Longueur d'Ondes n°76

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Alchimistes sonores N°76 . automne 2015

gratuit

feu ! chatterton • janice in the noise • Roscoe • hippocampe fou • puts marie VKNG • Odezenne • Abd Al Malik • krismenn & alem • Dossier : francophonie...


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AUTOMNE 2015


me mê

France - Québec - Acadie - Belgique

sur la

Numéro 76 Automne 2015

Sur scène dans une minute !

par Thibaut Derien

sommaire

Découvertes KrisMenn & AleM N3distan Les Lignes Droites La Bestiole Vendège

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Entrevues Feu ! Chatterton Janice in the noise Roscoe Hippocampe Fou Puts Marie VKNG Odezenne Abd Al Malik

3 Minutes Sur Mer @ Pan Piper (Paris), le 29 juin 2015 Je me sens comme un St Diable. Avec cet ennemi fidèle qui est "moi-même". Avant de monter sur scène, il y a ce besoin d'être vu, reconnu, aimé. Il y a la place pour la peur. Celle qui fait faire des saloperies. Alors chaque soir je me soigne. Je respire et renifle d'autres mots. Pour laisser venir le trac avec "envie" et "tendresse". Je serre fort

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mes compagnons comme pour m'essorer d'un venin. Après je ne veux plus prendre. Je veux donner. Ensuite il ne faut pas se rendre, il faut monter.

édito

The Shoes

L’absence Nous sommes d’autant plus à l’aise pour le dire que, pour ne rien cacher, nous sommes partenaires avec beaucoup d’entre eux… Qui ? Ces salons professionnels (MaMA de Paris, BIS de Nantes, Midem de Cannes, Jimi d’Ivry-surSeine, Francofête en Acadie, Rideau de Québec, Iomma à La Réunion…), sorte d’assises des acteurs de la musique, métronome des avancées techniques autant que speed-dating artistiques... A y réfléchir, il est même sain qu’un domaine, à qui l'on reproche l’entre-soi, prenne régulièrement date pour échanger, réfléchir, voire s’ouvrir. Pourtant, deux réflexions semblent chaque fois absentes des discussions. La première, soufflée par le directeur du Studio des variétés (centre supérieur de formation des musiques actuelles), est la surmultiplication de prix, aides et dispositifs aux scènes émergentes. Un bienfait ? Pas si l’on considère qu’une fois l’étape franchie, les structures se font moins accueillantes, contraignant

Sur la même Longueur d'ondes 22 chemin de Sarcignan 33140 Villenave d'Ornon communication@longueurdondes.com www.longueurdondes.com AUTOMNE 2015

En Couv

les artistes à multiplier les premières fois pour vivre de leur art... S’il y a quelques années, l’arrivée de grands géants faisait peur aux petits, c’est désormais les projets établis, ceux compris dans un entre-deux, qui souffrent. Comme condamnés à l’implosion ou l’explosion. La seconde concerne l’exclusion systématique des médias dans le discours général sur les développements artistiques. Ici et là, les rencontres et autres présentations évoquent les problématiques de droits d’auteur, les marchés nationaux qui s’ouvrent ou se referment, les nouveaux supports de diffusion… Rien sur les besoins journalistiques, l’utilité d’une biographie écrite par un professionnel, la pertinence ou non d’une publicité papier, les pré-écoutes, le coaching pour les interviews… Or, les médias participent aussi à la construction d’une carrière et / ou d’une filière. Et ce n’est pas la récente disparition de Snatch Magazine et de Humanoïde qui prouveront le contraire. A votre disposition pour en discuter / débattre.

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Coulisses dossier festival enquête

Francophonie Le MaMA Madagascar

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Chroniques Musique Livres Ça gave

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Photo de couverture : Jean-Baptiste MONDINO

Directeur - rédacteur en chef > Serge Beyer | Publicité > Émilie Delaval – marketing@longueurdondes.com | Maquette / Illustrations > Longueur d'Ondes / Éphémère Webmasters > François Degasne, Marylène Eytier, Mickaël Choisi | L.O. Montréal > Distribution Diffumag | Coordination > Alexandre Turcotte, concert.quebec@longueurdondes.com Ont participé à ce numéro > Patrick Auffret, Olivier Bas, Fabien Boileau, Jessica Boucher-Rétif, Bastien Brun, Mickaël Choisi, Samuel Degasne, France De Griessen, Émmanuel Denise, Sylvain Dépée, Julien Deverre, Jean Luc Eluard, Guillaume Grassiant, Kamikal, Aena Léo, Sarah Lévesque, Pascal Desrosiers, Émeline Marceau, Yolaine Maudet, Vincent Michaud, Julien Naït-Bouda, Camille Poher, Julien “Jay“ Sahuquillo, Serena Sobrero, Elsa Songis, Jean Thooris, Alexandre Turcotte, Johanna Turpeau Photographes > Patrick Auffret, Karim C., Denoual Coatleven, Romain Corvez, Fabien Coste, Michela Cuccagna, Gilles Dewalque, Marylène Eytier, Romain B. James, Ismaël Moumin, Mathieu Nieto, Élise Schipman Imprimerie > Roto Garonne | dépôt légal > octobre 2015 | www.jaimelepapier.fr Les articles publiés engagent la responsabilité de leurs auteurs. I.S.S.N. : 1161 7292 Avec le soutien de la Fondation Inter Fréquence Tous droits de reproduction réservés. NE PAS JETER SUR LA VOIE PUBLIQUE

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DecouvErtes

KrisMenn & AleM la voix est libre

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e premier vient des Côtes d’Armor et pratique le kan ha diskan, un chant / contre-chant traditionnel breton où un meneur pose le couplet repris ensuite par un autre chanteur. Typique du fest-noz, avec petit doigt en l’air et marche en quinconce… ; le deuxième est Lyonnais et fait du human beatbox, l’art d’imiter des instruments avec sa voix. L’ensemble, uniquement a capella, n’aurait pu être qu’un simple concept à la résonance locale... Sauf que, propulsé en première partie des électro-punks anglais Prodigy lors des Vieilles Charrues 2015, le duo fut – contre toute attente – LA révélation du festival.

samuel degasne     Denoual Coatleven

Car, il y a déjà tout chez eux. L’expérience : un KrisMenn multi-instrumentiste (guitare, contrebasse, batterie…) qui a multiplié les collaborations (Erik Marchand, Louise Ebrel...) et les styles (bluegrass, dubstep, rap en breton…) ; un AleM multi-primé (double-champion du monde d'human beatbox en 2015, vice-champion en 2012), animant des ateliers pédagogiques (milieu associatif, écoles de musique) et ayant accompagné plusieurs groupes (jazz, gospel, musique irlandaise…). « Notre genre, c'est le mélange de générations (modernité Vs traditions), voire l'alliance des géographies (Ouest Vs Sud) et

des styles (chant breton Vs hip-hop). » Résultat ? Un chaud-froid déconcertant et inclassable, sonnant pourtant comme une évidence. Sur scène, l’énergie reste palpable, sans autre apport que la langue et le diaphragme. Sacrée leçon pour les groupes régionaux en devenir : nul besoin d’avoir recours à une lourde orchestration ou de sacrifier ses origines pour sonner contemporain. « Nous sommes aussi à l'aise dans un théâtre de Montmartre, au festival du Bout du monde ou en intervention en milieu scolaire. » La sincérité du projet fait le reste.

Facebook.com/KrisMennAleM AUTOMNE 2015

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N3rdistan un monde virtuel

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Les Lignes Droites

Bastien Brun     Marylène Eytier

'est une patrie imaginaire qui enregistre des "demandes de visas", accorde des "titres de résident permanent" et situe son ambassade sur les réseaux sociaux. N3rdistan a vu le jour il y a deux ans autour du chanteur Walid Ben Selim. Ce dernier explique : « On voulait créer un endroit dans lequel on ne fait pas attention à nos nationalités et surtout, qui fasse place à toutes nos cultures. Quel que soit notre passeport, on est tous pareils. Le N3rdistan, c'est le pays de ceux qui s'éloignent vers un monde abstrait, numérique. » Partagés entre le Maroc, Perpignan, dans le Sud de la France et une géopolitique musicale qui les a menés vers le rap, le metal et l'électro, nos quatre N3rd ont pris le parti d'une musique métisse imprégnée de styles trad' comme le gnawa. Tandis que ses acolytes tricotent des ambiances sombres, faites de machines, de kora, la harpe d'Afrique de l'ouest et de flûte peule, Walid rappe sur le premier EP de son groupe les textes de grands

poètes arabes : Mahmoud Darwich, Ahmed Matar ou encore Nizar Kabbani. « Ces poètes sont des gens importants pour nous parce qu'ils portent un message que le public ne peut pas dire dans les pays arabes. Aujourd'hui , avec les révolutions du Printemps arabe, la parole s'est libérée, mais c'est un peu grâce à eux. » En matière de contestation, l'enfant de Casablanca sait de quoi il parle... En effet, au début des années 2000, il a été avec Widad Broco, elle aussi membre de N3rdistan, l'un des activistes rap au Maroc avec Thug Gang. Il se rappelle : « On a pas mal galéré, il y avait peu de structures pour enregistrer et faire des concerts. Les institutionnels nous regardaient d'un mauvais œil car on avait des textes très engagés. Comme on suivait l'exemple de 2Pac, on était très virulents et on se disait qu'il fallait automatiquement passer par la case prison. » Aujourd'hui, N3rdistan préfère ne pas se soucier des frontières et, par les temps qui courent, c'est tout aussi subversif.

n3rdistan / autoproduit

psychothérapie sociétale

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Julien Naït-Bouda    Extension

battre les repères, casser les a priori et déconstruire les modèles en place, c’est peut-être bien la raison sous-jacente d'une rencontre prédestinée entre deux lignes parallèles, Bruno et Mathieu, qui dans l'acceptation d'une géométrie euclidienne n'aurait pu avoir lieu. « On crée des modèles en forçant les choses pour qu'elles rejoignent une ligne. Si tu t'en écartes, tu es considéré comme déviant. On a voulu s'opposer à cette mentalité. » Critique d'un simulacre sociétal, la musique des Lignes Droites tend à la description ethnographique d'un monde moderne source de névroses, comme l'entend, posologie à l'appui, le titre "Pas d’autres réactions". « Ce morceau représente la fragmentation d'une personne qui prend des antidépresseurs. Les paroles décrivent la graduation de cette médication en lien avec les effets secondaires éprouvés par des médicaments tel que le Prozac ». Déclamé avec froideur, cette

poésie cathartique demeure virulente par le poids de ses mots, détricotant les genres et rôles que tout un chacun revêt avec une justesse déconcertante. « La difficulté est de faire d'un texte issu d'une expérience subjective quelque chose d'universel. Pour l'instant nos titres émanent d'une colère intense et intérieure. Cette colère est diffuse, mais cela pourrait passer par d'autres émotions. On y travaille pour l'album. » Accompagné d'une Gibson aux lacérations fulgurantes, l'onde sonore ici déployée retranscrit des humeurs noires, balançant entre blues rock et shoegaze. « J'essaie de travailler la musique comme un matériau sonore, je pars d'une masse et je tente d'en manipuler le volume, précise Mathieu, le guitariste. Mon jeu de guitare est un peu le cataclysme qui vient détruire la structure des morceaux. » De quoi faire vaciller ce monde rectiligne et uniforme, tel un cri déchirant la nuit.

Pour Que La Nuit Passe / Extension 6 Longueur d'ondes N°76

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Decouvertes

La Bestiole sort de l'eau

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Vendège

Patrick Auffret

e duo formé par Delphine Labey et Olivier Azzano est sorti de sa coquille et cela s’entend. « On s’est vraiment fait plaisir », affirme Olivier. « On s’est donné les moyens de travailler avec des gens qui nous plaisaient énormément. » La Bestiole a invité de nombreux musiciens à se joindre à elle sans pour autant changer sa manière de travailler. « Nous faisons d’abord tout avec nos instruments, Delphine à sa batterie et moi à la guitare, puis on met ça sur ordinateur. Mais les instruments que l’on entend sur le disque, on les a fait jouer par des musiciens. Nous avions vraiment envie d’entendre de l’organique et pas des sons d’ordinateur. » Très rock, la Bestiole s’exprime en français dans le texte. « C’est ce qui nous tient le plus à cœur. Je m’élève contre le diktat du rock en anglais ! C’est tellement facile à faire sonner que les Français qui le font ne se creusent pas beaucoup ! » Avec la Bestiole, c’est tout l‘inverse ; et ces cinq titres sont particulièrement soignés, avec une mention

spéciale pour "Single". « Notre maison de disques voulait un single. Alors, avec Delphine, nous sommes partis sur l’idée de leur faire une chanson de merde puis de leur proposer. On a pris un petit rythme disco, très années 80 ; et notre chanson de merde, elle commençait vraiment à nous plaire. Finalement, on l’adore ! » Enregistré aux studios Davout par Laurent Jaïs (Manu Chao, Amadou et Mariam...), l’EP marque le début d’une collaboration avec TonicFlashers Productions : « Avec eux, tout s’est accéléré, confie Delphine. On a appris à faire confiance et à se laisser surprendre. C’est l’idée des Grands rapides, se laisser emporter par les courants et arrêter de lutter. Laurent nous a emmenés là où l'on ne savait pas aller. » Un album suivra, mais pour l’instant le duo devenu trio — puisqu'Alex Bug fera aussi les concerts — ne voit que par la scène : « On espère une tournée énorme ! »

Les Grands rapides / TonicFlashers Productions

monde fantasmagorique

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émeline Marceau    Karim c.

u piano de ses grands-parents aux samplers, machines, claviers, boîtes à rythmes ou autres percussions africaines et instruments à cordes, Thibault Marchal — alias Vendège — n'est pas du genre à se cantonner à expérimenter un seul instrument. Chez ce musicien parisien, la musique se dévoile à travers une combinaison de textures et d'ambiances mises au service de chansons à la croisée de l'électronique, de la pop et de la folk, et dont la sensibilité et la délicatesse font souvent écho à des histoires mystérieuses, faites pour voyager : « Je fais de la musique avec ce qui m'entoure, tout est instrument. Je me nourris souvent des bruits qui m'entourent, j'en déduis des fantômes, des paysages et des situations sur lesquels j'écris. J'aime jouer avec le souffle d'une pièce, faire des rythmiques en cassant des bouts de bois, en tapant sur mon parquet ou en enregistrant des insectes », explique celui

qui a été élevé aux arrangements de Björk, Múm, Sigur Rós, The Notwist ou Sufjan Stevens. C'est toute cette palette de sonorités sensorielles que l'on retrouve sur Nora's Ark, un EP sorti en juillet dernier dans lequel la musique — planante à souhait — semble s'étirer dans un cocon chaleureux où les sons organiques côtoient des triturations électroniques, des sonorités boisées, des harmonies vocales : « Je voulais rendre publique quelque chose de très introvertie, d'ambient, en réaction à un autre EP plus percussif et extraverti baptisé N.O.U.R.S, que j'ai terminé depuis 2014, mais qui n'est jamais sorti car j'avais l'impression qu'il ne me correspondait plus. » Un univers onirique à découvrir sur scène, où l'artiste, souvent accompagné de la violoncelliste et multi-instrumentiste Doriane Ayxandri, donne "plus d'espace" à ses chansons en (belles) dentelles.

Nora's Ark / Autoproduction AUTOMNE 2015

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Arman Méliès Vertigone

5eme Album - Sortie le 23/10/2015

Crédit photo : Frank Loriou

D’Arman Méliès, on connaissait le folk astral des premiers disques, les miniatures cinématographiques, la poésie surréaliste, et les relectures post-punk du dernier album en date, « AM IV ». A l’évidence, il faudra désormais compter avec lui sur le terrain de l’indie-rock épique et impétueux, avec ce nouvel album sanguin, lyrique et ombrageux, « Vertigone » produit par Pete Prokoviw et Antoine Gaillet.

Inclus

« Constamment je brûle » et « Les chevaux du vent fou » 15/10/15 Théâtre de l’Atalante dans le cadre du MaMA Festival, Paris (75) 16/10/15 Palais des Sports - Paris (75) en 1ere partie d’HF THIÉFAINE 10/11/15 Festival les RDV Soniques / Salle Beaufils - St Lô (50) en 1ere partie d’HF THIÉFAINE 12/11/15 Le Summum - Grenoble (38) en 1ere partie d’HF THIÉFAINE 13/11/15 L’Amphithéâtre - Lyon (69) en 1ere partie d’HF THIÉFAINE 21/11/15 Zénith de Dijon - Dijon (21) en 1ere partie d’HF THIÉFAINE 27/11/15 Zénith d’Auvergne - Cournon d’Auvergne (63) en 1ere partie d’HF THIÉFAINE 16/02/16 Café de la Danse - Paris (75)

www.armanmelies.com

WWW.LABEL-ATHOME.COM

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POUR DÉCOUVRIR ‘VERTIGONE’

DISTRIBUTION EXCLUSIVE

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entrEvues Feu ! Chatterton

craque l’amulette suédoise

Une amitié usée sur les bancs de Louis-le-Grand pour les trois instigateurs. Un renfort d’une basse et d’une batterie. Un nom comme une mise en joue, doublée d’une référence à un poète maudit. Un EP largement loué par la critique et le public. Feu ! Chatterton avait besoin de prendre le large pour confectionner son premier album. Brillant et noir à la fois.   Sylvain Dépée     Marylène Eytier

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km à vol d’oiseau. Partir. Loin. Échapper aux tentations parisiennes. Fuir le quotidien. S’extraire du bain tiède de l’Hexagone. Filer à Göteborg, son fort, son port, sa banlieue. Et s’enfermer.  e

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entrevues

e  Non dans un monastère ou un chalet au bord des lacs, mais dans le Svenska Grammonfon, un studio comme une goélette, tout parqueté, avec des cabines exiguës pour des nuits courtes. Un studio repéré par Samy Osta, réalisateur de l’EP, qui a dirigé à nouveau les séances d’enregistrement. Repéré pour ses fantômes magnétiques : une console Neve des années 70, construite en 4 exemplaires, ex-propriété de Queen, sur laquelle David Bowie a mixé "Heroes". « On ne l’a appris qu’à la fin, heureusement. Ça nous aurait mis une sacrée pression », glisse Arthur, chanteur et parolier. Sans compter que le propriétaire des lieux, le bassiste du groupe suédois The Soundtrack of Our Lives, collectionne les instruments, les amplis et les effets introuvables. Une caverne miraculeuse. « Généralement, dans le studio en France, quand il y a du matériel aussi rare, aussi précieux, tout est entouré d’infinies précautions. Or, créer, faire de la musique, ça demande une certaine légèreté ; on nous demande d’être dans l’émotion, la spontanéité. Les précautions compliquent un peu l’affaire. Alors que là, tout nous facilitait la tâche. Tout était à portée de main. Pas besoin de demander de permission. » « On est arrivé en studio avec beaucoup de matériaux épars et des chansons très souvent incomplètes,

poursuit Sébastien, guitare / clavier du groupe. Pour le même budget que dix jours de studio en France, on pouvait passer trois semaines en Suède. Le temps a été notre seul luxe, notre seule exigence. Pour l’EP, on a enregistré quatre titres en trois jours. Là, on a pu passer deux jours par morceau. » Une prise de risque assumée. "Ophélie", ouverture tonitruante de ce premier album, a ainsi été achevée in extremis. « La composition n’existait même pas avant Göteborg. On avait des fragments musicaux que l’on aimait bien, qui dataient de deux époques différentes. On a osé les mettre ensemble, on s’est rendu compte que ça marchait. Là-bas, on avait composé un piano-voix qui s’est finalement révélé être un super pont. Avoir ce son de bassebatterie, un orgue Hammond et une cabine Leslie complètement dingues, à disposition, ont complètement façonné la physionomie de cette chanson », explique Clément, guitare / clavier, lui aussi. Et Arthur de remarquer : « Chaque titre est une stratification très lente. Cet album est une fermentation, une suite logique de tentatives et d’accidents. » Même mise en danger pour les textes. « Le rythme de la tournée ces derniers mois ne m’a pas laissé le loisir d’écrire dans la longueur, de contempler, d’être linéaire. En revanche, ça m’a permis de collectionner méticuleusement des bribes de pensée. Je suis venu à Göteborg sans avoir mis le fermoir. Il fallait rester dans l’excitation, dans l’effervescence.

« Chaque titre est une stratification très lente. »

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Pour "Harlem", le matin même de l’enregistrement, j’étais en train d’écrire un nouveau couplet qui a changé toute l’histoire », explique-t-il avant d’ajouter : « Notre directeur artistique et notre manageur nous ont rejoints en Suède au bout de deux semaines. On a bien vu dans leur regard que l’on vivait une expérience quasi autistique. On n’utilisait plus que quatre mots. On était effarouché comme des oiseaux surpris dans leur nid. » Partir. Loin. S’enfermer pour écrire la légende. i

Ici le jour (a tout enseveli) Barclay Rarement la langue française déçoit. L’adjectif "alambiqué" figure pourtant parmi les déconvenues. Le Larousse retient : "Qui recherche une subtilité excessive, qui est trop raffiné", faisant peu de cas des passages par le col-de-cygne qui donnent les parfums les plus beaux. Ici le jour (a tout enseveli) est alambiqué en ce qu’il est un précipité chimique aux accords profonds. Un album mordoré, amniotique et boisé, brodé d’accents gainsbouriens, zébré de fulgurances. Capiteux, avec de belles notes de tête, l'album vous enveloppe et on se laisse prendre par son rythme effréné, son souffle littéraire et sa rauque interprétation. Clairement du rock sur lequel on bâtit un grand répertoire.

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ALAIN GIBERT premier album

premier album SUBLIME ORDINAIRE

sortie française le 13 novembre 2015 (Martingale (Martingale // L’Autre L’Autre Distribution) Distribution)

www.alaingibert.fr

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Janice in the noise poupée de son

Supergroupe ? Le casting y ressemble : bassiste de Keziah Jones, guitariste de NTM, batteur de Beat Assaillant et choriste de FFF / Saïan Supa Crew… Pas étonnant que l’équipée rock possède un appétit féroce pour le live.   Samuel Degasne     Michela cuccagna

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oujours pas convaincu ? Prenons le CV de la chanteuse Janice : des origines italo-guadeloupéo-anglaises, des débuts en tant que soprano gospel, plus de 400 dates au compteur (aux côtés de Camille Bazbaz, Phoenix, Dj Medhi et Sinclair — la plupart hors de France) ou encore des premières parties de St Lô, George Benson et Melody Gardot... Il y a tout de même de quoi piquer l’intérêt du badaud. Des faux départs ? La Parisienne en a connu deux : un groupe abstract-soul, il y a 15 ans ; un autre électro-hard 5 ans plus tard. Avant de trouver la bonne formule, mélangeant attitude glam et sons rock. Pourtant, la chanteuse avoue « avoir arrêté d’en écouter ». Non par dégoût, mais par envie de « se supprimer les œillères et s’affranchir des références ». Elle ajoute : « Au fond, je n'ai pas la gueule de l’emploi ; car malgré mes vêtements plus connotés R’n’B, ma vie est vraiment rock'nroll ! »

un premier projet de façon neutre. Dès lors que tu as de la bouteille, on trouve le résultat étonnamment normal… Et puis, on peut être une femmeenfant à 12 ans comme à 40. Tout est une question de spontanéité. Et, en l’occurrence, je n’en manque pas ! » Certains la comparent à Samaha Sam (Shaka Ponk) ou Skin (Skunk Anansie) pour ses mimiques, ses envolées ou sa facilité à alterner sets acoustiques en showcase et concerts rock sous tension. Elle, en passionnée de hip-hop, préfère s’imaginer une filiation avec l’Américaine Santigold : « Une habituée de l’image et une proposition artistique qui, comme moi, se développe sur plusieurs volets et plusieurs styles. » Ainsi, ce premier album en est la pierre inaugurale, dans son versant rock. Rappelant que la volonté initiale était tout de même un « power trio avec un groove urbain ».

« Au fond, je n'ai pas la gueule de l’emploi ! »

Justement, lorsque l’on pointe son physique en décalage avec son âge (avec un tel parcours, cela paraissait évident…), Janice précise qu’elle « ne le donne jamais ». Il ne s'agit guère de coquetterie féminine mais d'un excellent moyen pour déminer les éventuels a priori : « C’est important de juger AUTOMNE 2015

Pour autant, Janice, qui préfère « l’énergie à la colère ou la mièvrerie », dénonce les discriminations « sur un mode simple et direct ». En témoigne le titre "Beautifuly Dangerous", évoquant avec une fausse légèreté les dangers d’une starification précoce. Comme un rappel à l’ordre puisé dans son vécu. Une leçon retenue et digérée qui permet de

mieux se raconter. Car c’est bien de la misogynie, du statut de minorités ethniques ou du sentiment de rejet social que naissent ses textes. Rien ne sert de courir : il faut partir à point ? L’évidence crève les yeux. Ou comment une fable du XVIIe siècle donne aujourd’hui raison à Janice. i Release party, 3 déc. (Maroquinerie, Paris)

Electric X-Ray Productions Cet album a tout du rock hydride coolos à écouter en décapotable. Pour preuve : "Hero" se décline en ballade à cordes avec l’héroïne à la guitare acoustique ; "Beauty And The Beast" sonne aigredoux grâce au duo avec le frontman de Tumi & the Volume — recruté pour « son flow hip-hop très africain » ; ou encore "Emergency", qui bataille avec les synthétiseurs et les chœurs dans la pure tradition eigthies (magnifique break / montée en milieu de morceau). Un premier volume tout en ambiguïté, tant dans les arrangements que dans les textes. Bel hommage à un complexe de Peter Pan qui prend véritablement son envol sur scène.

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EntrEvues

les sommets de

Roscoe

Le rock belge n'a pas trop de soucis à se faire. Avec un deuxième album très class' et planant, les Liégeois de Roscoe assurent la relève. Ce n'est pas du Brel mais les vagues rochers caressent quand même les vagues.    Bastien Brun    Gilles Dewalque

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l y a des héritages auxquels mieux vaut finalement ne pas trop penser parce qu'ils donnent des complexes. Faire du rock en Belgique, c'est nécessairement passer après dEUS, Ghinzu, Girls in Hawaii, My Little Cheap Dictaphone, et toute une flopée de groupes qui ont écrit ces vingt dernières années parmi de belles pages du rock. Alors, quand un petit nouveau arrive sur le devant de la scène, il est forcément ausculté de près, regardé à la loupe. Apparu il y a trois ans avec un disque où se mélangeaient un rock aux tempos lents et un versant plus héroïque, Roscoe ne nous avait pas laissé beaucoup de souvenirs, mais la chose devrait être réparée avec le Mont Royal, qui paraît dans les derniers jours d'octobre en France. Grâce à ce deuxième essai toujours tourné vers les atmosphères planantes, les cinq garçons de Liège creusent une veine électro et rock et le résultat est disons-le tout net, très class'. AUTOMNE 2015

Mont Royal Pias Fini les cassures de rythme et les complications. Pour son deuxième album, Roscoe a gardé les atmosphères vaporeuses, mais a donné à ses compositions l'air dont elles avaient besoin. Son rock électro aux tempos lents fait souffler un vent du nord sur les sommets de ce Mont Royal et on pense souvent à des groupes planants comme Midlake, The Besnard Lakes ou les Norvégiens - trop méconnus - Madrugada. Est-ce que la croix qui domine Montréal y serait pour quelque chose ? En tout cas, ces Liégeois qui souhaitaient sortir de leur zone de confort, y sont parvenus haut la main.

Une filiation avec Midlake

Chez lui au Québec

Qui sont-ils, ces cinq Liégeois ? Leur nom déjà ne ment pas puisqu'il a été emprunté à une chanson du groupe indé américain Midlake et puis, bien entendu, il y a cette musique dans laquelle le décor planté tient autant, sinon plus de place que la mélodie. « On est très influencés par des groupes du Nord de l'Europe, comme Sigur Rós, il faut que chaque chanson ait une atmosphère, un univers », reconnaît Pierre Dumoulin, leur chanteur.

Mont Royal parle de ce mécanisme à double sens de circulation qui « fait qu'on casse la routine, pour se sentir mieux quand on revient à cette routine ». En renouvelant leur manière de faire, les Liégeois ont trouvé une autre efficacité et les chansons sont devenues plus évidentes sans pour autant que les ambiances n'en pâtissent. « Elles sont plus solides et même plus facile à jouer en live », assure Pierre Dumoulin. Les Belges qui ont déjà « enfoncé quelques portes » en France espèrent continuer sur ce même chemin.

Des heures en studio passées à « chipoter autour de un, ou deux sons » afin de créer cette brume électronique et des chansons qui viennent après, cela a longtemps été une méthode de travail. Mais le groupe est sorti de ses rails habituels, notamment porté par sa collaboration avec le producteur Luuk Cox. La rencontre avec le musicien électro a failli ne jamais avoir lieu car Pierre Dumoulin ne voulait pas passer après tout le monde, être le "suivant" sur la liste d'un collaborateur très demandé (Stromae, Girls in Hawaii, MLCD). « J'ai commencé à lui dire que je ne voulais pas travailler avec lui et il m'a répondu : "Ça tombe bien car je n'ai pas aimé votre album" », rapporte le chanteur de Roscoe.

Quant au Québec, ce Mont Royal rappelle que le groupe se sent — à l'image de notre mag' — chez lui dans une Belle Province aux grands espaces insensés. Même s'il chante, comme beaucoup de groupes wallons, en anglais, Roscoe a trouvé un terre d'accueil là-bas et son concert au théâtre du Rialto dans le cadre du festival anglophone Pop Montréal reste comme un beau souvenir. « Je reviendrai à Montréal », dit Charlebois. Franchement, c'est tout le mal que l'on souhaite à ces nouveaux fils de l'air. i LONGUEUR D’ONDES N°76 15


entrevues

Hippocampe fou s'envole !

A droite après la deuxième étoile et tout droit jusqu'au matin, c'est la route que suit Hippocampe Fou pour son deuxième album. Avec Céleste, le rappeur aquatique sort de son bocal sur un tapis volant, Les Chants de Maldoror sous le bras et la B.O. du Magicien d'Oz dans le ghetto-blaster.   Emmanuel Denise     Marylène Eytier

C

hâtelet-les-Halles. Une terrasse de café parisien. Un papa barbu, la trentaine souriante, répond aux dernières questions d'une jeune journaliste. Ce n'est ni la première, ni la dernière entrevue de la journée ; juste après, ce sera le tour de Longueur d'Ondes. Et d'ici une heure ou deux, le chanteur-rappeur-conteur sera sur Inter pour parler cinéma, sa première passion, et de son deuxième album. Un marathon de questions auquel le jeune homme au sous-pull constellé d'étoiles se plie volontiers. « C'est très gratifiant, et en même temps je me dis que c'est mérité, je le vis bien. Le fait d'avoir eu une communauté d'amis sur Internet, grandissant de manière progressive, lente, ça m'a permis de passer des paliers sans être surpris par le succès. » Cinq millions de vidéos vues sur You Tube, des tournées dans plusieurs pays francophones et des invitations de grands médias français... ce sont déjà de belles étapes qui jalonnent le parcours du rappeur aquaphile.

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2002. Sébastien squatte les salles obscures et la fac de cinéma dans l'idée qu'un jour il racontera sur grand écran les mêmes histoires qu'il s'inventait dans la cour de l'école. Le destin s'en mêle : ce sera sur les planches que ses récits rêveurs prendront vie, lors de soirées slam grâce auxquelles le jeune conteur fait ses premiers pas sur scène. 2002, c'est aussi la grande époque de MySpace, un endroit où l'illustre inconnu peut faire découvrir ses morceaux à des milliers d'auditeurs curieux. « Quand tu réalises un film, que ce soit de la fiction ou du documentaire, tu racontes une histoire. Au final, écrire un morceau, c'est aussi raconter une histoire. Au moment où je me suis dit "Ok je vais tenter ma chance dans la musique", j'avais beaucoup plus d'espoir de déboucher sur quelque chose que dans le cinéma, parce que je n'avais pas spécialement de contact. Ce que j'avais produit me semblait trop confidentiel. Avec la musique, j'avais déjà des retours de gens qui sortaient de nulle part grâce à Internet. » L'occasion fait le larron. Quelques mois plus tard, Sébastien a un pseudo, Hippocampe Fou, et un groupe, la Secte Phonétik.

« C'est avec eux que j'ai fait mes premiers concerts, mais ils étaient déjà bien plus avancés que moi. A l'époque je rappais seulement dans ma chambre ou dans des parcs, le soir. Du coup, j'ai eu une petite frustration de ne pas avoir pu vraiment explorer mon univers solo, tout ce que j'avais dans la tête. Au bout d'un moment, j'ai voulu faire mes armes tout seul, j'ai créé des vidéos avec un pote, on a déliré pendant un an. » Petit à petit, Hippocampe Fou se forge un style unique, une personnalité artistique qui permet de le reconnaître sans pour autant le ranger dans une catégorie étriquée.

