entrevues
Artús la beauté des profondeurs PIERRE-ARNAUD JONARD
Composer en occitan gascon et se faire programmer tant dans les festivals de musiques traditionnelles qu’au Hellfest, c’est possible : Artús l’a fait. Ou comment écrire une musique expérimentale et trouver son public en ne se reniant jamais.
V
ingt ans déjà qu’Artús nous propose son rock expérimental chanté en gascon et influencé tant par le rock progressif que par des groupes comme Swans ou Einstürzende Neubauten. La dernière œuvre en date du groupe, Cerc, remonte à l’an dernier et aurait pu passer inaperçue car l’album avait eu la malchance de sortir quelques jours seulement après le premier
18 LONGUEUR D’ONDES N°94
NICOLAS GODIN
confinement. Mais ce disque a malgré tout trouvé son public même si ça n’a pas été simple pour les Béarnais : « Nous sommes un groupe de scène. Quand on ne tourne pas, c’est plus difficile. Nous vivons une période complexe et chaotique pour les musiques amplifiées. Le réseau alternatif est très abîmé. Les festivals qui pourraient nous accueillir ne prennent plus de risques. » Cerc, c’est l’histoire de La Pierre Saint-Martin, plus grand massif karstique au monde qui se dissout depuis quarante millions d’années offrant quatre cent trente kilomètres de galeries à explorer. Parmi les deux mille gouffres criblant le calcaire, Lépineux est le plus emblématique. On y rentrerait la tour Eiffel. En dessous, des boyaux, des cavités et une salle, La Verna qui pourrait accueillir dix fois Notre-Dame de Paris : « Quand on a visité La Verna, on a été sous le choc. Tu as des mannequins avec des gilets jaunes pour pouvoir capter l’échelle de dimension du lieu. Les cascades sont monstrueuses et créent un bruit blanc. » Un lieu brut, sauvage, un endroit où aucun être humain n’avait pénétré avant les années cinquante. Cerc s’appuie sur ce périple de 1 400 mètres à travers la roche jusqu’aux gorges de Kakuetta pour évoquer « L’Allégorie de
la Caverne » de Platon exposée par le philosophe dans le livre sept de La République. Il y met en évidence la difficulté des hommes à changer leurs conceptions des choses, leur résistance au changement, ainsi que l’emprise des idées reçues. Artús confronte ainsi comme à son habitude le monde des sens à celui des idées. La référence à Platon apparait évidente : « Il dit que l’idée de cercle ne dépend pas de l’homme. C’est une formule mathématique qui dessine un cercle. C’est une analyse du monde par la science. » Cerc poursuit ainsi les expérimentations sonores du groupe et les plongées vers le subconscient. Depuis ses débuts, Artús n’a eu de cesse d’innover, d’expérimenter, de pousser plus loin ses explorations : « Cela fait vingt ans que l’on joue ensemble. Nous avons aujourd’hui un lieu, des locaux. Ce groupe c’est un véritable projet de vie. Artús en est l’élément le plus visible mais il y a de nombreuses choses autour. Nous avons ainsi notre compagnie, Hart Brut, notre label Pagans et nous sommes en train de monter un centre de création à Pau. » Si le groupe revendique bien évidemment ses racines occitanes, il est cependant loin de la tradition des chanteurs occitans militants à la Joan-Pau