Du cinéma plein les yeux

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Du cinéma plein les yeux affiches de façade peintes par André Azaïs

La Cinémathèque de Toulouse Loubatières


sommes en 1964, quatre ans plus tard, dans Échappement libre de Jean Becker. Une affiche à la lecture évidente peut garder ses mystères. Un cas à part : Gimme Shelter où les Rolling Stones sont traités – tout comme dans l’affiche originale – par un jeu d’ombres et de lumières propre au spectacle live. Comme un négatif, la compréhension de l’affiche se joue de cette opposition. Ici, le noir remplit pratiquement toute l’affiche, le fond comme les personnages. Seuls les liserés de lumière déterminent les formes. Décalés sur le côté gauche, le titre du film et le nom du groupe apportent alors la retranscription nécessaire à la lisibilité de l’image.

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Azaïs nous rappelle, par son traitement privilégiant le personnage de cinéma, que celui-ci se superpose à celui de l’acteur. Catherine Deneuve peut être demoiselle de Rochefort, Belle de jour ou Peau d’âne, Clint Eastwood peut être Space Cowboy, l’évadé d’Alcatraz ou l’inspecteur Harry. Mais Peau d’âne aura toujours dans l’imaginaire collectif le visage de Deneuve, comme l’inspecteur Harry celui d’Eastwood.

Peau d’âne Jacques Demy, France, 1970 Peinture sur papier, collages ; 484 x 229 cm ; 1970



Vincent Spillmann

Héros et têtes d’affiche

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vec des formats hors normes, près de six fois le format classique du 120 x 160 cm, le peintre sait que l’affiche de façade a une force visuelle particulière. Pour mettre en avant un film et créer cette envie d’aller en salle, André Azaïs a souvent repris dans ses compositions le rôle clé du héros pour valoriser l’ensemble de l’affiche. Que cela soit à travers la représentation du comédien principal ou à travers le titre même du film quand celui-ci reprend le nom d’un personnage célèbre.

Tony Rome est dangereux Tony Rome, Gordon Douglas, États-Unis, 1967 Peinture sur papier ; 475 x 232 cm ; 1968

On reconnaît donc dans ce chapitre des figures familières que le septième art a pu décliner en série, remake ou variante : Zorro, Robin des Bois, Fu Manchu, Coplan, Batman, San-Antonio, Dracula. Ces personnages portent en eux tout un univers d’aventures aux codes bien définis que le spectateur aime retrouver. Des noms aussi illustres que John Wayne, Clint Eastwood, Geraldine Chaplin ou Sean Connery s’inscrivent en gros caractères, aux côtés de ceux de Robert Hirsch, Eddie Constantine, Ken Clark et autres. Les identifier immédiatement par l’affiche permet d’aller à l’essentiel. On se plaît à distinguer les traits de Christopher Lee sous Le Masque de Fu-Manchu. L’Ombre

de Zorro, elle, fait partie de la vingtaine de films tournés dans les années 1960 ayant comme personnage principal le célèbre vengeur masqué. Et quand il s’agit de représenter une variante pour adultes des contes de Grimm, Blanche-Neige et les sept nains n’ont pas besoin d’être retranscrits en lettres pour être identifiés. Les agents secrets sont présents en force dans leurs rôles d’espions usant le plastron de leur smoking dans des paysages orientaux : Coplan, « l’agent 077 » ou Jerk se retrouvent tous sur les hauteurs d’Istanbul cinquante ans avant le déjà culte prégénérique de Skyfall dans Coplan sauve sa peau, Jerk à Istanbul, Coplan FX-18 casse tout ou Fureur sur le Bosphore. Le western est sans doute le genre le plus immédiatement identifiable : un colt, un chapeau, ou un Indien suffisent à en marquer l’appartenance. Azaïs joue de cet aspect immédiat par un travail simple mais efficace. Un fond généralement monochrome sur lequel se détache sur un côté le portrait de l’acteur en gros plan, identifiable autant par sa célèbre physionomie que par son nom inscrit en grands caractères. Ainsi John Wayne dans Chisum, Gregory Peck dans Les Grands Espaces, Audy Murphy dans La Parole est au colt, Gary Cooper dans Le Train sifflera trois fois. La place de l’acteur est donc privilégiée. Elle trouve tout son éclat dans le traitement sans commune mesure réalisé pour Jean-Paul Belmondo. Ici, il bénéficie d’un portrait géant, de son nom écrit dans les caractères les plus gros et d’une série grandiloquente de slogans signifiant bien qu’il est hors normes. Tout est ramené à lui et le titre du film n’apparaît même pas sur l’affiche. Futilité ? Non, car la présence mentionnée de Jean Seberg pourrait faire penser qu’il s’agit du célèbre À bout de souffle de Jean-Luc Godard alors que nous



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Ça peut toujours servir Bomben auf Monte Carlo, George Jacoby, RFA/France, 1959 Peinture sur papier, collages ; 506 x 235 cm ; 1966



Frédéric Thibaut

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Western, duel dans la poussière

Rio Bravo Howard Hawks, États-Unis, 1958 Peinture sur papier, collages ; 489 x 229 cm ; 1970

ls revenaient. Toujours. Inlassablement. À pied, à cheval ou juchés sur une diligence, les infatigables héros de l’Ouest que rien ne semblait pouvoir ébranler. Des héros de westerns américains qui véhiculaient avec eux des valeurs de droiture, de justice, d’ordre et de courage. Certains débarquaient en ville, au hasard de sorties tardives; d’autres revenaient chaque année comme une bonne vieille et rassurante habitude. Pour certains, une valeur, capable de fédérer un large public et de générer assez d’entrées pour rentabiliser une bonne reprise d’été. Celui qui revenait le plus souvent se nommait John Wayne. Dégingandé, sobre et charismatique, