LAURE MOULLÉ
MÉMOIRE DE DSAA COMMUNICATION VISUELLE 2012
HANDICAP &
COMMENT ÉVI LE DIALOGUE D
SOCIÉTÉ :
ITER DE SOURDS ?
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HISTOIRE DES HANDICAPÉS EN FRANCE -17-
LE HANDICAP ET SA PERCEPTION DANS LA SOCIÉTÉ -20-
21- Un terme, plusieurs définitions 25- Représentations négatives du handicap : d’où viennent-elles ? 29- La société stigmatise le handicap
LA SURDITÉ, UN HANDICAP MÉCONNU -3435- Présentation et spécificités de la surdité 39- Comment la surdité s’est-elle longtemps inscrite dans un déni ? 45- Une reconnaissance très récente 47- Rendre visible un handicap invisible
LA CULTURE SOURDE : IDENTITÉ SOCIALE ET HANDICAP -5253- Qu’est-ce que la culture sourde ? 57- Dialectique de la surdité : entre pathologie et identité 61- L’union des sourds ne les exclue-t-elle pas du reste de la société ?
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AUJOURD’HUI EN FRANCE, L’IMAGE DE LA SURDITÉ -67-
LA PLACE DU SOURD DANS LA SOCIÉTÉ -70-
71- Quels problèmes récurrents ? 77- Quels dispositifs au quotidien ? 83- La France, sourde à ce handicap
L’INTÉGRATION DES PERSONNES SOURDES -8687- Oralisme ou gestualisme : un choix d’identité et d’intégration 91- L’intégration au sein de la société 95- Veut-on intégrer le sourd ou bien veut-on que le sourd s’intègre ?
UNE COMMUNICATION NÉGLIGÉE -100101- La surdité, un handicap oublié 107- De la difficulté à représenter les sourds dans leur totalité 111- Les répercussions des représentations des sourds par les médias
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LE SOURD, LA PAROLE ET L’AUTRE -117-
LE SOURD, CET ÉTRANGER QUI DÉRANGE -120-
121- Pourquoi la surdité dérange-t-elle ? 125- L’angoisse du silence dans la relation à l’Autre 131- Différences culturelles et de mode de vie 135- Différences de perception entre sourds et entendants
LA QUESTION DU LANGAGE À TRAVERS LA LANGUE DES SIGNES -140141- Les fonctions sociales du langage 145- La langue des signes : une langue à part entière 151- Communiquer sans la parole
SOURDS ET ENTENDANTS : VERS UN ÉCHANGE -158159- Un contexte culturel comme déclenchement du rapprochement des sourds et entendants 169- Comment favoriser l’échange ? 171- Quel rôle pour la communication visuelle ? 172- Éventuels émetteurs et contextes d'intervention
POUR CONCLURE -177-
ANNEXES ET BIBLIOGRAPHIE -180-
INTRODUCTION Pour ceux n’ayant jamais côtoyé de personnes sourdes, le sourd c’est le « sourd-muet », celui qui n’entend pas, et qui ne peut ainsi pas parler ni communiquer avec des « entendants ». En réalité, la surdité ce n’est pas le monde du silence, mais le monde visuel. Au même titre que la langue française, ces personnes utilisent une langue visuo-gestuelle, la langue des signes française (LSF) pour communiquer. Un grand nombre d’entre nous peut être amené à cotoyer des personnes sourdes, que ce soit dans sa famille, au travail, dans des lieux publics. En effet, 8,9% de la population est, à des degrés divers, touchée par la surdité. Cette grande tranche de la population est victime de la particularité même de la surdité, à savoir son invisibilité. Du fait de ce caractère invisible du handicap, les personnes sourdes sont confrontées à des problèmes en terme de représentation et d’image. Nombreux sont les préjugés et clichés touchant les personnes sourdes. Il s’agit donc, dans une perspective de travail en communication visuelle, d’interroger ces stéréotypes et généralités erronées afin de réfléchir à de nouveaux dispositifs et moyens d’information, en dressant des ponts entre les cultures sourdes et entendantes.
Aujourd’hui, la relation de la société au handicap de la surdité pose des problèmes en terme d’image et de communication. De ce constat découle ma problématique :
Handicap et société : comment éviter le dialogue de sourds ? Cette question induit dans un premier temps de s’interroger sur la perception du handicap dans la société. Comment ces représentations négatives se sont-elles ancrées dans la société ? De cette interrogation résulte la question de la représentation négative du handicap de la surdité. Quelles sont les conséquences, au sein de la société, des idées reçues portées sur les sourds et de leur histoire jalonnée d’interdits ? À partir de ces réponses, nous analyserons dans un second temps la place des sourds dans la société, et les problèmes qu’ils peuvent rencontrer, en terme d’intégration, et de communication. La langue des signes vient s’inscrire dans ce questionnement sur le langage : pourquoi la surdité dérange-t-elle, et pourquoi nous sentons-nous mal à l’aise face à un sourd ? Comment communiquer avec une personne sourde, que se passe-t-il lorsqu’une personne entendante ne parlant pas la LSF rencontre une personne sourde ? Comment alors favoriser l’échange entre sourds et entendants, revaloriser l’image de ce handicap et sensibiliser les entendants à la culture sourde ?
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Histoir des Handic en Fran
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capés nce
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LE HANDICAP ET SA PERCEPTION DANS LA SOCIÉTÉ
UN TERME, PLUSIEURS DÉFINITIONS Le handicap recouvre de nombreuses images et définitions. Il peut tout d’abord faire référence au handicap physique : perte d’un membre ou dysfonctionnement de celui-ci, immobilisation en fauteuil roulant : nous parlons de handicap moteur en tant qu’atteinte à la motricité. Il se différencie des handicaps visuels et auditifs, que nous pouvons regrouper sous le terme de handicap sensoriel. On pense également au handicap mental, recouvrant différentes déficiences, notamment intellectuelles et psychiques. Il existe de nombreuses définitions, ne prenant pas uniquement en compte les critères de manque physique, c’est-àdire l’aspect médical. En effet, le handicap est avant tout une notion sociale. C’est ce qui différencie le terme de handicap de celui de déficience : nous abordons avec la handicap l’aspect social, alors que la notion de déficience engage principalement l’aspect physique, l’infirmité. La déficience concerne une perte de matière, une altération d’une fonction ou d’une structure psychologique, physiologique ou anatomique.1 Handicap et déficience sont évidemment intimement liés : nous pouvons ainsi dire que la déficience est en fait une partie du handicap. Afin de compléter ce premier regard sur la notion de handicap, prenons la définition officielle du handicap par l’O.M.S. (Organisation Mondiale pour la Santé), de 1980.2 L’O.M.S. définit trois niveaux d’expérience du handicap :
La déficience
concernant les organes et leurs fonctions
L'incapacité
en terme de réduction de la capacité à accomplir une activité
Le désavantage social
le préjudice, résultant de la déficience ou de l’incapacité, limitant le rôle social.
On remarque ainsi que la notion de handicap inclut plusieurs critères, aussi bien physiques que sociaux. Cela est valable au sein même de la loi, où le handicap est défini comme suit : « Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans un environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant ».3
3/ Loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, 11 février 2005, Article L.114
2/ Ibid.
1/ Classification Internationale du Fonctionnement, du Handicap et de la santé de l’Organisation Mondiale de la Santé. Disponible en PDF sur : http://www.ctnerhi.com.fr/ccoms/pagint/2005_CIFglobal_revu_ au_250707.pdf
On constate donc qu’au delà des images préconçues que nous pouvons avoir du handicap, celui-ci se révèle difficile à définir, il est protéiforme.
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« Ronchhon » alias Romain Verhaeghe, dessin publié sur le blog L’enclume des jours.
De nombreux critères sont donc à assimiler afin de définir un handicap, il s’avère qu’il existe autant de handicaps que d’handicapés. Pourtant, trop souvent nous nous arrêtons à nos idées toutes faites du handicap : l’image du handicapé moteur, semblant réunir l’ensemble des personnes handicapées, et en nous arrêtant à cette image nous n’entrevoyons pas l’étendue du terme.
REPRÉSENTATIONS NÉGATIVES DU HANDICAP : D’OÙ VIENNENT-ELLES ? Le handicap est ainsi porteur d’une image fortement négative et tenace. Nombreux sont les préjugés, idées reçues et autres stéréotypes : en commençant par « l’idiot du village », jusqu’à l’image du handicapé dans son fauteuil roulant. Par exemple, pendant très longtemps, les sourds furent considérés comme des personnes arriérées.
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2/ NEU (Mathieu), Handicap au travail : Tenaces préjugés. Le nouvel économiste, 11/05/2011
1/ KERLOC’H (Anne), Handicap : silence on discrimine, Paris, Le cherche midi, coll. Documents, 2005.
Aujourd’hui, les médias continuent de favoriser ces visions stéréotypées des handicapés : pour illustrer un sujet sur l’intégration des handicapés dans le monde du travail, les émissions vont mettre en avant un handicapé moteur, sur un ton compatissant et souvent dramatisant. Les médias rendent difficilement compte de la réalité complexe du handicap, et ne l’approchent que sous le biais de représentations préexistantes, faussées, réductrices et discriminantes. Ces représentations négatives donnent à la population une mauvaise appréciation de l’étendue des capacités des personnes handicapées. Il en résulte que les attentes quant aux aptitudes des personnes en situation de handicap sont limitées. Cela entraîne notamment des réticences à l’embauche, alors que les travailleurs handicapés constituent une ressource humaine pouvant, tout autant que les travailleurs valides, apporter une valeur ajoutée à l’entreprise. Les handicapés sont considérés moins rentables car fragiles, souvent malades ou en difficulté pour réaliser certaines tâches. Par méconnaissance, la personne en situation de handicap est assimilée comme incapable. Il faut souligner que le handicap est, avant l’origine ethnique ou l’âge, la première cause de discrimination à l’embauche. Par conséquent, environ un actif handicapé sur quatre est demandeur d’emploi.1 Le fait que les entreprises respectent trop rarement le quota obligatoire de 6% de personnes handicapées dans une entreprise de plus de 20 salariés (selon la loi du 10 juillet 1987), intensifie le regard négatif que la société porte sur les handicapés par méconnaissance de ces personnes.2
Pictogrammes internationaux de la trisomie 21 et du handicapĂŠ.
Recherche Google sur les mots " Personne handicapée ".
À travers ces images sérieusement ancrées dans nos esprits, on réalise que le handicap est un rapport à la société. En effet, le handicap est avant tout une affaire d’adaptations faites au sein d’un environnement, aussi bien au travail, dans les transports, les loisirs, le système scolaire ainsi qu’en terme de justice. Or, on constate au sein de la société une mise à l’écart des personnes en situation de handicap, confrontées à des dispositifs non adaptés et privées d’une certaine socialisation : tout concourt à un climat discriminatoire.
LA SOCIÉTÉ STIGMATISE LE HANDICAP Inévitablement, les handicapés, du fait de leur déficience ou incapacité, sont mis à l’écart de la société. Comme l’explique Yves Delaporte, les handicapés sont définis par un degré d’écart à la norme.1 Les gens considèrent les handicapés comme des personnes à qui il manque quelque chose, définis en comparaison de personnes « normales », prises comme références, comme modèles. « J’ai été chosifié et infantilisé à cause d’une apparence non conforme au stéréotype courant et figée par mes atrophies »2, témoigne Marcel Nuss, confirmant une sorte de déshumanisation de la personne en situation de handicap.
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4/ Ibid.
3/ Ibid.
2/ NUSS (Marcel), L’identité de la personne « handicapée », Paris, Dunod, 2011
1/ DELAPORTE (Yves), Les sourds, c’est comme ça, Paris, Maison des sciences de l’homme, coll. Ethnologie de la France, 2002
Bernard Mottez définit le handicap comme « l’ensemble des lieux et rôles sociaux desquels un individu se trouve exclu en raison d’une déficience dans une société organisée en fonction de la majorité. » On voit ici que le handicap engage une exclusion du fait d’une déficience concernant une minorité de la population. L’environnement est le facteur handicapant, et non la nature de la déficience comme cause d’exclusion. Cette exclusion ou tout du moins cette mise à l’écart étant inéluctable du fait qu’elle concerne une minorité, il est cependant imputable à la société de minimiser les efforts déployés en direction des handicapés, notamment en nourrissant cette image négative et par là même stigmatisante. En ne favorisant pas des dispositifs d’aide aux handicapés, elle contribue aux difficultés liées au handicap dans la mesure où la personne en situation de handicap se retrouve dans l’incapacité d’effectuer des tâches quotidiennes. Les carences en matière d’accessibilité et d’intégration sont nombreuses, les politiques en matière de handicap ne sont pas suffisantes concernant les aménagements environnementaux et de droits sociaux. Il n’est pas question de nier le handicap, mais de trouver des solutions pour le réduire, des dispositifs permettant d’intégrer plus facilement la différence au quotidien et de mieux vivre. Il s’agit également de respecter la dignité humaine de la personne en situation de handicap, de penser un accompagnement adapté, et non de l’assistanat, perçu comme infantilisant, comme une « tyrannie condescendante ».3
« On ne naît pas handicapé, on le devient par le regard des autres et les pesanteurs sociales. » NUSS (Marcel), L’identité de la personne « handicapée », Paris, Dunod, 2011
Marcel Nuss explicite le besoin des personnes en situation de handicap d’être intégrées en tant que personnes, dans une société dont le regard doit s’ouvrir : « On peut très bien vivre avec un handicap si la société a une vraie démarche citoyenne et intégrative, c’est-à-dire si elle se met à la portée de chaque personne ayant un handicap. Ce qui implique une authentique démarche de mise en accessibilité des cadres bâtis et de compensation des handicaps. »4
3 décembre, journée internationale des handicapés.
On constate ainsi que le handicap, protéiforme, est étroitement lié à la société, et que ses représentations multiples restent principalement stéréotypées. Le « mieux vivre » en société est possible dès lors que l’on considère la personne handicapée comme un individu devant être intégré à travers la mise en place de dispositifs d’adaptation. Cependant, tous les handicaps ne sont pas au même niveau de perception et de représentation. La surdité, en tant que handicap invisible, caché, n’a pas la même visibilité et demande à être valorisé, connu et reconnu. C’est cette particularité propre à la surdité, problématique dès le départ, qui nous incite à nous pencher sur cette question.
LA SURDITÉ, UN HANDICAP MÉCONNU
PRÉSENTATION ET SPÉCIFICITÉS DE LA SURDITÉ La surdité est ce que nous pouvons appeler un handicap sensoriel : il affecte un de nos sens, à savoir l’ouïe. Mais elle est plus que cela, car elle met en jeu des processus élémentaires de socialisation comme la communication. Dans son discours lors de la première conférence canadienne sur la santé mentale et la surdité, le psychiatre Alexis Karacostas définit ainsi le handicap sensoriel comme « l’ensemble des lieux et fonctions sociales dont une personne est exclue en raison de son infirmité. » Comme tout handicap, la surdité revêt une multitude de causes et effets. Mais ce handicap a la particularité d’être invisible, ou plutôt difficilement détectable au premier abord. Bien sûr, lorsque la conversation est entamée, il peut devenir perceptible, mais croiser une personne sourde ou entendante ne fera pas de différence. Il est ainsi toujours surprenant de connaître le nombre de personnes déficientes auditives en France :
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personnes, soit 8,9% de la population, sont touchées à des degrés divers par la surdité, 303 000 d’entre elles souffrent d’une déficience auditive profonde.1 Il est bien question de différents degrés de surdité, on classe ainsi les surdités par profondeur de la déficience auditive, suivant la classement le plus répandu du BIAP (Bureau International d’Audiophonologie) :
légère - moyenne - sévère - profonde - totale et malentendant.2 D’un point de vue médical, il existe deux grands types de surdité : les surdités de transmission (affectant la transmission du son) et les surdités de perception (affectant la transformation du son), et le plus fréquemment, des surdités mixtes.3 Mais l’approche médicale ne suffit pour apprécier les situations de handicap auditif. Il existe en effet de nombreuses causes à ce handicap : par maladie, vieillissement, bruit et traumatisme, ou génétique. On parle ainsi de
6/ POIRIER (Daphnée). « La surdité entre culture, identité et altérité », Lien social et Politiques, n° 53, Printemps 2005, p. 59-66.
5/ BLAIS (Marguerite), Quand les Sourds nous font signe : histoires de sourds, Loretteville (Québec), Le Dauphin Blanc, 2003, 184p.
4/ Ibid.
3/ RENARD (Marc), Les sourds dans la ville : Surdités et accessibilité, Paris, éditions du Fox, 2008
Étymologiquement, « Sourd » vient de surdus : « qui n’entend pas ». En français : personne qui « perçoit insuffisamment les sons ou ne les perçoit pas du tout. »6 Ces définitions explicitent l’aspect médical, organique de la non-audition. Elles n’évoquent pas l’aspect social lié au handicap. Dans les dictionnaires, il n’est pas non plus fait référence au terme « Sourd », avec une majuscule, revendiquant l’appartenance à une communauté. Cet aspect sera développé plus tard, mais il est important de souligner maintenant la richesse se cachant derrière le simple terme de surdité.
2/ Voir annexe 1.
Marguerite Blais poursuit cette exploration des différentes catégories de personnes sourdes : il y a un nombre infini de profils, en passant du sourd profond de naissance n’ayant jamais fait l’expérience de l’audition, d’autres qui ont appris à parler et ont trouvé leur épanouissement dans l’oralisation, certains nés de parents sourds et ayant été baigné dans la culture sourde, d’autres nés de parents entendants et ayant été poussés à apprendre la lecture labiale et à se faire aider par des appareillages, etc.5 Ces différentes caractéristiques réunies sous le nom de surdité, que ce soit en terme de degrés de surdités, ou d’âge et de circonstances d’atteinte, attestent de la difficulté à traiter des problèmes des sourds dans la mesure où il n’y a que des sourds différents, aux besoins et attentes variés.
1/ Étude de l’INSEE HID, « Handicaps, invalidités, dépendance. Réalisée de 1998 à 1999, sur 25000 personnes.
période de survenance de la surdité : surdité congénitale, postnatale, et enfin post linguistique. La surdité survenue après l’acquisition du langage (post linguistique) est en fait la plus répandue, puisqu’elle concerne principalement les personnes âgées, ayant connu une perte progressive des facultés d’audition. On parle alors de presbyacousie (d’origine génétique, il s’agit d’un vieillissement de l’oreille interne qui se traduit par une baisse d’audition des sons aigus et survient à partir de l’âge de cinquante ans4), et cela peut avoir des conséquences négatives sur la vie sociale des personnes touchées, amenant à un isolement, ou également à des accidents. Parmi les surdités par traumatisme, de nombreuses personnes souffrent de pertes d’audition dues à l’exposition régulière à des bruits intenses sur le lieu de travail, ou lors de loisirs tels que des concerts.
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Pourcentage des différentes surdités en France Enquête INSEE HID 1998-1999
un handicap invisible la surdité est un handicap invisible qui concerne énormément de personnes autour de nous sans que nous le remarquions.66% nousdes ne personnes sourdes sont 6% de sourds, et de toutetouchées par une surdité légère à sommes pas conscients du nombre la culture moyenne qui est la leur. Pour exemple, quelques chiffres, en france :
28%
Plus de 5
66%
28% une surdité moyenne à
sévère millions de personnes sont concernées
6% une surdité profonde ou totale
200 enfants naissent sourds chaque année 800 surdités reconnues chaque année. La population sourde constitue 8% de la population française. Comme le montrent les graphiques ci-contre, la surdité concerne à 98% les sourds et Âge de la population sourde et malentendante en France malentendants de plus de 40 ans, donc Enquête INSEE HID 1998-1999 les populations vieillissantes rencontrant des pertes auditives. Les sourds 0,2% ne représentent que de naissance 0,1% de la population globale, et les surdités profondes ou totales sont rares.
2%
43% des personnes concernées ont 75 ans et plus
22% ont de 60 à 74 ans
43% et de 33% ont de 40 à 60 ans un manque33% de visibilité considération 2% ont de 10 à 40 ans
22%
• Des problèmes au quotiDien
0,2% ont moins de 10 ans
Les Sourds rencontrent de nombreuses difficultés dans leur accès à l’information, à la culture, sur le plan de la communication, et des problèmes en terme de sécurité, car la vigilance auditive leur est impossible. Au quotidien, on observe peu ou pas d’adaptations à leur quotidien, en terme de traduction.
Ainsi sous le terme « sourd » se cache aussi bien des définitions et des circonstances médicales, mais nous pouvons dès maintenant entrevoir une perspective étendue aux domaines sociaux-culturels. En effet, il n’est pas unanimement reconnu que les sourds forment une communauté culturelle définie par sa spécificité linguistique : la langue des signes. Sujette à de nombreux débats, l’histoire de la langue des signes, et par extension des sourds, fut chaotique.
COMMENT LA SURDITÉ S'EST-ELLE LONGTEMPS INSCRITE DANS UN DÉNI ? Quand on commence à s’intéresser à la surdité et à son histoire en France, on rencontre rapidement les termes d’interdiction, d’oralisme, et l’énigmatique Congrès de Milan, qui semble avoir une résonance très particulière, empreinte d’un souvenir douloureux. En effet, ce qui est frappant dans l’histoire de la langue des signes, ce sont les nombreuses interdictions qui ont pesé sur elle des siècles durant. Elle nous semble aujourd’hui acquise et tout à fait légitime, pourtant nous verrons plus loin que même aujourd’hui, le combat continue d’être mené. C’est au XVIIIème siècle que les signes prennent de l’ampleur et s’ouvrent au monde. La figure de l’abbé de l’Épée est primordiale dans cette avancée. Après avoir observé chez certains sourds l’utilisation naturelle de signes pour communiquer, il prend l’initiative de regrouper les enfants sourds afin de les instruire et fonde en France la première école publique pour personnes sourdes. Son travail d’une vie est la démonstration que les gestes peuvent exprimer la pensée humaine autant qu’une langue orale. Il préconise ainsi l’utilisation de « signes méthodiques », qui, sans former une véritable langue, déclenchent dès lors une vive polémique dans le milieu des enseignants français. S’ensuivent de la part de nombreuses figures, abbés et docteurs compris, des attaques et insultes d’une grande brutalité, allant jusqu’à soutenir la comparaison des sourds à des animaux. Ces réactions vives s’expliquent par une peur profonde de la différence, de la nouveauté, et de voir ses convictions bousculées. Cette réticence face à la langue des signes va se confirmer au milieu du XIXème siècle avec l’interdiction de l’usage des signes, et atteindre son apogée, notamment lors du tristement célèbre Congrès de Milan, « deuxième congrès international pour l’amélioration du sort des sourds-muets ». Tenu en 1880 dans la ville de Milan, à visée internationale, il réunira en fait 90% de délégués français et italiens, et un
seul délégué sourd sur 164 congressistes. Ce congrès va être à l’origine d’une terrible chape de plomb qui va peser un siècle durant sur la langue des signes. En effet, la langue des signes y est officiellement interdite, bannie de l’éducation : le congrès fixe la supériorité de la parole sur les signes et un enseignement uniquement oral.
magazine francophone du handicap, s. d., consulté le 10/12/11 http://www.yanous.com/news/editorial/edito070202.html
Il faut également mettre en exergue le rôle de l’église et de son discours dans la perception des sourds. Dans la communauté sourde, le discours du pape Benoît XVI dans son homélie du 25 janvier 2007 a fait des remous. Il se questionne ainsi : « Être sourd-muet, c’est-à-dire ne pouvoir ni entendre ni parler, ne peut-il pas en effet être un signe de manque de communion et un symptôme de division ? » Et affirme : «La division et l’incommunicabilité, conséquences du péché, sont contraires au dessein de Dieu». Comme l’explique Marc Renard, « cette homélie manque de nuance et risque d’être prise au pied de la lettre par des personnes qui n’ont eu accès ni à l’éducation, ni à la culture dont, précisément, les personnes nées sourdes qui ont souvent des difficultés à maîtriser la langue verbale de leur pays. »1 Ainsi selon le Pape, être sourd serait un manque de communion, conséquence du péché. Le Pape reproche donc aux sourds d’avoir péché,
1/ RENARD (Marc), Il fait entendre les sourds et parler les muets..., Yanous, Le
Aujourd’hui encore, il est difficile de comprendre la violence de cette interdiction, cependant il faut recontextualiser certains faits de l’époque, notamment l’uniformisation des méthodes d’éducation, ainsi que l’interdiction des langues minoritaires afin de rétablir une unité nationale. Il est important d’étudier l’événement historique que fut le Congrès de Milan lorsque l’on se penche sur l’histoire des sourds, car il explique, entre autre, la méconnaissance générale de la société vis-à-vis de la culture sourde, et de ce fait les difficultés que vivent les personnes sourdes. En effet, il faudra un siècle pour que la langue des signes réapparaisse parmi la population sourde qui n’osait plus la pratiquer, si ce n’est marginalement, dans quelques association et écoles. En France, la contestation de mai 68 va entraîner une reconsidération des minorités linguistiques, comme les langues bretonnes, basques, alsaciennes, ainsi que la langue des signes. Leur droit à communiquer leur est rendu, mais de nombreuses réticences à l’enseignement uniquement gestuel persistent. Il est encore difficile aujourd’hui de faire accepter la langue des signes comme une langue à enseigner.
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dans un discours stigmatisant, archaïque et erroné. Ce type de discours s’inscrit dans la doctrine catholique pour laquelle « la parole est d’essence divine et ceux qui ne peuvent ni l’entendre ni la pratiquer ne seraient pas des personnes mais des sortes d’animaux à figure humaine. »2 L’Église porte donc des responsabilités quant à la dévalorisation et les préjugés vis-à-vis des personnes sourdes.
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4/ BERTIN (Fabrice), Les sourds : une minorité invisible, Paris, Autrement, Coll. Mutations, 2010, 183p.
3/ BLAIS (Marguerite), Quand les Sourds nous font signe : histoires de sourds, Loretteville (Québec), Le Dauphin Blanc, 2003, 184p.
2/ Ibid.
« La parole est d’essence divine » Les idées fausses concernant la légitimité des sourds à exister et pratiquer leur propre langue est encore véhiculée par de hautes figures de la société, de la religion, mais également de la médecine. Les progrès scientifiques récents vont mener à des solutions toujours plus pointues et performantes, en premier lieu l’implant cochléaire. Cette lourde opération chirurgicale vise à rétablir un certain niveau d’audition à l’aide d’un implant électronique stimulant les terminaisons nerveuses situées dans la cochlée. Cependant, la communauté sourde conteste fortement cette politique d’implantation chez les enfants, et de vifs débats ont lieu entre pro-implants et défenseurs de la culture sourde et de la langue des signes. Comme l’indique Alexis Karacostas dans son discours, certain médecins utilisent actuellement la pose d’implant cochléaire comme fer de lance d’une croisade oraliste. Cela est dangereux dans la mesure où le droit des sourds à la communication visuogestuelle leur est dénié. L’implantation risque en réalité de nier toute culture sourde en voulant réparer ce défaut d’audition, et d’handicaper des enfants qui ne seront ni réellement des personnes entendantes, ni des membres de la communauté sourde. Ce problème éthique devrait être avant tout un choix, or il s’avère que l’implantation cochléaire est le plus souvent imposée par les médecins aux parents d’enfants sourds. L’ignorance et le déni de la culture sourde et de sa langue s’expriment également linguistiquement, notamment à travers l’expression couramment utilisée « sourd-muet ». Comme le souligne Marguerite Blais3, la déficience auditive est ainsi associée au manque de parole. Il s’agit clairement d’une méconnaissance de la réalité et du handicap. Fabrice Bertin souligne cette volonté contemporaine d’euphémiser désormais certains termes4 : on ne dira plus
« sourd » mais « déficient auditif », ou « malentendant ». Le terme « sourd » est devenu stigmatisant, on préfère faire usage du politiquement correct plutôt que de se confronter à la réalité du handicap.
L'implant cochléaire.
Gonzague Privat, L’abbé de l’Epée instruisant ses élèves en présence de Louis XVI, Huile sur toile, 1875
Comme nous avons pu le voir, après un long combat pour faire accepter la langue des signes, l’existence et la reconnaissance d’une culture sourde est toujours fragile. L’avenir de la langue des signes pourrait être mis en péril par l’évolution de la médecine en terme de techniques d’implantation cochléaire. Penchons-nous cependant sur les avancées récentes de l’intégration de la langue des signes au sein de la société et de la volonté de l’Éducation Nationale d’en intégrer son apprentissage dans le système éducatif.
UNE RECONNAISSANCE TRÈS RÉCENTE Comme nous avons pu le voir précédemment, après une interdiction d’un siècle, la langue des signes renaît réellement depuis les années 80. D’un point de vue politique et social, il s’agit d’une renaissance extrêmement récente. Au sein de l’éducation française, il aura fallu attendre la loi Fabius de 1991 pour que soit favorisée l’éducation bilingue pour les sourds, c’est-à-dire l’enseignement de la langue des signes ainsi que l’apprentissage du français écrit et oral. C’est un petit pas vers la reconnaissance de la langue des signes, mais le pas de géant aura lieu avec la loi du 11 février 2005, la « Loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (n°2005-102) ». Avec ce texte, la langue des signes est reconnue comme une langue à part entière, dotée d’une grammaire, d’un vocabulaire propre. Il s’agit d’une grande ouverture pour l’expansion de la langue des signes, notamment dans l’éducation, dans laquelle elle était peu présente, et même absente si l’on s’intéresse aux études supérieures. Ainsi, la langue des signes a été inscrite pour la première fois parmi les options du Baccalauréat (coefficient 1) en 2008. En 2010, un Capes de langue des signes française est créé au niveau national, et le BTS propose officiellement depuis mars 2011 la langue des signes françaises comme langue vivante en épreuve facultative. Toutes ces avancées au sein de l’éducation sont extrêmement bénéfiques à la fois pour les sourds pour qui la langue des signes devient accessible à l’apprentissage, mais également pour les entendants s’intéressant à la culture sourde. Nous constatons à la suite de ces démarches que le public entendant est de plus en plus curieux vis-à-vis de la langue des signes, qui connaît un certain « succès ». Nous pouvons ainsi espérer que ces personnes sensibilisées à la condition sourde à travers la langue des signes seront des personnes qui seront, dans le futur, impliquées dans la création et l’adaptation de dispositifs à destination des sourds. Il est ainsi positif de constater une certaine volonté du gouvernement de rendre accessibles des lieux aux sourds, de voter des lois pour permettre aux sourds d’accéder à l’exercice de la citoyenneté dont ils ont été longuement privés, et enfin de reconnaître la langue des signes et le droit d’y avoir recours ou non dans son éducation. 40 │197
Toutefois, ces avancées en direction de la culture sourde n’en sont encore qu’aux prémices. En cause, cette reconnaissance extrêmement récente évoquée précédemment, cette ouverture culturelle encore mineure. Il est primordial de se pencher sur la nature même du handicap de la surdité pour comprendre que porter la connaissance de la surdité au monde peut être laborieuse et problématique.
RENDRE VISIBLE UN HANDICAP INVISIBLE S’il est une expression vue et répétée sur la surdité, c’est bien qu’il s’agit d’un handicap invisible. Le fait que cela puisse poser un problème peut sembler paradoxal, car si on pense aux handicapés moteurs, aux amputés ou aux défigurés, on imagine bien qu’ils souhaiteraient que leurs stigmates soient moins visibles : pour beaucoup, la visibilité de leur handicap est un problème en lui-même.
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5/ MOTTEZ (Bernard), op. cit., p. 42
4/ Voir Annexe 3 : interview d'Eva.
Bernard Mottez évoque les inconvénients de l’invisibilité de ce handicap, les difficultés que cela peut amener dans la vie de tous les jours : face à un inconnu par exemple, la situation peut être rapidement gênante si la personne entendante s’adresse au sourd comme à un entendant.2 L’auteur avance ainsi que si la surdité se voyait, la condition sociale du sourd pourrait être meilleure. Dans sa vie sociale, la question de révéler sa surdité se pose souvent au sourd. Dire d’emblée à son interlocuteur que l’on est sourd peut aussi bien faciliter la conversation que provoquer une réaction de blocage ou de rejet. Cela peut aussi être interprété par l’entendant comme un refus de communiquer.2 C’est un fait souvent évoqué par les sourds,3 il est fatiguant pour eux de toujours devoir rappeler qu’ils sont sourds.4 Ainsi, « la dialectique de l’invisible est la recherche perpétuelle d’un équilibre. »5
3/ RENARD (Marc), op. cit., p. 12
2/ MOTTEZ, (Bernard), La surdité dans la vie de tous les jours, Paris, Les publications du C.T.N.E.R.H.I, 1981.
1/ RENARD (Marc), Les sourds dans la ville : Surdités et accessibilité, Paris, éditions du Fox, 2008
En cela on peut parler de « dialectique de l’invisible » comme le fait apparaître Marc Renard. Ce manque de stigmate apparent semble donc être au premier abord un avantage, cela permet par exemple aux devenus-sourds de dissimuler leur surdité. Cependant, cette phase de refus inévitable doit aboutir à « l’acceptation objective et raisonnable de leur surdité ».1
Au delà du fait que la surdité ne se devine pas physiquement, nous pouvons également évoquer le fait que le handicap au sein même de la société est invisible : peu ou pas de campagne d’information, de rares documentaires ou reportages, la communauté sourde semble lointaine, cachée, absente du paysage audiovisuel. Au sein de la société, il est récent que les sourds se donnent à voir. Dans le discours de Alexis Karacostas, il est expliqué que l’information sur la surdité a vécu différentes phases successives d’expansion et de régression avec un net regain d’intensité dans la seconde moitié du 20ème siècle. Celui-ci explique qu’avec une présence quo-
tidienne plus importante de la surdité, le niveau d’information de la population entendante augmenterait sensiblement. Il y aurait ainsi moins d’ignorance et d’incompréhension. Dans le domaine de l’art, des artistes se sont penchés sur la question du handicap et de sa visibilité. Par exemple, Sophie Calle a eu une démarche extrêmement riche et poussée quant au handicap de la cécité, à travers plusieurs travaux, dont le premier, The Blind. Sa démarche consistait à explorer le mystère de la perte d’un sens, dans une demande a priori paradoxale, interroger des aveugles sur leur conception de la beauté. Ces témoignages étaient alors présentés sous forme d’un portrait de la personne et accompagné du texte, ainsi qu’une photographie représentative de ce qui était évoqué dans le témoignage. Ce travail consiste en une valorisation de la cécité, traitée alors de manière créatrice, afin de rendre visible l’invisible de l’absence.
Sophie Calle, Blind #14, 1986.
" In the Rodin museum, there is a naked woman with very erotic breasts and a terrific ass. She is sweat, she is beautiful. "
Sophie Calle, Blinds, 1986.
«Sheep, that’s what’s beautiful. Because they don’t move and because they have wool. My mother is beautiful too, because she’s tall and her hair goes down to her bottom. Alain Delon. »
Nous avons pu voir que la renaissance récente de la langue des signes ainsi que ses problèmes en terme de visibilité entraînaient une absence notable de la surdité au sein des médias, et une forme de désinformation préjudiciable. Il a déjà été plusieurs fois évoqué la notion de « culture sourde ». Cela peut paraître un non-sens dans la mesure où il semble exagéré de parler d’une culture spécifique quant à des gens vivant dans le même pays, semblables à leur congénères si l’on excepte le fait qu’ils n’entendent pas. Pourtant, nous allons étudier le fait que nous pouvons réellement parler de « culture sourde ».
LA CULTURE SOURDE : IDENTITÉ SOCIALE ET HANDICAP
QU'EST-CE QUE LA CULTURE SOURDE ? Nous avons pu évoquer précédemment plusieurs fois la notion de culture sourde. Il est important de la définir, car elle peut être sujette à contestation ou incompréhension. Tout d’abord, il faut préciser que de nombreux auteurs et spécialistes s’accordent à utiliser le terme « Sourd » avec une majuscule, comme on le ferait pour désigner un Français, par exemple. Daphnée Poirier1 explique ce choix de la majuscule pour nommer la personne qui revendique l’appartenance à une communauté. Comme le souligne Fabrice Bertin2, « le terme « sourd » renvoie à l’aspect physiologique et pathologique de la personne (la déficience auditive), celui de « Sourd » dénote l’appartenance culturelle et linguistique à une minorité définie de façon anthropologique, comme pour une ethnie, un peuple. » Cette nuance de terminologie souligne l’importance de la langue des signes pour les sourds, qui est véritablement le ciment de la culture sourde. Il faut toutefois préciser que cette notion de culture sourde suscite encore beaucoup de résistance, notamment en France. Nous aurons par la suite l’occasion d’expliquer cette forme de rejet et d’évoquer les arguments contre cette notion de culture et même de langue à part entière. Il faut souligner le fait que tous les sourds ne se revendiquent pas « Sourds », comme certains sourds profonds qui ne connaissent pas la langue des signes et ne veulent pas l’apprendre, à l’inverse de certains malentendants qui se réclament du monde Sourd. En effet, par définition une communauté est un terme politique et en faire partie relève d’un choix idéologique. Il ne s’agit pas pour les sourds de revendiquer le fait de ne pas entendre, mais d’une certaine fierté « qui vient du génie avec lequel ils ont appris à affronter un monde hostile où tout est régi par les entendants, y compris, suprême affront, leur destinée. »3 Il est également nécessaire de préciser pourquoi nous privilégions le terme de culture plutôt que de communauté. La notion de communauté est l’état de ce qui est commun à plusieurs personnes, à un groupe constituant une société, dans une dimension politique. Quand on parle de culture, il y a l’idée d’implication revendiquée, ce qui confère au terme certainement plus de force à cette idée d’identité que celui de communauté. 48 │197
« Ils ont appris à affronter un monde hostile où tout est régi par les entendants, y compris, suprême affront, leur destinée. » BLAIS (Marguerite), Quand les Sourds nous font signe : histoires de sourds, Loretteville (Québec), Le Dauphin Blanc, 2003, 184p.
5/ PELLION, (Frédéric), Surdité et souffrance psychique, Paris, Ellipses éditions, coll. Vivre et comprendre, 2001, 127p.
4/ DELAPORTE (Yves), Des signes, des noms, des rires : Aspects de la culture sourde, Paris, Asas Editions, 2000
3/ BLAIS (Marguerite), Quand les Sourds nous font signe : histoires de sourds, Loretteville (Québec), Le Dauphin Blanc, 2003, 184p.
1/ POIRIER (Daphnée). « La surdité entre culture, identité et altérité », Lien social et Politiques, n° 53, Printemps 2005, p. 59-66.
Ainsi, Yves Delaporte légitime l’emploi du terme de « culture sourde » par l’existence d’une langue hautement spécifique, à savoir la langue des signes, ainsi que des pratiques communes et un système de valeurs partagées.4 Frederic Pellion précise, et c’est d’ailleurs peut-être un début de réponse au rejet de la culture sourde, que « les sourds partagent la modalité de l’implication pulsionnelle du corps dans le langage à travers une articulation gestuelle (et non phonatoire). »5
2/ BERTIN (Fabrice), Les sourds : une minorité invisible, Paris, Autrement, Coll. Mutations, 2010, 183p.
Au sein d’une culture il y a partage d’une même langue, d’une identité commune, de valeurs, de façons d’être et de façons de penser, de traditions, et même d’un certain humour, comme c’est le cas au sein de la culture sourde.
Poème en langue des signes, jeu sur le caractère iconographique de certains signes, par Laurent Verlaine.
Nous pouvons ainsi parler de culture dans la mesure où les sourds ont pu développer des modes de vie particuliers au sein d’une communauté existentielle. Le ciment de cette communauté est la notion d’identité en tant qu’unicité.
DIALECTIQUE DE LA SURDITÉ : ENTRE PATHOLOGIE ET IDENTITÉ Quand on parle de culture sourde, il est impératif d’évoquer la notion d’identité, puisque l’on parle d’une revendication culturelle, et donc d’une revendication identitaire. « L’identité est d’abord une question de revendication, d’affirmation de ce que l’on veut être, ou de la manière dont on veut être reconnu. »1
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Tout d’abord, d’un point de vue médico-social, la surdité est considérée comme une déficience auditive, c’està-dire une condition physiologique qui définit le sourd comme un être inachevé. Ce manque auditif est alors censé être compensé par une réadaptation fonctionnelle, par exemple via l’implantation ou l’appareillage. D’un point de vue socioculturel, la surdité est porteuse d’une identité positive car les sourds ne se définissent pas par rapport au handicap mais par rapport à la différence.
4/ GUITTENY (Pierre), op. cit., p. 22
3/ BERTIN (Fabrice), Les sourds : une minorité invisible, Paris, Autrement, Coll. Mutations, 2010, 183p.culture et de la communication.
2/ Langues et Cité. La langue des signes française. 4 Novembre 2004. Bulletin de l’observatoire des pratiques linguistiques et aux langues de France, ministère de la culture et de la communication.
1/ GUITTENY (Pierre), 2006, Langue, pidgin et identité, Diplôme inconnu, Université Michel de Montaigne Bordeaux III.
L’identité d’un individu est ainsi composée de deux facettes en interaction : l’image qu’il a de lui, et celle que les autres ont de lui. Habituellement, le décalage est minimal, mais pour les sourds, il y a une grande différences entre ces deux facettes. En effet, les sourds ne se considèrent pas comme déficients ni même comme des handicapés, cependant la société porte un regard négatif sur eux.2 Nous pouvons ainsi distinguer deux points de vue antagonistes au sujet des sourds.
Ces deux points de vue constituent respectivement les arguments des deux partis, à savoir les défenseurs du gestualisme (et donc de la langue des signes) ou ceux de l’oralisme (l’apprentissage du langage oral, et parfois donc le recours à des appareils auditifs). Sans prendre parti pour l’un ou l’autre, il est important de souligner l’intérêt de ne pas exclure les sourds de leur propre communauté en leur laissant le choix de l’implantation ou non, et de prendre de la distance vis-à-vis de la dimension clinique. Comme l’explique Fabrice Bertin, être sourd, c’est avant
tout faire partie d’une communauté et donc en parler la langue. Ainsi nous pouvons dire que l’on apprend à devenir sourd. On naît avec une déficience auditive, mais on devient sourd, car être sourd est indissociable de l’aspect social.3 Bien sûr, toutes les personnes sourdes ne s’identifient pas obligatoirement à la communauté sourde, mais ce processus d’identification s’effectue souvent en parallèle à l’acceptation même de sa propre surdité. Du point de vue des sourds, il est intéressant d’étudier leur manière de se qualifier. En effet, il ne se considèrent pas comme des « non-entendants », ou des « entendants moins des oreilles », en somme, pas comme des gens à qui il manquerait quelque chose, une capacité, un organe. L’absence d’audition n’est pas considérée comme un défaut. Par exemple dans le film de Nicolas Philibert, Le pays des sourds, plusieurs exemples sont donnés de sourds mettant en avant les avantages que peut revêtir la surdité. Un professeur en langue des signes, sourd de naissance, expliquera les avantages à parler une telle langue dans sa capacité à rapprocher les étrangers sourds. En effet, bien que n’étant pas internationale, la langue des signes est tout de même plus proche des idiomes parlés, si bien qu’en quelques jours, voire en quelques heures, le professeur peut ainsi facilement communiquer avec un sourd chinois. Il ajoute même qu’il plaint les entendants. Dans un autre exemple, un sourd explique avoir été un jour appareillé, et pour la première fois il pouvait entendre : ce fut pour lui une sen-
Nicolas Philibert, Le pays des sourds.
sation « terrible », et il préféra ainsi retirer les appareils et retourner au silence avec « soulagement » et bonheur. En réalité les sourds se considèrent comme des sujets différents par leur langue, mais avec d’autres capacités que celles des entendants. Il s’agit bien de considérer le sourd en tant qu’unité, au delà des spécificités physiques qui le constituent, ce qui le constitue comme être.4 Cela renvoie au concept de la monade de Leibniz, à savoir que c’est l’unité qui fait la réalité d’un être. La notion d’identité est en cela le caractère de l’unicité : l’identité est ce qui rend unique, ce qui individualise par rapport à l’autre, et ce qui reste constant, identique.
Handsbird, par Arnaud Balard, artiste sourd.
Nous avons ainsi pu constater que l’identité est d’abord une question de revendication. Les sourds ne se définissent donc pas vis-àvis d’un degré de perte auditive mais par rapport à un sentiment d’appartenance à la culture sourde. Ainsi pouvons-nous nous interroger sur ce qui lie les sourds entre eux, et en quoi cette union pourrait être dangereuse si elle dérivait sur une forme de communautarisme visant à se différencier et à se dissocier du reste de la société.
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L'UNION DES SOURDS NE LES EXCLUE-T-ELLE PAS DE LA SOCIÉTÉ ? La force de la culture sourde peut constituer un frein à l’intégration avec les entendants. Les modalités mêmes de la communication entre sourds peuvent se transformer en autant d’obstacles. La surdité est également le véhicule d’un fort sentiment identitaire, qui se matérialise parfois sous la forme du refus à l’encontre de techniques thérapeutiques telles que l’implant cochléaire, visant à les réintroduire dans le monde entendant. Une partie des personnes sourdes rejettent l’implant et s’unissent contre cette technique qu’ils considèrent comme barbare car allant à l’encontre de leur nature. Ce rejet de l’implantation est compréhensible mais peut devenir une forme de communautarisme lorsqu’il dérive vers un rejet total du monde entendant. Sans aller vers ces extrêmes, nous pouvons dire que les sourds sont dans l’affirmation de ce qu’il veulent être, et de la manière dont ils veulent être reconnus. A ce sujet, Alexis Karacostas explique, dans son discours, que « la dimension collective de la vie sociale des sourds est un élément capital de leur intégration sociale dans la société entendante et non de " ghettoïsation " ». La notion de communauté sourde, de culture commune est donc à aborder d’une manière positive, comme facteur de socialisation. Pour preuve de l’existence d’une certaine ouverture de la part des sourds au « monde entendant », il est possible de s’intégrer à la communauté sourde sans pour autant être atteint de surdité, si tant est que l’on maîtrise la langue des signes, condition sine qua non. Il existera toujours des sourds réfractaires à l’arrivée d’un entendant dans leur communauté, l’estimant non légitime à l’apprentissage de la langue des signes et à l’intégration. Cela est compréhensible dans la mesure où la particularité même de la nonaudition est porteuse d’une culture propre, il peut ainsi être avancé qu’un entendant n’ayant jamais connu la surdité ne sera pas en mesure de comprendre entièrement cette surdité et ses enjeux. Cependant la plupart des sourds apprécient les efforts qu’un entendant peut faire pour s’y intégrer.
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« La dimension collective de la vie sociale des sourds est un élément capital de leur intégration sociale dans la société entendante et non de "ghettoïsation" » Discours de Alexis Karacostas, psychiatre, en introduction à la conférence « Surdité et langue des signes : analyseurs politiques, philosophiques et sociolinguistiques », 17 octobre 2011.
« Union », tableau réalisé par Arnaud Balard.
« Union » en langue des signes.
La surdité est clairement un handicap à part, dans l’idée qu’elle est le fondement d’une culture et d’un langage propre. Les spécificités de la surdité peuvent laisser penser qu’il est difficile et problématique pour les sourds de s’intégrer à la société. Cependant, une forte demande d’intégration sociale est formulée par les personnes sourdes. Il s’agit de s’interroger sur les moyens de donner une répercussion à cette volonté d’intégration, d’affirmer la place des sourds dans la société. Pour cela, il convient de s’interroger sur les représentations du sourd dans la société, et de manière générale, son image.
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LA PLACE DU SOURD DANS LA SOCIÉTÉ
QUELS PROBLÈMES RÉCURRENTS ? Les sourds ont cette particularité de n’être ni tout à fait dans la norme, ni vraiment en dehors. Les problèmes qui émergent alors pour les personnes sourdes sont multiples, et dépendent tout d’abord de la place que leur accorde la société.
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4/ Loi du 11 février 2005, art. 24.
3/ Les chiffres du chômage de la population sourde sont extrêmement variables selon les sources, passant du simple au double. Selon une étude de l’UNAPEDA datant de 2005, celui-ci serait de 15% sur toute la population, mais une étude datant de 7 ans est obsolète. Il m’a été impossible de trouver des chiffres officiels plus récents.
2/ DONSTETTER (Didier), " Le SIDA dans la communauté sourde ", 12 /1994, consulté le 5/01/12 http://base.d-p-h.info/fr/fiches/premierdph/fiche-premierdph-2705.html
1/ DELAPORTE (Yves), Les sourds, c’est comme ça, Paris, Maison des sciences de l’homme, coll. Ethnologie de la France, 2002
Du fait de leur déficience auditive, le problème majeur rencontré par les sourds est de l’ordre de l’accès à l’information, que ce soit d’un point de vue culturel, politique, ou au travail. Dans son rapport à l’information, le sourd va avoir du mal à assimiler la polysémie des mots, car elle ne recouvre pas celle des signes. Yves Delaporte prend l’exemple du terme « séropositif », qui pour nous est bien connu, mais qui, pour les sourds, prendra une toute autre signification puisqu’ils en retiendront seulement le terme « positif », soit quelque chose de bénéfique.1 Les conséquences en terme de santé peuvent alors être catastrophiques. Le Sida est le révélateur de ces carences d’information : la communauté sourde est bien souvent victime d’une marginalisation par rapport aux campagnes de prévention générale. Il est en effet difficile de s’adresser au public sourd car il faut pouvoir sensibiliser les groupes concernés sans les discriminer ni les angoisser outre mesure.2 Lorsque l’on évoque le milieu du travail, on réalise à quel point la place du sourd au sein de la société n’est pas acquise. Dans un premier temps, il faut remarquer le fort taux de chômage qui touche les sourds, atteignant les 15%.3 Comme pour toute forme de handicap, il existe des restrictions à l’embauche, malgré les textes de lois publiés pour remédier à ce problème.4 Dans la réalité, les entreprises préfèrent payer des amendes plutôt que d’employer des personnes handicapées. Les sociétés privées en 2007 n’employaient que 2,5% de personnes handicapées selon le ministère du Travail.5 On est loin du taux légal de 6%. Ces restrictions s’expliquent également par le fait que la population sourde est touchée par un fort taux d’illettrisme, concernant 80% des sourds de naissance.6 Cet illettrisme massif est problématique à de nombreux degrés : il complique énormément les échanges professionnels, administratifs et sociaux, toutes les démarches nécessitant la maîtrise de l’écrit. Au delà de l’univers du travail, l’illettrisme pose une barrière face aux sourds, leur empêchant d’accéder à l’information commune et de participer pleinement à la vie sociale.
Exemple d'une mauvaise retranscription :
8/ Voir en Annexe 3 : interview d’Eva.
7/ De plus, la loi du 11 février 2005 prévoit que « dans un délai maximum de cinq ans, les chaînes dont l’audience moyenne annuelle dépasse 2,5 % de l’audience totale des services de télévision devront rendre la totalité de leurs programmes accessibles aux personnes sourdes et malentendantes à l’exception des messages publicitaires ».
6/ Centre d’Information sur la Surdité, Illettrisme, Mis à jour le 16/11/2011 http://www.cis.gouv.fr/spip.php?article339
5/ NEU (Mathieu), Handicap au travail : Tenaces préjugés. Le nouvel économiste, 11/05/2011
Cet accès difficile à l’information est également fortement compliqué par le peu d’adaptations faites à leur quotidien, notamment en terme de traduction. Cela se retrouve dans un premier niveau qui est celui du sous-titrage à la télévision ou au cinéma. La majorité des programmes télévisés ne sont pas correctement sous-titrés, comportent de nombreuses erreurs de retranscription, alors que le soustitrage est une obligation inscrite aux cahiers des charges des chaînes publiques depuis 1984 et obligatoire depuis la loi du 1er août 2000 pour le sous-titrage pour sourds et malentendants des chaînes hertziennes.7 Au delà de la frustration que les sourds peuvent ressentir face à un programme qui les intéresse et auquel ils n’ont pas accès, cela engage également une forme d’exclusion sociale : le sourd ne pourra pas échanger sur un programme visionné par tout son entourage entendant. Tout simplement, prenons l’exemple des films français : il nous semble absurde de les sous-titrer en français, et pourtant il s’agit d’une revendication de la part des sourds, destinés à ne jamais voir de films français, mais des films étrangers car eux sont sous-titrés.8
" L'ESSEC symboles des années 80 " au lieu de " Les sex symbol des années 80 ".
Cela a également des conséquences en terme d’engagement politique des sourds, dans la mesure où les discours politiques sont rarement traduits, tout comme le reste des programmes. Sans ces informations, ni journal télévisé, et dans la mesure où la lecture des journaux leur est bien souvent difficile, les sourds sont privés d’informations cruciales quant aux événements et décisions politiques. Pour exemple, les discours politiques, comme les voeux en direct du président de la république, souffrent de ce déficit de traduction. Si l’on compare ces voeux sur 5 chaînes, on remarque que : - i-télé ne propose aucun sous-titrage ni explication, pas de titre ni d’information, - BFMTV ne présente qu’un bandeau avec quelques phrases reprises, pas de sous-titrage, - sur TF1, le discours est sous-titré par un logiciel automatique, ce qui entraîne des erreurs, des pertes de phrases et des éléments disparaissant trop vite, - sur France 2 le discours est sous-titré par le processus traditionnel, de façon assez fluide, mais il manque des éléments non traduits, - seul France 3 a fait l’effort d’allier l’image au sous-titrage, ainsi qu’un interprète dans un médaillon, cependant celuici est trop petit pour être suivi.9 En somme, le résultat est bien pauvre au regard des prétendues obligations de ces chaînes.
Voeux du président sur France 3, Janvier 2012.
11/ PHILIBERT (Nicolas), Le Pays des sourds, documentaire français, 1992, Les Films d’ici, 95min.
10/ MOTTEZ, (Bernard), La surdité dans la vie de tous les jours, Paris, Les publications du C.T.N.E.R.H.I, 1981.
Marc Renard donne un autre exemple de sourds vivant une expérience catastrophique, placés dans plusieurs situations de handicap. Deux jeunes sourds pratiquant la LSF souhaitent aller au cinéma. Ils sont alors contraints d’aller voir un film étranger sous-titré, car il leur est impossible de voir un film français, non sous-titré. Pour cela, ils doivent alors se rendre en train dans une grande ville. Après le cinéma, ils se rendent dans une brasserie, en faisant répéter plusieurs fois au serveur le menu, ce qui l’agace prodigieusement. En retournant à la gare pour prendre le dernier train, un incident technique a déplacé leur train sur un autre quai, seulement les sourds n’en sont pas informés car l’incident est reporté par les haut-parleurs. Ils ratent leur train, et, sans argent, sont contraints de dormir dans
9/ « Shimrod », Sourds, comparez !, 1/01/12, consulté le 5/01/12 http://shimrod.typepad.com/blog2/2012/01/sourds-comparez-.html
Bernard Mottez décrit les difficultés rencontrées au quotidien par les sourds, notamment dans leur relation aux personnes entendantes. Cela commence par des actions mineures comme demander son chemin, ou le coût d’un produit. D’ordinaire, pour les entendants cela se déroule naturellement et sans que l’on se pose de questions, pour un sourd il peut déjà s’agir d’une source d’appréhension car il peut être confronté à des difficultés de communication, des malentendus.10 Il existe des situations où la surdité posera une barrière avec l’entendant, menant à des situations compliquées à résoudre, comme l’illustre une scène du film-documentaire « Le pays des sourds »11. Après avoir suivi le mariage d’un couple de personnes sourdes, dont la cérémonie semble être particulièrement difficile à suivre pour eux, nous les retrouvons à la recherche d’un appartement à louer. Le bailleur qui s’occupe alors de la visite est entendant, et semble extrêmement gêné de la situation : face au couple de sourds il ne sait comment leur faire comprendre le prix du loyer, et la situation vire au cassetête lorsqu’il s’agit de leur expliquer que l’eau n’est pas comprise dans les charges. L’homme s’évertue à répéter toujours la même phrase, sans en simplifier le vocabulaire, et le problème ne se résout que lorsqu’il emploie enfin « l’eau est en plus » au lieu de « la consommation d’eau n’est pas comprise dans le loyer. » À aucun moment il ne songe à écrire ces mots sur un papier pour faciliter un tant soit peu le dialogue. Ce genre de situation est significative des problèmes rencontrés au quotidien pour les sourds confrontés à des entendants ne sachant absolument pas comment s’exprimer et s’adapter dans ces circonstances.
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la salle d’attente de la gare. Ainsi, plusieurs situations de handicaps sont identifiables dans ce récit : - au cinéma, l’impossibilité de visionner le film de leur choix, en VOST, de choisir librement le film et le cinéma, - les difficultés de communication avec des tiers ne sachant pas communiquer avec les sourds, - l’impossibilité d’être informé des problèmes techniques.
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13/ MINGUY (André), Le réveil Sourd en France : Pour une perspective bilingue, Paris, L’Harmattan, 2009
12/ PELLION (Frédéric), Surdité et souffrance psychique, Paris, Ellipses éditions, coll. Vivre et comprendre, 2001, 127p.
Ces problèmes sont dus au manque de formation des personnels et à l’inadaptation des lieux culturels et des transports, mais pourraient être facilement compensés si l’on s’y penchait. Il faut également aborder un sujet autrement plus important et lié à cette forme d’exclusion quotidienne, à savoir celui de la souffrance psychique liée à la surdité. Comme le soutient Frédéric Pellion, « la souffrance est générée par la façon dont l’Autre reçoit la personne sourde. »12 La surdité est donc une contrainte qui dresse une barrière entre le sourd et les autres. Ses difficultés à communiquer engendrent donc une souffrance psychique, un isolement, une exclusion vis-à-vis d’une vie sociale. Souvent exclu des dialogues entre entendants, comme lors des repas de famille, ou pendant une séance collective de visionnage de la télévision, la traduction ne pourra pas toujours être faite au sourd. André Minguy explique cette forme d’exclusion dans des situations communicationnelles : « J’y rencontrais de très gros obstacles psychologiques. Je subissais, de ce fait, d’immenses frustrations, ce qui provoquait en moi des comportements colériques envers l’entourage entendant. »13 Nous conclurons sur le fait que cette omniprésence de l’oral, même dans l’environnement proche du sourd, engage un isolement de la personne sourde, une forme d’exclusion consciente ou inconsciente.
Nous avons ainsi brossé un portrait non exhaustif de différents problèmes rencontrés par les sourds, aussi bien en terme de communication, de chômage, d’accès à l’information et d’exclusion communicationnelle. Face à ces problèmes rencontrés quotidiennement par les sourds, il convient d’étudier les dispositifs mis en place à l’échelle du gouvernement ou à des niveaux plus individuels, afin d’aider, épauler ou soulager les sourds dans leur vie de tous les jours.
QUELS DISPOSITIFS AU QUOTIDIEN ? Avec l’avènement d’internet et des téléphones portables, les moyens de communication pour les sourds ont connu un essor extrêmement bénéfique. Aux yeus de ces personnes, pour qui le visuel est primordial, internet et les portables ont été l’ouverture qui leur manquait afin de mieux communiquer entre eux, mais aussi avec les entendants, et leur donner une visibilité. Tous les moyens, tels que les forums, le chat, les webcams, les sms et mms, la visio communication, sont appréciés par les entendants, mais pour les sourds ce sont de véritables outils libérateurs de leur parole. Notre époque voit également une dépersonnalisation des services, tels que l’installation de bornes ou de caisses automatiques, de services en ligne, et cela a l’avantage pour les sourds appréhendant les contacts administratifs de leur faciliter les démarches.
1/ CROZAT (Bruno), L’intégration scolaire et professionnelle des sourds, Lien social, 6/03/08
Mais l’on remarque que ces moyens évoqués sont au départ détachés des problématiques des sourds puisque ce sont avant tout des moyens et outils inventés par des entendants au service des entendants. Les sourds se les sont appropriés car ils répondaient en partie à un besoin de leur part, mais cela ne masque pas les profonds manques de moyens pour les sourds au sein de la société.
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Nous avons pu voir que de nombreux manques en terme de traduction sont ressentis par les sourds. Le recours aux services d'interprètes semble ainsi être une solution évidente pour les personnes sourdes pratiquant la langue des signes lorsqu’il y a un besoin de traduction. Cependant, il y a une demande énorme d’interprètes, pour une offre extrêmement restreinte. Nationalement 200 interprètes sont disponibles, pour des taux horaires de 52 à 78€ de l’heure. Les prix sont élevés, peu accessibles, d’autant plus que les financements pour ces services sont évidemment difficiles à trouver.1 Il faut tout de même souligner quelques initiatives prometteuses de mises en place de services afin de faciliter l’accès à la culture, telle que Muséo, mis en place une première fois au Quai Branly via des iPads présentant des jeux et des vidéos traduites en LSF. D’autres outils s’engagent à faciliter l’accès à des services, comme eSourds, qui permet de mettre en relation les personnes sourdes
et malentendantes avec un conseiller EDF en langue des signes à travers une webcam. Visio08 propose également des interprètes en langue des signes spécialisés dans le domaine juridique ou l’ingénierie. Ces services requièrent un vocabulaire technique spécifique, c’est pourquoi les sourds se trouvent bien souvent démunis face à des gens n’ayant peu ou pas de connaissance en langue des signes. Avec l’arrivée des smartphones, un nouvel horizon s’est ouvert, celui de l’apprentissage. Destinés plutôt aux entendants, ces applications telles que « SIGNES » ou « L’école des signes », vont être le support à un apprentissage de la langue des signes par exercices, et favoriser un échange entre personnes sourdes et entendantes qui auront fait l’effort d’en apprendre les fondements. Des objets à l'état de concept émergent depuis quelques années, comme une montre visant à informer le porteur sur les bruits l'entourant. Imaginée par Konstantin Datz, elle possède 3 avertissements sonores différents, à savoir Danger, Ambiance et Nature.
Application iPhone " SIGNES ", " Muséo " et " eSourds " de EDF.
Un micro est porté à la ceinture pour analyser les sons environnants et transmettre ces informations à la montre sous forme visuelle, par des pictogrammes sur l'écran. Lorsqu'un danger est détecté (sirènes, alarmes, klaxons, etc), la montre vibre. Ce type d’objet à la technologie pointue sont autant d’innovations accueillies avec joie par les personnes sourdes.
2/ Communiqué du Premier Ministre. Entrez en communication avec une personne sourde, 09/12/2011. http://www.newspress.fr/Communique_FR_249022_589.aspx
Il s’agit bien d’un pas en avant, témoin d’une certaine prise de conscience, cependant ces services restent relativement ponctuels, encore rares ou trop chers, et principalement disponibles en région parisienne et non en province. Il faut mettre en avant l’initiative prometteuse du gouvernement en faveur de l’intégration professionnelle des personnes handicapées, présentée tout récemment dans un communiqué du Premier Ministre.2 Ainsi le gouvernement compte mettre en place des centres de relais téléphoniques permettant de mettre en relation une personne sourde et une personne entendante. Ce dispositif d’intermédiation fait appel à des interprètes formés à la langue des signes, mettant en relation téléphonique ces personnes : ils traduisent en langue des signes les propos de l’entendant et réciproquement. Il vise à une démocratisation sociale et économique pour les personnes sourdes. Des tests vont être effectué au printemps 2012 pendant plusieurs mois afin d’évaluer les besoins en terme d’usage et du nombre d’interprètes nécessaires. Nous pouvons tout de même nous demander si le gouvernement va pour cela faire l’effort de former plus d’interprètes, et donc d’augmenter son budget en conséquence. Les belles paroles sont souvent au rendez-vous, mais lorsqu’il s’agit de concrétiser des idées prometteuses, les projets sont trop souvent atrophiés ou annulés.
Montre d'information sonore par Konstantin Datz.
Borne d'accueil SNCF, service Accès Plus avec visiophonie, gare de l'Est, Paris
Boule vibrante à brancher sur un lecteur de musique, par MadeByMakers 73 │197
L'application " SIGNES " sur iPhone : apprentissage de la dactylologie.
Ainsi, la démocratisation des outils d’échanges et d’apprentissage virtuels ouvrent de nouvelles portes aux sourds dans leur accessibilité et leur sociabilisation. Il faut néanmoins évoquer le retard considérable qu’a pris la France en terme de dispositifs d’accessibilité et d’intégration pour les sourds.
LA FRANCE, SOURDE À CE HANDICAP Il faut souligner le retard particulier de la France vis à vis d’autres pays, notamment au regard des pays scandinaves.
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2/ MEYNARD (André), Surdité, l’urgence d’un autre regard : pour un véritable accueil des enfants Sourds, Ramonville, Erès, coll. Trames, 2008, 165p.
1/ BLAIS (Marguerite), Quand les Sourds nous font signe : histoires de sourds, Loretteville (Québec), Le Dauphin Blanc, 2003, 184p.
Prenons l’exemple de la Suède, qui a inscrit dans sa constitution le droit des citoyens sourds à parler une langue signée. En 1981, elle est « le premier pays à reconnaître la langue des signes comme la première langue d’usage des Sourds suédois »1. La langue des signes est donc reconnue en Suède comme la langue officielle des Sourds, et le suédois comme une seconde langue. Il s’agit d’une grande avancée, notamment en terme d’éducation : le bilinguisme et l’enseignement par des professeurs sourds est favorable pour la réussite scolaire des enfants sourds mais également pour leur servir de modèle identitaire. Les enfants sourds suédois ne sont donc pas isolés comme chez nous dans un système intégratif où n’existe que la langue sonore. Un autre exemple : aux Etats-Unis, une grande place est laissée aux sourds dans les médias, puisqu’il existe des chaînes de télévision entièrement dédiées à la langue des signes.2 De plus, contrairement à la France, L’American Sign Language (la langue des signes américaine) est rendu accessible à la fois aux sourds via des dispositifs de traduction dans l’espace culturel, et aux entendants par des cours d’apprentissage. Il y a donc tout intérêt pour la France de s’inspirer des dispositifs déjà mis en place dans d’autres pays, dispositifs ayant fait leurs preuves, et de faire des efforts aussi bien législatifs, politiques et médiatiques. Hors il semble difficile de sortir de cette fermeture culturelle aux sourds tant les budgets de l’éducation nationale et de la santé ne sont pas à la hauteur du volume des demandes des sourds. Fabrice Bertin explique que ce manque d’efforts découle d’une forme d’« audicentrisme » de la société, qui s’obstine à juger et catégoriser les personnes sourdes de façon arbitraire, par rapport à une norme qui est celle d’entendre. La France est comme restée figée dans cette volonté d’après-guerre d’unifier sa langue nationalement, et cela se confirme dans son net retard d’apprentissage et d’intégration des autres langues telles que l’Anglais, en opposition à l’Allemagne par exemple. Il semblerait que la France soit frileuse à l’ouverture aux autres langues, et ce, dès l’éducation et la scolarité.
La France a pris du retard concernant ses engagements de 2005 pour atteindre les objectifs qu’elle s’est fixée, non seulement en terme d’emploi mais également en terme d’accessibilité à tous. La compréhension de l’importance de la place des sourds doit être évidente. Nous pouvons nous pencher plus précisément sur l’intégration du sourd dans la société, de sa place et des conséquences du choix éducatif.
L'INTÉGRATION DES PERSONNES SOURDES
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2/ RENARD (Marc), Les sourds dans la ville : Surdités et accessibilité. Paris, éditions du Fox, 2008
1/ BLAIS (Marguerite), Quand les Sourds nous font signe : histoires de sourds, Loretteville (Québec), Le Dauphin Blanc, 2003, 184p.
ORALISME OU GESTUALISME : UN CHOIX D’IDENTITÉ ET D’INTÉGRATION Plusieurs choix s’offrent à la personne sourde en terme de communication. Il y a tout d’abord le choix de l’oralisme, consistant en un apprentissage de la lecture labiale et de la parole par un long processus de plusieurs années en relation avec des orthophonistes. Il faut cependant préciser que tous les sourds n’ont pas des compétences innées en terme de lecture labiale, et que certains auront plus de difficultés à l’apprendre, voire n’y arriveront jamais. Il en va de même pour les personnes entendantes, il s’agit d’une aptitude qui se travaille dans la durée, mais pour laquelle nous n’avons pas tous les mêmes capacités. Il faut savoir que la personne sourde ne saisit en moyenne que 40 à 60% de ce qui est dit par la lecture labiale.1 La lecture labiale est en fait une lecture labio-faciale, du visage entier, consistant en un déchiffrage partiel des phrases prononcées, la suppléance mentale permettant de reconstituer le sens de ces phrases. Précisons que la lecture labiale est un exercice de haute concentration, ne se pratiquant pas plus de quelques heures, et demandant un nombre important de facteurs pour une pleine compréhension : un bon environnement, des propos bien articulés, des interlocuteurs en petit nombre, etc.2 En complément à la lecture labiale, le LPC (Langue française Parlée Complétée, anciennement le Langage Parlé-Complété) peut être appris. Il s’agit d’un système de codage gestuel syllabique de la parole et complément de la lecture labiale. Le LPC n’a rien à voir avec la langue des signes et ne la remplace en aucun cas, ce n’est pas une langue mais une technique. Il est utilisé afin d’aider à la lecture labiale et permettre une meilleure visualisation de la parole. Le LPC est efficace dans l’éducation des enfants sourds, et peut être accompagné d’un apprentissage de la langue des signes. Outre l’oralisme, le second choix pour les sourds est donc celui du gestualisme, visant à apprendre la Langue des Signes. Il est évidemment possible d’associer ces deux
méthodes, l’une n’excluant pas l’autre. Ce choix engage bien sûr des répercussions dans la relation à l’Autre. Que la personne sourde choisisse l’oralisme ou le gestualisme, cela entraînera différents niveaux d’aisance et de compréhension dans la communication avec les entendants. Une personne sourde ayant choisi de s’exprimer uniquement en langue des signes devra en quelque sorte faire le deuil des conversations avec la majorité des personnes entendantes. Selon Marguerite Blais, il existe différents niveaux d’intégration, qu’elle résume ainsi :
- l’intégration assimilatrice : elle concerne les sourds de familles entendantes, « intégrés dans des institutions scolaires qui prônaient les valeurs de la culture entendante ». Au sein d’écoles d’intégration, ces enfants sourds ont donc été confronté en priorité à la culture entendante au milieu d’autres enfants entendants, et ont découvert la culture sourde plus tard.
Quelques règles du LPC par la graphiste Jessica Boroy.
- le paradis perdu : il s’agit des devenus sourds, ayant perdu l’audition après avoir acquis le langage (surdité postlinguale). Ils utilisent la langue orale, et espèrent revenir à une intégration dans la société entendante.
- l’intégration en tant que sourd : cela concerne les enfants issus de parents sourds, ayant baigné dans la culture sourde dès la naissance. Ils utilisent la surdité afin de mettre leur culture et leur identité sourde au premier plan. Ils se servent uniquement des signes pour communiquer.3
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On constate donc que le terrain d’acquisition de la surdité, qu’elle soit post ou pré linguale, les moyens d’éducation, vont conditionner les futurs rapports du sourd aux entendants et aux autres sourds.
4/ Centre d’Information sur la Surdité, L’identité, Mis à jour le 13.04.2005 http://www.cis.gouv.fr/spip.php?article248
3/ BLAIS (Marguerite), La culture sourde - Quêtes identitaires au cœur de la communication, Laval, Les Presses de l’Université de Laval, Coll. Sociologie au coin de la rue, 2006.
La surdité relève-t-elle du substrat ou de l'accident ?
Cette question du choix de l’oralisme ou du gestualisme met en tension la notion d’identité. Prenons la distinction aristotélicienne : la surdité relève-t-elle du substrat ou de l’accident ? Selon la pensée oraliste, la surdité est de l’ordre de l’accident. Le sourd est un homme similaire aux autres, confronté à l’accident de la surdité, comme il pourrait l’être de sa taille ou de sa couleur de peau. Ainsi, il n’y a pas de « nature » sourde selon la pensée oraliste. Selon la pensée gestualiste, la surdité est intégrée au substrat de l’individu, elle est essentielle, évacuant toute notion de fortuité. « La pensée gestualiste regarde l’individu à travers ses qualités, qualités qui peuvent être communes à plusieurs individus (perception, cognition, langue…). » Cela engendre donc des conséquences en terme de langue, de pédagogie, d’intégration.4
Cette question du choix personnel de l’oralisme ou du gestualisme est intimement lié à l’intégration de la personne sourde au sein de la société. Il influe les modes d’intégrations à la population entendante. Ce choix oraliste ou gestualiste est principalement déterminé par l’éducation de l’enfant sourd, suivant le choix d’une scolarité intégratrice, privilégiant l’oralisation, ou dans des établissements spécialisés, favorisant la langue des signes.
L'INTÉGRATION AU SEIN DE LA SOCIÉTÉ Il faut s’interroger sur les formes d’intégration qui s’offrent à la personne sourde. Mais qu’entend-on par le terme « intégration » ? Selon M. Grawitz, le terme « intégration » vient du latin integrare signifiant « rendre entier », « l’action de faire entrer une partie dans le tout ». En psychologie sociale, « l’intégration s’exprime par l’ensemble des interactions entre les membres, provoquant un sentiment d’identification au groupe et à ses valeurs. »1 En somme, lorsqu’il est en interaction avec d’autres individus, le sourd partage ou non les valeurs et les normes de la société à laquelle il appartient. Cette intégration dans la société commence naturellement dès le début de la scolarisation. Nous avons pu l’évoquer plus tôt, il existe différents choix de scolarité pour l’enfant sourd. Le choix incombe donc aux parents d’intégrer leur enfant sourd dans un établissement spécialisé, ou bien au sein d’une classe d’intégration, une scolarisation en milieu ordinaire entouré d’enfants entendants. Il faut noter que cette solution revêt un aspect discriminatoire pour l’enfant sourd dans la mesure où rien n’est adapté pour lui, que peu ou pas d’interprètes sont mis à sa disposition, et que les Auxiliaires de Vie Scolaire (AVS) présents ne sont bien souvent pas sensibilisés aux problématiques de la surdité.2 André Meynard souligne le problème de l’éducation des sourds et le « manque de nouvelles modalités éducatives intégrant la langue signée française dans l’accueil des jeunes enfants Sourd »3. Il n’y a en effet pas de reconnaissance réelle de la langue des signes au niveau de la scolarisation, la France se situant dans une logique oralisatrice rééducative. Il est déplorable d’être revenu à une méthode éducative antérieure à celle de l’Abbé de l’Epée, dans la négation de la langue des signes. Le problème de la privation de la langue gestuelle dans l’éducation est développé par André Meynard, citant des propos de Françoise Dolto : dans les années 80, celle-ci souligne le fait que l’on « affamait » les enfants sourds de « nourriture sémiotique en les privant de l’accès aux réseaux langagiers signés vers lesquels ils étaient attirés ».4 Le geste est perçu comme une aptitude qui retarderait l’entrée de l’enfant dans le langage. Avec cette éducation du tout oralisé, les enfants sourds se retrouvent donc isolés dans des processus intégratifs
ne proposant que les langues sonorisées. Fabrice Bertin souligne le fait qu’avec une intégration scolaire dans l’éducation nationale plutôt que dans des établissements spécialisés, on intègre l’enfant dans le milieu oral plutôt que de favoriser son apprentissage de la LSF.5 Cela est préjudiciable car cela revient à nier la langue maternelle de l’enfant sourd, et à le contraindre à s’oraliser sous peine d’exclusion des groupes entendants.
6/ CROZAT (Bruno), L’intégration scolaire et professionnelle des sourds, Lien social, 6/03/8.
5/ BERTIN (Fabrice), Les sourds : une minorité invisible, Paris, Autrement, Coll. Mutations, 2010, 183p.
4/ Ibid.
3/ Ibid.
En somme, des mesures sont prises, mais se heurtent toujours à un manque cruel de moyens.
2/ MEYNARD (André), Surdité, l’urgence d’un autre regard : pour un véritable accueil des enfants Sourds, Ramonville, Erès, coll. Trames, 2008, 165p.
La question de l’intégration des personnes sourdes est également à analyser dans le milieu du travail. Nous avons déjà évoqué les difficultés d’embauche en entreprise des handicapés, il convient de s’interroger sur les moyens concrets disponibles pour les sourds une fois embauchés. Depuis 2007, des moyens sont mis en place par l’ANPE qui envoie les personnes sourdes vers le service d’insertion professionnelle de l’URAPEDA (Union Régionale des Associations de Parents d’Enfants Déficients Auditifs). Ce service a pour objectif l’intégration et l’autonomie socioprofessionnelle des déficients auditifs. L’URAPEDA se charge ainsi « de les accompagner pour sensibiliser l’employeur aux conditions d’intégration d’une personne sourde dans l’entreprise. »6 En effet, il est impératif de sensibiliser les personnes avec qui le sourd travaillera, vis-à-vis des possibles problèmes à l’écrit que peuvent connaître les sourds, ainsi que dans la manière de leur transmettre des informations.
1/ GRAWITZ (Madeleine), Lexique des sciences sociales, Dalloz, 8ème édition, Coll. Lexiques, 2004.
Il faut cependant remarquer que cette intégration au sein d’une population entendante a le bénéfice de permettre à l’enfant sourd de s’insérer plus aisément dans la société une fois la scolarité terminée.
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Jules Eugene Lenepveu, Jacob Rogrigues Pereire, date inconnue.
Devant cette prédominance de l’éducation oralisante, nous sommes en mesure de nous demander si la société est réellement dans une optique de reconnaissance de la culture sourde, ou bien si elle n’est pas en fait dans une négation de celle-ci, dans l’idée que l’effort d’adaptation à la normalité majoritaire doit venir des sourds, minoritaires.
VEUT-ON INTÉGRER LE SOURD OU BIEN VEUT-ON QUE LE SOURD S'INTÈGRE ? La question revêt deux entrées : dans un premier cas on considère que la société intègre le sourd, et c’est alors celle-ci qui s’adapte aux besoins du sourd. Il y a dès lors la mise en place d’un système éducatif spécialisé performant, des interprètes et des emplois « réservés ». Dans un second cas, il s’agit du sourd qui s’intègre à la société et « se conforme à la normalité environnante en oralisant, en se rendant dans des classes où il sera le seul dans son cas à ne pas comprendre les messages vocaux, à essayer de lire sur les lèvres et à manquer une majeure partie de ce qui est dit. »1 Il s’agit en fait de deux manières d’aborder la surdité, expliquées par Marc Renard2 :
- le modèle intégratif : il consiste en une préconisation de l’utilisation d’appareils auditifs et d’implants cochléaires, de la rééducation en orthophonie des enfants sourds visant à leur apprendre à parler, et d’une éducation oraliste. Ce modèle est celui qui s’est étendu après le congrès de Milan jusque dans les années 80. Il est dominant dans le milieu médical, le corps enseignant, chez certains parents d’enfants sourds et chez des devenus-sourds à l’âge adulte. Poussé à l’extrême, ce modèle vient à nier la surdité3, à vouloir faire du sourd un entendant, et de combattre ce « mal absolu » par la prévention ou la réparation. Le modèle intégratif peut avoir de bons résultats avec des personnes devenues-sourdes ou malentendantes, mais la plupart du temps, il tendra à isoler le jeune sourd de son groupe social.
- le modèle communautaire :
4/ MEYNARD (André), Surdité, l’urgence d’un autre regard : pour un véritable accueil des enfants Sourds, Ramonville, Erès, coll. Trames, 2008, 165p.
2/ RENARD (Marc), Les sourds dans la ville : Surdités et accessibilité, Paris, éditions du Fox, 2008.
Nous remarquons cependant qu’actuellement la société se situe dans un modèle intégratif, encourageant les implantations cochléaires et les rééducations d’enfants sourds. Les parents sont poussés aux opérations de chirurgie sur leur enfant sourd par le corps médical, laissant entendre qu’il s’agit de l’unique solution adéquate. « La toute récente mise en place d’une filière de soin, conduisant à un dépistage néonatal généralisé de la surdité au deuxième jour de la naissance pour tous les enfants de notre pays, est instructive à cet égard. Elle fonctionne comme aiguillage automatique vers un mode éducatif orienté vers le tout sonore. »4
1/ BOURCHEIZ (Loreleï), 2009, Représentation de la surdité, communication et intégration des sourds au pays des hommes intègres. Mémoire de Master 1 d’Anthropologie, Lyon, s. d.
Les caractères de ces deux modèles sont avant tout idéologiques et politiques, et ne reposent donc pas sur des faits scientifiques et rationnels. Ainsi le choix est laissé à chacun, entraînant par ainsi de nombreux débats entre les partisans respectifs de ces modèles, sans aboutir à un consensus.
3/ Discours de Alexis Karacostas, psychiatre, en introduction à la conférence « Surdité et langue des signes : analyseurs politiques, philosophiques et sociolinguistiques », 17 octobre 2011.
on reconnaît aux sourds l’existence d’une communauté linguistique et culturelle propre. Avec ce modèle, la langue des sourds est donc la langue des signes, l’éducation des enfants sourds doit être pratiquée dans cette langue, et il n’y a pas de préconisation d’appareillage ou de rééducation. Ce modèle est principalement reconnu parmi les personnes nées sourdes, les universitaires en sciences humaines, une partie des médias et politiques. Il amène également à une forme d’isolement, mais inverse à celle du modèle intégratif, puisque le jeune sourd peut cette fois-ci être isolé du monde entendant. Cependant, l’avantage majeur de ce modèle est de ne pas nier la surdité mais de l’accepter et de respecter les particularités culturelles et linguistiques des sourds. Cette position engage donc une reconnaissance de leur droit à exister.
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L’implant cochléaire, radio du cerveau d’une personne implantée.
Nous avons pu voir auparavant à travers de nombreux exemples que notre société n’est pas dans une pleine position de reconnaissance de la culture sourde, tout d’abord en raison d’une prise de conscience extrêmement récente de la condition sourde ainsi qu’une vision ancrée du handicap perçu comme une sorte de maladie à guérir. Ces jugements sont en partie nourris par les représentations qui peuvent être données des sourds, c’est pourquoi nous allons aborder la surdité sous l’angle de la communication au sein de la société, et de ses représentations.
UNE COMMUNICATION NÉGLIGÉE
LA SURDITÉ, UN HANDICAP OUBLIÉ Si nous comparons l’investissement des sourds dans des associations par rapport à celui des aveugles, nous pouvons réaliser que leur nombre est moindre : seulement un à deux sourds sur mille sont impliqués dans une association, contrairement aux aveugles chez qui nous trouvons une personne sur deux impliquée.1 Cela pose des problèmes en terme de représentations sociales de la surdité dans la mesure où les associations de sourds, faibles numériquement, ont peu d’impact politiquement, ce qui entraîne peu de déploiement de moyens en terme d’accessibilité.
Si l’on considère les représentations visuelles des sourds, on constate que peu d’efforts sont faits en terme de communication pour la condition sourde, malgré quelques campagnes d’information et des événements culturels sourds (comme la JMS, Journée Mondiale des Sourds, ayant lieu tous les ans et dont aucun citoyen ne pourrait citer la date ni même l’existence). On se rend compte que très peu de cette communication nous parvient, et que son impact est médiocre. Si l’on positionne la surdité en regard d’autres handicaps « visibles », comme les handicaps moteurs ou la cécité, il semble que celui de la surdité soit quelque peu oublié du domaine de la communication. Mais en effet, devant cette mise en avant du handicap physique, comment donner à voir, percevoir et comprendre un handicap invisible comme celui de la surdité ? Quand on considère les autres handicaps, on observe de nombreuses campagnes à l’initiative d’organismes tels que Handicap International, dans différents buts, aussi bien en terme : - d’intégration professionnelle (voir la campagne de la Semaine pour l’Emploi des Per-
sonnes Handicapées de l'ADAPT, ainsi que la campagne BNP Paribas et leur « Projet Handicap » pour faire évoluer les places des personnes handicapées dans l’entreprise. Cependant, il est une nouvelle fois fait usage du cliché du fauteuil roulant, alors que le handicap moteur ne concerne en fait que 3% des handicapés.2 Le handicap est rendu « esthétique » par l’utilisation d’une jeune femme souriante, sous forme de témoignage personnalisé : le message est principalement porté sur le fait qu’il ne faut pas « avoir peur » des handicapés, que ce sont des personnes comme les autres). - également dans le but de changer notre regard sur le handicap (handicap 2003 : " Vous voyez les handicaps, regardez plutôt les personnes ") et dépasser les préjugés et idées reçues sur les handicapés (Mission handicap : " Plus de 50% des gens voient d'abord un fauteuil roulant quand ils pensent au handicap : découvrer pourquoi ils ont 100% tort ". Les slogans sont décalés, les illustrations et codes colorés sont inhabituels dans des
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campagnes sur le handicap, l’utilisation de l’humour et d’un parti pris graphique fort sont à souligner dans cette campagne). - ainsi que pour l’accès culturel des personnes handicapées (campagne de Access-I avec le chanteur Stromae, visible dans tous les festivals de Belgique, afin de rappeler que tout le monde à le droit aux loisirs, et que l’accès aux lieux festifs doit être facilité pour les personnes souffrant d’un handicap. La campagne détourne une figure populaire en la plaçant dans une situation de handicap : l’image est forte, percutante, et peut toucher une génération concernée, mais il y a toujours la facilité de l’utilisation du symbolique fauteuil roulant).
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3/ Centre d’Information sur la Surdité, Campagne Itinérante de Formation et d’Information portant sur le Handicap (CIFIH), Mis à jour le 15.05.2011 http://www.cis.gouv.fr/spip.php?article3621
2/ NEU (Mathieu), « Handicap au travail : Tenaces préjugés ». Le nouvel économiste, 11/05/2011
1/ RENARD (Marc), Les sourds dans la ville : Surdités et accessibilité, Paris, éditions du Fox, 2008
Campagne de Access-I
De plus, le plan Handicap-2009-2011 du ministère de la Défense « fixe les objectifs du ministère en matière d’insertion et de maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap, et prévoit pour les années 2009 à 2011 la réalisation d’actions prioritaires telles que l’organisation d’une Campagne Itinérante d’information et d’Information portant sur le handicap (CIFIH) »3. Cette campagne vise à former les différents acteurs, informer et sensibiliser, rencontrer et créer une ouverture vers le grand public, en invitant notamment différents organismes spécialisés et les associations. Il parait difficile d’analyser l’impact de ces campagnes sur l’esprit des gens et leur implication envers le handicap, cependant nous pouvons penser qu’elles ont au moins le mérite de rappeler l’existence de ces personnes handicapées, et des difficultés qu’elles peuvent vivre. Considérons maintenant le handicap de la surdité, combien se souviennent d’affiches, de campagnes d’information sur la surdité ? Force est de constater que ces documents ne se croisent que dans des lieux spécialisés : chez des orthophonistes par exemple, et parfois quelques salles d’attentes de médecins. Les seules campagnes se
rapprochant du handicap sont celles menées sur les dangers du son écouté trop fort. Sur ce point, soulignons que l’État s’est tout de même engagé en 2011 à mener une campagne de sensibilisation sur les risques liés à l’écoute prolongée de la musique amplifiée. Il est également question de mettre en place « au moins » un journal télévisé du soir traduit en langue des signes en 2011 et le sous-titrage obligatoire en français de tous les DVD.
Plaquette de l'Agefiph pour informer sur la diversité des handicaps.
La journĂŠe mondiale des sourds, rassemblement en ville.
La communication autour du handicap semble se réduire à des campagnes centrées uniquement sur les handicaps moteurs. Il est problématique de réduire une population à cette seule image, qui va de ce fait s’inscrire dans l’inconscient collectif. Ainsi, il est quelquefois contesté aux sourds même leur situation de handicap, sous prétexte qu’ils n’ont pas de déficience physique visible. Faudrait-il en conséquence donner à voir cette surdité sous la forme d’un indice visuel identifiant cette surdité ?
DE LA DIFFICULTÉ À REPRÉSENTER LES SOURDS DANS LEUR TOTALITÉ Il a été réfléchi, par des acteurs sourds, à des solutions techniques, des objets susceptibles d’améliorer la visibilité de ce handicap. Ainsi, l’hypothèse de l’utilisation d’une canne a été soulevée, à l’image de celle des personnes aveugles, mais d’une autre couleur. Il a également été question d’adopter une sorte de logo sourd sur un badge porté en évidence. Le pictogramme international de la surdité, l’oreille barrée, reste beaucoup moins connu que celui des handicapés moteurs. Ce pictogramme représente une oreille stylisée sur fond bleu, barrée par une diagonale blanche. Le problème avec celui-ci est qu’il ne donne aucune information sur la nature des aides et dispositifs qu’il est censé signaler. C’est pourquoi la communauté sourde s’est emparée d’un nouveau pictogramme. Celui-ci montre deux mains ouvertes, à l’horizontale : c’est la représentation du signe « signer » en langue des signes. Par ce pictogramme sont signalés les lieux accessibles aux sourds, proposant par exemple une interprétation en langue des signes. Il existe également une « carte de surdité », différente selon les pays, permettant aux sourds de s’identifier.1 Les avis divergent sur le terrain de l’identification affirmée de la personne sourde, certains soutenant qu’il faut revendiquer sa surdité et préférant en informer l’entendant avant tout contact, d’autres estimant qu’il s’agit d’une forme de stigmatisation, ou n’en voient pas l’intérêt.
Différentes cartes de surdité. 100 │197
4/ Forum Le village des sourds, Sujet Un drapeau ? posté par Lanvin le 22 Juil 2011. http://levillagedessourds.fr-bb.com/t140-un-drapeau
3/ LADD (Paddy). Understanding deaf culture in Search of Deafhood, Multilingual Matters Ltd, 2003, 528p.
Si ce drapeau était définitivement approuvé, il pourrait être utilisé afin de représenter la communauté sourde à travers des événements sociaux, des manifestations, comme signe de ralliement et d’identification. Il est cependant contesté dans la mesure où la conception et le choix de ce drapeau semblent n’avoir été menés que par deux personnes. Les sourds revendiquent le droit de le choisir, éventuellement de voter pour élire ce drapeau qui pourrait les représenter à travers le monde. Ils critiquent également son manque d’esthétisme, et craignent par ailleurs une trop forte identification entraînant l’exclusion, dans la lignée des étoiles jaunes portées par les Juifs.4
2/ Auteur Inconnu, La communauté des sourds aura un drapeau, 22 juillet 2011. http://www.sourds.net/2011/07/22/la-communaute-des-sourds-aura-un-drapeau-video/
Ce drapeau, conçu par deux suédois sourds, est constitué de plusieurs bandes bleues, de cinq nuances différentes.2 Le chiffre 5 est lié aux 5 continents et 5 océans. Le choix de la couleur bleue est justifiée par la référence au ruban, expliquée par Paddy Ladd dans son discours du Treizième congrès de la Fédération Mondiale des Sourds à Brisbane (Australie) du 25 au 31 juillet 1999. « Le ruban est lui-même le souvenir de tous ceux qui ont souffert de l’oppression. Et le bleu est la couleur donnée par les nazis pour les sourds. Nous vous encourageons tous à porter ce ruban pour diffuser le message chez vous, et autour du monde, avec vos propres signes, dans vos associations, vos écoles... Apportez ce message vers les médias de masse pour que l’idée se diffuse très rapidement. Porter ce ruban bleu est un engagement, pas seulement dans un acte de mémoire de tous ceux qui ont souffert, mais aussi pour tous ceux qui souffrent encore aujourd’hui. »3
1/ RENARD (Marc), Les sourds dans la ville : Surdités et accessibilité, Paris, éditions du Fox, 2008.
Récemment, il a été avancé l’idée d’adopter un drapeau représentant la communauté sourde.
Rocky Zero & The Blind,
Dans une idée de revendication culturelle du handicap liée à une démarche artistique, le travail de Rocky Zero, en collaboration avec The Blind est intéressant dans leur approche consistant à détourner les codes du handicap. The Blind détourne le Braille en plaquant sur les murs des points en relief démesurés, et Rocky Zero s’approprie la dactylologie en représentant sous forme de dessins de mains, un message écrit dans l’alphabet gestuel. En référence au graffiti, ces interventions urbaines donnent de la visibilité à des codes représentatifs de la cécité et de la surdité dans un contexte nouveau. Cela donne également une visibilité à la langue des signes, peu représentée comme nous avons pu le voir, et participe à une certaine prise de conscience par les flâneurs suffisamment curieux pour s’y intéresser après y Budapest, 2010 avoir été confrontés. Ils questionnent ainsi le rapport entre le texte et l’image, à travers des messages énigmatiques, sous formes de points et de mains, compréhensibles par quiconque prenant la peine de s’intéresser à ces écritures.
Force est de constater qu’il est difficile, voire impossible, pour les sourds de s’accorder sur des symboles de représentations. Effectivement, le fait que les surdités soient multiples et différentes pose le problème, non résolu, d’une représentation commune des sourds. Cela n’aide pas la communauté sourde à avoir un impact visuel fort au sein de la société, et cela est d’autant plus problématique que les médias ne donnent pas de représentations complètes de l’étendue de la surdité. Intéressons-nous donc aux représentations des sourds à travers les médias, en particulier à la télévision, et leur portée sur l’esprit collectif.
LES RÉPERCUSSIONS DES REPRÉSENTATIONS DES SOURDS PAR LES MÉDIAS Quand on pense à la Langue des Signes, l’image récurrente évoquée par la majorité des gens est celle de la traduction des discours politiques à l’assemblée nationale, dans le petit médaillon en bas de l’écran. Il est regrettable que notre représentation première soit celle-ci, peu représentative de la richesse d’expression de la langue des signes, mais il s’agit néanmoins d’un premier pas vers cette culture sourde, pouvant susciter la curiosité voir une certaine fascination pour qui y prête attention. On observe que les représentations de la surdité et de la culture sourde sont peu nombreuses, il y a en effet peu d’information et beaucoup de clichés, faisant preuve d’une certaine médiatisation sans réelle représentation des problématiques quotidiennes. Tout cela est symptomatique d’une carence d’information sur le sujet de la surdité, et que cette médiatisation minime n’est pas représentative du degré d’existence réelle de la Langue des Signes et de cette culture sourde. Des émissions telle que « L’œil et la main », bien qu’ayant le mérite de faire la part belle aux personnes sourdes pendant un programme entier, ne sont pas vraiment attirantes pour quelqu’un qui ne connaîtrait rien à la culture sourde. Il faut déjà avoir une certaine curiosité et une connaissance du monde sourd pour regarder une telle émission. Ce type de programme touche donc un public restreint, déjà impliqué dans la cause sourde, et n’engage pas une ouverture culturelle de la part d’un public peu ou pas informé.
2/ Réalisé en 2003 en Belgique, Agence Leo Burnett.
On constate donc que l’apitoiement sur la question du handicap et la surestimation de celui-ci sont également des dangers, dans la mesure où le handicap n’est pas
1/ Réalisé en 1995 au Royaume-Uni, agence inconnue.
Il faut également souligner le problème lié à la communication existante, et notamment dans les reportages télévisés, qui est celui de la dramatisation du handicap, et de la culpabilisation que cela peut entraîner. Dans le sujet « Nous sommes tous des handicapés » de l’émission Culture Pub de la semaine du 3 décembre 2007, il est traité de la question de la représentation des personnes handicapées dans la publicité. Les publicitaires usent d’une multitude de tons comme la compassion, l’humour, et même le « trash », mais y’a-t-il une formule idéale ? Le reportage fait appel à Frederic Zeitoun, journaliste handicapé moteur, pour commenter des spots télévisés sur les handicapés. Dans le premier spot, « Anti exclusion : Manchote »1, montrant une manchote en train de cuisiner, manipulant les objets et la nourriture uniquement avec sa bouche, le journaliste commente : « pour moi c’est obscène, on n’a pas à culpabiliser les gens. Quand vous culpabilisez les gens, vous les amenez forcément sur un terrain misérabiliste. Et je pense que c’est ce genre de message là qui ancre dans les mentalités quelque chose de très négatif et presque inconsciemment maladivement craintif par rapport aux personnes handicapées. On montre quoi médiatiquement des personnes handicapées ? Soit la plus grande misère, ou alors on va vous montrer des héros, comme si on ne pouvait pas montrer un handicapé banal, normal, qui fait sa vie. » Pour illustrer ce propos, la publicité « Anti exclusion : Asshole »2 montrant un handicapé moteur tenant des propos misogynes, est ainsi commentée : « C’est la seule pub qui traite les handicapés sur un pied d’égalité en montrant que la « beaufitude » peut être aussi à roulettes. Ça, ça passe en France, il n’y a plus de problèmes. » Ainsi, cette publicité montre que les handicapés sont avant tout des gens comme les autres, et c’est ce genre de message qui peut faire évoluer les mentalités.
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considéré dans sa réalité quotidienne, mais dans une vision fantasmée.
« La langue des signes, c’est très joli, c’est poétique, c’est charmant. Pourtant, la surdité est sans doute le pire des handicaps. »
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4/ RENARD (Marc), Les sourds dans la ville : Surdités et accessibilité, Paris, éditions du Fox, 2008.
3/ BERTIN (Fabrice), Les sourds : une minorité invisible, Paris, Autrement, Coll. Mutations, 2010, 183p.
Commentaire d’introduction de l’émission « Reportages » diffusée sur TF1 en novembre 2009.
De plus, et cela se remarque à travers de nombreux reportages, il faut observer -et dénoncer- de fausses idées et des préjugés véhiculés par les médias sur la culture sourde et particulièrement sur la langue des signes. Dans le magazine télévisé « Reportages » et son documentaire « Sourds, et alors ? », il est donné une vision erronée et fantasmée de la LSF, présentée comme « jolie et poétique » mais sans utilité face au « pire des handicaps ».3 De plus, tout comme les handicapés moteurs semblent représenter l’ensemble des handicapés, le « muet-signeur-illettré » semble être le seul modèle de sourd véhiculé par les médias. Le public ne semble pas conscient de la diversité des surdités. Cela peut poser des problèmes en terme d’accessibilité pour les personnes sourdes, car ces représentations peuvent laisser penser qu’engager un interprète en langue des signes pourrait résoudre les problèmes, or, tous les sourds ne la pratiquent pas.4
À travers les difficultés liées à la surdité évoquées dans ce chapitre, nous remarquons que la place du sourd au sein de la société reste problématique. Pour dépasser ce manque de visibilité et de reconnaissance, il faut dépasser les clichés et préjugés liés au handicap, amener des idées et des représentations plus justes de la surdité. On se heurte ici à la difficulté même qu’entraîne la surdité : la barrière de la communication entre sourds et entendants.
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LE SOUR LA PARO ET L’AU
RD, OLE UTRE
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LE SOURD, CET ÉTRANGER QUI DÉRANGE
POURQUOI LA SURDITÉ DÉRANGE-T-ELLE ?
3/ Référence à la théorie lacanienne de la voix comme objet pulsionnel : « la voix sourde n’est pas définie selon la modalité sensorielle acoustique habituelle aux entendants, mais l’envisage comme la part du corps qu’il faut mettre en jeu, voire sacrifier, pour produire un énoncé signifiant quelle qu’en soit la modalité sensorielle. » PELLION (Frédéric), Surdité et souffrance psychique, Paris, Ellipses éditions, coll. Vivre et comprendre, 2001, 127p.
2/ DESCARTES (René), Discours de la méthode, V, Paris, Flammarion, Folio, 1991
1/ KANT (Emmanuel), Anthropologie du point de vue pragmatique, Paris, Gallimard, Flammarion 665, 1993
La surdité a cette faculté de susciter chez les entendants deux sortes d’attitudes différentes : les sourds peuvent ainsi être confrontés aussi bien à une forme de rejet que de fascination. Face à une personne sourde, la réaction des gens n’ayant que très peu de connaissances de la culture sourde, sera généralement d’éviter le dialogue, fuir en quelque sorte. Des sensations généralement éprouvées lors de ces rencontres, on retient une forme de malaise, de gêne, voire de la peur pour cette personne dont on ne connaît pas le langage, et qui parfois s’exprime oralement de façon étrange et dérangeante. Certaines personnes éprouvent également une forme de fascination, de celle qui impressionne et pétrifie, désarmant face à l’inconnu. En philosophie, nous distinguons également ces deux formes de réactions à travers les différentes évocations faites aux sourds. Chez Kant, en l’absence de langage, les sourds ne sont pas dotés de la raison : « les sourds de naissance, qui sont contraints, de ce fait même, de demeurer également muets (privés de langage), ne peuvent jamais parvenir à davantage qu’à un analogon de la raison. »1 À l’inverse, pour Descartes « les hommes qui, étant nés sourds et muets, sont privés des organes qui servent aux autres pour parler, autant ou plus que les bêtes, ont coutume d’inventer d’eux-mêmes quelques signes par lesquels ils se font entendre à ceux qui étant ordinairement avec eux ont loisir d’apprendre leur langue. »2 Intéressons-nous à ces sensations éprouvées par la plupart des gens, et que nous avons tous pu éprouver au moins une fois, que ce soit un simple trouble ou bien une franche angoisse. Il faut déjà analyser le rapport que nous avons à la voix du sourd. Nous avons déjà souligné le fait que le sourd, loin d’être muet, peut oraliser, ou s’il a choisi de s’exprimer en langue des signes, produire des sons, volontairement ou non, accompagnant ses gestes. Cette voix du sourd dérange, elle renvoie en effet à une animalité, une forme d’inintelligence. Comme l’explique Frédéric Pellion, cette voix n’est pas dans la norme, elle peut susciter le rejet et la répulsion par son caractère rauque et désagréable. La voix est un objet pulsionnel3, un enjeu de plaisir, et le sourd « se trouve concerné par cette problématique de la pulsion liée à la voix (...) : à travers sa voix acoustique,
qui manifeste presque toujours, même s’il est bien oralisé, une caractéristique d’étrangeté propre à mettre en avant cette présence pulsionnelle de la voix »4. Cette question de l’étrangeté et les ressorts du malaise suscité par la surdité sont analysés par Michel Poizat, qui évoque donc cette « inquiétante étrangeté du sourd. »5 Nous y voyons ici une référence à l’Unheimliche de Freud, c’est à dire ce qui provoque l’angoisse en général. Cette peur est donc perceptible dans notre rapport à l’étranger. Il faut d’ailleurs souligner la proximité des termes d’« étrange » et d’« étranger ». Étymologiquement, ces mots partagent la même racine dans la langue française. Le terme d’étrange renvoie à ce qui est inhabituel, incompréhensible, inquiétant et anormal.6 Ainsi le sourd nous conduit à cette peur de l’étranger, dont on ne comprend pas la langue. Alexis Karacostas évoque même une forme de « surdophobie »7 : face à l’étrangeté de la rencontre avec un sourd, la personne entendante va éprouver de la peur et opter pour un rejet de la surdité et du sourd, c’est-à-dire de l’intolérance.
8/ MOTTEZ (Bernard), La surdité dans la vie de tous les jours, Paris, Les publications du C.T.N.E.R.H.I, 1981.
7/ Discours de Alexis Karacostas, psychiatre, en introduction à la conférence « Surdité et langue des signes : analyseurs politiques, philosophiques et sociolinguistiques », 17 octobre 2011.
4/ Ibid.
« Il faut être au moins deux pour qu’on puisse commencer à parler de surdité. La surdité est un rapport. C’est une expérience nécessairement partagée. »8 L’entendant ne peut se faire entendre, le sourd ne peut se faire comprendre, et cette symétrie ne peut être totalement levée que s’il y a connaissance de la langue des signes des deux côtés.
6/ BOSTANJI (Sami), L’étranger dans tous ses états, Colloque international sur « L’étranger », Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis. Tunis, 28 février 2005.
Il faut d’autre part évoquer l’idée que la surdité est avant tout un rapport. Le sociologue Bernard Mottez explique très bien cette idée de symétrie du handicap. En effet, dans notre relation à la personne sourde, l’expérience du handicap est partagée. Le sourd place en réalité l’entendant en situation de handicap car celui-ci se retrouve dans l’incapacité à se faire comprendre.
5/ POIZAT, (Michel), La voix sourde : la société face à la surdité, Paris, Métailié, coll. Sciences humaines, 1996, 291p.
« La surdité est un rapport. »
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Anonyme, Petit garçon sourd entendant sa voix pour la première fois, 1990 « Le photographe a saisi l’instant précis où pour la première fois un petit garçon sourd entend sa voix grâce à un appareil auditif ».
La surdité est gênante dans la mesure où la personne entendante se retrouve en situation de handicap, confrontée à sa propre incapacité à communiquer. Si la voix du sourd peut plonger l’entendant dans un profond malaise, il est une autre modalité qui angoisse énormément tout un chacun : il s’agit du silence.
L'ANGOISSE DU SILENCE DANS LA RELATION À L'AUTRE Il est communément reconnu que le silence est perçu comme quelque chose de pesant, que d’ordinaire nous tentons de fuir. Par exemple, dans le contexte d’un échange, d’une discussion, la qualité de celle-ci est perceptible dans la fluidité et l’écho des interventions, et ce rythme, s’il vient à être brisé, provoque de l’inconfort. Analysons cette angoisse du silence à travers l’œuvre de Jason Karaïndros & Jacob Gautel, Le détecteur d’Anges.
Jason Karaïndros et Jacob Détecteur d'anges, 1992
Le détecteur d’anges est un révélateur lumineux du silence. Il est composé d’un socle en bois recelant un dispositif électronique sensible aux sons. Sous une cloche en verre de protection se trouve une ampoule reliée au dispositif électronique, le filament de cette ampoule entrant en incandescence lorsque le silence se fait. Ce dispositif capte les sons qui se trouvent dans Gautel, son environnement. Il ne s’allume que lorsque le silence est fait, non pas un silence total, mais un silence relatif au seuil d’audition de l’oreille humaine. La lampe s’allume alors, le temps de ce silence, et s’éteint au premier son. Le détecteur plonge les spectateurs dans cet état de silence faisant écho à celui des sourds, vécu irrémédiablement au quotidien. Ce détecteur d’anges établit donc un parallèle entre les personnes sourdes et entendantes dans la mesure où il invite les personnes entendantes à faire l’expérience du ressenti du sourd. C’est en fait à l’entendant que le silence s’impose dans son rapport avec le sourd. Le détecteur d’anges place la personne entendante en situation de confrontation avec le silence. Le détecteur intervient comme un révélateur de l’invisible, il questionne l’immatériel en le rendant visible. Le caché devient perceptible, révélant une autre idée du monde. Les artistes posent la question des moyens de capter et transmettre l’invisible, à savoir le silence. Comme dans l’œuvre 4’33’’ de John Cage, le
silence devient matière à écouter. L’environnement que l’on croyait alors silencieux est en fait perturbé par mille sons, des interférences discrètes mais présentes. Le silence n’existe pas, puisqu’il sera toujours composé de sons imperceptibles pour certains mais qui le seront pour d’autres, ou bien par l’intermédiaire de machines. C’est là la différence avec le vide sonore, que nous pouvons rapprocher de l’idée de néant, d’absence de matière. Le silence que l’on croyait total est en fait perturbé par de la matière sonore qui est donnée à entendre, dans l’œuvre de John Cage, lorsque le pianiste que l’on s’attendait à entendre jouer ne tient plus Charles-Henry Fertin, Toucher le son rôle de musicien. Le silence de John Cage désigne les yeux, 220x110x90 cm, 2007 l’ensemble des sons non voulus par le compositeur. Ainsi, le silence est perpétuellement troublé par une multitude de sons, et c’est ce que Charles-Henry Fertin illustre dans son œuvre Toucher le silence avec les yeux. Il met en exergue ces troubles faits au silence dans une sculpture qui accentue le son lorsqu’on la touche. Elle amplifie drastiquement les infimes bruits dus à un effleurement, un tapotement de la sculpture, et révèle ainsi l’imperceptible. Tout comme le silence n’est pas l’absence de son, le silence du sourd n’est pas vide de son. Il est fait de multiples vibrations, de perception des graves.
silence avec
John Cage, 4’33’’ for piano, interprété par David Tudor en 1952
Le paradoxe naissant du détecteur d’anges provient de la notion de silence absolu. Si le détecteur devait s’allumer lors d’un silence absolu, il ne s’allumerait en réalité jamais, sauf s’il était envoyé dans l’espace, le vide absolu. Le silence absolu ne peut exister seulement qu’en cas 119 │197
d’absence de matière, d’air par exemple, pour transporter les ondes, or il est impossible de percevoir ce silence absolu car le corps émet toujours un bruit. Nous pouvons donc parler dans cette œuvre de silence de perception, de silence subjectif : le détecteur ne s’allume que lorsque l’oreille humaine ne perçoit plus de son, et non quand il y a absence totale de son. Il est ainsi intéressant de faire le parallèle avec les sourds, car leur silence n’est pas absence de son, mais perception différente des vibrations sonores, une perception qui passe par d’autres canaux que l’ouïe.
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3/ POIZAT (Michel). La voix sourde. la société face à la surdité. Paris, Métailié, coll. Sciences humaines, 1996, 291p.
2/ LAVELLE (Louis), La parole et l’écriture, Paris, édition du Félin, poche, 2005, 217p.
1/ DETHORRE (Martine), Surdité : facette d’histoires, de corps et de langues, Psychanalystes, n°46-47, Paris, s.d., p.31-47
Le terme d’Anges fait référence à l’expression « un ange passe ». Celle-ci évoque le moment où un silence prolongé s’impose lors d’une conversation, devenant palpable, voire pesant. Cette expression est alors citée afin de détendre l’atmosphère. Pourquoi le silence est-il donc pesant, « de plomb » ? Il est difficile aujourd’hui pour l’homme de supporter le silence, devenu quelque chose à fuir, à combler. Il renvoie, selon Martine Dethorre, à « deux inconnues : l’avant-parole et l’après-vie ».1 En effet, le silence, c’est l’absence de langage et l’évocation inconsciente de la mort. C’est également un paradoxe : le silence de l’autre peut être sujet à diverses interprétations, aussi bien un silence de sympathie, d’acceptation, qu’un silence de profonde haine, de colère ou mépris, pouvant signifier aussi bien l’accord silencieux que le désaccord. Le silence c’est l’inconnu et le doute.2 C’est pourquoi le rapport d’un entendant avec un sourd est problématique par ce silence obligé. Devant ce silence dû à l’absence de parole (nous prenons ici le cas de sourds qui ne communiquent que par la langue des signes), et donc à l’absence de langage, l’entendant est confronté à un Autre qui aurait en quelque sorte perdu une partie de lui-même, qui serait défaillant. Le détecteur d’anges met en évidence le rapport de malaise que nous pouvons avoir avec le silence, ce qui fait écho au malaise que les personnes entendantes peuvent ressentir avec les sourds. En effet, la surdité questionne, il s’agit d’un silence invisible, interne à la personne. Cela renvoie à la sensation d’absence et donc de vide, celui d’une perte d’une partie de soi. Il est intéressant de voir qu’avec le détecteur d’anges, le public ne va donc plus se dérober face au silence. Dans ce
dispositif, on remarque que la mise en lumière n’interrompt pas le silence mais le met en exergue. Avec sa coque de verre, l’objet évoque une certaine préciosité, et la lumière délicate parait d’autant plus rare qu’elle est protégée. La simplicité du dispositif et son aspect épuré, débarrassé de détails inutiles (pas de fils par exemple) valorise d’autant plus la qualité lumineuse de l’objet. Il s’agit donc ici de ne pas fuir ce silence mais de le soutenir, l’entretenir et non le subir, et l’apprécier. L’important est de ne pas considérer le silence du sourd comme une barrière totale à la communication. Il est possible de mettre à profit ce silence, qui semble être un obstacle, plutôt comme le moyen de communiquer autrement : à travers la langue des signes par exemple, la communication est possible. De manière plus générale, le corps permet le langage, par le mime par exemple, ce qui peut aider à dépasser le malaise du silence. Le corps devient médium d’échange tout comme le détecteur d’ange est un support physique présentant une forme d’expression par la présence lumineuse. Le détecteur d’anges est donc le témoin de ce temps suspendu qu’est l’instant de silence. Il met en valeur cette rareté due à l’omniprésence, à la saturation du son et d’images dans notre société. Il prend le contre-pied de notre société et de son appétit pour l’absence d’accalmie sonore, la culture du zapping et du mouvement continu, le défilement d’images et le flux sonore, en figeant ici un instant de calme. Ce détecteur de silence est donc un répit, un moment de poésie. Outre l’évocation de la mort, le silence est ici imprégné de son aspect religieux, mystique, celui du silence monastique. C’est le silence du recueillement, un silence qui n’est plus agression mais calme et méditation.3 L’œuvre, par sa dimension collective et collaborative, induit un effet de groupe. En effet, les spectateurs présents seront amenés à agir ensemble pour le maintien du silence. La posture du public est donc singulière, inhabituelle, il s’agit de faire silence ensemble et ainsi de braver cette peur collective. Ici il appartient au groupe de se mettre en accord afin de créer ensemble l’apparition presque divine de la lumière.
J. Karaïndros et J. Gautel, Détecteur d'anges, version portable, 1992
Jason Karaïndros et Jacob Gautel, Détecteur d'anges, 1992 Proposition pour l’espace public.
Nous pouvons ainsi dire que le détecteur d’anges est une œuvre de participation sensorielle, engageant la vue pour donner à voir le silence. En ce sens elle fait le lien avec la surdité, les personnes sourdes compensant leur handicap auditif par la vue, dans l’idée de percevoir autrement le monde par le corps. Cette compensation du handicap entraîne de nouvelles modalités de perception, révélées dans le quotidien de la personne sourde.
DIFFÉRENCES CULTURELLES ET DE MODE DE VIE Dans le quotidien, en terme de mode de vie, les codes et les habitudes visuelles ne sont évidemment pas les mêmes pour les sourds que pour les entendants. Du fait de leur handicap, nombreuses sont les différences de perception entre sourds et entendants, par exemple en terme de perception de l’espace.
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3/ DELAPORTE (Yves) et PELLETIER (Armand), Moi, Armand, né sourd et muet... : Au nom de la science, la langue des signes sacrifiée, Paris, Plon, Coll. Terre Humaine, 2002.
2/ MOTTEZ (Bernard), La surdité dans la vie de tous les jours, Paris, Les publications du C.T.N.E.R.H.I, 1981.
1/ Voir le tableau en annexe 2.
Comme expliqué dans son tableau1, Benoît Virole souligne cette différence notamment dans le rapport des sourds aux indices vibratoires. Leur perception aux vibrations même légères est accrue. Leur interprétation d’éléments tels que les fenêtres seront également différentes : pour un entendant, la fenêtre fermée est un obstacle à toute communication, alors que pour un sourd, la communication en langue des signes est possible. A l’inverse, une porte fermée ne sera pas forcément synonyme de rupture totale de dialogue entre entendants, alors qu’il le sera systématiquement pour des sourds. Il en va de même avec la lumière, cruciale dans la vie des sourds : l’obscurité ou la pénombre les privant de toute possibilité de communiquer, à l’inverse des personnes entendantes pour qui la pénombre peut même être un atout à la conversation intimiste. Ainsi, au quotidien, les adaptations doivent être nombreuses pour les personnes sourdes, ne pouvant avoir accès aux signaux audio. Cela est le cas par exemple avec les sonneries de téléphone, le réveil, la sonnette : pour une personnes sourde, ces signaux audio doivent être adaptés de façon visuelle. Un système de signaux lumineux est souvent mis en place afin de pallier ces problèmes. De même il est préférable d’attirer l’attention d’un sourd par exemple en allumant et éteignant la lumière. Lors de l’échange et du dialogue, la personne sourde cherchera toujours le contact visuel appuyé, qu’elle s’exprime en langue des signes ou en oralisant, en lisant sur les lèvres. Il faut donc souligner l’importance primordiale du regard comme partie prenante de la conversation pour les sourds. Comme l’explique Bernard Mottez, il est vrai qu’il n’est pas habituel de soutenir le regard chez les entendants, cependant pour les sourds, un regard fuyant sera perçu comme une marque d’inintérêt voire d’hostilité.2
Ces nuances de modalité de communication peuvent engendrer des incompréhensions et malentendus. Ces différences culturelles sont d’autant plus marquées que les entendants sont incapables de comprendre ce que sont les sourds, les percevant avant tout comme des handicapés physiques. Comme nous l’avons vu, les sourds ne considèrent pas que leur surdité est un handicap à subir, mais plutôt qu’il s’agit d’une appartenance à une autre culture, dans laquelle les signes se substituent à la parole vocale. Ainsi, « être sourd, c’est être condamné non pas à ne pas entendre, mais à vivre dans un monde qui ne comprend pas les sourds »3. Ainsi les sourds ont développé des qualités surprenantes, telle qu’une culture visuelle exceptionnelle, une grande expressivité corporelle.
Ring, Meng Fandi, 2008
Réveil associé à 2 anneaux vibrants.
Virus du SIDA.
C’est la différence culturelle, et non la différence physique, qui distingue les sourds des entendants. Il convient alors aux sourds de trouver différents moyens d’adaptation au sein d’un monde d’entendants, immergés dans une société entièrement conçue par et pour les entendants. Il faut alors souligner l’importance des signaux visuels dans le quotidien des personnes sourdes : en effet, le monde des sourds n’est pas celui du silence, mais le monde visuel. Cet aspect primordial engendre nécessairement des différences de perception entre sourds et entendants.
DIFFÉRENCES DE PERCEPTION ENTRE SOURDS ET ENTENDANTES
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Un signe banal pour un entendant prendra une autre signification pour un sourd, l’actrice sourde Emmanuelle Laborit l’explique très bien en prenant l’exemple des représentations du virus du sida. Pour nous, cette boule piquante symbolisant le virus et donc le danger, est interprétée différemment par les sourds, qui la considèrent comme un soleil, et donc pas comme une source de danger.1 Il y a là un risque de non compréhension, de désinformation et de brouillage de l’information, pouvant mener à certaines conséquences sanitaires. Les sourds sont ainsi plus vulnérables, en raison du manque d’information accessible dans leur propre langue. La solution serait donc d’informer et de sensibiliser la population sourde à travers des vidéos en langue des signes, des campagnes d’information mettant en place des codes visuels qui ne seraient pas ambigus pour eux. La perception visuelle est nécessairement accrue chez les personnes sourdes, percevant et exploitant plus vite et plus finement les informations visuelles. Leur vision périphérique est ainsi beaucoup plus exploitée que les entendants. Leur vue compense et rétablit l’équilibre perdu, assure également la sécurité. Elle permet également de percevoir certaines attitudes de leur interlocuteur, comme l’ironie ou la gêne. Tout cela a pour conséquence de favoriser leur mémoire visuelle, leur permettant de mieux s’orienter et d’accumuler les signes et les figures de la lecture labiale.2 4/ Ibid.
3/ Conférence scientifique de François Champoux sur l’interaction audiovisuelle chez les porteurs d’un implant cochléaire, 29/04/2008 à Montréal (Québec).
2/ RENARD (Marc), Les sourds dans la ville : Surdités et accessibilité, Paris, éditions du Fox, 2008.
1/ LABORIT (Émanuelle), Le cri de la mouette, Paris, Robert Laffont, Vécu,1994, 217 p.
Effectivement, pour les sourds, les images sont le véhicule du sens, la perception visuelle est primordiale. Cependant, tout est créé par des entendants, même ce qui est à destination des sourds. Cela entraîne nécessairement des problèmes d’interprétation dus à des différences de perception, du fait qu’il s’agit de deux cultures différentes.
Cette acuité visuelle accrue est démontrée à travers l’expérience de Bellugi évoquée par Oliver Sacks dans son
livre Des yeux pour entendre. Cette expérience consiste en un exercice de reproduction d’un caractère chinois à partir d’un point lumineux mobile. Les enfants sourds signeurs le reproduisent alors parfaitement sur papier, alors que les enfants entendants échouent. Cela prouve le niveau d’attention des sourds aux plus petits détails visuels, et leur capacité de mémorisation visuelle. Ainsi, il a été prouvé scientifiquement que la plasticité du cerveau permet aux sourds de développer leurs autres sens, notamment celui de la vue. « Chez les personnes atteintes de surdité profonde, il a été démontré que le cortex auditif était pris en charge par d’autres modalités sensorielles, dont la vision. En effet, chez la personne atteinte de surdité, la perception de stimuli visuels de mouvement active les aires auditives. Ce recrutement des aires corticales inutilisées par le système auditif permet aux personnes atteintes de surdité de développer des capacités hors du commun à communiquer par le biais du langage des signes et de la lecture labiale. »3 De plus, leur perception des vibrations est également plus fine, leur sens tactile leur permet de percevoir par exemple le dysfonctionnement d’une machine, d’un appareil, ou de juger du régime d’un moteur. Ainsi, pour attirer l’attention il est courant de frapper le pied par terre ou du poing sur la table pour provoquer une vibration.4 Enfin, leur sens olfactif est également très fin, les personnes sourdes faisant souvent preuve d’une « intuition » olfactive.
Expérience de Bellugi,
SACKS, (Oliver), Des Yeux pour entendre - Voyage au pays des sourds, Paris, Seuil, coll. Points, 2009, p. 168
Emmanuelle Laborit faisant le signe " Union ".
On remarque donc que, sans l’audition, les autres sens sont évidemment mis à profit dans un but compensatoire. La place du visuel est essentielle, permettant de compenser la perte auditive. Ainsi, au sein des relations entre sourds et entendants, la place du regard dans la communication est primordiale. Ces modalités différentes de communication entre sourds et entendants placent souvent ces deux parties dans des situations d’incompréhension. Il convient alors de s’interroger sur les diverses manières de communiquer, à travers la langue des signes ou sans celle-ci.
LA QUESTION DU LANGAGE À TRAVERS LA LANGUE DES SIGNES
LES FONCTIONS SOCIALES DU LANGAGE Selon Fabrice Bertin, le langage ne sert pas qu’à communiquer, il permet aussi d’exprimer un ressenti au monde, le nommer et interagir avec lui.1
La place du langage dans la socialisation est capitale. Il est « à la fois le contenu et l’instrument le plus important de la socialisation ».
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Il faut distinguer les notions de langage et de langue : le langage, comme nous l’avons vu, est composé de plusieurs aspects : physiologique, psychologique et social, c’est la faculté de communiquer à l’Autre sa pensée. La langue « désigne la dimension abstraite et théorique du langage. Une langue est un système de signes propres à une collectivité que chacun doit apprendre pour parler.»2 Elle revêt deux fonctions principales : 3/ MINGUY (André), Le réveil Sourd en France : Pour une perspective bilingue, Paris, L’Harmattan, 2009.
2/ MANON (Simone), Descartes et la question du langage, 31/03/08, consulté le 05/12/11. http://www.philolog.fr/le-langage/
1/ BERTIN (Fabrice), Les sourds : une minorité invisible, Paris, Autrement, Coll. Mutations, 2010, 183p.
DARMON (Muriel), Domaines et approches : La socialisation, Paris, Armand Colin, 2010, p.109.
- la communication, dans le but d’échanger entre individus des idées, des sentiments, des pensées.
- l’identification : la langue est comme le marqueur identitaire quant aux caractéristiques de l’individu et de ses appartenances sociales.
On remarque ainsi que la langue des signes est avant tout le vecteur d’une identité ainsi qu’un moyen de favoriser et faciliter les rapports sociaux. En somme, c’est la langue des signes qui empêche de réduire la surdité au champ de la déficience. De nombreuses personnes sourdes évoquent leur grand soulagement et bonheur lorsqu’elles ont découvert la langue des signes, parlée par des gens comme eux. Dans le film « Le pays des sourds », une sourde raconte la grande joie qu’elle a eu de découvrir des sourds adultes parlant la langue des signes, et explique que ce fut à partir de ce moment qu’elle a commencé à changer et à
s’ouvrir au monde, en débutant par l’apprentissage de la langue des signes. La langue des signes est reconnue comme étant la langue maternelle des enfants sourds, si on l’en prive, comme ce fut le cas lors de son interdiction (où l’on allait même jusqu’à attacher les mains des sourds dans leur dos), le sourd sera reclus dans un monde qui n’est pas le sien, où il ne se reconnaîtra pas, auquel il ne s’identifiera pas. André Minguy témoigne ainsi de ce besoin langagier qui était pour lui le circuit visuo-gestuel : « Le langage gestuel ! Ce cercle visuel gestuel par excellence, m’avait permis d’être tel que je suis aujourd’hui. (...) (La langue des signes) m’a permis d’alimenter mon savoir, d’émettre mes pensées, mes choix, mes réflexions, de réceptionner et partager les connaissances que j’ai apprises au contact des sourds et des entendants sachant signer. »3 La langue des signes est ainsi l’ouverture nécessaire au sourd sur ses pairs et sur le monde.
" J'ai enfin vu des adultes qui étaient comme moi ! "
Jeune fille témoignant dans le film Le pays des Sourds de sa découverte émerveillée de la langue des signes.
L'alphabet dactylologique, d’après Albert Tabaot.
Nous avons donc vu en quoi la langue des signes est d’une grande nécessité dans l’ouverture et l’épanouissement du sourd. Cependant, il convient de s’attarder un moment sur la langue des signes et, justement, sur son statut de langue à part entière, qui n'a été reconnu qu’extrêmement récemment.
LA LANGUE DES SIGNES : UNE LANGUE À PART ENTIÈRE Nous avons pu souligner l’importance du terme « langue » des signes, et non « langage » des signes. En effet, bien que souvent évoquée voire revendiquée, il n’est pas question d’universalité. On retrouve parmi les langues de différents pays des similitudes, mais les langues signées européennes seront tout de même différentes des langues signées asiatiques, par exemple.1 « On compte plus d’une quarantaine de langues des signes pour plus de trois millions de Sourds dans l’ensemble des états membres du Conseil de l’Europe ».2 De plus, la reconnaissance de ces langues des signes n’est pas égale dans tous les pays : nous avons vu que les pays nordiques font figure de modèle dans ce domaine. La langue des signes existe depuis que des sourds peuvent se rencontrer mais ce n’est qu’il y a une quarantaine d’années aux États-Unis que le mouvement de reconnaissance des langues des signes en tant que langues à part entière et les recherches linguistiques à leur propos ont pris naissance. En France, ce n’est que vers la fin des années 70 qu’un tel mouvement s’est constitué. Ainsi, la reconnaissance de la langue des signes en tant que langue à part entière est extrêmement récente, il a été longuement débattu du statut de la langue des signes et il en est encore toujours de même. Nous pouvons effectivement nous interroger sur les capacités de la langue des signes à transmettre l’intégralité d’un discours en langage gestuel, ainsi que sur sa faculté d’abstraction. Selon Descartes, « les muets se servent de signes en même façon que nous de la voix » et « ceux qui sont sourds et muets inventent des signes particuliers, par lesquels ils expriment leurs pensées. »3 Descartes souligne que la perte d’un organe n’est pas un obstacle à l’expression de sa pensée. La voix est suppléée par le geste, et Descartes explique ainsi que ce qui manque aux sourds n’est pas la pensée, mais le langage pour la développer. La langue des signes est donc un véritable moyen de communication, au même titre que la voix.
Il faut préciser, toujours selon Descartes, que tout usage des signes n’est pas langage. En effet, prenons l’exemple des animaux manifestant des signes de joie à la vue de leur maître : il ne s’agit pas ici de signes se rapportant à la « seule pensée » mais plutôt d’un « mouvement naturel ».4 « Il semble donc bien que la parole, définie comme expression de la pensée, n’appartienne qu’à l’homme. Les hommes parlent parce qu’ils pensent, en revanche il est permis de considérer que les animaux ne pensent pas parce qu’ils ne parlent pas. »5 En somme, ils utilisent des signaux et non un langage.
7/ DIDEROT (Denis), Lettre sur les aveugles - Suivi de Lettre sur les sourds et les muets, Paris, Flammarion, poche, 2000
6/ Centre d’Information sur la Surdité, Iconicité, Mis à jour le 12/04/2005 http://www.cis.gouv.fr/spip.php?article248
5/ Ibid.
4/ MANON (Simone), Descartes et la question du langage, 31/03/08, consulté le 5/12/11. http://www.philolog.fr/le-langage/
3/DESCARTES (René), Lettre au marquis de Newcastle du 23 Novembre 1646
Au contraire, tout est traduisible en langue des signes, même les termes inconnus de la personne signant peuvent être formés par « néologismes », par associations de signes, et être compréhensibles.
2/ Ibid.
Cependant, nombre de voix se sont élevées contre l’utilisation de la langue des signes, pointant en premier lieu une soi-disant incapacité à l’abstraction et la symbolisation. Diderot, bien qu’ayant analysé la grammaire de la langue des signes avec finesse, ne semble pas avoir mesuré toute l’étendue de l’expression signée : « On éprouve, en s’entretenant avec un sourd et muet de naissance, une difficulté presque insurmontable à lui désigner les parties indéterminées de la quantité soit en nombre, soit en étendue, soit en durée, et à lui transmettre toute abstraction en général. On n’est jamais sûr de lui avoir fait entendre la différence des temps je fis, j’ai fait, je faisais, j’aurais fait. Il en est de même des propositions conditionnelles. »7 Par ces observations, Diderot fait écho aux préjugés que peuvent avoir les entendants sur la langue des signes, notamment sur l’idée reçue que les sourds seraient limités, intellectuellement, à ce qui est concret, matériel.8
1/ MEYNARD (André), Surdité, l’urgence d’un autre regard : pour un véritable accueil des enfants Sourds, Ramonville, Erès, coll. Trames, 2008, 165p.
La langue des signes a une forte part d’iconicité. Lorsque l’on s’exprime en langue des signes, on pense par images. Le propre des images, ainsi que des signes, est de pouvoir représenter plusieurs mots en même temps. La langue des signes est en fait une « pensée-images », et cette qualité ne semble pas être incompatible avec le statut de langue.6
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La remarque de Diderot met cependant le doigt sur certaines caractéristiques de la langue des signes, on observe ainsi que dans l’utilisation de la langue des signes « certains termes généraux sont remplacés par de brefs exemples suivis de ‘etc.’. Il ne s’agit pas d’une incapacité à accéder à l’abstraction ou à la généralité, mais d’une autre manière de l’exprimer. »9 De même pour la question de l’expression du temps, parfaitement traduisible en langue des signes : l’axe fictif du temps est déroulé devant le signeur, qui place les événements sur cet axe. De plus, l’aspect foisonnant des mouvements de la langue des signes peut laisser penser qu’il n’y a pas de signes linguistiques séparés et distinguables : « Une des difficultés à parler adéquatement des faits visuels est évidemment qu’ils se donnent comme de nature continue et inhomogène, alors qu’une démarche sémiotique ou mathématique ne peut guère s’appliquer qu’à des phénomènes discrets et homogènes, quantifiables en tout cas. »10
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15/ RENARD (Marc), Les sourds dans la ville : Surdités et accessibilité, Paris, éditions du Fox, 2008.
14/ Actes du Congrès de Milan,1881, pages 247-248.
13/ MEYNARD (André), Quand les mains prennent la parole : dimension désirante et gestuel, Ramonville, Erès, coll. Clinamen, 1995.
12/ POIZAT (Michel), La voix sourde : la société face à la surdité, Paris, Métailié, coll. Sciences humaines, 1996, 291p.
11/ SACKS (Oliver), Des Yeux pour entendre - Voyage au pays des sourds, Paris, Seuil, coll. Points, 2009, 320p.
10/ Groupe Mu, Traité du signe visuel, Paris, Seuil, Couleur Des Idées, 1992.
9/Ibid.
8/ Auteur inconnu, Langue des signes et philosophie, 12/04/2005, consulté le 5/12/11.
Selon Oliver Sacks, les propriétés formelles des signes autorisent l’expression de concepts abstraits. Leur aspect iconique ou mimétique leur permet d’être concrets et évocateurs, surpassant même peut-être certains parlers.11 Michel Poizat soutient que « refuser au signe gestuel le statut de signifiant sous le prétexte qu’il est visuel ou gestuel et non pas sonore, revient en fait à dénier à la langue des signes tout statut de langue pour la ravaler en fait au niveau du mime (...) En fait la langue des signes recourt à des signifiants découpés dans l’univers spatio-gestuel comme le langage oral recourt à des signifiants découpés dans l’univers acoustico-temporel. La modalité de construction du signifiant n’interfère en rien avec sa capacité à renvoyer à tel ou tel type de signifié. »12 Lacan précise d’ailleurs qu’il y a chez les sourds « une prédisposition au langage, même chez ceux qui sont affectés de cette infirmité (...) Le langage sur les doigts ne se conçoit pas sans une prédisposition à acquérir le signifiant, quelle que soit l’infirmité corporelle. »13 Ainsi, le congrès aura eu beau clamer que la langue des signes est « un substitut de langage et un mauvais substitut »14, il est désormais reconnu qu’il s’agit d’une langue à part entière, ayant son vocabulaire et sa grammaire spatio-gestuel propres, structurée et en tout point redevable d’analyses linguistiques. De plus, comme l’écrit Marc Renard, « les neurosciences et l’imagerie médicale du cerveau en fonctionnement ont confirmé l’analyse des linguistes. Les neurobiologistes savent que le langage est traité par la partie gauche du cerveau (les aires de Broca
et Wernicke). Des tests récents démontrent que ces aires sont bien activées par les langues des signes, mais que le cerveau droit est aussi associé au langage signé. (...) Ainsi, et cela clôt un débat immémorial, il est démontré que les signes sont d’authentiques langues. »15
Extrait du spectacle Héritages de Bertrand Leclair et mis en scène par Emmanuelle Laborit.
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Il est établi aussi bien linguistiquement que scientifiquement que la langue des signes est une langue à part entière. Nous constatons qu’à travers cette langue existe une culture, mais une culture dont le développement est freiné par l’ignorance des entendants visà-vis du fonctionnement d’une langue qui paraît inaccessible et qui est pourtant issue d’une logique simple : l’œil et la main. Cette langue à la grammaire corporelle peut être un atout pour les personnes entendantes : elle aide les personnes réservées souhaitant apprendre à s’exprimer, développe la connaissance de son corps et de sa relation à l’espace environnant, enrichie
l’imagination visuelle, désinhibe et ôte l’appréhension de la difficulté de communiquer avec un sourd. Moins isolés, les sourds sont ainsi moins handicapés. Nous pouvons donc nous pencher sur son fonctionnement et sur l’interaction naissant entre deux personnes, l’une s’exprimant oralement et n’ayant jamais connu d’autres moyens d’expression, et une autre dont la langue maternelle est gestuelle, les problématiques et les solutions naissant de ce contexte.
COMMUNIQUER SANS LA PAROLE La langue des signes est formée d’images dont on a extrait un caractère visuel significatif, et ce choix a la caractéristique d’être arbitraire. Les composants d’un signe sont principalement la configuration, la localisation et l’orientation des mains, le mouvement, l’expression faciale, ainsi que l’orientation du corps et du regard.1 Comme toute langue, la langue des signes nécessite du temps pour son apprentissage et son perfectionnement.
Exemples de mots en
Toute langue possédant sa propre version écrite, de nombreux chercheurs et écrivains se sont interrogés sur la nécessité de transposer la langue des signes à l’écrit. Dès 1825, Auguste Bébian invente la « Mimographie », qui tombera dans l’oubli après l’interdiction de l’enseignement des signes. Divers essais de notation et de systèmes d’écritures ont été élaborés, le plus complet et reconnu à ce jour étant celui de Valerie Sutton, le SignWriting.2 Extrêmement graphique et souvent relativement accessible quant à sa compréhension, les signes employés sont signifiants, d’une simplicité symbolique et complexe à la fois. Cependant ce système d’écriture, ayant été développé sous forme de logiciel gratuitement téléchargeable, n’est pas réellement utilisé, et pose donc la question de l’intérêt de son utilisation. D’une part, la complexité orale de SignWriting. la langue des signes, mettant en jeu des modalités telles que le regard, le point de départ des gestes, les mimiques faciales, le déplacement des mains dans l’espace, etc. est extrêmement difficile à retranscrire sous forme écrite. D’autre part, beaucoup de personnes, et notamment les sourds, ne voient pas d’intérêt à écrire une langue dont la principale qualité est d’être orale. Au premier abord, pour un entendant, l’idée de communiquer sans la parole est déstabilisante. Comment les entendants ne parlant pas la langue des signes font-ils pour communiquer avec les sourds ? Comme le fait apparaître Sylvie Mouttou, par communiquer, on entend un « échange de signes organisés qui constituent un langage et par le-
4/ RENARD (Marc), Les sourds dans la ville : Surdités et accessibilité, Paris, éditions du Fox, 2008.
En somme, sans connaissance en langue des signes, le dialogue est quasi-impossible, aussi bien pour l’entendant qui ne peut pas se faire entendre et comprendre, que pour le sourd, dont les signes ne seront pas non plus compréhensibles. Comme l’écrit Bernard Mottez, on parle donc de handicap « induit » : une personne non initiée à la langue des signes et tentant de communiquer avec un sourd devient « muette ». Elle est en effet privée de possibilités de communication.4
3/ MOUTTOU (Sylvie), Année inconnue. Favoriser la communication des enfants sourds avec des enfants entendants grâce à l’utilisation, à l’école, des outils de communication sur Internet. Diplôme et établissement de soutenance inconnus, s. d.
L’échange est bien évidemment laborieux et restreint, les conversations ne sont pas développées car il faut viser l’essentiel et se faire comprendre par l’emploi de termes simples. Avec l’utilisation de l’écrit, il faut faire le deuil de la spontanéité, et accepter une certaine frustration.
2/ RENARD (Marc), Écrire les signes : La mimographie d’Auguste Bébian et les notations contemporaines, Paris, Éditions du Fox, 2004, 137p.
On constate ainsi qu’un entendant confronté à une personne sourde ne s’exprimant qu’en langue des signes utilise des moyens pour établir une communication tels que le mime ou l’écriture. La situation est proche de celle que nous pouvons rencontrer face à un étranger dont on chercherait à se faire comprendre.
1/ RENARD (Marc), Les sourds dans la ville : Surdités et accessibilité, Paris, éditions du Fox, 2008.
quel nous transmettons un message. En 1963, Jakobson décrit la communication comme un processus reposant sur six facteurs : le destinateur (l’émetteur), le destinataire (le récepteur), le code, le message, le canal (le contact) et le contexte. »3 Dans le cas d’une communication entre personnes sourdes et entendantes, on remarque que le code de transmission du message est différent.
« La surdité est un miroir qui renvoie à chacun le reflet de nos propres difficultés à communiquer ». RENARD (Marc), Les sourds dans la ville : Surdités et accessibilité, Paris, éditions du Fox, 2008 145 │197
Il est intéressant de se pencher sur l’installation artistique de Agnes Hegedus, Between the words. Cette installation vise à engager un dialogue entre deux personnes dans un langage visuel et gestuel interactif grâce au virtuel. L’échange est non verbal et s’effectue via des mains virtuelles manipulées afin de former une multitude de signes et de significations. Ce travail met en exergue la richesse du langage gestuel, même improvisé, et l’importance de l’attention par le regard. Il est peut-être aisé de faire l’expérience de la cécité, en se cachant les yeux, mais celle de la surdité est plus difficile. Or une telle expérience pourrait être le début d’une prise de conscience de la part des entendants sur les difficultés qui peuvent être vécues sans l’audition. L’expérience présentée lors des Journées Mondiales des Sourds à Toulouse dans le « Musée vivant » se place dans cette volonté de démontrer aux entendants combien la communication est difficile pour un citoyen sourd sans mesure adaptée. Les personnes entendantes étaient invitées à porter un casque antibruit sur les oreilles et à déambuler dans plusieurs espaces reconstituant différents moments significatifs de la vie quotidienne d’un sourd. Une expérience ponctuelle comme celle-ci ne vise pas à faire comprendre la totalité des problèmes de la population sourde, mais est déjà réussie si la curiosité de plusieurs personnes entendantes est attisée.
Le signe « boire » : le geste illustre celui que l’on fait lorsque l’on porte le verre à la bouche. 146 │197
Agnes Hegedüs «Between the Words», 1995
Agnes Hegedüs «Between the Words», 1995
Sans la langue des signes, la communication entre sourds et entendants semble compromise, réduite à des échanges sur papier ou du mime. Mais l’expression gestuelle n’est-elle pas une nouvelle expérience de communication riche de nouvelles solutions ? N’y a-t-il pas à apprendre de la langue des sourds ? Ne peuton pas envisager la langue des signes non comme un obstacle séparant les personnes sourdes et entendantes plutôt comme un moyen de réunir ces deux cultures ? Il convient dans un premier temps de se pencher sur les contextes de rapprochement entre sourds et entendants.
SOURDS ET ENTENDANTS : VERS UN ÉCHANGE
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4/ HAQUET (Stéphane), Musique et Handicap, UFCV, Décembre 2003, consulté le 25/10/11.
3/ LABORIT (Émmanuelle), Le cri de la mouette, Paris, Robert Laffont, Vécu,1994, 217 p.
2/ Voir Annexe 3 : interview d’Eva.