« Aquarap, aquastyle... J'en avais pas aquamarre, mais presque ! » Ainsi naît l'aquastyle qui mêle légèreté et technique, le rappeur étant capable de petites prouesses d'élocutions. Une net-tape aquatique plus tard, vient l'heure du premier album, Aquatrip, qui ramène des profondeurs le bilan de quelques années de recherches stylistiques dans les abysses. AUTOMNE 2015


Le problème, quand on se fait connaître avec un concept aussi particulier, c'est de ne pas se laisser enfermer dans un rôle que l'on ne voudrait plus jouer. Pour le deuxième album, Céleste, l'Hippocampe décide donc de prendre de la hauteur en s'élançant vers le ciel : une manière de se renouveler sans rompre la cohérence de son univers fantastique, onirique et surréaliste. « Au bout de quelque temps j'ai fini par me dire : bon, aquatrip, aquastyle, aquamerci, ça aquassufit... J'en ai pas aquamarre, mais presque. Le fait de partir dans un univers céleste était dans la logique et dans la continuité. C'est comme si je faisais partie de l'univers marin ; comme si l'eau de mer s'évaporait et que, tout d'un coup, je me retrouvais dans les nuages, avec ensuite un passage par la terre. » Comme l'histoire de la vie sur la planète, le parcours d'Hippocampe Fou commence dans les profondeurs. Après plus de dix ans de maturation au fond des océans, le style de l'Hippocampe se laisse pousser des ailes au gré des mutations et prend le continent d'assaut, progressivement et naturellement. L'évolution logique et saine d'une espèce qui grandit et se porte bien. i

celeste Pias Dans une discipline où les artistes se distinguent par la qualité de leur flow, l'aquastyle a quelque chose d'évident. La façon de rapper d'Hippocampe Fou glisse sur les beats comme on nage dans les nuages, montant, descendant, accélérant ou ralentissant au gré des vents favorables. Le thème du voyage est décliné tout au long de l'album, qu'il soit vertical "La Estrellas", horizontal "La grande évasion", temporel "Chasse au sorcières" ou intime "Arbuste généalogique". Onze titres grâce auxquels l'Hippocampe explore des horizons sonores très différents, de la bossa nova au Sud des États-Unis, de l'Égypte antique au Pays des Merveilles.

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entrevues

je te salue,

Puts Marie Soyons honnêtes, avant ces derniers mois, peu de monde avait entendu parler de Puts Marie. Le constat est plutôt étrange pour un groupe existant depuis quinze ans, sauf que ces cinq Suisses ne font pas exactement les choses comme les autres. Voici donc six raisons — subjectives — prouvant que Puts Marie est peu académique, mais génial.    Bastien Brun     Marylène Eytier, élise Schipman

1/

Puts Marie vient de Bienne. Bienne, ce n'est pas Vienne et on ne parle pas de valses. La plus grande ville bilingue de Suisse (français / allemand) est une capitale de l'horlogerie, comptant les usines Swatch et Rolex, mais c'est aussi une scène culturelle qui bouge. « Il y a beaucoup de musique, beaucoup de styles et le rap, c'est un truc énorme ici », assure le guitariste Sirup Gagavil. Contre toute attente, s'il a grandi au pied du Jura dans une cité tranquille de 40 000 / 50 000 habitants bordée par un lac, Puts Marie a donc baigné dans la culture hip hop.

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2/ Puts Marie a commencé par faire n'importe quoi. Quand il a débuté voilà plus de quinze ans, le groupe est d'abord parti dans tous les sens. « Au début, on était un trio assez bizarre, avec guitare, saxophone, batterie, c'était vraiment expérimental, on se permettait tout, poursuit Sirup. Pendant un moment, on a eu un bassiste, mais ça n'a pas marché, et puis finalement, on a trouvé Max, notre chanteur. On a continué à quatre et puis en 2007, y'a Benni qui s'est ramené au Farfisa (un clavier de marque italienne pas loin de l'orgue Hammond et du Fender Rhodes). Mais c'était un hasard, on était

dans une production de disque. » Le groupe s'est désormais centré sur un rock rugueux et ce n'est pas tant le bazar que ça. 3/ Puts Marie n'a pas fait que de la musique. Après une première partie de carrière au milieu des années 2000 durant laquelle il a "autoproduit" ses disques, signé sur un obscur label allemand basé à Francfort — Hazlewood records —, tourné partout en Suisse, en Allemagne et au Bénélux, Puts Marie est passé à autre chose. « On n'en a pas vraiment parlé, mais au fond de nous, c'était clair qu'il ne

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s'agissait pas d'une séparation », explique Sirup. Pendant ce laps de temps, le chanteur Max Usata est parti à New-York pour faire une école de théâtre, le batteur Nick Porsche s'est lancé dans un projet solo et Sirup a ouvert un magasin de guitares. What else ? 4/ Puts Marie a un chanteur dans la lune. Il arrive sur scène comme il est dans la vie, avec un tee-shirt et des fringues informes beaucoup trop grandes pour lui, et alterne entre le chant et une batterie sur laquelle il se défoule. Le chanteur Max Usata est un astre lunaire qui plane gentiment au-dessus de son groupe autant qu'il le porte. La fêlure de sa voix joue pour beaucoup et, derrière, ses acolytes lui fabriquent une belle piste d'atterrissage. Il y a donc des moments grandioses et puis d'autres, beaucoup plus inégaux. Au dernier Printemps de Bourges, par exemple, le show tarde à décoller, cependant le titre Obtuaries restera sans conteste l'un des plus beaux moments du festival, toutes scènes confondues. 5/ Puts Marie ne donne pas de l'électro-pop à la mode (on lui en sait gré). Ils jouent un rock simple faisant référence aux années 90 ou au blues hanté de Tom Waits, et ça fait du bien. Il y a des atmosphères noueuses et un son sale que le groupe enregistre sur bandes. Explications de Sirup : « J'ai un petit studio, avec un enregistreur à bandes et je fais de la prise de son en analogique. La différence entre le numérique et l'analogique, c'est qu'avec les bandes, tu as un son énorme qui sort des baffles. Tu as aussi un territoire à exploiter qui n'existe pas en numérique. En analogique, quand le son est trop fort, après le zéro, les bandes vont compresser et après, il y aura une saturation. Même cette saturation sera jolie. » 6/ Puts Marie a des clips détonants. Avant de prendre son nouveau départ avec son Masoch I-II (lire ci-dessous), c'est le clip de la chanson « Pornstar » — un tube en puissance — qui a fait parler de lui. Dans cette vidéo, le groupe recrée un cabaret à mi-chemin de la boîte de striptease et du club échangiste. « On voulait montrer une certaine ouverture, et puis, ce n'est pas lisse. Dans les publicités, tout est beau, les nanas sont hyper bonnes. Dans notre clip, il y a des personnes obèses, des vieux, c'est plus le quotidien... et on nous dit que l'on ne peut pas le passer à la TV ! Mais quand on voit la différence entre la publicité et la vie réelle, ça crée aussi des problèmes. Nous, on voulait faire quelque chose qui va contre ce mouvement-là », justifient-ils. En musique aussi, les aspérités ont du grain. i

Masoch I-II Two Gentlemen / Differer-ant D'un côté, le calme, les mélodies léchées, de l'autre, la furia d'un rock pour les charmeurs de serpents à sonnette. Au départ, Puts Marie devait livrer deux EP, mais de fil en aiguille, Masoch I et Masoch II, ont formé un disque d'un seul tenant. Sur ces douze titres tout en anglais, le groupe s'inspire du blues rugueux et, entre les lignes, du rap. Sans se soucier des modes, ni de l'air du temps — comprendre : de l'électro-pop et de ses déclinaisons en tous genres —, il livre un disque intense, à la beauté cabossée.

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DÉSORMAIS DISPONIBLE : En digipack 2 CD En coffret Deluxe “édition limitée et numérotée” 2 CD, 2 DVD & livret de 60 pages

Inclus le single inédit “Triceratops”, tous les tubes, des inédits, raretés, versions alternatives, etc.

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Le documentariste Noël Magis a suivi le groupe durant plusieurs mois. Est né un film témoignage. Sa discrète caméra a su se faire oublier et permet au spectateur d’être le témoin de moments intimes extrêmement forts. « Il a été question de le sortir en même temps que l’album, parce qu’il se trouve que le film s’appelle Subland. C’est le nom de l’endroit où l'on avait notre studio à Berlin. Et notre album s’appelle Dolziger str.2, qui est l’adresse où l'on habitait. Nous faisions ce trajet-là tous les jours. Mais nous avons préféré attendre pour ne pas bafouer une partie de l’imaginaire de nos fans, avec des images. »

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EntrEvues

Un album mature, du son qui tape et des textes épurés… Le groupe quitte pour de bon le monde du rap, pour entrer dans la sphère chanson. Fini les samples et les flots de paroles. Alix, Jaco et Mattia pèsent chacun de leur mot, de leur son et ne laissent aucune place à l’aléatoire.    Johanna Turpeau     Mathieu Nieto

Odezenne

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otalement libres, ces alternatifs gravitent dans le milieu de l’indépendance depuis des années. Pour concevoir leur nouvel opus, ils ont choisi de s’expatrier sept mois à Berlin car c’est la capitale la moins chère d’Europe. La ville leur a offert un havre de paix, propice à la débordante créativité qui les caractérise. « On avait besoin de couper avec le travail parce que l’indépendance, c’est quand même très aliénant. La solution était de perdre tous nos repères, pour retrouver le rythme de l’écriture. C’est bizarre parce que, quand on nous demande si Berlin nous a influencés, on répond tout de suite non, car on n’a pas spécialement rencontré de gens, à part les barmen entre le studio et la maison. Et au final, un an et demi après, lorsqu'on écoute les sons enregistrés là-bas, ils sont vraiment différents de ceux que l’on fait ici. Le vieux rock, le son des années 80, ça a dû nous inspirer ! » En prenant ce virage à 180 degrés, le groupe bordelais a bien l’intention de taper haut et fort. Depuis des années, ils attendaient ce moment de maturité artistique. « Sur Ovni et Sans chantilly, on écrivait chacun nos textes de notre côté. Sur Rien, on a commencé à se relire les uns les autres. Et sur celui-là, on les a écrits à deux. La différence aussi, c’est que l’on a tout rédigé sur les musiques. On est toujours avec Mattia quand il crée. Donc, on est à l'écoute. On pond quatre lignes. On va l’enregistrer sur le téléphone. On l’essaie, comme un groupe qui répète. Il y a moins de mots aussi. Dans le rap, il y a un côté un peu "éjaculateur précoce" qui ne nous correspond pas ». AUTOMNE 2015

toujours plus loin, toujours plus haut ! « Sans chantilly, cela voulait dire sans fioritures, sans superflu ; et en fait, c’est ce que l’on fait maintenant. Depuis le début, on aspire à cette étape, ce qui prend du temps. » Leur plume paraît très premier degré ; pourtant, les différents niveaux de lecture sont sans équivoque. « On s’est trop régalé là-dessus. On a mis en place des procédés de versification bien spécifiques. C’est bourré de contraintes, et même si cela semble être écrit par un enfant de 4 ans, c’est ultra pensé. » Au niveau du son, Odezenne a investi dans des machines analogiques telles que des synthés ou des boîtes à rythmes mythiques. Le groupe a également fait un gros travail sur les voix. Alix, l’un des deux paroliers, est plus mélodique que sur les albums précédents. « On avait cette idée de faire de la musique et des chansons un peu moins couche sur couche. » Inventif et jusqu’au-boutiste, le trio a révolutionné le monde de la musique en s’imposant sur la toile, jusqu'à enfin attiser la curiosité des majors. À presque 35 ans, leurs choix sont assumés et personne ne peut imaginer les faire changer de route. Les nombreuses expérimentations d'Odezenne ont donné au groupe une assise irréfutable. Pendant une petite dizaine d’années, Alix, Jaco et Mattia ont ainsi navigué à vue dans le milieu de l’indépendance. « En 2007, on a fait tourner quelques démos

et ça ne prenait pas. Du coup, on a dû s’organiser tout seul. Tu crées une asso pour sortir ton premier album, et tu ne te rends pas tellement compte que tu es en train de créer un label et produire un disque. C’est par la force des choses que l’on s’est organisé de telle manière, mais on a pris plaisir à le faire. Le problème est que cela prenait pas mal de temps ! On a fini par franchir le pas puis signer une licence d’exploitation sur cet album dans la maison de disques indépendante Tôt ou Tard. C’est borné dans le temps, très cadré et surtout ça garantit une totale indépendance de production. Aujourd’hui, Odezenne est signé officiellement sur Universeul, notre label, ce qui n’était pas le cas avant ; on peut donc se concentrer sur tout le contenu artistique et l’esthétique du groupe qui nous a toujours fait kiffer. » Interdisciplinaire, Odezenne s’attaque à toutes les formes d’expression. D’ailleurs, leur nouveau "dada" est de mettre sur pied un atelier itinérant qui mélangerait l’image, le son et l’écriture. Ces contenus alimenteront un site Internet un peu expérimental. « L’idée consiste à faire une sorte de cahier de brouillon, mais public, avec des chansons, des billets d’humeur, de la vidéo, du texte, des bouts de musique, des petites expériences qui refléteront notre humeur, notre état d’esprit à un moment donné… » i LONGUEUR D’ONDES N°76 21


entrevues

VKNG

missile solaire Dans Dragon Ball Z, les guerriers Super Saiyen pouvaient fusionner, au terme d’une très précise chorégraphie, pour ne former qu’un seul combattant surpuissant. La série télévisée popularisait ainsi un concept de physique : la coalescence. VKNG, le duo formé par Thomas de Pourquery et Maxime Delpierre, n’en est qu’un nouvel avatar. Hédoniste, charnel et architecturé.   Sylvain dépée     Michela Cuccagna

A

u (premier) commencement, il y a une rencontre au bar du Baiser Salé, l’un des mythiques clubs de jazz parisiens. Nous sommes à la mi-temps des années 90. Miles Davis est mort depuis peu, le grunge s’est officiellement suicidé d’une balle dans la tête et Nina Simone reste une

« Faire des chansons comme on se construirait une cabane dans un arbre parce que l’on est des pirates ! » 22 Longueur d'ondes N°76

reine infréquentable. Maxime Delpierre et Thomas de Pourquery ont une vingtaine approximative. Ils courent le jam toutes les nuits. L’un avec sa guitare, l’autre avec son sax. Ils ne posent leur instrument que pour se ravitailler au stand de crêpes de la rue des Lombards, sous le regard bienveillant des videurs de la rue Saint-Denis. Leur complicité s’affûtera ensuite au Studio des Islettes à Barbès et aux Falaises, un squat dans lequel ils jouent « pendant des années, toutes les nuits, toutes les musiques ».

Au (second) commencement, il y a un diner chez la chanteuse Alice Lewis à la mi-temps des années 2000. La soirée est bien attaquée, les bouteilles aussi. Et Thomas de Pourquery se met au piano. Il chante "We are the Ocean", une de ses chansons. « Il m’avait caché qu’il écrivait. Je l’ai enregistré avec mon portable — c’étaient les débuts de la vidéo sur téléphone. Je l’ai réécouté un nombre incalculable de fois. Ce morceau est génial ; il a une telle vibration », se souvient Maxime Delpierre. Il faudra une quasi décennie supplémentaire pour AUTOMNE 2015


EntrEvues

Illumination Naïve Rien d’hirsute, rien de cruel, rien de froid chez ces VKNG. Leur premier album est une longue prière au soleil et à la chaleur humaine qui croise l’électro-rock de LCD Soundsystem et la soul de Marvin Gay, l’efficacité pop de David Bowie (époque "Let’s dance") et l’affolante rythmique de Bronski Beat. C’est aussi un banquet joyeux où s’attablent le temps de "Girls don’t cry", Olivia Merilahti, chanteuse de The Dø, et l’ombre de Brigitte Fontaine dont la liberté a nourri l’écriture de Thomas de Pourquery. Épidermique et architecturé, Illumination est un anti-gerçures, précieux allié pour traverser les vents mauvais et les hivers intérieurs. Une luminothérapie sonique, chaudement recommandée.

que le leader de Limousine propose d’habiller ces chansons qui se composaient en secret. « L’aventure VKNG, ça n’était qu’un projet discographique, au départ. VKNG, c’est un accident miraculeux. On se l’est juste permis. On a arraché cinq jours à nos emplois du temps et on s’est barré un dimanche soir, direction Quiberon et une maison en bord de mer. On avait des concerts à la fin de la semaine, des projets à boucler. Mais, on est parti sans savoir du tout ce que l’on allait faire. On écoutait Of Montreal et Ariel Pink et on aurait bien voulu faire un AUTOMNE 2015

album très lo-fi. On a été surpris par la tournure des choses. Chacun surenchérissait d’idées et on a laissé l’aventure prendre le dessus. » Quitte à jouer une nouvelle fois la valse des étiquettes : « "Pop" et "jazz", c’est pareil ! ça ne veut rien dire ! Et ça nous arrange bien. On s’accapare ce qualificatif comme on a envie, poursuit Maxime Delpierre. Faire de la pop, c’est pouvoir s’enfermer dans une maison, ne rien demander à personne, que personne n’attende rien de nous, que l’on ne sache jamais si quelqu’un va entendre ce que l’on est en train de composer ;

mais sur le moment, les mains dans les machines, c’est pouvoir se prendre pour U2 ou Kanye West à Los Angeles ! Comme les enfants, on s’amuse à croire. C’est faire des chansons comme on se construirait une cabane dans un arbre parce qu’on est des pirates ! » Ainsi, la pop de VKNG invoque davantage la spontanéité de l’astuce, la joie et le plaisir partagés que les froids calculs de stratège. « Au moment où l'on construit les chansons, dès que l’on réfléchit avec un troisième œil au dessus de soi, ce n’est plus possible. On s’engouffre dans un chemin mortuaire. Ça tue le charme, tranche Thomas de Pourquery. Il faut faire les choses avec beaucoup d’amour, de désir. Il faut les faire en rêvant ; il faut les faire en amateur. VKNG, c’est ça ! VKNG, c’est l’été ensoleillé, la fraicheur et les tuyaux d’arrosage ! » i LONGUEUR D’ONDES N°76 23


entrevues

Abd Al Malik

rencontre du 3e type Écrivain et réalisateur à ses heures, le slameur revient avec un cinquième album solo, Scarifications. Mais, si les rythmiques sont toujours le fait de son frère aîné Bilal, les mélodies, elles, ont été confiées au pape de la house française : Laurent Garnier.   Samuel Degasne    Fabien Coste

T

ête qui dodeline, regard habité, timbre doux et phrasé syncopé… Interroger Abd Al Malik, c’est chaque fois avoir l’impression de le voir ou l’entendre slamer. Avec toujours cette habitude de contextualiser son propos et de ponctuer ses souffles de punchlines, s’excusant continuellement de tout ce qui pourrait paraître immodeste. Cet été, c’est son visage impassible qui s’est affiché en marge des Francofolies de La Rochelle aux côtés de Laurent Garnier. Noir & blanc de rigueur Vs hip-hop & house, le teaser en papier glacé a éveillé les curiosités. Pourtant, leur association date d’une dizaine d’années : une rencontre fortuite lors d’un concert, puis un duo improvisé dans un festival de jazz et la promesse de se recroiser... « Jusqu’au jour 24 Longueur d'ondes N°76

où je cherchais une couleur précise pour mon film (l’autobiographie Qu'Allah bénisse la France, ndla) », précise Abd Al Malik. « Qui mieux alors que Laurent Garnier pour l’illustrer ? » Le résultat, singulier, l’incite à poursuivre au-delà de la B.O. Mélanger électro et slam ? L’exercice en rappelle d’autres, notamment les bandes originales des films Judgment Night (1993, réunissant la crème rap et rock) ou Spawn (1997, avec artistes métal et DJs électro). « Nous partageons avec Laurent un rapport encyclopédique à la musique. Run DMC, Afrika Bambaataa,

Kraftwerk… Ce sont bien sûr des éléments fondateurs de mon apprentissage. Mais il n’y a pas eu, ici, la volonté de copier tel ou tel concept : ce fut naturel. N’oublions pas que le hip-hop a une culture du sample… » Le résultat se décline dans Scarifications, un album au nom des plus étranges. « J’y évoque mes cicatrices (infligées ou non). C’est également l’idée de procéder à un rituel, mais avec AUTOMNE 2015


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passivité. De raconter une histoire en distinguant les marques et les blessures. De rebondir sur les leçons retenues, plutôt que sur des plaies encore béantes. » Deux hommages, à fleur de peau, sont d’ailleurs rendus sur cet album, à commencer par Juliette Gréco : « C’est ma marraine. Avec son mari, Gérard Jouannest (compositeur de Jacques Brel, ndla), ils m’ont ouvert les bras à l’époque de mon deuxième album Gibraltar. Il y a une vraie admiration de ma part pour ces deux légendes, sans cesse modestes et fuyant la nostalgie. » Puis, Daniel Darc. « C’était un frère. Il me faisait penser à un grand du quartier. L’héroïne, tout ça : j’ai connu. J’avais été bouleversé en voyant Crèvecœur sur scène. Puis, j’ai eu la chance de participer avec lui aux concerts des Aventuriers d’un autre monde (2006-2007, à l’initiative de Richard Kolinka, avec Aubert, Bashung ou encore Cali, ndla). C’était quelqu’un de très cultivé, très spirituel. On s’est échangé une bague berbère et un collier avec une croix. On avait même un projet en tête ! Mais voilà... Quand il est mort, j’étais en tournée. J’avais écrit un texte, mis de côté jusqu’à aujourd’hui… » Ce qu’Abd Al Malik a en commun avec ces personnalités ? « Être entier, évidemment. Ne jamais mentir, ni se renier. Il n’y a aucune différence entre notre représentation médiatique et ce que nous sommes. A l’heure d’Internet, il est important de rester réel. » Précisant qu’il a aussi beaucoup pensé à DJ Medhi (Ed Banger records), décédé en 2011. Est-ce à dire qu’il ne regrette pas ses propos sur Charlie Hebdo (Le chanteur estimait dans un texte d’une vingtaine de pages, publié en février, que le journal, malgré son « acte démocratique par excellence parce qu’éclatant symbole de la liberté d’expression », a « clairement contribué à la progression de l'islamophobie, du racisme et de la défiance envers tous les musulmans ») ? On imagine aisément le slameur assumer ses propos, mais cette prise de position n’a-t-elle pas parasité son discours général ? « En aucune manière, répond-il du tac-au-tac. Je suis un être humain, avec ses défauts et ses qualités. Si je me parasitais moi-même, ce ne serait pas cohérent. Je suis un ensemble, toute proportion gardée. Je n’oblige personne à penser comme moi. Je ne suis ni dans la stratégie, ni dans le désir de blesser les gens. Et c’est aussi ça, être entier. » i

LE PROJET SOLO DU CHANTEUR DE LA CASA "MAZARIN… DERRIÈRE LE NOM DE SCÈNE CARDINAL, IL Y A UN ARTISAN, UN ALCHIMISTE : PIERRE LE FEUVRE. ECHAPPÉ DE LA CASA IL DÉCIDE DE MENER EN SOLO SA PETITE EMBARCATION VERS UN PAYS OÙ LE CIEL Y SERAIT LÉGER, FOLK ET ÉLÉGAMMENT ÉLECTRONIQUE, PRESQUE POINTILLISTE DANS UN ÉCRIN DOUCEMENT BAIGNÉ DE CLAVIERS, DE GUITARES ET D’UNE BASSE FEUTRÉES, AÉRIENNES, CRÉANT UN DISQUE DE POCHE, MORDORÉ, DOUX AMER."

INCLUS LES SINGLES : “CE N’EST RIEN DU TOUT” “LE TEMPS COURT” ET “LA MER”.

Scarifications Pias « J’ai toujours cherché à repousser les limites du hip-hop », confie l’artiste. C’est encore vrai ici, en associant deux styles musicaux issus des platines. Deux genres réunis après de longues aventures émancipatrices. Résultat : treize titres, aux rythmiques très hip-hop, qui jouent serrés. Le flow n’a peut-être jamais été aussi rapide, excluant les envolées instrumentales. Ou comment se réinventer en compagnie d’un DJ dont « la black music et le jazz » restent un ancrage commun. Pour mieux s’en défaire ensuite. Et la scène ? « Le disque est une aventure. Le concert en est une autre. Préparez-vous : on réfléchit à quelque chose de très singulier… » On prend date. Sortie : 6 novembre 2015

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PREMIER ALBUM SORTIE LE 09/10/2015

— EN TOURNÉE DANS TOUTE LA FRANCE DÈS L’AUTOMNE — 09.10 ZENITH NANTES / 1ERE PARTIE HF THIÉFAINE 10.10 LE LIBERTÉ RENNES / 1ERE PARTIE HF THIÉFAINE 11.10 LE VINCI / TOURS / 1ERE PARTIE HF THIÉFAINE 29.10 SOIRÉE FRANCOFANS / LE BIPLAN / LILLE 06.11 FESTIVAL MOTS ZIC SOUS LES PINS (56) 07.11 FESTIVAL BLIZZ ART (61) 10.11 SOIRÉE FRANCOFANS / LES MALASSIS / BAGNOLET (93) 19.11 ANNECY / ARCADIUM / 1ERE PARTIE HF THIÉFAINE 20.11 BESANÇON / MICROPOLIS / 1ERE PARTIE HF THIÉFAINE 26.11 BOURG EN BRESSE / EKINOX / 1ERE PARTIE HF THIÉFAINE WWW.MAZARIN-MUSIQUE.COM

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DISTRIBUTION EXCLUSIVE

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Marylène Eytier / Romain B. James / éphémère

eN couv

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EN couv

Benjamin Lebeau et Guillaume Brière, alias The Shoes, sont définitivement les fils de leur temps. Avec Chemicals, les deux Rémois reviennent avec dix morceaux hybrides puisant dans les sonorités de la fin des 90’s / début 2000, créant ainsi leur propre style.   Serena Sobrero

B

enjamin et Guillaume sont du genre à terminer la phrase de l’autre, comme un vieux couple. C’est d'ailleurs un peu le cas puisque le duo a créé un premier groupe ensemble à l’âge de 15 ans dans leur ville natale de Reims. Depuis, que de chemin parcouru ! Producteurs (Gaëtan Roussel, Woodkid, Philippe Katerine et… Shakira pour le tube planétaire "Loca"), paroliers, remixeurs (Pharrell Williams, Etienne Daho) et musiciens, ces touche-à-tout passent d’un univers à l’autre avec aisance et éclectisme. Quant à leur premier opus, Crack my bones, sorti en 2011, il a été couronné d’un succès à la fois public et d’estime, ce qui a valu au groupe de faire salle comble à l’Olympia.

Artisans entertainers Ces fous de studio — Benjamin s’autoproclame avec humour « le Phil Spector de ma rue, geek de vieux claviers et de vieux sons » — offrent, sur le deuxième album, un nouveau visage aux disques de leur adolescence : « C’est toute une influence que l’on n’avait pas mise dans notre premier album : Underworld, Chemical Brothers, Björk… ». Trip-Hop, hardcore, new wave, hip-hop se croisent sur Chemicals — parfois dans un même titre ! "Whistle", qui résume à lui seul l’esprit du disque, est ainsi un « morceau à tiroirs : c’est balearic, krautrock, acid sur la fin, on a tout mis dedans ». Une savante alchimie bien dosée, d’où le titre de l’album qui est « une référence aux Chemical Brothers, mais aussi à un laboratoire où l'on fait des tests. On essaie de rendre hommage à des musiques que l’on aime en mettant notre grain de sel dedans, ainsi que des accidents ». AUTOMNE 2015

Ce disque, mixé entres autres par Julien Delfaud de Superdiscount, est de l'aveu des Shoes « plus dark, plus radical, sans concession. Nous avons essayé d’être moins dans le beau, mais toujours avec un côté pop ». Car c’est effectivement de leur âme pop dont il est ici question : « Nous faisons des chansons attachées à une écriture classique mais emballées différemment » clame Guillaume. Tous les featurings proviennent de l’underground. De là naît une aventure collective où chaque artiste apporte ses lyrics, ses idées de mélodies ou d’instruments, « comme sur les albums de rap, dans un processus de création hasardeux, sans formule, ce qui fait sûrement notre force... ». Le studio du groupe se transforme alors en un lieu d’expérimentation des sons de notre époque dans lequel ces deux lieurs de style font du collage et du bricolage : « Nous sommes des artisans qui fabriquons des objets », précisentils en chœur.

« Plus dark, plus radical, sans concession ; moins dans le beau, mais avec un côté pop. » LONGUEUR D’ONDES N°76 27


Ismaël Moumin

Star system "Time to dance", issu du premier album des Shoes, a connu un succès international avec un vidéoclip mettant en scène l’acteur Jake Gyllenhaal ; depuis, les médias hexagonaux s’emballent à chaque nouvelle sortie. Leur remix "pirate" de Kanye West (ils sont fans du producteur) a eu plus de 300 000 écoutes sur Soundcloud… à croire qu’ils ont touché les étoiles. Ce n’est pourtant pas de l’avis du duo : « Stromae, Christine ont eu un succès énorme ! Nous, on a un succès d’estime qui nous convient très bien ». Ils craignent le difficile exercice du deuxième album et prennent en exemple leurs acolytes de The Bewitched Hands : « Leur second disque, malgré sa qualité, n’a pas eu le retentissement qu’il aurait dû avoir. En France, pour les formations de notre catégorie, ce n’est pas toujours évident, on est vite oublié. » Petite anecdote : The Shoes a réalisé un morceau avec Charli XCX (pop star du moment) qui… ne sortira jamais. Via leur ami Woodkid, le groupe s'est retrouvé en contact avec la star qui a posé sa voix sur une instru : « C’était un tube à la Beyoncé, un truc de dingue » s’extasie Guillaume. Entre temps, elle est devenue énorme aux USA (top 10 du Billboard) et a gentiment précisé à Guillaume et Benjamin qu’elle ne voyait pas l’intérêt d’apparaître sur leur album : « Après, je préfère qu’il n’y ait pas de Charli XCX sur mon disque, qu’on n’ait pas besoin d’avoir de gros featurings pour que les gens aiment notre musique. » Pas question de ne fonctionner autrement qu'à la passion. Guillaume avoue d'ailleurs avoir été blessé par une critique du premier album mettant en doute sa sincérité musicale, car même s'ils ont eu « une période de grandiloquence », cela ne ressemble guère aux deux musiciens : « Nous ne voulons pas que les featurings prennent le pas sur nos chansons. Nous avons l’ambition de faire un album de The Shoes ». 28 Longueur d'ondes N°76

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EN couv Amusés, fascinés par le monde qui les entoure, Benjamin et Guillaume se réapproprient diverses musiques issues de la culture populaire pour mieux les détourner, mettant un coup de pied à l’élitisme : clin d’œil au Thunderdome (qu’ils n’écoutaient pas à l’époque) sur "Drifted" et à l’EDM sur "Us and I", ce dernier étant un trompe-l’œil : « L’EDM est une musique dégueulasse qui nous est étrangère… Mais elle nous a fascinés. On a eu le désir de s’amuser avec l’esthétique de ces tubes mainstream et de reprendre ses codes en y apportant un côté Joy Division. » L’humour est par ailleurs primordial dans tout ce que les deux musiciens réalisent. Atypique, paradoxal et libre, cet univers résulte d'un talent, celui de ne jamais basculer vers l'outrancier ou le trop confidentiel : « On a envie que notre mère autant que notre pote underground puissent aimer notre musique ». Ils incarnent un point de convergence entre le mainstream et l’underground, débat dont ils n’ont « rien à foutre. C’est un truc très français, on peut dire par exemple que nous avons voulu faire de l’EDM alors que ce n’est pas ça ».

Vu par Tahiti Boy And The Palmtree Family « La nouvelle scène électro française est très intéressante avec des formations comme Superpoze. Je connais bien The Shoes, ce ne sont pas des nouveaux arrivants dans le paysage électronique français et leur nouvel album va cartonner. Ce disque s’autorise des passages assez minimalistes et résolument expérimentaux. La reconnaissance publique et critique de leur précédente production Crack my bones leur laisse à présent une plus grande liberté artistique. Je pense que cela fait 20 ans que l’on parle d’une nouvelle scène électronique française. Le récent documentaire réalisé sur Daft Punk démontre que ce courant sonore n’en est pas à sa première vague. J’ai eu l’occasion de collaborer sur des disques estampillés Ed Banger, Institubes ou Kitsuné, la sainte trinité des labels parisiens et on a pu évoquer un certain âge d’or de la musique électronique française avec ces trois maisons de disques. Il faut bien comprendre que pour qu’un label signe un artiste, il a besoin qu’une scène se renouvelle et cela quelque soit son genre. C’est pourquoi on peut actuellement constater une émergence du courant dit synth-pop dans le paysage sonore francophone. Le synthétiseur est du reste un instrument très attirant, il faut donc comprendre l’envie des jeunes groupes de s’en emparer. »  Julien Naït-Bouda

chemicals Labelgum Sur leur deuxième opus, le duo rémois a voulu « créer beaucoup de contrastes » et ces liaisons anachroniques fonctionnent comme sur "Submarine", morceau trip-hop déviant, et "Feed The Ghost", hip-hop électronique aux relents mélancoliques digne d’une sortie du label Ninja Tune. Les différents featurings amènent les titres dans un autre univers, tel celui avec Sage qui propulse "Drifted", à la structure hardcore, dans les confins du spleen (le groupe raconte que « l’image de ce titre, c’est John Lennon en boite de nuit belge sous ecstasy »). Cette alchimie musicale invite l’auditeur à voyager dans ses souvenirs, passés au crible d’un son du présent.

Michela Cuccagna

« Et notre côté humoristique et punk se retrouvent en live » précise Benjamim. Sur scène, le duo dévoile « l’aspect rock de leur formation, avec un set moins électro que le précédent et un engagement physique plus important. On veut que le public s’amuse ». Guillaume souligne d'ailleurs : « J’aime à penser que nous sommes des "entertainers". » Et à la question d’inviter Shakira pour chanter sur un de leurs titres, ils préfèrent « faire découvrir des artistes comme Blue Daisy, Petite Noir ou Postaal, qui sont encore confidentiels en France... ». Comme le disent ces "artisans-entertainers" qui confrontent notre époque forcément hybride à un miroir : « Le fait de mélanger des choses qui n’ont rien à voir, au bout d’un moment cela peut créer une identité, un son également ». Pari réussi. i

Romain Corvez

Des enfants de la "pop culture"

AUTOMNE 2015

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coulisses La francophonie

dans (presque) tous ses états

Langue maternelle d’usage, administrative, d’enseignement ou choisie, le français est employé dans plus de 80 pays. Actuellement 5e au rang mondial, on estime qu’il sera parlé par 8 % de la population mondiale en 2020 (1 personne sur 13 !). Or, suivant les lieux de pratique, les enjeux sont à chaque fois différents... Et pour vous, la francophonie, c’est quoi ?  e   Samuel Degasne AUTOMNE 2015

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couliSSes dossier

France « Le refus de l’uniformité » Annick Girardin, secrétaire d'État à la Francophonie

Québec « Un militantisme de survie » Hélène David, ministre de la Culture, de la Protection et de Promotion de la langue française « Nous fêtons cette année les 10 ans du plan de sauvegarde des œuvres culturelles francophones. Cette thématique a toujours été une motivation politique, ne serait-ce que par rapport à notre histoire : le Québec est une ancienne colonie française dans un Canada étant lui-même ancienne colonie anglaise. Or, le Québec a une importance fondamentale dans la création canadienne. Il s’agit donc d’un militantisme de survie et d’une fierté. Aujourd’hui, nous sommes 8 millions de locuteurs.

Bruno Chapiron / MAEDI / éphémère

« La francophonie est un lien concret entre les peuples américains, asiatiques, africains et européens. Nous serons plus de 750 millions de locuteurs en 2050 ! C’est un atout, un vecteur de solidarité et d’échanges. C’est vouloir la diversité, refuser l’uniformité et le renfermement. Je viens de SaintPierre-et-Miquelon, archipel français d’Amérique du Nord. Nous sommes ainsi, comme d’autres, très attentifs au choix de la langue.

Je crois profondément en une francophonie utile. Ce fut d’ailleurs le sens de mon courrier aux entreprises, le 18 mars, pour lutter contre l’anglicisme dans le monde du travail. Oui, la langue française se nourrit d’autres langues, mais elle ne doit pas être dénaturée pour autant. Surtout que le français est la 3e langue des affaires. De même que le poids des compositeurs francophones à l’étranger est réel. Montrons nos capacités ! Travaillons les prises de conscience ! Les quotas de chansons francophones sur les radios [ndla : 40 %, voté en 1994] restent un minimum. On peut pousser plus loin… Nous bénéficions d’outils incroyables : 96 Instituts français dans le monde, 445 Alliances françaises, France24, TV5Monde… Tous font la promotion de l’action culturelle à l'extérieur de la France. Le français n’est pas une langue du passé : ce doit être un combat. Restons pragmatiques et soyons contre tout ce qui est définitif. Nous y gagnerons. Fin 2015, les francophones ont l’occasion de s’unir pour peser lors du sommet sur le climat, à Paris… » 32 Longueur d'ondes N°76

Michela Cuccagna / éphémère

Annick Girardin

en sorte que notre culture soit véhiculée à travers le monde. La seule différence avec vous, c’est que, pour y parvenir, nous faisons davantage appel à des fonds et au mécénat. Le but est de rayonner, de créer de la richesse et de l’éducation. Si l’air du temps est désormais le bilinguisme (surtout chez nous), faisons en sorte que l’une des langues soit le français. Gardons-la comme langue d’affichage ainsi que pour le travail. C’est pour cette raison que nous aidons les différents acteurs culturels à se remettre au niveau technologique. Oui, nous pouvons influencer le reste du Canada, car nous votons et sommes une des plus importantes provinces. Les francophones hors Québec ont besoin de nous et inversement. C’est une grosse responsabilité. Et c’est finalement sur ce sujet que nos partis politiques s’entendent le plus. »

Belgique Hélène David

« L’OIF manque de pragmatisme » Joëlle Milquet, ministre de la Culture de la Fédération Wallonie-Bruxelles

Face au géant anglophone, il nous faut adopter une position réaliste et nationaliste. Le français n’est pas un patois local ! Il faut le protéger, pas le dialectiser. A nous, francophones, de prouver notre force économique en réalisant une révolution tranquille. L’anglais et le mandarin n’empêchent pas notre langue de vivre, ni de redevenir une langue d’affaires. Nous avons créé un dictionnaire de traduction pour en finir avec les anglicismes. Cela vous fait parfois rire, mais il y aurait avantage à ce qu’il soit reproduit en France. Si un mot existe en anglais, il peut aussi l’être en français... Faisons également

« La francophonie est un espace plus important qu’on ne le pense. C’est une vision commune de l’humour, du rapport à la culture et à l’esprit critique, qui n’est pas toujours propre au monde anglophone. Malheureusement, elle est sousutilisée à tout niveau. Un comble en pleine ère d’ultra-communication ! Exemple : ce cadre linguistique favorise quelques échanges Nord / Sud sur un plan politique ou culturel… Or, étant donné les difficultés de l’Afrique du Nord, il est primordial de renforcer ces liens afin d’y développer des valeurs démocratiques. Il faudrait donc aller encore plus loin. J’en discutais avec la ministre du Québec : AUTOMNE 2015


couliSSes

dossier

pourquoi ne pas créer des outils numériques communs, en particulier pour l’enseignement ? Ce serait l’occasion de partager nos savoirs au sein de l’espace francophone. C’est aussi ça, la souveraineté ! Je regrette que l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) manque de projets pragmatiques de ce type... Mais revenons à la Belgique : les Wallons ont un sentiment sincère d’appartenance avec la France. On le voit à leur consommation des médias et de la culture hexagonale. Et si l’unité du pays ne se fait pas via une langue unique, nous avons tout de même une culture belge commune. Différentes approches, certes, mais un réel art du compromis "à la belge". Le fait d’avoir des Néerlandais, des Flamands, des germanophones et des francophones est justement ce qui explique et favorise notre ouverture. Nous sommes constamment dans l'interculturalité ! Et, quoi que l’on en pense, c’est un modèle qui fonctionne. »

Suisse « Quelque chose de très communautaire » Marc Ridet, directeur de la Fondation romande pour la chanson et les musiques actuelles « Chez nous, les francophones sont minoritaires, contrairement aux germanophones. Ils sont très identifiés et concentrés dans la partie romande du pays. C’est une fierté, quelque chose de très communautaire. Le pays est dirigé par des germanophones, mais qui parlent mal l’allemand (seulement un dialecte s’en rapprochant). C’est toujours étrange, pour des francophones, de se faire diriger par un dialecte… Nous avons donc une découpe linguistique par canton qui pourrait parfois ressembler à celle de la Belgique. Sauf qu’ici, il n’y a pas de conflit. AUTOMNE 2015

Adélaïde Wojciechowski / éphémère

Joëlle Milquet

Marc Ridet C’est sans doute la faute des francophones qui parlaient peu allemand, du fait de la Seconde Guerre mondiale... Idem côté musique où seuls la chanson et le hiphop se distinguent par leurs paroles francophones. Pour autant, il n’y a pas de crainte que le français disparaisse. Il n’est même pas protégé ! Le plus drôle, c’est que Stéphane Eicher, l’artiste qui a le plus fait connaître la Suisse francophone, est… un Suisse allemand ! Il appartient à cette génération qui trouvait Paris sexy. Celle d’aujourd’hui préfère Berlin… »

Luxembourg « La possibilité d’être trilingue » Patrice Hourbette, directeur de Music :LX « Pour nous, le français représente beaucoup. Pas la francophonie. Tout d’abord parce que nous avons un rapport frontalier avec la France. Il n’y a donc pas de dimension sentimentale. Ensuite, parce qu’à Luxembourg-Ville, la capitale, il y a seulement 20 000 Français (sur 111 000 habitants). Enfin, parce que 400 000 personnes franchissent

chaque jour la frontière pour venir travailler... Au total, ce sont près de 80 langues qui sont parlées. Nous avons trois langues officielles : le luxembourgeois (langue de cœur), l’allemand et, ensuite, le français (outil de travail). Ce trilinguisme — voire quadrilinguisme, si l’on compte l’anglais dans les milieux artistiques — est sans doute l’une des plus belles réussites du pays. Il touche l’ensemble des catégories sociales (agriculteurs compris). Il n’y a pas d’appétit pour la culture française, à part une élite s’intéressant à la littérature. Le peu d’Hexagonaux passant à la radio en est la preuve. Lors du concert d’un artiste francophone, comme par exemple Stromae, 1/3 du public sera français. Mais seulement parce que les billets sont moins chers ici… Alors qu’ils captent aussi les programmes français, les enfants sont aussi plus habitués à ceux de la télévision allemande, les trouvant plus informatifs — malgré un rapport compliqué avec le pays germain, du fait de la Seconde Guerre mondiale.

Jan Kubon / éphémère

DR / éphémère

La francophonie, c’est une vraie communauté d’esprit autour de laquelle les gens se retrouvent, malgré une méfiance envers l’interventionnisme politique de la France. Nous sommes également proches du Québec, de la Belgique et de l’Afrique du Nord au sein desquels existent des expatriés suisses. La langue française nous donne donc une dimension très internationale ! De plus en plus de régions suisses parlent entre elles en anglais.

Patrice Hourbette S’il y a un militantisme linguistique ici, c’est plutôt sur la sauvegarde du luxembourgeois. »

LONGUEUR D’ONDES N°76 33


couliSSes dossier

Réunion « Une occasion manquée » Margie Sudre, ex-secrétaire d’Etat à la Francophonie (1995-1997), présidente du conseil régional de La Réunion (1993-1998) et députée européenne (19992004)

Côte d'Ivoire « L’enrichissement d’une langue commune » Abdou Toure, ambassadeur auprès de l’Organisation internationale de la francophonie

DR / éphémère

« La francophonie est extrêmement importante pour nous. Mon poste et le fait de résider en France — un choix du président — en témoignent.

Aujourd'hui, le français est devenu le meilleur moyen de communication entre Ivoiriens. Même ceux qui n'ont pas fréquenté l'école parlent français (grâce à la rue), mais en se réappropriant cette langue. C'est-à-dire : en créant de nouvelles expressions imagées. Ainsi, une maison à étage devient : maison-qui-est-debout-sur-son-camarade. Les Français gagneraient à connaître ces réadaptations pour enrichir notre langue commune. »

Mali Margie Sudre

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Abdou Toure Tout comme l’accueil, dans notre pays, des 8e Jeux de la francophonie en juillet 2017. Avec 80 pays représentés et près de 4 000 participants, nous en espérons des retombées économiques et touristiques. Le français est la langue officielle, aux côtés d’une multitude de langues nationales. C’est un trait d’union ! Il y a eu, dans les années 60, une gêne par rapport à son utilisation, mais uniquement par peur que cela ne se fasse au détriment des autres langues nationales. Ont ainsi été mis en place des programmes de promotion de l’ensemble des pratiques linguistiques. Aujourd’hui, il est démontré que les enfants, parlant leur langue maternelle avant d’être scolarisés, maîtrisent mieux le français. Je suis né avant l’indépendance dans une famille de 24 enfants. À l’époque, les langues nationales étaient subdivisées par quartier. Il s’agissait donc de communautés linguistiques qui partageaient des valeurs communes. En conséquence, un passant pouvait corriger un enfant qui se conduisait mal, sans que ses parents ne s'en plaignent... Bien au contraire !

« Le français est la langue de la colonie devenue celle de l’administration. A Bamako, près de la moitié des habitants sont donc francophones, même si la langue la plus utilisée reste le bambara (reconnue comme l’une des douze langues nationales). Le français est une langue qui a été imposée. Quoi de plus normal ? Les colons ont créé les écoles à leur image. Nos cours ressemblaient donc à ceux du système éducatif français : Napoléon, Louis XIV, la conjugaison… Je suis même persuadé que certains Maliens connaissent mieux l’Histoire de France que certains métropolitains !

DR / éphémère

Michela Cuccagna / éphémère

« La Réunion, du fait de son statut de département et région d’outre-mer français, dispose des mêmes atouts que la Métropole... La francophonie est tout d’abord un outil d’échange et cela se constate avec, par exemple, les nombreuses rencontres entre les médecins réunionnais et ceux du Sud-Est asiatique. Elle facilite aussi les rapprochements avec Madagascar (dont le nombre de francophones a diminué), l’Île Maurice (stagné), les Comores (mais où l'on parle mal français) ou les Seychelles (davantage créoles). C’est ensuite un point d’ancrage pour développer économiquement l’Afrique francophone. En tant que secrétaire d’Etat, c’est un point qui m’a tenu à cœur et sur lequel la France était pourtant restée frileuse. Heureusement, cela a changé... Il y a certes eu une diminution des francophones en Europe de l’Est — Roumanie, Bulgarie ou Moldavie — car attirés par l‘anglais —, mais la courbe s’inverse avec l’explosion de l’Afrique. C’est enfin une occasion manquée. Dans les années 50, alors que nous n’étions que six pays fondateurs de l’Union européenne, il avait été proposé que la langue principale soit le français, vu que c’était celle de la diplomatie. Or, les Flamands s’y sont opposés et l’Hexagone est resté modeste. Dommage ! Aujourd’hui, 23 langues sont parlées au Parlement… Le français est ancien, bien entretenu. Sa grammaire en fait une langue difficile, mais précise et subtile (contrairement au créole). C’est ce qui en fait sa richesse en philosophie ou en diplomatie, d’autant qu’elle véhicule des valeurs liées aux droits de l’Homme, au partage et à la solidarité. »

« Une unité nationale » Mory Toure, journaliste RFI et Radio Afrika

Mory Toure 60 % des Maliens francophones sont complètement Français du fait de leur culture ou leurs pratiques : études prolongées en France, consommation AUTOMNE 2015


couliSSes de vin bordelais chez les bourgeois, films français (Belmondo, de Funès) plutôt que blockbusters américains… Le contexte historique a laissé des traces. Il y a, certes, un patriotisme africain, mais nous restons des francophones avant tout. Et le français facilite justement les échanges au sein de notre pays — une sorte d’unité nationale — ou avec ceux du continent. C’est donc une chance, une ouverture. On voyage. D’autant que ceux qui ont étudié hier en France sont les gouvernants d’aujourd’hui. La seule chose que nous ne comprenons pas, c’est le manque d’assimilation / intégration du système européen qui souffre pourtant d’une baisse de sa démographie. Ce sentiment de rejet, qui s’est accéléré sous le président Sarkozy, renforce l’aspect communautaire. Etant donné notre système éducatif, cela nous choque qu’il existe une différence entre Français et Malien : nous sommes amis. »

dossier

interrogé sur le concept de la musique identitaire… Pour nous, la francophonie est une identité plurielle. Anecdote : il nous est arrivé de représenter la France à l’étranger… Un comble quand on voit les politiques d’intégration de l’Hexagone ! La langue française a perdu du terrain au Maroc, les politiques anti-migratoires en ayant diminué l’intérêt… Notre génération était davantage francophile et bilingue. Aujourd’hui, à part les universités scientifiques, c’est une option. La culture française se propage par Internet ou les chaînes câblées. Elle est la plus accessible d‘entre toutes. Nous avons moins de ponts avec la culture anglophone. Et, face à la pop anglaise, c’est à se demander si chanter en français n’est finalement pas plus subversif. Voilà qui a néanmoins enrichi notre création. »

Maroc « Pour être plus subversif » Adlane Defouad, musicien (BinObin)

« Un marqueur social » Gilles Lejamble, président de Libertalia Records

Libertalia-music / éphémère

« Du fait du protectorat français, la francophonie a d'abord été subie avant d’être réutilisée au quotidien. On considère à tord le Maroc comme un pays arabe, mais la langue la plus pratiquée reste le darija, sorte de créole avec de l’arabe et du français. Le Maroc est à la croisée des ­mon­des subsaharien, maghrébin, africain et français. Le berbère, et ce malgré son antériorité, n’est qu’une troisième langue... Même les panneaux d’orientation sont traduits arabe / français !

Madagascar

des frontières ou des mentalités n’est pas dans l’intérêt de nos politiques. L’espoir d’en finir avec notre système corrompu ne vient pas de la langue, mais bien d’une révolution interne. Avant la démocratie, ce que nous souhaitons le plus, c’est le développement économique. Se battre pour la démocratie est hypocrite : l’Europe ne s’est elle-même pas développée ainsi… Et donner le droit de vote à un analphabète ne change rien et créerait des inégalités supplémentaires. Non, c’est le développement économique qui impose la démocratie. Une fois l’éducation rétablie, nous pourrons nous concentrer sur ce type d’approche. »

Inde « Un atout commercial » Lalit Verma, président de l’Alliance française de Pondichéry « Ma langue maternelle est l’indien mais, après trois siècles de présence française à Pondichéry, il reste forcément des traces… Notamment parce qu’il y eut beaucoup de naturalisations parmi les colons ; seuls 5 000 hexagonaux ont conservé leur nationalité. Je suis né dans le Nord. Il a fallu que j’apprenne trois langues : l'indien, l'anglais et donc, le français — qui, je trouve, est une langue plus précise (d’où le fait que les règles de la FIFA sont rédigées en français). Aujourd’hui, il reste un peu moins de 20 000 locuteurs francophones et l’Inde est le pays le plus jeune du monde. Nous avons désormais une mentalité d’envahisseur alors que nous avons été le plus souvent les opprimés. Par exemple, nous continuons d’aller en Angleterre.

Adlane Defouad Nous avons donc pu, grâce à la francophonie, tisser des liens avec le Nord comme avec le Sud. Nous avons fait nos études en français et en arabe. Même nos conservatoires sont inspirés des vôtres ! D’où notre groupe signifiant "entre deux", car les gens ne comprenaient pas pourquoi notre musique sonnait à un tel point français. Cela nous a AUTOMNE 2015

« Nous avons quatre langues officielles : le malgache, le français, l’anglais et… la langue de bois ! Celle qui domine reste le malgache. Sauf que, en plus de ses variantes régionales, il est souvent mal parlé. Le français reste donc un marqueur social. Jusqu’en 1960, date de fin de la colonisation française, tout le monde était francophone en ville. C’est moins le cas depuis, mais nous n’avons pas plus d’anglophones. En 75, tout l’enseignement a été bouleversé : l’État a souhaité une "malgachisation" des institutions. Les cours ont donc été donnés en malgache et nous avons, autre exemple, changé le nom des rues. C’est tout un héritage qui s’effaçait. D’autant que nous sommes aussi bons en français que vous l’êtes en anglais… C’est dire ! Nous ne profitons pas de la francophonie, car l’extérieur de l’île n’existe pas pour nous. L’ouverture

Sumanta Chandra / éphémère

DR / éphémère

Gilles Lejamble

Lalit Verma Pas pour nous y instruire, non. Pour nous spé-ciali-ser ! Voyez le chemin parcouru… On essaie donc de mettre toutes les chances de notre côté. Le but ? LONGUEUR D’ONDES N°76 35


couliSSes dossier

Aspirer les différentes cultures pour se fondre dans la masse. Nous restons fiers de nos racines, mais c’est une bénédiction de se confronter à d’autres pratiques et mentalités. Nous souhaitons l’harmonie dans la diversité (et inversement). Pour nous, et même si nous vous remercions pour certains apports, le maintien d’une francophonie s’inscrit surtout dans une stratégie économique. En plus de respecter davantage le climat et d’avoir zéro défaut dans nos constructions, parler français est un atout commercial supplémentaire face aux Chinois. Cela aurait donc pu être l’allemand ou l’espagnol... Peu importe : ce sont les opportunités d’exportation qui nous intéressent. »

Île Maurice « Une philosophie de partage » Subhash Dhunoohchand, musicien (Tablatronic Moksha Project)

DR / éphémère

« Comores, Mayotte, Colombie, Inde… Je participe très régulièrement à des semaines de la francophonie à l’étranger, même si mes textes sont en anglais pour favoriser l’export, car pour moi, la francophonie reste surtout un formidable réseau de musiciens et de professionnels. Il y a une même philosophie de partage et de non-violence. Par contre, je demande toujours à rencontrer des élèves. Je leur explique surtout les bénéfices de la modernité et des traditions. Ma musique s’en inspire d’ailleurs, mélangeant tabla et sons électro.

Subhash Dhunoohchand A Maurice, la langue maternelle est le créole — une langue orale, peu adaptée pour l’écrit. Ce n’est d’ailleurs pas un choix politique : c’est naturel. D’autant que, même si le français reste pour nous aussi important que l’anglais, nous apportons plus d’importance à la transmission de nos idées qu’au moyen d’y parvenir. Notre premier ministre peut donc, par exemple, s’exprimer en anglais, indien et créole dans la même conversation. Les journalistes eux-mêmes peuvent changer de langue dans un seul article — avec, certes, une dominance du français qui reste la langue des affaires et des administrations. Cette dimension trilingue est travaillée dès la maternelle. La francophonie, c’est comme la cuisine : il n’y a pas d’esprit commun. Certains font du métissage culinaire, d’autres non. Peu importe. Nous, nos plats sont influencés par la Chine. Ce qui en dit déjà long… Pour moi, c’est donc à la langue française de s’adapter à chaque pays — avec ses répercussions légitimes — plutôt que de s’imposer comme au temps des colonies. » i Bonus web : Bureau export sur www.longueurdondes.com 36 Longueur d'ondes N°76

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couliSSes Les 14, 15 et 16 octobre prochains, Pigalle et Montmartre accueilleront la sixième édition du Marché des Musiques Actuelles (MaMA) avec 120 concerts accessibles pour la première fois au public en Pass Full Access. Rencontre avec Fernando Ladeiro-Marques, l'homme derrière ce festival hybride.

festival

MaMA

Un festival pro, mais pas que…   Fabien Boileau     Michela cuccagna

C

haque année depuis 2010, l'espace de trois jours, le cœur de Paris devient le point de rendez-vous incontournable des acteurs de la scène musicale internationale. Véritable vivier de contacts avec ses 50 conférences et ses 4 300 professionnels originaires de 63 pays, le MaMA est avant tout le festival où il faut être vu et entendu. « Les professionnels viennent prendre des informations, débattre, mais également faire leur marché : vendre, acheter, ou les deux, explique Fernando Ladeiro-Marques, directeur. Le but est aussi de permettre aux Français de travailler à l'export et aux artistes internationaux de démarcher le territoire français qui est assez difficile à conquérir ».

120 artistes vont donc se relayer sur les planches de 15 scènes parisiennes afin de défendre leur musique et essayer de l'emmener plus loin. Presque comme un tremplin ? « Dans tremplin, il y a toujours une idée de compétition pour les artistes peu ou pas connus, alors que les artistes présents ici ont tous un environnement professionnel, souligne Fernando. Si le concert se passe bien, mais qu'il n'y a personne à qui parler pour imaginer le développement de l'artiste, ça ne servira pas à grand-chose de venir y jouer. » S'il a déjà conseillé à certains groupes d'attendre un peu avant de se produire au MaMA « au risque de se faire griller au niveau international », il laisse tout de même la place à des artistes émergents. « De nombreux artistes que l'on reçoit sont en phase ascendante, ce sont eux qui intéressent le plus la scène internationale. Un producteur allemand, anglais ou américain sera beaucoup plus intéressé par des artistes qu'il n'a pas encore vu dans son pays, plutôt que des groupes qui ont déjà beaucoup tourné chez lui ». Un pass pour les festivaliers Fruit de la collaboration entre Daniel Colling, le directeur du Printemps de Bourges, et Fernando Ladeiro-Marques (également directeur de la communication du Printemps), le MaMA est aussi un festival ouvert au public. Depuis sa création, AUTOMNE 2015

il réserve 50 % de la jauge de chaque salle aux festivaliers qui auront cette année le choix entre le pass 1 jour, qui donne accès à 40 concerts pour 20 euros, et le pass 3 jours à 42 euros pour 120 concerts. Le pass est un nouvel outil de démocratisation de l’événement. Fernando : « On se pose la question du pass depuis la création de l'évènement. On a tellement voulu expliquer que nous étions différents, que l'aspect professionnel, qui est tout de même l'ADN du MaMA, a pris le pas sur l'aspect festif… Le public venait assister à un concert à La Cigale ou au Divan du monde avec son ticket dans les mains et voyait des gens avec des bracelets entrer et sortir librement des salles, c'était un peu bizarre, ça nuisait à l'ambiance du festival. » Plus besoin de choisir entre Radio Elvis, Aaron, Chapelier Fou, Jay Jay Johanson, Ropoporose ou encore Saul Williams, le spectateur pourra désormais picorer à sa guise. « À ma connaissance, c'est une première à Paris. Ce pass va permettre au public de faire du zapping, de profiter des artistes qui le tentent le plus » conclut Fernando. i Retrouvez l'intégrale de la programmation sur : www.mama-event.com/fr

Fernando Ladeiro-Marques

Directeur du MaMA, Fernando Ladeiro-Marques est également directeur de la communication du Printemps de Bourges et de Gato Loco Productions, une structure spécialisée dans les échanges internationaux. Producteur et coproducteur de nombreux événements internationaux, il est à l’origine du B.AM. (Barcelone, 1993 à 1996), du Rock Pop Festival (Bratislava, 1993 à 1998), du Green Energy (Dublin, de 1996 à 1998) ou encore de DongDong (Pékin).

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coulisses

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AUTOMNE 2015


couliSSes

enquête

Madagascar passeport pour l'oubli ?

Pays francophone, l’île peine à exporter sa nouvelle génération d’artistes pourtant prometteuse. La faute à une réalité complexe autant qu’à une méconnaissance des programmateurs internationaux, plus habitués à faire leur marché dans l’Afrique de l’ouest.   Samuel Degasne    Libertalia Music

C

orruption politique, difficultés démocratiques, violences, tourisme sexuel… Les crises successives que traversent le pays depuis plusieurs décennies ont accéléré le désintérêt de la communauté internationale pour l’ancienne colonie française. Pire : en moins de 40 ans, cet ancien premier exportateur de riz au monde est devenu l’un des peuples les plus pauvres. Le tout, malgré la présence de pétrole et autres pierres précieuses... Avec sa superficie faisant 1,5 fois la France, Madagascar se meurt dans l’indifférence, pillée par les entreprises étrangères et visitée par les amateurs de tourisme sexuel. Il y en a pourtant un qui ne se satisfait pas de la fatalité : Gilles Lejamble. Depuis trois ans, cet ancien producteur de cinéma organise Le Libertalia music festival pour exporter des groupes locaux, convaincu que « le regain d’intérêt pour le pays se fera par le biais de la culture ». Pour cela, il doit faire face à des habitudes ayant la vie dure : « Épicentre de programmation situé au Sénégal et au Mali, île réunionnaise captant toute l’attention des médias, groupes réunissant parfois jusqu’à 15 personnes sur scène, coût du transport aérien, nombreux styles musicaux endémiques, difficultés des artistes à expliquer / conceptualiser leur musique… » Or, la qualité du vivier artistique a de quoi challenger une bonne partie des productions internationales. Pari gagné donc, grâce à l’accompagnement d’un autre producteur, Christophe David, réussissant à faire le pont entre expression contemporaine et rythmes traditionnels. De quoi reconsidérer rapidement – on l’espère – le statut de l’île comme nouvel incubateur de l’Afrique. i d Libertalia-music.com

AUTOMNE 2015

nos coups de coeur Christelle Ratri // rock-soul Professionnelle depuis seulement 2013, la bassiste soul-rock est sans conteste l’un des projets les plus exportables internationalement, non loin d’un Alabama Shakes ou d’un Skunk Anansie. Petit gabarit et voix puissante, l’artiste propose des morceaux étirés tout en intensité. On attend beaucoup de sa coproduction avec le label parisien X-Ray.

d Facebook.com/Christelle.ratri

The Dizzy Brains // garage rock Exercice bluffant entre garage rock, rhythm’n’blues d’un grand niveau et paroles contestatrices sur la réalité malgache (à la limite du gangsta rap). Le quatuor arrive à faire aussi bien que les Stooges et MC5. On comprend mieux pourquoi ces jeunes sont programmés aux Trans Musicales de Rennes : les deux frangins, à la tête du groupe, iront loin.

d Facebook.com/TheDizzyBrains.PageOfficielle

Silo // grunge Pilier de la scène musicale malgache et talentueux pianiste jazzman, l’artiste a multiplié les collaborations locales et internationales (dont une avec Stephan Eicher). Troquant ses claviers pour une guitare électrique, il a dernièrement fait sensation au Iomma 2015, salon professionnel des musiques de l’Océan indien, avec son power rock 90’s.

d Facebook.com/Silogik LONGUEUR D’ONDES N°76 39


L’ÉVÉNEMENT DES PROFESSIONNELS DU SPECTACLE ET DES ACTEURS CULTURELS GRANDS DÉBATS EXPOSANTS SPECTACLES ATELIERS...

20 - 21 JANVIER 2016 NANTES - CITÉ DES CONGRÈS www.bis2016.com

40 Longueur d'ondes N°76

AUTOMNE 2015


chroNiques

FLAVIEN BERGER Léviathan

BRUIT NOIR I / III

GALAXIE Zulu

MAYD HUBB Enter the Loop

Pan European Recording

Ici D’ailleurs / L’Autre Distribution

La Meute

Autoproduction

Inclassable ? Flavien Berger ferait-il partie de ces illusionnistes sonores qui manient les machines et mélangent les genres ? C'est à en croire ce que réserve son premier album tout droit sorti d'un univers coloré aux mille interprétations, dix titres explosifs qui sonnent comme un tourbillon électronique à l'onirisme imprégné, poétique. Le Parisien de 28 ans brouille les pistes et ne semble d'accord avec aucune norme tant les partis pris sont osés. Rythmes dancefloors endiablés, pop langoureuse, rock incisif, textes en français tout droit sortis d'un dessin animé, il faut avoir le cœur bien accroché pour ne pas vaciller tant les styles se confondent, mais c'est bien la force de Léviathan. Teinté de 8 bit, de bidouillages maîtrisés, l'album se révèle rapidement addictif avec des mélodies aussi efficaces que déjantées. Et si le diable est passé par là, ce n'est que pour mieux posséder sa proie. L'album rendra nostalgique la génération 80 et fascinera les autres. On en redemande !

Deux ans après le romanesque et fiévreux dernier album de Mendelson, Pascal Bouaziz s’associe au fortiche Mitch Pires (Headphone, Mimo the Maker) pour un Bruit Noir à mi-chemin entre l’humour vachard et l’envolée autobiographique. Musicalement, le duo fracasse post-punk et nappes synthétiques, free jazz et dédales bruitistes ; avec l’idée de ne reculer devant aucune frontière, la volonté d’un total affranchissement. De son côté, fidèle à sa doxa, Bouaziz balance un flot lexical plutôt ahurissant : le langoureux phrasé lui est dorénavant propre. Cependant, l’auteur se départit là de ses inclinaisons littéraires pour une écriture plus libre (car en partie improvisée), moins chair à vif. Il est certes toujours ici question d’aliénations et de chaos ; mais le propos revêt souvent la forme de pics assassins limite drolatiques ("On est tellement entouré d’abrutis"), de clash à l’égard de soimême ou d’évidences forcément rigolardes ("La province"). La farce quotidienne du mal !

Quatrième album de la formation composée d’Olivier Langevin (guitare / chant), Fred Fortin (basse), Pierre Fortin (batterie) et François Lafontaine (Karkwa) de retour aux claviers. Ensemble, ils forment une variante rock-électro-pop percutante, à la fois musclée et festive, formule redoutablement énergique et efficace. Les paroles un peu abstraites passent au second plan de la distorsion et d'une sonorité synthétique qui prennent d’assaut les tympans. Ces musiciens chevronnés, en majorité originaires de la région du Saguenay (au nord de la ville de Québec), montrent de quel bois ils se chauffent avec des structures denses et des envolées d’une rare intensité, preuve à l’appui que ce coin du globe regorge de talents bruts et d’artistes créatifs. Le groupe joue d’audace sur cet opus avec des structures complexes, un jeu de percussions atypique et un aspect mélodique indéniable. Un enregistrement qui décoiffe grâce à cette force de la nature qu’est ce regroupement de musiciens.

Membre fondateur du groupe TelDem Com’unity, artiste décalé de la scène dub internationale, avec pas moins de trois albums à son compteur dont une collaboration avec le chanteur Joe Pilgrim, Mayd Hubb n'en est plus à son coup d'essai et revient en force avec Enter the loop aux influences aussi riches que variées. On reste dans la thématique du voyage, une de ses plus grandes sources d'inspiration, pour un tour du monde à 180 degrés entre Orient et Occident avec quelques haltes grandioses sur des terres plus ou moins connues. La formule ne change pas, déferlement de basses, explosion de samples purement exotiques pour un métissage musical à part entière. Une électro-dub ethnique et vagabonde rythmée par des chants chinois, des trompettes enflammées sur des nappes enivrantes. Mayd Hubb marque d'une trace indélébile cette plongée envoûtante dans les entrailles de la terre, en écho au cosmos et à la voix lactée, avec à la clef le mystère. Une pépite dub en pleine gravitation !

