5 minute read

Artús

Next Article
Musique

Musique

la beauté des profondeurs

PIERRE-ARNAUD JONARD NICOLAS GODIN

Advertisement

Composer en occitan gascon et se faire programmer tant dans les festivals de musiques traditionnelles qu’au Hellfest, c’est possible: Artús l’a fait. Ou comment écrire une musique expérimentale et trouver son public en ne se reniant jamais.

Vingt ans déjà qu’Artús nous propose son rock expérimental chanté en gascon et influencé tant par le rock progressif que par des groupes comme Swans ou Einstürzende Neubauten. La dernière œuvre en date du groupe, Cerc, remonte à l’an dernier et aurait pu passer inaperçue car l’album avait eu la malchance de sortir quelques jours seulement après le premier confinement. Mais ce disque a malgré tout trouvé son public même si ça n’a pas été simple pour les Béarnais : « Nous sommes un groupe de scène. Quand on ne tourne pas, c’est plus difficile. Nous vivons une période complexe et chaotique pour les musiques amplifiées. Le réseau alternatif est très abîmé. Les festivals qui pourraient nous accueillir ne prennent plus de risques. »

Cerc, c’est l’histoire de La Pierre Saint-Martin, plus grand massif karstique au monde qui se dissout depuis quarante millions d’années offrant quatre cent trente kilomètres de galeries à explorer. Parmi les deux mille gouffres criblant le calcaire, Lépineux est le plus emblématique. On y rentrerait la tour Eiffel. En dessous, des boyaux, des cavités et une salle, La Verna qui pourrait accueillir dix fois Notre-Dame de Paris : « Quand on a visité La Verna, on a été sous le choc. Tu as des mannequins avec des gilets jaunes pour pouvoir capter l’échelle de dimension du lieu. Les cascades sont monstrueuses et créent un bruit blanc. » Un lieu brut, sauvage, un endroit où aucun être humain n’avait pénétré avant les années cinquante. Cerc s’appuie sur ce périple de 1 400 mètres à travers la roche jusqu’aux gorges de Kakuetta pour évoquer « L’Allégorie de la Caverne » de Platon exposée par le philosophe dans le livre sept de La République. Il y met en évidence la difficulté des hommes à changer leurs conceptions des choses, leur résistance au changement, ainsi que l’emprise des idées reçues. Artús confronte ainsi comme à son habitude le monde des sens à celui des idées. La référence à Platon apparait évidente : « Il dit que l’idée de cercle ne dépend pas de l’homme. C’est une formule mathématique qui dessine un cercle. C’est une analyse du monde par la science. »

Cerc poursuit ainsi les expérimentations sonores du groupe et les plongées vers le subconscient. Depuis ses débuts, Artús n’a eu de cesse d’innover, d’expérimenter, de pousser plus loin ses explorations : « Cela fait vingt ans que l’on joue ensemble. Nous avons aujourd’hui un lieu, des locaux. Ce groupe c’est un véritable projet de vie. Artús en est l’élément le plus visible mais il y a de nombreuses choses autour. Nous avons ainsi notre compagnie, Hart Brut, notre label Pagans et nous sommes en train de monter un centre de création à Pau. » Si le groupe revendique bien évidemment ses racines occitanes, il est cependant loin de la tradition des chanteurs occitans militants à la Joan-Pau

Verdier : « Nous ne l’avons jamais écouté. Ce n’est pas notre came. Nous sommes influencés par le rock progressif, par des groupes comme Magma ou King Crimson ou par le krautrock. »

Libertés musicales, liberté de penser : c’est peutêtre la raison qui fait que le combo n’a aucune envie d’être récupéré par qui que ce soit : « Nous sommes alter-localistes à fond. Nous militons dans des assos, dans des syndicats, mais il est hors de question pour nous de jouer derrière un drapeau occitan. C’est même stipulé dans notre contrat. Si tu viens nous voir jouer, tu ne viens pas à un meeting occitan. Nous sommes contre les hymnes, contre les drapeaux. » C’est plus dans le mouvement rock in opposition que l’on va trouver l’engagement politique du groupe. Ce mouvement musical fondé dans les années 70 avait pour ambition de faire évoluer les mentalités en matière d’écoute musicale et de s’opposer à l’industrie du disque qui refusait Si Artús a d’abord officié dans les bals traditionnels, on le retrouve aussi de plus en plus à l’affiche de festivals rock ou metal comme le Hellfest où le groupe se produira en 2022 : « Nous ne sommes

«Le metal sera toujours moins extrême que du rock en gascon.»

pas un groupe metal mais notre musique est puissante. Le public metal est un public de mélomanes avec une grande vigilance d’écoute. Il peut comprendre ce que nous faisons. Nous sommes amis depuis très longtemps avec Gojira. Lorsqu’ils ont Artús est loin cependant, dans un style pourtant pointu, d’être un groupe confidentiel. Il a su année après année se construire et se développer : « Pour durer tu as besoin de temps ou d’argent. Nous, on a eu le temps. Dans les gens qui écoutent en France des musiques “déviantes”, beaucoup ont entendu parler de nous. Nous avons joué partout : des squats aux grosses scènes. » Preuve s’il en était qu’il y a encore un public en France pour les musiques avant-gardistes de qualité. i

dfacebook.com/Artus.rock

de sortir leurs albums. Si ce courant contestataire n’existe désormais plus vraiment, il désigne aujourd’hui les groupes œuvrant dans des styles progressifs, expérimentaux ou d’avant-garde, en dehors des circuits commerciaux : « Ce mouvement ne parle plus à grand monde aujourd’hui. De plus, le terme a été un peu galvaudé mais ce mouvement a été important. On se sent proche de l’esprit qu’il véhiculait. » commencé à décoller, nous sortions notre deuxième album et nous nous sommes dit que nous aussi pouvions cartonner, avant de comprendre que le metal serait toujours moins extrême que du rock en gascon. »

Cerc Pagans - Inouïe Distribution

À travers cet opus, le groupe gascon évoque Platon ; à certains moments, leur musique rappelle les travaux de Magma dans cette recherche d’une musique hors norme même si le combo ne peut pas pour autant être totalement rattaché à ces derniers. Sur des textes chantés en occitan gascon, leur musique expérimentale mêle folklore traditionnel (avec notamment l’utilisation de la vielle à roue ou du tambourin à cordes) à des influences noise ou post-rock (on pense parfois à Swans). Comme souvent avec ce genre de musique, les titres sont étirés au maximum pour amener l’auditeur à une forme d’hypnose. Il se dégage de l’ensemble un côté païen et tribal absolument fascinant.

This article is from: