une double une formation d'architecte et d'ingénieur, donc ce qui m'a donné on va dire un petit peu les deux cultures de l'architecte et de l'ingénieur. Ensuite j'ai travaillé dans des grandes industries : le nucléaire en Angleterre, après j'ai travaillé dans la réglementation avec les bureaux de contrôle, dans les grands bureaux d'études, toujours des grandes industries. Et ensuite assez rapidement j'ai ouvert mon bureau d'étude avec l'idée de dire le système de production à une influence sur le projet donc le contenant doit être adaptable au projet pour que le projet puisse s'écrire. Donc en fait la structure du bureau d'étude, sa façon de travailler, les pistes qu'il avait, devaient être une réponse au projet et non pas adapter le projet parce qu'en fin de compte chaque intervenant sur le projet, ils sont nombreux, ils ramènent systématiquement le projet dans leur camp en fonction de leur système de production. On prend un exemple, si on a un bureau d'étude béton et qu'on lui propose un structure béton-bois assez rapidement il va dire le bois c'est trop cher. En fait c'est parce qu'il ne sait pas le produire et qu’il n’est pas rentré dans le matériau et donc que ce n’est pas sa culture etc. Donc en faisant des systèmes de production on réduit automatiquement où si je suis avec Revit ou Autocad je dessine des choses que je ne dessinerais pas à la main. L'outils c'est un outil en fait. L'outil de production a un effet sur le projet et quand je pense le projet je pense avec son outil de production. Donc ça ça me paraissait être une intuition de départ qui a mis beaucoup de temps à s'installer puisqu'on faisait tous les matériaux à tous les niveaux depuis l'esquisse jusqu'à l'exécution. Par contre le principe c'est de regarder à l'exécution mais aussi l'esquisse, d'intervenir auprès des architectes très en amont en participant. Donc je me considérais comme un concepteur, moi je parlais de mise en matière donc je me considère comme un concepteur à ce niveau-là en sachant que moi (...) j'avais en plus un début de projet d'architecte et donc il fallait que je fasse quelque chose avec ça et que je retransmettre à un moment donné ça mais dans une logique de projet de toute façon. Et non pas d'exécutant ou de ramener l'architecte dans des lignes. Donc après assez rapidement est arrivé la notion de mettre en place des stratégies constructives pour dire "ok ce projet là on fait comment, jusqu'où tu veux prendre des risques" ou "si c'est moi qui prends les risques et toi tu es derrière", enfin comment on fonctionne. Donc y'a eu des expériences intéressantes et puis des expériences où les gens n’avaient pas envie de faire tout ce que je leur proposais, ils n’avaient pas envie (...) de rentrer dans un processus, voilà. Donc à ce moment j'ai créé une structure pour leur répondre (...) à un moment donné on a développé du modulaire bois pour que ça puisse se développer, j'ai structuré une entreprise bois dans laquelle j'ai pris des parts, ensuite j'ai participé et enfin j'étais responsable d'une association de boucles courtes sur le bois dans la région qui était subventionnée par la région. J'avais pas mal d'activités périphériques où j'essayais, j'ai fait de la promotion pour pouvoir passer les projets. (...) moi, mon grand dada c'est de construire l'outil qui va faire le projet parce que si l'outil est déjà défini le projet il est fini. L'outil dans le sens système constructif ?

Non, l'outil, l'outil social, l'outil culturel. Quand on est parti à construire en pierre y'avait absolument personne qui savait faire et comment. Et donc à ce moment-là on ne fait pas de projet. Donc si on attend une boite qui fait, la boite qui fait a déjà défini ce qu'elle pouvait encaisser, pas le reste. Donc à ce moment les projets sont déjà prédéfinis et ils passent là-dedans : l'optimisation, la connaissance financière, etc. (...) Donc ça c'est un peu l'intérêt pour vous d'avoir une double formation architecte-ingénieur, c'est déjà de pouvoir recréer du lien comme vous l'avez dit et d'avoir aussi la capacité d'agir en étant ingénieur et en comprenant aussi l'architecte peut-être ?

Voilà c'est à dire que le problème c'est que l'architecte s'extrapole du fait de sa culture, il n’arrive pas bien à comprendre ce qui se passe de l'autre côté et de l'autre côté c'est la même chose et moi j'ai un peu d'empathie pour les deux milieux disons, voilà je suis entre les deux. Mais ça a été une chance de faire ça mais c'est deux formations complètes. (...) Ce n’est pas une double formation où là les cultures sont prédominantes d'un côté mais moi c'est un conseil que je donnerais aux étudiants ça peut être en économie etc. Mais pour comprendre un milieu il faut quand même l'avoir éprouvé autrement tout de suite on le met de côté : y'a les bons, les mauvais etc.

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Vous en avez un peu parlé, en tant qu'ingénieur structure vous implantez à différents endroits de la chaîne d'acteurs et vous vous positionnez finalement un peu partout dans le projet puisque vous pouvez faire l'esquisse avec l'architecte et du coup envisager des solutions ?

Oui même des fois plus que ça parce que des fois j'ai été amené à construire le cadre qui pouvait faire émerger le projet et après faire le projet. Ça c'est une façon de faire des projets émergents. C'est une des premières façons de faire, on est obligé de construire la situation de projet avant de construire le projet. Oui. Vous travaillez principalement sur le territoire Languedoc-Roussillon. Vous avez un rapport matière/chantier/conception intéressant. Dans le cas du théâtre Jean-Claude Carrière au Domaine d'Ô par exemple où la démontabilité a été travaillée dès la conception, donc avec un système de préfabrication, et semble permettre une simplification sur chantier. Pouvez-vous me parlez de l'impact de cette conception double, qui est à la fois rétro et prospective, sur la matière choisie et aussi sur le chantier du coup ?

Ah le fait de la démontabilité ? Oui.

Moi je dirais que à priori la démontabilité ça a été un mot qui a été créé, plus la transférabilité, mais la démontabilité c'est quand même quelque chose qui est très inhérent au bois. La non démontabilité c'est les constructions humides qui sont scellées par des finitions donc c'est assez inhérent au bois et de dire je visse je dévisse c'est montable. Le principe a été de dire, et là par contre on s'est mis en filiation d'un projet assez intéressant c'était le projet de la Comédie Française qui avait été faite, et donc indirectement on a repris des principes qui étaient assez fins et travailler avec un élément industriel au service de la vitesse parce que le projet s'est fait en 12 mois tout compris, concours compris. Donc en fin de compte on a renoncé à certaines choses par exemple les fondations ne sont pas démontables et moi je voulais au départ que les fondations le soient. Et là il apparaissait pour tout le monde qu'on est démontable mais quand même... Donc à chaque fois qu'on choisit les choses c'est on peut faire (...) y'a toujours un "mais quand même". Il ne faut pas trop aller handicaper son bien mais quand même, voilà. Et dans ce cas-là la question de la matière elle est arrivée très tôt dans le processus de conception ? La question du bois...

La matière elle a permis en fait de changer (...) deux choses ont permis de changer les rapports généraux : le premier c'est la vitesse qui n'est pas très intéressante en fait, ça n’intéresse personne mais la vitesse était imposée par le maître d'ouvrage qui été en train de proposer un projet à l'inverse de ce qu'il avait subi. Il venait de faire Zaha Hadid, un projet long un peu mégalomane qui consomme beaucoup et il lui fallait un exemplaire complètement à l'inverse. Quelque chose de rapide, facile, développement durable etc. Donc il a fixé des temps très courts. Sur l'équipe de 5 sélectionnés y'en a d'ailleurs que 3 qui ont répondu, c'est rare d'avoir des gens sélectionnés qui ne répondent pas. Et moi j'aime bien quand ça va vite parce que c'est la matière qui prend le dessus donc on avait choisi automatiquement, là pour des raisons stratégiques (...) les autrichiens pour fabriquer le bois et on savait que nous s’ils nous disaient 8 heures, on chargeait les camions en numérique, chaque panneau avait un sens, une position sur et on chargeait sur le camion et ils arrivaient à 8 heures le mardi etc. Si y'avait eu un camion qui était tombé en panne c'est toute la chaine qui était perdue. Donc y'avait cette idée du maître d'ouvrage (...) quand il disait "bon on va faire ça" quand on lui disait "on va faire ça" il disait "je vais voir" mais nous le 8 c'est déjà calé on est en plan d'exé on est passé de l'esquisse au plan de fabrication. On est en plan de fabrication, on s'est arrêté pour travailler le mois d'aout mais en septembre ils sont là donc vous avez 5 heures pour donner une réponse. Si vous ne donnez pas cette réponse je prendrais cette position acquise et voilà. Donc soit vous avez une direction parce que vous voulez aller vite, alors c'était bien il voulait aller vite (...) et donc moi ça me donnait un rôle super important là-dessus parce que sur ce projet par exemple on a fait les plans d'exécution avant les plans d'architecture et après on a transmis. Mais c'est surtout ça, parce que on s'englue autrement dans les temps, et puis toute l'équipe de conception et de réalisation est restée sur la même énergie pendant tout le projet donc dans ce sens c'est super intéressant de faire un projet court. Mais après aujourd'hui la vitesse elle est valorisée pour des raisons qui ne sont pas nécessaires.

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C'est intéressant je trouve de se dire que dans ce cas-là la matière peut avoir l'effet inverse, le fait de passer du temps dessus elle peut accélérer aussi la manière de mettre en place le projet, que l'esquisse passe directement et qu'elle y soit placée aussi tôt...

Oui oui oui tout a été changé de toute façon il fallait arriver au bout et en même temps les rythmes de production de la matière aucun maitre d'ouvrage n'est revenu en arrière en disant "non", on sentait l'usine présente, l'usine où la fabrication de la matière était toute puissante là. Y'avait une espèce d'allégeance à l'industrie même si on était avec des entreprises mais qui allaient très vite et donc on était obligé de s'y soumettre. Ok. Dans quelle mesure ça aurait pu être en matériaux de réemploi du coup ? Vu que là on avait les usines qui appuyaient ça mais est-ce qu'on aurait pu envisager...

Je pense qu'on a cherché une solution assez industrielle adaptée à l'entreprise parce que l'entreprise n'était pas grosse en fait elle s'est structurée pour ce projet. D'ailleurs elle a beaucoup investi de temps (...) c'était un gros projet pour elle. Les projets qui sont plus gros que les entreprises au bout d'un moment ça peut tuer les entreprises, elle a eu beaucoup de mal à sortir de ça. Il aurait fallu que pour structurer ces entreprises, la structure publique repropose un autre projet de cette envergure parce que y'avait un savoir-faire acquis sur ce projet et en fait ça n’intéresse personne mais ce savoir-faire acquis en fait pour le pérenniser il fallait des projets. Et les projets peuvent servir aussi à un développement de la ville ou social ou socio-professionnel et puis à la limite le projet il est ce qu'il est. Alors est-ce-que ça aurait pu être du réemploi ? Le problème du réemploi comme c'est super émergent et que y'a aucune règle, enfin y'a aucunes adaptations forfaitaires ou de principes, ça va nécessiter du temps. (...) Donc ça aurait pu être du réemploi simplement dans une position de servile quoi, de remplissage à un moment donné, une position servile où le réemploi en fait il ne fait que figurer et que c'est un déchet. C'est le pire. Et oui bien sûr... Ce théâtre Jean-Claude Carrière est construit en matériaux qui sont dits "recyclables", notamment en bois labellisé PEFC. Qu'est-ce-que vous pensez que ce caractère "recyclable" apporte au projet ? Et pourquoi finalement il est dit recyclable et pas réemployable et réutilisable puisque c'est des panneaux entiers qui sont préfabriqués ?

Je pense que c'est un peu limite comme terme parce que en fait quand il est constitué de planches qui sont collées, donc ça voudrait dire qu'on peut reprendre ces éléments pour les recoller et les redécouper les recoller parce que ça voudrait dire qu'on peut rerentrer dans le cycle, le recyclable. Mais ça c'est ce qui est dit par rapport au projet du coup dans ces caractérisations. `

Oui je pense que tout le monde, là le problème c'est les mots valises tout le monde les réutilise. Je pense qu'il est démontable (...) il est réemployable. On peut réemployer les éléments, on a des panneaux qui sortent ils ont été assez peu redécoupés puisque c'est (...) 13 mètres 50 par 3. Donc ils ont été un peu travaillés mais c'est vrai qu'ils sont, dans leur adjonction ils sont assemblés par vis, il suffit de les dévisser et de les remettre en place et de restituer le site comme ça sans quand même la grande dalle et les fondations. (...) Enfin ça ne passait pas dans l'équipe de conception déjà y'avait que moi qui pensait ça et ça ne passait pas. (...) C'était envisageable des fondations démontables ?

Bien sûr, des pieux. Des pieux qu'on enlève moi j'ai vu extraire des pieux vissés, c'était une grue spéciale pour voir quelle était l'interactivité. Oui oui non mais y'a possibilité, de toute façon : 4001 avant notre ère (...) ils plantaient des pieux de chênes, ils mettaient la terre et ce qui a changé c'est tout ce qu'on dit dessus. Mais en fin de compte le fond, il n'a pas spécialement changé. Oui oui les fondations, c'est un vrai problème dans le réemploi parce que la fondation c'est quelque chose de très difficile à extraire et on ne peut pas la laisser et c'est un vrai problème. Ok. Par rapport à ce caractère recyclable mais qu'on peut remplacer par réemployable puisque je pense que c'est une faute dans la médiation du projet on va dire. Quelle est sa capacité ou sa limite de transformation ? Est-cequ'il y en a une ou est-ce-que finalement de se dire que comme c'est des panneaux qui ont été très peu découpés...

Non moi je pense que soit ça rentre au niveau de matière première mais par exemple les fermes qui sont en bois c'est un peu dommage de les remettre en tant qu'élément arbalétrier. (...) Mais la matière première je pense que

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dès qu'on est en réemployable la matière elle est sur site et plus on va conserver des échelles et des dimensions proches de la matière, c'est une entrée du projet complémentaire (...) alors ça ne veut pas dire que la ferme on va la prendre comme ça mais c'est un peu dommage si on l'a sur site de ramener tout à des panneaux et de les enlever si on peut réemployer des parties qui sont déjà en place c'est mieux. Mais après le panneau, enfin c'est double panneaux (...) est réutilisable, les éléments sont réutilisables. On peut les ranger, on peut les recouper, la ferme c'est un peu gênant parce qu'elle est très très vissée et on a déjà un ouvrage. Par contre on peut travailler avec les demies fermes, avec cet élément savoir quelle est leur potentialité et puis les réutiliser ou un 3/4 de fermes et ça va avoir un effet sur la forme, ça va avoir un effet sur les dimensions mais de toute façon la plupart de ces éléments ils sont choisis arbitrairement de toute façon. Enfin je suis iconoclaste mais la plupart du temps sur les projets c'est pour ça que rentrent dans les programmes maintenant les dimensions, le bâtiment ne fera pas plus de 30 mètres parce que voilà. On va dire que de manière générale on est dans un schéma classique de chantier où il est la stricte résultante de la conception. Il s'agit d'une phase plutôt réglementée et temporisée qui a perdu, selon moi, en capacitation dû à pleins d'implicites en fait... Qu'est-ce qui caractérise le chantier dans un cadre de marché public, et qu'est-ce qui nécessiterait un changement selon vous ?

Je n’ai pas compris la question parce qu'en fait les premières phrases correspondent au réemploi ? Non, elles ne correspondent pas au réemploi mais elles marquent ce qui fait que le réemploi a du mal à entrer dans des phases de tests sur chantier puisque le chantier est très réglementé et assez stricte, les relations sont définies par des contractuelles et tout est séparé...

C'est à dire que par exemple c'est pour ça que je dis que le chantier du théâtre a eu lieu parce qu'un autre avait eu lieu. Et le plus important c'est ce pas qui avait été fait à la Comédie Française. Moi je me suis mis en accord avec ça et c'est ce qui a fait que tout le monde pensait. Et puis on était dans le théâtre, le théâtre c'est les gens du bois, c'est des gens qui poussent donc après si on se met dans un système de production actuel qui a trouvé son équilibre et même plus que son équilibre puisque maintenant il est en train de faire du territoire, la façon de concevoir aussi elle est dictée en fait par l'industrie. La plupart des architectes pensent qu'ils sont en train de faire quelque chose mais... Le système a du mal à inclure d’autres éléments donc si on le laisse comme ça il faut avoir une vraie stratégie pour réemployer du matériau mais le problème aujourd'hui c'est qu'on a dévaloriser le côté main d'œuvre pour pouvoir valoriser le système constructif donc ce qui est valorisé c'est des systèmes constructifs hyper performants, experts et collés entre eux. Le problème du réemploi c'est qui ne se pose pas automatiquement aux systèmes experts et il ne se pose pas automatiquement en système de collaboration avec les autres systèmes. Parce que là aujourd'hui la brique on sait comment elle collabore avec du PVC mais si vous prenez une fenêtre je ne sais pas en peau de lapin, bin on ne sait pas comment ça marche. Et donc y'a pas que des produits valorisés y'a aussi des liaisons qui sont valorisées, des façons de liaisonner les choses. (...) Donc ce qui va être compliqué, c'est plutôt la culture qui est derrière l'expertise. Tout à l'heure par exemple, 4001 avant J.C. je disais, les poteaux y'avait de l'aulne mais ils ont utilisés des poteaux de chêne pour la durabilité alors c'est des gens qui ne pensent pas le temps de la même façon et ils disent le chêne avec la terre... donc c'est plaqué une vision analytique sur un monde qui n'est pas du tout analytique et à l'inverse dans ce fonctionnement-là, pour intégrer quelque chose bin il faut dans un premier temps pour être stratégique, pour que la machine se mette en route c'est intéressant de repartir sur le chantier tel qu'il est, un petit peu différemment, faut chercher après les secteurs. Faut pas faire du réemploi dans l'hospitalier par exemple parce que c'est un secteur où on va être sur des techniques... Mais par contre si on est en train de faire l'école de Calandreta ou un nouvel enseignement. Et après à l'intérieur il faut trouver plutôt des déchets sériels ou quelque chose comme ça, ce n'est pas vraiment des éléments de réemploi et donc il va y avoir une stratégie de projet de telle façon que les gens qui ont l'habitude de travailler avec des éléments. Parce que le problème c'est que ça repose 2 questions, la première c'est qu'on est sûr une dévalorisation du savoir-faire manuel et de formation et de la position sociale de l'ouvrier du bâtiment donc ça voudrait dire qu'on va diminuer, au profit d'une industrie qui émet sa matière transformée, pas la matière initiale mais la matière transformée, en haut. Donc là ça voudrait dire qu'on remet à un système qui remonte le concepteur qu'on a mis en bas, et l'ouvrier, le savoir-faire, le regard, le choix par rapport à un produit qui devient plus simple et là c'est un schéma qu'on va retrouver en Asie du sud-est, qu'on va retrouver en Afrique... Et ça ce n’est pas un choix. Alors en fait on risque d'avoir ce glissement où on est en train de leur donner nos virus et eux nous donne leur oxygène, ça c'est sûr (...) je pense que c'est des tentatives par projet comme chaque nouveau système (...) à la place de voir des images comme Encore Heureux qui en fait sont des images qui circulent trop et qui sont dès le départ faites pour faire des images, c'est vrai que si je fais une façade avec des portes... Mais après

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le principe c'est de pénétrer à la fois tous ces gens, c'est dans leur compréhension culturelle parce qu’ils sont un peu bloqués mais en voyant les choses, en construisant des projets, en faisant déjà des projets. (...) Donc vous pensez que le fait d'inclure le constructeur dès l'appel d'offre serait vraiment nécessaire pour changer le système, le cadre du chantier actuel ?

Moi je pense que ... Le constructeur c'est à dire l'entreprise ? Oui. L'entreprise, qui va être amener à exécuter ces détails en fait et qui du coup doit avoir la main mise sur quelque chose qui ne la dépasse pas et qui est en accord avec...

Par exemple sur le Domaine d'Ô on avait une équipe c'était un groupement. Donc il y avait à l'intérieur l'architecte, le bureau d'étude et l'entreprise Kifra. Donc toutes les entreprises elles étaient dedans et on s'est aperçu en fait que l'entreprise elle était force, dans la déculturation actuelle parce que je ne parle pas des entreprises qui faisaient le béton dans les années 50, les grandes entreprises dans laquelle on avait les grands ingénieurs et qui était d'ailleurs avec une ingénierie. Donc on s'est aperçu en fin de compte qu'elle avait besoin d'une histoire, de propositions générales, d'un projet mais un projet en matière pour réagir dessus. Et dès le départ par contre l'avantage c'est de continuer cette histoire avec sa culture, son savoir-faire etc. pour pas l'envoyer trop générique. Donc un travail qu'on peut plus faire en public on peut plus travailler le projet en intégrant la culture de l'entreprise, c'est à elle d'intégrer les systèmes réglementaires. On essaye d'être en générique pour que tout le monde puisse répondre à la même chose etc. Donc est-ce que ça serait mieux ? Oui ça serait mieux. Mais attendre d'elle aussi trop... Là elle venait aux réunions etc. et petit à petit elle comprenait les enjeux elle comprenait le travail des autres aussi et elle comprenait la difficulté à faire tout ça et après elle savait où intervenir. Mais c'est vrai que pour le moment elles sont toutes renvoyées dans des limites. (...) Mais il Mais je pense que ça serait bien, ou au moins ce qui serait tout con mais vraiment tout con, c'est que le maître d'ouvrage et peut-être l'équipe de maîtrise d'œuvre mais au moins le maître d'ouvrage passe du temps à expliquer son projet, ce qu'il veut... Donc pour des éléments comme ça ou des positions un peu franches qui sont un peu émergentes, le maître d'ouvrage a une volonté quand même, même si c'est d'affichage par la suite, on voudrait travailler avec le réemploi, faire un projet... Parce que ça va tomber sur des projets qui vont être référencés etc. mais qui prenne le temps de réunir tout le monde et puis de leur dire "voilà ce que je veux". En fait c'est le plus important de tout, de faire passer une idée, de faire passer un enthousiasme, un projet etc. c'est des trucs de base qui sont complétement oubliés donc la totalité des informations passent à travers un texte et y'a pas plus déshumanisé qu'un texte sauf si on est un bon romancier quoi mais enfin la plupart du temps... Et en fait aujourd'hui les choses avec internet sont en train d'évoluer quand même dans les transmissions de savoir-faire. Le contact en fait presque physique de quelque chose qui se passe à côté fait que ça lève des énergies qui sont plus dans un rapport analytique. Je veux faire partie de ce projet, je veux faire quelque chose avec lui, voilà. Ce rapport-là est un rapport qui existe dans le bâtiment quand même, les architectes savent bien travailler avec mais on peut aller plus loin. Il faut absolument l'avoir. Voilà sur le Domaine d'Ô y'a eu ça et y'a une stèle avec tous les noms de tous les intervenants depuis les derniers ouvriers jusqu'aux premiers. Et ça marche tout seul ça, parce qu’après y'a pas d'erreurs y'a juste des chemins à rebrousser etc. Est-ce-que vous envisagez du coup qu'une pratique plus horizontale où les acteurs de projet vont être ensemble, pouvoir discuter et avoir une valeur du coup à essayer de construire quelque chose par rapport à un sujet donné, peut se démocratiser aujourd'hui et peut être pratiquée dans des projets publics ?

Mais là ce qu'il faut voir aujourd'hui c'est que le bâtiment lui-même isole, la façon de concevoir les systèmes constructifs isolent les gens, les systèmes en tranches experts vont faire que chaque intervenant va critiquer, peut critiquer l'autre, va se coller contre et s'en va. Les intervenants même dans la maîtrise d'œuvre vont faire leur intervention et s'en aller. (...) Si on dit pour faire la même chose on met les gens ensemble, ça refinira de la même façon. C'est à dire bon, je vous réunis pour faire un concours au bout d'un moment (...) et puis le meilleur c'est celui qui sera meilleur que les autres on s'en fou d'un niveau de référence, ça sera le meilleur et je vous réunis, voilà ils seront ensemble mais à la fin ça finira mal quand même. Moi si je dis pour la fin du S9 y'a un étudiant qui sort et les autres non mais je suis sûr que je tue l'effet du système. Donc si je réunis faut toujours qu'il y est une valeur derrière pourquoi j'ai réuni etc. et aujourd'hui y'a une idée de multiplier les procédures pour éviter ce genre de choses, ce genre de contacts. Pour que le système social, enfin le système d'organisation sociale soit conforme au système en fait c'est une volonté de stabiliser toutes les choses et donc de pouvoir intervenir, et en fait on s'aperçoit que les cultures des choses elles sont toujours en mouvement. Donc en fait le réemploi va plutôt

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s'appuyer sur ce réemploi. Est-ce-que ça peut-être en mettant les gens ensemble ? Certainement. Est-ce-que ça marchera tout de suite ? Non. Est-ce-que les défauts on les verra après ? etc. Parce qu'en tout cas, c'est vrai que les études de cas choisies pour le mémoire le tentent ça. Ça leur permet de remettre en question par exemple le modèle de la loi de 39 sur la séparation des responsabilités ou aussi un modèle préindustriel et de redonner un peu une place équitable à chacun pour avancer ensemble sur des résolutions techniques...

Oui oui, mais il faut redéfinir un peu le rôle de chacun et puis surtout ce que chacun va faire par rapport au bâtiment parce que c'est toujours intéressant de s'intéresser un peu plus loin que son intervention. (...) Donc c'est sûr que ça passe par là après ça va produire petit à petit. Ce qui y'a de sûr c'est que à tous les niveaux, ces réunions, dire ce qu'on fait etc. et retravailler à peu près avec un assureur, on pourrait dire un juriste-assureur, un juriste et un assureur ça suffirait c'est à dire : relâcher les contrats, relâcher ce qui est assurable, repenser ça c'est matière numéro 1 et avec les entreprises ça libère beaucoup et donc une fois qu'on a libéré les gens ont envie de faire des choses ensemble et là ça marche. Donc après bien sûr on peut ne pas le faire dans un premier temps avec un juriste et un assureur mais les mettre ensemble et bien ça va être des questions de personnes qui risquent de prendre quand bien même ils sont chacun dans leur camp mais bon y'a tellement d'enjeux derrière ça si il faut une entreprise qui a un an devant elle, qui a un peu de trésorerie parce qu'autrement... Donc y'a aussi le choix il ne pourrait pas se faire sur le savoir-faire mais sur des capacités à pouvoir s'ouvrir, des capacités qui s'opposent, c'est la constitution de l'entreprise. En fait on ne regarde pas ce qu'il faut on regarde le savoir-faire etc. mais là le savoir-faire est en apprentissage donc c'est la capacité à s'ouvrir et donc qu'elle soit tranquille un peu financièrement, qu'elle ait une organisation qui lui permet de produire des choses nouvelles etc. Donc y'a aussi dans le choix, je pense que pour que ça marche il faut choisir des personnes mais pas sur les critères, voilà ça ça peut-être une idée, pas sur les critères habituels, sur des critères qui sont différents et donc mettre des gens sur ces critères-là autrement on va faire du réemploi-washing un peu comme le reste quoi... mais ce qui est compliqué enfin là où moi je n'arrive pas à voir la solution sauf de faire des essais, en fait il faut faire des essais petit à petit comme ça, mais c'est comment le système dans son organisation, dans son écriture même technique peut intégrer tout un ensemble de chose qu'il a rejeté à priori. (...) Dans l'entretien que j'avais fait avec Nicolas C., lui parlait du fait qu'il n'avait pas envie d'être en fait Master Builder mais d'avoir une équipe de Master Builders qui est composée à la fois des constructeurs, à la fois des bureaux d'études et à la fois de plein de choses mais qui construisent dans un moment qui est très long et qui n’est pas phasé...

Mais quel est l'intérêt de tous ces gens, il est au-delà des intérêts habituels donc qu'est-ce qui va faire que ces gens... Parce que moi par exemple quand on a fait une boucle courte avec les entreprises donc il y avait le forestier, le scieur enfin la scierie, le premier transformateur, le deuxième transformateur, l'entreprise, l'architecte etc. et tout ça on faisait un projet. En fait assez rapidement celui qui tient la ressource c'est le roi, il voulait simplement ouvrir son truc et il est revenu sur sa ressource en disant "si ça part plus moi je pourrais monter mes prix". Donc qu'est-ce qui va faire que lui va vouloir autre chose que l'organisation. Alors par contre y'a un savoir-faire à monter aussi, y'a un savoir-faire à mettre en place et qui se fait conjointement où on reconnait à priori qu'il faut trouver des idées donc tout le monde ensemble, ça crée un esprit. Et petit à petit ces gens qui savent faire, avec des références à la fois ils vont apprendre à d'autres personnes de leur catégorie, en même temps ils vont servir de références (...) quand on est en émergent comme ça il faudrait mettre des niveaux. Je suis senior par exemple où je fais du tutorat après des systèmes où celui qui a fait... Ça n'a rien à voir quelqu'un qui a fait. La première fois quand vous avez construit avec ça après on est sur un deuxième fois donc y'a une question où on est un peu plus cool, même pour une entreprise la première fois elle ne sait pas trop où ça va, ses réflexes ne sont pas là donc ça c'est bien. Après faut mettre un système comme ça d'apprentissage mais d'apprentissage tutoré. Mais oui c'est intéressant après il faut construire l'outil, recueillir les gens, les mettre en situation de pouvoir éprouver donc on va être face à des gens qui sont des innovateurs, donc les innovateurs c'est toujours difficile de travailler avec eux parce qu'ils donnent des grands coups et après ils sont comme ça. Puis après on a les récupérateurs en deuxième niveau etc. mais bon ça peut être intéressant mais par contre c'est une grande énergie au départ et il faut être sûr que à l'intérieur y'a pas ceux qui viennent tirer les marrons du feu mais bon une fois qu'on a les innovateurs qui veulent tenter autre chose etc. il faut après capitaliser pour l'outil, l'expérience ça veut dire déjà raconter tout ça et puis une fois qu'on a raconté tout ça bin que ça diffuse par eux et que comme au Moyen Âge quand le maitre d'œuvre passait de cathédrale en cathédrale quoi, c'était son expérience acquise bon et quand il montait à 100 mètres voilà il était monté à 100 mètres. (...) Et alors après petit à petit à un moment donné ça prendra une forme

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mais au départ on ne peut pas trop savoir cette forme donc c'est plus de mettre les situations, de construire l'outil en général, par exemple de se dire "alors qu'est-ce qui pourrait être l'intérêt de celui qui prend des risques, de celui qui essaye" et bien c'est toute cette façon de monnayer autre chose et de trouver une façon de. Après je pense que l'idée dans ça aussi c'est de se dire bien y'a pas qu'une personne qui prend les risques mais c'est l'équipe qui les prend et qui endosse une responsabilité partagée, on est dans un processus de projet...

Ça c'est bien mais à un moment donné c'est toujours compliqué quand même... Ça ne rentre pas aujourd'hui dans le système dans lequel on est, enfin ça rentre très peu ou c'est difficile ou ça reste des pratiques très très émergentes mais si on pouvait arriver à renverser quelque part, à faire quelque chose au niveau de cette permanence là...

Non mais par exemple si on fait confiance, si on fait confiance à ces gens qui veulent essayer donc on dit les 3/4 du temps c'est des projets qui n'ont aucun risque puisqu'ils sont très bien étudiés, et même il faut mettre en place, ils sont très bien suivis alors que dans les techniques dominantes au bout d'un moment c'est les recettes qui sont collées entre plusieurs et on fait des grosses erreurs. Y'a des bâtiments entiers, ce n'est pas des petites poutres qui s'abîment c'est des bâtiments, y'a un bâtiment entier qui a été démoli parce qu'il était entièrement mal fait, on est capable de faire des très grosses erreurs maintenant. Donc là ces projets émergents moi je n'ai pas de soucis, ils sont toujours assez bien faits parce qu'on prend du temps, plus de réflexion etc. Mais après c'est de trouver d'autres enjeux, c'est à dire que "ok ils prennent des risques" mais il faut d'abord dire "bon ce n'est pas des risques on vous fait confiance". Donc par exemple moi quand j'ai quelqu'un de nouveau, il va se tromper pendant une année ou deux mais ce n’est jamais de sa faute, c'est de la mienne, de l'avoir mis dans une situation où il allait se tromper, où il est fatigué enfin les 3/4 du temps je pense que c'est la mienne. Après il faut qu'il s'en rende compte s’il se trompe tous les jours, c'est que le métier ne lui va pas. Mais voilà donc après il faut que la société qui veut évoluer, qui veut innover parce qu'elle parle que de ça, à ce moment en assumant le groupe dans cette position et puis que les gens qui font sur quelque chose d'émergent, suivent. C'est comme une éducation d'une enfant, ce n'est pas juste le faire c'est après que ça dure quoi. Donc c'est ça, à partir du moment où quelqu'un dans le soin fait quelque chose avec soin, avec envie le suit et bien y'a plus besoin d'assurance mais l'assurance ça a jamais améliorer la construction des bâtiments, on construisait bien mieux avant l'assurance. Simplement ça a produit du monnayable qui s'est rajouté au système. Oui. Pour parler plus d'un rapport à la matière, vous avez beaucoup travaillé et écrit sur la construction en pierre massive. Je pense à la publication "Construire en pierre massive" ou à sa continuité de cette recherche au LIFAM "Bilan 20 ans de construction en pierre massive en LR". Ça serait une "exception culturelle régionale en Languedoc" qui reprend peu à peu du terrain. Ça en fait pour vous peut-être un sujet de spécialisation sur une matière qui vous est propre. Est-ce-que vous voyez un intérêt particulier dans cette spécialisation sur une matière ou sur une filière ? Vous avez parlé du bois aussi tout à l'heure...

Ce qui est intéressant et bien c'est exactement pour boucler, c'est exactement la suite pour voir comment ça se diffuse. C'est à dire que c'est un élément qui est arrivé contre nature à un moment donné où la construction n'en voulait pas, donc nécessitait une stratégie d'une pensée émergente de construire l'outil etc. et en même temps cet outil il faut le tenir dans le temps, comment après la culture dominante reprend l'outil, reprend l'image, retravaille là-dessus donc c'était l'objectif de 20 ans. Et en même temps c'est une expérience sur le terrain qui enrichit beaucoup la capacité à faire, pour se mettre dans d'autres situations. En fait c'est plus ce travail comme générique qui est intéressant parce que moi je vois exactement ce travail sur le réemploi ou ce travail avec n'importe quoi mais en fin de compte dans un projet quelconque ou dans la vie de façon générale voilà, quand on est dans un système où on trouve plus ses billes, qu'est-ce-qu’il faut faire ? Est-ce-qu'il faut couiner en disant on ne propose pas le projet ou construire la situation qui va nous aller ? Globalement c'est une morale de l'action à 3 francs 6 sous mais voilà ça part de ça bin construire la situation qui me va et ce qui est très intéressant là-dedans c'est d'intervenir sur les cultures. Je pense que ça ne m'intéresse pas quand c'est pour trouver le dernier truc mais voilà. Est-ce-que du coup à travers ça vous pouvez vous considérer comme architecte- ou ingénieur-chercheur ?

Ah moi je me considère comme un metteur en matière à des moments donnés (...) d'arriver à faire émerger ce qu'il y a autour de moi. Globalement c'est ça, et puis de se dire que quand même tout ce qui ne va pas, que les

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gens ne sont pas à la hauteur de là où on les met quoi, ils sont bien mieux que ça. Donc non non non non non, aujourd'hui je n'ai pas de revendication particulière avec ça et d'ailleurs au départ quand je faisais de l'acier et du bois, c'est comme si j'avais été gynécologue et cardiologue en même temps. Et au bout d'un moment, alors après j'ai la pierre qui est arrivée donc j'étais le spécialiste pierre alors ça ça simplifiait bien. Mais je continuais à faire du béton alors quand je parlais de la pierre, je voyais bien que les pierreux y'en avait certain qui disaient "mais vous faites aussi du béton" comme si je passais du quartier chinois au quartier arabe en disant la même chose mais au bout d'un moment je crois que je ne me pose pas la question de rentrer dans une case mais plutôt de me dire ça me va ça ne me va pas, en fin de compte c'est ça. Mais bon, il faut être passé par des endroits où on se dit mais pourquoi je suis resté là si longtemps alors que ça ne m'allait pas, alors que j'avais une capacité à construire autre chose etc. Oui parce que vous avez parlé du fait de faire survenir des valeurs qui sont émergentes mais du coup sur un territoire. Est-ce-que ça fait partie pour vous d'une envie de recontextualiser la profession ou les professions sur un territoire donné et de s'adapter un peu plus à un milieu ?

Oue oue oue parce que je pense moi l'expérience du Vorarlberg m'a beaucoup impressionné, j'ai fait deux voyages mais en fait ce qui m'a impressionné c'est que tout le monde vivait dans le bois et tout le monde était capable d'en parler à tous les niveaux. C'était vraiment une révolution de société, c'était une société ensemble qui avait construit, ce n'est pas des archis qui avaient fait un dessin, le maire en parlait, les enfants de 4 ans ils sortaient de l'école qui avait été faite en bois, ils s'asseyaient sur les bancs, ils partaient tout seul, les mères venaient les chercher. (...) Pause. Retour le jour suivant. Nous nous sommes arrêtés hier sur la question de la spécialisation de l’architecte sur la matière, à savoir si ça permettait de recontextualiser la profession sur un territoire et sur un milieu. Vous aviez parlé en dernier de l’expérience du Vorarlberg comme une révolution de la société.

Oui c’était vraiment lié à un site et un matériau d’ailleurs. Ils ont travaillé avec un matériau de base qui est le bois noir enfin le pin noir qui est extraordinaire. Donc c’est vraiment lié au site. Bien. On en revient sur la question de la pierre, on peut dire quelque part que ça appuie la réémergence d’un marché qui a déjà existé jadis et qui a été culture dominante à un moment donné. On peut parler du passage d’un marché de niche à un marché en croissance. En quoi cela représente pour vous une mutation des cultures constructives, ici sur un territoire ?

D’abord c’est un marché en croissance après c’est bien aussi que ce soit un marché alternatif enfin d’une logique alternative. Le fait de participer au développement de ça était contre-productif puisque les carriers s’en sont servis pour transformer d’abord leur activité. Enfin ils peuvent me dire merci puisqu’aujourd’hui y’a 95% de la pierre qui est utilisée dans le bâtiment alors que y’avait 5% au départ. Et puis surtout ils en ont profité pour monter le prix donc en fait on se retrouve dans une démarche très libérale où ce prix ne correspond pas à un prix de production. C’est un prix de potentialité par rapport à l’image que reprenait la pierre. Après ce qui est bien différent par rapport à ce qu’il se passait avant, la pierre étant dans sa constitution un matériau lourd et pas très défini et surtout adaptée à la région, c’était automatiquement un matériau local. Ainsi principalement parce que la performance d’expert n’existait pas. C’est à dire qu’elle remet le concepteur au milieu du projet et elle fait un peu tout mais rien en performance. Et dans la façon de muter en plus, elle n’est pas sur la rigidité au niveau structurel. Moi j’ai vu plein de blocages culturels qui étaient la prévention de la rigidité préférable à la souplesse or la pierre va construire des éléments souples et puis dans la façon de s’adapter aux modes constructifs, à l’organisation de chantier, y’a plein de corps d’état qui sont là pour rattraper les précédents donc ils sont complémentaires comme le placo est complémentaire au béton. Donc toutes ces associations sont en fait à retravailler et en fait c’est tout le découpage de production qui est à retravailler, c’est les cadences qui sont à retravailler, la standardisation n’est pas automatique, la diffusion ou disponibilité des matériaux part de la carrière et c’est par définition un matériau qui consomme peu d’énergies et d’organismes socio-professionnels et c’est ça qui en fait le blocage maximum. Aujourd’hui on est encore dans une invention pour qu’elle est de l’intérêt économiquement enfin pour qu’elle soit acceptée économiquement il faut qu’elle consomme.

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Ça soulève aussi une autre évolution, celle indiquée pour le théâtre Jean Claude carrière, celle de l’évolution des savoirs projetés et des savoirs construits. Qu’est-ce que cette évolution traduit finalement dans le passage de la représentation à la réalisation ?

Y’a plusieurs choses intéressantes dans la pierre c’est que de la carrière au chantier y’a très peu d’espaces, très peu de transformations donc l’architecte va automatiquement à la source du matériau. Le système parait excessivement simple donc il n’y est volontairement pas complexifié pour utiliser des gens. Donc a priori dans la lecture qu’on en a c’est un matériau qui paraît plus faible parce que moins technique et moins d’interventions. En fait pour moi c’est plutôt positif et bien. Après même sans avoir construit, il a une connaissance assez rapide du matériau alors que la plupart du temps y’a une boîte noire sur d’où vient le catalogue et comment il est fait et on nous dit par l’intermédiaire de textes comment le mettre en œuvre donc pour accéder à un nouveau système constructif c’est très difficile quand même parce qu’on n’arrive pas à se faire une représentation donc il faut faire un premier chantier, essuyer les plâtres etc. Après en visitant un projet réalisé et en visitant la carrière on a à peu près tout en main. Ça nécessite de faire le projet dès le départ avec le matériau donc on conçoit plus pareil, on n’est plus en train de faire un dessin dans lequel on rentre le matériau. Les séquences, les façons de penser le projet sont complètement différentes et les acteurs sont obligés de travailler ensemble dès le départ puisque tout est dans le mur monolithe et à l’intérieur du mur monolithe y’a tous les acteurs, le thermicien est à l’intérieur, la structure est à l’intérieur, l’architecte est à l’intérieur donc quand je pousse une pierre je fais tout. Ça remet automatiquement le projet dans sa globalité et chaque intervenant ne peut pas penser automatiquement dans son camp. Donc ça ça fait des blocages on va dire, ça remet en cause le savoir actuel parce que les pensées expertes ne peuvent pas se projeter, que tout à bouger. C’est un transfert culturel qui fait que on n’a pas un séquençage linéaire des interventions mais on a une pensée complète. Si la pierre est mal posée dans le projet, y’a tous les intervenants qui en subissent les conséquences. Par contre y’a rien d’écrit et c’est pour ça que le guide est apparu, sur la façon dont la pierre peut collaborer avec d’autres savoir-faire des fois plus techniques, des fois plus industriels pardon, et ça fait qu’automatiquement on s’aperçoit que les professionnels ne savent pas, ne savent pas se dire j’ai deux matériaux je vais écrire... ils sont habitués à suivre des process, en agglo on pose le plancher de cette façon-là, y’a des règles et y’a des détails. Les étudiants fonctionnent exactement de la même manière, ils cherchent des détails etc. plutôt que de se dire "qu’est-ce-que c’est une poutre", "qu’est-ce-que c’est un mur". C’est comme ça qu’on a pratiqué, on s’est aperçu à quel point tous les constructeurs d’avant étaient transférés parce que les cerveaux sont lobotomisés par les procédures. Est-ce-que on peut dire aujourd’hui que la réécriture d’une culture constructive qui est plutôt émergente a un lien fort avec la simplification des outils de langage, des outils de production... ?

Ça va automatiquement passer par là parce que ça nécessite de revenir au départ et de se dire bien voilà quel est le système ? Dans la complexification du système actuel, inventer ou innover enfin moins ce que j’appelle innover à l’intérieur, c’est que rajouter une couche de plus, une complexité de plus. Alors de même que les paysans sont revenus pour fabriquer leurs machines en repartant du départ et de même que la mécanisation, n’importe quelle structure émergente va repartir de la base, quels sont les objectifs ? Et pour réinjecter des valeurs et des objectifs différents automatiquement parce que le système en place s’il crée des blocages c’est qu’on arrive à un moment donné où ça ne fonctionne pas donc c’est automatiquement ça. Revisiter un système culturel c’est revenir à la base donc en fait elle soumet tout ça et elle sert d’attitude pour n’importe quelle structure émergente. Faire du réemploi (...) c’est une posture qui vient de cette expérience aussi. En fait c’est vraiment par l’expérience du travail au jour le jour que les choses sont apparues. Autrement c’est très difficile, je pense que c’est impossible à travers les livres d’identifier où sont les blocages d’une culture. Et en fait ils ne sont pas là où la culture le dit, ce n’est pas un problème de technique, ce n’est pas un problème de savoir-faire mais c’est vraiment des problèmes d’organisation de société et de valeurs socio-professionnelles qui vont principalement aujourd’hui dans une nécessité de plus de monde, de plus de procédures, de plus de matériaux. Donc on s’aperçoit que les systèmes qui sont valorisés et qui sortent dans les revues, les industries veulent valoriser leurs systèmes, c’est toujours des systèmes qui répondent à ça. S’ils ne répondent pas à ça, ils tombent automatiquement donc il y a plein de contradictions aujourd’hui, l’injonction à innover d’une autre façon tout en restant à l’intérieur du même système. Alors bien sûr ça va sur un métissage et ça je crois que c’est la force peut-être de l’architecte de se dire bin le plus simple c’est de recommencer à 0 mais ce n’est pas la bonne solution aussi parce que ça va gangréner le nouveau système. La meilleure façon c’est de repartir de 0 mais de réintégrer certaines phases du système par exemple la pierre était utilisée en grands modules, ce qui permettait d’utiliser n’importe quelle pierre mal constituée ou bien constituée puisque la taille du volume faisait la redistribution de tout. Par contre c’était en rapport avec une mécanisation avancée, des levages etc. Donc ce n’était pas de revenir à la pierre, à la main, à la taille etc. Donc

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y’avait un métissage et après y’avait un deuxième métissage avec les matériaux industriels qui ont des performances très intéressantes et qui permettent de mettre la pierre aussi en situation. C’est une entraide entre quelqu’un qui sait mais qui ne voit pas grand-chose et quelqu’un qui voit plus loin mais qui ne sait pas certaines choses. C’est vraiment une logique de métissage et la façon de composer le projet, moi je me suis aperçu après que le concepteur n’a pas ces réflexes de mettre chaque matériau au meilleur de sa situation. Il va plutôt avoir tendance à prendre la pierre et la ramener dans le domaine industriel qu’il connaît pour que la totalité du processus fonctionne et aujourd’hui on fait un bilan, c’est plutôt dans ce sens que parte la plupart des professionnels en cherchant à la renforcer en faisant de la précontrainte, en faisant des formes un petit peu différentes etc. Donc par rapport à la main, est-ce qu’on peut dire que l’usage d’une matière connue, malléable et située, simplifie et permet de reprendre en main l’organisation du chantier ?

Oui oui bien sûr c’est une cause. Aujourd’hui l’organisation de chantier est en cause pour plusieurs raisons. La première c’est parce que ça broie des hommes et ça c’est numéro 1 et ça devrait être l’objectif numéro 1. Le deuxième c’est que personne ne s’y retrouve, c’est très compliqué et ça va multiplier les tâches. (...) Il va y avoir plein de tâches périphériques qui ne sont pas pour construire et je me pose même la question : en fait aujourd’hui est-ce qu’on a assez de travail pour tout le monde c’est la vraie question et est-ce-que la valeur travail a un sens. Parce que en fait on a plein de travaux imaginaires qui se mettent en place il va falloir qu’on explique à des gens des choses qu’ils ne vont pas comprendre pour faire des rapports qui ne serviront à rien. Moi je me retrouve avec des projets où 40% du temps n’est pas pour le projet. Donc ça enlève ça et on revient automatiquement sur une économie de moyens donc indirectement une économie d’énergies. Moi je pense que pour la planète il ne faut pas s’occuper des ressources si on s’occupe que des hommes aujourd’hui les ressources après ça viendra. Mais (...) en fait il ne faut pas s’occuper d’objectifs, il faut s’occuper d’un objectif intermédiaire c’est de replacer l’homme au bon endroit dans la construction, faire un vrai concepteur, faire un vrai dialogue et prendre soin de ceux qui construisent. Ce n’est pas forcément la main mais c’est le regard c’est à dire qu’un matériau qui est tordu, difforme, pas régulier va nécessiter une intervention un peu plus fine d’un entrepreneur, d’un artisan parce qu’il va falloir le composer avec un autre etc. Et en même temps il ne peut pas être disqualifié pour ça autrement c’est exactement ce qu’on trouve dans la société y’a des disqualifications. En fait c’est exactement la même chose le choix des matériaux se fait exactement de la même façon que le choix des gens dans les organisations. On sait que si on ne reprend pas le stéréotype on est out. Y’a une grande partie du projet qui est fait par des acteurs qui prescrivent et font des rapports comme vous l’avez soulevé. Dans quelle mesure les acteurs de projet se doivent d’exercer finalement un métier de terrain et pas un métier autre qui est de caractériser le terrain ou de le penser sans le faire ?

Alors aujourd’hui je pense que le premier matériau du projet c’est les gens, les gens qu’il faut gérer. Il faut donner à comprendre et ce qui bloque toute l’innovation culturelle c’est de donner à tous ces gens qui ont des objectifs définis dans une procédure donnée et donc c’est ce qui fait d’abord le projet. Je fais un projet qui est un hôpital je sais que la façon de voir les médecins qui est autour, la façon de voir des CHU, les maîtres d’ouvrages délégués comme ils voient etc. tout ça c’est de l’autocensure enfin ça autocensure les équipes sur la façon de proposer les formes et la totalité. Pratiquement on pourrait dire que si on regarde tous ces gens suivant l’équipe qu’il y a autour le projet, il est fait. Et donc le travail du concepteur c’est de faire le meilleur projet avec ces gens-là mais c’est quand même un projet restreint. On est parti sur une révolution d'envergure qui peut se faire par petits bouts, par petits endroits et redonner au chantier son côté... C'est le plus intéressant du métier, voir qu'une idée est dessinée et apparaît. En sachant pas automatiquement où est le dessin, au départ, au milieu ou auprès même. Mais des gens qui doivent être situés aussi, appartenir à un territoire ?

C'est mieux que le projet soit un développement du territoire. Externaliser les hommes, la matière et les échanges complexifie les choses (...) on revient sur un savoir-faire vernaculaire indirectement et les savoir-faire passent audelà des textes, ils passent par des confrontations entre les gens. (...) Vorarlberg c'est ça aussi parce qu'ils sont dans une vallée, ils sont bloqués (...) y'a une autonomie, une lecture du monde, une capacité de l'Homme qui est large. (...) Avec très peu on peut faire de la construction. Oui y'a le fait d'avoir une matière donnée aussi. Par exemple BC architects pour faire rentrer une matière qui est la terre d'excavation, qui est le réemploi d'un déchet, d'une matière et pas d'un matériau c'est en ça que c'est plus

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simple, fonctionne avec une résolution sur site par le déplacement de son unité de production sur chantier. Ils vont produire la matière et construire avec. Y'a-t-il des limites ou avantages à cette proximité ?

Alors ça c'est le jeu, aujourd'hui on est plutôt en train de ramener la totalité du bâtiment dans les ateliers pour être sur des procédures un peu tranquille mais c'est le principe de la pierre, on emmène sur chantier toutes les pierres assemblables. Comme le chantier d'une cathédrale ?

Exactement et puis les coupes se faisaient avec une tronçonneuse sur site quand on arrivait au bout du mur (...) ensuite on venait faire les engravures pour poser le plancher à la hauteur qu'il fallait donc y'avait pas une nécessité de respecter des côtes très très précises donc c'était l'idée que le complément allait se faire sur chantier. (...) Les pyramides sont construits dans la carrière, on prenait la pierre et on la montait. Mais c'est sûr que quand on travaille en terre, le matériau local fonctionne. Le problème c'est qu’avec notre vision analytique de la performance, on recommence à faire des sélections, on recommence à mélanger alors qu'on devrait s'intéresser au projet c'est à dire que si le matériau n'est pas très durable et bin le projet durera moins longtemps, on peut le protéger. Et s’il est sur une portée limitée parce que le bois à côté est plus petit et bin on fait des projets plus petits. Tandis qu'on est sur une espèce de conception universelle, générale. Je construis à Shanghai comme je construis à Fabrègues de la même façon. Y'a une volonté comme ça pour que l'industrie puisse étendre son marché (...) L'intérêt c'est quand même de revoir la logique de marché. Avec la terre on va dire que c'est facile parce que c'est une matière mais avec le réemploi qui est plus de l'ordre des matériaux, ça peut être à l'inverse faciliter par une préfabrication hors site qui sous-entend aussi un transport, une fabrication en série et l'idée de démontabilité comme dans l'appel à projet du Cycle de la Matière. Pensezvous que cette préfabrication hors site peut rigidifier à un système constructif et l'enfermer en l'industrialisant dans du générique et du standard ?

C'est toujours pareil, si on a un processus de fabrication, si on a un outil pour réaliser le projet à ce moment on va l'enfermer. L'objectif du concepteur c'est de construire avec les ressources du site c'est à dire les gens, la matière, les savoir-faire etc. et l'outil qui va faire le projet, c'est ça son vrai métier, et non pas l'outil généralisé alors c'est plus compliqué mais intégrer un outil généralisé pour le transporter partout. (...) Peut-être qu'à Fabrègues avec les savoir-faire et les ressources qui sont sur site, déjà ça va changer la politique de démantèlement de la mairie parce qu'il faut repérer la totalité de la matière qui est sur site, connaître son patrimoine. (...) Le problème ce n’est pas de le faire c'est de désapprendre tout ce qu'on a fait et après c'est de valoriser... travailler mieux les gens le voient tout de suite (...) il faut aussi construire une économie parce que dans le système actuel réemployer coutera plus cher puisque par définition les éléments qui sont dominants sont les systèmes les moins chers pour faire fonctionner un système (...) puisque le système a défini comme déchets les éléments qui ne pouvaient pas remplir les conditions du système. C'est là qu'on voit que ce qui bloque le réemploi porte sur l'aspect structurel parce que comme vous disiez hier, dès qu'il est servile y'a pas de problème finalement...

Je ne pense pas, la structure et la sécurité c'est un élément sur lequel les gens ne discutent pas et donc c'est làdessus que tout se passe. (...) Le problème quand même c'est que le système très très déséquilibré favorise le déséquilibre et ceux qui sont déséquilibrés sont les premiers à favoriser aussi le système déséquilibré. (...) Les blocages sont plus culturels, sociaux et de valeurs en fait c'est une éducation, le principal c'est l'éducation et quand on voit l'accès à la formation (...) on voit bien que ce n'est pas le sens critique qui est en place, que ce n'est pas la façon de trouver de nouvelles choses qui est en place. (...) Dans la constitution du système ça fait que ça nous donne des façons de construire, des façons de concevoir qui sont héritées... en fait ce qui est le plus intéressant avec les concepteurs c'est de parler de leur autocensure. (...) La pierre au départ elle est repartie à fond parce que chez les concepteurs, les constructeurs et tous les grands architectes aussi sont repassés par-là (...) elle est en métissage direct (...) on considérait que structurellement elle n’était pas assez rigide, elle n’était pas assez renforcée donc c'est ça le fond du problème. Aujourd'hui les carriers ont compris, ils percent leur pierre pour mettre de l'acier, une grande partie de la construction pierre est revenue dans la technique dominante c'est à dire que c'est comme un agglo quoi c'est de la pierre avec des armatures.

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Tout ça c'est avant tout des prétextes et donc c'est plutôt encourageant pour le réemploi d'éléments structurels, ça veut dire que techniquement on pourrait le faire ?

À condition que les gens... moi je suis du côté où je dis ça mais les gens qui manipule la structure dans leurs savoirfaire, leurs connaissances, leurs spécialisations disent "vous avez besoin de moi parce que vous ne saurez pas calculer une poutre, pour calculer une poutre il faut l'Eurocode de A jusque B, les DTU etc. et c'est comme ça et comme ça". Donc en fait le système expert a positionné les gens et y'a quelque chose qui ne marche pas dans le marché. (...) Ainsi mise à part le fait de travailler avec les bonnes personnes qui ont ces valeurs-là, comment on peut aller plus loin et envisager le réemploi structurel de demain ?

Je pense que ce n'est pas un problème. Y'a des gens, il suffit de les trouver et puis de monter petit à petit. (...) Travailler local, avec des petits et le projet est vraiment intéressant parce que les choses se font à l'intérieur du projet. Donc en fait on ne fait pas une invention dans un bureau... on a quelques idées et puis c'est projet après projet donc c'est vraiment cette logique-là. Après le problème structurel bien-entendu les Eurocodes ils bloquent. Y'a l'Eurocode acier, Eurocode béton, Eurocode bois et terminé. Y'a pas d'Eurocode pierre, y'a pas d'Eurocode paille ni bambou donc c'est des matériaux qui sont par définition sélectionnés. Et même si on prend l'Eurocode bois, les matériaux bois de réemploi ne passeront pas dedans ?

Non ils ne passeront pas. Le principe c'est que comme les structures sociales sont sur-performantes, elles sont suréquipées mais elles ne performent pas, les structures du bâtiment sont sur-performantes, suréquipées mais ça ne sert à rien. (...) Mais la poutre qui répond à toutes les situations dans toute l'Europe parce que c'est un règlement européen les Eurocodes, comment on peut avoir une poutre bois qui répond de la Tchécoslovaquie au bas de l'Italie... Donc ça veut dire que le système est automatiquement industriel, il n'est pas naturel, il n'est pas variable et donc localement le concepteur dans la construction vernaculaire a l'œil qui lui suffit quoi. (...) Toutes ces règles sont faites pour faire quelque chose n'importe où, le balancer et s'en aller, c'est un produit d'une certaine façon. Donc ça c'est le blocage numéro 1 (...) il faut suivre les procédures (...) c'est des solutions qui sont reconnues par la totalité du système, même si elles ne sont pas efficientes en fait. Comment pourrait-on envisager de dé-reconnaître ses solutions ?

Ça va être un long cheminement mais là on voit quand même qu'il y a une fracture : les gens continuent de faire mais on se rend compte qu'ils voudraient faire autrement. Donc ça c'est la fracture qui permet de rentrer. Ça va être un long cheminement de petites zones de Vorarlberg en petites zones de Vorarlberg. La plupart du temps ça va être des zones comme le Vorarlberg qui vont essaimées partout. (...) Le problème c'est que c'est plus de la copie que du transfert d'attitudes, les images circulent. (...) Après la question qu'on pourrait se poser sur le réemploi c'est "qu'est-ce qui va pousser des gens à faire avec ce qui peuvent considérer comme des déchets, puisque tout le monde les considère comme des déchets, à faire des bâtiments avec ?". Leurs valeurs ?

Oui si le système complet fait que. Après il va y avoir l'architecte qui va arriver là-dessus, qui va écrire etc. et on aura l'impression de. Mais la grande mutation elle, est quand même culturelle, à un moment donné c'est très compliqué pour les yeux de tout le monde. (...) Ça va être quelques personnes qui seront intéressées par ces valeurs mais qui devront quand même écrire le système avec d'anciens modes esthétiques, d'anciens modes de production etc. C'est un peu le principe de l'appel d'offre c'est à dire d'intégrer quand même dans un système, on se dit "y'a des gens qui ont un peu de finesse alors ils arriveront à faire un peu la même chose avec des idées" etc. mais en reprenant les codes esthétiques et de fonctionnement des entreprises. (...) C'est le déclenchement, les pouvoirs publics pensent, doivent aider et pensent qu'il faut aider pour ce déclenchement culturel mais en même temps ils se remettent dans des situations où comme on le voit sur le Mas, où ils pensent que c'est simplement de tourner un petit peu la tête. (...) Y'a une grosse fonction d'éducation de toute façon c'est à dire que ce qu'on a oublié dans l'éducation c'est ça, y'a plein de valeurs qui passent... moi quand je fais un détail de construction en fin de compte je dis "on construit comme ça" et je passe toutes ces valeurs mais comme elles sont implicites, elles sont de suite prises en compte par celui qui apprend. Il dit : "on fait comme ça donc les gens sont

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organisés comme ça donc moi il faut que j'arrive à penser comme ça pour m'intégrer comme ça", c'est la première chose et les difficultés à passer c'est ça. (...) Moi je suis plutôt dans l'esprit de dire que tout est simple. (...) Donc si on en revient au catalogue de l'architecte d'aujourd'hui, on sait que le choix matériel des projets arrive souvent très tard dans la conception or on sait aussi que la matière de réemploi a besoin de rentrer très tôt pour être opératoire. Il parait difficile de faire évoluer ces tendances actuelles d'un catalogue préétabli. Quel est votre poids sur le choix matériel d'un projet ? Et si poids est, quel est votre catalogue ? Qu'est-ce-que vous préconisez ?

Dans tous les projets qui ont été un peu différents c'est qu'il y avait un moteur ou bien construire le projet, c'est à dire être auto-promoteur par exemple. Donc construire des situations de projets pour pouvoir être en situation de faire des propositions différentes parce que quand on pense que ça peut fonctionner autrement, il faut avoir la possibilité de l'éprouver et si on est dans un système qui ne veut pas l'éprouver c'est compliqué. Alors c'est sûr que ça fait des temps différents. Mais la question numéro 1 c'est "pourquoi on va si vite ?". Ça doit aller vite parce qu’aujourd’hui la guerre que mène l'industrie par rapport à la nature c'est de dire "moi je construis tout plus vite et tout uniformément, toi la pierre il faut du temps et c'est un peu tordu, les arbres sont tordus, il faut que je les choisisse, moi je fais tout nickel et je fais tout vite" et donc l'industriel se positionne toujours comme ça. Plus de temps, plus de quantité et plus de régularité. Contrôle qualité, voilà. (...) Après c'est aussi de trouver les gens avec lesquels on va avoir accès sur certains de ces paramètres, pas tous. (...) Il faut que les choses se mettent en place, il faut du temps. Et des fois quand il ne se passe rien, tout le monde a un imaginaire du projet qui est en place et rentre dans cet imaginaire. En fait le problème c'est de reconstruire des imaginaires pour tout le monde. Et vous, est-ce-que vous vous sentez dépendant en partie d'un catalogue industriel ?

Oui on est dépendant de la façon dont par les temps qui sont donnés, les éléments circulent. La zone de diffusion, parce que c'est plus les industries qui diffusent directement et puis la connaissance qu'en ont aussi les clients et les maitres d'ouvrage. Au départ on avait fait une expérience, c'était avec Maxime Rouaud, on avait monté une société de constructeurs en pierre (...) là c'était plutôt sous l'angle architecte. Les gens ne savent pas construire en pierre, y'a pas d'entreprises, on détient ce savoir donc on le gère en constructeur donc le constructeur fait les plans mais fait aussi le chantier comme ça ça permettra du temps. Donc y'avait les méthodes du constructeur c'est à dire on gagne sur tous les points parce qu'on a le réseau etc. (...) Il faut travailler sur certaines choses et puis reprendre, alors peut-être qu'il faut mettre un peu de terre et un peu de catalogue. (...) Alors peut-être qu'il faut faire des structures existantes avec des réemplois qui sont simplement portés ou bien il faut trouver des stratégies qui dans un premier temps fasse toucher le matériau à tout le monde et pas faire le grand bon tout de suite. En fait ça va être une longue route et là c'est de la responsabilité du concepteur pour savoir ce qu'il injecte chaque fois pour avoir un petit tour de la culture et puis ça essaime. (...) Et peut-être que dans un premier temps et c'est ce qui se fait actuellement, y'a un travail sur les esthétiques qui sont dans les yeux. Ce que fait n'importe quel nouveau matériau. Quand l'acier est arrivé, il se dessinait comme de la pierre, il était en masse, il faisait des ponts ronds etc. Et puis dans la deuxième phase, il a trouvé sa propre écriture donc là y'a quand même une question de métissage fort où la pensée dominante doit se retrouver pour pas qu'elle bloque autrement le projet va bloquer, où les gens font la connaissance avec le matériau, la capacité, mais faut pas qu'on reste sur des valeurs de performances collées les unes aux autres ça c'est le plus dur alors qu'avec la pierre c'était la même chose mais un peu moins parce qu'il y avait une culture et que les performances étaient moins fortes et puis petit à petit le matériau naturel a retrouvé sa place. Là on est sur un matériau qui en fait a le défaut du matériau naturel, un peu faible, un peu mal fait etc. mais qui provient de l'industrie. Donc il a tous les défauts en fin de compte. En fin de compte y'a une vraie stratégie à trouver pour faire des projets et en fait y'a pas de théorie, y'a une envie de faire des projets et en fonction de l'équipe, ça c'est le savoir-faire de l'architecte ou du concepteur de façon générale, en fonction de l'équipe il trouve les pistes pour dire "tient on va faire ça". Au départ il explique beaucoup de choses et puis petit à petit il se retrouve à trouver les pistes. Et puis il va construire l'outil en fonction du projet dans les premiers temps, peut-être qu'il va trouver une entreprise qui a juste des déchets sériels ou des carreaux mal faits. Le maitre d’ouvrage ne va pas en tirer automatiquement un effet bénéfique financier mais par contre il va en tirer un effet menant d'affichage et ça ça peut être intéressant, surtout public. (...) L'image et le catalogue prennent le pas, le constructeur s'en va petit à petit et l'architecte c'est lui le premier fautif en fait. C'est ça qui est intéressant dans les études de cas. Ils sont à la fois innovateurs par rapport à la matière et au catalogue nouveau qu'ils essayent de mettre en place et, se donnent pour cela le rôle de récupérateurs c'est à

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dire qu'ils sont opérateurs de collecte. Avez-vous déjà travaillé avec eux ? Et que pensez-vous de ce double rôle collecteur-producteur et constructeur de matière ?

Non. Bien sûr que dans un premier temps, c'était le cas des auto-construction et autopromotion, la pierre a beaucoup fonctionnée en auto-construction pour trouver des schémas alternatifs. (...) Ce qui est intéressant de voir sur les expériences c'est à quel niveau ils ont touché, qu'est ce qui a été touché. Là c'est une organisation qui fait que "je ne sais pas comment vient la matière bin je m'en occupe, je ne sais pas comment on conçoit avec bin je m'en occupe, je ne sais pas construire avec je m'en occupe, je ne sais pas dessiner avec je m'en occupe" donc dans un premier temps ça fait plutôt ça et après il faut dialoguer avec le monde et là ils sont en train d'essayer de dialoguer avec la réglementation. C'est un peu ce que vous disiez hier par rapport à la question du cadre ou de la situation de projet ?

C'est ça, il faut fabriquer l'outil mais quand on fabrique cet outil là il faut une stratégie et souvent la stratégie c'est celle-ci. C'est à dire que quand on a été auto-promoteur de la pierre, bon derrière ça y'avait aussi une écriture particulière du projet qui devait être fait mais c'est ce qui a permis de faire ça. (...) Est-ce qu'on peut dire que ces architectes-collecteurs se donnent un nouveau métier qui est temporaire, lié à ce besoin d'émergence, ce besoin de reprendre main avec la matière qu'ils ne connaissent plus, ce besoin d'écrire puisqu'ils sont obligés de suivre un système s'ils ne le font pas d'eux-mêmes... ? Ce rôle de métier pluriel est-il amené à changer ou va-t-il rester ?

C'est peu compliqué... le problème d'être entièrement constructeur. Mais d'aller chercher la matière enfin de se donner les moyens, ça c'est un architecte qui dirige des équipes qui sont dans cette logique-là mais ça fait partie du métier. Le problème du métier d'architecte c'est qu'on l'a réduit maintenant il fait que des façades et en fin de compte le gros intérêt de toute ces mutations et c'est pour ça que l'école résiste... par exemple l'école reste beaucoup à ça elle voudrait continuer à faire des façades. La formation est celle-ci. Étendre la vision de l'architecte, le savoir-faire de l'architecte en fait le repositionner... Michel-Ange allait dans la carrière pour voir le marbre qu'il prenait et en fonction du marbre il faisait la statut (...) c'est le matériau qui parle, c'est le matériau qui fait le projet. Et puis ça nécessite aussi de l'égard pour la matière c'est de l'égard pour la nature. (...) Si on regarde des peuples plus primitifs, tout ce qui vont prélever, la façon dont il se considère dans la nature c'est des invités qui essayent d'être en symbiose avec un situation, y'a beaucoup de respect au-delà de la personne humaine dans la totalité du monde vivant, et ça aussi c'est une éducation. (...) Dans ce système, on s'aperçoit que les gens qui produisent, c'est pour ça que c'est intéressant de regarder la production, ils ne peuvent pas zoomer arrière, ils sont toujours en retard, tout le monde a l'impression d'être en retard de pas avoir eu le temps de regarder les choses. (...) C'est là qu'on voit qu'il y a une réelle importance dans la pédagogie. Comme les études de cas, vous êtes architecte-pédagogue ou ingénieur-pédagogue dans le domaine d'étude Situations qui répond à l'appel à projet du Cycle de la Matière et où on travaille aujourd'hui ensemble étudiants comme enseignants par le faire en requestionnant le système de production actuel et par l'expérimentation en gagnant en réflexivité. Qu'est-ce que cela signifie pour vous ? Quel est l'intérêt d'être enseignant dans la transmission de valeurs ?

D'abord enseignant-praticien, j'ai pris ça très au sérieux. Pas praticien d'un côté et enseignant de l'autre mais enseignant-praticien. (...) Enseignant ça m'a permis d'avoir cette distance réflexive, de mettre en place un début de réflexivité sur ma pratique, ce qui est en fait un gros travail dans ce système où on fait tout le temps de la production de la production et qu'on ne se rend pas compte de ce qu'on fait. Quand on doit se dire "il faut que j'en parle" et d’ailleurs ça m'a permis même d'évoluer là-dedans, dans cette pratique. En fait je dirais que c'est des postures pratiquement à un moment donné n'importe quel praticien doit devoir transmettre quelque chose après c'est le mode de transfert. Le mode de transfert peut se faire au tableau mais peut se faire aussi sur les mises en situation de la matière de la production. (...) Si j'ai à peu près les ingrédients et un regard par rapport à ça et que j'ai dans le processus le savoir réflexif et la logique de projet, le projet pédagogique à tous les niveaux avec le retour réflexif qui me dit, et c'est qu’intuitif "là je sens que ça accroche" (...) après c'est la machine-projet qui se met en route (...) c'est la totalité des éléments qui sont en place doivent retrouver une énergie qui est un peu différente parce que là je suis un peu parti à gauche et à droite mais c'est que des sentiments en étant sur site ou au contact des gens. (...) Y'a plein de choses qui ne sont pas dans les procédures, dans les textes mais où tout le monde fonctionne comme ça, ou tout le reste c'est parce que les gens ont peur. (...)

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Oui. On peut penser à Tim Ingold qui fait un parallèle entre le chantier de construction d'une cathédrale et le laboratoire de recherche. Je cite : « La technoscience d'alors et d'aujourd'hui est le résultat de pratiques désordonnées, localisées et contingentes.212 » C'est un peu ce qui caractérise notre pratique sur le Mas Mirabeau, que pensez-vous de cette réflexion ? De ce parallèle ?

Moi je suis en plein là-dedans. Pour moi un laboratoire de recherche y'a une réflexion qui tire vers un horizon, ce qu'on a au départ c'est qu'on est tiré, y'a une intuition et un horizon après on ne sait pas trop comment on y va c'est un peu comme le grand bateau. (...) Les grandes pathologies c'est les enseignants, les gens qui disent comment faire et qui ne font jamais. (...) Faire ça peut être aussi une manière d'exprimer quelque chose par le corps (...) à travers la façon de faire, d'être sur place etc. que de là puisse naître la recherche, moi j'ai une position bien particulière là-dessus, en effet. Là c'est la démonstration sur la terre par exemple, il suffit de suivre le colloque, c'est complètement déshumaniser, ça perd son sens (...) en même temps y'a une vraie scission entre ceux qui réfléchirait des fois et qui réfléchissent bien hein et c'est intéressant pour peu qu'ils aient la matière, en même temps on peut voir comment la société abandonne ses chantiers, par exemple dans la construction on a aucune communication, on connait rien du tout des chantiers, les projets se font et y'a plein de savoir-faire qui meurent au bout d'1 an ou 2 des chantiers, personne veut mettre ça en relation. Y'a de par l'action et la réflexion d'arriver à le faire et puis en faisant on réfléchit. Quand on voit les cathédrales où elles sont arrivées avec un matériau de base donc là c'est vraiment la puissance humaine. Par exemple structurellement, c'est des structures qui sont hyper hyper impossibles à concevoir mais par contre par l'intuition constructive sur le chantier. (...) Aujourd'hui on a perdu cette habitude, quand on fait on produit tellement qu'on n'a pas ce retour (...) je pense en effet que ça peut se passer sur chantier. Et du coup en tant que BET vous faites partie de ceux qui prescrivent et appuient la matière construite dans sa capacité structurelle, dans quelles mesures vous tentez de proposer des matières alternatives et comment écrivez-vous vos propres règles ?

Les règles c'est assez facile, c'est des règles de 3, c'est toute la base que j'ai apprise quand j'étais à la maternelle. (...) Mais dès que ça devient complexe, moi je passe mon temps à gommer parce que je ne comprends pas ce qui se passe mais je revendique, à l'inverse de tout le monde, de réfléchir lentement et comprendre peu de choses quoi. (...) Après le problème des matériaux alternatifs ou des systèmes alternatifs c'est que à chaque fois il a fallu déconstruire les situations. (...) Je pense qu'il faut construire les situations qui nous vont. Et ça on le voit tout de suite entre quelqu'un qui attend et quelqu'un qui fait. Comment j'ai géré ça ? Bien il faut un peu de classique on va dire et puis des projets quand on sent que ça peut passer. Alors c'est beaucoup de travail mais un travail qui est léger on va dire, c'est beaucoup de temps passé mais en fait il faut quand même éprouver les choses. C'est beaucoup de temps passé mais de façon légère (...) la façon de le faire elle n'est pas lourde, y'a beaucoup d'envies quand on est sur des systèmes comme ça. Ça permet quand même sur des systèmes qui sont un peu limites, on est tout de suite en réflexif c'est à dire qu'on touche les limites et on voit ce qui se passe autrement c'est très difficile à l'intérieur d'un système de comprendre ce qui se passe. (...) Et est-ce que vous arrivez à normaliser, à créer une culture dominante de cette culture émergente ?

Non surtout pas non. (...) Je participe à des propositions qui partent et puis après soit c'est repris, soit ce n'est pas repris voilà. Moi j'aime bien les départs. Donc je laisse la bouteille dans l'eau et elle va quelque part et puis ça fait des trucs ou ça ne fait pas des trucs mais je n'ai pas une vocation de prendre tout le monde et de dire "bin voilà j'étais au départ de ça". (...) Maintenant je sais il ne faut pas que je vois trop loin parce que si je vois trop loin je vois l'objectif et j'y vais, je l'atteins systématiquement je sais que je sais faire ça mais en même temps c'est que je l'ai réduit. Et est-ce que ça soulève que le fait de normaliser réduit les possibles ?

Et oui parce que le problème fondamental est : quel est le référentiel ? Le principe que je prends pleins d'acteurs qui interviennent, une multitude d'acteurs, il faut qu'ils aient un référentiel et une culture commune pour intervenir donc par exemple s'ils parlent d'une brique et qu'elle est normée, ils connaissent tous la norme, ils parlent tous du même matériau. Si cette brique à un moment donné n'est plus normée, bin y'a celui qui la trouvée qui aura la connaissance, y'a peut-être celui qui est à côté qui va se dire "oui bin moi je la vois etc." et après ça ne 212 Tim Imgold. Faire Anthropologie, Archéologie, Art et Architecture. Paris : Édition Dehors, 2018, p. 136.

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se diffuse pas. Ça revient au fait que si on veut faire ça il faut que les équipes soient réduites et que les gens soient de vrais généralistes et pas trop experts dans un coin. Parce que si moi je suis expert de la brique normée et je ferais tout pour que la norme reste parce que je sais monter cette brique etc. Oui. Donc est-ce que vous partagez l'idée que les normes en vigueur restreignent à la fois l'usage d'une matière et verrouillent la culture constructive ?

Automatiquement bien sûr et c'est l'objectif. Par rapport à cette question, Nicolas C. de BC avait répondu que pour lui ce n'était pas une question de norme mais un problème d'attitude...

Après y'a 2 types de normes, y'a celles qui disent comment travailler, comment marcher, comment on passe un marché donc ça c'est les normes d'organisation d'une entreprise. Y'a les normes d'objectifs de société qui devraient être des normes d'objectifs mais qui des fois sont des normes de moyens. Par exemple, la norme acoustique (...) thermique (...). Et après y'a les normes qui sont le résultat de savoir-faire constructif qui seraient intéressantes si elles n'étaient pas pilotées par les assureurs entièrement. (...) Là se sont des règles de moyens, il faut faire comme ça. (...) Au cours de votre activité, ce serait plus intelligent peut-être. Vous vous êtes professionnels, ça serait bien que à la fois dans votre activité, dans tout ce que vous allez générer d'actions sur la société et sur ce que vous allez bâtir et sur ce qui va générer de l'activité, ça serait bien que vous ailliez une quantité d'énergies, de temps... on serait plus sur l'objet, on serait sur l'intervention des hommes. (...) Remettre beaucoup plus de valeurs sur celui qui fait, déjà de prendre en compte celui qui fait, ça serait de la valeur. (...) Alors c'est toujours la question, est-ce qu'on a besoin de normer ? Ça permet à tout un ensemble juridique de fonctionner mais on peut dire aussi au constructeur, il est dans cette situation, il parle avec les gens, il voit... et on dit en fait il n'est pas capable d'évaluer ça, il ne serait jamais capable tandis que si on a tous les murs pareils... Alors bien sûr si on fait confiance aux personnes, et bin de temps en temps ça sera un peu moins bien, de temps en temps ça sera un peu mieux mais en réalité c'est ça les bâtiments de temps en temps ils sont un peu moins bien ou mieux. (...) On sent bien aujourd'hui que si on a une défaillance quelque part par exemple la sécurité (...) on va reprendre toutes les normes de sécurité et on va réécrire un chapitre, on peut dire aussi c'est un accident. Et en même temps la totalité de la planète est en train de se casser la figure, on ne reprend rien du tout parce que on ne sait pas faire, le système il est fait que pour faire petit. Quand on voit petit on ne peut pas voir grand de toute façon et c'est exactement ce qui se passe. Donc la question de la réglementation (...) est très intéressante, le débat nécessite d'être ouvert il est très intéressant, je pense qu'on pourrait dérèglementer parce que c'était demandé, y'a toute une circulation de dérèglementation (...) soit par les architectes quand il y a eu le grand débat de Macron et même avant y'a eu des choses qui circulaient (...) Chaque fois qui va y avoir quelque chose qui est acté, y'a un groupe et quand on regarde le groupe y'a les représentants des industries, indirectement les experts se sont plus orientés, c'est très difficile, ça veut dire que le mode de transfert des savoir-faire ne passent pas que par-là, c'est du texte, on comprend rien donc y'a que des interprétations. (...) Y'a des choses qui sont bien et y'a des choses qui sont moins bien, dérèglementer à 0 avec les habitudes qu'on a, ça ne va pas. Par exemple on sait que la sécurité incendie empêche tout nouveau matériau. (...) Le bureau de contrôle sur chantier doit vérifier que les entreprises font leur autocontrôle (...) le principe est de vérifier que ce qui se fait dans le marché soit conforme à la réglementation (...) il vérifie que les acteurs, les entreprises, contrôlent ce qu'elles font puisqu'elles vont appliquer le marché, si elles n'appliquent pas le marché, ce n'est pas la faute du bureau de contrôle. (...) Ce n'est pas un facilitateur de projet, c'est un représentant d'assurance. (...) Moi j'ai commencé bureau de contrôle bin on faisait des tentatives donc ça veut dire que sur chantier pour me rendre compte vraiment de ce que j'avais accepté, on faisait quelques essais etc. mais de toute façon je savais aussi qu'il ne m'en aurait pas tenu rigueur parce que de toute façon ce n'est pas un acteur, ce n'est pas un concepteur, ce n'est pas un réalisateur et donc on l'évacue. (...) Un architecte conçoit quelque chose qui n'est pas réglementaire, il est responsable personnellement, son assurance se dessaisit de lui, c'est un vrai problème de l'innovation. (...) L'avantage des bureaux de contrôle avant c'est qu'ils avaient un rôle d'extérieur comme le rapporteur, de conseil (...) mais par exemple la paille c'est grâce à un bureau de contrôle de Qualiconsult qui était à l'origine des règles professionnelles, il était dans l'équipe des compagnons dès le départ et c'est pour ça que la paille est allée si vite à avoir un cahier des charges. (...) Le premier matériau c'est les hommes, si vous faites des projets comme ça il faut choisir le bureau de contrôle qui a l'oreille et qui a le savoir-faire (...) celui qui comprend bien la réglementation il a la logique, ce qu'il veut lui c'est gérer le risque global. (...) Il faudrait mettre des gens comme ça (...) qui sont des professionnels mais qui sur certains projets ont un œil extérieur, ne sont pas impliqués, ils vont voir plus de choses et ils viennent là pour aider les rouages à fonctionner. C’est la bonne idée du contrôle extérieur. (...) C'est bien d'avoir quelqu'un qui regarde, comme on

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n'est pas sur les sentiers battus ce n’est pas qu'on ne sait pas trop mais c'est bien d'avoir la grande vision à un moment donné dans la production. (...) Ainsi entre ces différents acteurs de projet, où est la marge de responsabilités, comment on les partage ?

Il faudrait avoir une discussion avec les assureurs qui est assez intéressante et faire projet avec eux, c'est à dire comment on gère le risque global et même sur la société quel est le risque qu'on veut gérer ? Quelqu'un qui parle trop fort, un truc sismique qui n'arrivera jamais, une poutre qui tombe sur la tête de quelqu'un, une fissure sur un bâtiment, c'est quoi l'objectif ? Sachant le gain qu'on a par exemple à travailler avec du réemploi. Là par contre tous les gens qui ont des maladies par le béton, par la pollution des bâtiments pour afficher un petit risque (...) y'a tout un risque qui n’est pas pris en compte et qui fait beaucoup de dégâts. (...) La question elle est déjà là, il n'est pas question de faire un projet si on n'évalue pas notre position par rapport aux risques. (...) Je pense que c'est ça qui tire l'industrialisation du réemploi, c'est que le risque puisse être géré. Le réemploi tente de trouver une place mais il entre difficilement dans une case qui n'est pas faite pour lui. À Bellastock, ils ont tenté par leur écrit une passerelle entre l'industrie et l'architecture, titre de REPAR #2213 par exemple, quel est votre avis sur l'industrialisation du réemploi et envisagez-vous un futur industriel possible pour l'exception du réemploi ?

Moi je pense que les petites unités industrielles enfin qui pensent industrielles, à un moment donné ça peut être intéressant de faire des tâches. (...) Y'a une place pour l'industrie, après l'industrie du réemploi c'est de reprendre les matériaux qui existent pour les remettre c'est automatiquement la première passerelle (...) la première façon de sortir c'est de prendre le matériau, d'en prendre la quintessence qui est réemployable dans le circuit en le mettant en retraite. Cette industrialisation peut-elle être encore résiliente aujourd'hui ?

Si elle est petite, diffusée sur le territoire, proche de la matière, oui. C'est une autre façon de faire de l'industrie. La pensée industrielle avec "on est les meilleurs, on est les plus forts par rapport à la nature et tout ça", les grandes cadences... mais avoir quand même un procès en place où les gens peuvent l'intégrer facilement, d'avoir une façon de travailler ensemble à plusieurs. On a un savoir-faire industriel, c'était pas mal la révolution industrielle, tout était bien dans ce qu'on a fait mais c'est les proportions que ça a pris. Donc en fait si on mixte ça avec les savoirfaire de l'œil, de la main d'œuvre, de celui qui va mettre sur place, on finit moins les choses etc. (...) Du coup c'est plus des micro-industries contextualisées ?

C'est ça. Y'a aussi autre chose par rapport à ça. L'industrie a plutôt tendance à fabriquer des matériaux complexes et dans l'idée de reprendre main, de créer des matériaux sortants qui pourront être réemployables après... ?

En fait ce n'est pas trop complexes, les matériaux les plus complexes dans le bâtiment se sont les ouvrants, les menuiseries parce que ça bouge mais après on va avoir quelques sandwichs etc. mais ce n'est pas des matériaux très très complexes quand même... Par contre une petite industrie qui se positionnerait non pas avec une matière première à l'état 1 mais avec une matière déjà transformée qui retravaille avec, quitte à faire du pré-montage de certaines choses etc. c'est possible. Mais arrive dans la logique de tâches, une répétitivité et une simplification de la tâche qui fait qu'on court vers la série donc l'idée c'est que les postes tournent, qu'on s'adapte, c'est presque un atelier plus et que les gens soient multi-casquettes. (...) Parce que la façon dont va être traiter la matière c'est la façon dont les gens vont être traités. Ce qu'il faut voir c'est que la situation dans laquelle on est va produire le projet, va produire la matière. (...) C'est l'avantage du réemploi d'une certaine façon c'est que tout le monde peut faire plein de choses et ça redistribue un peu les cartes, ça valorise un peu tout le monde. Y'a un projet de lois sur l'économie circulaire en pour parler à l'Assemblée Nationale en France. Le modèle de la REP est remis sur la table mais soulève cependant de nombreux doutes. Cette solution ne réenvisage pas une permanence entre les acteurs de projet d'une part et bien au contraire, exige de plus des garanties de 213 Julie Benoît, Grégoire Saurel, Mathilde Billet, Frédéric Bougrain, Sylvain Laurenceau. « REPAR 2 : le Réemploi passerelle entre architecture et industrie. » Étude, Rapport de l’Ademe, Bellastock et CSTB. Collection Expertises, avril 2018.

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compétences qui sont une contrainte forte. D'autre part, le Diagnostic devient déchets et matériaux et cela ne privilégie pas le réemploi car seul le recyclage est mentionné. Que pensez-vous des avancés qu'on peut faire aujourd'hui en matière de loi ?

Le problème c'est qu'en faisant une loi y'a une volonté de libérer. Ça peut être une loi qui a du bon sens et au moins les valeurs d'élargir la vision mais y'a toujours un revers. (...) Le recyclage c'est un début on va dire, c'est trop dur que le système s'intéresse au réemploi mais ça manifeste quand même une envie d'aller vers ça. (...) L'économie circulaire c'est à partir du moment où la matière part d'un endroit, elle est employée et elle est réemployée... (...) Le problème du recyclage c'est qu'on revient tout de suite en haut du processus. (...) Le législateur dans un premier temps ce qu'il dit c'est "on reste à peu près sur les mêmes bases et puis on essaye de diminuer les effets pervers de ce qu'on a créé, on recycle, je ne touche pas au système je lui donne plus à manger ça ne m’embête pas trop et on évite quand même quelques erreurs" et puis si on fait ça c'est déjà pas mal. Y'a que des ambitions de réparations du système au fur et à mesure quand il part trop loin. (...) Le système du recyclage c'est aussi de se dire bin on a une deuxième couche puis comme ça et par rapport à la matière c'est une réponse et puis on fait toujours fonctionner le même système (...) mais ça veut dire que y'a un système de transformations pour pouvoir les réutiliser. (...) Mais en fin de compte les effets pervers de cette densification de production, ce n'est pas uniquement la perte de la matière (...) le recyclage ce n'est pas une réponse, le réemploi ce n'est plus une attitude et surtout en réhabilitation par exemple, sur ce qui existe mais c'est une attitude globale qui peut être une façon de regarder les choses. (...) Le problème c'est que le contenant est fait à priori et après il faut faire rentrer tout le système. (...) Dans le système de production actuellement on a que des courbes qui font plein de crêtes donc les gens travaillent à fond et après ils ont des trous et financièrement... (...) Dans un premier temps, il faut trouver une échelle, de recyclage ou réemploi sur un petit truc qui se fait qu'en éléments portés ou décoratifs, donc trouver des pistes comme ça par rapport à l'arsenal réglementaire. Après s'attaquer une fois que ça marche à l'arsenal réglementaire qui est impacté par le système c'est à dire si c'est des problèmes de structures bin dire on fait des essais-grandeurs. (...) Trouver des solutions à chaque fois là-dedans et lever les éléments mais bien sûr le recyclage c'est déjà un intérêt pour la matière qui part mais c'est ce qui touche le moins le processus, c'est ce qui changera le moins les cultures. (...) Là on a besoin quand même d'une évolution culturelle, je pense qu'il y a une vraie évolution, nous quand on a fait la pierre c'était vraiment sous-entendu mais ça passait encore, y'avait pas besoin de se casser le bol. Ok super. Très bien merci Jean-Paul.

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...GRAPHIE

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ICONOGRAPHIE Histoire d’une matière : la planète Terre ................................................................................................................. 16 Économie linéaire des ressources-déchets .............................................................................................................. 18 Histoire d’une matière : la brique ............................................................................................................................. 19 Histoire d’une matière : le métal natif ..................................................................................................................... 19 Histoire d’une matière : le bois ................................................................................................................................ 20 Histoire d’une matière : le mortier ciment .............................................................................................................. 20 Frise réalisée à partir de l’article de Pierre Chemillier : L’épopée de l’industrialisation du bâtiment après la guerre de 1939-1945 ....................................................................................................................................................... 23-24 Réemployer la société ............................................................................................................................................... 34 Frise Rotor, pourquoi le réemploi ? réalisée par Rotor : Déconstruction et réemploi (p. 62-63) ....................... 41-42 Catalogue-réemploi .................................................................................................................................................. 45 Déroulement du programme REPAR #2 en 6 phases .............................................................................................. 46 Schéma des acteurs-réemploi .................................................................................................................................. 47 Principe de layering de Stewart Brand ..................................................................................................................... 71 Le magasin de chantier permanent : Rotor Deconstruction .................................................................................... 75 Axes de travail de Plaine Commune par acteurs ...................................................................................................... 79 Économie circulaire autour des 3R ........................................................................................................................... 80 Le réseau inter-chantiers sous l’exemple des briques pleines : Plaine Commune .................................................. 81 Les états possibles des briques pleines de la collecte au exemples envisageables des 3R .................................... 82 Économie circulaire des manufactures BC materials ............................................................................................... 89 La manufacture de chantier permanente : BC materials ......................................................................................... 90 Histoire d’une matière : la terre crue ....................................................................................................................... 91 La manufacture de chantier temporaire : BC materials et la Maison Régionale d’Edegem ................................... 93 Le laboratoire de recherche d'ActLab : Bellastock ................................................................................................. 111

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