1/ BLAIS (Marguerite), La culture sourde - Quêtes identitaires au cœur de la communication, Laval, Les Presses de l’Université de Laval, Coll. Sociologie au coin de la rue, 2006.
UN CONTEXTE CULTUREL COMME DÉCLENCHEMENT DU RAPPROCHEMENT DES SOURDS ET ENTENDANTS Faisons le point sur les structures mises en place pour rapprocher les sourds et les entendants : il faut souligner l’intérêt d’un contexte culturel pour rapprocher ces deux populations. En effet, des lieux comme le théâtre sont très propices à la rencontre et l’échange entre sourds et entendants, notamment à travers des pièces en langue des signes. Comme l’explique Marguerite Blais, le théâtre sourd est perceptible par un entendant car il élargit la langue des signes à un langage poétique du corps, proche d’une chorégraphie, et permet de se familiariser avec la culture sourde.1 Ainsi, le théâtre gestuel donne à chacun la possibilité de s’exprimer à sa façon, de réinventer la communication et de la rendre accessible à tous, sans discrimination. La musique est également un vecteur d’échange entre sourds et entendants à travers le ressenti de ces deux populations. Comme nous pouvons le lire dans de nombreux témoignages, sur des forums, ou lors d’entretiens menés comme avec Eva, ainsi qu’à travers des récits de vie comme celui de Emmanuelle Laborit, les sourds expliquent souvent ressentir les vibrations de la musique (« j’entends les sons forts et graves mais je perçois surtout les vibrations »2). Leur musique est également visuelle, ils sont sensibles au rythme visuel et vibratoire. Emmanuelle Laborit fait le récit de l’expérience de la musique, comme lors d’un concert où elle ressent les vibrations ; tous les effets de lumière, l’ambiance, la foule sont également perçus comme des vibrations. Elle « imagine le bruit, les couleurs de la musique. »3 Le ressenti musical passe donc
par la perception des vibrations musicales, comme nous pouvons le percevoir lorsque les notes très basses vibrent dans notre poitrine. Le visuel prend toute son importance dans la mesure où il accompagne la perception de la musique, faisant le lien entre ce que le sourd va percevoir et imaginer. Il convient de s’intéresser à la musique comme une forme de langage. Comme l’écrit Stéphane Hanquet, la musique est un langage universel, et peut être utilisée à des fins pédagogiques, thérapeutiques, solidaires et communautaires. Ainsi, la musique induit une notion de rassemblement.4 De ce fait, il est intéressant de se pencher sur des expériences artistiques de visualisation et de ressenti du son et de la musique, de musique visuelle. Norman McLaren est un des plus grands représentants du son synthétique. Après avoir expérimenté des procédés directement sur des bande-son en les grattant, il réalise plus d’une vingtaine de films produits de 1937 à 1983, dont Dots (1940), Neighbours (1952) ou Blinkity Blank (1955). Le plus connu est Synchromy, réalisé en 1971 pour l’Office National du film du Canada. En sept minutes, l’artiste propose une animation dans laquelle un jeu est créé entre les formes géométriques colorées et le son. Le tout est synchronisé, ce qui donne au spectateur l’impression que ce sont les motifs abstraits qui créent le son que l’on entend. Il donne ainsi à entendre l’image et à voir le son. Cette notion est abordée par les artistes Billy Roisz et Dieb 13, dans leur œuvre Not the same color, donnant à Billy Roisz & Dieb13, voir le bruit en image, en tant que matériau. Par l’interconnexion des caméras, moniteurs, synthétiseurs, ils créent des champs électromagnétiques perturbés. Le bruit devient visible sous forme de balayages verticaux successifs. Le ressenti physique est intéressant car il aborde les notions d’hypnose et d’étrangeté.
Not The Same Color, 2004
Ces expériences de retranscription musicale posent la question de la capacité de la musique, en tant qu’élément culturel, à conserver les mêmes concepts si elle est retranscrite visuellement ou graphiquement. Il est intéressant de se pencher sur la Flampoule : une œuvre s’inscrivant dans une nouvelle perception sensorielle ouvrant le champs des perceptions musicales pour tous, et notamment aux personnes sourdes. La Flampoule a été élaborée par Samuel Aden et Martin de Bie lors d’un workshop de 10 jours entre l’ENSAD et le Massachusetts Institute of Technology (M.I.T.). Le thème de ce workshop était la « matière hybride ». Il s’agit d’un prototype élaboré en collaboration avec des professionnels pour ses aspects techniques tels que le soufflage du verre et le maniement des circuits électroniques nécessaires. Le dispositif, relativement simple, est constitué d’un capteur de souffle (un micro), d’une batterie, d’une cellule photo-sensible, d’une Led RVB et d’un Arduino (une carte programmable open-source). La Flampoule est le premier instrument d’un orchestre d’instruments hybrides.
S. Aden & M. De Bie, Flampoule, verre soufflé, dispositif électronique et vidéo, 2010
Lorsque l’utilisateur souffle dans la Flampoule, il génère une lumière colorée, dont les nuances varient selon la note jouée, l’intensité lumineuse fluctuant également suivant la force du souffle. L’instrument traduit le son et le matérialise en temps réel en lumière. Il s’agit d’une réinterprétation du langage sonore en celui de la lumière et des couleurs. Plastiquement, la Flampoule s’inscrit dans une réinterprétation de l’instrument traditionnel. Le verre confère à l’objet de nouvelles propriétés, comme de la transparence, permettant au spectateur d’observer l’intérieur de l’objet, et d’étudier la complexité de l’électronique. Le système de connectique complexe laisse supposer que l’air est traduit électroniquement afin
de créer quelque chose. En fonctionnement, on comprend que l’air devient lumière via ces fils électriques. L’idée d’utiliser l’électronique -et donc l’électricité- afin de générer un produit musical, est également présente dans l’œuvre de Caleb Coppock, Graphite sequencer. En effet, l’artiste utilise les propriétés du graphite, qui permet de conduire l’électricité. Ainsi à l’aide d’un tourne-disque, de compteurs électriques et de dessins au graphite sur du papier, l’artiste génère des assemblages de fréquences, comprenant des informations élecCoppock, Graphite triques, comme un disque de données.5 Tout comme la Flampoule, le corps est 2007 - 2011 impliqué dans le processus de création, ici il y a une participation tactile dans la production sonore.
Sequencer,
Ces partitions hybrides sont chargées de musicalité graphique, évoquant les dessins de Kandinsky, dans l’idée d’une retranscription visuelle de la musique. Le travail de Roman HaubenstockRamati, comme dans Alone 1, évoque également le principe de musique chromatique présent dans l’œuvre de Kandinsky. R. Haubenstock-Ramati crée des partitions qui transposent les rapports spatio-temporels de la musique en rapports spatiaux visuels. L’œuvre est composée de signes géométriques, de lettres et de motifs plus abstraits, aux codes colorés précis, et semblant disposés de façon aléatoire et pourtant parfaitement organisée. La partition a une valeur esthétique qui est une véritable source d’inspiration pour les musiciens, et leur laisse une grande liberté d’interprétation. L’instrument prend également toute son ampleur lorsqu’il est photographié en pose longue : la lumière créée est ainsi figée dans son mouvement, révélant tout son pouvoir esthétique. Lorsqu’elle se déploie dans l’espace obscur, la Flampoule peut ainsi donner naissance
Roman Haubenstock-Ramati, Alone 1, 1965 155 │197
à une œuvre de lumière, une empreinte de la musique silencieuse qui y est jouée. Tout comme dans la Flampoule, le corps est impliqué dans le processus de création, ici il y a une participation tactile dans la production sonore, c’est l’artiste qui crée la partition par le dessin. Comme dans l’œuvre de Kandinsky, l’usage non figuratif du dessin vise à se rapprocher de la forme musicale. Ces travaux jouent sur le rythme visuel, la composition et l’organisation des motifs abstraits, ainsi que la couleur. Comme dans la Flampoule, cette idée d’associer des notes à de la couleur s’inscrit dans le champs de la synesthésie. La synesthésie est un mécanisme psychique. Il s’agit d’une relation entre différentes propriétés sensorielles perçues simultanément, comme une conjonction de sensations. Ces sensations s’ajoutent les unes aux autres sans s’annuler. Ce passage d’un mode sensoriel à un autre est involontaire, il survient de manière incontrôlée. On parle de synesthésie en tant que perception d’une sensation lors de l’écoute d’un son : cette sensation peut être colorée, olfactive, etc.6
S. Aden & M. De Bie, Flampoule, déploiement lumineux dans l'espace.
Dans le cas de la Flampoule, cette confusion des sens est matérialisée dans un objet, un instrument censé produire du son mais qui produit en réalité du la lumière colorée. Ainsi l’objet est à la fois le déclencheur et le producteur d’une sensation qui est ici matérialisée lorsque le musicien souffle dans l’instrument. Ce sont les créateurs de l’instrument qui ont mis à profit leur perception synesthésique afin d’associer des notes à une couleur. Ainsi le rouge leur évoquait une note aiguë, alors que le bleu intervient lors de la formation d’une note grave. Il s’agit d’un choix subjectif, car ces notes n’évoquerons pas la même couleur à tous.
8/ Projet visible sur le blog de Samuel Aden : http://samueladen.tumblr.com/musicalchair
Samuel Aden poursuit d’ailleurs ce qu’il avait commencé avec la Flampoule à travers d’autres projets et expériences, notamment dans le projet de chaise musicale8 pour les étudiants sourds et la pratique musicale. Ce projet a pour but de faire l’expérience de la perception du son par le biais d’autres sens que l’audition, comme le toucher, à travers les différentes parties de son corps. Ce dispositif d’interface amplifie les vibrations et leur perception. Une vidéo présente d’ailleurs le dispositif en situation, expérimenté par deux étudiantes sourdes, dans une pièce dans laquelle sont diffusées différentes sortes de musique,
7/ Discours d’un des deux créateurs, Samuel Aden, sur son blog : http://samueladen.tumblr.com/flampoule
« La Flampoule est un instrument à vent qui hybride le son et la lumière au bénéfice des sourds et des malentendants. (...) Le but de ce projet est d’ouvrir le monde des sourds à une métaphore du langage musical. »7
6/ LUSSAC (Olivier Lussac), La synesthésie, IDEAT, 18/01/2010, consulté le 29/12/11. http://www.artperformance.org/article-la-synesthesie-43151533.html
La Flampoule a pour vocation de s’adresser aux sourds et de leur proposer une solution instrumentale accessible malgré leur handicap. Cette idée est soutenue dans le discours d’un des deux créateurs, Samuel Aden :
5/ Patrick², Graphite Sequencer, 19/10/07, consulté le 29/12/11. http://www.ink-magazine.com/blog/index.php?2007/10/19/26-graphite-sequencer
Cet instrument permet aussi bien à l’utilisateur qu’au spectateur de prendre conscience de la matérialité du son créé. Ainsi, la flûte a l’avantage, pour le joueur, de matérialiser le son qu’il produit et qu’il peut ainsi observer et maîtriser, dans l’idée de créer une nouvelle harmonie lumineuse, et non plus musicale. Le spectateur est invité à percevoir autrement le son, à imaginer la symphonie colorée qui est jouée devant lui grâce aux indications colorées. Le relation qui s’instaure alors avec l’instrument est intime et individuelle : chacun est libre d’interpréter ce concert de lumière à sa façon.
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Partition de notes de la Flampoule.
avant des essais avec la propre voix des personnes. Visiblement, le dispositif amplifie suffisamment les sons et vibrations pour surprendre les deux personnes colorées sourdes. L’expérience est intéressante car elle procure des sensations dont les sourds sont demandeurs, mais évidemment difficiles d’accès pour eux. Les personnes sourdes arrivent ainsi à distinguer les sons graves des aigus, et l’expérience prend de l’envergure lorsque les sourdes expérimentent leur propre voix. Au départ plutôt réticentes, on comprend qu’il s’agit d’une expérience inédite et fortement déstabilisante pour ces personnes. Il s’agit en fait de mettre à profit de façon positive ce handicap auditif pour aboutir à des solutions valables tout d’abord pour les sourds, mais également pour les entendants, placés à égalité avec les sourds. Ces travaux menés en direction des sourds laissent entrevoir des solutions en terme d’expériences sensorielles nouvelles. On peut dès lors imaginer des concerts réunissant sourds et entendants autour d’instruments lumineux, dans une même approche silencieuse et lumineuse de la lumière. Cette expérience pose la question de la possibilité, dans une démarche de design, de concevoir des dispositifs qui mettent sur un pied d’égalité sourds et entendants. Des artistes musicaux ont fait l’expérience d’ouvrir leur concert aux personnes sourdes et de mettre en place des dispositifs leur permettant d’en profiter pleinement. Par exemple, Fumuj, groupe de « rock somesthésique » adapte ses dispositifs scéniques au public sourd, à travers des ballons, des colonnes permettant de percevoir les vibrations sonores, des jeux de lumière intégrés aux instruments, ainsi qu’une traduction en langue des signes en simultané. Les perceptions musicales accessibles aux entendants, comme l’harmonie, la mélodie, le rythme et le tempo, sont ainsi également accessibles aux personnes sourdes.
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Samuel Aden, Chaise Musicale
Samuel Aden & Martin De Bie, Flampoule, 2010.
Nous pouvons voir qu’un contexte culturel musical est favorable à l’échange entre personnes sourdes et entendantes dans la mesure où il est possible d’établir des dispositifs créant des parallèles entre les perceptions des uns et les perceptions des autres. Comment alors concrétiser cet échange, de quel ordre peut-il être, comment être dans un rapport d’égalité entre sourds et entendants ?
COMMENT FAVORISER L'ÉCHANGE ?
1/ NUSS (Marcel), L’identité de la personne « handicapée », Paris, Dunod, 2011.
Il convient de s’interroger sur la notion d’échange : qu’entend-on par là ? Il peut s’agir d’un échange d’informations, d’un échange culturel, ici entre cultures sourdes et entendantes.
Philippe Decouflé, Le p’tit 1993
Eva Koch, Approach, 200
Cela peut passer par une information publique, une sensibilisation à la surdité : il s’agit alors de trouver des moyens de faire changer les mentalités pour faire accepter et comprendre cet Autre qu’est le sourd. « L’évolution des mentalités, en toute chose, commence par une éducation des regards et des esprits, c’est-à-dire par la connaissance, fondement de la reconnaissance. »1 L’idée d’un échange culturel peut être conçue dans l’idée d’un apprentissage de ce que nous, entendants, pourrions apprendre des sourds : par exemple apprendre à regarder avec attention, s’attarder plus longuement sur les gestes et les détails faciaux. Cela passerait par un apprentissage de la langue des signes comme moyen d’amorcer cet échange par le biais d’un symbole culturel ouvrant la voie à la communication. La langue des signes peut également être le support à une ouverture culturelle de la part des entendants, comme dans la vidéo de Philippe Decouflé, Le p’tit bal perdu : la perception de la langue des signes est différente selon qu’on soit entenbal perdu dant ou sourd. Cette œuvre ouvre une piste réconciliante où la langue des signes (chorégraphiée, mêlée à des « jeux de mots visuels ») devient poétique au regard de l’entendant et valorisée au regard du sourd. Cette vidéo évoque d’ailleurs le théâtre sourd, dans l’idée de mêler chorégraphie et langue des signes. Cela est également visible dans l’œuvre de Eva Koch, Approach. Cette installation vidéo présente une chorégraphie en langue des signes, un spectacle compréhensible sans le son, et donc par les entendants. Ainsi, nous pouvons en conclure que le son est dispensable, car le corps parle de lui-même. Cette notion est présente au coeur du cinéma muet : on y lit des émotions sans la parole, les visages des acteurs ne sont qu’exagérations et amplification d’émotions par des mimiques faciales.
La langue des signes en tant ciment que de la culture sourde semble être le point de départ à l’idée d’un échange culturel. Comment se place la communication visuelle dans cette volonté d’établir un échange entre sourds et entendants ?
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QUEL RÔLE POUR LA COMMUNICATION VISUELLE ? Le choix d’aborder une culture gestuo-visuelle sous le prisme de la communication visuelle peut dès le départ se justifier, car, comme nous avons pu le voir, l’échange et la communication ne peuvent pas transiter par les canaux auditifs et sont donc compensés notamment par la vue. En ce sens l’utilisation du visuel est cohérente et logique car adaptée aussi bien au public sourd qu’entendant. Interroger la contribution de la communication visuelle à l’ouverture vers la culture sourde, c’est donc en premier lieu mesurer la portée de notre apport, analyser nos ambitions et donc fixer notre spectre d’intervention, la visée exacte de notre projet : s’agit-il d’une sensibilisation, d’une initiation, d’un apprentissage ? Quel contexte d’intervention pour quels dispositifs d’échange entre personnes sourdes et entendantes ? Dans l’idée de donner de la visibilité et de la lisibilité à ce handicap, la communication visuelle amènera de nouvelles représentations plus justes de ce handicap. Il s’agit de créer des supports en tant que passerelles d’échange entre sourds et entendants. Nous considèrerons donc la revalorisation de l’image des personnes sourdes dans notre société pour susciter un intérêt chez l’entendant, s’inscrivant idéalement dans la durée, une ouverture culturelle, une envie d’échange vers cette culture dont il ne connaît presque rien.
ÉVENTUELS ÉMETTEURS ET CONTEXTES D'INTERVENTION Nous pouvons nous interroger sur les potentiels commanditaires d’un tel projet. Ceux-ci réunissent les principaux acteurs de la culture sourde, comme les associations, mais également les salles de concerts et les festivals, de plus en plus impliqués pour la condition sourde. Plusieurs contextes d’interventions sont ainsi envisageables. Tout d’abord, s’inscrire dans un contexte culturel comme un lieu musical (comme un festival, une salle de concert...) aurait l’avantage de placer l’entendant dans une situation de handicap sonore, puisqu’il est exposé au bruit ambiant, aux dangers du son trop fort, et aux difficultés de communication. Ce contexte serait propice à une meilleure compréhension de l’entendant au sujet des problèmes et des enjeux de l’absence d’un sens. Ce lieu invitant à l’expérience du brouillage sonore ainsi que lieu en tant qu’espace de réunion entre sourds et entendants serait propice à un échange entre eux, avec comme point de départ ce contexte lié à l’exposition aux sons trop forts. On pourrait ainsi envisager un partenariat avec un festival ou un concert, afin de mettre en place des dispositifs d’incitation au dialogue dans des conditions de fort volume sonore, s’appuyant ainsi sur la langue des signes. Dans cette lignée, il serait intéressant de mettre en place un outil de communication facilitant la compréhension du langage des signes afin d’offrir aux entendants un moyen de dialoguer avec des personnes sourdes dans des situations du quotidien pouvant poser problème. Ce guide de communication en langue des signes serait un point de départ à l’apprentissage de la langue des signes comme fondement à l’échange. Cette proposition de guide pourrait s’inscrire dans une étude de la communication d’une association. En effet, il serait intéressant de donner de la visibilité à une structure d’échange entre sourds et entendants comme une association (plusieurs associations existantes se donnent pour but de rapprocher les cultures sourdes et entendantes). 165 │197
Le but serait ainsi de donner de la visibilité à cette association, de l’impact et par extension, aux événements qu’elle met en place, méconnus. Il serait ainsi possible d’établir conjointement une communication pour un événement tel que la journée mondiale des sourds, événement très important mais très peu connu. Cet événement se positionne dans cette optique de sensibilisation de la population à la reconnaissance de la culture sourde et de la langue des signes.
J’ai eu l’occasion de rencontrer les membres de l’association URAPEDA à Rennes. Leur but de faire reconnaître et de défendre les droits des enfants sourds, devenus sourds et malentendants et de leurs familles. Leur action consiste à s’adresser à la fois aux personnes sourdes et aux entreprises, dans une approche de sensibilisation ainsi qu’un suivi des personnes sourdes dans leur recherche d’emploi et leur insertion en entreprise. Les moyens d’action de l’union sont entre autres : - la publication d’un bulletin - la diffusion d’informations multimédia internes et externes - l’intervention auprès des pouvoirs publics - l’organisation d’actions de formation. Leurs moyens de communication sont restreints, par manque de moyens et d’acteurs. Leurs plaquettes de présentation et d’information ainsi que leur site internet sont obsolètes et manquent d’une cohérence de fond. Il n’a en effet pas été élaboré de charte graphique globale, et les documents sont souvent créés et remaniés par plusieurs personnes. Cependant des moyens ont déjà été mis en place pour communiquer sur la surdité, comme un petit guide d’aide à la communication avec les sourds à destination des personnes entendantes.
L’association est également demandeuse d’illustrations et de pictogrammes car l’existant n’est pas adapté ni accepté par les personnes sourdes pratiquant la Langue des Signes. Il y a un manque à ce niveau, car l’association souhaiterait se diriger vers une communication visuelle qui interpelle de suite, à destination de lecteurs très différents, aussi bien sourds qu’entendants, parents d’enfants sourds, etc.
Il a été question pendant cet entretien du problème du pictogramme sourd. Voici les préconisations du Ministère de la Culture concernant l’utilisation des pictogrammes : « L’utilisation de pictogrammes, soigneusement choisis, facilite la compréhension des messages pour tous les visiteurs. Les pictogrammes alertent les personnes handicapées sur la prestation qui leur est offerte et sensibilisent le grand public. Leur utilisation est essentielle pour ceux qui ne comprennent pas immédiatement des textes écrits : étrangers, mauvais lecteurs, personnes présentant un handicap mental, certaines personnes sourdes ou malentendantes, jeunes visiteurs... Les pictogrammes seront utilisés sur le site (abords et intérieurs) ainsi que sur tous les supports d’information (papier et en ligne). »1 Or, suite à une enquête menée auprès de différents sourd, il s’est avéré que ce pictogramme n’est effectivement pas représentatif de la communauté sourde, et n’est pas accepté. Il ne véhicule pas une image positive, mais réduit la population à l’unique champ de la déficience auditive (l’oreille barrée : on pense même à une sorte d’interdiction). De plus, ce pictogramme est peu ancré dans les représentations collectives et ne bénéficie que de très peu de notoriété. Il serait donc intéressant de penser à un signe emblématique qui pourrait se déployer sur différents supports, comme point de départ à une identité visuelle. À partir de là, une communication d’information et de sensibilisation pourrait se déployer en vue des différentes actions de l’association, auprès des différents publics évoqués. Une première forme de sensibilisation pourrait
1/ Commission nationale Culture et Handicap, Le pictogramme dans l’accessibilité, Paris, Mission Cité des sciences et de l’industrie, Mars 2003-Mars 2004.
Les problèmes de communication qui se posent sont avant tout manque de visibilité et d’une cohérence de fond, dû à une communication « tous azimut ». En ce sens, débuter par les missions de l’association, à savoir faire connaître et reconnaître les personnes sourdes, pourrait engager une action de communication plus visible et plus lisible.
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2/ RENARD (Marc), Les sourds dans la ville : Surdités et accessibilité, Paris, éditions du Fox, 2008.
passer par la création d’un guide pédagogique dans lequel les sourds se reconnaissent et qu’ils pourraient distribuer autour d’eux. Ce support visuel apporterait une information et attiserait la curiosité, et serait destiné aux adultes, sans être infantilisant : en somme, un guide simplifié mais pas simpliste. Marc Renard préconise à ce propos plusieurs indications : « Les brochures sont un vecteur privilégié de communication et d’information si elles sont bien conçues. Elles doivent être spécifiquement rédigées pour les sourds et malentendants. (...) La rédaction devra être simple, ce qui ne signifie pas « simpliste » ni « petit nègre », et l’on pensera à un lexique pour les termes techniques inévitables et les abréviations. Une meilleure efficacité est obtenue avec des dessins, voire une bande dessinée. »2 Évidemment, travailler avec une association implique de prévoir des budgets très limités, cependant l’ampleur de l’action ne doit pas être restreinte. Des solutions pertinentes peuvent être trouvées avec des moyens limités. Ces hypothèses restent encore ouvertes à l’état actuel et il est difficile de les concevoir dans leur globalité. Il s’agira de les préciser dans l’amorce du projet.
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POUR CONCLURE Il n’existe pas un seul modèle de handicap comme il n’existe pas une seule définition du handicap. Il s’avère en réalité que la notion de handicap est avant tout un rapport à la société, qui positionne la personne handicapée en situation de handicap, la minorité déficiente devant s’adapter à la normalité majoritaire. La surdité, en tant que handicap invisible, pose de nouveaux enjeux en terme de représentation. Il a été démontré qu’il y a culture sourde car il y a existence et reconnaissance d’une langue à part entière mais également un état d’esprit et un humour sourd, des traits de caractère sourds. Ainsi, la culture sourde est avant tout construite autour de sa langue, véhicule d’une forte notion d’identité et de revendication. Il en résulte une dialectique entre ce sentiment d’identité sourde unissant la communauté sourde et les problèmes que cela peut poser en terme d’intégration à la population entendante. Ainsi, choisir un mode d’intégration au sein de la société passe par le choix de l’oralisme ou du gestualisme, ce choix entraînant deux visions de la surdité : une déficience à réparer ou, à l’inverse, une différence, une aptitude à percevoir le monde différemment, à savoir par une perception visuelle et tactile accrus. La problématique majeure concernant la langue des signes est sa longue interdiction et sa reconnaissance légale extrêmement récente, générant des problématiques en terme de place, de reconnaissance et de représentation au sein de la société. Des réponses aux difficultés de vie quotidiennes des personnes sourdes naissent tout juste, mais leur solitude et leur isolement restent considérables, principalement vis-à-vis de la communauté entendante. De nombreux obstacles à la communication se dressent, et le dialogue s’avère souvent difficile, voire impossible. La surdité dérange, le malaise étant notamment du à la voix du sourd, renvoyant à une part d’animalité, l’angoisse du silence et l’impossibilité de communiquer. De ce fait, il est question de symétrie du handicap : les entendants se trouvent désarmés devant des personnes à qui ils ne savent pas s’adresser, ainsi placés eux-mêmes en situation de handicap, confrontés à leur propre incapacité à communiquer. Comme nous avons pu le constater, la relation de la société au handicap de la surdité pose des problèmes en terme d’image et de communication, la population sourde étant
victime de nombreux préjugés tenaces et d’une certaine absence des médias qui n’en donnent pas une représentation complète et signifiante. La surdité ne se situe pas forcément là où on le pense : on assiste ainsi à une surdité sociétale face à ce handicap. Comment alors éviter le dialogue de sourds entre une société entendante et la population sourde ? Il a été soulevé plusieurs solutions vers une « réconciliation » des sourds et des entendants. Tout d’abord, l’ignorance et la méconnaissance quant à la surdité peuvent être comblés par une information et une sensibilisation plus conformes à la réalité du handicap. Une représentation plus juste de la population sourde au sein des médias et des supports visuels quotidiens serait un premier pas des entendants vers les sourds. Il s’agit de donner de la visibilité aux sourds et à la culture qui est la leur : moins d’isolement, c’est moins de handicap. La communication visuelle se place dans la continuité de cette volonté de donner à voir et à comprendre une population sourde peu représentée. Ainsi, à travers la culture sourde et la langue des signes, il est question d’instaurer un échange culturel entre les personnes sourdes et entendantes. La langue des signes est, selon moi, le support idéal de cette volonté d’échange.
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ANNEXES
1. TABLEAU DE CLASSEMENT DES SURDITÉS PAR TYPE DE PERTE AUDITIVE RENARD (Marc), Les sourds dans la ville : Surdités et accessibilité, Paris, éditions du Fox, 2008, p.27.
TYPE DE SURDITÉS
PERTES AUDITIVES MOYENNES BIAP
INSEE (enquête HID 1998-1999)
Légère
20 dB à 40 dB
Moyenne
40 dB à 70 dB
Sévère
70 dB à 90 dB
Profonde
Plus de 90 dB
Totale
Plus de 120dB
Malentendant
40 dB à 65 dB
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Entend une conversation si une seule personne parle normalement Entend une conversation si une seule personne parle fortement
Incapacité à entendre une conversation même avec un appareil auditif
2. DIFFÉRENCES CULTURELLES ET DE MODE DE VIE TRAITS CULTURELS
DISTINCTIONS ENTENDANTS
SOURDS
RENCONTRE
Poignée de mains
Signe : bonjour
APPEL
Appel vocal
Appel de la main dans le champ visuel, tape du pied sur la plancher, variation de la lumière
NOMINATION
Patronyme et prénom donné par les parents
Signe donné par la communauté et conservé à la vie adulte
ESPACE PERCEPTIF
Indifférence globale aux indices vibratoires
Importance extrême portée aux indices vibratoires (différence dans le monde phénoménologique)
COMMUNICATION EN GROUPE
Disposition des interlocuteurs peu importante du fait de la communication vocale
Disposition en cercle hautement importante pour la communication visuelle
UNE PORTE
Sert à isoler deux pièces relativement
Sert à isoler deux pièces totalement et devient signe de rupture
UNE FENÊTRE
Fermée peut servir à rompre une conversation
Fermée, ne constitue pas un obstacle à la communication
APPEL DANS LE DOS
Acceptable
Hautement anxiogène par défaut d'alerte
VALEURS
Valeurs reçues de l'éducation parentale
Valeurs reçues de l'éducation parentale et celles construites d'après l'expérience de la différence
IDENTITÉ
Sentiment général d'être un élément d'une chaîne de transmission généalogique
Sentiment d'être un élément de rupture dans une chaîne de transmission généalogique
VIE POLITIQUE
Reflète peu ou prou les préoccupations quotidiennes
Est très éloignée des préoccupations quotidiennes
Tableau extrait de VIROLE (Benoît), Psychologie de la surdité, De Boeck université, Bruxelles, 1996, p.226.
3. INTERVIEW DE EVA J’ai choisi d’interviewer Eva, que j’ai croisé au détour d’un forum, et qui tenait un discours qui m’a fortement intéressé. Sourde de naissance, Eva s’est extrêmement bien intégrée au monde entendant, mêlant langue des signes et oralisation dans son quotidien. Son parcours scolaire est remarquable. De plus Eva est très ouverte au dialogue et a accepté avec plaisir de répondre à toutes mes questions, nombreuses, et parfois intimes. J’ai préféré mener cet interview auprès d’une personnes sourde que je ne connaissais pas du tout pour avoir un entretien neutre, sans implication émotive. L’échange s’est effectué par emails. Je voulais déjà en savoir un peu sur tes études, tu entres en seconde, c’est ça ? Comment s’est passé ton expérience scolaire, quelles ont été les difficultés rencontrées ? Tu as été dans des classes intégrées, as-tu parfois ressenti une forme de rejet ? Les cours étaient-ils suffisamment adaptés ? Comme tu le sais je suis en seconde, au Lycée Xavier Marmier à Pontarlier. En maternelle cela ne m’a pas gêné car j'étais sourde sévère et aujourd'hui je suis sourde profonde 2ème degré. Et c'est le moment où l’on a commencé à se douter de ma surdité. Après en primaire ça allait, sauf à partir du CE2 où l’on a commencé à vouloir me faire redoubler, et moi qui étais complètement contre. Je me souviens que ma relation envers mes camarades était difficile. J'étais souviens violente car je ne savais pas comment exprimer ce que je ressentais, ou ce que je voulais dire. Il faut dire que des bleus, ils en ont eu ! Ils étaient trop jeunes pour comprendre le problème. Les adultes aussi ne comprenaient pas forcément pourquoi je pouvais être violente. J'ai été appareillée vers l'âge de 6 ans, ce qui était plutôt tard. Donc je pense que j'ai pris du retard sur la communication. Ensuite au collège je pense que ça a été plus facile, surtout à la fin, à partir de la 4ème, grâce à un projet qui a changé le regard de certains à la surdité, où il y a eu une facilité pour moi. Il faut savoir que finalement, j'ai redoublé ma 5ème, ce qui a été un choc pour moi. Je m'étais battue pour que ça ne m'arrive pas et cela m'est tombé dessus... Malgré que j'avais une mauvaise moyenne, je ne suis pas convaincue que c'est dû à ma moyenne mais plutôt à ma surdité. Je ne me suis jamais remise de mon redoublement. Et puis après au lycée, ça a été très dur car il y a eu un changement complet, j'ai perdu tous mes repères. Le changement de professeurs, du lieu, de la manière dont sont enseignés les cours, tout ça n'a rien a voir avec le collège, malheureusement... Il y a le changement de camarades aussi, avant le lycée on avait tendance à se retrouver dans les mêmes classes. Et les élèves avaient pris l'habitude de me parler, ils savaient comment se comporter face à un sourd, ou plutôt, ils avaient les bases... Maintenant il faut tout recommencer, c'est bien l'inconvénient, mais l'avantage c'est que ça permet à d'autres personne de côtoyer un sourd et d'en apprendre un peu plus... Ceux qui ne savent rien d'un sourd, le rejetent plus facilement. Je pense qu'ils se disent : un sourd, ça n'entend pas, donc ça ne comprend pas, alors inutile de lui parler.
Tu évoques qu’à la fin de ta 4ème il y a eu un projet qui a changé le regard des gens sur la surdité, qu’est-ce que c'était ? Une action dans ton collège ? En 4ème durant l’heure de vie de classe, on faisait des activités sur la communication, le projet s’appelait « Communication et Codage », ex : virelangue, téléphone arabe, ce qui permettait de faire comprendre aux autres la difficulté de compréhension qu’il peut y avoir. Je leur ai aussi appris un chant en LSF, Toi + Moi de Grégoire. En fait c’est durant toute ma seconde 5ème que j’ai préparé ce projet, qui a pu être mis en place l’année de ma 4ème, et en 3ème il a été arrêté, mais j’ai continué sous une autre forme où j’enseignais la LSF (Langue des Signes Française) à une quinzaine d’élèves, qui ont apprécié cette année et à qui j’ai appris un chant en LSF que je faisais en chorale !
A ton avis, aujourd’hui, quels pourraient-être les dispositifs qui aideraient la vie des sourds au quotidien ? (je pense par exemple au sous-titrage des films...) Je trouve que dans le quotidien il manque beaucoup de choses, comme tu viens de le dire le sous-titrage des films est une chose. Par exemple ce mardi 29 novembre ma classe est allée au cinéma pour aller voir « La cérémonie » et moi je suis restée au lycée pour le regarder en DVD car normalement c'est sous-titré, eh ben... Finalement le DVD n'était pas sous-titré. Donc pour suivre le cours en rapport avec ce film, ça va être très dur ! Le sous-titrage sur les DVD devrait être obligatoire, dans tous les cinémas il devrait y avoir les sous-titres. On adapte bien les cinémas pour l'accueil des handicapés moteurs... Il ne faut pas oublier non plus toutes les chaînes à la télévision, certaines chaînes et certains films ne le sont pas non plus. Et il y aussi les postes audio à l'école ou ailleurs... On doit toujours faire avec et il y a rarement un support écrit. Il y a le manque d'interprètes en LSF ou LPC lors de visites au musée, lors d'un réunion ou autre...
Dans la vie de tous les jours, comment se passent tes relations avec les personnes entendantes, y’a-t-il des incompréhensions, des sentiments de gêne, de malaise ? Quand je veux parler avec quelqu'un, oui parfois je me sens mal, très gênée, stressée... Car moi pour me faire comprendre il n'y a pas de problème car je parle très bien, j'ai du vocabulaire et on me comprend, et ce n'est pas pour tout les sourds pareil. Mais quand il s'agit de comprendre l'autre personne c'est une toute autre histoire, car la personne peut être barbue, ou avoir une moustache, toujours la main devant la bouche ou encore la morphologie de la personne qui le fait parler d'une certaine façon mais ça on n'y peut rien, mais le reste, ça pourrait changer. Le fait que je parle très bien ne laisse pas de doute, cela laisse les personnes indifférentes, c'est fatiguant de toujours devoir rappeler qu'on est sourd, qu'il faut donc parler assez fort, et articuler un peu, sans mettre la main devant la bouche, ni à contre-jour, que le chewing-gum-gum-gum peut être gênant...
J’étais également très intéressée à la relation que les personnes sourdes ont à la musique. Comment perçois-tu la musique, avec et sans les appareils ? Pour la musique, sans appareils je l'entends, mais seulement dans les graves et les médiums, les aigus je ne les entends pas. Avec les appareils les sons sont amplifiés donc je peux entendre toutes les notes d'un piano sauf les plus aiguës, après cela dépend aussi de la surdité de la personne, mais je trouve la musique plus belle sans les appareils car le son est plus naturel. Après je ne sais pas si je perçois la musique comme les entendants.
As-tu déjà fais l’expérience d’un concert sans appareils ? Prends-tu aussi du plaisir à écouter de la musique sans appareils ? Oui, j'ai déjà fait l'expérience d'un concert sans appareils, j'entends les sons forts et graves mais je perçois surtout les vibrations. En fait, oui j'aime bien la musique sans appareils, comme je l'ai dis, je la trouve plus belle, mais je préfère avec les appareils car c'est plus fort et j'entends plus de sons donc c'est plus agréable car elle a aussi plus de sens. C'est un peu comme si on écoutait un CD, mais impossible d'augmenter le volume parce que ce n'est pas assez fort, donc je préfère avec les appareils.
Quelles sont tes relations avec les personnes sourdes ? En connais-tu, en fréquentestu ? Viens-tu d’une famille entendante ? Comment se sont passées tes relations avec les membres de ta famille ? Oui je connais des personnes sourdes car mon père et mon frère sont sourds aussi. Il peut être difficile aussi de communiquer entre nous car on a pas forcément les mêmes besoin, par exemple moi qui lis énormément sur les lèvres, je dois toujours rappeler à mon père de me regarder quand il me parle, et lui pour comprendre n’a pas forcément besoin de lire sur les lèvres. Avec mon frère, cela est plus facile car 177 │197
on est dans la même situation, sauf que lui utilise un peu plus la LSF que moi. On ne sait pas qui était sourd avant mon père, on n’a pas de connaissance. A par mon père, mon frère et moi, toute la famille est entendante. (Sauf mon grand-père qui lui, est sourd de vieillesse !) Ma famille peut poser beaucoup de questions par rapport a la surdité, on leur explique et après cela va très bien, ils sont capables de l’expliquer à quelqu’un qui ne s’y connaît pas vraiment, juste leur dire de parler en face, d’articuler, qu’on est sourd...
Tu t’es fais appareiller à l’âge de 6 ans, est-ce toi qui en avais formulé le besoin ou bien est-ce tes parents qui en ont pris l’initiative ? Ce sont mes parents qui ont pris l’initiative de m’appareiller, mon père, à l’époque était déjà appareillé d’une oreille, si j’avais eu le choix, je pense que j’aurais demandé les appareils auditifs, du moment que ce n’est pas l’implant, qui lui est irréversible.
En tant que graphiste je travaille sur les représentations des sourds dans la société. Comment juges-tu ces représentations des sourds : par exemple si tu as vu des reportages ou des documentaires à la télé sur les sourds, qu’en penses-tu ? Est-ce que tu trouves qu’ils parlent bien de la condition des sourds ou qu’au contraire ils sont pas forcément très justes ? Quand je vois des reportages ou des émissions, je trouve qu’il manque beaucoup de choses, il n’y a pas assez d’informations ou alors cela tourne toujours autour d’un même sujet. Il ne sont pas forcément très justes.
Est-ce que tu trouves que vous êtes assez représentés ou est-ce que tu ressens plutôt un manque d’information à destination des entendants ? Et si tu pensais que cela faciliterait un peu les choses si les gens étaient mieux informés sur la surdité ? Non on n’est pas assez représenté, il manque beaucoup d’information auprès des entendants. Les choses seraient certainement plus faciles, si on était inclus dans la vie des entendants, mais ils ont souvent tendance à nous rejeter, alors pour l’intégration auprès des entendants, cela est difficile.
4. RECUEIL DE TÉMOIGNAGES CONCERNANT LE PICTOGRAMME SOURD Jean-François Denéchère, parent d’un enfant sourd : « Les sourds ne l’aiment pas trop car, je pense, ce picto montre leur faiblesse et pas leur force. Je pense que le picto où l’on voit deux mains leur convient mieux. C’est toujours la même chose, mieux vaut montrer et revendiquer l’identité sourde plutôt que de montrer leur handicap. Une sorte de discrimination positive. »
Eva : « C’est vrai que pour ma part je trouve que cela est un peu « brusque » de barrer l’oreille, car oui on est sourd, mais être sourd ce n’est pas ne pas forcément ne pas entendre, il y a différents degrés de surdité. Cette image, pour moi, montre une surdité profonde, donc sourd a 100%, qui n’entend vraiment rien du tout... Oui je pense qu’il faudrait quelque chose qui parle de la langue des signes, qui soit plus représentatif et qui décrive bien les sourds en général, ce logo, je le trouve trop focalisé sur ‘‘personne qui n’entend rien’’. »
Lÿs, sur le forum levillagedessourds.fr : « Pour ma part ce pictogramme, bien qu’on le trouve un peu « partout » je ne vois vraiment pas à quoi il sert... Par exemple : Tu vas dans un guichet RATP, j’ai expliqué brièvement ma situation, ils ne m’ont absolument pas aidé, c’est plutôt du genre « on va se démerder vous inquiétez pas... » à quoi sert ce picto ??? Alors que je pensais qu’ils allaient retranscrire par écrit ce qu’ils disaient... non !!! Pareil... à la préfecture, je vois le même picto mais avec plus d’informations dessus, qu’ils ont un écran spécifique pour retranscrire la conversation... je n’ai pas essayé sur le coup mais est ce que ça marche réellement ? est ce qu’ils le mettent en pratique ? Les employés sont ils formés pour ? Beaucoup de sourds ne s’y retrouvent pas à cause de la barre je crois... Je ne sais plus exactement pourquoi, mais pour moi c’est simplement de la tapisserie. C’est pareil avec le picto « handicapé » que l’on voit généralement sur les places de parking, valable quand on a la carte bleue handicapé avec le même picto... C’est le même que celui qu’on voit dans les magasin pour les caisses prioritaires. Ils ont représenté tous les handicapés quel que soit leur handicap, par un fauteuil roulant.... c’est assez gênant pour ceux qui ne le sont pas. Voilà... il y a des pictos qui n’ont pas leur place... ou pas adaptés à toutes les situations. »
Toutatis, sur le forum levillagedessourds.fr « L’oreille barrée choque énormément les Sourds : ils ne se définissent pas comme des « oreilles abîmées » et aucune association ne l’utilise (sauf les associations oralistes en DA). Ce pictogramme n’est utilisé que par des organismes oralistes, et quand les Sourds voient ce truc bleu infâmant (car c’est ainsi qu’ils le ressentent à juste titre), ils voient rouge ! Ce dessin les réduit à une oreille barrée, comme s’ils étaient des sous-individus à qui il manque quelque chose : ce sont des citoyens avec leur langue et leur culture ! Donc vous ne le verrez jamais dans des endroits réellement accessibles aux personnes sourdes : à la Cité de la Villette (à Paris), par exemple, ce sont deux mains rouges de profil sur fond blanc, et des variantes ailleurs, puisqu’il n’y a rien qui soit plus ou moins officiel. »
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SITOGRAPHIE Sites d’informations générales : Actualité des Sourds, questions de société : http://www.sourds.net/ Portail d’information français sur et pour les sourd, actualité de la communauté sourde: http://www.websourd.org/ Site bilingue (français + traduction en langue des signes sous forme de vidéos et animations) à destination des sourds : http://www.visuf.com/ Site internet en vidéos LSF, apprentissage de la LSF : http://www.pisourd.ch/ Actualité du monde des sourds, nouvelles technologies... http://www.tendancesourd.com/
Site d’information en LSF : Centre d’Information sur la Surdité : http://www.cis.gouv.fr/ L’oeil et la main, Émission hebdomadaire : http://www.france5.fr/oeil-et-main/
Sites d’associations : Fédération Nationale des Sourds de France : http://www.fnsf.org/ Site de l’Union Régionale des Associations des Parents d’Enfants Déficient Auditifs : http://www.urapeda-bretagne.fr/ Site de l’Union Nationale des Associations des Parents d’Enfants Déficient Auditifs : http://www.unapeda.asso.fr/ Site de l’Académie de la Langue des Signes française pour promouvoir, diffuser et enrichir la langue des signes : http://www.languedessignes.fr/ Supports et outils pédagogiques adaptés dans l’accès aux savoirs pour les sourds : http://www.cstd.fr/ Ressource nationale musique et handicap : accès des personnes handicapées aux pratiques musicales : http://www.mesh.asso.fr/
Sites d’édition spécialisée : Vente de livres sur les Sourds et la LSF : http://www.visucom.fr/ Maison d’édition sur tablettes numériques. Ici, conte sous forme de livre numérique traduit en langue des signes : http://www.lasourisquiraconte.com/histoires-d-ecole/113-louise-ou-la-vraie-vie.html
Interviews, discours : Surdité et ouverture d’esprit. Interview d’Annie Boroy : http://annieboroy.suite101.fr/surdite-et-ouverture-desprit-a24769 Discours du Dr Alexis Karacostas, psychiatre : http://www.reach.ca/shared_future/fr/karacostas.htm Par extension : http://www.reach.ca/shared_future/fr/table.htm Répertoire des différents discours prononcés à la première Conférence canadienne sur la santé mentale et les surdités, dont le thème fut « Travaillons ensemble à bâtir un avenir commun ».
Dispositifs adaptés pour les sourds : Le dispositif « Museo » a été mis en place au Quai Branly. Le site explique son fonctionnement en tant que support numérique destiné à l’aide à la compréhension des enfants sourds : http://www.museo-lsf.com, consulté le 05/12/11 Multitouch, Jeu de langue des signes, table interactive : http://vimeo.com/5742640
Autres : Système d’écriture de la langue des signes. Logiciel à télécharger : http://www.signwriting.org/ Compagnie La Main Tatouée, Contes et spectacles bilingues français et langue des signes http://www.maintatouee.org/index.html Texte de la Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=E75523BF298230B421D66C555 9E690A8.tpdjo14v_1?cidTexte=JORFTEXT000000809647&dateTexte=20120220 Chroniques d’un interprète français-LSF en Ile-de-France : http://interpretelsf.wordpress.com/
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REMERCIEMENTS À Jean-François Denéchère, pour m'avoir ouvert en grand la porte sur le monde des sourds et transmis sa passion, ainsi que pour ses relectures, ses conseils et ses avis. Esther Goulard, pour son soutien de tous les moments et ses riches relectures. Vincent Menu, pour son aide lors de la mise en page et ses conseils avisés. Les professeurs et les autres élèves, particulièrement ceux dans mon environnement immédiat pour avoir supporté mes râlements quotidiens, mes doutes, mes blagues moyennes et mes réflexions à voix haute. Également ma colocataire, à peu près pour les mêmes raisons. Eva, pour avoir répondu à toutes mes questions, toujours avec entrain. Les membres de l'UNAPEDA, pour m'avoir reçu et avoir pris le temps d'échanger avec moi.
Achevé d'imprimer à Identic - Rennes en mars 2012. Laure Moullé 1A, rue du 10ème régiment d'artillerie 35000 Rennes 06.24.04.38.27 laure.moulle@gmail.com laure.moulle.free.fr
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LAURE MOULLÉ
MÉMOIRE DE DSAA COMMUNICATION VISUELLE 2012