Mémoire : La photographie éditée

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Place de la photographie éditée parmi les divers supports papier et numérique

École supérieure d’art des Pyrénées – site de Pau

DNSEP – Grade de master Mention Design Graphique & Multimédia

Février 2013 Laura Hordern



Place de la photographie éditée parmi les divers supports papier et numérique



I

I.1

Introduction 5

II

PETITE ÉTUDE AUTOUR DE L’IMAGE ÉDITÉE 10

II.1

– LE DÉVELOPPEMENT DE L’AUTO ÉDITION

Des livres de photographies 11

EN FRANCE 48 – LES APPLICATIONS MULTIMÉDIAS 55

– DÉVOILER UNE HISTOIRE 18

Les difficultés occasionnées par les fichiers numériques 59

– TÉMOIGNER, DOCUMENTER 19

– DROITS NUMÉRIQUES 60

– RASSEMBLER, COLLECTER 21

– LES DIFFICULTÉS DE PRODUCTION

– PARTAGER UNE PASSION, UN REGARD 15

II.2

– MONTRER LE MONDE 16

I.3

Un réseau informel 43 – DES ÉDITEURS INDÉPENDANTS 43

– PHOTOGRAPHIES SOUS INFLUENCE 13

I.2

ÉDITION 2.0 42

Le livre et le numérique, nouveaux usages, nouveaux comportements 23

ET DE VENTE DES FICHIERS NUMÉRIQUES 64 – QUELLE PÉRENNITÉ POUR LES OUVRAGES NUMÉRIQUES ? 66

– ÉVOLUTION DE NOTRE RAPPORT AU LIVRE 24

Quels modèles envisager pour l’édition multimédia ? 69

– DANS QUELLE MESURE INTERNET

– LA MUSIQUE EN LIGNE 70

AFFECTE-T-IL NOS USAGES DU LIVRE  ? 25

– LA PRESSE EN LIGNE 75

– DU LIVRE DE PHOTOGRAPHIE

– ARTE, UNE DÉMARCHE DIGITALE RICHE 77

VERS L’ŒUVRE MULTIMÉDIA 29

– SYNTHÈSE ET HYPOTHÈSES 80

De l’industrialisation du livre à sa mise en ligne 33

Conclusion 85

– L’INDUSTRIALISATION MASSIVE DU LIVRE 33 – DE NOUVELLES TECHNIQUES D’IMPRESSIONS 36 – DISTRIBUTION ET DIFFUSION 37

II.3

Glossaire 88 Références bibliographiques 92 Annexes 96 – FRISE CHRONOLOGIQUE 96 – DISCUSSION AVEC RÉMI FAUCHEUX 98



Introduction De nos téléphones mobiles aux livres d’arts, de nos sites web aux grands panneaux publicitaires, la photographie est présente partout. À une époque où l’image s’est ainsi vulgarisée, il n’est pas facile d’affirmer sa place dans le domaine de la photographie. Avec tant d’images, on peut se demander pourquoi en produire davantage ? Pourtant, j’ai toujours éprouvé la nécessité de prendre des photographies, convaincue que ce médium est encore capable de nous transporter et nous bouleverser, comme si sa profusion l’avait finalement transporté vers un langage universel que les hommes ont appris à apprivoiser. Ma volonté de partager des histoires pousse mon intérêt vers les différentes formes éditées que peut prendre la photographie, et je suis persuadée que ces formes évoluent au même titre que nous. Si la photographie est aujourd’hui une pratique ordinaire, les avancées technologiques ouvrent toutefois de nouveaux possibles au livre de photographie, ainsi qu’aux différents acteurs qui entrent en jeu : photographe, éditeur, récepteur. En effet, Internet et les outils numériques ébranlent beaucoup de domaines, y compris celui de l’édition, interrogeant ainsi nos comportements et nos usages. On a pu le voir avec

Introduction | 7


le monde de la musique, ou encore celui de la presse écrite, le numérique nous invite à repenser la création et le partage de la culture. L’écriture de ce mémoire est l’occasion pour moi de chercher ma place dans le milieu de l’édition de photographie, d’appréhender ses mutations pour mieux les anticiper. Il y a trois ans, la première génération d’iPad fait son apparition. Bien que les premières tablettes existaient déjà depuis 1987, la tablette commercialisée par Apple révèle un réel potentiel pour le monde de l’édition. C’est la première à présenter une interface tactile multipoint sensible aux doigts de l’utilisateur. Elle permet ainsi d’entretenir un rapport physique avec le contenu, et comporte l’avantage sur l’ordinateur de se présenter comme un support manipulable qui encadre littéralement le contenu et le met en valeur. Cet outil, qui aujourd’hui ne se limite plus à un seul fabricant, fait entrer la photographie dans une ère nouvelle en effaçant les barrières entre photographie et cinéma. Ce métissage apparaît en réalité dès la dématérialisation de la photographie, toutefois, les tablettes tactiles permettent la publication et la diffusion de ces véritables œuvres multimédias. La photographie éditée a désormais la possibilité de changer de forme, et cette ouverture entraîne un certain nombre de bouleversements. Le passage du livre de photographie à une œuvre multimédia, quels risques pour quels enjeux ? Pour répondre à cette question, je vais dans un premier chapitre étudier le milieu dans lequel l’image éditée évolue.

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Le numérique change la manière de concevoir les livres de photographie, en facilitant notamment sa réalisation. Cependant, les fondements mêmes d’un ouvrage sont restés les mêmes. Aussi, pour John Gossage, un livre de photographie doit prendre en compte quatre critères essentiels : Premièrement, il doit renfermer des œuvres de qualités. Deuxièmement, il doit faire jouer ces œuvres comme un univers concis au sein de l’ouvrage. Troisièmement, son esthétique doit parachever le sujet traité. Enfin, son contenu doit susciter un intérêt permanent.[1] Pour détailler ces fondements et comprendre quels enjeux se cachent derrière les livres de photographie, et par extension derrière toutes les œuvres photographiques éditées, je commencerai mon étude par un approfondissement de quelques ouvrages. Je me pencherai ensuite sur les différentes innovations qu’ont connu le livre, pour mieux comprendre dans quelle mesure le monde informatique affecte son utilisation, et pour finalement m’intéresser à une nouvelle forme de photographies : les œuvres multimédias. Face à ces mutations, on peut se demander dans quel contexte ces innovations trouvent leurs places. Mais aussi comment l’industrie du livre les prend en compte pour se développer. Je terminerai alors le chapitre I en essayant de répondre à ces questions, et en faisant un petit tour d’horizon sur l’état de l’industrie du livre aujourd’hui.

1 John Gossage, repris par Martin Parr et Gerry Badger dans Le Livre de photographies : une histoire volume I, Paris, Phaidon, 2005, p.7

Mon deuxième chapitre sera orienté vers une édition qui s’enrichie des usages du net, une édition qui évolue vers plus de simplicité et plus d’interactivité, une édition 2.0. Le choix d’utiliser ce terme repose sur ce constat : depuis Gutenberg, l’imprimerie n’a pas connu d’innovation

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fondamentale et le graphisme éditorial n’a fait que suivre les tendances sans changer de forme. L’apparition d’un nouveau support pour l’édition se place alors comme la première plus grande transformation depuis sa création. La question n’est pas de savoir si cette dernière va remplacer le livre traditionnel, mais comment elle peut l’enrichir. Je commencerai par examiner les différentes formes d’éditions qui se développent en utilisant ce que nous offrent les outils informatiques, des techniques d’impressions aux services en ligne. Ces formes, qui échappent à l’édition traditionnelle, créent un véritable réseau informel qui contribue notamment à maintenir une diversité éditoriale riche. Je m’intéresserai aussi aux applications, qui permettent entre autre de considérer une histoire avec une narration singulière. Ces publications multimédias se confrontent cependant à des difficultés d’un nouveau genre : celles liées aux fichiers numériques. Ainsi, de la fabrication à la pérennité des ouvrages numériques, je développerai les différentes contraintes de ces fichiers. L’édition numérique en photographie n’en est encore qu’à ses débuts, et constitue un terrain propice à la recherche et l’expérimentation. Différents modèles nous montrent les nombreuses possibilités qu’elle laisse entrevoir, et je vais alors en étudier quelques uns pour pouvoir ensuite imaginer les rôles et services qu’un éditeur pourrait proposer dans ce domaine.

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Introduction | 11


PETITE ÉTUDE AUTOUR DE L’IMAGE ÉDITÉE


Des livres de photographie

I.1

Le livre de photographie est une forme d’art autonome, comparable à une sculpture, à une pièce de théâtre ou à un film. Les photographies perdent leur caractère photographique d’objets « en soi » pour devenir les composantes, exprimées à l’encre d’imprimerie, d’une création exceptionnelle appelée livre. Ralph Prins La photographie, qui concilie dans un même temps l’art et la science, a de multiples usages et d'innombrables objectifs. À la fois art et moyen d’expression de masse, elle a une histoire complexe, où technique et esthétique évoluent ensemble. Il existe diverses façons de l’aborder, et c’est par le livre de photographie que je m'y suis intéressée. En effet, je vois le livre de photographie comme un moyen d’exposer des réflexions et de transmettre sa vision à un large public. Cette « forme d’art autonome » qui a la capacité de transformer notre perception du monde réunit en une même création mes intérêts pour le graphisme et la photographie. Le message central qu’il transporte passe par l’image

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1 introduit la reproduction des images 2 Martin Parr et Gerry Badger, Le Livre de photographies : une histoire, Paris, Phaidon, 2005 3 voir en annexe 1 la frise chronologique pour situer les ouvrages

a William Henri Fox Talbot, The Pencil of Nature, Londres, Longman, Brown, Green & Longmans,1844–1846

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et il possède un caractère propre. Son évolution à travers le temps est passionnante, et en dit beaucoup sur l’histoire de nos sociétés. En effet, les photographies qu’il renferme agissent comme un miroir de nos sociétés ; elles reflètent les valeurs de notre temps et transportent révoltes et passions. Pour beaucoup de photographes, l’aboutissement de son travail en un livre soigné représente une admirable finalité. Il serait alors bienvenu de commencer cette histoire avec l’inventeur du procédé du « dessin photogénique »[1], William Henri Fox Talbot, qui composa ce que l’on peut définir comme le premier manifeste de la photographie : The Pencil of Nature [a], en 1844–1846. Cependant ma volonté ici n’est pas de proposer une histoire du livre de photographie, ce qui a d’ailleurs déjà été fait par Martin Parr et Gerry Badger[2], mais de réfléchir sur quelques livres que je trouve particulièrement intéressants, notamment du point de vue graphique et historique. Cette réflexion permettra de considérer leurs raisons d’être, de voir à qui ils s’adressent, quels messages ils transmettent et comprendre pourquoi ils retiennent l’attention. Car il existe effectivement beaucoup de livres comportant des photographies, mais cela ne suffit pas à les faire entrer dans la catégorie des livres de photographie qui possèdent une essence propre. Je ne respecterai pas toujours l’ordre chronologique d’apparition des livres[3]. J’ai volontairement choisi de m’intéresser à des livres de différents courants photographiques pour plus de diversités, mais n’aspire à aucune exhaustivité. À travers ces différents exemples, nous verrons les multiples approches possibles du livre de photographie, ainsi que les questionnements qu’ils soulèvent.


Les premiers albums photographiques ont été publiés dans une perspective documentaire. Néanmoins, je ne développerai pas cette période mais commencerai la présentation par Moskva Rekonstruiruetsya, un livre réalisé en 1938 par Aleksandr Rodtchenko et Varvara Stepanova. Il faut savoir que le livre connaît un grand essor après la Première Guerre Mondiale. En effet les innovations techniques permettent alors des tirages importants et une rapidité de production pour des prix compétitifs, ce qui renouvelle le livre en un objet ordinaire de consommation. D’autre part, la photographie prend une place nouvelle dans les livres, et dévoile enfin de nouvelles capacités : d’abord utilisée dans les livres pour illustrer ou pour orner, elle s’organise désormais en une œuvre autonome qui véhicule du sens sans l’intervention de l’écriture. Je porterai ainsi mon attention sur les livres conçus entre les années 30 et les années 2000 car cette période témoigne de l’évolution du livre de photographie en tant qu’objet d’art.

4 se référer au livret de reproduction pour voir l’ouvrage en I.1.1

PHOTOGRAPHIE SOUS INFLUENCE Moskva Rekonstruiruetsya [4] (La Reconstruction de Moscou) est un livre soviétique réalisé par Aleksandr Rodtchenko et Varvara Stepanova en 1938. Il est relié en vinyl bleu, et composé de photographies imprimées en un seul ton de couleurs variées, de dépliants encartés, de cartes et de diagrammes. L’album relate les travaux colossaux de reconstruction de Moscou durant les années 1930. On y trouve d’abondants effets graphiques, notamment des dépliants de toutes tailles, des rabats découvrant de nouvelles images, et même une partie cartographique sur laquelle est collé un livret.

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Ces effets nous entraîne dans une lecture active, et nous implique ainsi dans ces grands travaux. Pour situer cet ouvrage, et comprendre comment est apparue cette intégration nouvelle et durable du visuel et du textuel caractéristique des ouvrages de propagandes soviétiques, il faut se plonger sous le régime de Staline. En effet, la propagande y est alors utilisée comme une arme en imposant un raisonnement qui ne supporte aucune opposition. Et comme les masses russes sont majoritairement analphabètes, l’image photographique, avec sa fidélité apparente au réel et sa facilité de réalisation devient l’outil parfait de propagande. Les images sont le plus souvent retouchées, et les compositions soigneusement étudiées pour véhiculer une idée ou manipuler l’opinion. Car même modifiée, la photographie est encore perçue comme une attestation du réel. On la voit alors apparaître sur les nombreuses affiches ainsi que dans les ouvrages qui comportent chacun les messages bolcheviks. Moskva Rekonstruiruetsya se présente sous la forme d’un rapport régional. Le style donne un air joyeux à l’ouvrage, qui bénéficie d’une conception graphique très soignée. Il a été conçu pour une diffusion interne auprès des commissaires du peuple et des chefs de parti. Le livre de photographie permet ici d’imposer un point de vue, en le documentant d’images réalistes qui ne permettent aucune réprobation. Le contrôle et le verrouillage de l’image permettent alors d’étouffer toute opposition. Cet ouvrage constitue un beau témoignage qui interroge les frontières entre idéal et réalité, entre information et mensonge.

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PARTAGER UNE PASSION, UN REGARD

En 1945 le livre Ballet [1] d’Alexey Brodovitch est publié. Les photographies transgressent toute notion de travail bien fait : images floues, durement contrastées, avec du grain. Brodovitch amplifie volontairement ces défauts et s’oppose alors aux conventions en vigueur de l’époque. La mise en page est elle aussi radicale : le livre est divisé en onze parties correspondant chacune à un ballet. La préface comprend un texte – le seul – écrit par Edwin Denby ainsi que des photographies de différents danseurs qui se maquillent, échangent des regards et se préparent au spectacle. Le lecteur se croit au milieu des artistes, et ressent la tension qui précède la danse. Un titre en gros caractère annonce ensuite le premier ballet, et les photographies s’enchaînent page après page jusqu’à la prochaine danse, comme le déroulé des séquences d’un film. Le dynamisme créé s’harmonise parfaitement avec le mouvement de la danse. Le livre de photographie correspond au spectacle, avec ses temps forts, ses inflexions, ses mouvements. L’ouvrage a été tiré à quelques centaines d’exemplaires seulement, et devient vite une référence pour beaucoup de photographes. Brodovitch est un personnage capital du monde New Yorkais des années 1940 et 1950. À la tête de la direction artistique chez Harper’s Bazaar [2] de 1934 à 1958, il modernise la mise en page et donne plus d’importance aux photographies. Il épaule les carrières de plusieurs photographes et travaille avec eux pour composer des mises en pages intrigantes et expressives. Brodovitch conseille d’oublier la technique, les méthodes éprouvées ou testées pour plus de spontanéité. Il incite les artistes à expérimenter et à travailler avec passion.

1 se référer au livret de reproduction pour voir l’ouvrage en I.1.2 2 Magazine féminin d’origine américaine, véritable institution de la mode depuis plusieurs décennies.

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1 Jack Kerouac est un écrivain et poète américain. […] Son style rythmé et immédiat, […] a inspiré de nombreux artistes et écrivains. […] Le genre cinématographique du road movie est directement influencé par ses techniques et par son mode de narration. source : wikipedia 2 se référer au livret de reproduction pour voir l’ouvrage en I.1.3 3 Martin Parr et Gerry Badger, Le Livre de photographies : une histoire volume I, p.247 4 se référer au livret de reproduction pour voir l’ouvrage en I.1.4

Deux chefs-d’œuvre apparaissent quelques années plus tard dans le même élan que le livre de Brodovitch : Life Is Good For You in New York : Trance Witness Revels de William Klein et The Americans de Robert Frank. Ils comportent tous les deux une célèbre introduction de Kerouac[1], mais possèdent des intentions tout à fait différentes. L’ouvrage de Klein est dans le même esprit que Ballet, avec un rythme enjoué et mouvementé. L’œuvre de Frank[2], en revanche, réside particulièrement dans des photographies marquantes, profondes. Ces dernières abordent plusieurs thèmes et ambiances, et nous transmettent différentes humeurs. Jack Kerouac caractérise d’ailleurs le style de Franck par le terme « moody picture », littéralement « image d’humeur ». Franck s’oppose alors à la tradition des documentaires en offrant une vision sensible de l’Amérique. Pour Martin Parr et Gerry Badger, peu importe si cette vision est exacte ou non : Dans the Americans, Franck offre une vision des États-Unis aussi vraie ou fausse que l’estime le lecteur. Seule certitude, elle a changé le visage de la photographie documentaire.[3]

MONTRER LE MONDE

Dans The Table of Power [4] (La Table du Pouvoir, 1996), Jacqueline Hassink nous montre les salles de conférences vides de plusieurs multinationales européennes. Ses clichés se veulent objectifs, bien que le livre dévoile une pensée révolutionnaire. Ces images nous font réfléchir sur ce que représentent et dissimulent ces lieux, au premier abord anodins, où sont prises d’importantes décisions. Des doubles-pages noires expriment le refus de certaines multinationales à montrer leurs salles

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de conférences, et renforcent ainsi leur symbole de puissance. À la fin du xxe siècle, de nombreux photographes témoignent de cet intérêt à l’observation objective du monde ainsi qu’à la classification des lieux façonnés par la société moderne. Cette approche objective se trouve être un moyen efficace d’introduire une dimension politique, comme on le voit dans The Table of power. L’ouvrage incite à une réflexion sur la façon dont est administré le pouvoir, en invitant à une remise en question de ce qui est déjà établi. Le message du livre pourrait se résumer ainsi : « voici où se trouve le pouvoir ». La froideur et la simplicité des images contrastent alors avec la force du message, et inspire un sentiment d’irresponsabilité. Deux impulsions primordiales se dégagent : catégoriser et décrire le monde. Bernd et Hilla Becher jouent un rôle fondamental dans cette approche objective du réel, et participèrent au retour de la scène allemande avec leur enseignement à la Kunstakademie de Düsseldorf. Cet enseignement artistique se distingue par sa rigueur intellectuelle, et se nourrit du minimalisme et de l’art conceptuel. Avec leur livre Anonyme Skulpturen [5] (1970), les Becher s’intéressent aux constructions de l’âge industriel qui sont en train de disparaître. L’ouvrage se présente comme un rapport technique et seul le titre nous oriente vers une forme d’art. Le livre propose une seconde vie à ces bâtiments, en nous invitant à reconsidérer leur beauté architecturale, et de prendre conscience de la diversité des formes créées. Les photographies se veulent objectives – prises de vue larges, frontales et réalisées suivant un protocole constant, avec une lumière neutre – et témoignent d’une minutie et d’un sens

5 se référer au livret de reproduction pour voir l’ouvrage en I.1.5

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1 « À partir du milieu des années 1980, les dimensions sans cesse plus grandes des tirages ont permis à la photographie de jouer à arme égales avec la peinture ou les installations, et ont imposé aux institutions culturelles et aux galeries privées de lui consacrer des espaces plus conséquents. » Charlotte Cotton, La photographie dans l’art contemporain, Paris, Thames & Hudson, 2005, p.81 2 se référer au livret de reproduction pour voir l’ouvrage en I.1.6 3 un des premiers exemples de compte rendu de construction

a Philip Henry Delamotte, Photographic Views of the Progress of the Crystal Palace, Sydenham, Londres, Directors of the Crystal Palace Company, 1855

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poussé du détail. Leur démarche, qui prend la forme d’une typologie, permet d’inscrire dans le livre ces archives de constructions. Leurs photographies ont également été exposées dans les galeries et les musées, dans un accrochage minimaliste qui renforçait le côté répétitif de la série. Le visiteur pouvait alors comparer les images, et avoir une vision d’ensemble que le livre ne permet pas. Les Becher ont ainsi su profiter des espaces de la galerie et du livre pour partager leur vision sous différentes manières. La photographie trouve alors sa place dans les galeries d’art[1], et le livre de photographie devient un objet d’expression visuelle à part entière.

DÉVOILER UNE HISTOIRE

Les livres de photographie commandés par des entreprises sont apparus presque en même temps que la photographie elle-même, et ce genre indémodable rencontre toujours autant de succès. Mark Power, avec The Treasury Project [2] (2002), s’inscrit dans la suite de Philip Henry Delamotte et de son livre[3] Photographic Views of the Progress of the Crystal Palace, Sydenham [a] de 1855. L’ouvrage de Power retrace la démolition et la reconstruction partielle de l’immeuble du Trésor de la reine Élisabeth II à Londres. La conception graphique, menée par Stuart Smith, est soignée et un tirage de 50 exemplaires fut également publié avec un étui ainsi qu’une photographie originale. Comme dans l’ouvrage de Delamotte, plusieurs photographies tendent vers l’abstraction. Power s’est intéressé aux textures et aux matériaux de construction, ainsi qu’aux réseaux de communication qui prennent une importance caractéristique dans les images. Son travail a en effet consisté en un documentaire d’interprétation plutôt que d’une simple retranscription


d’une rénovation. Le bâtiment a été construit en deux phases : la première entre 1898 et 1908, et la seconde entre 1912 et 1917. Conçu par Foster and Partners et géré par Exchequer Partnerships, il a été achevé en Juillet 2002. L’esprit du lieu ainsi que son histoire sont révélés au fur et à mesure de l’avancée des travaux. Le livre partage alors une histoire, celle d’un bâtiment historique. Les meilleurs livres commerciaux sont souvent associés aux grands travaux de construction, particulièrement florissants lors de la révolution industrielle, qui entraîne de gigantesques projets techniques. C’est alors l’occasion pour une entreprise de vanter ses réalisations, et de documenter avec fierté ces grands projets. The Treasury Project, publié en 2002, témoigne que ce genre est toujours d’actualité.

4 propos recueillis lors d’une conversation entre Ivan Vartanian et Rémi Coignet pour le blog Des Livres et des photos. L’interview est disponible à l’adresse suivante : deslivresetdesphotos.blog. lemonde.fr/2011/05/02/ livres-de-photo-japonaisune-conversation-avec-ivanvartanian/

TÉMOIGNER, DOCUMENTER

Pour le new-yorkais Ivan Vartanian, co-auteur de l’ouvrage Les livres de photographies japonais des années 1960 et 1970, le livre de photographie japonais est un genre en soi, très différent des livres occidentaux. Pour lui, il représente d’ailleurs la meilleure façon de comprendre la photographie japonaise. Il explique : On peut y voir de nombreuses images, étalées parfois sur des centaines de pages. Beaucoup de travaux des photographes japonais sont conçus spécifiquement pour la forme livre. La construction en séquences conduit à publier de nombreuses images qui ne seraient jamais montrées sous forme de tirage et n’existent donc que sous leur forme finale au sein du livre. Pour comprendre le travail des photographes japonais, il est donc nécessaire de se plonger dans leurs livres car les tirages ne sont qu’une fraction de leur travail.[4]

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1 se référer au livret de reproduction pour voir l’ouvrage en I.1.7

a Takuma Nakahira, Koji Taki, Provoke, Tokyo, 1968

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Le Japon dispose en effet d’une forte tradition du bel ouvrage faisant appel à de subtils matériaux, et utilisant des impressions de grande qualité. Ainsi, le graphisme y est très important et a une fonction fondamentale. On le voit particulièrement dans Chizu [1] (La Carte), qui bénéficie d’une conception graphique très étudiée enrichissant la narration. Ce livre de Kikuji Kawada a été publié en 1965 et traite des relations confuses qu’entretenait le Japon avec les États-Unis. L’ouvrage comporte un étui dans lequel se trouve une chemise en papier noir qui se déplie comme une carte. Un poème sibyllin illustré d’un papier enflammé y sont imprimés, et s’ouvrent sur l’introduction. À l’intérieur, les photographies de Kawada mêlent abstraction et réalisme et occupent l’intégralité de la page. On peut y voir des traces du bombardement, des uniformes en loques et insignes militaires qui contrastent avec des panneaux publicitaires. L’univers qui se dégage de l’ouvrage est très sombre, douloureux, et le noir et blanc participe à cet effet. C’est à la fois un document d’archive avec des enregistrements scientifiques et traces de mémoire, ainsi qu’un refuge de la culture de l’Empire japonais. Tout semble tourner autour de la guerre et de ses conséquences. Le livre nous implique physiquement dans cette histoire par sa manipulation : les images doivent être dévoilées par une action de notre part qui consiste à déplier les rabats. Le livre a été publié le 6 août 1965, au vingtième anniversaire d’Hiroshima. Ce fait marquant de l’histoire représente le thème central de l’ouvrage, comme beaucoup d’autres livres japonais de l’époque. En effet dans les années 60, le livre de photographie japonais entre dans une période florissante. Provoke [a], une revue publiée entre 1968


et 1969, témoigne des profonds changements qui font entrer la photographie japonaise dans le modernisme. Bien que cette revue n’ait connue que trois numéros, elle incarne une nouvelle génération qui conteste les conventions traditionnelles. Elle donne une grande importance à la photographie, et apporte un traitement original de l’image (noir et blanc, flou, fort contraste, grain dans l’image, …). Deux facteurs déterminent l’esthétique de Provoke, de Chizu et d’une partie de l’art au Japon à la fin du xxe siècle : Hiroshima et l’impérialisme américain. Parmi les photographes les plus influents de cette période figure Nobuyoshi Araki, qui a produit plus de 300 ouvrages.

2 se référer au livret de reproduction pour voir l’ouvrage en I.1.8

RASSEMBLER, COLLECTER

Dans un livre de photographie, on considère souvent que l’auteur réside en la figure du photographe, même si le rôle de l’éditeur est particulièrement important comme on a pu le voir dans l’exemple précédent. En effet l’agencement des photographies permettra d’exprimer une réflexion particulière, un message, une histoire. Waterfall Rapture [2], un livre de Tadanori Yokoo, nous montre qu’un autre cas de figure existe : l’éditeur comme auteur. En réunissant plus de 10 000 cartes postales de cascades, Yokoo devient auteur de l’ouvrage sans produire une seule image. La photographie permet simplement de regarder : les images de cascades défilent inlassablement d’une carte postale à l’autre. La démarche de l’auteur consiste à collecter des images du même type, et qui montrent la même chose. Il a en effet utilisé pour ressource des images souvent produites de manière anonyme et en grand nombre : les cartes postales. Ces objets au caractère particulièrement conventionnel – la vocation des cartes postales réside plus

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dans le geste, l’intention, que dans le message qu’elles comportent – s’accumulent et révèlent leurs banalités et leurs similitudes. Le livre représente le support idéal pour présenter ce rassemblement d’images : les photographies, de tailles identiques, se chevauchent sur les pages et se considèrent comme un tout. Face à cette multitude d’images, on s’interroge alors à la place que prennent les images dans notre société. Particulièrement aujourd’hui où il existe une omniprésence iconographique, il est intéressant de laisser parler les images de notre quotidien tout en les isolant de leur contexte sociopolitique. Aussi, dans quelle mesure l’évolution de notre rapport à l’image a-t-elle des répercussions sur le livre de photographie ?

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Le livre et le numérique, nouveaux usages, nouveaux comportements I.2

Les exemples précédents nous donnent un aperçu des différents messages et intentions que peuvent véhiculer le livre de photographie. Ce dernier exprime des idées et des histoires, et propose une nouvelle vision du travail de l’auteur. Cependant, l’édition est en pleine mutation et le livre ne représente aujourd’hui plus la même réalité que lors de son apparition. De nouvelles ouvertures s’ouvrent à lui, et bouleversent dans le même temps nos habitudes, nos usages. Avec le développement d’Internet dès les années 1995, une nouvelle pratique s’est imposée : la lecture à l’écran. Les supports informatiques se sont peu à peu multipliés, offrant de nouveaux supports

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1 Le mot livre est utilisé ici pour définir un enchaînement de feuilles imprimées réunies en un volume.

pour communiquer, partager ses idées et ses images. Avant de voir les conséquences de ces innovations, je vais rapidement revenir sur les différentes révolutions qu’a connu le livre.

a Volumen, Rouleau de la Torah, Saint-Pétersbourg, 1828.

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ÉVOLUTION DE NOTRE RAPPORT AU LIVRE

Tout comme pour la photographie, l’évolution du livre s’est faite par une suite d’innovations technologiques, commerciales et esthétiques qui ont permis d’améliorer la transmission des idées, l’accès à l’information, la conservation des textes, la portabilité et le coût de production. Dans l’introduction de la partie précédente, j’ai rapidement exposé l’importance des innovations techniques arrivées après la première Guerre Mondiale qui ont permis de répandre plus généralement le livre. Mais l’histoire du livre commence bien avant, dès le début de notre ère, lorsqu’un nouveau support apparaît et s’impose devant le volumen[a] : le codex. C’est la première forme de livre[1] qui apparaît sur le continent Euro-Asiatique. Le codex, composé de cahiers résultant du pliage de plusieurs feuilles, va définitivement changer notre rapport à l’écrit. Il permet d’organiser le texte en pages, de réunir une grande quantité d’écriture tout en permettant un accès direct à n’importe quelle partie du texte. Il est également moins encombrant que le rouleau de papyrus et supporte l’écriture au recto et au verso. De plus, grâce à sa manipulation facile, il permet au lecteur de garder une main libre pour écrire en lisant. Une deuxième rupture se fait aux xive et xve siècles avec l’apparition du libro unitario qui permet d’associer un objet physique distinct à chaque œuvre. Le livre permet alors de nouer un étroit lien


entre l’objet matériel, l’œuvre et l’auteur. L’écriture et son support deviennent inséparables. Ensuite, vers 1450, l’élaboration des techniques de l’imprimerie par Gutenberg[b] marque une nouvelle révolution pour le continent européen : les caractères mobiles et la presse à imprimer se substituent à la copie manuscrite, et la reproduction de l’écrit ainsi que la production des livres transforment l’édition du livre en entreprise. Le livre devient un objet figé, fabriqué en série ; on assiste à une première banalisation du livre. L’imprimé se généralise, et matérialise définitivement le livre. Le livre a connu bien d’autres évolutions, notamment à propos des nombreux modes de lecture, avec par exemple l’apparition de la lecture silencieuse ; ou concernant les différentes fonctions de l’écrit qui devient au xiie siècle un véritable travail intellectuel. Cependant les trois bouleversements détaillés précédemment confèrent au livre une efficacité symbolique : c’est un objet autonome qui renferme une vérité achevée. Aujourd’hui, de nouvelles évolutions techniques viennent interroger notre rapport au livre, ainsi que nos habitudes de lecture. Le livre se confronte à une autre forme de partage d’histoires et d’idées : Internet.

b Presse de Gutenberg

DANS QUELLE MESURE INTERNET AFFECTE-T-IL NOS USAGES DU LIVRE ?

Avec l’arrivée de l’informatique, une nouvelle forme d’écrit est apparue : le texte numérique. Cette forme remet en cause les trois révolutions du livre détaillées précédemment : le codex, le libro unitario et l’imprimé. Dans un premier temps, on remarque que les formes d’écrits des écrans se rapprochent plus du volumen

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1 Historien et professeur au Collège de France. Voir son interview sur www.dailymotion. com/video/x6v8dd_lesmutations-du-livre-entretienav_creation

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que de celui du codex dans le sens où un enchaînement continuel d’écriture se fait selon un axe – horizontal ou vertical – et inscrit chaque élément en une même chronologie. Le monde électronique induit alors une nouvelle forme d’organisation du contenu, tout en ignorant la matérialité du codex. Cela conduit le lecteur vers une nouvelle relation avec le texte. Aussi, le même support nous permet de consulter différents types d’ouvrages, et les distinctions entre les genres n’est plus de l’ordre matériel et se trouvent alors atténuées. Le texte est totalement désolidarisé de son support. De plus, avec la capacité de partage qu’offre Internet, l’universelle disponibilité du patrimoine écrit est alors imaginable, en supposant bien entendu que tout ouvrage soit converti en texte électronique, ce qui appelle de nouvelles problématiques. Un bel exemple est celui de Michael Hart qui, en 1971, commence à créer un projet pour diffuser des textes. Trente-cinq ans plus tard, ce projet baptisé Gutenberg en propose près de 18000, avec pour slogan : « brisons les barrières de l’ignorance et de l’illettrisme ». Il est souvent considéré comme la première apparition des « livres électroniques ». Cependant, et on a pu le voir avec le projet de Google dans la constitution d’une bibliothèque numérique, cette idée de numériser un maximum de notre patrimoine écrit apporte de nombreuses complications. Comme le souligne Roger Chartier[1] lors d’un entretien pour laviedesidees.fr, il est primordial de conserver les formes successives que les textes ont connu pour leurs lecteurs consécutifs, et de les mettre à disposition du patrimoine écrit. C’est un point fondamental pour la relation que les sociétés contemporaines entretiennent avec leur propre passé, pour maintenir le rapport entre le lecteur et l’objet initial de l’écrit. Aussi, il y a


un risque de destruction de ce patrimoine écrit, puisque la forme numérisée remplacerait la forme originelle, et notre patrimoine écrit relèverait alors entièrement des sociétés l’ayant numérisé. Lionel Maurel, juriste et bibliothécaire, ajoute : La mise en place de partenariats public-privé pour la numérisation du Patrimoine est aussi une source grave d’atteintes potentielles [au domaine public], à cause des exclusivités consenties par les établissements publics aux firmes privées.[2] En effet, la numérisation telle qu’elle s’agence aujourd’hui remet également en question la place du domaine public.