KAMIKAL

JEAN THOORIS

PASCAL DESLAURIERS

KAMIKAL

AUTOMNE 2015

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chroNiques musique

Maxis, Ep's, 45 Tours... DEAR CRIMINAL Strip (Autoproduction) Voici le fruit d’une collaboration entre la moitié de la force créatrice derrière Random Recipe (Frannie Holder et Vincent Legault) et Charles Lavoie (betalovers / lackofsleep). Le secret de leur recette est l’alliage de voix féminines et masculines aux tapisseries sonores électroniques. Ce projet a un pouvoir d’attraction surnaturel. Le ton dramatique et mystérieux du trio est également emprunt de sensualité. PASCAL DESLAURIERS

HARFANG Flood (Autoproduction) La formation originaire de la ville de Québec offre un second EP dans la même lignée que le folk-rock progressif servi sur leur premier opus. Cette fois, la similitude avec Radiohead est toujours présente, mais l’originalité des compositions se démarque. On retrouve de belles ambiances, des moments plus intenses et on se laisse porter par la voix presque éthérée, planante et douce de Samuel Wagner. ALEXANDRE TURCOTTE

KIJE MANITO Majestaju (Autoproduction) Ça commence avec une clarinette aux influences khmers pour glisser vers une électro-pop glitch à l'empreinte ensoleillée et chaloupée. Ça flirte avec la funk et la world music grâce à la voix de la chanteuse qui ferait se dandiner les plus réfractaires et ça n'a rien à envier aux plus grands de la vague actuelle. Un appel à la communion et au partage avec un vrai message d'amour à la clef ! KAMIKAL

HYPHEN HYPHEN Times

JACQUES Tout est magnifique

AUBE L A mon étoile

Parlophone

Pain Surprises

Autoproduction

Après plus de 200 dates effectuées, les quatre membres d'Hyphen Hyphen sortent leur premier album qui se place plutôt à la hauteur des espérances placées en eux. D'abord parce qu'avec leurs 22 ans ans de moyenne d'âge, les Niçois révèlent une personnalité déjà bien affirmée que ce soit en termes de production sonore ou de songwriting ; et d'autre part, car ils ont les clés pour séduire un large public. Conciliant l'énergie du rock, la luminosité de la pop, la sensualité du gospel et du R'n'B ou les ambiances modernes de l'électro, le groupe offre une musique contemporaine et très mélodique pouvant séduire aussi bien les fans de Florence & The Machine qu'Hundred Waters, Vitalic ou les nostalgiques des boums des années 90. L'album joue ainsi sur plusieurs tableaux : l'énergie ("Just need your love"), la douceur (le piano de "Please me"), l'émotion céleste sur "The fear is blue", la légèreté et le groove sur "Stand back"... De quoi promettre une belle année à ces jeunes musiciens.

Personnage transversal au projet musical qui combine techno pure et bruits de la nature, Jacques (et le bidouillage capillaire qu’il arbore comme une signature) est sorti de l’anonymat neurasthé-geek de son bunker électronique il y a seulement 6 mois, pour gagner depuis la lumière de son label Pain Surprises et du grand public. Son premier opus orchestre tout ce que ce maestro 2.0 sait faire de mieux : une atmosphère sombre, des mélodies répétitives et un abandon quasi total des voix au profit des sons. Si plusieurs écoutes sont nécessaires pour percevoir toutes les subtilités, les arrangements et les actes barrés de cet EP célébrant "L’incroyable vie des choses", c’est instantanément que l’on perçoit le grand potentiel du type. Jacques donc, un artiste Cybernétique en ce sens étymologique qu’il maîtrise parfaitement l’art de piloter les mécanismes mélodiques pour faire rimer le tout avec musique... et ça c’est magnifique !

Comme le précédent album nous avait un peu déçus, c’est avec une grande curiosité que nous accueillons la nouvelle création d’Aube L. Fidèle à son rythme, elle livre son album un an, jour pour jour, après Time for the happiness. Peu de temps donc, mais une inspiration renouvelée qui s’exprime dès le morceau d’ouverture où sa voix, à nulle autre pareille, évolue comme jamais, osant des tonalités multiples, des harmonies surprenantes. La suite tient ces promesses. Première surprise : le français auquel Aube a enfin osé octroyer une place plus grande qu’à un anglais trop souvent fautif et moins à fleur d’émotion. Surtout, la richesse musicale et l’intensité habituelles de ses compositions, que les errements électroniques de Time for the happiness avaient estompées, reviennent avec force. Plus rock, plus denses, ces nouveaux morceaux retrouvent des sommets noirs et s’ils disent désormais bien le bonheur et la joie de vivre, c’est en les faisant résonner du fond de leur éclosion difficile.

ÉMELINE MARCEAU

CAMILLE POHER - Les Disquaires de Paris

JESSICA BOUCHER-RÉTIF

JEAN LELOUP Paradis City

MAZARIN La croisée des chemins

MEHDI CAYENNE CLUB Aube

Grosse boîte

At(h)ome

Autoproduction

L’année 2015 marque le grand retour de Jean Leloup. Capable du meilleur (L’amour est sans pitié) comme du pire (sa contribution au groupe The Last Assassins), ce monument de la chanson québécoise aux accents toujours rebelles et sans compromis a frappé fort ! Paradis City est en effet un bijou au sens propre du terme : taillé dans la pierre à la fois folk et rock et brillant de génie. Ce n’est pas pour rien que cet album est déjà disque de platine (plus de 80 000 exemplaires vendus) et que Jean Leloup décline deux formules de spectacle à guichet fermé en version acoustique et en version orchestrale. Sur fond de guitare parfois habillée de cordes (l’excellent "Le roi se meurt"), on retrouve la poésie si particulière à Leloup et cette voix grave, un peu nonchalante, comme sur "Willie" où le fantôme d’un Gainsbourg ou d’un Bashung n’est pas loin. À Paradis City vous trouverez des bateaux à quais, des voyages intemporels, des regrets, des rêves et des ailes de papillon.

La jolie petite boîte à musique de Pierre le Feuvre, moitié du duo La Casa (2005 - 2012), s’est remise à fonctionner, et c’est une bonne nouvelle. Le folk au soleil d’alors laisse la place à une musique plus bidouillée et plus intérieure. Les textes restent intimes, sophistiqués et élégants. Ce premier album sort avec la bénédiction d’Hubert-Félix Thiéfaine avec qui une complicité existe depuis Suppléments de mensonge, album sur lequel Mazarin donna deux titres. Au fil de ces dix chansons, on trouve ses repères et on feuillette ainsi une sacrée belle discothèque : parfois un Bertrand Cantat dans ces moments de calme, parfois un JP Nataf compagnon imaginaire de nuits longues, parfois un Bertrand Belin plus accessible, avec une pincée de Gaëtan Roussel pour l’audace. Et toujours un sacré bel artiste singulier qui nous fait des surprises habiles sans en avoir l’air et qui, avec ses yeux rieurs, donne un nouveau goût à la chanson, à la croisée du rock et du sens.

Sérieux et comique, versatile et touchant, ce nouvel album ratisse large dans le paysage musical contemporain. Un univers à explorer, même pour les plus sceptiques. Le parcours personnel de Medhi Hamdad l’a emmené d’Algérie à Ottawa en passant par le Québec et le Nouveau-Brunswick. Ces voyages l’ont probablement orienté vers ce style inclassable. À la fois d’ici et d’ailleurs, sa musique regroupe des boutades cocasses et des paroles touchantes. Chaque sujet est abordé avec une sensibilité très personnelle, un peu éclatée, mais qui reste compréhensible pour le commun des mortels. Par exemple, le morceau d’ouverture "Les heures impossibles" ou encore "Ton corps" savent toucher et véhiculer de la tristesse. Il y a une mélancolie malgré les images et les métaphores proposées. Cet opus est clairement l’œuvre d’un hyperactif chronique possédant une certaine folie originale : en témoignent la fin de "Crève-cœur" et ses paroles criées. Une belle façon d’épicer sa discothèque.

YOLAINE MAUDET

OLIVIER BAS

GUILLAUME GRASSIANT

KURSED Appl (Le Petit Chat Noir Records) Avec ce nouvel EP, Hugo Herleman et sa bande poursuivent le sillon d’un rock garage bardé de « wouh ouh », d’influences 60’s (voir la pochette façon Betty Page) et d’allégeances énergiques. Pas un hasard si l’une des compos se nomme "Rock n’roll" : basique, frontale et sans chichi, cette musique ne connaît guère le cynisme, mais opte inversement pour une certaine idée de l’éternelle jeunesse. JEAN THOORIS

MR. CROCK Exotic Pilgrimage (Autoproduction) Le quintet parisien, créé en 2010, revendique des influences multiples. Cela se vérifie dès le premier des cinq titres de ce troisième EP : après une intro vocale, débarque une basse résolument funk sur un tempo dance floor, avec chant et chœurs lorgnant vers la pop british. "En silence" est dans la lignée frenchy rock / new wave, les autres titres plus riches en claviers, en percus et en harmonies chatoyantes. ELSA LONGIS

LÆTITIA SHÉRIFF The Anticipation (Yotanka) Un an après la parution de Pandemonium et Solace and stars, ce fugace essai vient finaliser l'esthétique d'un triptyque initié en 2012 par Where's My I.D. D'un rock trouble au grain écorché, basse féminine de rigueur, cet EP poursuit une tradition contigüe à l'esprit 90's éprouvé ici avec force et conviction. Grave dans le ton et brut de décoffrage, électriquement vivifiant. JULIEN NAÏT-BOUDA

42 Longueur d'ondes N°76

AUTOMNE 2015


chroNiques musique

ARMAN MÉLIÈS Vertigone

MUTINY ON THE BOUNTY Digital Tropics

SAFIA NOLIN Limoilou

SCRATCH BANDITS CREW Stereo 7

At(h)ome

Deaf Rock Records

Bonsound

Chinese Man Records

Deux ans après son exploration électronique sur AM IV, Arman Méliès opère un petit retour aux sources sur ce cinquième album spacieux qui remet à l'honneur son songwriting traditionnel à la guitare. Chanteur solo, mais aussi musicien pour Julien Doré ou compositeur pour les autres (de Bashung à Thiéfaine), l'artiste impose ici sa voix cristalline au gré de chansons pop gorgées d'électricité, de textures synthétiques ("Tessa") ou de cuivres élégants ("A deux pas du barrage"). Les ballades dynamiques côtoient des chevauchées électriques et des refrains radiophoniques ("Mercure"). Dans leurs couleurs mélodiques, leurs reliefs et tempos différents, ces chansons forment des paysages emplis de poésie, de délicatesse ou d'énergie positive ("Les chevaux du vent fou"), d'où se distinguent de belles fulgurances instrumentales ("Olympe") et habitées, comme le presque dub "Vertigone" ou "Le Volcan, même" à l'ambiance post-rock. De quoi obtenir une belle palette de contrastes maîtrisés.

Preuve que le math-rock n'est pas l'unique apanage des Etats-Unis ou du Royaume-Uni, bien que ces territoires regorgent de bons groupes en la matière (de Battles à And So I Watch You From Afar), ce quatuor luxembourgeois mérite toutes les attentions. Pour son troisième album, il dévoile l'intégralité des prouesses techniques que requiert ce style, mais va plus loin en lui donnant des ambiances post-hardcore bienvenues tout en évitant toujours l'écueil de la surenchère. De "Telekinesis", morceau en forme de montagnes russes, à "Countach", beau titre aux déflagrations de notes aigües, les ambiances sombres ou multicolores s'enchaînent à vitesse grand V. Riffs abrasifs ou nerveux, xylophone à la Steve Reich ("Dance Automaton Dance"), sonorités caribéennes, guitares qui dansent ("Fin de siècle") ou emplies de distorsion : tout est si maîtrisé, rapide, constrasté et puissant que l'on se demanderait presque à quoi sert de chanter quand on peut se contenter (admirablement) de jouer...

Promesse faite, promesse tenue. Il y a déjà un an que les bons mots circulaient autour de Safia Nolin après qu’elle a remporté le prix de la chanson Socan au Festival de Granby grâce à la pièce "Igloo". Le folk minimal et déchiré, sous-marin et tendre, trouve toute sa flamboyance dans ce premier album. Une des forces de Limoilou, c'est, entre autres, la réalisation de Philippe Brault et ses arrangements subtils qui savent se manifester pour procurer de la légèreté. Son doigté magnifie le monde intime de Nolin qui carbure à la guitare acoustique, une sensibilité à fleur de peau et des mots qui se vivent comme des confidences. Et puis, il y a surtout cette voix chaude, habitée et dense qui remue et qui bouleverse. Douce et forte à la fois, profonde et enfantine, Safia Nolin est une étoile qui laissera sa trace dans la constellation de la chanson.

Avec le scratch comme instrument de précision, le crew mené par DJ Supa-Jay revient à ses amours pour le sample. Comme à son habitude, des instrus enregistrées expressément pour cet album fournissent une base sur laquelle vient ici se greffer un son plus urbain. Tel "Songboy", où s’enroule autour d’un riff de piano une électro très moderne qui s’épaissit et se syncope, cet album sculpte la matière sonore au point de la rendre presque tangible. Entre froid et chaud, synthétique et organique, sa richesse vient de la diversité, du latin-jazz de "Blank" au reggaeton de "Loosin’". Avec de nombreux featurings, les horizons se superposent dans des reliefs nouveaux. Ainsi les voix pitchées, les sons filtrés, triturés et les expériences sonores savent aussi s’estomper pour un bon hip-hop old-school. Multifacettes, toujours en mouvement, à la fois envoutant dans des boucles hypnotiques et puissant par des beats gras et effrénés, cet album captive par ses déconstructions artistiques.

ÉMELINE MARCEAU

ÉMELINE MARCEAU

SELIM Maison rock

SUMMER Hot Servitude

MAÏA VIDAL You’re the waves

ZONE LIBRE PolyUrbaine

Caroline / Universal Music Distribution Deal

Autoproduction

Crammed Discs

Intervalle Triton / L'autre distribution

Forcément lorsque l’on s’appelle Joseph Chedid, on possède plus qu’un nom et une (petite) voix. L’on épouse alors un héritage musical et familial comme trésor de guerre avec l’obligation – non pas d’exister – mais d’exigence. De quoi affronter la comparaison, quitte à jouer la (légère) différence. Le résultat est une énergie rock en sourdine, pop française et ses nuances poétiques (qu’elles soient psychédéliques ou électroniques) en guise d’ouverture. Riffs électriques, beats étouffés, jeu de cordes (violons, sitar) ou cloches tintinnabulantes… La subtilité est de mise avec cet auteur, au timbre fragile, dont les textes oscillent entre doutes personnels et réflexions ludiques. Enregistré en une seule prise, l’album a d’abord existé pendant un an sur Internet, avant de connaître une sortie physique. Il aura donc fallu attendre ses 29 ans pour découvrir ce collaborateur de l’ombre qui, outre ses participations familiales, a notamment travaillé avec Arthur H et Mathieu Boogaerts… Cela vous étonne ?

Le nouvel album de Summer démarre fort avec "Jenifer", une simple histoire d’amour en devenir. Conceptualisé avec une face A et une face B, à la manière vintage d’un bon vieux vinyle, ce disque met en évidence une musique sombre faite de mots chocs englués dans un mur sonore. La voix trainante du chanteur donne encore plus de relief à ces histoires d’amours modernes en phase avec leur époque. Les textes, en français, sont plus scandés que chantés. Dans "Dead girl junkie MILF", le chanteur se livre à un inventaire à la Prévert des nouveaux comportements féminins. Le must de l’opus arrive tardivement ; c’est excellent "Une fille comme les autres", parfaitement mis en valeur par des nappes sonores synthétiques. Les paroles de ce titre accrochent immédiatement l’oreille, ce qui n’enlève rien à la parfaite réussite de ce disque très maîtrisé où tout semble magistralement contenu, même les plages musicales. Un hommage à la femme moderne, urbaine, érotisée et déterminée.

