Prise en charge pratique des patients sous rituximab
Que faire en cas d’antécédent ou d’apparition d’affections neurologiques du système
nerveux central (SNC) ? Evidence Based Medicine
Recommandations officielles
Avis des experts
État des connaissances actuelles concernant le rituximab dans différentes affections neurologiques du SNC Les études contrôlées et randomisées évaluant l’efficacité du rituximab dans la polyarthrite rhumatoïde (PR) et les maladies hématologiques n’ont pas montré une incidence plus élevée de pathologies neurologiques du SNC. Des infections du SNC après traitement par rituximab ont été rapportées mais le plus souvent dans un contexte de pathologies hématologiques traitées par chimiothérapie. Malgré leur faible fréquence, il faut savoir les évoquer et penser à arrêter le rituximab en cas d’apparition de symptômes neurologiques. En revanche, pour certaines maladies auto-immunes associées à des manifestations neurologiques du SNC, et notamment certaines formes de neuro-lupus, une amélioration des symptômes a été observée (1). Le rituximab a également été testé dans certaines pathologies neurologiques du SNC comme la sclérose en plaques (SEP) (2). ● Rituximab et affections du SNC dans le cadre d’une maladie systémique • Lupus systémique Dans le lupus systémique avec atteinte du SNC, le recours au rituximab dans des situations qui engageaient le pronostic vital a permis de contrôler la maladie (3). Lors de manifestations neuropsychiatriques dues à un lupus réfractaire aux traitements conventionnels, une évolution favorable des signes a également été observée après traitement par rituximab (1, 4). Les manifestations neurologiques étaient diverses : psychose, épilepsie, confusion, détérioration intellectuelle, syndrome confusionnel, céphalées ou encore myélite transverse. • Syndrome des anti-phospholipides Dans une série de 250 cas de syndrome catastrophique des anti-phospholipides, le rituximab a été particulièrement efficace chez les patients avec une thrombopénie qui exposait à un risque hémorragique élevé (5). Chez l’enfant, dans des maladies systémiques auto-immunes avec atteinte du SNC et réfractaires aux traitements classiques, une évolution favorable des troubles neurologiques a été observée après rituximab (6). Dans cette série, un enfant qui avait une chorée et des crises d’épilepsie secondaires à un syndrome primaire des anti-phospholipides a été considérablement amélioré par le rituximab. ● Rituximab et pathologies démyélinisantes du SNC • Sclérose en plaques Le rituximab est actuellement évalué comme traitement potentiel chez les patients atteints de SEP, non contrôlés par les thérapeutiques habituelles (7). Les études sont encore peu nombreuses, mais les résultats sont plutôt encourageants. Une étude de phase I ouverte, a évalué l’efficacité et la tolérance du rituximab chez 26 patients
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atteints de SEP. Ces patients ont reçu deux cycles de rituximab (1g par perfusion) espacés de 6 mois. L’efficacité était évaluée sur la survenue d’une rechute et l’évolution des lésions IRM. A 48 semaines, aucun effet indésirable grave n’a été rapporté. Les poussées de SEP ont été moins fréquentes et surtout une régression du nombre de lésions à l’IRM a été observée (8). Ces résultats ont été confirmés dans une étude de phase II contrôlée, randomisée versus placebo, avec à 6 mois une nette régression des plaques à l’IRM et moins de rechute dans le groupe traité par un cycle de deux perfusions de rituximab (1g) (9). • Neuropathies démyélinisantes inflammatoires ou auto-immunes Quelques études ont été menées afin d'évaluer l'efficacité du rituximab dans le syndrome de Guillain-Barré, les neuropathies motrices multifocales, les neuropathies démyélinisantes chroniques, et les neuropathies associées aux immunoglobulines IgM avec présence d’anticorps anti-myelin associated glycoprotein (anti-MAG) (2, 10, 11). Certains résultats sont encourageants (12) et d'autres moins (13, 14). Dans les neuropathies anti-MAG, l’amélioration neurologique est parallèle à une diminution de moitié des taux d’IgM et du titre des anticorps anti-MAG (15). Cependant, il s'agit d'études non randomisées et ouvertes dont les résultats sur l'efficacité doivent être interprétés avec précaution mais aucun effet indésirable notable n’a été toutefois observé. ● Rituximab et infections du SNC • Leuco-Encéphalopathie Multi-Focale Progressive (LEMP) La LEMP, maladie infectieuse due au JC papovavirus, est une maladie démyélinisante qui peut se manifester au début par des troubles du langage et/ou de la compréhension, des troubles moteurs, sensitifs, visuels ou encore psychiques avec syndrome confusionnel, détérioration intellectuelle, et troubles de la personnalité. Son diagnostic repose sur l’IRM cérébrale qui montre des plages de démyélinisation de la substance blanche et surtout sur la présence de virus JC dans le liquide céphalo-rachidien (LCR) (spécificité 100%). La LEMP est fréquente au cours du SIDA et des maladies lymphoprolifératives. Dans le lymphome, l’incidence de la LEMP est de 30 à 60/100 000. Des cas de LEMP ont été décrits peu de temps après traitement par autogreffe et rituximab dans le cas de lymphomes non-hodgkiniens (16). Néanmoins, dans une analyse rétrospective de syndromes lymphoprolifératifs, l'utilisation du rituximab semble retarder la survenue de la LEMP (17). Dans les maladies systémiques, des cas fatals de LEMP ont été décrits dans les 3 mois suivant un traitement par rituximab (18). Deux patients avaient un lupus systémique et le troisième une vascularite grave avec ANCA ayant nécessité de multiples amputations. Dans les trois cas, les patients avaient reçu pendant plusieurs années des immunosuppresseurs. L'incidence de la LEMP dans le lupus systémique et les vascularites n'est pas connue. Cependant 36 cas de LEMP ont déjà été rapportés chez des patients atteints de maladies auto-immunes (23 lupus, 4 vascularites, 7 myopathies inflammatoires, 1 sclérodermie, 1 PR) traités par des immunosuppresseurs (18). Même si une relation directe avec le rituximab n’est pas démontrée, ces cas incitent à une prudence et toute symptomatologie neurologique sous rituximab doit faire rechercher une LEMP.
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• Autres infections du SNC D’autres infections ponctuelles du SNC ont été rapportées après traitement par rituximab comme des rétinites à CMV (16), des méningo-encéphalites virales (virus de la dengue, entérovirus) (19, 20), bactérienne (Lyme) (21) ou encore amibienne (Acanthamoeba) (22). Ces infections isolées sont survenues le plus souvent chez des patients traités par une association chimiothérapie et rituximab. Recommandations ● Affections neurologiques dans le cadre d’une maladie auto-immune Le rituximab n’a pas encore d’AMM dans les maladies auto-immunes du SNC ou du système nerveux périphérique. Cependant son utilisation peut être envisagée dans les maladies auto-immunes avec atteinte du SNC qui sont réfractaires aux traitements conventionnels. ● Affections démyélinisantes non infectieuses Les résultats très encourageants d’une étude contrôlée montrent qu’il n'existe pas de contre-indication à l'emploi du rituximab en cas d'antécédent familial ou personnel de SEP. Il n'y a pas lieu de réaliser d'examen complémentaire et notamment d'IRM. Cependant, avant d’envisager ce traitement, il convient de demander l'accord du neurologue et un suivi neurologique est indispensable. ● Infections du SNC • Quels sont les signes d’appel sous traitement ? Sous traitement par rituximab, différents symptômes neurologiques devront orienter vers une affection démyélinisante et le diagnostic de LEMP devra être évoqué en priorité : - paresthésies - troubles visuels (hémianopsie) - troubles des fonctions supérieures, confusion, détérioration intellectuelle, modifications de la personnalité - troubles moteurs (hémiplégie, paralysie faciale…) - troubles vésico-sphinctériens - troubles de l’équilibre, troubles de la marche - apraxie Les autres infections de type méningite ou méningo-encéphalite seront suspectées devant : - une fièvre - un syndrome méningé : raideur méningée, photophobie, céphalées - des signes d’encéphalite : troubles de conscience ou troubles psychiatriques et signes de localisation neurologique
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L’apparition de tels symptômes ne devra pas faire négliger les autres possibilités étiologiques en rapport avec la maladie elle-même ou les traitements associés : - PR : myélopathie sur luxation atloïdo-axoïdienne - Maladie auto-immune : troubles des fonctions supérieures (neuropsychiatriques) dans le cadre d'une vascularite ou encore signes neurologiques localisées dans le cadre d'un AVC secondaire à un syndrome des APL - Autres traitements associés au rituximab : le plus souvent paresthésies dans le cadre d’une neuropathie périphérique (ex : léflunomide); plus rarement des troubles du SNC : céphalées, avec des convulsions, psychoses (ex : hydroxychloroquine) • Conduite à tenir en cas de découverte de signes neurologiques sous rituximab En cas d'apparition de symptômes neurologiques, il faudra évoquer en premier lieu une LEMP et réaliser une IRM cérébrale et une ponction lombaire à la recherche du virus JC par technique PCR. Il faudra éliminer les autres infections par des examens virologiques (CMV, entérovirus…), bactériologiques, parasitologiques sur le LCR par mise en culture, complétés par des techniques de PCR. Des sérologies (CMV, Lyme…), et antigénémie seront réalisées en fonction des signes d’appel cliniques. Il faudra également écarter toute autre complication cérébrale en rapport avec une affection neurologique dans le cadre de la maladie auto-immune ou des traitements associés. • Quand reprendre le traitement par rituximab ? - En cas de LEMP, le rituximab devra être arrêté définitivement. - En cas d’infections du SNC autre qu’une LEMP, le rituximab devra être arrêté. La reprise du rituximab ne pourra être envisagée qu’après la guérison de l’infection et après avoir demandé l'avis de l’infectiologue. Le rapport bénéfice/risque d’un retraitement par rituximab devra être réévalué. - En cas d’affection du SNC en rapport avec la maladie traitée, le rituximab pourra être repris en particulier s’il avait permis de contrôler cette maladie. - En cas de poussée d’une pathologie démyélinisante autre que la LEMP, la réintroduction d’un traitement par rituximab devra être rediscutée avec le neurologue. Références 1) Tokunaga M, Saito K, Kawabata D, Imura Y, Fujii T, Nakayamada S, et al. Efficacy of rituximab (anti-CD20) for refractory systemic lupus erythematosus involving the central nervous system. Ann Rheum Dis 2007;66:470-5. 2) Finsterer J. Treatment of immune-mediated dysimmune neuropathies. Acta Neurol Scand 2005;112:115-25. 3) Saito K, Nawata M, Nakayamada S, Tokunaga M, Tsukada J, Tanaka Y. Successful treatment with anti-CD20 monoclonal antibody (rituximab) of life-threatening refractory systemic lupus erythematosus with renal and central nervous system involvement. Lupus 2003;12:798-800. 4) Armstrong DJ, McCarron MT, Wright GD. SLE-associated transverse myelitis successfully treated with Rituximab (anti-CD20 monoclonal antibody). Rheumatol Int 2006;26:771-2. 5) Asherson RA. Multiorgan failure and antiphospholipid antibodies: the catastrophic antiphospholipid (Asherson's) syndrome. Immunobiology 2005;210:727-33.
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