2 Lionel Maurel, juriste et bibliothécaire. source : scinfolex.wordpress. com/2012/10/27/i-have-adream-une-loi-pour-le-domainepublic-en-france/#comment-4641

Dans ces divers bouleversements de l’édition, Internet exerce un fort impact. En effet, par sa capacité à diffuser de manière internationale l’information, et parce qu’il permet de réunir les individus et les ordinateurs, ce réseau révolutionne le monde des communications. Avec l’apparition du web et notamment du web 2.0, de nouvelles perspectives s’ouvrent pour partager et alimenter les écrits. Internet permet par exemple de mettre en avant des textes impossibles à trouver en librairie, ou des écrits censurés. Il assure la liberté d’expression, et possède un potentiel presque infini en matière de variété, mais aussi d’interactivité. De même, le texte numérique est ouvert à diverses interactions avec le lecteur : ce dernier peut l’indexer, le copier, le démembrer, le recomposer, le déplacer, et même devenir un co-auteur. Ainsi, l’écrit n’est plus définitif et perd sa faculté d’énoncer une certaine vérité achevée. Le lecteur a en contrepartie la possibilité de rechercher très facilement des preuves pour pouvoir valider un savoir, ou constituer lui-même des recherches.

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a Alexey Brodovitch, Ballet, Chine, errata editions, 2011

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Ce système remet en question la véracité d’un énoncé pour la simple raison que n’importe qui a dorénavant le moyen de se transformer en auteur. De plus, devant l’envahissement de l’écrit numérique, il est impossible de vérifier l’authenticité de tous les textes. L’auteur a toutefois la possibilité de développer un raisonnement enrichi, notamment avec l’apport de liens hypertextes. En effet, le texte ne se construit pas comme un ensemble fini qui s’inscrit dans le temps et l’espace, composé d’un début et d’une fin matérialisés par la couverture du livre ; mais se transforme en une matière qui évolue sans cesse. Le livre a toutefois lui aussi une certaine malléabilité, puisqu’il s’expose souvent à des modifications de forme lors de ses rééditions (devant le succès de Ballet de Brodovich une réédition par errata editions a été faite en 2011 avec des scans de ce livre mythique[a]) et évolue lui aussi, de manière plus lente et moins direct. Enfin, nous n’avons pas le même rapport physique face au livre et à l’outil numérique. Le premier est de forme organique, et apparaît ainsi comme un prolongement du corps ou de la parole. Son vocabulaire relève d’ailleurs de celui du corps humain : on parle de la tête, du dos, du corps, de la coiffe et des nerfs d’un livre. Alors que du second, qui découle de la machine, émane une stricte volonté d’efficacité. Les outils informatiques et Internet ont, entre autre, permis la diffusion rapide et facilité le partage de la textualité électronique. Beaucoup ont d’abord vu la révolution suivante pour le livre ou même sa disparition. Cependant, après avoir constaté que le livre continuait de prospérer malgré ces outils, beaucoup d’études se sont développées sur les différences entre le livre et l’écran, et nous avons finalement appris beaucoup


de chose sur le codex. Le livre perdure aujourd’hui devant les nouvelles possibilités et le confort qu’offrent les outils informatiques notamment parce qu’il est ancré dans notre culture, nos usages. Aussi, il conserve son utilité face à l’édition électronique. Toutefois, les changements se font souvent avec beaucoup de temps, et il ne faut pas oublier que le volumen a mis près de quatre siècles avant de disparaître. En effet, les technologies progressent souvent plus vite que les pratiques des usagers. Aujourd’hui, même si l’écran n’a pas remplacé le livre, il change néanmoins nos habitudes de lecture : face à la profusion d’écrits et d’images que nous offre Internet, nous avons habitué nos yeux et notre cerveau à être sollicités à plusieurs endroits à la fois, et à passer rapidement d’un sujet à un autre. Notre rapport à l’écrit a changé, et l’arrivée du numérique dans notre quotidien n’annonce pas nécessairement la mort du livre mais plutôt l’arrivée d’une nouvelle forme de livre qui n’a le papier ni pour origine, ni pour finalité. On voit d’ailleurs apparaître une nouvelle forme de littérature, dite numérique – les hyper-romans, feuilletons hypermédia, mail-roman – qui bouscule l’édition traditionnelle.

DU LIVRE DE PHOTOGRAPHIE VERS L’ŒUVRE MULTIMÉDIA

Si les outils informatiques ont modifié notre rapport à l’écrit, il en est de même pour celui de l’image. On constate ainsi de la même manière une vulgarisation généralisée des images, qui a été rendue possible en partie par le numérique. En effet, les images sont alors dématérialisées dès leurs créations, et la pellicule est remplacée par une carte mémoire. L’écran de l’appareil photo est alors le premier interface à travers lequel

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on observe l’image, que l’on doit ensuite transférer sur un autre écran – d’ordinateur ou de tablette – pour agir dessus et avoir la liberté de la retoucher, de la partager ou de l’imprimer. Nous avons vu précédemment pourquoi le livre subsiste aujourd’hui face aux outils numériques, et ces raisons sont particulièrement justes pour le genre du livre de photographie puisque, comme nous le montre les exemples de la partie I,1, l’œuvre réside autant dans l’objet que dans le contenu. Par exemple, Waterfall Rapture, le livre de Tadanori Yokoo, n’aurait aucun sens s’il était dématérialisé car les images s’inscrivent dans un espace physique précis. Il s’assimilerait alors davantage à une recherche d’images de cartes postales dans un navigateur web que d’un quelconque travail photographique. Un ouvrage composé d’images devient un livre de photographie lorsqu’il forme une unité entre ce qu’il montre, les idées qu’il développe, et sa forme même. Toutefois, les outils numériques et Internet ont une grande importance dans les différentes voies d’expressions photographiques car ils représentent le support où l’image est la plus répandue. En effet on s’interroge souvent sur le lieu premier de l’œuvre photographique : le mur de la galerie ou la page imprimée. Aujourd’hui la majorité de ces œuvres sont créées et visibles dans un premier temps à travers un outil numérique. Si ces outils ne remplacent ni la galerie ni la page imprimée, ils amènent cependant un nouveau potentiel, de nouveaux usages, et une nouvelle conception de l’œuvre photographique. Parce que l’informatique a d’abord tenté de copier ce que nous connaissons déjà, les ouvrages dématérialisés

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se sont dans un premier temps retrouvés face à un échec et au contraire ont mis en valeur leurs différences avec le livre ainsi que l’importance de ce dernier. Mais tout en révélant une pauvreté sur certains aspects, on découvre dans le même temps leurs richesses : le support permet l’audio, la vidéo ou le lien hypertexte comme nous l’avons déjà vu. Tout comme l’écriture numérique se transforme en une matière qui évolue sans cesse, l’œuvre numérique photographique s’ouvre à la possibilité d’une œuvre multimédia où les barrières entre photographie, vidéo, et œuvre sonore sont effacées. En effet, avec l’arrivée du numérique, on a vu apparaître un nouveau genre d’œuvres qui enrichit la photographie par différents apports multimédias. Earth moves [a], réalisé en 2006 par le collectif Semiconductor nous montre des paysages qui se transforment selon le bruit ambiant présent dans la scène au moment de la prise de vue. Il est intéressant de savoir que cette œuvre a été exposée en 2011 à la Maison européenne de la photographie de Paris, dans une exposition appelée « L’objet photographique, une invention permanente ». Cette exposition, qui soulignait l’influence des innovations techniques dans la photographie, faisait dialoguer des œuvres photographiques historiques et contemporaines. Le Jeu de Paume participe lui aussi à montrer l’influence du multimédia dans l’art photographique. En effet, avec ses expositions en ligne grâce à son espace virtuel, il arrive à jouer avec les nouveaux espaces créés par Internet et transforme la salle d’exposition en une sphère virtuelle ouverte à tous. Il peut ainsi montrer des projets conçus sur et pour le web, et se place au cœur des questionnements sur l’influence du numérique. On pouvait ainsi y voir jusqu’en octobre

a Semiconductor, Earth moves, 2006

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une exposition sur l’évolution des concepts et des formes artistiques dans le contexte du réseau Internet. Aujourd’hui, nous disposons de nouveaux supports pour partager la photographie : les tablettes. Elles nous permettent de regarder des ePub mais ouvrent également la possibilité aux applications photographiques. Ces dernières permettent une toute nouvelle narration par rapport aux livres de photographies, et permettent d’intégrer les œuvres multimédias dans notre espace intime.

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De l’industrialisation du livre à sa mise en ligne I.3

L’évolution des médias a une répercussion directe sur nos usages, et sur la fonction des objets de notre quotidien. Le livre est ainsi affecté par une série de transformations, de nouveaux possibles, qui naissent de la culture numérique.

L’INDUSTRIALISATION MASSIVE DU LIVRE

Tous ces changements font entrer l’édition dans une période de mutation. Les nouvelles techniques d’impression ainsi que l’évolution de notre rapport à l’imprimé changent beaucoup de choses et touchent toute la chaîne de l’édition : de nos comportements jusqu’à la manière dont nous concevons et vendons le livre. On observe ainsi une concentration de la presse et de l’édition, qui entraîne le livre vers une industrialisation massive. Ce processus, qui prend ses origines dès le xixe siècle lorsque le livre entre dans une production industrielle, a aujourd’hui des répercutions sur la diversité du paysage éditorial.

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1 Le chiffre d’affaires des librairies indépendantes a reculé de 5,4% entre 2003 et 2010 avec un net décrochage au cours des dernières années (-2,5% en 2009 et -3,0% en 2010). source : www.syndicatlibrairie.fr/fr/la_situation_ economique_et_financiere_des_ librairies_independantes 2 groupe mondial actif aussi bien dans l’aéronautique, l’armement, que dans la presse écrite et la télévision 3 groupe international espagnol faisant partie des 7 leaders mondiaux de l’édition. Également présent dans les journaux et la télévision espagnole, il a racheté Éditis en 2008. 4 Lagardère (dont fait partie Hachette) : www.lagardere.com//activites/ lagardere-publishing-999.html Planeta (dont fait partie Éditis) : www.planeta.es/fr/FR/ SecteursActivite/Maisonsdedition/Editis/Default.htm

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Dès le xxe siècle, avec l’arrivée de la télévision et des émissions littéraires, la lecture commence à s’uniformiser. Les lecteurs sont plus nombreux, mais ils lisent moins. Des circuits commerciaux se mettent également en place et concurrencent les librairies classiques. Désormais, les grandes surfaces aussi vendent des livres. D’ailleurs aujourd’hui, les chiffres-clés 2012 du secteur du livre révèlent qu’ils représentent les premiers lieux d’achat d’un livre (grandes surfaces culturelles et non spécialisées confondus) et les réseaux de librairies indépendantes deviennent difficile à maintenir : leur chiffre d’affaire diminue de plus en plus[1]. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce phénomène : l’augmentation des coûts des loyers en centre-ville, des transports, la commande de livre en ligne grâce à Internet et bien sûr le développement de la grande distribution. L’édition connaît dans le même temps une hyper concentration. En effet, bien qu’il existe une diversité de maisons d’édition, beaucoup ont été rachetées et sont en fait des filiales appartenant à un même groupe privé. Ainsi, l’édition est dominée par deux multinationales – Lagardère[2] et Planeta[3] – autant par l’importance de leur production de livre que par leur activité de diffusion. Ces deux groupes, dont l’objectif principal est celui de la rentabilité, contrôlent près de 60 maisons d’édition[4] en France, et ont en même temps une grande influence sur les réseaux de vente du livre ainsi que les médias. L’éditeur a désormais une possibilité d’influence sur la commercialisation du livre, puisque le consommateur n’est plus protégé par la diversité des sources d’information. D’ailleurs, en mai 2011, Lagardère annonce dans un communiqué de presse un « partenariat stratégique » avec la FNAC, premier réseau de distribution français


de produits culturels. Il bénéficie ainsi de la puissance de la marque et peut s’assurer que sa production de livre sera bien distribuée. Ces évènements reflètent particulièrement bien le danger vers lequel tend l’édition : le développement d’une « prescription médiatique »[5] constituant un obstacle à une diversité éditoriale. Le livre passe du statut d’objet culturel à celui de marchandise. On peut comparer la situation actuelle du livre à celle qu’a connu la musique avec le disque : les disquaires de quartier ont presque disparu au profit des grandes surfaces, et l’industrie de la musique a dû faire face à de profondes transformations avec l’arrivée du mp3. La dématérialisation des supports n’a pas freiné le commerce de la musique, mais ce dernier a connu de nombreux changements car nos pratiques culturelles ne sont plus les mêmes. L’édition affronte aujourd’hui les mêmes bouleversements. Nos modes de consommation du livre ont changé, et le succès de grand groupe comme Amazon montre que les lecteurs privilégient la présence d’un vaste choix, qui peut ainsi répondre à leurs différents niveaux d’exigences culturelles, à celui d’une discussion avec un libraire pour nous aider à choisir un livre. On remarquera qu’en dix ans, les ventes par Internet se sont accaparées plus de 10% du marché. Il y a donc également une évolution dans les lieux de distribution. De plus, la production de livre est très importante et ne cesse d’augmenter (elle a augmentée de plus de 150% de 2000 à 2010[6]) alors que les gros lecteurs sont de moins en moins nombreux (14% des français de plus de 15 ans estimaient avoir lu plus de vingt-quatre livres durant l’année 1997 contre 6% en 2009). Cela participe

5 terme utilisé dans le livre de Janine et Greg Brémond, L’édition sous influence, Paris, Éd. Liris, 2002. 6 d’après les chiffres-clés du livre

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1 Print On Demand 2 chiffres de l’Association des éditeurs américains relayés par le site Mashable mashable.com/2012/06/17/ ebook-hardcover-sales/

à fragiliser l’édition, qui se retrouve presque « noyée » sous cette abondante quantité d’ouvrages à vendre. Une nouvelle question se pose alors : comment fait-on connaître un livre ? Avant de répondre à cette question, il est intéressant de se pencher de plus près aux techniques utilisées pour la réalisation d’un livre, car elles impliquent parfois une diffusion particulière.

DE NOUVELLES TECHNIQUES D’IMPRESSIONS

Les récentes avancées technologiques en matière d’impression numérique permettent aujourd’hui de produire des ouvrages de qualité dans des tirages relativement faibles et à moindre coût. L’univers de l’impression numérique est très vaste et permet l’impression à la demande, l’impression à court terme, l’impression unique… Il est particulièrement intéressant dans des tirages en dessous de 1000 exemplaires, là où l’offset se fait très cher. Bien que ces techniques soient encore peu utilisées par les éditeurs, des sociétés se développent grâce à elles et transforment alors le marché : c’est le cas notamment de Lulu, Publibook ou Blurb. Ces services proposent de l’impression à la demande (POD[1]) et font connaître à un large public le marché de l’auto édition, qui permet à un auteur de prendre en charge lui-même la conception de son ouvrage sans passer par une maison d’édition. Ce procédé connaît un formidable succès, particulièrement aux États-Unis où l’édition de titres à la demande a dépassé en 2009 celui de titres édités de manière traditionnelle[2]. Bien sûr, l’édition à la demande et l’auto édition concernent beaucoup de genre de publications différents, dont les livres cadeaux à faibles tirages, les livres de photos de vacances, les livres à caractère

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professionnel, etc. Mais cela montre que si l’édition traditionnelle est en crise, l’édition à la demande et l’auto édition se développent particulièrement bien. Ils ouvrent la possibilité à la micro édition et à l’édition personnalisée, et investissent toutes les parts du marché laissées par l’édition traditionnelle. Un autre grand avantage réside dans la méthode de production qui permet de supprimer les tirages initiaux ; il n’y a donc pas de stock et pas d’éventuelle perte. Une question se pose alors, qui rejoint celle posée dans la partie précédente : quel mécanisme pourra porter ces livres d’un nouveau genre ? L’impression numérique ne se limite pas qu’aux services d’auto édition, et permet également aux éditeurs de faire (re)vivre des ouvrages spécialisés susceptibles de n’intéresser qu’une partie de la population ou encore les titres les moins demandés, mais aussi de proposer des accès où chacun pourrait imprimer à la demande un titre choisi – procédé rendu possible grâce à l’Espresso Book Machine[a] – ou tout simplement d’abaisser les coûts unitaires de fabrication des livres vendus. On peut aussi rendre possible la vente de différentes versions d’un même titre, avec un choix de plusieurs formats par exemple, de différentes tailles de caractère, etc. On le voit bien, aujourd’hui, l’imprimé et le numérique fonctionnent de pair.

a Espresso Book Machine, Xerox

DISTRIBUTION ET DIFFUSION

S’il est aujourd’hui de plus en plus facile de fabriquer des livres, la question de la distribution/diffusion est alors très importante. En effet, le succès d’un livre se joue pour beaucoup en une bonne diffusion, qui permettra au livre d’exister aux yeux de ses lecteurs. Ainsi un certain nombre d’opérations commerciales et de marketing

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doivent être mises en place pour permettre la présence d’ouvrages dans un réseau de vente. Ces services peuvent être réalisés par l’éditeur, ou être pris en charge par une structure spécialisée dans un circuit de vente particulier : librairies, hypermarchés, supermarchés, grossistes, librairies en ligne, etc. La distribution consiste à acheminer le livre vers son point de vente final, ou vers son acheteur. Elle doit ainsi s’occuper de gérer l’approvisionnement, traiter les commandes, et tenir informer des ventes les clients et les éditeurs. La diffusion vient étoffer ce lien entre les éditeurs et les divers détaillants, libraires, centrales d’achats, grossistes. Ce travail est souvent effectué par les représentants. Ces derniers assurent la promotion des livres auprès du lieu de vente, et s’occupent d’obtenir des commandes. Ils jouent le rôle d’intermédiaire entre le lieu de conception d’un ouvrage et son point de vente, et tiennent informé l’éditeur du marché du livre, des nouveautés, des promotions. Si les grands groupes de l’édition possèdent leurs propres services de diffusion, beaucoup de maisons d’éditions pratiquent l’auto diffusion. En effet, déléguer ces opérations représente un coût d’environ 20% du prix de vente (hors taxe) du livre, ce qui est loin d’être négligeable. À titre de comparaison, les auteurs sont généralement rémunérés à 10%. Il existe cependant des intermédiaires entre la diffusion des grands groupes et l’auto diffusion ; et les éditeurs ont plusieurs possibilités : – se rattacher à une structure de diffusion d’un grand groupe ; – faire appel à un service de diffusion moyenne appartenant à un éditeur ;

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– s’adresser à un réseau de diffusion spécialisé dans un domaine éditorial ; – assurer l’auto diffusion de ses ouvrages. La première éventualité implique pour l’éditeur une production régulière avec des tirages importants. Parmi ces structures de diffusion figure par exemple Volumen/seuil diffusion, le réseau du groupe La Martinière (Éditions de La Martinière, Editions de l’Olivier, Harry N. Abrams, Points, Seuil, etc). Les éditeurs José Corti ou les éditions de Minuit recourent par exemple à leurs services de diffusion. Ensuite, le deuxième cas est particulièrement intéressant lorsque les productions des éditeurs entrent en résonance et s’enrichissent ensemble. Actes sud par exemple a créé son propre réseau de diffusion, qui regroupe également les Éditions du Rouergue, Les Liens qui libèrent, Thierry Magnier et Gaïa Éditions. La troisième hypothèse s’adresse de toute évidence aux éditeurs produisant des ouvrages dans des domaines spécialisés. Ainsi, le réseau R-diffusion s’ouvre à tous les éditeurs qui se situent dans le domaine de l’art contemporains. Il regroupe une soixantaine de maisons d’édition, et soutient les petites structures, éditeurs et libraires indépendants, qui sont soucieux de produire et vendre des ouvrages spécialisés et de qualité mais qui ont souvent du mal à se faire connaître et à faire circuler leurs livres. Enfin, l’auto diffusion permet d’avoir une relation directe avec les libraires. Elle est souvent pratiquée par de jeunes éditeurs n’ayant pas encore de notoriété, par de petits éditeurs qui ne désirent pas s’élargir, ou encore par des éditeurs très spécialisé qui s’attachent à soutenir leurs ouvrages jusqu’aux points de ventes. Cette dernière solution

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1 Il explique son point de vue dans la vidéo The Network Transformation : www.youtube. com/watch?v=CzNXDdjtXQI

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permet de connaître parfaitement le marché puisque les éditeurs sont directement confrontés aux réalités des points de ventes. Aussi, de plus en plus d’éditeurs vendent leurs livres sur Internet, et le lieu de vente est ainsi dématérialisé. Les réseaux de distribution/diffusion doivent alors s’adapter et adopter de nouvelles fonctions. On voit notamment apparaître des plateformes de vente de livres sur Internet, comme la boutique en ligne du site self publish, be happy qui réunit de nombreux livres auto édités. L’enjeu consiste alors à faire connaître le site web, et à donner une bonne visibilité aux titres proposés. Ce dernier point peut être délicat, particulièrement pour les éditeurs qui possèdent un catalogue important. La mise en avant de tous les ouvrages est complexe, et des questionnements sur la façon de présenter et de recommander les livres se posent. Pour Aaron Swartz, la force d’Internet réside justement dans la diversité, et la recherche collaborative ainsi que le partage des avis est un excellent moyen de permettre à un internaute de trouver ce qu’il cherche[1]. La librairie en ligne d’Amazon par exemple a développé une zone intitulée « les lecteurs ayant aimé ce livre ont aussi acheté ceux-ci... » pour nous faire découvrir de nouveaux ouvrages susceptibles de nous intéresser.


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ÉDITION 2.0


Un réseau informel

II.1

Avec l’industrialisation massive du livre, il peut être très difficile de réussir à publier un livre spécialisé dans un domaine qui touchera un public restreint. En effet ces domaines n’intéressent guère les gros éditeurs qui ne pourront pas en vendre autant qu’un roman à large public. Toutefois, un réseau de petites maisons d’éditions reposant sur ces niches existe et se développe particulièrement bien notamment grâce aux évolutions informatiques. Ces éditeurs pratiquent souvent la micro édition, c’est-à-dire qu’ils ne publient les ouvrages qu’en nombre restreint, et sont souvent indépendants. DES ÉDITEURS INDÉPENDANTS L’évolution des techniques d’impression numérique a permis à de nombreux éditeurs de se développer, notamment les petits éditeurs. En effet, ces derniers peuvent désormais produire plusieurs ouvrages en petite quantité, et diversifient ainsi leurs catalogues. Ils peuvent alors se permettre plus d’audace dans leurs choix de publications, puisque les enjeux ne sont pas aussi importants qu’avec de gros tirages. Ce paramètre a inévitablement conduit à un décuplement de la diversité

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des titres édités. Ces éditeurs sont généralement indépendants, c’est à dire qu’ils n’ont pas d’actionnaire majoritaire extérieur, et ils n’appartiennent à aucun groupe éditorial majeur. Ils disposent ainsi d’une certaine liberté dans leurs décisions éditoriales. En revanche, ils connaissent souvent des difficultés en matière de diffusion et de promotion. De ce fait, cette richesse de production n’est pas toujours facilement accessible au grand public. Du point de vue juridique, ils peuvent se présenter sous forme d’association, de Sarl, voire de SA ou SAS, ou tout simplement de maison d’édition. Ils ont souvent un terrain de prédilection et montrent ainsi une compétence exceptionnelle dans leur domaine. Ils contribuent à maintenir la diversité du paysage éditorial en s’intéressant à des domaines délaissés par les majors de l’édition. En effet, le livre est un objet singulier qui ne répond pas obligatoirement à une demande du marché. Il est donc important que les éditeurs puissent innover et encourager la création et la nouveauté. Cette volonté de publier des ouvrages différents de ceux que l’on peut trouver en grandes distributions se répand particulièrement chez les amoureux du livre, qui s’engagent dans cette voie par passion. Ils sont souvent déjà concernés par le domaine de l’édition avant même de devenir éditeurs ; ainsi, il arrive souvent que des photographes deviennent éditeurs spécialisés en livres de photographie. C’est le cas notamment des éditions Poursuite, créées en 2006 par trois photographes. Ils ont commencé par publier leurs propres ouvrages en auto édition, puis petit à petit à s’élargir à d’autres artistes, pour devenir éditeurs indépendants. Le co-fondateur Benjamin Diguerher explique lors d’une petite interview pour le blog our age is thirteen :

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On essaye de faire des livres avec des auteurs peu édités, et on essaye de les faire à un prix abordable. Plus le format est petit, plus le coût de production est moindre, et plus le livre circule.[1] Leur travail d’éditeur est une activité qu’ils pratiquent de manière libre et passionnée : Nous sommes devenus éditeurs parce que cela nous fait plaisir. Nous faisons des livres de taille modeste, quand nous avons de l’argent. Donc on n’a pas de pression économique.[2] Ils pratiquent la micro édition, avec des tirages qui évoluent de 10 à 1000 exemplaires. Leurs livres sont diffusés par le réseau R-diffusion, et présents sur leur site internet. Naturellement, Internet représente une grande aide pour ces petites maisons d’édition. Ils peuvent ainsi proposer l’achat en ligne de leurs livres, mais aussi y repérer de nouveaux auteurs. C’est notamment le défi que se sont lancé les éditions FP&CF, créées par Claire Schvartz et Maxime Milanesi, passionnés de photographies et de dessins. Ils ont par exemple choisit de ne publier que des images issues du web pour leur fanzine Tell Mum Everything is Ok [3]. Ils confrontent alors les images à un changement de support, un changement de statut. Claire Schvartz explique : Ce n’est pas la même façon de regarder les images. Tu peux apprécier un travail photographique sur Internet, mais voir ces images dans un livre change la lecture que tu peux avoir. Tu peux prendre le temps de les regarder, tu peux y revenir. Tu as dans tes mains un objet pertinent qui met en valeur l’image.[4] Internet leur a également permis de découvrir des photographes, amateurs ou professionnels, au style loin du mouvement actuel, et de pouvoir réaliser des livres

1 source : ourageis13.com/livres/ benjamin-diguerher-co-editeurchez-poursuite/ 2 source : www.photographie. com/news/signe-des-tempsldition-une-passion-damateurs 3 se référer au livret de reproduction pour voir l’ouvrage en II.1.9 4 source : ourageis13.com/livres/ fpcf-editeurs-independants/

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1 traduction d’une interview de Rémi Faucheux source : www.wanderingbears. co.uk/2012/03/a-la-france-remifaucheux-rvb-books/ voir la totalité de l’interview en annexe 2 2 Ibid.

a Stéphanie Solinas, Sans titre, M. Bertillon, RVB Books, 2012

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avec eux. Les ouvrages que portent ces petites maisons d’édition sont souvent très singuliers, autant dans la forme que dans le concept. Les éditeurs RVB Books en sont un très bon exemple. Fondé par Mathieu Charon et Rémi Faucheux, cette maison d’édition produit des objets de formes très différentes. Rémi Faucheux raconte : Dans un premier temps, nous essayons de travailler avec des artistes qui envisagent l’objet livre comme un point fondamental de leur démarche. Nous nous intéressons particulièrement aux artistes ayant une approche expérimentale de la photographie, et qui explorent différents usages pour l’image.[1] Ainsi, le livre Sans titre, M. Bertillon [a] de Stéphanie Solinas offre la possibilité de reconstituer en 3D le visage de Monsieur Bertillon. Rémi Faucheux explique : Stéphanie Solinas a été inspiré par la biographie La vie d’Alphonse Bertillon, inventeur de l’anthropométrie. Le livre M. Bertillon est un objet en soi, et on peut jouer avec. Si vous voulez, vous pouvez couper, plier et coller les éléments de ce livre pour reconstituer le visage de Bertillon.[2] Pour cet éditeur, le livre est un espace de création à part entière dont la forme doit parfaitement refléter le travail de l’artiste. On peut voir des projets tout aussi étonnants se réaliser grâce au 17 Rue Des Arts. Cette maison d’édition très particulière propose aux artistes de partager, expérimenter et créer des œuvres artistiques grâce à un réseau social présent sur le web. Encore une fois, une forte volonté de faire connaître des artistes ignorés se dégagent. La singularité de cet éditeur se trouve dans sa capacité à favoriser la collaboration entre les artistes, et à proposer une plate-forme de financement en ligne (crowdfunding). Ainsi, le site donne à voir tous les projets


en cours, et chacun a le loisir d’en financer certains, de participer à d’autres, ou même d’en créer de nouveaux. Ceux qui obtiennent suffisamment de soutiens peuvent alors être édités, toutefois, la forme éditée n’est pas le but de tous les projets présents. Charlotte et Jérémy, les deux fondateurs de ce projet, expliquent : Nous sommes convaincus que le web peut être un espace de création, et nous avons voulu créer une niche artistique à dimension humaine : les outils que nous mettons à votre disposition sont là pour faciliter la création et les collaborations, mais ce sont les artistes qui sont véritablement au cœur du 17 Rue Des Arts. Voyez ça un peu comme un atelier géant délocalisé sur Internet, au sein duquel les artistes se montrent, se rencontrent, créent ensemble et permettent à leurs fans de venir voir de plus près, discuter, chroniquer, et les aider à être rémunéré.[3] Parmi leurs titres édités, Nous sommes tous des faiseurs de ciel [4] se distingue par sa forme originale : une boîte de souvenirs renfermant des lettres, prospectus, photographies… Ces différents éléments nous permettent de reconstituer l’histoire d’un homme et de découvrir ses pensées, ses secrets. Ce projet est naît de la rencontre d’un écrivain et d’une photographe, sur le réseau social du 17 Rue Des Arts. Il existe ainsi de nombreux petits éditeurs qui proposent des livres de toutes sortes de formes, et contribuent à assurer une richesse artistique et éditoriale en permettant de découvrir de nouveaux talents. Cependant, ces publications ne sont pas relayées par les mêmes réseaux de diffusion que ceux utilisés par les géants de l’édition, et les ouvrages ne circulent généralement que dans un cercle relativement fermé

3 source : www.17ruedesarts.fr/ 17-questions/ 4 se référer au livret de reproduction pour voir l’ouvrage en II.1.10

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1 consultable sur deslivresetdesphotos.blog. lemonde.fr/2012/12/09/livresde-photographie-2012-uneselection/ 2 voir la sélection sur www. photoeye.com/magazine_admin/ index.cfm/bestbooks.2012

a Cristina De Middel, The Afronauts, Laia Abril, 2012

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de passionnés. Internet, pourtant, offre la possibilité de s’adresser à un large public par les divers moyens de communications qu’il constitue. Une raison de ce phénomène pourrait s’expliquer par la nature de ces éditeurs : des artistes passionnés qui vendent des livres pour le plaisir et non à des fins commerciales.

LE DÉVELOPPEMENT DE L’AUTO ÉDITION EN FRANCE

Les livres de photographies font de plus en plus l’objet de salon, discussion, rencontre et échange. Aussi, des librairies, photographes, blogueurs passionnés de livres de photographie ou autre organisent régulièrement des votes pour élire les plus beaux livres de photographies de l’année. Il est intéressant d’étudier ces sélections pour se faire une idée de l’état de l’édition photographique. Ainsi, dans sa liste de 2012[1], Rémi Coignet précise que la production de livres de photographie est devenue innombrable, et il décide de présenter en priorité des livres peu connus. On trouvera aussi parmi sa sélection de douze ouvrages, cinq livres auto publiés. Pour la librairie photo-eye, le choix est fait par une trentaine de passionnés – dont John Gossage, Martin Parr et Alec Soth – qui vote parmi une liste d’environ deux cent titres. Pour l’année 2012[2], le livre qui arrive en tête de ce classement est The Afronauts [a], livre édité à compte d’auteur. Ces exemples révèlent bien l’importance de l’auto édition et de l’édition à compte d’auteur en photographie. En effet, comme nous l’avons vu dans le chapitre I, il n’est pas toujours facile de trouver un éditeur pour de petites productions, et dans un secteur aussi spécialisé. Ainsi, grâce notamment aux nouvelles techniques d’impressions, l’auto édition


se développe très bien. Elle offre aux photographes la possibilité de s’affranchir du lien parfois difficile avec l’éditeur, et représente surtout un moyen de contourner le circuit éditorial classique pour pouvoir éditer son livre. Aussi, l’auto édition est maintenant largement répandue, et n’est plus synonyme d’amateurisme. Elle se différencie de l’édition à compte d’auteur par la complète autonomie de l’auteur, qui prend en charge toutes les phases de publications de son œuvre. Ce dernier doit donc connaître parfaitement son marché. L’édition à compte d’auteur, en revanche, consiste à faire appel à un éditeur qui fournira une prestation de service en publiant le manuscrit – et en apportant parfois d’autres services – contre paiement. Je ne développerai pas plus ce mode d’édition, qui m’intéresse moins que l’auto édition car il comporte un intermédiaire dans la chaîne d’édition. Les livres d’artiste[3] ont très tôt eu recours à l’auto édition. En effet, peu d’éditeurs français acceptaient d’éditer des livres d’artistes et ces derniers ont alors été contraints de se faire éditer à l’étranger, ou d’assurer eux-mêmes leurs publications ainsi que la diffusion. Le livre d’artiste est en anglais différencié de l’artist’s book. Même si la traduction littérale est la même, les deux termes permettent de distinguer les différentes traditions livresques entre la France et l’Angleterre. En effet, la tradition du beau livre illustré est très ancrée en France, et le terme « livre d’artiste » se rapporte ainsi aux livres illustrés, souvent à caractère luxueux. La culture anglosaxonne, en revanche, très influencée par le modernisme, utilise le terme d’« artist’s book » pour désigner les livres d’artistes nés dans les années 1960 avec le peintre Edward Ruscha : des livres bon marché, à caractère presque éphémère et jetable, qui s‘intéressent à la culture

3 « La définition du livre d’artiste par la profession de son auteur ne peut être à l’évidence que nominale. Sa définition réelle passe par une interrogation sur le livre comme forme artistique » Anne Mœglin-Delcroix, Esthétique du livre d’artiste, une introduction à l’art contemporain, Gémenos, le mot et le reste/ Bibliothèque nationale de France, 2012, p.50

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1 se référer au livret de reproduction pour voir l’ouvrage en II.1.11 2 Edward Ruscha, entretien avec John Coplans, repris par Anne Mœglin-Delcroix dans Esthétique…, op. cit., p.22