Ancienne adolescente punk, Maïa Vidal ne fonctionne qu’à l’instinct et aux impulsions féeriques. Hier, portée sur une luxuriante orchestration, plutôt folk que dancefloor, la compositrice, avec son troisième et meilleur LP à ce jour, bazarde l’allégeance symphonique pour l’imprévu du grand large. En douze titres aussi complexes que sublimement produits, la Franco-Américaine propose une définition toute personnelle de la pop électronique. Attention, disque en trompe-l’œil : les premières écoutes divulguent une suite de strates atmosphériques à michemin entre cauchemar et rêve ; puis, en creusant les ramifications de cette architecture hors mode et hors temps, les mélodies jaillissent tel un baume au cœur. You’re the waves semble dessiner une osmose tellement cohérente qu’il paraît impossible d’en extraire le moindre single. Et pourtant, en isolant chaque titre du contexte album, l’auditeur perçoit pleinement l’évidence pop concoctée par une artiste libre et mutine.

A l'écart des autoroutes du rock, Serge TeyssotGay suit depuis la fin de Noir Dés' un chemin plus confidentiel. Avec Zone Libre, qu'il forme en compagnie du batteur Cyril Bilbeaud (Sloy, Versari), cela s'est traduit par des ciné-concerts, des lectures et des disques de rap / rock. PolyUrbaine est le quatrième album du groupe à géométrie variable et le troisième qui explore cette fusion. Alors que par le passé, les murs de guitares se mélangeaient à un tableau au scalpel de la banlieue, c'est ici une vision positive des villes périphériques que "Sergio" entend défendre. L'Américain Mike Ladd et Marc Nammour (La Canaille) ont pris le micro : ils parlent des ouvriers et de thèmes pas si courants que ça dans le hip hop. Au final, PolyUrbaine n'est jamais si bon qu'après des dizaines d'écoutes : les polyrythmies se déploient, l'alchimie apparaît clairement. Pas le disque le plus évident de Zone Libre, mais un voyage passionnant.

JEAN THOORIS

Bastien Brun

SAMUEL DEGASNE

PATRICK AUFFRET

Entrevue sur longueurdondes.com

Entrevue sur longueurdondes.com

AUTOMNE 2015

SARAH LéVESQUE

JULIEN “JAY” SAHUQUILLO - Les Disquaires de Paris

LONGUEUR D’ONDES N°76 43


2015 est l’année de la chanteuse islandaise. Alors qu’elle fête ses cinquante ans, le musée d’art moderne de New York (le "MoMA") offre à l’artiste une ambitieuse rétrospective, retraçant l’essentiel de sa carrière. Pour fêter l’événement, Klaus Biesenbach, le directeur du musée, lui consacre un coffret collector qui ravira les fans. Celui-ci se compose de cinq cahiers reprenant le catalogue de l’exposition, et proposant une passionnante plongée dans l’univers de Björk. On y découvre une biographie de la musicienne, étonnante par sa capacité à mélanger les approches artistiques : vidéo, poésie, chant… Une série de portraits retrace l’évolution de ses costumes et masques, illustration de sa créativité généreuse. Le coffret comporte également un long poème de Sjon, son ami poète, ainsi qu’un extrait de la savoureuse correspondance qu’elle a entretenu avec le philosophe Timothy Morton. Un objet éclectique, dense et inclassable, à l’image de l’artiste aux mille visages.

M. ALFRED ET D. CHAUVEL Daho, l'homme qui chante

Ed. Gallimard, 24 €

Ed. Delcourt, 18,95 €

Depuis l’explosion de son blog-bd en 2007, l’illustratrice n’arrête pas : publicités, magazines, ouvrages collectifs, DJ set 90’s, adaptation de Joséphine en film, caméos ou encore un titre de Chevalier des Arts et des Lettres… De quoi se faire chef de file d’une génération féminine entre ligne claire numérisée et parisianisme assumé. Sauf qu’en s’attaquant à la biographie "fictionnelle" de Cass Elliot, chanteuse au timbre et au physique hors norme du groupe The Mamas & The Papas, la dessinatrice opte pour un crayonné spontané, avec toujours son lettrage inimitable et deux cases par page, évitant le name dropping de la BD Autel California (Nine Antico, Ed. L’Association). Une aubaine scénaristique pour une auteure qui en manque parfois. D’autant que la brève histoire du groupe (1965 - 1968) – un des seuls Américains à avoir rivalisé avec les Beatles (The Byrds et Beach Boys inclus) – résume à elle seule l’insouciance du flower power des 60’s : décès précoces, drogues et histoires d’amour…

Ce n’est pas la première fois que le chanteur collabore avec les auteurs, qui ont reçu un Fauve d'Or au festival d’Angoulême en 2014 pour Come Prima. Ils avaient, ensemble, réalisé la série jeunesse Octave. Cette fois-ci, pendant deux ans et demi, le scénariste et le dessinateur ont suivi Étienne Daho avec la volonté de réaliser un livre "atypique et passionné". Le résultat se décline en trois couleurs et narre la réalisation de l’album Les Chansons de l’innocence retrouvée, sorti en novembre 2013. Un treizième disque, alors retardé en raison d’une péritonite qui aurait pu s’avérer fatale, et dont la tournée a donné un ultime râle cet été, au festival Rock en Seine. C’est donc un Daho, principal narrateur du récit, que l’on voit défiler à travers les larges cases, entre écriture à Londres ou Rome, et travail en studio et concerts. Le tout, avec son flegme habituel, distillant des anecdotes sur son inspiration et laissant la parole à son entourage artistique. Ludique et tendre à la fois.

Samuel Degasne

samuel Degasne

Nouvelles

BD

Aena Léo

PENELOPE BAGIEU California Dreamin'

Roman

Ed. Flammarion, 49,90 €

Recueil

KLAUS BIESENBACH (sous la direction de) Björk : archives

BD

Document

livres

BD

chroNiques

D. ROBERTSON ET W. ELLIS Transmetropolitan, tome 4

Jean-Noël LEVAVASSEUR ( sous la direction) Gun Club - 24 histoires pour Jeffrey Lee Pierce

Jean-Yves Leloup Musique non stop

Virginie Despentes Vernon Subutex, Tome 2

Ed. Urban Comics, 22,50 €

Ed. Camion Blanc, 30 €

Ed. Le mot et le reste, 19 €

Ed. Grasset, 19,90 €

Urban Comics, filiale de Dargaud, a toujours le don de publier des BDs punks inspirées et au façonnage soigné. 100 Bullets, Y The Last Man, V pour Vendetta, Punk Rock Jesus, Preacher ou Sandman en sont quelques exemples non exhaustifs… Et Transmetropolitan, l’un des fleurons. A l’origine série mensuelle et post-cyberpunk, publiée entre 1997 et 2002, sa réédition française en cinq tomes nous permet enfin d’apprécier l’humour vachard et anarchiste de son anti-héros : Spider Jérusalem. Dans un futur dont on ne connaît la date précise, le personnage principal — journaliste drogué, colérique, anticonformiste et autodestructeur (sorte d’Hunter S. Thompson à peine maquillé) — se fait défenseur de la liberté, attaquant la corruption (économique ou politique) et luttant contre le silence médiatique ou les injustices sociales. Résultat ? Un récit misanthrope, irrévérencieux et anticlérical, avec cette règle immuable : la science-fiction ne reste qu’une réalité parallèle dont on a grossi un détail...

Illustré par les élégants dessins d’Olivier Brut et par l’auteur de BD Jean-Christophe Chauzy, agrémenté d’une sélection de photographies de Philippe Remond et Valérie Tabone, Gun Club propose vingt-quatre nouvelles — une par auteur — inspirées par Jeffrey Lee Pierce et son groupe. Hallucinations, confessions post-mortem, crimes passionnels, souvenirs de fans, suicide et sensualité constituent les ingrédients de ces scénarios imaginaires, souvent dans le décor fantasmé de l’Amérique des motels déglingués aux néons clignotants. Dommage que la qualité d’impression et du papier ne soit pas au rendezvous — le contenu en eût valu la peine — et que tous les auteurs n’aient pas joué le jeu, Jeffrey Lee Pierce étant parfois un lointain prétexte plutôt qu’une réelle inspiration. Néanmoins un très beau projet et une fantastique préface de Cypress Grove sur le thème des liens qui unissent l’écriture de chansons et de nouvelles et sur l’aspect cinématographique de l’œuvre de Jeffrey Lee.

Ce recueil de 24 articles (publiés dans Tsugi, Libération, Nova Magazine…), écrit par le journaliste et musicien Jean-Yves Leloup, offre un regard fouillé et passionnant sur les mutations à l’œuvre ces quinze dernières années dans le secteur musical ; puis analyse le lien étroit entre musique et société. Ces enquêtes qui prennent de la hauteur croisent les facteurs sociaux, culturels et historiques afin de mettre en lumière ce que la musique raconte sur nos sociétés, et vice versa. Au détour de ces articles — titrés pour la plupart sous forme de questions originales (« Les hymnes pop sont-ils d’essence religieuse, guerrière ou totalitaire ? », « L’ordinateur portable a-t-il révolutionné la musique folk ? ») — le lecteur apprend entre autre que le clubbing est né sous l’occupation nazi et que la French Touch s’est éveillée en parallèle du déclin de la scène rock (et de la mort de Kurt Cobain). Une plume inspirée et très référencée, accessible aussi bien aux néophytes qu’aux amateurs.

Prépondérant dans l’univers de la romancière, le thème de l’amitié — franche, improbable, amoureuse, conflictuelle, complexe, viscérale — est au cœur de ce deuxième tome, dans lequel les liens entre les personnages qui gravitent autour de Vernon Subutex se resserrent, laissant apparaître au fil des pages une galaxie : celle qui relie les êtres humains les uns aux autres, de générations en générations. Quel est le point de rencontre entre une porn-star morte, un érudit universitaire et une jeune fille voilée ? Où est la jonction entre une rock-star, un millionnaire déguisé en pauvre, une journaliste en quête d’aventures sexuelles et un SDF qui fait rêver les filles ? Entre les années 2000 et aujourd’hui ? Pourquoi avons-nous besoin des autres pour écrire notre histoire ? Qu’est-ce qui rend réelle notre existence ? Que serions-nous si personne ne se souvenait de qui nous avons été ? Provocatrice salutaire, écrivain rock, réalisatrice rentre-dedans, humaniste : Virginie Despentes.

Samuel Degasne

France de Griessen

Serena Sobrero

France de Griessen

44 Longueur d'ondes N°76

AUTOMNE 2015


AUTOMNE 2015

LONGUEUR D’ONDES N°76 45


ca gavE

humeur et vitriol

par Jean Luc Eluard

J

ean-François Ledoux a peur. Jusqu'à présent, il était plutôt d'humeur badine, Ledoux. Il ne se passait pas un jour sans qu'il ne profite de la moindre occasion pour répondre « yaux de poêle » à ses amis et voisins qui passaient en lui demandant « comment vas-tu ? », ce qui marchait beaucoup moins bien quand on lui demandait « comment ça va ? ». Jean-François Ledoux était abonné à l'Almanach Vermot d'où il tirait l'essentiel des amusantes saillies qui faisaient dire de lui dans son village : « Ah ben, Ledoux, il en a de bonnes. » Le péquenot se contente de peu, raison pour laquelle il est rare qu'il demande plus d'un million d'euros pour partir en retraite après avoir coulé l'entreprise qu'il n'a pas dirigé, puisqu'il se contente de peu, je viens de le dire. Mais depuis quelques mois, Jean-François Ledoux a peur. A la question « comment vas-tu ? », il déçoit ses interlocuteurs en se répandant en vagues considérations sur la situation internationale qui, comme la météo, n'est jamais au beau fixe et contrarie de ce fait l'expert qui doit trouver des explications a posteriori pour justifier les prévisions erronées qu'il a émises a priori. Jean-François Ledoux est propriétaire d'un élevage de cochons dans l'Allier ce qui, jusqu'à présent, n'avait pas altéré sa légendaire bonne humeur, ce qui, en soi, est déjà une forme d'exploit. On voit bien que vous ne connaissez par l'Allier, sinon vous saisiriez mieux la notion d'exploit. Mais depuis le début de l'année, JeanFrançois Ledoux regarde le monde différemment : il en est venu à considérer ses bêtes comme une source de danger potentiel pour sa vie et celle des siens qui se limitent à une mère cacochyme et grommeleuse qui l'encourage avec constance en lui répétant « mon JeanFrançois, t'es gentil mais t'es qu'un bon à rien ». Une mère, quoi... C'est qu'à l'instar d'Alain Minc ou de BHL, Jean-François Ledoux produit des analyses pertinentes de la situation du monde et depuis janvier dernier,

Vigipirate qui se dilate

prenant prétexte que le cochon est une cible possible pour le terrorisme musulman, il réclame à être inclus derechef dans le plan Vigipirate de son département. Ce que la préfecture, repère notoire de fonctionnaires bornés, lui refuse avec dédain. Alors Jean-François Ledoux, à l'instar d'Alain Minc ou de BHL, vitupère contre ces incompétents qui ne comprennent pas l'urgence d'agir avant qu'il ne soit trop tard, c'est-à-dire avant que les faits ne leur aient donné tort. Et je suis d'accord avec Jean-François Ledoux : profitant de l'hystérie générale, notre pays s'est doté de lois d'exception qui autorisent les militaires à patrouiller en arme, l'air détaché, sans doute pour rassurer les talibans en leur montrant que, finalement, Paris n'est pas si différent que ça de Kaboul. La moindre école au fin fond du trou du cul de l'Allier a installé des barrières devant ses entrées au cas où un terroriste viendrait à se perdre dans le coin ; on vous fouille à l'entrée des bibliothèques au cas où vous dissimuleriez un missile sol-air dans votre sac : et Jean-François Ledoux n'aurait pas droit à une protection militaire comme n'importe quelle autre cible prioritaire ? Révoltons nous et signons la pétition pour l'extension du plan Vigipirate aux élevages de cochons ; et même aux cochons d'Inde, des fois qu'un terroriste un peu pressé ou peu féru de taxonomie viendrait à se méprendre. Le plan Vigipirate est à la sécurité nationale ce que le cerveau est à un footballeur : si ça lui était utile, on l'aurait remarqué. Si l'on peut comprendre qu'un individu louche et aux intentions malintentionnées veuille s'en prendre à un aéroport, un ministère ou même à l'Elysée, si tant est que cela puisse changer quoi que ce soit à la vacuité qui l'habite depuis une décennie, j'ai un peu de mal à saisir l'utilité de se vêtir de sa plus belle ceinture d'explosifs pour aller se ridiculiser en se faisant volontairement volatiliser au fin fond de la

Lozère où l'on ne l'a pas attendu pour supprimer des classes entières dans les communes rurales. Comment raisonnablement croire que c'est en patrouillant tout en reluquant le fondement des filles que l'on améliore la sécurité ? Et de fait, la seule utilité du plan Vigipirate est de montrer à tout le monde que l'on s'inquiète pour notre petite santé, que le gouvernement est là, que tout va bien, que François Hollande fait rempart de son petit corps grassouillet et que les services de communication veillent à ne nous effrayer que juste ce qu'il faut en signalant à intervalles réguliers qu'un attentat a été déjoué. Alors qu'un attentat déjoué, c'est comme un accident qui n'a pas eu lieu : on s'en fout. Enfin, normalement... Mais au lieu de déployer tous ces moyens voyants, coûteux et, pour paraphraser ce qui précède parce que j'aime me paraphraser, c'est un peu comme l'autofellation : inutile. Il eût été plus pertinent, afin d'éviter d'ennuyeux attentats qui distraient l'attention du cadre profitant de l'occasion pour aller compatir en groupe plutôt que de bosser, d'avoir une politique étrangère cohérente qui ne passe pas par l'alignement bêlant sur les États-Unis et par les rodomontades militarisées et "bombinatoires" des deux derniers présidents en date qui utilisent l'agression de pays lointains soit pour convenances personnelles, soit pour remonter dans les sondages. Quand on se dresse sur ses ergots comme un gallinacé de concours en déclarant la guerre — sans passer par le parlement d'ailleurs, ce qui est un tantinet inconstitutionnel — à n'importe quel traîne-savate en burnous, il ne faut pas ensuite s'étonner de ce que lesdits loqueteux viennent nous rendre la pareille au prétexte qu'ils n'ont pas compris que c'est nous qu'on a raison, vu qu'on est gentils et qu'eux, ils puent du bec. Quand même pas au point d'aller se faire sauter dans l'Allier ? i

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AUTOMNE 2015


La Fédération des Festivals de Chanson Francophone présente :

DU 17 AU 19 NOVEMBRE 2015

www.fedechansons.fr

17 NOVEMBRE

à la Scène du Canal

Tango Kashmir Leonid Denis Rivet Mary * Face à la mer Fränk 18 NOVEMBRE

au Centre Barbara Fleury Goutte D'or

La mine de rien JP Manova Erwan Pinard Hildebrant Babel Courir les rues 19 NOVEMBRE

au Centre Barbara Fleury Goutte D'or

Delinquante Es Eskelina Frank Echegut Pan Bat Point G Kiz Avec le soutien de : AUTOMNE 2015

LONGUEUR D’ONDES N°76 47



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