Béa rice
Dalle
Virginie
Despen es
Tout feu tout femme
N°88 Hiver 18 / 19
gratuit
Et aussi : Canine, Balthazar, Holy Two, Thylacine, Cadillac, Les Hôtesses d’Hilaire, Aloïse Sauvage, Diane Dufresne, Dossier Cold Wave...
2 Longueur d’ondes N°88
Numéro 88 Directeur - rédacteur en chef > Serge Beyer Publicité > Émilie Delaval – marketing@longueurdondes.com, Pierre Sokol – pierre@longueurdondes.com, Julia Escudero – julia@longueurdondes.com Maquette - illustrations > Longueur d’Ondes, Éphémère Webmasters > Kévin Gomby, Laura Boisset, Marylène Eytier, Anna Krause Ont participé à ce numéro > Patrick Auffret, Valérie Billard, Alain Birmann, Laura Boisset, Hélène Boucher, Jessica Boucher-Rétif, Valentin Chomienne, Antoine Couder, France De Griessen, Samuel Degasne, Julia Escudero, Régis Gaudin, Fanny Jacob, Pierre-Arnaud Jonard, Kamikal, Anna Krause, Yann Le Ny, Louis Legras, Xavier Lelièvre, Aena Léo, Céline Magain, Vanessa Maury-Dubois, Émeline Marceau, Xavier-Antoine Martin, Clémence Mesnier, Julien Naït-Bouda, Benjamin Piertrapiana, Clémence Rougetet, Johanna Turpeau, Jean Thooris, Laurent Thore Photographes > Patrick Auffret, Sébastien Bance, Christophe Crénel, Marylène Eytier, Guendalina Flamini, Benjamin Pavone, Dan Pier, David Poulain, Clémence Rougetet, Jack Torrance Impression > MCCgraphics Dépôt légal > février 2019 www.jaimelepapier.fr Les articles publiés engagent la responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de reproduction réservés. I.S.S.N. : 1161 7292
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Savez-vous comment sont attribués les disques d’or ? C’est le Snep, le syndicat national de l’édition phonographique, qui s’en occupe… L’organisme – affilié au Medef et dont le président est le directeur d’Universal France – recense les ventes d’un artiste et attribue la fameuse récompense en fonction de seuils chiffrés. Or, depuis 2019, ces seuils ont évolué. Désormais, la vente d’un disque physique correspond à 1 500 écoutes en streaming (contre 1 000 auparavant). Normal, direzvous : le secteur est depuis quelques années en mutation et doit faire face à sa révolution technologique… Il n’est donc pas saugrenu d’en affiner les curseurs. C’est aussi vrai que nous sommes également en droit de nous interroger sur sa justification (que ne précise pas, hélas, le Snep – et qui aurait évité les suspicions). Car en augmentant ces taux de 50 %, la mesure va sans doute permettre de lutter plus efficacement contre certains fraudeurs… Mais elle pourrait aussi limiter l’impact des musiques urbaines (utilisant massivement les plateformes d’écoute en ligne) et celui d’artistes émergents – dont le disque d’or reste parfois un baromètre pour justifier une présence médiatique et/ou au sein de festivals. Est-ce en raison de l’orgueil des vieux dinosaures de la chanson française ne souhaitant pas se faire chahuter leur(s) titre(s) ? Il n’empêche que le streaming représente aujourd’hui près de la moitié du chiffre d’affaires de l’industrie musicale… (oui oui !) Il est donc tout aussi important d’y prêter une oreille, autant qu’il faille parfois prendre du recul en n’accordant pas nécessairement crédit au Dieu numérique. Une preuve encore que le système se cherche, qu’un peu de pédagogie évite les complots faciles en société et qu’en matière d’émergence ou de diversité, le silence n’est toujours pas d’or.
La rédaction
sommaire
France - Québec - Belgique
édito
L’or de se réveiller
Cadillac, un artiste Stupeflipa nt !
Découvertes Laura Favali 5 Okay Monday 6 The Eleven 6 We Hate You Please Die 7 Joulik 7
Entrevues Canine 9 Anomalie 13 Ramon Pipin 14 Cadillac 16 Balthazar 18 Diane Dufresne 20 Aloïse Sauvage 23 Holy Two 24 Les Hôtesses d'Hilaire 26 Thylacine 28
En couv Béatrice Dalle, Virginie Despentes Tout feu tout femme 31
Coulisses dossier Cold Bless You
37
Chroniques Musique 43 Livres 49 Ça gave 50
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DecouvErtes
Laura Favali mystique rock
«
J’ai commencé à dix-neuf ans par être comédienne, au théâtre puis au cinéma et à la télévision. En parallèle, j’ai toujours chanté et écrit des textes sur des émotions et des choses vécues qui m’inspiraient. J’ai eu plusieurs fois des projets musicaux, mais c’est mon premier album. Cela a pris du temps. » Laura Favali est actrice, photographe, peintre, auteure et compositrice. Son chemin porte en étendard la beauté des choses pleinement incarnées, construites non pas dans l’urgence, mais tout au contraire, en ayant laissé à la vie l’occasion d’accumuler des expériences, telles des nourritures
France de Griessen Delphine Ghosarossian spirituelles, charnelles et poétiques. « La première personne qui m’a inspirée, c’est mon père, qui chantait très bien et m’a initiée à la chanson populaire française et à la chanson à texte, avec des gens comme Léo Ferré ou Serge Reggiani. En même temps, j’ai découvert le rock et l’énergie des femmes : Patti Smith, Nina Hagen, Nico, Siouxsie… Je me trouve entre les deux, entre les textes français et la musique anglo-saxonne. » Reno Isaac a réalisé son premier album Princesses Parallèles. Elle le défend sur scène en version intimiste électrique et acoustique avec le guitariste et pianiste Louis Le Van Gong, en accompagnant ses concerts de projections de
photographies oniriques. « La chanson, c’est un mode court, dans lequel se rejoignent l’infiniment petit et l’infiniment grand. C’est l’intensité d’un instant qui peut durer toujours. On peut voyager dans le temps et communiquer avec des gens de notre passé ou avec des artistes qui nous inspirent. » Sur scène, elle est tour à tour émouvante, fragile, épatante, drôle, sensuelle et tendre ; un spectacle « qui est en cours de création et dont la forme future est encore inconnue » pour porter un univers rock mélancolique et lumineux. dlaurafavali.net
Princesses Parallèles / Autoproduction LONGUEUR D’ONDES N°88 5
decouvertes
Okay Monday popeux en herbe
L
XAVIER LELIEVRE
’indie rock, spécialité strictement américaine ? Ça non, la preuve ! En France aussi, les guitares savent se faire piquantes, détonantes et acidulées, bien que toujours résolument et inévitablement tournées outre-Atlantique : « On adore l’Angleterre aussi, mais les US ont ce côté plus fantasmé, à cause de la distance sans doute, qui nous fait rêver un peu plus. » Frénétiques et addictives, les sucreries pop d’Okay Monday feront monter votre glycémie bien au-delà du seuil de tolérance, déployant toute une bagatelle de mélodies drôlement bigarrées et assassines, le tout suppléé d’une énergie folle et contagieuse, qui plus est au service d’un imaginaire graphique précis et très soigné : « Sans être des obsédés de l’image, on préfère les pochettes de groupes comme les Cars que le cliché du groupe de rock qui se fait photographier devant un mur en brique ; depuis que les Ramones l’ont fait personne n’en aura de meil-
The Eleven
Carolyn
leure, désolé ! » Sans tricher, ces Lillois signent un manifeste punk faussement juvénile et sacrément gonflé, à l’heure où la hype n’est (quasi) plus que sonorités synthétiques, cold wave et autres courses à la virtuosité technologique. Prouesses qu’ils ne renient d’ailleurs pas pour autant, par fair-play ou tout simplement affection pour leurs contemporains : « En 2018 on a pris de bonnes claques sur disque avec Halo Maud ou Thousand et bien adoré des groupes avec qui on a eu l’occasion de jouer (Thé Vanille, Structures et Bison Bisou pour ne citer qu’eux) ». Alors, asseyez-vous confortablement et laissez-vous conter l’histoire rock’n’roll à souhait de ces trois garçons dans le vent, bercés aux Beatles, Dandy Warhols, Weezer ou autres Posies. Carrément branché et avec juste ce qu’il faut de spontanéité, le résultat est sans appel : foudroyant. dfacebook.com/okaymonday
I love you keep driving / 62TV Records
dandys alternatifs
O
Xavier-Antoine MARTIN
riginellement portée sur les fonds baptismaux sous le nom de Pure, après 10 ans et quelques changements de line-up, la formation s’est désormais stabilisée sous le nom de The Eleven. Ne cherchez rien dans le chiffre 11, ce n’est absolument pas là que ça se passe. Cet Eleven c’est la combinaison – ou plutôt l’opposition – de deux chiffres apparemment semblables, le un et le un. « I’m the one and the other one » devise du groupe que répète à l’envi Enzo, leur leader. « Ces deux un, c’est le ying et le yang, le blanc et le noir, le bien et le mal, la vie et la mort, le grunge et l’élégance... » qui, en s’opposant, deviennent facteurs de création et surtout d’élévation spirituelle. Biberonnés au bon lait musical de la scène de Seattle cuvée années 90, les Franciliens ont grandi aux sons survitaminés de la bande des quatre – Alice in Chains, Pearl Jam, Nirvana et Soundgarden – puis
Guendalina Flamini
de leurs meilleurs successeurs alternatifs. De toute cette période ils ont évidemment gardé le son mais ont également développé « un goût prononcé pour l’esthétisme, une recherche quasi-obsessionnelle du beau ». Une quête qui sert désormais à magnifier les thèmes de prédilection du groupe comme la mémoire ou bien encore le temps qui passe, inspirés par un mysticisme discret qui amène tant de richesse à leurs productions. Après l’excellent EP Grungee Dandee, le groupe annonce un LP – « On a déjà plus d’une cinquantaine de titres déjà écrits » – dont ils assureront eux-mêmes la production. Puis courant 2019, viendront les concerts que l’on espère nombreux car ces dandys alternatifs, par leur musique et leur état d’esprit, devraient rapidement y trouver un public fidèle. dwearetheeleven.wixsite.com/theeleven
Grungee Dandee / Autoproduction
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Decouvertes
We Hate You Please Die la colère monte
L
Julien Nait-Bouda
a violence ne saurait être une réponse civilisée dans une société gouvernée par des élites dont la surdité ne peut résolument être ébranlée que par des soubresauts insurrectionnels. Une assertion ô combien actuelle dans un contexte sociétal sinistré par les injustices et les inégalités croissantes, conséquence d’un système soumis au grand capital. C’est ainsi par un nom de scène appelant au « meurtre symbolique d’un modèle à bout de souffle » que le quartet de Rouen a choisi de réveiller les foules, comme le résume son leader Raphaël : « Il y a aujourd’hui dans la société un surplus de colère. On est tous scandalisés en scrollant sur FB, on se prend des tonnes d’infos sidérantes, mais personne ne fait rien à part mettre un putain d’émoji. Il faut de manière générale que l’on sorte de cette dissonance cognitive ». Comme il le dit sur leur titre “Rita Baston” « This generation is fucked up », à la jeunesse donc de
Joulik
Gwendalina Flamini
se réveiller avant qu’il ne soit trop tard. Pour ce faire, c’est une véritable déferlante de noise rock sur scène qui est proposée. Accompagné de trois acolytes : une batteuse à la force de frappe sidérante, une bassiste aux doigts de fée métronomique et un guitariste aussi lumineux que sa tignasse dorée, Raphaël ne veut pas se résigner, et au sortir de leur premier EP Kids are lo-fi, le garçon de trente balais tire ce constat : « Maintenant que je fais de la musique, j’ai un peu moins peur de la mort et je prends plus confiance dans la vie. Mais on est dans une société de la méritocratie. Cela ordonne de la survie, cet espace ne permet pas d’accès à la sensibilité et la place accordée à l’art, à la culture, s’en ressent fortement ». Il faudra certainement se saigner pour changer d’avenir, et si possible, autrement que par le tir d’un flash-ball reçu en pleine poire… dfacebook.com/whypd
Kids Are Lo-Fi / Kids Are Lo-Fi Records
l'amour de Babel
I
Valentin CHOMIENNE
ls sont trois musiciens instinctifs, travaillant les sons quelle que soit la région dont ils proviennent. Mélissa Zantman, chanteuse et accordéoniste, s’attaque aux imaginaires. Elle délie les langues et s’éprend des étrangères, de l’italien au wolof, sans oublier le français. « Je ne parle pas forcément les langues que je chante. Je travaille à l’oreille. Je change ainsi de peau, depuis mon enfance, » dit-elle. Dans sa bouche, le mot est un son, un tas d’onomatopées. Ses cordes vocales sont sœurs de celles de la guitare et de l’oud de Robin Celse et de celles du violoncelle de Claire Menguy, arrivée dans le groupe il y a deux ans. Ces trois jeunes personnes marchent comme des funambules, se laissant porter par les quatre vents et par leur souffle intérieur, par leurs intuitions. Ils s’embarquent alors dans une expédition polyphonique reliant les Balkans et le nord de l’Afrique, établissant une frontière
Fabien Tijou
commune entre le Brésil et la Méditerranée, qu’ils s’empressent d’abolir : « Nous n’avons plus de référence géographique précise, notre création musicale ne provient plus d’une origine unique. Nous nous extrayons des classifications. Nous nous amusons à nous déguiser. » Ces travestis sont des va-nu-pieds, comme le signifie le mot russe joulik. Dans les sacs qu’ils portent sur leur dos, des babioles et des instruments qui forment un attirail composite. Dans la chanson ‘’Malgré moi’’, Mélissa chante ainsi : « Malgré moi, je trimballe des choses qui ne m’appartiennent pas. » Ils sont trois grandes éponges, qui se baladent dans leur baignoire musicale, leur terrain de jeu, revendiquant leur liberté complète et rejetant l’étiquette usée de world music. Des éponges que l’on passe pour oublier le lieu où l’on est. djoulik.fr
ENVOL / La clique
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entrEvues
Canine bas les masques
Il n’y a pas que le masque physique de l’artiste qui est tombé pour la première fois ce 26 novembre dernier au théâtre Marigny. En mélangeant expression urbaine et théâtre antique, soul et musique électronique, celui des conventions a suivi...
Samuel Degasne
David Poulain
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entrevues
A
ttrape-journalistes ? Sans doute. Mais on ne devrait jamais oublier qu’un consentement naît de tout jeu de pistes : celui d’être attrapé·e… Surtout quand celui-ci, volontairement en pointillés, alterne aussi souvent le rôle du chassé. Car ce ne sont pas les cailloux blancs qui ont manqué depuis le concert de lancement, le 16 juillet 2016, à l’église Saint-Eustache de Paris. Le geste était peut-être encore hésitant, mais l’empreinte s’y était imprimée au singulier... Une église ? L’objet – hybride – accordait déjà une place au sacré : « Je ne suis pas croyant·e, mais ce personnage de pythie aveugle [son masque lui cache les yeux] m’intéresse pour son universalité… Or, la musique, n’est-ce pas quelque chose qui nous dépasse ? Et un concert n’est-il pas une commémoration ? » s’interrogeait l’artiste qui souhaitait alors protéger son identité. Avant de conclure, à propos du lieu inhabituel du concert, qu’il est « important d’entamer chaque cycle dans un écrin différent ». C’est tout l’art de cette artiste-meute : faire croire aux premières fois à chaque rencontre. Même diagnostic, le 9 mai 2018, dans les coulisses du studio 105 de France Inter : il n’y a pas qu’en protégeant son identité plurielle – l’entourage scénique est une masse indivisible de son berger [la meute] – que Canine brouille les genres. En masquant son visage et en adoptant un modulateur de voix intersexué, l’artiste permet les suppositions autant qu’il/elle n’autorise aucun ancrage. Femme d’âge mûr ? Jeune homme ? Nul ne sait encore et le 1er clip, multipliant les visages anonymes derrière un sigle, feront eux aussi preuve de neutralité (de par ses couleurs ou l’absence de leader). Même l’interview, au micro de la radio, se passera dans l’obscurité… Tout juste devine-t-on, une équipe – des musiciennes jusqu’à l’ingénieure son [non, ce n’est pas une faute d’orthographe] – exclusivement féminine. Un choix pas nécessairement conscient, même si un constat demeure : « En répétition, il y a une vibration... Une présence indescriptible ». Balayant toute revendication par un malicieux « J’arrêterai de jouer avec des femmes quand ce ne sera plus étonnant », admet Magali qui pour nous – en off – laisse une première fois tomber le masque. Au jeu des miroirs, pas étonnant que ce trouble favorise aussi les chaises musicales... S’amusant des oxymores, la musique électronique y est contorsionnée par le prisme de la soul ou de la pop, rendant difficile toute expertise au carbone 14... Quant aux pistes narratives, elles y sont trop 10 Longueur d’ondes N°88
nombreuses pour identifier un chemin balisé... Clins d’œil ? Emprunts ? Novlangue ? Le point de départ est oublié. Perdu. Abandonné. Et, une fois encore, pas nécessairement voulu : « Je ne réfléchis pas à la musique d’un point de vue culturel ou ethnique. Chez moi, l’étape de création doit être spontanée et rapide. Libre ! C’est dans un second temps que je redeviens spectatrice et que le travail du doute commence… C’est comme choisir des vêtements : ce difficile équilibre entre influencer les regards et ne pas trahir son identité. » Spectateurs, c’est nous qui l’étions ce 26 novembre 2018, lors de l’avant-première dans un théâtre Marigny, en marge des Champs-Élysées et fraîchement réhabilité. Une date historique à plusieurs titres, en amorce d’un album et d’une tournée (dont une date au centre Georges-Pompidou)... et dont un clip avait dévoilé quelques semaines auparavant la tournure. Là, sous les dorures, décor boisé épuré et couleurs monochromes. L’organique contre la machine : la dimension tragique est évidente, même si Magali confie a posteriori que sa musique possède « une gravité, certes, mais sans noirceur. Au bout du chemin, il y a l’espoir ! Et c’est bien parce que mon verre est plein que je pense à celui qui est vide »… Sur scène, les contraires continuent de s’attirer, car s’il l’on peut regretter quelques cymbales superflues, le timbre androgyne se frotte davantage aux chœurs à la voix claire. Quand le modulateur n’est pas sporadiquement abandonné pour que l’éclaircie laisse entrevoir quatre chansons en français... Idem sur la forme : le mimétisme n’est pas encore parfait avec les choristes-danseuses, mais on s’enthousiasme de ces déplacements qui multiplient les poses antiques et urbaines. À gommer les formes et les visages, on se surprend même à guetter les traces de souffles dans la voix et les mains qui tressaillent pour se rassurer sur la réalité de l’instant. Autant que l’on peine pour l’artiste en proie à ces gestes sans doute répétés à l’envi, tout en se rassurant sur la rigidité – que l’on avait devinée lors de notre précédente rencontre – de son expérience en conservatoire. « Évidemment que c’est un projet exigeant. Mais je suis mal à l’aise quand l’autorité m’est imposée. Là, c’est moi qui décide », précise-t-elle. Fantasme ?
« Pour être défendu, ce projet doit désormais être incarné. » Transfert personnel ? On la sent plus libérée de son masque social… À raison : « Je pratique la méditation et tâche de prendre soin du temps présent, même si sur scène il y a logiquement un jeu de double voix interne : celle concentrée sur l’action ; l’autre sur le paraître qui se demande si l’on merde ou non... » Cette dualité, toujours, se matérialise d’autant plus sur scène quand, pour ses derniers morceaux, Canine théâtralise physiquement la tombée de ce masque. « Pour être défendu, ce projet doit désormais être incarné », confiera-t-elle quelques jours après... Là, en pleine lumière, Magali apparaît enfin le visage nu, conquérante. Avec ses yeux mouillés d’émotion autant que de défi… Prête à l’action. Ou la chrysalide ayant clôturé sa mutation. i dfacebook.com/canineyourlife
entrevues
Dune / Universal music Face à une industrie musicale vacillante qui règle désormais sa focale sur le live, qu’attendre d’un album en 2019 ? Qu’il synthétise nos goûts et ouvre de nouveaux horizons, bien sûr, mais sans trop molester nos certitudes, histoire de laisser le temps de la digestion. Qu’il soit un événement intime, à partager, mais pas trop, sans être ce raz-de-marée qui détruirait l’écosystème. Qu’il suscite – osons ! – l’émotion... Section de cordes, rythmiques épurées, voix synthétique, chœurs naturels en opposition, univers esthétisant… Ces ingrédients, nous les connaissons. Mais à la manière de la fusion food, nous ne les avions pas encore (trop) goûtés avec cet agencement. Et c’est pour cette raison que “Laughing”, “Twin Shadow” ou “Glow” sont des titres évidents dès la première écoute : cette synthèse électro pop est aussi rassurante qu’excitante... Parce que tout a été dit, il faut créer une autre grammaire ? C’était la démarche de Massive Attack hier. C’est celle de Canine aujourd’hui.
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entrevues
Anomalie
quand la ville s’illumine Entre musiques d’hier et d’aujourd’hui, le jeune Montréalais Nicolas Dupuis peut croire en l’avenir. Adoubé par tout un pan de la scène jazz et électronique, son destin semble déjà tracé alors que sa carrière commence à peine. La naissance d’un futur grand. JULIEN NAÏT-BOUDA
N
ombreux sont les musiciens qui aimeraient avoir une reconnaissance aussi fulgurante que ce Canadien de 25 ans, dont le projet Anomalie a débuté en 2012 dans une ville alors en prise à une révolte étudiante. Le piano, son moyen d’expression, il l’a découvert grâce à des parents mélomanes, une mère professeure de musique et un père programmateur dans une radio de classique. Logiquement initié à cet instrument, il optera pour le jazz fusion dans un souci « d’être à la fois dans la performance et l’émotion ». Seul dans sa chambre, il réalisera alors des cours de jam-session, dont une à partir d’un titre de Gramatik qu’il diffusera sur Internet. Une initiative qui marquera un avant et un après, puisque le groupe lui demandera ses services pour assurer le clavier lors d’une tournée. Une rampe de lancement idéale dont se souvient l’intéressé. « Ce groupe m’a permis d’élargir mon audimat. Mes jams sont alors devenus viraux sur Facebook, certains ont d’ailleurs servi à la création de mon premier disque, Métropole I. » L’histoire était en marche et d’autres artistes à l’influence internationale s’adjugeront les services de cet étudiant en musique. Du chanteur Charlie Puth au saxophoniste Kamasi Washington dont il assura les premières parties en passant par le bassiste Thundercat du label californien Brainfeeder (excusez du peu), le talent de Nicolas aura touché toutes les couches de l’industrie musicale, mainstream, indépendantes et expérimentales. Des rencontres qui auront permis à cette âme plutôt solitaire d’apprendre et de se réaliser. « Charlie Puth produit
GUENDALINA FLAMINI
tout lui-même et fait ses propres arrangements, c’est un grand bosseur qui est très inspirant. Je suis solitaire lors de mes phases de création. La collaboration permet d’élargir mon spectre d’idées. J’aime aussi avoir un retour de mes proches sur ma musique, c’est même essentiel. » Alors qu’il vient de terminer une première tournée mondiale qui l’aura vu passer en France par l’Olympia et le New Morning pour présenter son disque Métropole II, le claviériste ne sait pas encore de quelle matière sera faite sa prochaine création. « Mes
« Je ne pense pas qu’une société puisse vivre sans musique. » deux premiers disques ont évolué stylistiquement au cours de leur élaboration. Une musique sans paroles fait passer des images ou des états d’âmes, mais pas vraiment de message spécifique. Tout cela est très inspiré par ma ville natale, Montréal, d’ailleurs chaque morceau que j’ai composé correspond à un quartier de cette cité ». Un lieu donc déterminant pour ce garçon à la sensibilité aiguë et pour qui la musique est avant tout une respiration. « Faire de la musique est un besoin vital. Je ne pense pas qu’une société puisse vivre sans. Le jam est culturel à Montréal, il faut absolument aller voir Vincent Stephen-Ong au « Bootlegger l’authentique » qui organise des sessions du genre. La scène underground de la ville
est en effervescence constante. Le disque 99.9 % de Kaytranada a été essentiel pour la musique québécoise et son essor à l’international. » Métropolitain devant l’éternel, Nicolas puise ainsi logiquement dans la musique urbaine. « Je me sers du R’n’B pour créer des lignes rythmiques. Le hip-hop se retrouve dans ma musique au niveau des drums et des syncopes (note attaquée sur un temps faible). Et puis quand je crée, cela commence par de l’improvisation, c’est après que le tout se structure. Il m’est d’ailleurs souvent difficile de terminer un morceau. » i dChaine YouTube : Anomalie
METROPOLE PART II / Dox Records Hommage au jazz moderne et fusion, la suite de Métropole I entend créer un univers où les atomes ne cessent de rebondir les uns contre les autres, qu’il s’agisse d’un beat électronique ou d’une série de notes de piano égrainées d’une main de maître. Tout en rythmique donc, le Canadien veut saisir l’oreille par l’émotion et non par l’intellect. « Ma musique n’est pas savante, je privilégie le groove avant tout. Le piano est ici en avant et les synthétiseurs en accompagnement. La couverture électronique que j’incorpore à une matière organique permet plus de rythme ». Un disque dont la virtuosité du doigté répond à une réelle envie de gambader sur le béton.
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entrevues
Ramon
au bonheur
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entrevues
Pipin
des vannes
Alain Ranval, de son vrai nom, utilise depuis plus de 40 ans la dérision et l’humour comme remparts ultimes contre les dérives d’un monde qui tourne de plus en plus à l’envers. Rencontre avec un véritable enfant du rock. XAVIER-ANTOINE MARTIN
C
omme un (contre-)pied de nez à l’actualité, le cinquième disque de Ramon Pipin Qu’est-ce que c’est beau arrive, sans que cela ne soit aucunement prémédité, en pleine période de troubles, faisant remonter à la surface un sentiment de mal vivre latent depuis des décennies. Dans ce contexte, et sachant que l’artiste est friand des facéties, le message doit-il être pris au second degré ? « Non, je pense vraiment que le monde est beau, qu’il faut s’en émerveiller. » Et quand on lui demande si l’on n’y est pas jusqu’au cou avec peu de chances réelles de s’en sortir, la réponse est empreinte d’affection : « Tu connais la théorie du collapsing [N.D.L.R. : théorie sur les risques d’effondrement de la civilisation industrielle] ? Je n’espère pas qu’on y soit. Surtout pour mes enfants. » Le disque arrive seulement deux ans après le précédent (Comment éclairer votre intérieur), alors que 24 longues années avaient passé depuis Ready steady go, son antépénultième album fait alors de reprises. Comme d’habitude, Alain a travaillé avec les potes de toujours... « Oui je suis grégaire. » Depuis 40 ans, au fil de ses projets dans la musique et ailleurs, beaucoup d’amitiés se sont tricotées, peu se sont dénouées. Il connaît (presque) tout le monde et l’homme est fidèle. À ses idées, à ses amis. Sur Qu’est ce que c’est beau, le titre “Anecdote” égraine des histoires croustillantes du monde du rock : Eric Clapton, Jimi Hendrix, Ozzy Osbourne entre autres. Souvent comparé à Zappa (« Je n’ai rien fait comparé à lui, il bossait sans arrêt »), il évoque les monstres sacrés comme Led Zep (« J’ai vu Plant récemment, il n’a rien perdu de sa voix »), Bowie, Donovan et plus récemment XTC, à qui il voue une admiration particulière. De Led Zeppelin, il est d’ailleurs indirectement question dans le titre “Stairway to eleven”, histoire
Thierry Wakx
humoristique tirée d’un film où un lèche-cul patenté n’a pour seule raison de vivre que de réussir à monter à l’étage supérieur, symbole de son ascension professionnelle. Avec Alain, tout est prétexte à rire (« Je peux rire de tout, mais pas avec n’importe qui », disait son ami Desproges), le bon mot étant sa forme ultime de défense à la morosité. En témoigne son projet avec les Excellents dont le leitmotiv est de massacrer méticuleusement (rien n’est jamais fait à peu près — règle de base —) quelques standards du rock. Armé d’un ukulélé et de deux acolytes, il revisite des tubes avec une approche extraterrestre, les transformant
Parcours Alain Ranval, artiste complet et toujours en éveil, semble avoir plusieurs vies tant le nombre de projets sur lesquels il a travaillé est impressionnant, les menant souvent en parallèle. S’il est avant tout connu du plus grand nombre pour avoir fondé les groupes cultes Au Bonheur des Dames puis Odeurs avant de continuer en solo, il a également contribué à un nombre incalculable de musiques de film télé ou cinéma (pour Laurent Baffie, Albert Dupontel et Antoine de Caunes notamment), n’hésitant pas à quelques reprises à passer du côté de la lumière comme acteur (entre autres pour le mythique Je t’aime moi non plus de Serge Gainsbourg, 1976).
« je pense vraiment que le monde est beau, qu’il faut s’en émerveiller. » en saynètes d’une minute, formatées pour YouTube où les trublions ont leur chaîne. Tout le monde prend cher, de James Brown à Led Zeppelin (encore !). Les Excellents assureront d’ailleurs les premières parties des concerts de Ramon Pipin. Quand on fait remarquer à Alain qu’il est ainsi sans doute le seul artiste qui assure lui-même ses premières parties, il rit. « Tu sais, les gens viennent pour Ramon Pipin, pas pour les Excellents même si certains nous ont demandé de monter sur scène. » On lui souhaite de s’amuser encore longtemps. On en a tous besoin. i dramonpipin.fr Qu’est-ce que c’est beau / Pipin Productions
Qu’est ce que c’est beau Pipin Productions Avec son cinquième album solo depuis 1985, le mec à la trogne d’éternel étudiant espiègle ne change pas de ligne : l’humour est son arme contre la morosité, n’en déplaise à ceux qui préfèrent pleurnicher sur le verre à moitié vide. Les 13 morceaux de l’album invitent à regarder, sentir, écouter et toucher notre monde et à – enfin – s’en émerveiller. C’est du bonheur acoustique en mode open bar pendant une heure durant laquelle il n’y aura pas de taxe sur les sens. Par les temps qui courent, c’est un luxe qu’on ne peut pas refuser, surtout lorsqu’il est offert avec autant de générosité.
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entrevues
Originul / Etic System 16 Longueur d’ondes N°88
c a l l i d ? s e s s i Ca ca
entrevues
s e d t i en fa
ôliers, on est e g s e s e d e c eillan e contagion ? ppe à la surv n a u h c re é d ip in fl ra e c p Stu -on santé ou doit nés de l’asile e a s rc r fo u s o e p d x n u u gere Quand l’ n. r : est-ce dan e g ro r te sé la questio n o ’i p s a e i d lu it n ro O d en Samuel Degasne
B
arbe de cent jours, sandales aux pieds, yeux exorbités et dentition en éventail… Mais plus de bicorne. Raccroché. Mis au placard. Ou plutôt au portemanteau, comme l’illustre la pochette de cette échappée en solo. Non, ce n’est pas de Napoléon dont il est question, mais bien d’un autre dictateur (des mots) ayant échappé à son créateur : Cadillac. Personnage stupéfiant à la voix de damné, le lieutenant du gang foutraque de hip-hop le jure : « Le projet principal, Stupeflip, était au point mort ; ce n’est pas une sédition ». Et cette éternelle gueulante pratiquée en hors-pistes au sein du CROU n’était pas plus « une posture », mais un « geste romantique »... Car chez Cadillac, les références sont toujours restées sous-terriennes. À l’absurde britannique qui paraissait pourtant évident, l’artiste préfère le surréalisme du cinéma de Luis Buñuel. Mais il ne faut pas trop en dire, de peur que les références n’exposent le personnage au réel. Le doute, c’est justement ce qu’ont semé régulièrement Cadillac et sa meute : « Stupeflip a toujours été drôle et inquiétant. J’aime ce jeu entre attirance et répulsion que je souhaite poursuivre dans un univers – non pas parallèle – mais voisin... Cet album solo, c’est évidemment un spin-off, une série dérivée qui a sa propre trajectoire. C’est aussi pousser le concept du crew hip-hop jusqu’à sa périphérie banlieusarde. » Or, si l’on sait King Ju, le taulier de la maison-mère, grand obsessionnel des consonances et des beats, on découvre aussi chez Cadillac un esprit laborieux : « Pour les paroles, j’avance phrase par phrase, avec la volonté d’être le plus étrange et original possible, d’être dans un rêve éveillé... Ce n’est pas de l’écriture automatique ! Je pense souvent au théoricien Antonin Artaud, au performeur Jean-Louis Costes ou au parolier de Bashung, Jean Fauque,
Christophe Crenel
« Stupeflip a toujours été drôle et inquiétant, un jeu entre attirance et répulsion. » pour sa technique marabout-bout-de-ficelle. Les jeux de mots, sans tomber dans l’automatisme de l’almanach Vermot, ça ne reste d’ailleurs que de la poésie. C’est du 1+1 = 3. » Pour autant, les textes restent étonnamment accessoires dans la démarche de l’artiste, qui n’y consent que parce qu’il pense, à l’instar de l’écrivain Mirabeau, que « l’homme est comme un lapin : il s’attrape par les oreilles ». Personnage ou non, le discours du marionnettiste dissimule mal le milieu artistique d’où il vient… (Les dessins du livret sont d’ailleurs son œuvre.) Car tout ça n’est pas nouveau : « La musique du single “Débile” a, par exemple, 20 ans… Ce n’est donc pas une lubie : au début de Stupeflip, je savais que cet album arriverait. C’est d’ailleurs via la musique que j’ai rencontré King Ju. » On comprend mieux les similitudes. Résultat : l’ensemble des sons a été composé par Cadillac, himself. Pas de Carpenter ou de Sexy Sushi en influences, mais l’album de reprises d’Ennio Morricone The Big Gundown par John Zorn. Et une passion pour The Cure, adolescent. L’image, le trouble, le travestissement… Le cheminement est cohérent. Comme cette phrase de la chanson “1993“ du dernier Stupeflip, prononcée par King Ju
à l’attention de Cadillac – de celle qui agit depuis comme un mantra et conclut l’entretien – : « Et si un jour, tu t’retrouves dans Casimir. C’est pas la règle : faut en sortir… » Stupeflipant. i dfacebook.com/c4di114c
À quoi doit-on s’attendre en live ? « Pour l’instant, il est encore à un stade évolutif, mais jouer avec les codes, c’est forcément absurde... Nous sommes en tout cas 4 sur scène, dont moi à la guitare, avec le costume de Cadillac qui toise à mes côtés. C’est un qui-m’aime-me-suive, avec pas forcément l’envie de séduire à tout prix, d’aller chercher le public. Mais mêler l’expérimental et le populaire est un grand rêve. Et rassurez-vous, il y a un petit pot-pourri de Stupeflip, même si jouer sans le roi – je dois l’avouer –, me rend nostalgique… »
LONGUEUR D’ONDES N°88 17
entrevues
Balthazar prescription rock
Quatre ans, c’est le temps qu’il a fallu aux acolytes de Balthazar pour se retrouver et créer à nouveau ensemble. Ce temps de pause, Maarten Devoldere et Jinte Deprez l’ont utilisé pour s’épanouir en solo. Le premier dans une ambiance art-jazz avec Warhaus, le second jouant du R&B avec J. Bernard. Aujourd’hui, les deux musiciens de Courtrai (Belgique) n’ont rien perdu de leur complicité qui musicalement fait des étincelles. Une amitié prolifique qui saute aux yeux. JULIA ESCUDÉRO
F
ever, le nouvel opus né de cette alliance rencontrera un public qui l’attend de pied ferme. « C’est le nouveau chapitre de Balthazar, explique Jinte. Après des années de tournées, nous avions besoin de nous échapper à travers nos projets solos pour faire quelque chose de nouveau. Écrire seul est toujours plus intime, mais nos retrouvailles
18 LONGUEUR D’ONDES N°88
MARYLÈNE EYTIER
étaient très excitantes. » Plus lumineux, plus groove, emprunt d’un tempo plus fort, moins mélancolique, le nouvel opus reflète cette ambiance créatrice et cette détermination commune. « Cette séparation a créé une urgence pour nous : composer à deux. Se retrouver a été une forme de décompression », poursuit Maarten. Pour le public en revanche, friand des
mélodies rock des Flamands, l’attente était longue. « On a découvert que certains de nos fans avaient peur qu’on ne fasse plus jamais d’album. Pourtant, notre retour était prévu depuis toujours », s’amuse Jinte. Maarten continue : « Nos projets solos, leur succès et les tournées qui ont suivi, ont pris plus de temps que l’année initialement prévue. »
Thin Walls, leur précédent album, avait été écrit en tournée, avec ses aléas, l’incapacité de se retrouver seul pour écrire, dans un brouhaha et une excitation constants. Cette fois, les règles ont changé. Les coupures entre deux tournées solos, les retrouvailles dans les mêmes villes belges étaient alors des moments précieux pour composer. « On a loué une maison où nous avons travaillé en nous focalisant uniquement sur notre musique, se remémore Maarten. Nous échangions de manière plus
« S’il a fallu écrire 273 morceaux pour choisir ceux qui figureraient sur le précédent album, cette fois une centaine a suffi. » fluide et instantanée que sur nos précédents essais. J’écrivais un couplet, je le transmettais à Jinte qui y ajoutait ses idées. » La suite se fait à toute allure, l’écriture continue d’être développée en studio, entre deux concerts. « S’il a fallu écrire 273 morceaux pour choisir ceux qui figureraient sur le précédent album, cette fois une centaine a suffi. C’est là que l’on voit que vieillir est une bonne chose, tu connais ton sujet et tu comprends plus rapidement ce qui est une bonne et une mauvaise idée. Pourtant, nous avons dû beaucoup écrire, ne sachant pas du tout ce à quoi l’album allait ressembler. Le titre “Fever” a été la première pièce du puzzle, celle qui donne le ton global. » Formé au conservatoire, le duo pourrait définir à lui seul la vaste notion de ce qu’est l’artiste amoureux de son art. Mais l’actualité riche des derniers mois pourrait être une source d’inspiration pour ces pointilleux musiciens. Est-ce une optique qui les intéresse ? « Pas du tout ; on veut écrire sur l’amour ou son absence, il n’y aura jamais assez de morceaux qui en parlent, surtout de nos jours. On ne va pas gâcher une chanson pour ce putain de Donald Trump. Il ne le mérite pas. » Si la politique ne l’inspire pas, c’est aussi parce que « ce n’est pas aussi intemporel que peuvent l’être les émotions humaines. L’amour ne lasse pas depuis 3000 ans. » L’album, lui, n’en offre pas une seule vision. Direct dans ses propos, il ne cherche pas à être définitif sur une émotion. « Il n’y a pas qu’une seule vérité, à la colère d’une rupture succède l’apaisement. On change régulièrement d’avis et de ressenti au cours des morceaux, mais c’est très humain et c’est ce à quoi sert la musique. » i dbalthazarband.com
Testostérone uniquement Fever est marqué par le départ de la violoniste Patricia Vanneste, unique touche féminine du groupe. « Sur l’album, ça ne change rien puisqu’il y a du violon qu’elle interprète. En live, on se transforme en boys band ! Nous ne voulions pas la remplacer parce qu’elle est irremplaçable, mais nous avons repensé le collectif. Nous avons un nouveau musicien et nous pourrons profiter des couleurs de tous les instruments qu’il sait jouer. Et nous proposerons un nouveau mix avec tout ça. » Le crash test scénique est prévu pour le mois de février, suivi d’une date parisienne le 25 mars.
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entrevues
Diane l'éternelle
Photo : Jean-Philippe Sansfaçon 20 Longueur d’ondes N°88
entrevues
Dufresne rebelle Muse rock et créatrice de shows époustouflants dans les années 70 et 80, inspiratrice pour une pléiade d’artistes, auteure et peintre depuis les 90’s, l’outsider toujours détonante, écolo avant l’heure, est de retour avec un nouveau disque terriblement actuel. Serge Beyer
E
lle déteste regarder en arrière. Elle ne s’intéresse qu’à demain et se remet en question sans cesse. Son nouvel opus, Meilleur après, est un constat (éco)logique sur le monde d’aujourd’hui et sur le temps qui passe. Et même si l’espoir pointe son nez ici ou là, l’ensemble reste assez profond : « Je ne suis pas quelqu’un de nécessairement joyeux dans la vie. Je vis toujours en solitaire. Je ne réponds pas au téléphone, je n’ai pas de cellulaire... Mais, j’ai 74 ans et je fais un nouveau disque ; ça c’est déjà un espoir, toute une aventure ! Moi quand je touche un sujet tabou comme la vieillesse, ça peu paraître sombre, mais c’est pour changer les codes, pour questionner. Les gens veulent vivre éternellement, ne veulent pas vieillir... Mais ils vont faire quoi ? Déjà à 40 ans tu te sens vieux, alors vivre jusqu’à cent ans... C’est pas simple pour moi, parce je suis en plein dedans, avec mon corps ; je suis moi-même mon propre tabou. Déjà, arriver sous les lumières, c’est une nouvelle approche, parce que les plus jeunes n’ont pas besoin de moi. Ce métier n’est plus nécessairement comme je le vois. L’an dernier, j’ai fait un spectacle pour la Saint Jean-Baptiste, je voyais tout le public branché sur son téléphone, alors je me suis dit que j’allais sortir le mien ! Je vais m’occuper moi aussi. (Rires) Tu sais, je n’en reviens pas d’être vieille. Avant, les gens mouraient plus jeunes, nous, aujourd’hui, on a comme une jeunesse... à l’intérieur ! Dans la vieillesse, il y a des choses très intéressantes parce que l’on est plus intelligent avec les bagages que l’on a... mais ça n’est pas toujours joyeux ! Il fallait que je parle aussi de ça, c’était nécessaire. Quand je me regarde dans le miroir, je ne me reconnais pas ; c’est pas la fin du monde, mais quand tu atteins 70 ans, tu rentres dans une autre vie... Mais je considère que c’est très positif quelque part parce que j’ai travaillé avec une autre génération pleine d’énergie ! »
on y est en plein ! Et il a tout de même écrit un « Hymne à la beauté du monde » ! J’ai vraiment eu de la chance d’avoir Luc dans ma vie. » De son côté, l’interprète de la première heure c’est mutée en écrivaine “pas pire” non plus : “Un océan d’étoiles jaillit de l’univers... Le temps me fait la peau, me transforme en saisons Ma raison n’est plus qu’un esprit en herbe Devant l’exil, j’écris avant de m’effacer.”
Jeunisme
Écrire
En effet, si elle n’a pas écrit toutes les chansons de l’album (« Pour en faire dix, il faut que j’en écrive vingt... »), elle a choisi de collaborer avec des auteurs plus jeunes tels que Cyril Mokaiesh, Catherine Major, Daniel Bélanger, Alexandre Lizotte, Moran... « Il y a toutes sortes de thèmes abordés qui ont donné à cet album comme une couleur globale un peu sombre, mais il y a quand même des choses très positives ; il faut juste changer d’attitude pour changer le monde... Et on peut le faire ! Peut-être que lorsque l’on sera rendu à l’extrême on fera enfin quelque chose. Les êtres humains ne vont pas seulement se réveiller, mais dire « Hey là, ça va ! » parce que l’on est tellement plus nombreux que tous les politiciens. » Bouger les lignes, changer les codes, c’est exactement ce qu’elle a fait toute sa vie ! « Je ne l’ai pas senti quand je l’ai fait. Luc Plamondon (N.D.L.R. Son auteur attitré au début de sa carrière) était assez visionnaire dans ses textes. Ne serait-ce que ce qu’il racontait dans Starmania ; c’était l’affrontement entre l’écologie et le business-system,
Désormais, Diane écrit donc la plupart de ses chansons, elle peint, expose et tente de finir une autobiographie (à sa façon) depuis quelques années : « J’ai commencé ce livre en 2014, ça me plairait de le terminer. C’est ma vision, ma mémoire, parce que quand tu es sur scène tu as une autre vision des choses. Faut dire que j’ai vécu quand même à une époque où la vie avec les hommes était très différente. Je ne raconte pas tout dans l’intimité, mais j’ai eu une vie assez rock’n roll. J’ai vécu avec des gens assez violents, mais c’est l’amour du public qui m’a poussé à avancer, à créer. Je continue à écrire, là je suis rendue au Forum. Il y a encore de quoi faire ! » dd
« Je suis moi-même mon propre tabou. » LONGUEUR D’ONDES N°88 21
entrevues Mais passer à l’écriture n’a pas été évident : « Dans les années 80, j’étais allée écouter Hubert Reeves à l’université de Montréal, il devait parler de l’univers, de l’astrophysique, des étoiles. Mais soudain, il a dit que dans les années 90 l’humanité pouvait disparaître ! J’ai aussitôt fait des recherches, rencontré d’autres scientifiques qui m’ont dit “Mais écris tout ça, il faut que tu le dises”. Je leur ai dit : “J’écris pas moi, je chante” mais ils ont insisté “Non, non tu écris, on va t’aider”. Je me suis lancée et en effet j’y suis arrivé. Je me suis installée à New York pendant six mois pour faire un disque, et j’ai accouché de Détournement majeur. On a pensé que j’étais complément “capotée” de parler de la terre ou du ciel... mais j’ai quand même fait l’Olympia avec. »
« Il faut juste changer d'attitude pour changer le monde... Et on peut le faire ! »
Il y a des gens qui, de leur vivant, ont une rue à leur nom, mais Diane a carrément un Centre d’art à son nom, à Repentigny, à une heure et demie de Montréal : « De toutes les régions du Québec, il ressort que c’est toujours dans cette ville que les gens sont les plus heureux. J’avais fait une exposition il y a quelques années là-bas. Ils sont très près de l’art, la mairesse écrit un livre sur les créateurs... Et ils ont refait leur centre d’art avec l’architecte MaximeAlexis Frappier, qui est un des meilleurs ici. C’est lors d’un spectacle qu’ils sont venus me voir pour me demander si j’accepterais de donner mon nom à ce nouveau centre d’art multidisciplinaire. Attention, c’est un centre créatif, pas un musée. Ce n’est pas le gouvernement qui a investi dedans, ce sont vraiment des particuliers qui ont monté le projet. J’en suis d’autant plus fière ! »
Unis vers l’uni Reflet de sa personnalité, il ressort de l’écoute de son nouveau disque une indéfectible croyance en l’humain, malgré tout. Un espoir. Il y a quelques temps, elle parlait aux anges, aujourd’hui elle s’adresse à l’univers... C’est un peu la même chose, non ? « En effet. J’ai lu la Kabbale pendant des années ; ça reste toujours en moi... Les anges ce sont des entités qui sont là, il faut être attentif à leurs signes, mais les anges c’est un peu soi aussi ; dans les prières, on s’adresse aussi à nous-mêmes, c’est une projection. L’univers, lui, c’est le mystère total. Les trous noirs... Il nous reste au moins 85 % à découvrir, donc on n’en sait vraiment pas grand-chose ! Il doit vraiment y avoir quelque chose de céleste en nous pour que l’on veuille tout le temps avoir une religion pour nous rassurer. Nous sommes de la poussière d’étoile, lorsque l’on meurt, on se transforme. C’est intéressant, mais ça donne le vertige. Et puis si on était dans des « multivers » ? Il y a peut-être des millions d’univers... On n’est pas grand-chose. On a vraiment une prétention extraordinaire. » i ddianedufresne.com 22 Longueur d’ondes N°88
Photo : Richard Langevin
Un centre d’art !
Diane Dufresne, aujourd’hui, hier et pour toujours Libre expression Peu de texte, mais un beau recueil de photos qui survolent l’incroyable carrière de ce phénomène féminin non identifiable. Des seins nus peints de fleurs de lys aux bottes de sept lieues à paillettes, des plumes en guise de chevelure à la calvitie totale, de Bashung à Gréco, de l’Écluse au Stade olympique, des robes extravagantes aux ailes d’ange... toutes les Diane sont ici présentes. Multiple mais tellement unique.
Photo : Bernard Breault
entrevues
Aloïse Sauvage dance, dance, dance !
Issue du monde de la danse et très influencée par le hip-hop des années 2000, la jeune Aloïse Sauvage sort un premier album qui pourrait cristalliser sa notoriété naissante. Rencontre à quelques jours du mix final. Antoine Couder
Ç
a va très vite, en même temps c’est assez lent et c’est peut-être toute l’histoire des artistes débutants que les maisons de disques classent dans la catégorie “développement”. Récapitulons : Aloïse Sauvage démarre sur YouTube en septembre 2017 avec quelques clips artisanaux suivis de concerts. Elle est déjà comédienne, on peut la voir successivement dans le sur-césarisé 120 battements par minute de Robin Campillo puis dans Les fauves de Vincent Mariette. Deux beaux seconds rôles bien habités qui la poussent vers la lumière. « J’ai eu quelques propositions pour des rôles plus importants mais je ne le sentais pas. Je ne veux pas faire les choses “à tout prix”. Jamais. » De formation, elle est acrodanseuse, une discipline qui combine l’acrobatie et la danse qu’elle apprend à l’Académie des arts du cirque après avoir pratiqué assidûment le break dans les rues de Seine-et-Marne où elle a grandi tranquille, bonne élève et parfaitement heureuse. « J’essaie de faire entrer le maximum de trucs dans une journée. Le reste du temps, je suis assez popote. »
Clémence Rougetet
C’est le genre de gamine qui, à 11 ans, écrit de ténébreux poèmes qu’elle chante sur les musiques de Yann Tiersen ou d’Hans Zimmer. Plus émotionnel que romantique, son goût de la scansion et du hip-hop lui évitera toutefois de se perdre dans une énième Star Ac. Même si les maisons de disques ne tiltent pas, son énergie en live et son look unisexe attirent déjà l’attention de quelques bonnes fées : les demoiselles d’Ibeyi lui offrent deux premières parties dont une à l’Olympia. Attachée de presse en vue, Melissa Phulpin lui trouve une place dans sa collection de filles brillantes et décalées. Héloïse “Chris” Letissier capte très vite l’ambitieuse assurance de sa petite sœur de dance-floor. L’entourage prend forme. En juillet dernier, on la retrouve sur la première compilation de Deezer pour ce qui est certainement la meilleure reprise de ces Souvenirs d’été : “Voyage, voyage”, le tube de Desireless, dont elle étire délicatement le phrasé après avoir kiffé sur la version lyrique d’Anja Franziska alias Soap&Skin, plus ampoulée. C’est le début de la visibilité et du vertige qui va avec. « Je suis loin d’être connue,
mais je me sens déjà un peu plus seule, un peu moins comprise. » Souvenirs de bouffées de mélancolie et d’épisodes d’insomnie qui donnent parfois à ses textes un parfum d’étouffement. Derrière le CV de battante, on aperçoit alors le grain discret d’un cafard qui peut soudain refroidir l’enthousiasme chaleureux de la bonne élève. Signée sur un label d’Universal (Initial), elle rejoint les Clara Luciani, Eddy de Pretto, Columbine, la fine fleur d’une musique urbaine avec textes en français sur fond de nouvelle variété. Pop ou hip-hop ? Le débat agace celle qui a grandi avec Diam’s, MC Solaar, Disiz la Peste et a porté le rap en bandoulière, faisant clairement le nécessaire pour ne pas entrer dans une (seule) case. « Je ne veux pas crouler sur l’or, juste rouler sur l’art », chante-t-elle dans “Altaïr”. Mais tout va très vite. En septembre dernier, Aloïse a juste oublié de fêter son anniversaire, rien d’autre peut-être qu’un jour ordinaire dans sa vie parfaite de jeune fille de 25 ans. i dfacebook.com/InitialArtistServices LONGUEUR D’ONDES N°88 23
entrevues
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entrevues
Holy Two acoustique architecturale Architectes de formation, le duo Holy Two, formé à Lyon en 2013, appréhende la musique comme une construction entre lumière et ombres. La pop et le rock s’y croisent pour charpenter des mélodies sombres, sublimées par un timbre suave. Leur premier album exploite autant les mélodies que les silences. JULIA ESCUDÉRO
L
eur musique vogue dans l’universel ; elle traverse les frontières. Pour preuve, leur tournée en Corée et au Japon dont Hadrien parle volontiers : « Le public est étonnant là-bas, parce qu’il est très respectueux des musiques, des transitions. Ce n’est pas comme en France où les gens ont tendance à beaucoup parler. Ils ont un espèce de culte de l’artiste. » Le public asiatique n’est pourtant pas le seul à avoir l’oreille tendue vers le sacro-saint duo, qui a convaincu, dès ses débuts, les Inrocks Lab puis les Inouïs du Printemps de Bourges et enfin le MaMA Festival 2018 : « Ce sont des ambiances professionnelles et pourtant il y a une espèce d’alchimie qui se crée » se remémore Hadrien.
LABEL ET INDÉPENDANCE Signé chez Cold Fame Records, Holy Two publiait en mai 2018 un premier album poétique, Invisible Matters, qui succède à ses EPs : « On a la chance d’avoir une condition double, on est à la fois sur un label, mais on reste indés. On n’a aucune barrière artistique. Notre label a été monté par de très bons amis et nous avons été les premiers artistes signés dessus » détaille Élodie. « Quand on a commencé avec eux, c’était compliqué puisqu’à côté nous étions également étudiants en école d’archi, mais ils ont réussi à manager notre carrière malgré ces contraintes. » Au début, le groupe se forme sur des reprises ; « Kids » du groupe MGMT lie le duo musicalement. Un souvenir dont ils rient volontiers aujourd’hui : « C’est à travers les reprises qu’Élodie a développé sa voix et puis, petit à petit, on s’est dirigés vers des sonorités plus électroniques, plus pop. » Fusionnels, les amis complètent sans réfléchir les déclarations l’un de l’autre : « Lorsqu’on a commencé, le
DAVID POULAIN
but était de se faire plaisir, on ne voulait pas faire de la musique pour la vendre. Notre premier CD, on l’avait gravé sur notre ordinateur. Nous en avions 15 ! Juste pour distribuer aux salles de concert. Du coup quand on a préparé notre premier album, on s’est dit que nous ne voulions pas nous enfermer dans un style pour plaire à tout prix. Les deux années de son écriture ont été variées en terme d’écoutes et de rencontres... et ça s’entend. » Cet album est aussi le résultat d’expérimentations en live. De titres planants à leurs débuts, le groupe évolue vers des mélodies plus organiques, y apportant une chaleur humaine. La composition elle, se fait à deux esprits, chacun écrit de son côté et envoie à l’autre le résultat de ses moments de créations.
RÉSEAUX La vision du monde extérieur sur le travail de l’artiste est un moteur pour eux. Leur titre “Misunderstood” parle du regard inquiet des parents d’Élodie sur cette vie et ses risques, mais il peut aussi parler du jugement d’autrui face à ce choix. Les réseaux sociaux sont les premiers témoins de ces dérives. Si un jeune groupe comme Holy Two peut en être la victime, il s’en détache volontiers : « On n’est pas très réseaux. Ils peuvent avoir leurs avantages ; nous avions été diffusés par un Youtubeur et ça nous a permis de gagner en notoriété. Mais ça reste superflu puisque ça ramène une audience très peu fidèle. C’est difficile de se positionner au milieu de tous les groupes qui y voient le jour. Je pense qu’aujourd’hui, les vues ne sont pas si importantes, ce qui compte c’est de faire des concerts et de voir qui vient » explique Hadrien.
LE SON DU SILENCE Loin de tout ce tumulte, leur art s’inspire d’une autre forme d’art : l’architecture. « Ça a toujours été un fil conducteur. Dans les manières de créer comme de penser, il y a quelque chose sur les silences, sur l’ombre qui nous a toujours intéressés. Prenant exemple sur le Japon (le seul pays à encore considérer que l’ombre est plus importante que la lumière dans l’architecture), je pense que le silence peut avoir plus d’importance que la musique en elle-même. On a fait des passerelles entre ces deux mondes et leurs méthodologies dans notre façon de composer. Ce sont les mêmes logiques » explique Élodie. Oui, l’invisibilité des silences compte. En somme, une œuvre complète qui fera beaucoup de bruit. i dfacebook.com/holytwomusic
Invisible matters Cold flame records Une introduction qui sent bon “Bohemian Rhapsody” de Queen permet d’entrer en douceur dans ce premier jet. Les choses sérieuses commencent avec l’hypnotique “Festin”. Loin d’être un simple hors-d’œuvre, il prend aux tripes. Les claviers entêtants se répètent alors qu’une atmosphère sombre se distille en français et en anglais. “Misunderstood” redéfinit le hip-hop, là où “Drop out” est son pendant pop. Le biblique “Chaos” permet de reprendre son souffle avec douceur pour mieux le perdre sur “Undercover girl”, un hymne en puissance. Impossible de décrocher jusqu’à la dernière note de cet album atmosphérique à écouter en boucle.
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entrevues
Les Hôtesses
venez
« Mais chanter, c'est plus que de la masturbation de cordes vocales ! » 26 Longueur d’ondes N°88
entrevues
d'Hilaire
avec nous !
Il convient de prendre le titre du dernier album des Acadiens, Viens avec moi, au pied de la lettre tant le groupe entraîne l’auditeur dans un voyage au long cours, initiatique, dans l’intimité du groupe. Rencontre... RÉGIS GAUDIN
Influencé par le rock progressif donc, le groupe aime travailler dans un temps long tout en prenant ses distances avec le passé, plaçant la création au cœur de ses préoccupations : « On ne se focalise pas sur la durée, mais sur la direction vers laquelle la chanson nous porte. Chaque pièce a une histoire à raconter et elle se termine quand elle se termine ! Mais naturellement, on aime les longues durées. » Une démarche à contre-courant qui place les Acadiens en porte à faux avec l’époque, la télé-réalité et les réseaux sociaux : « Nous ne sommes pas contre pourtant, mais c’est comme tout, trop fait mal et pas assez n’est pas bon non plus. C’est ridicule de juger de l’authenticité d’un groupe au nombre de likes sur Facebook. Une vidéo YouTube à 100 millions de vues, ce n’est pas nécessairement de l’art authentique ! En tant qu’artistes, c’est important de partager, mais cela ne nous définit pas. » Le constat n’est guère plus engageant concernant le petit écran : « Les concours TV sont devenus des compétitions de techniques vocales. Mais chanter, interpréter une chanson c’est plus que de la masturbation de cordes vocales ! La chanson est devenue secondaire, la trame narrative de ces émissions est basée sur la technique, cela en devient comique ! »
Comme tout bon hippie qui se respecte, la bande entretient un attachement tout particulier à la nature (« On vient tous d’endroits ruraux, nos cœurs appartiennent aux petits villages »). Et il possède de solides convictions écologiques. Serge Brideau, le leader, précise : « Des fois, j’aimerais être insouciant et heureux, mais non, je vis sur la planète Terre. Et elle est malmenée. Surtout au Canada où l’économie est basée sur l’exploitation des ressources naturelles. Et peu importe l’impact écologique, les Canadiens aiment leur confort. À l’époque de notre chanson « David Akward », le Premier ministre du Nouveau-Brunswick, David Alward et moi avons eu
une chaude discussion au sujet du gaz de schiste. Il savait que la chanson passait sur les radios francophones. On a aussi organisé un spectacle en solidarité avec le mouvement anti-gaz de schiste. Alward avait fait de cet enjeu la pierre angulaire de sa campagne électorale. Il voulait me faire comprendre que notre province avait besoin de gaz. Un mois plus tard, il a perdu les élections. Je ne pense pas que c’est à cause de nous, mais je crois que l’on a mobilisé des gens. Faut prendre au sérieux le privilège d’être un personnage public. » i dfacebook.com/leshotessesdhilaire
Photo : Shanti Loiselle
L
a découverte du nouvel album frappe par son ampleur, son ambition : 19 titres, bien loin des canons de notre époque du single roi. « Quand on est en mode création, on pense une chanson à la fois, nous n’avions pas conscience qu’elles feraient partie d’un grand projet comme celui-ci. » À l’écoute, difficile de ne pas penser aux groupes psychés et progressifs des années 1960 et 1970, une époque sur laquelle le groupe à un avis très tranché : « On aurait aimé vivre à cette époque, malheureusement nous sommes nés trop tard ! Quelle meilleure façon de revivre les belles années qu’avec notre musique ? » Un sentiment prégnant qui se prolonge sur le support disque : « Dès notre premier album nous voulions des copies vinyles pour avoir ce feeling 70. Nous sommes finalement très heureux de l’avoir pour cette grande œuvre. »
Serge Beyer
Viens avec moi : l’opéra-rock Le quatrième effort des Acadiens est très certainement leur œuvre la plus ambitieuse. Partant du constat que le monde va mal, les Hôtesses offrent une radiographie de la futilité de l’époque entre réseaux sociaux et poursuite effrénée d’une célébrité aussi instantanée que factice, offerte par la télé-réalité et, en particulier, les télé‑crochets. Ainsi « La Voix », titre canadien de l’émission « The Voice », fait partie des cibles de choix du groupe. Leur double album de 19 titres n’a pas suffi pour faire le tour du concept ; il s’est prolongé sur scène sous la forme d’un opéra-rock créé au Club Soda de Montréal en novembre 2018. « Quand on a décidé de faire la création du show, le plus grand défi était que les chansons se tiennent. Dans un spectacle normal des Hôtesses, on a souvent la liberté d’improviser, ce qui est un aspect démarquant pour nous. Mais là, pas d’impro, c’est littéralement le contraire ! On a répété 21 jours en octobre dernier. Avec l’aide des réalisateurs, (Le Théâtre du Futur) on a pu mettre nos idées sur scène. Beaucoup de boulot, des très grandes journées de travail, beaucoup d’essais pour voir ce qui fonctionnait ou pas. Michel Fordin, directeur technique et scénographe, a travaillé jour et nuit pour s’assurer que le décor soit juste. Chaque personne avait son rôle et sa place dans la gang. Une équipe de feu, des vrais pros ! »
LONGUEUR D’ONDES N°88 27
entrevues
Thylacine
28 LONGUEUR D’ONDES N°88
entrevues
sur la route Thylacine, musicien électronique, a l’âme voyageuse lorsqu’il s’agit de composer. En 2016, il était parti en train pour une traversée de la Russie avec le Transsibérien. Il renouvelle l’aventure sous une autre forme pour son nouvel album : cette fois-ci, il est sur les routes argentines. YANN LE NY
T
out commence à la fin de sa première expédition. Il a parcouru une bonne partie de la Russie dans le célèbre Transsibérien et en sort un disque. Le pari est réussi. S’enchaînent ensuite les tournées qui sont l’occasion de remettre le couvert sur les voyages comme l’Indonésie, la Nouvelle-Calédonie ou la Chine. Mais très vite, il y a l’envie de retrouver quelque chose d’aussi stimulant que sa traversée en train. « Comment pousser ce concept-là un peu loin ? J’ai pris le train le plus long du monde… je n’allais pas faire d’autres trains. Je voulais sortir de ça et en plus avoir une liberté encore plus grande notamment sur la destination. » Dans le même temps, il a besoin de son propre studio, mais il ne souhaite pas non plus s’enfermer sur un lieu : « J’ai commencé à me demander comment je pourrais faire un vrai studio que je pourrais déplacer avec moi si je veux ». UNE CARAVANE-STUDIO MOBILE
Après avoir opté pour un voyage sur route, il recherche un lieu à aller découvrir. Les États-Unis sont rapidement éliminés : déjà vu. « L’Amérique du Sud me tentait, je n’y avais jamais mis un pied. Et l’Argentine m’a intéressé parce qu’il y a des routes un peu mythiques comme la 40 qui traverse le pays du nord au sud. » Dans le même temps, il rénove totalement une caravane futuriste, une Airstream de 1972. Il en fait un studio mobile avec lieu de vie. En plus de ça, il veut être totalement autonome et décide donc de modifier encore plus son nouveau studio : « Je voulais rajouter des panneaux solaires pour être autonome en électricité. Et en trois mois, j’ai eu besoin de me brancher qu’une seule fois parce que je m’étais parqué à l’ombre ». L’EXIL MUSICAL EN ARGENTINE Arrivé à Buenos Aires en cargo, c’est le top départ. Pendant un mois, il trace son chemin à travers
GUENDALINA FLAMINI
l’immensité de l’Argentine : des étendues désertiques, des montagnes et des centaines de paysages différents. Le titre et le clip “The Road” sont le témoignage de ces kilomètres avalés à toute vitesse dans une nature tantôt luxuriante, tantôt aride. De ces contacts, seul avec la nature, il lui reste une expérience particulière, celle qui figure sur le morceau “4500m”. Il en compose la musique lors d’une nuit où il est bloqué vers la frontière argentino-chilienne en plein désert. En face de lui, passe un gigantesque orage : « Il n’y avait pas un seul arbre donc si l’éclair tombait, c’était pour ma gueule. Toute la région était verrouillée. C’était un
la connexion se fait entre lui et les habitants. Après un rapide détour, il revient et son arrêt va durer un mois : « Il s’est passé une relation hyper-cool avec ce village. On a partagé beaucoup de choses. On mangeait ensemble, on pêchait ensemble, on a fait des ascensions dans les montagnes. J’avais vu énormément de paysages. J’avais besoin de créer quelque chose humainement. » C’est notamment dans ce lieu qu’il va créer les morceaux “Santa Barbara” et “30” qui montrent une certaine douceur et une tendresse pour conclure l’opus. “30” utilise la voix d’une femme du village en train d’apprendre à parler français avec Thylacine.
« Il n’y avait pas un seul arbre donc si l’éclair tombait, c’était pour ma gueule. »
Le disque est aussi le reflet de toute une aventure pleine de rencontres. Cette histoire se déroulant au fil des titres est un premier volume. Même s’il se concentre tout d’abord sur les concerts et sa tournée, de nouvelles routes à explorer sont déjà dans sa tête. i dthylacinemusic.com
climat assez extrême ! » C’est cette ambiance qu’il retranscrit dans ce morceau tendu où le rappeur américain J. Medeiros pose sa voix. Pourtant, ce n’est peut-être pas là que se joue la force de l’album, mais dans les expériences humaines. Son studio mobile lui permet d’enregistrer des gens qui jouent de la guitare ou encore de collaborer avec des personnes sur place comme Clara Truco figurant sur “El Alba”. En discutant sur la route, c’est aussi l’occasion pour lui de dégoter des perles musicales : « Sur “Purmamarca”, il y a un sample d’un vieux morceau d’un chanteur qui s’appelle José Larraldé ». Après ce long voyage, il décide finalement de se poser à Santa Barbara, un village perdu dans la Cordillère des Andes où il y découvre une petite communauté. Il y reste d’abord quelques jours et
Roads Vol. 1 / Intuitive Records Beaucoup plus acoustique que ses compositions habituelles, ce disque est pour Thylacine une évasion du tout électronique. Même s’il reste les nappes vaporeuses et les montées synthétiques, il n’hésite pas à ajouter des morceaux de saxophone, son instrument fétiche (“Volver”, “Sal y tierra”). On y entend aussi beaucoup d’enregistrements de voix, de sons pêchés lors de son voyage sur les routes d’Argentine. Il fait aussi venir des invités comme Juana Molina sur le morceau d’ouverture “Murga”. En somme, en plus d’explorer de nouveaux territoires, il renouvelle son écriture et sa musique.
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Virginie
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Despen es
Dalle
Tout feu tout femme Pas facile de rencontrer Béatrice Dalle et Virginie Despentes ensemble pour une interview. Ce jeudi-là à Canteleu, dans la banlieue de Rouen, les deux copines sont venues ensemble de Paris en voiture pour une nouvelle représentation de leur lecture musicale dédiée à Pasolini. Elles arrivent avec beaucoup de retard. Du coup, on a longtemps poireauté. Mais cela valait le coup !
Patrick Auffret & Valérie Billard LONGUEUR D’ONDES N°88 31
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iraculeusement, vers 19h30, soit une heure avant la représentation, Virginie et Béatrice ouvrent les portes de leur toute petite loge située au sous-sol du centre culturel de Canteleu. Toutes les deux sont toujours d’accord pour l’interview. Ce sont des femmes de parole. Quelques minutes plus tard, Virginie est dans la grande salle du catering, la cantine, avec les techniciens du groupe Zëro et, bien sûr, les musiciens. Elle est tout sourire. No stress malgré le retard, la pression d’une nouvelle représentation à guichets fermés. Béatrice la rejoint bientôt, tout sourire elle aussi, mais elle est malade, bourrée de médocs pour pouvoir tenir le coup. Malgré tout, cela s’annonce bien. On a même le droit de faire des photos pendant l’interview.
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« Béatrice comme moi, nous avons toujours écouté de la musique, indique Virginie sous le regard dissipé de sa comparse. Au début, c’était dans les années 1970, 1980. On avait 12, 13 ans. La musique, c’est important à cet âge-là. » Toutes les deux ont grandi en province. Béatrice au Mans, Virginie à Nancy. Et déjà, elles traînaient chacune de leur côté les bars à la recherche de la scène locale. « Enfin, il n’y avait pas vraiment de scène locale à Nancy, rectifie Virginie. Juste trois, quatre punks dans les bars. » « Enfin, il y avait toi ! Et moi au Mans, ajoute Béatrice. Et comme c’était à côté de Rennes, il y avait plein de groupes... Marquis de Sade, et beaucoup d’autres. À l’époque, mes copains étaient tous keupons, on passait notre vie dans l’endroit où
se retrouvaient tous les groupes. Et un soir, j’ai fait le mur. J’ai quitté ma famille. J’avais 14 ans, je me faisais chier, j’ai dit que j’allais à l’anniversaire d’une copine et toutes les deux on a pris le train, direction les Bains Douches à Paris pour voir les Dead Kennedys. Quand j’ai vu Jello Biafra, le chanteur, j’ai dit “Nique ta mère le monde : je ne rentre plus jamais”. » Dans l’Est de la France, Virginie ne fait pas les mêmes rencontres et surtout elle est loin de Paris. Elle est néanmoins branchée sur Joy Division, les Cure et toute la new wave naissante du début des années 80. « The Cure, l’une de mes connaissances m’avait fait écouter un maxi pas très bon, “Let’s go to bed”. Ensuite, j’étais à fond très punk… »
en couv La punk attitude justement, Béatrice est également dedans. Installée dans les squats parisiens, elle se greffe bientôt sur tout le mouvement indépendant. Lucrate Milk et Bérurier Noir sont ses groupes préférés, des références qu’elle suit régulièrement en concert avec toute une bande d’agités à crêtes. « Les Lucrate, c’était vraiment mes amis. À l’époque, les gens qui les suivaient devenaient des Lucrate. Nous étions des centaines à Paris, nous partions en tournée dans des squats. Je me souviens même avoir vécu dans un squat de skin à Genève avec les Béru. C’est marrant, car nous avons joué à Bourges avec Virginie il y a peu de temps et j’ai revu François des Béru. La dernière fois, nous étions en garde à vue tous les deux ! Il y avait eu une bagarre avec les keufs, car l’autre Béru, Loran, avait Killing Joke peint
sur son blouson. Cela s’était un peu effacé, les flics ont cru que c’était Killing the cops ! Ils l’ont fracassé. Tout le monde s’en est mêlé et nous nous sommes
« Nous nous sommes tous retrouvés en garde à vue ! » Béatrice Dalle tous retrouvés en garde à vue ! » Groupie des groupes phares de la scène alternative, Béatrice n’a pas pour autant eu envie de s’exposer sur
scène. Chanteuse, ce n’était pas son truc, elle s’est rapidement rendu compte que ce qu’elle préférait dans la musique, c’était… les musiciens ! Virginie a pour sa part testé le chant, au début des années 90, mais a vite arrêté. « J’ai essayé, mais je n’ai pas le talent. J’ai réécouté récemment ce que j’avais fait et je ne me dis pas “Ah quel dommage !” Mais j’ai adoré le faire. Le groupe s’appelait Straight Royer (ndlr : ceux qui ne font vraiment rien). » Passionnée par la street culture, elle se lance dans les fanzines, les labels… « J’étais beaucoup dans les structures alternatives des années 80. » Elle s’éclate sur du punk français ; ses références sont alors OTH ou La Souris Déglinguée. « Mon écriture vient, je pense, directement de ça, des Béru… De la manière dont tu te sers de la langue pour t’exprimer. dd
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en couv Cela a été plus une influence pour moi que ces romans que je lisais, mais qui me concernaient moins. Tout cela était très urbain. Autant que l’on se souvienne, il n’y avait pas de punk agricole. Ni de punk aristo, c’était toujours un peu middle class. Il y avait un truc un peu prolo qui me plaisait aussi. Sans tout cela, je ne me serais peut-être pas autorisée à écrire. » Une sorte de punk littéraire. « Quand tu as écouté toute ta vie des gens qui ne savent pas écrire ni faire de musique, ça décomplexe d’autant que je ne manquais pas de culture autour de moi. J’aurais aussi pu m’intéresser au cinéma d’auteur, à la grande littérature, au théâtre. Tout cela, c’était accessible mais je n’en avais rien à foutre. Ma passion, c’était le punk… crétin ! » En 1986, Virginie s’installe à Lyon, se trouve un pseudo dans la foulée en référence aux pentes de
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la Croix-Rousse, un quartier de la ville, et rencontre les musiciens de Deity Guns. Ce groupe noise / postrock s’est au fil des années imposé sous le nom de Bästard comme les chefs de file de la scène lyonnaise hardcore, puis le groupe s’est mué en Zëro. Ce sont ces mêmes musiciens qui accompagnent aujourd’hui le duo lors de ses lectures musicales. Béatrice : « Je considère le métier de musicien comme le plus beau du monde. Moi, j’aime trop la musique, je respecte trop ça pour le faire en dilettante. Pour la musique, tu donnes ta vie, sinon tu fais autre chose. Lorsque je suis arrivée à Paris, je ne vivais pas dans les squats pour faire ma punk engagée, mais bien par manque d’argent. Je n’avais pas de parents pour me payer un appart, donc je vivais dans des squats. Les plus cools étaient en Suisse. Là-bas, il y avait le téléphone, l’électricité
et ils avaient même des caisses que tu pouvais leur voler en partant… (rires) ». À 20 ans, elle trouve au milieu de cette effervescence musicale finalement assez destroy sa vocation : ce sera le cinéma. Tout commence par une photo prise par « un mec qui me demande de passer à son agence. J’ai tout de suite senti que c’était sérieux. Ensuite, ils ont tellement aimé les photos que cela a fait la couverture du magazine Photo. » L’agent des stars, Dominique Besnehard, lui propose alors de donner la réplique à Jean-Hugues Anglade dans le film devenu mythique 37°2 le matin de Jean-Jacques Beineix. « Cela a changé ma vie ! Beineix avait déclaré que si je n’avais pas le rôle, le film ne se ferait pas. C’était cool ! » Le cinéma servira plus tard de passerelle entre Béatrice et Virginie. Cette dernière choisit en effet
en couv « Ma passion, c’était le punk… crétin ! » Virginie Despentes la Betty de 37°2 pour jouer le rôle de Gloria dans l’adaptation cinématographique de son livre Byebye Blondie. Un rôle sur mesure pour Béatrice Dalle. « Ce film, nous avons mis cinq ans à le monter. Nous avons tout de suite été très copines. C’était évident pour moi de lui donner ce rôle. Elle était le personnage à travers tous ses rôles. » Aujourd’hui, elles continuent d’écouter la musique dans leur sphère privée et notamment dans leur vie amoureuse. Virginie reste une dizaine d’années
avec Philippe Manoeuvre, le rédacteur en chef de la revue Rock&Folk, Béatrice multiplie les rencontres. Elle est notamment la compagne de JoeyStarr, ou encore celle du bassiste d’Iggy Pop. « Ce ne sont pas les seuls du casting, en rigole-telle. Un soir où j’étais avec Asia Argento et une copine, un mec a dit qu’à nous trois, avec le nombre de musiciens que nous avions eu, nous pourrions faire le plus grand concert du monde. Il n’avait pas tort ! Pour moi, un mec qui n’aime pas la musique ou qui n’est pas musicien, ce n’est même pas la peine qu’il tente sa chance, c’est mort. Car moi, j’écoute de la musique 24h sur 24, alors si je ne peux pas avoir cet échange-là, ce n’est pas possible. Il peut aimer plein d’autres choses, ce n’est pas le problème, mais il faut au moins qu’il aime la musique. Tous les jours, j’écoute Rage Against the Machine et
le Unplugged de Nirvana. J’adore “Rape me”. Mais surtout Kurt Cobain ! » Et elle continue d’aller voir des concerts : « Dans des petits lieux, comme au Gibus. C’est trop bien. Moi, je suis la folle du village, je rigole avec tout le monde. Si cela ne plaisait pas, je ferais un autre métier, ermite… ». Elle aime aussi les grands concerts, comme récemment Indochine. Elle a même été jusqu’à Chicago pour voir LL Cool J sur scène ! Virginie est plus sélective. Parmi ses derniers coups de cœur, Luz Casal à la cathédrale de Strasbourg, dans le cadre du Forum mondial de la Démocratie. Chacune ses envies et ses coups de cœur donc, mais toutes les deux partagent une même passion depuis des années pour un groupe référence : Motörhead ! On le voit, la vie en rock de Virginie et Béatrice est loin d’être finie ! i dYouTube : Pasolini par Virginie Despentes, Béatrice Dalle & Zëro à la Maison de la poésie
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COLD BLESS YOU Comme le reflet de la psyché d’une société, le “cold” semble revenir en grâce après quatre décennies et son éclosion dans un contexte géopolitique en proie à une glaciation idéologique. Si le « cold » n’est pas un style de musique à part entière, mais un état d’esprit, son souffle réfrigéré parcourt aujourd’hui de nombreuses artères musicales, si bien dans la forme que dans le fond. Se faisant, il pourrait bien s’imposer dans une pop culture qui tend à faire du « dark » un élément d’identification, un trait de pensée commun et donc universellement reconnaissable. JULIEN NAÏT-BOUDA & XAVIER-ANTOINE MARTIN LONGUEUR D’ONDES N°88 37
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tridimensionnelle. C’est une des interprétations, au-delà des ondes du premier pulsar détecté auquel elles se réfèrent, que l’on pourrait faire du
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’est en regardant les objets qui composent l’industrie culturelle de masse que l’on peut saisir la vibration d’une époque. À ce titre, le champ des séries télé fait apparaître une certaine tendance : les vociférations de zombies amputés de leur âme fascinent les consciences (The Walking Dead), de même que les relations humaines grégaires et moyenâgeuses abreuvent de nombreux gosiers plutôt habitués à l’eau de rose (Game Of Thrones). Et que dire du cynisme technologique exposé par cette fiction anglaise, Black Mirror, dont l’effet de miroir est aussi troublant que subjuguant. Ces exemples démontrent, par leur succès à grande échelle, comment la violence du monde, et donc de l’être humain, est devenue un nouveau champ d’inspiration artistique, sémantiquement, sémiologiquement et esthétiquement.
« Noir c’est noir il n’y a plus d’espoir » chantait un illustre Gaulois érigé depuis en poète sur certains ronds-points de l’Hexagone... ça nous fait une belle jambe. Le chantre de la mélancolie ne sera pas Johnny, non, mais plutôt un objet capable, par son symbole, d’invoquer une mélancolie universellement intelligible. Ce totem, il est né en 1979 de l’autre côté de la Manche… Des camps de la mort aux fameuses divisions de la joie, la même litanie, celle de la ruine humaine, dans sa plus grande monstruosité. Le trépas de l’humain commence par le déni de son propre être, la folie psychotique n’est jamais loin et nous guette tous, tapie dans l’ombre d’un moi tiraillé par une réalité psychique 38 Longueur d’ondes N°88
David Bowie au final, même les témoignages de Joy Division vont en ce sens. » Mais attention, si l’onde cold traversant de nombreuses formations postpunk a été clairement identifiée, jamais elle ne fera l’objet d’un genre à part entière. L’appellation “cold wave” étant une idée bien française émergée d’un journaliste des Inrockuptibles qui ne devait pas avoir les oreilles trop encrassées à cette époque. Un besoin de catégoriser un nouveau style dans une période musicale en pleine mutation, car du post-punk ou de la new wave, découlera un nombre de sous-genres, qui par un effet de cross-over, se dilueront petit à petit les uns dans les autres. Minimal wave, shoegaze, dark synth batcave, indus Spleen XXX
visuel illustrant le premier disque de Joy Division et ses fameuses lignes chancelantes, s’érigeant au-delà de la platitude de la 2D. Le mouvement imprégné par ce dessin ne saurait difficilement être autre chose que celui d’un vague à l’âme, formulé dans ce cas par un pic qui abandonne la terre pour rejoindre une dimension spirituelle d’un autre ordre. Le corps, l’esprit et la vrille entre les deux, tel que l’expérimentait Ian Curtis lors de ses accès épileptiques. Sublimé par un Manchester aux paysages industriels, baigné dans une misère sociale et économique aliénante, Joy Division instituera ainsi une nouvelle onde sonore, balançant entre romantisme sombre et lucidité écorchée, le tout bercé dans une mélancolie maladive, car subie. De ce post-punk noirâtre émergera le terme “cold wave” à la fois dans le prolongement et dans l’opposition de sa sœur siamoise, la new wave. Stanislas Chapel, fondateur de l’un des labels clés de la diffusion du post-punk en France, Meisodem Records, formule cette différence ainsi. « La cold, c’est l’entrée dans une musique moins commerciale. C’est aussi un dérivé du punk et du glam. Tous sont des enfants de
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ou plus proche de notre époque, la synthwave, tous proviennent de l’évolution du punk et en amont du glam rock. Si les différences entre ces styles sont ténues dans la forme, reconnaissables selon les utilisations plus poussées de tel ou tel instrument, c’est donc sur le fond que leur particularisme semble s’orienter et alors sur l’intention en amont que véhicule la musique formulée. De manière contemporaine, le groupe français Spleen XXX rejoue avec les codes en tous genres de cette scène obscure et souterraine, articulant une musique entre romantisme noir et vanité. Isthmaël Baudry, son leader, en fait cette définition : « La cold, c’est une musique minimaliste, plutôt nihiliste dans le fond, avec une basse mise en avant. Souvent, on y retrouve une boîte à rythmes et une voix monocorde sur laquelle sont balancés pas mal de reverb ou de delay. Esthétiquement, on pourrait la relier à l’art minimaliste du début du XXe siècle, mais aussi au courant pictural du constructivisme russe ou encore le Suprématisme. La littérature est aussi une source d’inspiration pour ce style Photo : Laetitia et Isthmaël Baudry
Guerre Froide - Photo : Jean-Michel Nortier
musical. La cold ne s’arrête pas à la musique, on peut retrouver cette température dans tous les arts, il y a de l’épure dedans, cela n’est jamais pompeux à la différence du gothique. Burroughs, Despentes et surtout Houellebecq sont tous cold, des nihilistes, tels que les personnages ratés qu’ils imaginent l’incarnent. » Le cold est donc un prisme de pensée par lequel lucidité, nostalgie, mélancolie et introspection convergent pour formuler une vision du monde qui regarde dans le blanc de l’œil la réalité, abordant ainsi des thèmes bien moins vendeurs que les éternels marronniers de la pop musique. Pourtant, au début des années 80, la libération des ondes radio impulsée après l’élection de François Mitterrand permettra l’apparition d’une offre musicale autrement plus originale que celle effectuée par les stations traditionnelles. Une région en France se fera alors le chantre d’un genre en pleine ébullition, le nordouest. Sans plus d’outils de communication tels que nos réseaux sociaux actuels, la cold wave prendra son essor grâce au travail de passionnés, certains se faisant le relais direct de la scène musicale d’outreManche, d’autres des magazines britanniques spécialisés à l’instar du Melody Maker ou encore du New Musical Express. Certains disquaires contribueront également à la diffusion de cette musique d’outretombe, tel que New Rose à Paris.
D’autres villes, Rouen, Nancy, Metz, Lille avec les désormais cultes Trisomie 21 et enfin Rennes, dont sont issus Marquis de Sade et Orchestre Rouge, participeront à l’avènement de cette scène qui, en parallèle, commence à exploser à l’international avec des artistes de la trempe des Cure, Dead Can Dance et autres Cocteau Twins. Le suicide de Ian Curtis n’achèvera pas le genre, bien au contraire, il le sanctifiera dans les mémoires, comme résonnent encore certaines réminiscences devenues collectives, tel le fameux concert de Joy Division aux Bains Douches en 1979. Yves Royer chanteur du groupe Guerre Froide, auteur du disque Coruscant en 2017, se remémore : « Après la mort de Ian Curtis, plein de groupes ont commencé à faire de la musique sombre. On peut aussi se souvenir d’un texte du début des années 80 de la revue Actuel, « Les jeunes gens modernes aiment leur maman », qui identifiait une nouvelle scène rock issue d’un milieu plutôt aisé. L’exposition d’Agnès B en 2008 sur la scène cold-wave française a aussi réactivé cette esthétique dans les pensées. » Ce retour en grâce de la cold wave s’est ainsi réactivé depuis les années 2000 avec des groupes tels que Frustration. Il est en outre aujourd’hui mis en exergue par le succès grandissant, ici et ailleurs, dd LONGUEUR D’ONDES N°88 39
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Un arcane mentale qui entend aussi une base instrumentale similaire dans la plupart des groupes de cette couleur musicale. Michaël de Almeida de Candélabre, signé sur le label toulousain Solange Endormie précise : « Notre onde cold se traduit musicalement. La basse y est prédominante et les rythmiques nettement synthétiques. » Structures - Photo : Tiago AP
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Pour Pedro Peñas Y Robles, fondateur du label Unknown Pleasures, le contexte dans lequel évolue un groupe est prédominant : « Ça va être difficile de faire mieux que ce qui a été fait il y a 35 ans. Le contexte social de l’Angleterre de Margaret Thatcher était loin de vendre du rêve. Il n’y avait que peu d’échappatoires à la misère sociale hormis devenir footballeur, dealer ou musicien. La grande différence entre la new wave et la cold wave, c’est que la première regardait vers le futur alors que la seconde naissait d’un sentiment introspectif ; on était dans l’ordre d’une esthétisation du souvenir. » Si la sinistrose est un élément clé de la formulation de cette musique ténébreuse, le contexte mondial actuel tend ainsi à la réactivation d’un espace mental dans lequel l’obscur l’emporte sur le clair. Pedro rajoute : « On peut expliquer le retour du cold par le côté anxiogène de notre société, le climat à l’international. On écoute des musiques qui nous parlent par
Candélabre - Michaël de Almeida - Photo : Mélody Morana
lina Flamini Photo : Guenda Rendez-Vous -
de Rendez-Vous. Bien d’autres seraient à nommer, mais parmi les formations musicales actuelles, on mettra une petite pièce sur Structures, l’un des grands espoirs actuels du post-punk français. Pierre Seguin, son leader, formule ainsi le sentiment réfrigéré qui traverse sa musique : « La cold c’est une archéologie du souvenir, cela demande de se replonger dans des états d’âme pour créer. Beaucoup de théoriciens de l’art s’accordent pour dire que l’artiste ne fait que réagir à quelque chose qui le dérange. Si un artiste est heureux, il ne produira pas de la cold. »
rapport à ce que l’on vit. Ainsi une musique a de la pertinence du moment où elle correspond à l’époque dans laquelle elle s’inscrit. » Dire que ce début de XXIe siècle flirte bon avec l’abracadabrantesque relève de l’euphémisme, au regard du grand foutoir dans lequel l’ignominie n’est même plus reconnue, et dans lequel des crapules ont pris le contrôle du monde. Rien de bien nouveau certes, mais dorénavant les choses se produisent au nez et à la barbe de tout bon sens. L’élection de Trump à la présidence des États-Unis, l’amoindrissement continu de la biodiversité entraînant la disparition précipitée d’un grand nombre d’espèces vivantes, le fondamentalisme, la xénophobie, bref, autant de fléaux qui participent à faire de ce monde un cirque infernal. Devant un tel constat, autant choisir la carte de l’ironie pour ne pas sombrer, c’est l’une des pirouettes effectuées par le groupe Les Pleureuses, qui a choisi
de quitter le soleil de Montpellier pour formuler une musique post-punk teintée d’un glam rock empruntant au genre batcave sa théâtralité, à l’image d’un monde horrifique sur lequel on séchera bien des larmes pour laisser place à un rire jaune face à tant de démence. Collégialement, le groupe précise sa démarche : « On vit dans un monde de plus en plus cynique, cela se ressent sûrement dans la musique actuelle. Pour survivre à ça, il faut chercher la chaleur et la beauté dans le gris, les arbres morts, la brume et les corbeaux ; ça assombrit peut-être un peu l’âme, mais ça poétise la noirceur. La mort n’est pas un thème qu’on aborde vraiment, on préfère d’autres sujets noirs comme l’aliénation ou la solitude, mais sans vraiment se prendre au sérieux. Apprécier la musique triste ne veut pas forcément dire qu’on l’est.. » Et quand on leur demande si le monde est en péril, leur réponse se veut à leur image, froide et cinglante. « Oui le monde part en lambeaux, et alors, tu vas pleurer ? » Dark is the new light... i
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Pour aller plus loin Une page Facebook avec des sons cold wave des quatre coins du monde : Cold on the wave par Jean-Marc Junod. dfacebook.com/groups/cold.on.the.wave/ Une sélection de disques : OPERA DE NUIT – Opéra de Nuit – 1988 GUERRE FROIDE Angoisses & Divertissement – Brouillard Définitif – 2007 TRISOMIE 21 Rendez-vous en France – Alfa Matrix – 2007 MEMOIRES D'AUTOMNE Cliché – Meidosem Records – 2012 NORMA LOY Baphomet – Unknown Pleasures Records – 2016 FOLLOW ME NOT If the Sky Remains – Unknown Pleasures Records – 2017 SPLEEN XXX Poems of Charles Beaudelaire – Meidosem Records – 2017 STRUCTURES Long Life (EP) – Rockerill Records – 2018 CANDELABRE Candélabre (EP) – Solange Endormie – 2018 RENDEZ-VOUS Superior State – Artefact – 2018
Pedro Peñas Y Robles - Photo : Alba
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chroNiques Des centaines de chroniques sur longueurdondes.com
AS A NEW REVOLT TxRx
-BAT.point.
Bazbaz Manu Militari
BILLIE BRELOK Gare de l’ouest-Vol1&Vol2
Sand Music Un peu de hardcore, de noise et de hip-hop, le tout habillé d’électro : voilà les ingrédients utilisés par les deux membres de ce projet grenoblois, (Manu Barrero aux voix et machines, Julien Lhuillier à la batterie), qui a tout pour se distinguer : une fougue qui ne faiblit jamais, un sens du flow maîtrisé de fond en comble (“Empire”) et des titres en forme de brûlots incendiaires (“Retina” et son chant viscéral), enrobés d’une production très rock et de samples captivants... De quoi donner à ce premier album sauvage, abrasif et brut, une intensité immédiate. On pense forcément au rap underground américain des années 90, à la virulence des Rage Against the Machine mais aussi à l’énergie des Beastie Boys ou à l’effronterie de groupes punk comme At the Drive-In. Côté textes, le duo n’a pas mis sa révolte de coté : soutenant les laissés pour compte, il n’hésite pas à dénoncer les injustices, la concentration de la puissance financière ou les arrangements médiocres des politiciens. Bref, ne comptez pas vous reposer l’esprit avec lui...
Autoproduction Yvette Horner est décédée, le printemps dernier. Son instrument, l’accordéon, n’a pourtant pas été enterré. Souvent relégué au rang de symbole d’une France-passée, d’une Francemusette, d’une France-des-troquets, il est l’outil premier de Baptiste Giuliano. Musicien, chanteur et parolier, salué par l’académie Charles Cros pour une précédente création, il propose ces neuf titres qui passent en une demie-heure, donnant à cet album une sorte d’urgence, portée par le rythme de l’instrument-maître. Comme la quille d’un navire, les morceaux tanguent et ont, parfois, des airs de chansons de marins. « Promis on ira voir la mer / quand papa recevra le salaire, » déclame-t-il sur “Se taire”. Dénonce-t-il ? Harangue-t-il ? Décisions politiciennes et éléments du quotidien se trouvent mêlés à ce qu’il dit et écrit ; ses paroles rappées ou chantées sont soutenues par les nappes électroniques composées par Valentin Mussou. Ce qui est en jeu : les vagues et leur swing.
22D Music Pour son neuvième album, le musicien a pris grand soin de réunir tous les ingrédients d’une recette gagnante, au premier rang desquels ses qualités de mélodiste hors pair une fois de plus mises au service de la chanson française, celle des Gainsbourg, Christophe, Biolay et Julien Clerc (avec cette magnifique reprise de “Ce n’est rien”) et teintée ici de reggae et de soul. Fidèle à sa connivence avec le cinéma, Camille Bazbaz a organisé ses 9 titres comme autant de tableaux d’un film, prétextes tout trouvés pour nous inviter à nous immerger (sans nous noyer) dans les histoires magistralement orchestrées (“L’ivresse”,“Ma chérie”) de cette bande originale, qui n’est autre que celle de notre vie. Au fil de l’écoute, c’est la richesse des arrangements et des mélodies qui frappe par l’impression de grande fluidité et de naturel qu’elle dégage, preuve s’il en était besoin qu’il est l’un des tous meilleurs compositeurs français actuels. Il est temps que ça se sache.
Autoproduction Depuis Nanterre, déboulent les deux volumes discographiques sortis en 2018 par la flibustière du rap français, réunis dans un digipack absolument massif. 17 titres pour mettre les pendules à l’heure, et redéfinir la notion même de hardcore. La rappeuse n’a pas son pareil pour plaquer la société au mur et lui dire ses quatre vérités les yeux dans les yeux. Avec elle, le rap redevient ce média subversif, indomptable et cosmopolite, véritable contrepoint à la messe médiatique qui berce à longueur de publicités et d’infos continues, les cerveaux disponibles des masses. Lucide, franche et sèche, elle s’affirme comme la conscience cynique de la modernité et de la globalisation. Elle appelle à regarder chaque personne comme le fruit d’une histoire complexe et singulière : ici, personne n’est simplement une femme, un clandestin, un homme, une origine, une religion, un mode de vie, un destin, un déterminisme…, mais foncièrement un être de désir, assoiffé de liberté et de vie.
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ÉMELINE MARCEAU
VALENTIN CHOMIENNE
LAURENT THORE
LONGUEUR D’ONDES N°88 43
chroNiques musique
BORDELOPHONE Bordelophone
BRACE ! BRACE ! Brace ! Brace !
BRYAN’S MAGIC TEARS 4AM
FRANCOIZ BREUT Label Pop Session-Francoiz Breut
Autoproduction Le disque a commencé depuis à peine cinq minutes et ces nouveaux impétrants ont, déjà, totalement bousculé nos certitudes. Par son aptitude à marier les contraires, à sauter d’un genre à l’autre, le quartet instrumental tourneboule l’auditeur au point que l’on finit par penser que ce groupe porte décidément bien son nom. Puis, une écoute attentive permet de mieux en cerner les enjeux. Car derrière le “bordel” de façade, le groupe pense sa musique, agencée de manière très précise dans les moindres détails : un subtil mélange entre rigueur formelle, technique virtuose et créativité débridée. Normal, la moitié des musiciens (Jonathan le guitariste et Olivier le bassiste) sont issus du conservatoire où ils enseignent toujours. Dans ce contexte, la formation apparaît comme un exutoire pour ses membres. Une sorte d’éclate totale où l’on s’en donne à cœur joie. Le trait d’union, entre fusion jazz-funk, reggae et métal, existe : on l’a trouvé dans ce disque au groove puissant !
Howlin’ Banana Records Partagés entre Lyon et Paris, ces sacrés garnements, biberonnés à la contre-culture et au rock indé américains, s’en prennent à la pop pour la taquiner en tout bien tout honneur, mais avec un aplomb peu courant. D’humeur malicieuse et décalée, leur premier album est un disque de branleurs avertis, dignes rejetons de Pavement et autre The Good Life. Baignant dans un véritable bain de jouvence, leurs intentions mélodiques ne sont pas sans rappeler les sucreries de Sean Lennon sur son sous-estimé Into the sun. Fidèles à l’esprit de leur passionnant label, les quatre musiciens introduisent avec une fine maîtrise, au fur et à mesure du tracklisting, des éléments psychédéliques revigorants, sous la forme d’intenses soubresauts stoner comme de longs étirements progressifs. À la fois familier et joyeusement insaisissable, ce disque séduit peut-être avant tout par sa capacité à dévier de sa trajectoire et à pervertir sa propre matière musicale, entre dissonance éruptive et tendresse romantique.
Born Bad Records Oui, le deuxième album du groupe est toujours saturé de riffs déglingués, de larsens brûlants, et d’une disto transpirante… Mais c’est aussi beaucoup plus que cela. C’est la confirmation du talent brut entendu sur leur premier opus éponyme paru en 2016. Encore dans l’ombre de leurs héros (Dinosaur Jr., Pavement, entre autres...), la bande composée de membres de la Secte du Futur et de zikos de Marietta, autour de Benjamin Dupont (du groupe Dame Blanche) se révèle aujourd’hui être une infernale machine à instant hits. Et malgré leur manifeste inspiration 90’s, rien ne sonne nostalgique chez eux. L’énergie convoquée — une éternelle fin d’adolescence — est sans âge, et leur ambition est désormais enrichie d’un mélange plus pop, où percent encore leurs diverses inspirations, le motorik beat krautrock de “Change”, les guitares shoegaze de “4AM”, les congas rebondissantes de Primal Scream (“Sweet Jesus”). L’un des meilleurs albums rock de la fin 2018.
Microcultures Témoignage discographique d’une expérience rare, initiée par Vincent Théval dans son émission sur France Musique, en 2012, cette inscription dans la postérité d’un très beau moment de radio est l’expression d’une profonde admiration pour l’une des musiciennes françaises les plus fascinantes de l’ère post-moderne. Alors que par choix et philosophie de vie, la jeune femme assume d’exister médiatiquement à son propre rythme, cette opportunité est donc un véritable bonheur pour les fans de cette artiste polymorphe et créative. Levant le voile sur l’album Zoo à sa sortie en 2016, à travers des versions criantes de vérité et de fragilité, elle révèle par exemple, une proximité confondante avec Beth Gibbons, la voix de Portishead, sur l’anglophone “Deep sea diver”. Plus généralement, la richesse et l’inventivité instrumentale du trio, complété par Stéphane Daubersy et Antoine Rocca, exaltent comme rarement la profondeur émotionnelle des textes de la néo-Bruxelloise.
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RÉGIS GAUDIN
LAURENT THORE
LAURENT THORE
CANNIBALE Not easy to cook
FABULOUS SHEEP Fabulous Sheep
FILIP CHRETIEN Devant
LOU DOILLON Soliloquy
Born Bad Records Du fin fond de sa Normandie natale, le groupe a réussi à créer l’illusion d’une musique psychédélico-tropicale. Cela avait donné un album formidable il y a deux ans et aujourd’hui les Normands s’apprêtent à remettre le couvert. Les ingrédients sont, peu ou prou, les mêmes. Des instruments vintage, beaucoup d’orgue psyché, et une bonne dose d’imagination, le nez planté dans un atlas à rêvasser devant des cartes géographiques. Ainsi, la formation plonge les influences convenues des années 60 et 70, encore mieux assumées que par le passé, dans un chaudron bouillonnant qui, du dub à l’afrobeat, fait bouillir la marmite et les oreilles de l’auditeur, offrant un spectre encore plus large que sur le premier disque. Encore mieux, de l’écriture à la production, tout est à l’avenant et contribue à élever la barre. Les compositions, à tiroirs, ne sont pas avares de développements surprenants et d’angles barrés parfaitement mis en valeur par une production au diapason. Hypnotique et dépaysant.
Bitter Noise Productions / Differant On attendait avec une impatience non feinte le premier album des Biterrois, tant leurs prestations enflammées de 2018 nous avaient émerveillés. On se demandait si le groupe serait capable de restituer en studio leur flamboyance live. À l’écoute de ce premier opus, la réponse est claire et nette : oui, mille fois oui. Le disque s’ouvre sur un “People around me” qui, avec ses une minute trente au compteur, montre toute la punkitude dont sont capables les moutons fabuleux. Le combo délivre tout au long de l’album nombre de pépites pop-punk qui en font les dignes petits frères des Libertines : “Kids are back”, “Wandering souls”, “Law number one”. Mais le groupe ajoute sur ce premier effort studio une nouvelle palette à son style avec des morceaux plus lents sur lesquels il s’avère tout aussi doué, à l’instar de “Blackbird” ou de ce merveilleux “Take shelter”, morceau poignant s’il en est. Un grand album.
Coop Breizh / Les disques normal C’est toujours un grand plaisir de retrouver l’univers mélancolique de Filip Chrétien, et c’est peu de dire que son nouvel album comble toutes nos attentes. Par ses chansons à fleur de peau sans nul doute inspirées de sa vie, il invite à partager un peu de son intimité, avec pudeur, et ses mots sont d’autant plus touchants qu’ils résonnent en chacun de nous. Que ce soit pour évoquer l’amour confronté aux aléas du temps (“Devant”), ou la séparation d’avec l’enfant chéri (“Au départ”), les textes empreints de sincérité sont chargés en émotions. Trois auteurs apportent leur pierre à l’édifice, la chanteuse Lou pour “Un nouvel amour”, l’écrivain-chanteur Jérôme Attal pour “Une dégaine pour l’automne” et David Jacob pour “Les navettes”. Les musiciens, au sein desquels on notera le présence du bassiste Pierre Corneau (ex-Marc Seberg), façonnent une musicalité du plus bel effet, magnifiée par le talent de mélodiste du Rennais.
Barclay Elle grandit album après album. La benjamine du clan Birkin se révèle davantage plus fantaisiste avec un troisième opus plus coloré, où le rock côtoie ponctuellement des notes plus électro (“Nothings”), sans pour autant oublier son amour pour la folk, marquant son entrée dans la musique avec Places en 2012. Une prise de risque loin de sa zone de confort dont la force première est la sensualité qui se dégage au fil des notes. Une mutation douce et électrique à la fois rappelant la Patti Smith de “Redondo beach”. Son émancipation artistique s’affiche avec une élégance naturelle et son timbre chaud vient réconforter les oreilles des amoureux du grand Ouest américain. Il est temps donc de brancher les amplis et de laisser place à une musique magnétique. Douze morceaux à savourer sans modération, digne d’une sinécure acoustique.
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44 Longueur d’ondes N°88
RÉGIS GAUDIN
Alain Birmann
CLÉMENCE ROUGETET
chroNiques musique
ANITA FARMINE Seasons
CHRIS GARNEAU Yours
EVELYNE GALLET La fille de l’air
H-Burns Mid Life
Palapapaï Prod L’auteure-compositrice-interprète franco-iranienne orléanaise chante en français, anglais et en persan sur son nouvel album. Elle enrichit son art musical de touches existentielles et de vécu inspirant cet opus plus que réussi. Son patronyme, qui peut se décomposer selon l’acronyme suivant Fight Against Racism Monarchy Imperialism and Nazism, résume le programme de liberté et d’amour aux sons de sa musique sans frontières. Ce folk, jazz, pop et un soupçon d’électro influencés par la musique européenne et métissés avec de la world music participent bien au voyage vers l’Orient, aux sons des percussions iranniennes du dayereh. S’inspirant du ressenti et de la mobilité au sein d’un monde dont elle est pleinement citoyenne, elle sème de la poésie sur ses chants inouïs et les cultive selon le cycle des saisons, ses émotions variées et ses pérégrinations sonores charmantes. L’envoûtement fonctionne. À déguster avec passion et sans modération.
Rough Trade Neuf. Neuf petits miracles, voici ce que nous offre l’auteur-compositeur québécois, à travers ce nouveau soupir phonographique, scintillant et apaisé. De son timbre toujours aussi caressant, le musicien continue de se dévoiler tout en sensibilité et en modernité, résolument épanoui dans une écriture un peu plus amoureuse, chanson après chanson, année après année. Car une poignée de titres, c’est plus qu’il n’en faut au jeune prodige pour transporter son auditoire dans les dédales de son onirisme fécond et l’initier à la découverte de chaque recoin de son imagination féerique et stupéfiante. Côté featurings, admirons la diversité des collaborations, à l’image de la multiplicité des esthétiques consacrées dans cette nouvelle création : Keren Ann, Shannon Funchess (Light Asylum), Morgane Imbeaud (Cocoon) ou encore Greg Fox (Liturg). Le résultat, quant à lui, est adorable, tout simplement. Au sens primaire du terme. Oui : voici un album admirable et ravissant, digne d’être adoré. La bonne nouvelle ? Il est à vous
Z Production Déjà une vingtaine d’années que la chanteuse, lyonnaise d’adoption, évolue entre irrévérence, dextérité, subversion et audace textuelle, ce qui la place dans un entre-deux d’humour et de sérieux. Accompagnée par de grands paroliers et compositeurs elle excelle dans la chanson dite à texte en français. Sur son quatrième album studio on remarque des duos avec Dimoné, Emilie Teillaud et Mina, ainsi que des nuances plus rock et folk aux sons de guitares saturées qui enrichissent l’aventure. En artiste prolifique et très créative, elle conte des morceaux de vie et d’expériences variées au timbre d’une voix lui autorisant toutes les émotions. La chanteuse-conteuse interprète un savant alliage de mélodies, de mots et de rythmes. Elle a cette capacité d’administrer à un grand nombre d’oreilles, avec le plus grand soin des “gestes de premiers secours musicaux” avec verve et sons envoyant en l’air. On a hâte de savourer ces nouveaux titres sur scène.
Vietnam Il est de ces musiques faciles qui collent instantanément à l’oreille. L’air de rien, les arrangements déroulés en ces lieux folk développent de vraies petites pépites mélodiques, s’incrustant subrepticement dans le cœur de l’auditeur. Tout en simplicité, sincère en son âme, comme beaucoup d’autres devraient l’être, H-Burns délivre un disque dont le classicisme stylistique s’abat à raison d’une grande sensibilité esthétique. Il faut dire qu’au bout du septième disque, certaines chosent finissent par être privilégiées et le choix fait à présent par Renaud Brustlein est celui du plaisir immédiat. Porté par une liberté jouissive, le songwriter rend hommage à de nombreux percepteurs d’une musique déjà parcourue sous toutes les coutures. De sa conclusion plongée dans une douce mélancolie, « Mid Life », à l’ouverture indie rock électrifiée « Crazy Ones », le voyage se veut telle une traversée des grands espaces folk américains. Poussière tu es poussière, et poussière tu retourneras, toujours avec le même allant.
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VANESSA MAURY-DUBOIS
XAVIER LELIEVRE
VANESSA MAURY-DUBOIS
Julien Naït-Bouda
HANGMAN’S CHAIR Banlieue triste
INUÏT Action
Interzone Kan Ya Ma Kan
LA MAISON TELLIER Primitifs modernes
Music Fear Satan Qui croirait le thème de la banlieue réservé au rap trouvera dans ce cinquième album des Parisiens une réponse sans appel, taillée dans un metal sludge plus à vif que bien des punchlines actuelles. Depuis toujours nourri par les visions urbaines versant gris béton, ciel plombé de pollution et solitude collective, le quatuor franchit cette fois le périphérique pour un retour aux racines de son mal. Joyau d’une honnêteté brute, cet album affine encore un style singulier conjuguant épaisse noirceur de poisse sous forme de lentes guitares sludge, esthétisation du spleen par des touches cold wave (les guitares curiennes de “Tara”), mélodies lacrymales, réverb’ et synthés en avant, et phases atmosphériques de torpeur angoissée. Reflet sans fard d’âmes désenchantées et de corps blessés (“Tara” relate l’overdose d’un des membres), ce disque se déverse telle une coulée d’asphalte dans laquelle s’engluent les perspectives. D’une teneur quasi gothique, il drape dans une beauté triste un cœur froid, confronté à un environnement désespérément hostile.
Cinq7 Électro-pop est évidemment restrictif, mais l’étendard peut résumer à lui seul la bipolarité de ces 6 musiciens nantais. Pour preuve, le postulat de leur clip “We the people” : ce n’est pas parce que l’emballage est arty que le second degré n’est pas autorisé… Pas plus que la répétition boulimique de sa phrase-titre n’impose des arrangements simplifiés. C’est tout l’intérêt de ce groupe-meute : ici et là, chaque individualité a tenté son axe narratif, rapidement digéré par le prisme du collectif... Voyez cette ambivalence entre titres à danser ou à buller : les contraires s’attirent ! Pourquoi trancher ? C’est pour cette raison que lorsque l’on croit Inuït en flagrant délit de simplicité ou de “faire comme”, il y a toujours une subtilité, cette humilité à ne pas jouer les remplisseurs ou cette quête du son le moins usité… Or, c’est ce que l’on attend d’un disque aujourd’hui : comprendre l’époque oui, mais donner à redécouvrir — via un jeu de pistes aux détails — à chaque écoute.
Intervalle Triton Echappé depuis très longtemps d’une certaine zone de confort et d’une musique liberticide car trop formatée pour son jeu de guitare, le projet Interzone mené par Serge Teyssot-Gay aura permis à ce dernier de retrouver un épanouissement source de paix intérieure. Ainsi, ce quatrième voyage ne déroge pas à la règle et invite l’auditeur dans un univers en suspension, au-delà du monde électrique contemporain. Il faut dire que le blues arabique développé en ces contrées laisse s’échapper des effluves plus efficaces qu’un anxiolytique. Sur les neuf pistes proposées, le chant Oud de Khaled Aljaramani répond au jeu de guitare quasiment automatique de STG, pour invoquer un cheminement entre rêve et réalité. Kan Ya Ma Kan signifiant « il était une fois » dans les contes arabes, les deux hommes livrent peut-être leur disque le plus onirique, un vrai moment de méditation durant lequel le sablier s’est définitivement arrêté. Libre est la musique quand elle n’a pas de frontières, qu’il s’agisse de temps ou d’espace.
Verycords Sixième opus très attendu après la réussite artistique du précédent : Avalanche. La pochette est originale, une image qui interpelle, un bel oxymore pour titre. On note un son de guitares plus présent et de nombreux passages instrumentaux qui transpirent le plaisir de jouer. Il y a ici des sonorités différentes, des rythmes variés, un côté plus rock sur “Les Apaches” ou “La Horde” et de magnifiques ballades blues-rock : “Ali” “Les Sentinelles”. On y retrouve des mélodies raffinées, des textes poétiques portés par un instrumental subtil, une harmonie accentuée par les cuivres. Des airs restent en tête, faisant parfois penser à du Souchon. Une belle bouffée d’énergie dès le premier morceau, titre de l’album. On est accro à “Chinatown” par ses sonorités asiatiques et ses boucles. De l’originalité avec la longue intro de “Fin de Race”, une belle montée en puissance des instruments sur “Prima Notte”, on embarque. Pour thème, notre monde difficile et ses lueurs d’espoir malgré tout.
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JESSICA BOUCHER-RÉTIF
Samuel Degasne
Julien Naït-Bouda
VALÉRIE BILLARD
LONGUEUR D’ONDES N°88 45
chroNiques musique
LA YEGROS Suelta
LUKE Porcelaine
MALWEEN Comme une étoile
MARBLE ARCH Children of the slump
Canta de Selva La Yegros, prononcé “La tchégrosss” en argentin, est la reine de la nu-cumbia, musique traditionnelle argentine et électro pop. Elle ambiance des salles de concert combles où elle irradie de sourires, plaisir de jeu de scène et aura, autant de bonnes énergies à redécouvrir dans son nouvel opus nourri au folk argentin et colombien. On sent l’importance pour elle du naturel et de l’authenticité de ses origines en chantant en espagnol pour conserver son identité culturelle argentine si chère à son cœur mais le français n’est pas en reste, vu qu’elle habite désormais Montpellier. Généreuse, elle invite à ses côtés sur “Tenemos voz” la MC britannique Soom T, afin de faire chanter la place des femmes et de faire danser les voix et les corps sur des sons survoltés de flûtes andines, d’huayno et de chamarrera. Un magnétisme certain. Elle sera en tournée européenne en mars/ avril 2019 ; l’occasion pour se (re-)mettre à l’espagnol au rythme de ce lâcher prise latino sensationnel.
Verycords Il aura fallu quatre ans pour qu’arrive le successeur de Pornographie. Si la gestation de ce disque a été si longue, c’est peut-être parce que ce nouvel opus s’avère très différent de son prédécesseur. En effet, cet album s’aventure vers des territoires nouveaux pour le groupe, nombre de morceaux évoluant dans un registre très chanson. Autre différence notable : les textes. Si ceux de l’album précédent se situaient dans un registre sociétal, on est ici dans la sphère de l’intime. Musicalement, Luke nous offre des titres comme on en avait jamais entendus de leur part, comme ce très réussi “Fleche” et son parfum italo-disco qui a tout d’un tube en puissance. Après vingt ans de carrière, Mathieu Boulard montre qu’il est capable de se renouveler sans se renier et prouve que son groupe reste l’un des plus intéressants de la scène française.
Autoproduction Dès les premières notes, les oreilles plongent dans les dédales du rock avec la langue de Molière en figure de proue sur dix des onze morceaux que compte cet album. Derrière ce projet se cache la voix de Julien Buys, dont son passé de conseiller financier n’est désormais qu’un lointain souvenir, pour filer droit vers ce premier projet solo qui fait partie des révélations de la scène indépendante de ce début d’année. De son indignation organique du quotidien (“J’suis indigné”), au harcèlement scolaire sauce folk (“Émilie”), en passant par un ton plus rock autour des relations humaines (“Tu ne viendras pas”), les cartouches de l’artiste sont multiples. Guitares, batterie et voix s’écoutent et dialoguent avec fluidité. Une étreinte musicale qui est savoureusement contagieuse. Sa construction sonore met en avant avec efficacité et simplicité à la fois les couleurs du rock tricolore.
Géographie Cinq ans après la sortie d’un premier disque, The bloom of division, qui reste encore l’un des, si ce n’est le meilleur disque français de pop shoegaze jamais réalisé à ce jour, Yann Le Razavet s’apprête de nouveau à éclairer la face du monde de sa lumière pâle, tel un soleil hésitant encore entre l’hiver et le printemps. Ainsi la recette a peu changé et c’est tant mieux, elle tend ainsi à confirmer ce qui avait été précédemment affirmé, à savoir, des vocalises spectrales qui participent toujours autant à relater un onirisme paumé entre nostalgie et romantisme. C’est qu’il y a de l’éther dans cette “coma pop” qui n’était déjà pas sans rappeler à ses premiers échos les Suédois de The Radio Dept. En résultent des morceaux où l’introspection des sentiments fait figure d’une véritable énergie créatrice, confirmant la grâce d’un auteur qui surfe sur son vague à l’âme tout en évitant la noyade. Le genre de disque suspendu à un audelà duquel il est difficile de revenir.
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Vanessa Maury-Dubois
Pierre-Arnaud Jonard
Julien Naït-Bouda
METRIC Art of doubt
NAMDOSE Namdose
JERÔME MINIERE Dans la forêt numérique
NO MONEY KIDS Trouble
BMG / Crystal Math Music S’il y a un groupe en pleine résurrection, c’est bien le combo canadien d’Emily Haines. Héritier tant d’un grunge sexy façon Hole que des obsédantes boucles sonores de Garbage, tout cela mâtiné à la sauce actuelle avec une bonne dose de grosses guitares, comme l’affirme la chanson “Dressed to suppress”. Bienvenu après 20 ans de carrière, ce brûlot post-punk soutenu par de belles lignes mélodiques regorge de pépites. “Art of doubt”, “Love you back” entamé par une belle vocalise samplant dans le chant le “I will survive” de Gloria Gaynor, ou encore “Now ou ever now”, ces morceaux sont à l’image de l’album, entraînants et addictifs, tout comme “Black sunday”, le très bon titre d’ouverture. La noirceur mélodique et les guitares imposantes contrastent avec la clarté de la voix de la chanteuse. C’est compact et consistant. 15 ans après avoir sublimé le film Clean d’Olivier Assayas, Metric montre mieux que bien d’autres que le rock des nineties a encore de beaux jours devant lui !
Yotanka Records Certaines rencontres ont parfois du bon. Celle entre les Belges BRNS et les Français Ropoporose, lors d’une création au festival Les Nuits Botanique en 2018, en apporte une nouvelle fois la preuve ! L’histoire raconte que l’alchimie entre eux a tellement pris qu’ils ont décidé de fusionner en formant un nouveau groupe ensemble. Pas étonnant donc de retrouver dans ce nouveau projet, ô combien inventif, les ingrédients phares qui font la singularité de chaque auteur précité : l’album, composé à 5 musiciens donc, laisse aussi bien place à des guitares effrénées appuyant des mélodies pop qu’à des ambiances plus abrasives. Les voix, féminines et masculines, oscillent entre légèreté et chant plus poussé, et viennent habiller des morceaux très énergiques et denses, qui serpentent continuellement, sans vouloir suivre de format particulier. Et c’est tant mieux ! Pop, post-rock et mathrock s’entrelacent ainsi sans cesse dans les cassures rythmiques, les mélodies entêtantes et la fougue incroyable de ce tout jeune projet dont on espère déjà la suite.
Autoproduction Pour son onzième album, le Français, installé depuis quelques années à Montréal, a opté pour la voie de l’autoproduction. Depuis ses premiers pas en 1996, sur le mythique label Lithium, l’esthète met en scène, avec toujours autant d’élégance, son univers singulier. Son écriture délivre avec tendresse, de subtiles confessions intimes, qui se croisent par moments, avec la justesse de son regard lucide et parfois très dur sur la modernité. Seul aux commandes de cette œuvre pénétrante et sensible, il retrouve l’inventivité et la vérité de son fantastique Monde pour n’importe qui. Entre slam décomplexé et chansons faussement naïves, ses délicieuses vignettes minimalistes donnent le sourire autant qu’elles interrogent. Certaines deviennent même de véritables obsessions, tant la musique accompagne avec une justesse confondante le sens du texte et la musicalité des mots. Loin des excès de la variété, ce disque prouve que l’exercice de la chanson est loin d’être un acte convenu et complaisant.
Roy Music Crépitant tel un feu ardent dans une cheminée luxuriante, la guitare est la pièce maîtresse de ce nouvel opus. En seulement quatre années d’existence, le tandem parisien signe un troisième essai aux accents électriques. Tantôt indie, tantôt rock, le duo navigue avec aisance entre les deux univers, tant la fluidité de la composition et de l’écriture coule de source. Les treize morceaux, dont la reprise du titre de Gnarls Barkley, “Crazy”, viennent croquer les tympans, pour y susurrer des riffs ronronnants. Contagieux, cet hymne rock ne manque donc pas de saveur, bien au contraire. L’aplomb musical porté par Félix Matschulat et JM Pelatan les ouvre à un horizon teinté de blues-électro. Impossible donc de rester de marbre à l’écoute de “Hush, Hush” ou de “Blue Shadow”. Cet album à l’énergie contagieuse ne peut qu’enflammer les scènes qu’ils vont être amenés à croiser lors de leur tournée à venir.
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46 Longueur d’ondes N°88
PATRICK AUFFRET
ÉMELINE MARCEAU
LAURENT THORE
CLÉMENCE ROUGETET
chroNiques musique
NOTHING BUT ECHOES We are
PRINCESS THAILAND Princess Thailand
PUMPKIN & VIN’S DA CUERO Astronaute
SHOEFITI Fill the silence with your desires
Autoproduction « Nous ne sommes plus que des échos… » Sur ces mots répétés se clôt un album en forme de plongée au-delà de l’humanité, dans un monde qu’elle a sabordé et jusqu’au fond de ses ténèbres intérieures. Entre metal progressif plus accrocheur que complexe et post-hardcore léché, les Nantais déploient leurs visions apocalyptiques dans un cadre sonore moderne qui ne sacrifie cependant pas à l’air du temps sa personnalité. Si cette dernière peut encore s’affirmer, en se libérant de quelques rares facilités stylistiques et mélodiques encore perceptibles, la production est quant à elle digne d’un groupe déjà solidement établi et sert parfaitement le paysage sonore froid et déshumanisé que le sextet parvient à construire. De titres courts et rageurs à de longues compositions, du chant crié au chant clair, c’est un sentiment torturé qui prédomine dans les atmosphères à la dimension cinématographique qui se tissent à travers cette diversité.
Autoproduction Repéré ces derniers mois par leurs prestations scéniques débridées, les Toulousains n’ont rien perdu sur disque de ce qui les caractérisent en live ! Leur chant, tantôt scandé, crié et habité, chasse la-demi-mesure tandis que leur énergie, frontale et abrasive, opère dés les premières notes de ce premier album ô combien dense et riche en émotions. Les chansons prennent le temps de se construire et de se mouvoir dans leur décor tapissé de guitares saillantes, de basses épaisses et de rythmiques et boucles répétitives, puis se faufilent en secret ou chevauchent dans le noir pour mieux exploser au grand jour (écoutez “A’nnay” et ses incantations ou “Drone under”). Dans sa matrice infernale où se mêlent à la fois rock psyché, punk, cold-wave, noise, krautrock ou post-rock, le quintette s’impose en digne héritier de Siouxsie et de Savages (“I can see”), laissant — après le passage de ses déflagrations quasi chamaniques — à peine le temps de nous sortir de l’état d’hypnose et de fièvre dans lequel on était entré.
Mentalow Music Faudra-t-il attendre encore longtemps pour que le rap humaniste et conscient de ce duo complice, explose enfin au grand jour ? Si l’album précédent, Peinture Fraîche, mettait en avant la finesse et la poésie d’un subtil ego-trip militant, largement inspiré par la figure tutélaire de MC Solaar, cet opus impressionne par sa cohérence sonore et son point de vue inédit dans le paysage artistique du rap français. Très loin de la dérive nombriliste de certains, la rappeuse et le beatmaker démontrent avec toute la force de leur singularité, que cet art urbain, peut aussi être une subtile communion entre une approche musicale feutrée et une expression vivante et cosmopolite de sens et de mots, écho local aux intentions développées OutreAtlantique par le maître américain du boom-bap, Krs One ou encore par la formidable Erykah Badu. Les vibrations et les valeurs portées par ces douze titres addictifs confirment que le rap est décidément multiple et assurément le média populaire de la modernité.
Autoproduction Dix ans que le groupe a débuté son aventure. Pour célébrer ça, il sort aujourd’hui son troisième album studio. On sent à son écoute qu’il a été enregistré live un soir d’hiver et de tempête dans une ferme normande, car on y ressent toute l’électricité des albums enregistrés en une prise. Si Shoefiti a toujours revendiqué ses influences indie 90’s, cet album prouve qu’il ne saurait être cantonné à un genre. On trouve un peu de tout dans cet opus : du rock, du garage, les titres les plus longs prennent des voies post-rock (“Catcall Addiction”) ou noisy (“Maura 1982”). L’influence Sonic Youth est toujours présente comme sur “Fill The Silence” qui conclut de superbe façon le disque. Cet opus très réussi possède une vraie incandescence rock’n’roll, ce qui est devenu plutôt rare de nos jours. C’est un disque où les guitares brillent de mille feux. Shoefiti semble aujourd’hui être arrivé à maturité et ce nouvel album le prouve de la plus belle des manières.
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SIERRA MANHATTAN Are U Single ? No, I’m Album
SOAN Dix ans de cavale
STUCK IN THE SOUND Billy believe
TH DA FREAK Freakenstein
Atelier Ciseaux – AB Record Quand on entend les premières notes de cet album, on tombe tout de suite dans un univers lo-fi avec des touches psychédéliques. Cette esthétique, Antoine Aubert se l’est appropriée d’abord en projet solo à partir de 2012. Puis au fil des rencontres, il a muté en Sierra Manhattan pour devenir ce combo pop lyonnais. Après un premier album en 2015, mélangeant travail solo et ensemble, le groupe se réunit en mars 2017 pour enregistrer dans le Beaujolais. Le résultat : des chansons comme “Tuesday” ou “Everything’s fine” sont enrobées d’une belle couche de guitare réverbérée et d’une énergie pop simple et efficace. Le “Now or never” est, lui, un bijou travaillé pour être le slow le plus doux possible. Et à la fin, le très rocksteady “Duhspee” surprend, mais ne dénote pas non plus du reste. Le son est maitrisé et ils tentent même de s’amuser à voir les limites de leur potentiel. Finalement presque trop court, le disque rassasie, mais donne envie de les entendre explorer ces portes qu’ils ouvrent.
One Hot Minute / Wagram Pour fêter ses dix ans de carrière, le chanteur a choisi de sortir son premier best-of. Mais pas un traditionnel puisque pour ce disque, l’artiste a décidé de retourner en studio pour réenregistrer les titres phares de sa discographie. Si Soan a souvent eu une image “chanson”, on se rend compte à l’écoute de ce disque que sa musique est bien plus rock qu’on ne le supposait. C’est par exemple le cas pour “À tire d’aile”, morceau où les guitares se taillent la part du lion ou le très réussi “Les malentendus” sur lequel on entend la voix de Mitterrand pourfendre les puissants et concrétise ainsi le tournant politique pris par le jeune homme depuis maintenant plusieurs années. Il ne s’est pas contenté de réarranger ses morceaux, il en a parfois changé les paroles comme sur “Séquelles” qui devient ainsi une diatribe anti-Macron. Cerise sur le gâteau, l’auteur-compositeur offre ici pas moins de six inédits. Une bien belle cavale en définitive.
Beam ! Tout commence doucement avec “Forever days” et ses mots presque scandés sur un refrain haut perché. La mélodie accroche immédiatement. Visiblement, le combo a bien eu raison de quitter le confort tout relatif de sa major (Columbia) pour revenir à l’indé pur et dur. Car oui, José et les siens sont de retour en grande forme. Toute la singulière texture du groupe est présente et parfaitement renouvelée. “Serious” confirme immédiatement le premier ressenti et les Stuck multiplient les ruptures pour mieux convaincre. “Alright”, le premier single, envoyé avec fureur, a déjà fait ses preuves et se présente comme une belle carte de visite avec ce chant et ce contre-chant si caractéristiques. Un titre bizarrement intitulé “Petit chat” relance le côté héroïque et hardcore, rappelant toute la fougue de “Bandruptcy”. L’uppercut est violent. “Action” et son intro guillerette et ses chœurs enthousiastes confirment ce retour en force avec brio. Un disque en forme de moments de bravoure.
Howlin’ Banana Records / Modulor Du rock, du grunge, de la pop, du noise, du garage, du lo-fi, comment caractériser ce quintette bordelais en quelques mots ? Tout simplement, TH da Freak. Le groupe, qui a déjà deux albums à son actif (The Freak et The Hood), revient en force avec un troisième opus dont le premier extrait, “Peeling the onion”, au son retro des années 90 et au clip DIY, qui déménage déjà dans nos oreilles. Power chords, bonne ambiance, esthétique psyché et bonnes vibes. Puisant son inspiration chez Nirvana, Dinosaur Jr, The Melvins, My Bloody Valentine ou encore Early Beck, ce groupe venu de l’espace se démarque par sa personnalité atypique, ses musiques entraînantes et réalise une montée fulgurante vers le devant de la scène rock. Tout en couleurs, il ne manque pas d’énergie. Comme il se balade pas mal un peu partout en France ces derniers temps, ne ratez pas ses happening sur scène, c’est un évènement !
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Yann LE NY
ÉMELINE MARCEAU
Pierre-Arnaud Jonard
LAURENT THORE
PATRICK AUFFRET
Pierre-Arnaud Jonard
FANNY JACOB
LONGUEUR D’ONDES N°88 47
chroNiques musique
THE WOODEN WOLF Winter Variations, Op. 6
TÉTÉ Fauthentique
SANDIE TRASH French Peep Show
VOYOU Les bruits de la ville
Deaf Rock Records Avec tout le respect que l’on doit à la région, rien — si ce n’est le sample d’un clocher bavarois — n’aurait pu dater ou géolocaliser ce folk photosensible en provenance d’Alsace. C’est que, derrière les cordes grattées, l’américain grinçant et la batterie suspendue, on croit deviner de grands espaces à l’horizon galopant. Un comble que l’un des meilleurs disques de l’an dernier soit une œuvre raclée jusqu’à l’os, préférant l’économie à la démonstration… La musique a d’ailleurs besoin de gestes aussi radicaux que cette authenticité (souvent confondue avec la simplicité). Car c’est bien d’une matière vivante dont il s’agit ici, transformant l’exposition prolongée aux épreuves de la vie (sexualité, mort, colère, passion…) en signaux destinés à être transmis. Avec cette morale dictée dans sa chanson-titre : « Que se passe-t-il quand il n’y a plus personne avec qui hiberner ? Qu’il n’y a plus de chair, quand il y a pourtant besoin de celle des autres pour se rendre compte de la sienne ? » Magnifique.
BMG Lundi avec “King Simili”, mardi avec ”Disco solitaire”, mercredi avec “Tout doit disparaître”, puis arrive progressivement la fin de semaine avec “Week-end sans wifi”. Le funambule musical nous dévoile un nouveau roman composé de quinze fables aux rimes résolument certifiées folk. L’époque est à la consommation et à la surinformation, où la notion de “vrai” est un brin galvaudée dans notre vie quotidienne. Cette odyssée du toc est détournée avec humour et finesse au fil de la quinzaine de morceaux, dont “Les Galeries Lafaillite”. Sous le chapeau de Tété se cache donc une certaine malice acoustique qui captive les oreilles. Il s’agit ici d’un septième album dont la pièce maitresse reste la simplicité mélodique, si chère à son auteur. Incarné, chaque morceau est en effet le résultat d’une intention précise, où chaque mot prononcé prend rapidement son ampleur. Des caresses musicales dont l’écoute s’avère captivante.
Indies Music Productions Ne pas oublier son fouet ! Vrai spectacle déjanté et burlesque qui est ici proposé, avec douze morceaux très sulfureux où il est question de tissus (pensez cuir, latex, boa et résille), de paillettes, de poudre (laquelle ?) et de personnages sortis tout droit d’une série Z (un champ lexical qui n’est pas sans rappeler les extravagances d’un certain Jad Wio). Le billet pris, tout s’assume et se montre. Hop, en piste. Les nombreuses voix de cet album projettent puissamment de véritables scènes dévergondées très imagées, accompagnées de riffs survoltés ainsi que d’une ligne électro entêtante (une rencontre féminine du punk aux synthés, dans la digne lignée de Kas Product). Ambiance émancipation électrique et frivole, mais soulignons la technique, qui, elle, est très sérieuse. Ici, la femme, mi-punk mi-sorcière (ce qui revient un peu au même) mène le jeu, et va jusqu’au bout de la folle nuit, sans compromis. Débridons-nous !
Entreprise Cela fait des années qu’on le dit : la pop française a encore de très belles heures devant elle et c’est d’ailleurs précisément ce genre de disque qui peut continuer à nous l’assurer. Un mot ne suffirait pas pour décrire l’incroyable panel musical déployé par ce jeune voyou, tout aussi bien revendiqué Gainsbourg que Berger ou Tellier. C’est en tout cas l’aveu des filiations multiples et émerveillées tel qu’il peut être dressé à l’écoute de ces quelques pièces joliment synthétiques. Car oui, ici les sonorités sont furieusement rétro et donc inévitablement électroniques (2019 oblige !), lorsque les ribambelles de mélodies constituantes de chacun de ces 11 morceaux ne cessent d’aller puiser leurs identités dans la grande tradition de la chanson française. Touchante de timidité et de poésie, la plume du musicien quant à elle n’est pas sans nous sensibiliser encore un peu plus à sa démarche délicate et peinturlurée, toujours un peu plus dans l’air du temps et pourtant tellement loin devant…
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Samuel Degasne
CLÉMENCE ROUGETET
ANNA KRAUSE
XAVIER LELIEVRE
WATINE Géométries Sous-Cutanées
WIZARD MUST DIE In the land of the Dead Turtles
YGGL RA.D
MARY ZOO Tales from The Enchanted Maze
Believe / Differ-Ant Délaissant le confort d’une pop où elle évoluait avec une certaine grâce depuis une quinzaine d’années et en 6 albums, la musicienne, éternellement en quête de contrées musicales à explorer, s’aventure avec une belle pertinence dans des sonorités électro-acoustiques assez réjouissantes. Avec ce nouvel opus, elle propose un voyage contemplatif au long cours, presque essentiellement musical, mixant avec bonheur thèmes répétitifs, mélodies aériennes et envolées lyriques, voyage introspectif ouvert sur le monde, bourdonnant de vie avec l’apport de sonorités du quotidien comme la clameur des rues, les sonneries de cloches… La proposition, par sa capacité d’ouverture et son appétit de musicalité, échappe à toute classification réductrice. Deux titres, “Lovesick” et “Jetlag”, sont le support de très beaux textes poétiques écrits et dits par Catherine Watine, dont les thèmes évoquent notre rapport au temps qui passe, l’impermanence de la vie et des choses, les aléas du sentiment amoureux et la solitude.
Autoproduction Les Lyonnais ont déjà une belle expérience de la scène, et cet album est le premier d’une carrière que l’on espère longue. Car cet opus met la barre très haut dans le style stoner. Les riffs sont lourds, les morceaux généralement longs comme le veut le genre mais Wizard Must Die s’avère aussi capable d’offrir des titres courts et punk à l’image du dévastateur “Logical math carnage”. Un mélange de styles donc, ce qui donne toute son originalité à ce disque. On est emporté dès le premier morceau “In the land” vers un voyage spatial dans lequel se mêle à un son stoner classique un autre plus orienté psychédélisme ; c’est particulièrement vrai sur le superbe “From their blood to the sea”. Il n’y a pas sur cette galette un titre inférieur à un autre. On termine en beauté sur un “Odissey” planant et céleste. Un premier album de très grande qualité qui ravira à coup sûr les amateurs du genre.
Douches Froides Derrière ces quatre lettres se cache un one-man band, incarné par un ex-snowboarder pro désormais retranché seul dans une grange du Pays Basque, endroit calme et discret pour distordre les guitares et trouver un son aussi travaillé que crade. Yrwan Garcia Léal (moins facilement mémorisable en effet !) a résolument assimilé le meilleur des années 80 et 90 qu'il se fait aujourd'hui un devoir de resservir avec un premier album mélangeant le punk et le post-punk (comme sur “Need” ou sur le très cold époque Trisomie 21 “Over the edge”), insistant sur le grunge – sa voix semble faite pour –, avant d'embrayer sur la scène rock alternative de la deuxième partie de ces décades prolixes. Au final, ce sont 11 titres plus accrocheurs les uns que les autres. Si le rock se cherche de nouveaux héros, YGGL démontre avec ce disque qu'il a la gueule de l'emploi.
Autoproduction Après Tales from the underground écrit dans les catacombes, Christine Zufferey nous revient aujourd’hui avec ce second volet de sa trilogie Tales, composé dans la Venise verte. Un disque tout aussi ambitieux et réussi que le précédent. L’opus est composé de pas moins de dix-huit morceaux dans lesquels on retrouve l’univers poétique de la Suissesse. Son chant caverneux fait une fois de plus penser à celui de Nico, mais aussi parfois à Kate Bush (“Blossom”). Les titres de l’album s’avèrent tout autant intéressants chantés en français ou en anglais. L’opus se termine sur une version majestueuse du “Je crois entendre encore” de Bizet, tiré de son opéra Les pêcheurs de perles. Le tout est accompagné d’un superbe livret dans lequel on trouve l’ensemble des chansons illustrées par l’artiste Bahadir Isler ainsi que les photos des marais de Gaspard Duval.
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dlabeldouchesfroides.wordpress.com d XAVIER-ANTOINE MARTIN
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48 Longueur d’ondes N°88
Alain Birmann
Pierre-Arnaud Jonard
Pierre-Arnaud Jonard
JACK TORRANCE Live on stage
BRICE HOMS Sans compter la neige
JéRôME THOMAS Sky’s the limit – Les peintres de l’extrême
Les Escales, 17,90 €
Autoproduit, 40 €
Scénariste et script-doctor en France et en Amérique, Brice Homs adapte principalement des romans pour le cinéma et la télévision. Mais son CV ne s’arrête pas là, puisqu’il est aussi guitariste et a écrit de nombreuses chansons pour divers artistes variété. Pas étonnant donc de retrouver en toile de fond de son nouveau roman quelques touches musicales. L’histoire raconte les aventures de Russel Fontenot, coincé en pleine tempête de neige, au moment de rejoindre sa compagne prête à accoucher. Un trajet qui sera l’occasion pour lui de replonger dans ses souvenirs, où se mêle notamment ses années fac avec son pote Koz, avec qui il côtoiera la drogue et les groupes de rock, mais aussi son père froid et absent, sa découverte de l’amour avec Jennie, sans oublier la culture cajun dans laquelle il a baigné... 176 pages présentées comme un roman d’apprentissage, qui se lisent d’une traite, rythmées par la plume déliée et légère de son auteur, duquel se dégage une touchante sensibilité.
Dans la culture urbaine subsiste un art pouvant devenir monument : le néo-muralisme… Issu du premier documentaire consacré à cette discipline XXL, ce livre se fait écho de ce mouvement international qui érige les façades d’immeubles en œuvres publiques. À cette différence près que l’auteur-réalisateur, loin de vouloir une encyclopédie distanciée et académique, s’est impliqué appareil photo ou bombe à la main. L’ouvrage, prolifique et didactique, est un véritable carnet de bord en direct des cimes urbaines : réflexion sur le genre, making-of évolutif des fresques, fiches d’identité des artistes, interviews… Tous, malgré des techniques différentes, viennent d’ailleurs principalement du graffiti et porteront la responsabilité de redéfinir l’identité d’un quartier. Mais Sky’s the limit, ce n’est pas que l’art voyou institutionnalisé, c’est aussi l’histoire d’un tournage qui a duré 5 ans... Un documentaire autoproduit à retrouver en version longue (125 min) à la fin du livre déjà pharaonique.
Emeline Marceau
Samuel Degasne
ROLAND CROS, MARSU, FRANÇOIS GUILLEMOT Pogo, Regards sur la scène punk française (1986-1991)
BD
Document
Photos
ANNA KRAUSE
Document
Autoproduit, 35 €
Ouvrir Live on stage, c’est ressentir des battements de rythme et de cœur. Sons, mouvements, frénésie, partage : autant de vibrations témoignant de la justesse du moment, laissant ainsi se dégager la vérité. Ce sont ces instants, toujours fédérateurs, entre tous les acteurs de ce cosmos musical aux échelles différentes qu’explore le photographe. Les conneries, la concentration, la fumée d’une cigarette dans le froid et la chaleur étouffante au cœur de l’action, ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas ; parfois, ce sont de réelles connexions intimes que l’on devine relier le sujet au photographe. Et c’est cette même intimité que nous, lecteurs, retrouvons avec la plus grande émotion. L’expérience live, ce coup porté aux fatalistes, cette effervescence rappelant toujours un peu plus que cette musique en a encore sous le pied, ces instants d’adrénaline, sans jugement, où la proximité devient tout sauf superficielle... sous l’égide du rock, c’est bien plus encore ce que Jack Torrance a su réunir dans cette collection. C’est l’envie même de liberté, cette pulsion qui conduit à se déplacer toujours et encore dans ces endroits afin de simplement palper, humer la vie. On referme le livre haletant et très réchauffé, en attendant le soir. Contact : jacktorrancefotografie.com
livres
Document
Roman
Photographie
chroNiques
ARNAUD LE GOUEFFLEC & MARC MALES Vince Taylor – L’ange noir
DAVID HEPWORTH Rock’n’roll animals
SERGE ELHAÏK Les arrangeurs
Ed. L’Echappée, 29 €
Ed. Payot & Rivages Rouge, 23 €
Glénat, 22 €
Éd. Textuel, 55 €
Entre 1986 et 1991, Roland Cros, photographe du mouvement punk-rock alternatif français et du groupe Bérurier Noir, a arpenté tous les lieux de concerts, d’échanges et de partages, ceux où on laisse libre cours au subversif, à l’anarchique et l’atypique, afin d’en capturer les images immortelles d’une époque révolue, mais encore bien présente dans les mémoires. Au fil des soirées, il a saisi les pogos, bombers, perfectos et crêtes d’une jeunesse révoltée et survoltée sur les clichés rassemblés dans cet opus. Marsu, le manager des Béru, signe la préface, et François Guillemot, membre du groupe, la postface. La photographie de Roland Cros est sublimée par des nuances infinies de noir et blanc tout en contrastes et en flou artistique, au plus près de cette scène. Le tout est illustré par des textes de Gil, Zigor, Violette, Géraldine, Eric Tapage et Géant Vert, témoins et acteurs de ce temps. Un bel ouvrage collectif, faisant revivre la culture au cœur de l’alternatif français.
« La donne a changé. Les rock stars étaient le produit d’une époque où la musique était une rareté qu’on chérissait en conséquence. » Partant de ce constat, David Hepworth entreprend de dresser le portrait de ces créatures mythiques d’un temps qu’il estime révolu, tué par le streaming, les réseaux sociaux, une surabondance d’offres et une évaporation du mystère. À travers quarante instantanés — de 1958 à 1994 — relatant un moment déterminant de l’existence de ceux et celles qui ont accompagné plusieurs générations, il démontre en quoi « la musique a beau être aussi bonne qu’avant, elle ne sera plus jamais aussi précieuse ». En effet, c’est aussi l’attention et l’importance que l’on veut accorder aux choses qui contribuent à ce qu’elles peuvent nous donner en retour. Et si la musique devient un simple fond sonore, un divertissement parmi d’autres, ce sont tous les trésors, le réconfort et le rêve qu’elle peut offrir qui s’en trouvent amoindris. Instructif, mélancolique et passionnant.
Qui ça ? Un rockeur british des sixties, poulain d’Eddie Barclay et censé détrôner l’étalon Hallyday. Celui-là même qui aurait inspiré le personnage de Ziggy Stardust à Bowie… Bref, le “Noir, c’est noir” incarné, issu du panthéon rock’n’roll avec cuir et chaînes, drogues et démesure... L’ange noir était donc de ces anti-héros que l’on affectionne pour oser ce que l’on ne peut pas. Que l’on regarde ensuite chuter avec un plaisir morbide inavouable... Car derrière le bad boy magnétique se cachait une personnalité fragile et avide de reconnaissance. C’est d’ailleurs le parti pris des auteurs : s’attacher à l’âme torturée de cette star éphémère, tout en réfutant les clichés. Raconter l’histoire de ce petit garçon qui n’a pas su/pu trouver sa place au sein de sa famille et redirigea ainsi sa rage autodestructrice dans l’alcool. Le tout, dessiné via un noir et blanc rendant hommage aux années 50-60. Ou comment, dans cette biographie inspirée, lier judicieusement la forme au fond.
Il fallait bien cet objet si volumineux pour mettre en pages un travail monstrueux, celui de la vie d’un passionné de musique, qui a sans doute rencontré les plus grand·e·s arrangeurs·euse·s de France. Une véritable bible, ou plutôt une encyclopédie, truffée d’anecdotes sur les coulisses des plus grandes chansons. Plus de 2 100 pages rassemblant les entrevues et biographies de 200 professionnels, au métier si complexe et important. Car se sont eux qui accompagnent les plus grands interprètes pour travailler une chanson, pour l’orchestration et l’instrumentation : en somme, construire une œuvre avec les divers éléments qui la composent ; harmoniser, arranger. Des années 1920 avec Bob Castella pour Yves Montand, aux années 2000 avec Fred Pallem et son Sacre du Tympan, l’épais ouvrage retrace toute une histoire musicale française. On y croise quelques rares femmes, dont Jackie Castan et Graziella Madrigal, c’est tout. Une mise en lumière formidable pour ces artistes de l’ombre.
Vanessa Maury-Dubois
France de Griessen
Samuel Degasne
Laura Boisset
LONGUEUR D’ONDES N°88 49
ca gavE
humeur et vitriol
par Jean Luc Eluard
M
oi, j’aimerais bien être artiste. Comme métier, je veux dire. Alors, pour couper court à toute interrogation, toute tentative de définition plus ou moins oiseuse portant sur ce qu’est “être artiste”, et en guise de propos liminaire, j’abandonnerai là toute considération un tant soit peu élaborée et fumeuse sur la notion abstruse de qualité artistique, de créativité, de besoin irréfragable de créer ou même de mise en forme d’un univers personnel... tous ces pinaillages inutiles et compliqués qui encombrent seulement les étagères de la mémoire de l’Homo Festivus et je me centrerai seulement sur la définition la plus communément admise par Femme Actuelle, Paris Match, Santé Magazine et les émissions culturelles de France Inter : est artiste toute personne qui fait dans la culture. Que ce soit pour se soulager comme quelques logorrhéiques de la présence médiatique, qui ne peuvent s’empêcher de commettre de nouvelles chansons ou de nouveaux films juste pour le plaisir qu’on parle d’eux et qu’on s’intéresse à leur petite personne bien importante ; ou pour des nécessités bien humaines de bouclage de fin de mois, de remboursement d’achat immobilier, de nouvelle voiture ou d’aide à payer l’ISF... Ah non, on me glisse dans l’oreillette que ce n’est plus indispensable. J’y reviendrai un peu plus loin, si j’y pense. Donc est artiste celui qui gagne du pognon en étant musicien, acteur, peintre, pétomane de salon, grapheur polymorphe, écrivain mondain ou rural, performer perforant, circassien ambulant ou immobile... bref, tous ceux qui, en raison de leur activité, sont susceptibles de voir un jour Augustin Trapenard les regarder droit dans les yeux en leur affirmant : « C’est merveilleux ce que vous faites. Permettez-moi d’avoir l’air d’exercer mon métier en vous posant des questions qui ne vous gêneront à aucun moment, mais me permettront de montrer à quel point je vous connais bien et que je suis bien en cours dans le milieu des artistes... », artistes dont la définition gît ci-dessus, attention ne perdez pas le fil sinon mon raisonnement est foutu. Donc, j’aimerais bien être artiste. Pour le confort intellectuel que ça procure (pour le confort matériel par contre, comme c’est un des métiers les plus capitalistes et donc inégalitaires qui soit, ça dépend si vous êtes passés chez Trapenard ou pas). C’est vrai ça, être
artiste suppose de ne penser qu’à sa gueule en ayant l’air (si vraiment on veut sembler un tant soit peu populaire) de se préoccuper de ce qui se passe autour de soi. Finie l’époque fatigante où les artistes se devaient d’avoir une conscience. De gauche, qui plus est. Ça allait avec, à l’époque : il n’existait de conscience que de gauche, on n’en fabriquait pas de droite. Bien pire encore : dans les années 50 et 60, certains poussaient même la conscience de gauche jusqu’à aller discuter ou jouer pour des ouvriers, voire des pauvres. Ou même les deux. Outre le désagrément financier que cela suppose de jouer devant des salles où presque tout le monde a droit à un “demi-tarif” (fort heureusement, on a depuis abandonné cette idée au profit du “tarif réduit”, ce qui permet aux clodos de payer 3 euros de moins sur une place à 50 balles), il y a en outre le désagrément olfactif, voire intellectuel puisqu’ils se sentent obligés de vous adresser la parole pour raconter leur vie qui n’intéresse personne. La preuve : ils ne passent jamais chez Augustin Trapenard qui ne trouve pas merveilleux ce qu’ils font. Lorsque les socialistes sont arrivés au pouvoir, il n’y avait guère que Jean d’Ormesson et Michel Sardou pour exercer leur métier sans cacher leur préférence à droite, les autres se sentant encore obligés d’afficher une bienséance de gauche sans toutefois être contraints d’aller voir des ouvriers. Il était toujours de bon ton d’en parler mais, fort heureusement, on n’en voyait plus. D’ailleurs, les socialistes, proches qu’ils étaient des artistes, ont su leur être agréables en supprimant purement et simplement les ouvriers, ce qui n’obligeait plus à aller les voir. Après quatorze années de Mitterrandie, on pouvait s’affirmer de gauche et se moquer des pauvres comme les Deschiens allaient le prouver tous les soirs sur Canal +, qui était à l’époque le top du chic de gauche : payer pour regarder des programmes de gauche que la majorité des pauvres n’avaient pas les moyens de se payer. Désormais, on s’en branle complet des traînes-savates et l’on ne le cache plus, quand bien même on affirme haut et fort être un artiste populaire. “Artiste populaire”, pour souligner qu’on va pas trop se crever à faire de la qualité non plus, ces blaireaux-là achètent leur bouffe chez Lidl, on peut bien leur donner une musique ou des films de même tenue à consommer. Je ne parle
L'idole des jaunes même pas du théâtre où l’on ne va quand même pas placer des prolos au milieu des avocats et des dentistesprothésistes. Déjà qu’on est bien obligé d’accepter des profs du secondaire... À la limite, on se regroupe une fois l’an, comme les vaches à l’étable quand vient l’heure de la traite, pour s’autoféliciter d’être si généreux en chantant mal une chanson affligeante de mièvrerie pour les Restos du Cœur. On se pousse du coude pour donner essentiellement son meilleur profil à la caméra en espérant quand même laisser assez de place aux autres pour être réinvité l’an prochain et pouvoir ainsi exposer l’étendue inépuisable de sa générosité convenablement marketée. Tous ces gens pleins de bons sentiments, qui se donnent tout entier à leur public, qui ne vivent que pour le bonheur des autres, ils n’étaient pas très nombreux à ne serait-ce qu’évoquer ou même soutenir du bout des lèvres le mouvement social le plus popu de ces dernières décennies. On veut bien que ces bouseux nous achètent nos disques, viennent dans nos cinémas ou nos salles de concert, mais on ne va quand même pas les rejoindre sur les ronds-points, ce ne serait pas bon en terme d’image. C’est que, voyez-vous, il y a des causes plus glamour que la survie des gens qui assurent notre pitance en achetant nos productions de moins en moins artistiques. On s’en bat l’œil qu’ils soient à découvert au 15 du mois, il suffit juste de placer nos spectacles avant le 12 et le tour est joué. L’indifférence affichée du milieu artistique au mouvement des gilets jaunes est la dernière preuve en date de la consanguinité de gens qui exploitent leur rente de situation comme un petit commerce : passez votre chemin, on ne fait plus crédit. Si vous ne pouvez pas payer, vous n’êtes plus intéressant. Le monde artistique vit en vase clos, est devenu une élite au même sens que celle qui gouverne : l’une est financière, l’autre est “intellectuelle” (avec le même genre de guillemets qu’on peut en mettre à “artistique”), mais elle a complètement oublié le peuple qu’elle méprise. Du moment qu’il y a du caviar à Cannes et que l’ISF est supprimé, on ne va pas risquer la faute de goût en soutenant les gilets jaunes ou en dénonçant la répression policière, ça fait trop années 70 et la mode est plutôt 80’s en ce moment. Allez, ciao les ploucs, et n’oubliez pas notre prochain concert dans votre ville de merde !
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Bulletin à découper et à retourner avec votre règlement (chèque bancaire à l'ordre de Longueur d'Ondes) à : Longueur d'Ondes - 22 chemin de Sarcignan - 33140 Villenave d'Ornon - France 50 Longueur d’ondes N°88
LONGUEUR D’ONDES N°88 51