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populaire, et réalisés à l’aide de moyens de reproduction accessibles (photocopie, photographie, etc). Ce sont ces derniers livres d’artistes qui m’intéressent et dont je parlerai dans ce paragraphe. Ces livres commencèrent à apparaître avec les avantgardes dada futurisme expressionnisme allemand et connurent un développement sans précédent avec les tendances de l’art conceptuel dès le milieu des années 60. En effet, le livre est alors envisagé en tant qu’œuvre d’art. Les artistes s’intéressent à l’objet « inesthétique » et sont ainsi en rupture avec la tradition des beaux-arts. En 1963, Ed Ruscha auto édite son œuvre phare Twentysix Gasoline Stations [1], qui aura une grande influence dans le milieu artistique. C’est un petit livre de 48 pages qui, comme l’indique le titre, nous fait voir vingt-six images de stations services en noir et blanc, avec pour seul texte une indication de marque et de lieu. Il dispose d’une fabrication simple et relativement bon marché – imprimé en offset sur du papier ordinaire – et ouvre la polémique sur sa diffusion par les procédés les plus économiques. Edward Ruscha précise lors d’un entretien avec John Coplans : Je n’essaie pas de créer un livre précieux en édition limitée, mais un produit de série qui soit de premier ordre.[2] Le livre est rejeté par de nombreux photographes, qui dénigrent la capacité photographique de Ruscha : les images, dénuées de qualités esthétiques marquées, s’opposent en effet à la quête d’une technique irréprochable des photographes de l’époque. La première édition se composait de 400 exemplaires numérotés, et les premiers livres furent vendus quelques dollars seulement. Cependant, devant le succès que le livre connu assez


rapidement, une deuxième édition de 500 exemplaires en 1967, puis une troisième de 3000 exemplaires en 1969 suivirent. Ces rééditions avaient pour but d’arrêter la spéculation – que l’auteur cherchait justement à éviter – engendrée par la rareté des premiers exemplaires. Malgré cela, aujourd’hui même les exemplaires de la troisième édition coûtent très cher (plus de 1000 dollars). La plupart des autres livres que l’artiste publia furent également des auto éditions. Ruscha explore d’une manière singulière l’idée de série pour ses objets, et on retrouve ainsi la maquette de son premier livre Twentysix Gasoline Stations dans certains de ses autres ouvrages : Various Small Fires: and Milk, Some Los Angeles Apartments ou encore Thirtyfour Parking Lots: in Los Angeles. Les titres annoncent à chaque fois le contenu exact des livres. En France, Christian Boltanski est l’un des premiers artistes à publier ses propres livres : son premier ouvrage Recherche et présentation de tout ce qui reste de mon enfance, 1944–1950 est édité en 1969. Aujourd’hui, Boltanski a publié plus de 80 livres. Mais si ses premiers ouvrages sont auto édités et auto diffusés, il fait ensuite publier ses livres par des petits éditeurs, des galeries ou des musées pour pouvoir bénéficier de tirages plus importants. En effet, l’auto édition engendre un certain nombre de contraintes, qui va de la quantité des tirages à une diffusion relativement limitée ; et contraint l’utilisation des techniques simples de fabrication. Ainsi, pour ses premières éditions dans les années 1970, Boltanski utilise une technique de reproduction alors courante : la photocopie. Ce procédé offre la possibilité aux artistes de fabriquer leurs livres sans compétence technique particulière. Les ouvrages sont ensuite envoyés

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a Sous-paradis, Éric Watier, Montpellier, édité par l’artiste, 1998

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par la poste, pour permettre une diffusion en dehors du contexte institutionnel et marchand de l’art. Un peu plus tard, toujours en France, d’autres artistes apportent un renouveau dans l’auto édition. Celle-ci peut est considérée comme un élément fondateur dans la démarche des artistes, comme on peut le voir chez Éric Watier, ou Céline Duval. Le livre fait partie d’un processus de travail. Éric Watier s’intéresse beaucoup aux paysages, notamment par le biais d’images trouvées, images anonymes et souvent déjà publiées. Ces images sont ainsi déjà « construites » : elles possèdent une fonction et répondent à une intention particulière. Par exemple dans Paysages avec retard et Sous-paradis [a] Éric Watier utilise des photographies de petites annonces. Il utilise alors des outils permettant la reproductibilité des images, telle que la photocopieuse. Son but n’est pas de réaliser une copie de l’original, mais de faire apparaître un nouvel objet. Un objet singulier directement rattaché à son système technique de fabrication. Ses objets sont souvent pensés pour pouvoir être réédités à l’infini, comme pour son projet pour la biennale du livre d’artistes de 2004 à Saint Yrieixla-Perche. Il l’explique ainsi : Tous les livres exposés à la biennale peuvent être acquis gratuitement sur simple demande, il suffit d’en devenir l’éditeur. Le destinataire choisit son ou ses livres, le CD des fichiers correspondants est gravé puis lui est donné et nous signons un contrat sommaire où le donataire s’engage à éditer et à distribuer les livres. Ainsi, chaque nouveau propriétaire prolonge le don qui lui est fait, en donnant de son temps (pour l’édition) et en redistribuant à son compte ce qu’il a produit.


Cette économie parallèle n’est possible que parce que les livres sont faciles à fabriquer : une impression recto verso, un pliage, une coupe et le livre est fait. Mais chaque édition engendre aussi toute une série d’adaptations incontrôlées : grammage, format ou teinte du papier, colorisation de l’impression, etc. Ces différences, généralement légères, engendrent de nombreuses variations autour d’un même objet. Elles multiplient les versions et rendent tout contrôle impossible et ridicule.[1] Il crée ainsi des livres uniques à tirage illimité. Le mode de fabrication du livre fait partie intégrante de ses projets. Le numérique ainsi que ce qu’il apporte au livre devient alors un thème très présent dans son travail. « Pourquoi imposer de la rareté là où la technique crée de la disponibilité ? » écrit-il. Il considère Internet comme une extraordinaire capacité à faire circuler des objets, et défend un art non vendable, et irréductible à la marchandise. Sa volonté d’utiliser l’auto édition ne lui empêche pas de collaborer avec des éditeurs pour certains projets. C’est le cas notamment avec son livre Bloc [b], éditée en 2006 par Zédélé Éditions et vendu 25€, mais également téléchargeable gratuitement sur le site de l’éditeur. On retrouve ici sa volonté de penser un objet d’art comme un geste libre, et gratuit. Le lecteur fait ainsi le choix de l’acheter déjà réalisé, ou de le télécharger (et de lui donner la forme qu’il désire). Céline Duval connait elle aussi une pratique de collaboration avec des éditeurs. D’abord envisagée comme une solution pratique (elle permet le financement des publications), la coédition est vite devenue pour Céline Duval une source d’enrichissement pour ses ouvrages.

1 Éric Watier, Dossier ArtistesLR, pp.10–11

b Éric Watier, Bloc, Brest, Zédélé Éditions, 2006

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1 entretien de Céline Duval par Jérôme Dupeyrat www.revue-2-0-1.net/index. php?/revuesdartistes/celineduval/ 2 l’article est consultable à l’adresse : deslivresetdesphotos. blog.lemonde.fr/2012/05/02/ une-conversation-avec-joachimschmid/

a documentation céline duval, revue en 4 images, n°31 à 60 + index, édition documentation houlgate, 2009

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On le voit avec la Revue en 4 images [a], éditée mensuellement de 2001 à 2009. Les quatre premiers numéros ont été auto édités par l’artiste seule, puis l’idée de faire appel à des sponsors pour financer le projet s’est développée. Finalement, un travail de collaboration a émergé de ces échanges, et cela a également permis de diffuser la revue de manière différente : « le coéditeur recevait 500 exemplaires qu’il était libre d’utiliser à sa guise »[1]. Des collaborations avec d’autres artistes ont également été créées, notamment avec Hans-Peter Feldmann, lui aussi adepte de l’auto édition. Les artistes qui pratiquent l’auto édition partagent en effet souvent les mêmes sujets de questionnements, les mêmes difficultés, et des associations ou collaborations émergent alors et contribuent à enrichir leurs démarches. C’est dans cet esprit-là que Joachim Schmid a fondé ABC Artists’ Book Cooperative, un réseau internationale qui réunit des photographes publiant chacun leurs livres en impression à la demande. Cette structure permet de faciliter la distribution des livres du groupe de photographes, puisque la grosse difficulté des livres auto édités réside en leurs diffusions. Une activité difficilement réalisable de manière individuelle se développe alors grâce à la coopérative : proposer leurs livres sur les foires de livre d’art en installant leurs stands. Mais la structure représente plus qu’une réponse au problème de diffusion. Joachim Schmid explique lors d’une conversation avec Rémi Coignet pour le blog des livres et des photos : Pour beaucoup des participants, ABC est vraiment devenu un réseau d’amis et de collègues qui se soutiennent. Il y a une grande atmosphère de solidarité dans la coopérative. Tout le monde produit des livres, discute les concepts de livres.[2]


Le réseau permet également la réalisation de projets collectifs.

LES APPLICATIONS MULTIMÉDIAS

Avec l’arrivée des supports numériques – notamment tablette et smartphone – des applications spécifiques à ces supports se sont développées. Ces publications, appelées communément app, jouent essentiellement sur une interactivité tactile, et ont pour objectif de nous engager physiquement et mentalement dans une histoire. Il existe aujourd’hui un certain nombre de « livres de photographie » proposés sous forme d’application. Royal AppBooks par exemple se définit comme un « éditeur de livres sous forme d’applications pour l’App Store », et plus précisément « des applications concernant l’art, le design et la photographie ». Ils réduisent la compatibilité de leurs produits à une marque en particulier, Apple, et les décline pour les différents terminaux : iPhone, iPad, iPod… Cette société ne propose en réalité pas les mêmes services qu’un éditeur puisqu’il n’y a pas de travail de création graphique derrière les applications présentées, et l’auteur se retrouve souvent à organiser seul son contenu selon une maquette type. Les différentes productions de cette entreprise sont réalisées à l’aide d’un logiciel et se présentent toutes d’après un même modèle. Ce dernier reprends les codes du livre, et imite la page virtuellement la page que le lecteur tourne, effet que l’on retrouve d’ailleurs dans beaucoup d’autres applications. Royal AppBooks attire ses clients ainsi : « Vous avez réalisé des centaines de photos magnifiques : sortez-les de vos archives ! » Aujourd’hui, une grande majorité d’applications sont conçues comme celles de Royal AppBooks : une succession d’images qui ne véhiculent pas

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1 Le Bal est un lieu dédié à la représentation du réel par l’image, sous toutes ses formes : photographie, vidéo, cinéma, nouveaux médias. « Notre rêve est d’ouvrir à paris un nouveau lieu dédié à l’imagedocument, à l’emplacement d’une ancienne salle de bal derrière la place de clichy. Un lieu d’exposition, de confrontation et d’interrogation des multiples approches possibles du réel, un lieu en résonance avec l’histoire en marche. » Raymond Depardon, président.

a Exposition de Paul Graham, Le Bal, 2012

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de message particulier, et qui n’a d’autre but que de montrer des photographies les unes après les autres. Si ces applications nous impliquent physiquement dans la lecture par une interaction entre nos doigts et le support électronique, il délaisse complètement nos capacités cognitives car le contenu ne transporte aucun message particulier. En parallèle de ces applications relativement décevantes en termes de qualité artistique, un certain nombre de graphistes, designers ou autres se penchent sur les différentes facultés qu’offrent ces terminaux numériques, et expérimentent en vue de trouver de nouvelles formes de publications pertinentes. Par exemple les graphistes néerlandais Kummer & Herrman, ou encore Sybren Kuiper, qui travaillent régulièrement sur des conceptions graphiques de livres de photographie, commencent à s’intéresser aussi aux applications. En effet, ces dernières engagent de nouvelles capacités de narration, et permettraient dans le même temps d’apporter des solutions, par exemple concernant les tirages épuisés en permettant une réédition numérique. Le Bal[1] a ainsi utilisé des tablettes tactiles lors de son exposition sur Paul Graham cet automne 2012[a]. Ces terminaux permettaient aux visiteurs de « feuilleter » les livres de photographie de Paul Graham par le biais de programme multimédia, et empêchaient la dégradation des ouvrages physiques. Ces derniers étaient eux aussi présents dans la salle, soigneusement placés en vitrine et ouverts à une page choisie par le commissaire. Bien que la frustration de ne pouvoir toucher les livres physiques ne soit pas comblée, les tablettes offrent au moins la possibilité de connaître le contenu de ces ouvrages. Elles offrent une alternative au fac-similé, ou à la vidéo, même si la relation sensible


à l’objet se trouve modifiée. Les applications ne peuvent prétendre à une copie des livres de photographies, mais peuvent répondre à ses différents besoins (de réédition notamment). Elles sont aujourd’hui particulièrement utilisées pour les magazines de mode : la forme de la tablette et l’écran brillant subliment les images, et offrent une expérience visuelle riche. Ainsi, la publication sur tablette de Vogue Hommes Japan [2] renouvelle le genre de la photographie de mode en animant les images en boucles automatiques. L’intégration de séquences animées vient dynamiser le magazine, et montre dans le même temps le potentiel de la photographie en mouvement. Cependant, comme beaucoup on pu le remarquer, les nombreuses caractéristiques qui s’ouvrent à ce nouveau genre de publications sont souvent développées en dépit du contenu : ainsi, le risque des applications serait de tomber dans une démonstration de technique et autre effet de style, avec des interactions qui, finalement, gêneraient plus l’histoire en interrompant sans arrêt la lecture. Aussi, Tim Moore reproche aux publications sur tablette de s’apparenter à de véritables « pdf sous stéroïdes »[3]. Ce designer graphique a conçu le magazine indépendant Letter to Jane [4], qui propose de partager par le biais d’une application disponible sur iPad le travail de plusieurs artistes. Le magazine révèle sa volonté de proposer un contenu adapté aux formats de l’application, et fait preuve d’une approche élégante et d’une esthétique simple.

2se référer au livret de reproduction pour voir l’ouvrage en II.1.12 3 étapes, n°211, « La fin des étagères ?/ L’édition sur iPad », par John Stines, pp.110 –119 4 se référer au livret de reproduction pour voir l’ouvrage en II.1.13

Ainsi, les applications offrent une multitude de possibilité d’exploration du contenu, comme notamment un nouvel enchaînement des images, et amènent une nouvelle

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1 étapes, n°211, « La fin des… », op. cit., p.113

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manière de penser. Elles restent toutefois des outils, qui doivent être utilisés pour appuyer un contenu pertinent. Dans un article pour le magazine étapes, John Stones résume : Par comparaison à la page imprimée, [la tablette] possède trois avantages intrinsèques : premièrement, la possibilité de présenter une image animée ; deuxièmement, la navigation par clic et le réseautage social ; et troisièmement, la possibilité de stocker un nombre invraisemblable de pages.[1]


Les difficultés occasionnées par les fichiers numériques II.2

Les publications numériques représentent un nouveau mode d’édition, qui ne comprend pas les mêmes enjeux que les publications papiers. Comme je l’ai montré avec les exemples de la partie précédente, elles permettent d’intégrer de nouveaux médiums tel que le son ou la vidéo, et sont, par nature, diamétralement opposées aux ouvrages imprimés. En effet, les fichiers numériques se composent avec des langages de balisages qui permettent d’inclure des ressources multimédias. Ainsi, ils ne se développent pas de la même manière que les livres, et se diffusent également différemment. Cela implique un certain nombre de modifications sur le plan technique et juridique.

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DROITS NUMÉRIQUES

L’édition numérique implique de reconsidérer le modèle économique mis en place par l’édition classique. En effet, de nouveaux problèmes se dégagent et échappent aux lois actuellement en vigueur. Une question particulièrement importante et délicate concerne les droits d’auteurs. La volonté de préserver les mêmes droits intellectuels s’appliquant aux ouvrages papiers s’oppose à la réalité des fichiers numériques, qui relève d’un tout autre paradigme. La notion de droit d’auteur est directement liée aux possibilités de reproduction des œuvres, qui sont facilitées par le numérique avec la copie. Car pour visionner un fichier numérique sur un quelconque terminal informatique, il faut dans un premier temps le copier. Aussi, limiter la copie revient à restreindre nos capacités d’action sur un ouvrage, en empêchant notamment le partage. L’enjeu réside alors à trouver une juste entente entre respect du travail de l’auteur et respect de la vie privée des lecteurs. Pour l’institut national de la propriété industriel, le droit d’auteur français « protège les œuvres littéraires, les créations musicales, graphiques et plastiques, mais aussi les logiciels, les créations de l’art appliqué, les créations de mode, etc ». Aussi, deux types de droits s’y rapportent : – les droits « moraux » qui vous protègent en tant qu’auteur. Vous pouvez ainsi vous opposer à une divulgation de votre œuvre qui serait faite sans votre consentement, à une utilisation qui dénaturerait votre œuvre ou encore revendiquer que votre nom soit mentionné. Ce droit moral est perpétuel et vous ne pouvez pas le céder;

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– les droits « patrimoniaux » qui vous permettent d’interdire ou d’autoriser l’utilisation de votre œuvre et de percevoir, dans ce cas, une rémunération en contrepartie. Le droit patrimonial dure jusqu’à soixante-dix ans après la mort de l’auteur ou après la divulgation si l’œuvre appartient à une personne morale (société, association). »[1] Ainsi, un auteur est censé pouvoir contrôler toute propagation de son œuvre, qui tombera dans le domaine public soixante-dix ans après sa mort[2]. Or ce phénomène est difficilement contrôlable avec Internet et sa capacité à échanger des données dans le monde entier. Dans L’édition électronique, Marin Dacos et Pierre Mounier soulignent que cette contradiction caractérise « la clé d’entrée du principal problème posé par les technologies numériques au droit d’auteur : ce dernier repose essentiellement sur un contrôle de la copie ; or la copie est l’opération qu’effectue le plus souvent un ordinateur, ne serait-ce que pour ses opérations internes ; et surtout, il l’effectue pour un coût quasiment nul ». Aussi, l’œuvre numérique peut être enrichie – par l’hypertexte, le son ou encore la vidéo – et peut bénéficier de mises à jour, d’ajouts de contenus ou de modifications. Il serait alors assez réducteur de contraindre l’œuvre aux droits moraux et patrimoniaux tels qu’ils existent à l’heure actuelle, car l’utilisateur n’aurait alors pas le droit d’agir sur l’œuvre. Aujourd’hui pourtant, la méthode la plus répandue pour protéger les ouvrages numériques consiste à y apposer des « cadenas », dont l’ampleur reste à définir. Les grandes sociétés de fabrication de livres numériques comme Adobe ou Amazon ont ainsi commencé par vendre des fichiers très verrouillés, qui ne permettaient

1 www.inpi.fr/fr/connaitre-lapi/decouvrir-la-pi/commentproteger-vos-creations-nbsp/ le-droit-d-auteur.html 2 De plus, le droit moral implique de citer le nom de l’ouvrage et de son auteur ainsi que d’en respecter l’intégralité lors d’une quelconque utilisation de l’œuvre tombée dans le domaine public, au risque de se voir réclamer des dommages et intérêts par les héritiers (droits moraux « perpétuels »).

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1 gestion des droits numériques en français 2 définition wikipedia source : fr.wikipedia.org/ wiki/Gestion_des_droits_ num%C3%A9riques 3 Marin Dacos Pierre Mounier, L’édition électronique, Paris, Éd. La Découverte, 2010, pp.9-10 4 Il dit : «il suffit d’une fausse manipulation, d’un défaut de mise à jour, d’un problème d’identifiant, de mot de passe, ou simplement d’une machine mal lunée ce jourlà, pour vous retrouver avec un livre absolument illisible»

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par exemple la lecture que sur un seul terminal, ou la limitait à une certaine durée. Ces restrictions passaient par les DRM, de l’anglais digital rights management [1], qui ont pour objectif de « contrôler l’utilisation qui est faite des œuvres numériques »[2]. Ici, une autre question apparaît, et concerne la nature même du bien. En effet, il ne s’agit plus de vente d’ouvrage, mais plutôt de vendre une autorisation temporaire à l’accès d’un fichier. L’exemple d’Amazon, qui a vendu plusieurs exemplaires de deux livres de George Orwell avant de se rendre compte qu’il n’avait pas les droits requis est particulièrement représentatif. Utilisant le système de connexion automatique entre la liseuse et son catalogue central, Amazon a en effet effacé ces fichiers des machines de ses clients. Que s’est-il passé ? Le libraire en ligne s’est tout simplement rendu compte a posteriori, donc après en avoir commencé la distribution, qu’il n’avait pas les droits d’exploitation numérique sur ces deux ouvrages. Il a donc pris la décision non seulement de les retirer de son catalogue, mais aussi des machines utilisées par ses clients.[3] Cette ambiguïté causait ainsi beaucoup de complications, et a révélé la nécessité de donner plus de liberté aux lecteurs. Pour Julien Simon, cofondateur du Studio Walrus, les DRM et les watermarks témoignent de beaucoup de complications[4]. Il se positionne pour des livres ouverts, et explique : Je n’aime pas les DRM. J’ai déjà perdu trop de temps à essayer de faire fonctionner un livre que j’avais honnêtement acheté pour les porter dans mon cœur. Les livres chez Walrus sont certifiés sans DRM,


et à chaque fois que nous proposons des missions d’accompagnement de projet numérique à nos clients éditeurs, nous militons en faveur du NO DRM AT ALL. […] Il y a une sorte de contrat moral implicite entre un livre watermarké et son utilisateur. Certains poussent le vice jusqu’à vouloir insérer le numéro de carte bancaire de l’acheteur dans le watermark. Impossible dans ce cas de songer ne serait-ce qu’à prêter son livre numérique ![5] Plusieurs acteurs de l’édition réprouvent ainsi les circuits fermés, et revendiquent une meilleur interopérabilité. Pour cela, les droits d’auteur doivent être réformés et adaptés au système du numérique. Lionel Maurel, juriste et bibliothécaire connu sur le web sous le pseudonyme Calimaq, propose ainsi sur son site[6] une vingtaine de réformes législatives pour renforcer le domaine public en France, et favoriser le partage et le libre accès à la culture. Pour Jérémie Zimmermann, activiste français anti copyright co-fondateur de La Quadrature du Net et membre du conseil d’administration de l’April, la culture est aujourd’hui « basée sur le partage, sur le remix, sur le copier/coller »[7]. Il explique lors d’une interview pour le Vinvinteur : On a une loi qui va toujours plus loin se déconnecter de cette réalité[8]. Il faut changer la loi. Alors on pourra réfléchir à d’autres choses, à comment financer la culture, financer la création. Le site de La Quadrature du Net présente aussi des éléments de réformes[9], et propose des solutions pour un financement public culturel. Ainsi, on le voit à travers de nombreux exemples, il est primordial de repenser la position des auteurs.

5 book-to-the-future.tumblr.com/ post/37898814332/watermarkun-drm-qui-ne-dit-pas-son-nom 6 scinfolex.wordpress. com/2012/10/27/i-have-adream-une-loi-pour-le-domainepublic-en-france/#comment-4641 7 Jérémie Zimmermann dans le Vinvinteur, n°13 blog.france5.fr/levinvinteur/2013/01/27/levinvinteur-n%C2%B013/ 8 en référence à la culture, qui «n’existe que par le partage» 9 www.laquadrature.net/fr/ elements-pour-la-reforme-dudroit-dauteur-et-des-politiquesculturelles-liees#public

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DIFFICULTÉS LIÉES À LA PRODUCTION ET LA VENTE DES FICHIERS NUMÉRIQUES

Il existe deux types de fichiers numériques. Dans la première catégorie, qui représente aujourd’hui l’essentiel de l’offre des catalogues numériques, se trouve les fichiers appelés « livres électroniques », qui comportent principalement du texte, quelque fois des images. On trouve des ouvrages ayant été numérisés d’après des livres papiers par reconnaissance optique des caractères (OCR), ou des ouvrages où l’édition du texte est nativement numérique. Ensuite, dans la deuxième catégorie figurent les ouvrages multimédias, qui contiennent des contenus enrichis en hyperliens, vidéos ou sons. Les applications consultables sur tablettes en font partie. Ces différents types de publications peuvent être créés sur divers formats. Tout d’abord, on remarque que la plupart des terminaux mobiles, y compris les liseuses, gèrent le format pdf, bien que celui-ci soit plus approprié à un usage sur ordinateur. Ensuite, il existe le PRC/mobipocket, acquis en 2005 par Amazon, qui propose également son format propriétaire le azw. Mais le format le plus répandu reste l’ePub, format ouvert devenu un standard. Ces différents formats de fichier sont construits avec du code html et css, qui est à l’origine des langages utilisés pour la création des pages web. Ainsi, on y retrouve l’intérêt d’un texte recomposable qui peut s’adapter à toutes les différentes tailles d’écrans. Le premier problème qu’engendrent ces fichiers numériques est que si ces formats utilisent le codage html, les éditeurs de livre papier pour leur part ne sont certainement pas développeurs. Ainsi ils doivent, pour se lancer sur le marché du numérique, engager

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des personnes qualifiées dans la fabrication de livres électroniques ou former leurs personnels à cette nouvelle sphère de l’édition. Cependant, peu de maison d’édition emploie des spécialistes, et il arrive parfois de tomber sur des fichiers mal codés. Cela peut être le cas notamment lors d’une création automatisée où des opérations peuvent être effectuées rapidement mais au prix d’une syntaxe douteuse du code et d’un fichier de mauvaise qualité. Sur leur blog Chapal & Panoz, deux e-book designers définissent ainsi le problème : Dans le domaine du livre numérique, la « confiance aveugle » consiste paradoxalement à ne juger le travail qu’au niveau purement visuel.[1] Ils mettent en garde sur le fait qu’un livre numérique peut être acceptable en apparence mais que le code qui se cache derrière peut être très mauvais, ce qui contribuerai – si aucune attention n’est portée à ce niveau-là – à une dégradation généralisée de la qualité des livres numériques. Ils ajoutent également : Dans quelques années, l’éditeur qui commercialisera des fichiers codés n’importe comment sera peut-être considéré comme l’éditeur qui publie des livres papier de mauvaise qualité. Outre la qualité d’un fichier, l’autre problème qui peut se poser est celui de l’interopérabilité. La diversité des formats propriétaires induit une certaine incompatibilité d’un terminal à l’autre. Pour une compatibilité étendue et une bonne pérennité des fichiers le choix d’un standard ouvert serait la solution idéale, cependant, certains géants de l’édition numérique préfèrent s’assurer que les gens qui achètent leurs matériels ne puissent lire que leurs e-book.

1 blog.chapalpanoz. com/2013/02/14/livrenumerique-et-qualite/

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1 source Pierre-Yves Bocquet, « sauvegarde informatique », Sience&Vie, n°1142, novembre 2012, p.124

Les applications, et notamment de photographies, comprennent une contrainte supplémentaire : leur diffusion. Contrairement aux livres numériques de type roman qui trouvent leurs places dans l’index des maisons d’éditions auxquels ils sont rattachés, les applications de photographies se retrouvent immergées dans un flot d’applications de genre totalement différent. La plupart des magasins en ligne ne proposant pas de rubrique appropriée, elles sont noyées dans des catégories comme « style de vie », « divertissement » ou encore « jeux »…

QUELLE PÉRENNITÉ POUR LES OUVRAGES NUMÉRIQUES

Aujourd’hui la question de la préservation de notre patrimoine numérique est de plus en plus présente à mesure que le volume de donnée informatique ne cesse d’augmenter. Face à cette problématique, plusieurs paramètres entrent en jeu et contribuent à déterminer la durée de vie des données. Il faut dans un premier temps distinguer le support du fichier à conserver et le fichier lui-même. Si le support est détérioré, les fichiers seront alors impossibles à récupérer. Par exemple, un DVD gravé garde rarement ses données intègre plus de 10 ans[1]. La pérennité d’un fichier dépend donc avant tout de l’intégrité du support qui l’accueille. Aussi, aucun support de stockage ne peut être considéré comme parfait et inaltérable. Diverses méthodes sont donc mises en œuvre pour archiver les contenus. Lorsqu’il est question de conservation, il faut distinguer le stockage de l’archivage, mais aussi de la sauvegarde. En effet, le stockage se réfère à l’action d’entreposer des contenus pour servir de base au traitement ultérieur.

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Le contenu archivé, lui, est un assemblage de contenus sur support sécurisé, dans le but d’un usage ultérieur. Il est considéré comme figé et ne peut donc pas être modifié. La sauvegarde, pour finir, consiste à une duplication du contenu dans un but sécuritaire pour éviter les pertes. Le format de fichier a lui aussi son importance dans la question de pérennité d’un fichier. Il faut faire en sorte que ce dernier puisse être lu par les logiciels et les machines le plus longtemps possible après sa création. Ainsi, le mieux est de privilégier des formats ouverts ou faisant l’objet de normes internationales. Il est toutefois impossible d’assurer aux contenus une lisibilité illimitée puisque les changements technologiques sont difficilement prévisibles. Par exemple, le livre numérique, avec le format ePub, est en perpétuelle évolution. De nouvelles fonctionnalités sont ajoutées à chaque nouvelle version du format. Ainsi, au passage de l’ePub 2 à l’ePub 3 les possibilités d’HTML 5 et CSS 3 – les dernières révisions des langages de mise en forme de pages web – ont été intégrées. De plus, l’ePub est basé sur le langage XML qui est extrêmement répandu, ce qui augmente ses chances d’être encore utilisable plus tard. Un livre numérique sera donc de préférence archivé dans ce format pour gagner en durée de vie. Quant aux applications qui sont créées pour des tablettes ou smartphones dans des formats propriétaires, leur viabilité est liée à celle du support capable de lire le format en question. On peut aussi faire remarquer que les applications mobiles doivent être programmées pour un support précis, car les différents systèmes d’exploitation des terminaux mobiles n’utilisent pas le même code, et elles ne sont pas proposées dans les mêmes magasins en ligne. Aussi, la plupart

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du temps une application est prévue pour un nombre limité de support alors qu’il en existe plus d’une dizaine. De même, si un système d’exploitation disparaît du jour au lendemain, les applications codées pour cette plateforme devront être adaptées pour une autre ou seront inutilisables et oubliées.

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Quels modèles envisager pour l’édition multimédia ? II.3

Aujourd’hui, la photographie présente sur écran a encore beaucoup de mal à partager des idées et des histoires comme pourrait le faire un livre de photographie. Les applications permettent d’envisager de nouvelles possibilités, mais elles ne connaissent aujourd’hui que très peu de système de conception et de diffusion adapté à leurs formes spécifiques. Les éditeurs ont en effet beaucoup de mal à s’inscrire dans ce champ-là, et bien que les designers s’intéressent de plus en plus à cette nouvelle forme, il existe très peu de structures qui s’occupent de toutes les étapes du processus de la création et la vente d’applications multimédias. Ainsi, quels services pourraient proposer un éditeur pour répondre à ce manque ? En étudiant des modèles déjà existants mais qui se rapportent à d’autres champs d’applications, je vais tenter de proposer de nouvelles formes pour la publication

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1 Avec un recul du chiffre d’affaires de 4,4 %, le marché français de la musique enregistrée affiche sa dixième année de baisse consécutive, selon les données rendues publiques par le Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP), lundi 28 janvier, à Cannes, au Marché international du disque et de l’édition musicale (Midem). source : www.lemonde.fr/ economie/article/2013/01/28/ telechargement-streamingl-industrie-de-la-musiquecherche-encore-sonmodele_1823499_3234.html

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et la diffusion des différents messages visuels que la photographie peut nous offrir à travers l’écran.

LA MUSIQUE EN LIGNE

Depuis la dématérialisation des CD, l’industrie de la musique a du repenser son modèle économique et ses techniques commerciales. Même si elle a encore du mal à se stabiliser et compenser la chute de vente de disques[1], un certain nombre d’innovations se sont développées. Ainsi, il existe aujourd’hui une multitude de sites web qui propose de la musique à la demande, et des outils innovants se répandent et favorisent l’industrie musicale. Les sites de musiques en ligne proposent d’écouter de la musique en streaming par des offres gratuites, souvent couplées à des offres payantes plus complètes, et/ou de télécharger des titres. Ces points d’accès à la musique en ligne sont très diversifiés. Parmi les plates-formes qui proposent des téléchargements, on trouve par exemple Jamendo. Ce site permet d’écouter et de télécharger de la musique gratuitement, tout en proposant l’achat d’une licence professionnel pour certains titres pour tout usage commercial. Jamendo se distingue des autres platesformes car il se rend accessible aux artistes indépendants, en permettant à n’importe qui d’envoyer sa musique puis de choisir une licence creative commons pour protéger ses droits. Il donne la possibilité aux artistes qui le souhaitent de soumettre aussi leurs musiques à une licence commerciale, et leur reverse ensuite 50% des revenus. Ce système est particulièrement intéressant car il ne comporte aucun intermédiaire entre les artistes et le diffuseur, et permet de faire connaître de nouveaux


musiciens. Cependant, ces derniers ne peuvent être rémunérés que d’après les licences commerciales, qui ne représentent qu’une petite part du trafic du site et s’adresse à un public bien spécifique, qui recherche un usage commercial. L’intérêt pour les artistes réside donc surtout à gagner en visibilité grâce au référencement que permet le site, et de trouver son public potentiel. Pour les internautes, cela permet de découvrir de nouveaux artistes, et surtout de pouvoir télécharger ces musiques légalement et gratuitement. Pour trouver des plates-formes proposant un contenu plus classique, il faut se tourner vers des services aux téléchargements payants, comme FnacMusic, ou SFR Music par exemple. Le service FnacMusic vent les titres individuellement, par album, ou propose des achats au pack. L’internaute pourra écouter un extrait de trente secondes avant d’acheter la musique. Ces services payant peuvent être rédhibitoires pour certains lorsque des possibilités gratuites existent. Aussi, leur système de navigation ainsi que la limite du temps d’écoute ne favorise pas la découverte de nouveaux titres, et permet principalement de vendre des musiques déjà connues. Les artistes présents sur ces plates-formes passent le plus souvent par des labels, et entre les maisons de disques, les distributeurs digitaux et les services de téléchargement en ligne, beaucoup d’intermédiaires entrent en jeu et éloignent ainsi l’artiste de son public, ce qui a bien entendue de lourdes conséquences sur la rémunération des artistes. Un autre exemple de plate-forme de téléchargements gratuits de musique existe avec Beezik. Ce service français propose plus de 8 millions de titres sortis des catalogues des principaux majors, à télécharger

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1 Il comprenait 3 millions d’utilisateurs seulement deux ans après sa création source : www.whojamlive.com/ musicweek/museweek/la-ruchedes-telechargements-gratuitset-legaux/ 2 d’après les chiffres clés du marché numérique par la conférence de presse MIDEM 2013

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gratuitement et légalement. Pour rendre ce projet réalisable, le site est financé par la publicité : pour télécharger un titre, l’internaute devra regarder un spot publicitaire jusqu’à sa fin où il n’aura alors que six secondes pour cliquer sur le bouton qui permet le téléchargement. L’utilisateur peut choisir sa publicité, et obtient même des bons de réductions après un certain nombre de titres téléchargés, soit de publicités regardées. Un système tout nouveau où l’internaute pourra écouter, ou plutôt consommer gratuitement de la musique, mais qui connaît toutefois un grand succès[1]. Cet exemple nous montre que devant la multiplicité des morceaux existants beaucoup d’internautes ne sont pas prêt à acheter des titres sans pouvoir les écouter en entier, et que de nouvelles solutions peuvent être envisagées pour rémunérer les artistes. Des services de streaming se sont développés en parallèle de ces modèles. Ils se libèrent de l’offre de téléchargement en proposant d’écouter la musique en ligne et de bénéficier des webradios, des playlists ou des recommandations musicales des autres utilisateurs. Ils se développent particulièrement bien et concernent en 2012 42% du marché musicale numérique français[2]. Il existe de nombreuses plates-formes différentes qui proposent chacune des caractéristiques distinctes. Ainsi, Spotify propose un logiciel à télécharger alors que Deezer permet l’écoute sur le web, Stereomood permet de définir rapidement son humeur pour écouter une playlist adaptée, Quobuz offre une qualité audio particulièrement élevée, et Musicovery propose une interface originale pour découvrir toute sorte d’ambiances musicales. Toutes ces plates-formes donnent aux internautes la possibilité de communiquer, d’échanger des avis et de partager des playlists. Ils proposent généralement deux types


d’offres qui peuvent varier selon les plates-formes mais se présentent généralement ainsi : une offre gratuite qui comporte de la publicité et parfois des morceaux de qualité moyenne, et une offre payante sans publicité avec un accès illimité à toute la bibliothèque. L’avantage des plates-formes comme Deezer et Spotify réside aussi dans la compatibilité de leur service vers différents terminaux : de l’ordinateur, au téléphone portable en passant par la tablette, l’écoute de musique est possible partout. Le compte payant permet d’utiliser un mode hors connexion, et offre alors un service de stockage de ses musiques dans le cloud. Cela rend ainsi obsolète le téléchargement, ainsi que l’achat de lecteur mp3 et permet d’utiliser des appareils que l’on possède déjà – comme le téléphone mobile – pour écouter de la musique. Aussi, un certain nombre d’outils apparaît pour permettre aux artistes de gérer seul le développement de leur œuvre musicale, leur offrant alors la possibilité de se libérer des bases traditionnelles de la répartition des valeurs, qui passe par de nombreux intermédiaires et participe à la faible rémunération des artistes. Le groupe Teams par exemple propose plusieurs services marketing permettant aux artistes de lancer leur carrière : création de site web, campagnes et opérations promotionnelles, élaboration d’une identité graphique, des conseils en stratégie digitale, ainsi qu’un marketing Direct To Fan. Les services Direct To Fan permettent notamment de créer un lien direct entre les musiciens et leurs fans, d’élargir grâce à Internet son public à de nouveaux auditeurs, puis leurs vendre directement ses créations. TopSpin et FanBridge s’engagent notamment dans cette voie en permettant aux artistes de gagner en notoriété,

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1 Une interview d’Hugo Amsellem, co-fondateur de la startup est disponible sur le site de Whojam Live. source : www.whojamlive. com/musicweek/museweek/ oocto-la-plateforme-damorcagede-projets-musicaux-interviewdhugo-amsellem-son-cofondateur/

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de consulter des statistiques pour mieux connaître son public et améliorer ses stratégies de vente. D’autres outils offrent la possibilité d’annoncer et de vendre des places de concerts en ligne, favorisant ainsi sa promotion. On trouve également des plates-formes participatives permettant le financement des artistes grâce au crowdfunding, comme le site français Oocto[1]. Ce dernier permet de structurer toute l’aide dont les artistes ont besoin pour réaliser leurs projets en donnant la possibilité à n’importe quel volontaire de participer à ces projets de manière financière, ou en offrant leurs services. Ce système rejoint celui des éditeurs du 17 Rue Des Arts que j’ai présenté dans la partie II,1. Si ces services de téléchargement et d’écoute de musique peuvent cohabiter de la sorte, c’est qu’ils se distinguent par leurs spécificités de catalogues et de fonctionnements. Les services de téléchargements permettent ainsi d’acheter des morceaux précis et de pouvoir les écouter depuis n’importe quel appareil, connecté à Internet ou pas, alors que les plates-formes de streaming offrent la possibilité d’écouter en ligne des playlists, webradio ou autre et favorisent la découverte de nouveaux titres. Tous ces services permettent ainsi de couvrir une grande diversité de production dans le domaine de la musique et de toucher un public diversifié, ce qui n’est pas encore le cas dans l’édition numérique où l’on trouve aujourd’hui principalement des livres qui ne comportent que du texte. Les services spécialisés sont chacun représenté par des plates-formes spécifiques : Jamendo pour les artistes indépendants, Oocto pour le crowdfunding, etc.


LA PRESSE EN LIGNE

La presse a elle aussi subi de grandes transformations avec Internet. Ainsi, de nouveaux métiers, de nouveaux modèles et de nouveaux contenus se mettent en place. Le Monde nous montre un exemple de site d’information semi-gratuit, qui propose un contenu en ligne gratuit avec en même temps des abonnements payants. Ces abonnements permettent d’accéder à des contenus exclusifs, notamment des dossiers techniques complets, d’accéder aux archives du journal, de personnaliser des alertes info, de recevoir des newsletters thématiques mais aussi donne l’accès à des services participatifs (comme la création de blogs par exemple). Une formule permet également de recevoir le journal papier. D’autres services payants sont proposés, comme des cours d’anglais (proposés par des partenaires) ou des ventes de CD, DVD, livres ; et permettent, avec les abonnements, de financer partiellement le journal. La publicité permet elle aussi le financement de l’information. On remarque que le contenu du site est très diversifié, autant dans la forme que dans le contenu : articles écrits, débats, vidéo, blogs… Ils peuvent ainsi s’adresser au plus grand nombre, en permettant à chacun de trouver ce qui l’intéresse. Avec les 6000 blogs qui se rattachent au site du Monde – dont la feuille, et des livres et des photos notamment – il gagne aussi en visibilité et s’enrichit des messages des internautes. D’autres journaux font le choix de rendre leur site complètement payant. C’est le cas notamment d’Arrêt sur image, Médiapart ou The Times. Ce dernier a cependant vu la fréquentation de son site chuter depuis son choix de passer au tout payant[2]. Arrêt sur image et Médiapart, quant à eux, se rapportent à des personnalités

2 D’après le chercheur JeanNicolas Reyt, le Times perd 88% de lecteurs en devenant payant. L’étude est disponible sur son site : www.reyt.net

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1 source : Philippe Couve & Nicolas Kayser-Bril avec Marion Senant, Médias, nouveaux modèles économiques & questions de déontologie, p.12 2 source : www.journalismes. info/Les-nouveaux-modeleseconomiques-des-medias-surInternet_a3619.html

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fortes – Edwy Plenel, fondateur de Médiapart est aussi un ancien directeur de la rédaction du Monde, et Daniel Schneidermann, qui a lancé Arrêt sur image a su tirer avantage de son exposition télévisée[1] – et partagent des idées ainsi qu’une image spécifique. Cette affirmation permet d’attirer un public spécifique et de le garder. Leur but est de rentabiliser le site par les services d’abonnements, sans passer par la publicité, pour « créer des médias indépendants de qualité sans mécène et sans subvention »[2]. Un autre système existe avec Rue89, qui change les modes classiques de productions de contenus. Il constitue un réseau participatif où les internautes peuvent participer à la création d’articles. Rue89 comprend une équipe de rédaction de journalistes et reporters, auxquels viennent s’ajouter des bénévoles. L’idée est de proposer diverses sources d’informations, diverses visions de l’actualité, et de favoriser l’échange. La dimension sociale est au cœur du mode de fonctionnement du site. Tous les articles – écrits, photos, ou vidéos – sont consultables gratuitement, et le financement se fait par la publicité, par des offres de formations, ainsi que des prestations de services d’agences web. Ainsi, comme Le Monde, une offre de services divers a été développée pour contribuer au financement. Owni, bien qu’étant actuellement placé sous liquidation judiciaire et arrêté depuis le 21 décembre 2012, proposait un système très intéressant, avec un contenu sous licence Creative Commons, sans publicité. Ce média de distribution libre, qui s’intéressait entre autre à la culture numérique par le biais d’enquête, de reportage, et de data-journalisme, était financé par l’intermédiaire


d’un partenariat avec la société prestataire de service 22mars[3]. Owni présentait une charte éditoriale originale et recherchée, et se distinguait ainsi des autres journaux en ligne. Avec son graphisme épuré, le site choisissait de mettre en avant la diversité des contenus en mettant au même niveau tous les articles – en proposant tout de même un trie par catégorie – et de favoriser le partage avec des boutons « partager » mis en évidence et permettant de manière simple de partager l’article sur facebook ou twitter. Tout comme Rue89, il bénéficiait d’une équipe de journalistes auxquels s’ajoutait plus de 1000 contributeurs. Véritable média social, le but d’Owni était de défricher et de rassembler les informations déjà présentes sur le net. Aussi, on retrouve encore une fois l’exemple du crowdfunding avec par exemple le site J’aime l’info, qui « regroupe des sites d’information souhaitant s’appuyer sur leurs lecteurs pour se développer et lancer des projets »[4]. Avec l’entrée de ces médias sur le web, une dimension sociale et collaborative apparaît et permet d’enrichir l’information tout en favorisant sa pérennité et son partage. Encore une fois, la visibilité de ces médias sur la toile est un critère essentiel à un bon fonctionnement, et de nouveaux métiers apparaissent : les community manager et les responsables d’édition.

3 22Mars est un éditeur de médias sociaux, contenus et logiciels. www.22mars.com 4 explications données par le site www.jaimelinfo.fr

ARTE, UNE DÉMARCHE DIGITALE RICHE

Arte a été une des premières chaînes à se développer sur le web et à proposer des programmes complémentaires à la chaîne télévisée. Avec ses huit sites rattachés (Arte tv, Arte+7, Arte Live Web, Arte Creative, Arte Radio, Arte VOD, Arte Boutique, et Arte Pro),

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Arte affiche un contenu diversifié avec des dispositifs interactifs variés, et montre sa volonté de créer un univers propre à la chaîne. On y trouve des rediffusions de programmes de la chaîne de télévision, mais aussi des contenus produits spécifiquement pour le site. Parmi les différentes plates-formes, chacune a sa spécificité : Arte tv est le portail qui donne accès aux programmes et aux webproductions, Arte+7 est la télévision de rattrapage qui propose une rediffusion gratuite des programmes d’Arte des sept derniers jours, Arte Live Web se présente comme un journal des spectacles, Arte Creative s’articule autour des arts numériques, Arte Radio propose des reportages, témoignages, documentaires, fictions, et toutes sortes d’autres sons, Arte VOD est un service payant de vidéo à la demande, Arte Boutique présente tous les produits en vente, et enfin Arte Pro s’adresse aux professionnels de l’audiovisuel et des médias. Par ces différentes plates-formes, Arte propose une information culturelle riche et variée, en offrant plusieurs espaces spécialisés pour les différents profils ou volontés des spectateurs. Grâce à son site internet, Arte peut ainsi toucher un nouveau public. Le site internet engage les internautes à s’exprimer, notamment avec la plate-forme Arte Creative qui repose sur un système participatif. Encore une fois, la collaboration est essentielle pour rendre vivant le site et permettre des discussions et débats. L’internaute ne fait pas que recevoir, comme il le ferait devant sa télévision, mais il peut également apporter sa contribution. Des comptes utilisateurs permettent de personnaliser sa navigation et de participer aux jeux ou autres interactions que proposent Arte. Les webfictions et webdocumentaire notamment impliquent souvent

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le spectateur dans le récit, et utilisent les capacités du web participatif pour réinventer de nouveau système de narration. Ainsi, dans la série d’animation Hotel, diffusée de manière hebdomadaire d’octobre à décembre 2012, les spectateurs pouvaient, chaque semaine, parcourir virtuellement le monde d’Hotel dans la situation laissée à la fin de l’épisode, à la manière d’un jeu vidéo. La fin de la série se terminant sur une destruction du monde, les internautes avaient alors la possibilité de reconstruire un univers avec les ruines environnantes. Un autre exemple utilise les différentes possibilités qu’offre Internet pour toucher le spectateur : Prison Valley, « un road-movie interactif dans une ville-prison où même ceux qui vivent dehors vivent dedans »[1]. Cette enquête sur le milieu carcéral américain s’articule autour d’un webdocumentaire en ligne, un documentaire diffusé sur Arte, une application iPhone, un livre portfolio et une bande originale. Le projet réunit différents médiums : la photographie, le documentaire et le développement web. Le webdocumentaire exploite les différentes narrations rendues possibles avec Internet : le récit mélange des vidéos à caractère documentaire à des passages où le spectateur devient actif et a la possibilité de découvrir des indices ou de s’informer davantage sur des parties précises du récit. Le dilemme réside alors à ne pas transformer le documentaire en jeu-vidéo, et de mettre finalement plus de distance entre le spectateur et la réalité. Ainsi, en cultivant les nombreuses possibilités qu’offre Internet, Arte a su apporter un site riche en matière de contenus et de fonctionnements qui vient compléter ses apports en tant que média télévisé. Le site est basé sur un échange avec les internautes, qui peuvent

1 www.davduf.net/-PrisonValley-

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s’impliquer dans des histoires ou des débats, ou même proposer leurs propres contenus.

SYNTHÈSE ET HYPOTHÈSES

Ces différents modèles nous montrent, dans un premier temps, l’importance d’affirmer une identité propre. En effet, une plate-forme peut offrir des services, mais elle partage aussi ses idées. Il est important que l’internaute puisse se reconnaître dans la structure et lui faire confiance, particulièrement dans les médias d’informations. Arte, par exemple, s’affirme dans la sphère culturelle et peut alors proposer un contenu spécialisé qui ne touchera certes pas tout le monde, mais permettra de fidéliser les intéressés. La manière de proposer un contenu peut également en dire beaucoup : ainsi Jamendo ou Owni, qui revendiquent des contenus sous licence creative commons, toucheront davantage les citoyens qui défendent un libre partage de la culture et des connaissances. Connaître et soutenir les valeurs que l’on souhaite partager est donc primordial. Ensuite, un autre point important repose sur les relations qu’une structure entretien avec son public. Internet permet de faire interagir les internautes entre eux, et permet d’introduire une dimension sociale. Le public peut alors devenir véritable acteur, comme on le voit sur les plates-formes de streaming, sur Rue89, J’aime l’info ou encore Oocto. De plus, impliquer le spectateur en le rendant actif permet d’enrichir un site et de le rendre vivant et dynamique. Les services de streaming nous montrent également que la possibilité de bénéficier d’un espace personnalisé est très souvent appréciée par les utilisateurs. Enfin, la visibilité des contenus et des services proposés est essentielle.

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En appliquant ces constats au domaine de l’édition multimédia, on peut alors imaginer plusieurs modèles. Ainsi, un éditeur pourrait par exemple se spécialiser dans des projets artistiques multi-supports : les projets, édités sous forme d’applications ou de livres de photographie, pourraient être systématiquement accompagnés d’un site internet consultable gratuitement pour faire entrer le spectateur dans l’univers du projet. Les sites permettraient alors d’introduire une histoire ou d’apporter un contenu supplémentaire, mais aussi d’attirer le spectateur dans une aventure singulière. Avec les multiples possibilités que nous offre Internet, et que j’ai évoqué notamment avec les exemples des webséries Hotel et Prison Valley, les sites pourraient à chaque fois se présenter sous des formes complètement disparates selon les projets. On pourrait même imaginer, pour un projet qui repose sur une vidéo qui alimente une vision photographique, comme le film de Raymond Depardon Un Homme sans l’Occident, que l’internaute puisse réaliser des captures d’images lorsqu’il le souhaite pour ensuite obtenir un livre avec les photographies qu’il a fait émerger. En parallèle à cette activité, l’éditeur pourrait par exemple proposer un service automatisé de création d’applications d’albums photos personnalisés pour financer la création des sites internet, ou développer un système de dons ou de financement par crowdfunding. Un autre exemple pourrait consister à proposer des abonnements à un contenu numérique. En effet, un éditeur ayant une production de livres physiques et d’œuvres multimédias pourrait d’un côté mettre en vente de manière classique ses livres, et d’un autre proposer un abonnement pour consulter les œuvres

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numériques par le biais d’une application. Cette dernière permettrait de découvrir chaque semaine une nouvelle œuvre, qui pourrait même parfois être liée à un livre. Ce serait alors l’occasion de le promouvoir en lui apportant une certaine visibilité, et lui donner un contenu supplémentaire. On pourrait encore imaginer qu’un éditeur propose ses publications en fonction de la localité de ses clients. Cela pourrait être particulièrement pertinent pour une maison d’édition spécialisée dans le photoreportage par exemple. L’éditeur serait présent à travers une application qui utiliserait les données de géolocalisation de l’appareil – tablette ou smartphone – pour proposer un contenu adapté. Ainsi, de nombreuses possibilités s’ouvrent aux éditeurs pour permettre de soutenir et de partager les œuvres multimédias.

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Conclusion Les innovations technologiques permettent d’enrichir la photographie de divers éléments – son, vidéo, interactivité – qui l’entraînent vers une œuvre multimédia. La frontière entre image fixe et image mobile est de plus en plus floue, et on le voit même dans les rues, dans le métro, où les écrans supplantent petit à petit les panneaux d’affichages pour pouvoir diffuser des spots publicitaires animés. Le livre, qui est pourtant un objet qui s’ancre profondément dans notre culture, est lui aussi touché par ces innovations. Aujourd’hui des éditeurs vendent et fabriquent des livres dits « numériques », ce qui, en termes de sens réduit le livre à son contenu seul en omettant son support. Ainsi, le terme « livre numérique » associe plus la publication en question à un livre diminué plutôt qu’à une œuvre numérique. Ce problème, qui est en réalité plus qu’une simple question de langage, est particulièrement représentatif de la situation que connaît actuellement l’édition numérique : face à ces innovations, tout reste à construire. Il est important que les éditeurs s’investissent dans ce domaine et puissent adapter leur système pour que ces nouveautés ne soient pas un obstacle à franchir mais un levier de développement.

Conclusion | 87


Les outils actuels, telle la tablette tactile ou même le smartphone, peuvent toutefois nous sembler encore trop étrangers et distants, trop impersonnels pour nous laisser entretenir une relation émotionnelle à l’objet, et par extension à l’œuvre multimédia consultée. Cependant, c’est un secteur en pleine innovation et il est fort probable que ces outils soient très vite remplacés par d’autres beaucoup plus transparents et praticables, comme le laissent par exemple supposer les prototypes d’écrans flexibles. Mes propositions pour mon projet de fin d’études auront pour objectif d’interroger le lien qui peut se créer entre la photographie et son support. J’ai la volonté d’utiliser mes productions photographiques pour réfléchir à de nouvelles formes d’objets éditées. La sensibilité de la photographie peut sans aucun doute trouver toute une marge d’expression dans les nouvelles technologies, qui lui permettent d’étendre ses capacités, son sens, sa nature. La généralisation du numérique a déjà bouleversé de nombreux domaines, et c’est désormais l’occasion pour l’édition de se réinventer.

88 | Conclusion


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GLOSSAIRE Application Programme téléchargeable de façon gratuite ou payante et exécutable à partir du système d’exploitation du téléphone. Codex Livre manuscrit du même format que celui utilisé pour les livres modernes, avec des pages reliées ensemble et une couverture. Creative Commons Organisation à but non lucratif dont le but est de proposer une solution alternative légale aux personnes souhaitant libérer leurs œuvres des droits de propriété intellectuelle standards de leur pays, jugés trop restrictifs.

90 | Glossaire

Crowfunding Terme anglais pour parler de production communautaire. L’idée est que chacun peut proposer un projet aux autres internautes qui peuvent faire des dons et recevoir une contrepartie en fonction de tranches établies. CSS Cascading Style Sheets (feuille de style en cascade) Langage informatique qui sert à décrire la présentation des documents HTML et XML. Data-journalisme Mouvement visant à renouveler le journalisme par l’exploitation et la mise à la disposition du public de données statistiques.

DRM Digital Rights Management (gestion des droits numériques) Contrôlent l’utilisation qui est faite des œuvres numériques. Ces dispositifs peuvent s’appliquer à tous types de supports numériques physiques (disques, DVD, logiciels…) ou de transmission (télédiffusion, services Internet, etc.) grâce à un système d’accès conditionnel. ePub Electronic Publication (publication électronique) Format de fichier ouvert standardisé pour les livres numériques.


HTML Hypertext Markup Language (langage de balisage hypertexte) Format de données conçu pour représenter les pages web. C’est un langage de balisage permettant d’écrire de l’hypertexte. Hyperlien Connexion activable à la demande dans le Web, reliant des données textuelles ayant une relation de complémentarité les unes avec les autres, et ce où qu’elles se trouvent dans Internet. Hypertexte Système de renvois permettant de passer directement d’une partie d’un document à une autre, ou d’un document à d’autres documents choisis comme pertinents par l’auteur.

Intéropérabilité Capacité que possède un produit ou un système, dont les interfaces sont intégralement connues, à fonctionner avec d’autres produits ou systèmes existants ou futurs et ce sans restriction d’accès ou de mise en œuvre.

Offset Procédé majeur d’impression de grands tirages, capable de s’adapter à une large variété de produits. Il est préférable à d’autres procédés jusqu’à quelques centaines de milliers d’exemplaires.

Libro unitario Expression utilisée par Armando Petrucci pour exprimer le rassemblement dans une même reliure d’œuvres d’un seul auteur, voire même, la présence d’une seule œuvre.

SA Une société anonyme est une société de capitaux, ainsi dénommée car sa dénomination sociale ne révèle pas le nom des actionnaires dont elle peut même ignorer l’identité lorsque les titres de la société sont au porteur. Son statut protège partiellement ses actionnaires en cas de faillite.

OCR Désigne les procédés informatiques pour la traduction d’images de textes imprimés ou dactylographiés en fichiers de texte.

Glossaire | 91


Sarl Une Société Anonyme aux responsabilités limitées est une société commerciale où la responsabilité est limitée aux apports, et qui présente des caractéristiques d’une société de personnes (2 à 100 personnes), notamment parce que les parts détenues dans le capital ne sont pas librement accessibles sans accord de tout ou partie des associés. SAS Une société par actions simplifiée est à la fois société de capitaux, ce qui la rapproche de la société anonyme, et société de personnes, ce qui en fait une société mixte. Elle se distingue surtout de la SA par la grande liberté qui est laissée aux associés.

92 | Glossaire

Streaming Mode de transmission de données audio et vidéo. Ces dernières sont transmises en flux continu dès que l’internaute sollicite le fichier plutôt qu’après le téléchargement complet de la vidéo et de l’extrait sonore.

Web Le World Wide Web, communément appelé le web, est un système hypertexte public fonctionnant sur Internet et qui permet de consulter, avec un navigateur, des pages mises en ligne dans des sites.

Système d’exploitation En informatique, ensemble de programmes qui dirige l’utilisation des capacités d’un ordinateur par des logiciels applicatifs.

Web 2.0 Désigne une étape de l’évolution du web dont l’utilisateur et le partage d’information sont la clé de voute. Ce web est notamment caractérisé par l’apparition de nouveaux services multi-supports favorisant l’interaction entre les internautes et les informations grâce aux technologies Ajax (du javascript amélioré), XML et surtout à une meilleure maîtrise des technologies de web dynamique.

Volumen Rouleau de matière (souvent constitué de papyrus) servant de support à l’écriture. Watermark Technique permettant d’ajouter des informations de copyright ou d’autres messages de vérification à un fichier ou signal audio, vidéo, une image ou un autre document numérique.


XML L’Extensible Markup Language (langage de balisage extensible) est un langage informatique de balisage générique. Cette syntaxe est dite « extensible » car elle permet de définir différents espaces de noms, c’est-à-dire des langages avec chacun leur vocabulaire et leur grammaire. Elle est reconnaissable par son usage des chevrons encadrant les balises.

Glossaire | 93


LIVRES Alberto Roland, Combes Francis, Faucilhon Joël, Hazan Éric, Korb Hélène, Salbans Frédéric, Schiffrin André, Vidal Jérôme Le livre : que faire ?, Mayenne, La fabrique éditions, 2008 Barthes Roland La chambre clair : Note sur la photographie, Paris, Éd. Gallimard, 1980 Benjamin Walter Petite histoire de la photographie, 1931, Paris, rééditions Éd. Allia, 2012 Benjamin Walter L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, 1936, Paris, réédition Éd. Allia, 2012 Brémond Janine et Greg L’édition sous influence, Paris, Éd. Liris, 2002

94 | Références bibliographiques

Cotton Charlotte La Photographie dans l’art contemporain, 2004, Singapour, réédition Ed. Thames & Hudson, 2005 Dacos Marin et Mounier Pierre L’édition électronique, Paris, Éd. La Découverte, 2010 Debat Michelle La photographie et le livre : Analyse de leurs rapports multiformes, nature de la photographie, statut du livre, Paris, Trans Photographic Press Editions, 2003 Mœglin-Delcroix Anne Esthétique du livre d’artiste : Une introduction à l’art contemporain, Gémenos, le mot et le reste/ Bibliothèque nationale de France, 2012 Parr Martin et Badger Gerry Le livre de photographies : une histoire volume I, Paris, Phaidon, 2005

Parr Martin et Badger Gerry Le livre de photographies : une histoire volume II, Paris, Phaidon, 2007


ARTICLES Bocquet Pierre-Yves « sauvegarde informatique », Sience&Vie, n°1142, novembre 2012, p.124-130 Chartier Roger « De l’écrit sur l’écran », Imageson.org, mai 2005, www.imageson.org/ document591.html, consulté en janvier 2013 Chartier Roger « Du Codex à l’Écran : les trajectoires de l’écrit », Solaris, n°1, 1994, gabriel.gallezot.free.fr/ Solaris/d01/1chartier.html Dupeyrat Jérôme « Entretien avec Céline Duval », Revue 2.0.1, Revues d’artistes, www.revue-2-0-1. net/index.php?/ revuesdartistes/celineduval/

Maurel Lionel « I Have A Dream : une loi pour le domaine public en France ! », octobre 2012, scinfolex.wordpress. com/2012/10/27/i-havea-dream-une-loi-pourle-domaine-public-enfrance/#comment-4641 Melot Michel « Le livre comme forme symbolique », Institut d’histoire du livre, 2004, ihl.enssib.fr/siteihl. php?page=219 consulté en janvier 2013 Stones John « La fin des étagères ?/ L’édition sur iPad », étapes, n°211, 2013, p. 109–119 Watier Éric « Faire un livre c’est facile », www.ericwatier.info/ew/ index.php/faire-un-livrecest-facile/

BLOGS Coignet Rémi Des livres et des photos deslivresetdesphotos.blog. lemonde.fr Colberg Jörg et Keijser Hester The Independent Photobook theindependentphotobook. blogspot.fr Ford Wayne et Johnston Matt The Photobook Club photobookclub.org Guillaud Hubert La feuille lafeuille.blog.lemonde.fr Jahjah Marc So Book Online sobookonline.fr Milanesi Maxime Diary maximemilanesi.blogspot.fr Yatskevitch Olga Phto(o)lia photolia.tumblr.com

Références bibliographiques | 95


SITES www.abcoop.wordpress. com Réseau d’artistes photographes qui pratiquent l’auto édition www.ecrans.fr Site de libération qui traite de toute l’actualité des écrans www.espacevirtuel. jeudepaume.org Espace d’exposition viruel du Jeu de Paume www.sne.fr Syndicat national de l’édition www.ted.com Site regroupant toutes les conférences organisées par TED, dont le but est de diffuser de nouvelles idées.

96 | Références bibliographiques

www.toccon.com Tools of Change for Publishing Conference organise des conférences et autres évènements diversifiés pour envisager l’industrie de l’édition de manière différente et innovante.


97


1938 Walker Evans

1945 Alexey Brodovitch

1958 Robert Frank

American Photographs

New York

New York

Ballet

Les américains

œuvre retraçant la façon dont la photographie représente le monde.

Cynématographique et dynamique, ce livre incarne parfaitement le mouvement.

Ouvrage très influent qui a permis un renouveau de la photographie documentaire.

Paris

1844 - 1846 William Henry Fox Talbot The Pencil of Nature Londres

Considéré comme le 1er manifeste de la photographie.

1890 Jacob A. Riis

1938 V. M. Gorfunkel

How the Other Half Lives

Moskva Rekonstruiruetsya

New York

Moscou

Début des témoignages critiques sur ce qui se passe dans le monde.

1928 Germaine Krull Métal

98 | Annexe 1

Ouvrage de propagande soviétique réalisé par Aleksandr Rodtchenko et Varvara Stepanova.

1948 K. Helmer-Petersen

Paris

122 Colour Photographs

Livre de photographies modernistes empreint de la nouvelle vision.

Ouvrage valorisant la photographie en couleurs.

Copenhague


1970 Bernhard et Hilla Becher

1994 Josef Koudelka

Anonyme Skulpturen

Černý trojúhelník

Véritable livre d’art qui découvre les monuments de l'architecture industrielle.

Livre qui se déplie en accordéon et donne à voir un immense panorama de destruction.

Düsseldorf

Prague

1965 Kikuji Kawada

1996 Tadanori Yokoo

Chizu

Waterfull Rapture

Ouvrage japonais représentant le summum du livre-objet.

Livre composé de multiples cartes postales qui exploite une iconographie omniprésente.

Tokyo

Tokyo

1990 Cindy Sherman

2002 Mark Power

Untitled Film Stills

The Treasury Project

Série d’autoportraits mis en scène pour interroger l’art et la représentation, qui s’inscrit dans un mouvement postmodernisme.

Livre réalisé dans le cadre d’une commande commerciale et qui retrace la remise à neuf d’un batiment.

New York

Londres

1966 Edward Ruscha

1996 Jacqueline Hassink

Every Building on the Sunset Strip

The Table of Power

Los Angeles

Livre d’artiste constituant un fidèle compte-rendu d’une rue de Los Angeles à un moment précis.

Amsterdam

Ouvrage qui s’inscrit dans le courant des livres de photographie objectif, tout en dédageant une forte émotion contestataire.

Annexe 1 | 99


Discussion traduite de l’anglais entre Rémi Faucheux, graphiste et éditeur, et wandering bears WB Qu’est ce qui vous

a poussé à publier des livres ?

RF J’ai collaboré avec des

photographes sur un projet appelé Clinic. Ce projet avait pour ambition d’explorer l’esthétique de l’univers médical à travers la photographie contemporaine. Clinic est devenue une exposition itinérante présentée sur différents lieux en France et à l’étranger, et un livre de photographie a été publié en 2008 par les éditions Images en Manoeuvres. J’ai ensuite développé un second projet sur le thème de luxe. Mais l’approche financière a été un vrai problème pour continuer... J’ai également réalisé qu’il y avait

100 | Annexe 2

un manque de visibilité pour les photographes français sur le plan international, et quelqu’un devait combler cette lacune. Lancer RVB Books avec mon partenaire Matthieu Charon était la prochaine étape. WB Comment sélectionnez-

vous les projets et les artistes avec qui réaliser des livres ?

RF Dans un premier

temps, nous essayons de travailler avec des artistes qui envisagent l’objet livre comme un point fondamental de leur démarche. Nous nous intéressons particulièrement aux artistes ayant une approche expérimentale de la photographie, et qui explorent différents usages pour l’image. Souvent, un projet naît de nos rencontres ou de nos conversations.

Par exemple, un jour, j’ai appelé Jaap Scheeren à son studio ; il m’a dit qu’il était en pleine expérimentation avec une souris et un scanner. C’est ainsi que l’idée de publier le livre Margriet est venue... Nous avons décidé d’en imprimer une petite série en utilisant la presse Indigo, un procédé numérique. C’était simple et rapide à produire. WB Chaque livre que vous

avez édité jusqu’à présent représente un objet complément différent. Décrivez moi le processus de production.

RF Le concept, le format

doit d’abord venir des artistes. En tant qu’éditeur et concepteur, nous nous efforçons de permettre la réalisation de son/ ses idées. Chaque projet est une nouvelle aventure. Parfois, il peut même être chaotique. Pour les Cathedral Cars,


nous avons dû trouver une imprimante capable de réaliser le type spécifique de livre pour enfants que nous avions en tête avec Thomas Maielender. Nous en avons essayé une en France, puis nous sommes allés en Espagne pour en essayer une autre, et nous avons finalement trouvé la bonne en Malaisie... WB M. Bertillon dépasse

les limites de format d’un livre. Pouvez-vous expliquez le projet ?

RF Stéphanie Solinas a été

inspiré par la biographie La vie d’Alphonse Bertillon, inventeur de l’anthropométrie. Le livre M. Bertillon, est un objet en soi, et on peut jouer avec. Si vous voulez, vous pouvez couper, plier et coller les éléments de ce livre pour reconstituer le visage de Bertillon. Il y a également une édition

limitée, constituée d’une boîte avec le masque déjà conçu. En créant des objets différents pour chaque livre, ainsi que des éditions limitées, nous poussons l’intention de l’artiste audelà du concept de livre.

WB Votre livre de

WB Quels sont vos plans

WB Un dernier mot

futurs ?

RF On travail sur un projet

avec Olivier Cablat et le livre doit être prêt pour les Rencontres d’Arles en Juillet, nous prévoyons également de participer à la prochaine foire de New York Artbook.

WB Avez-vous un

conseil pour un jeune photographe qui voudrait publier son premier livre ?

RF Être innovant

photographie préféré ?

RF Il n’est pas facile d’en

choisir qu’un ! J’aime les livres de Hans-Peter Feldman, Joachim Schmidt, Julian Germain…

sur la photographie contemporaine en France ?

RF En fait, il y a

une génération de photographes d’aujourd’hui qui ne se reconnait pas dans la soi-disant « famille de photographie française ». Ces photographes en marge de la photographie contemporaine classique sont ceux avec qui nous aimons travailler…

dans son approche de la photographie. Innover avec le concept du livre…

Annexe 2 | 101



Remerciements à Corinne Melin pour le suivi, et Samuel Bernou pour son soutien.



École supérieure d’art des Pyrénées – site de Pau Design graphique & multimédia 02. 2013 Laura Hordern





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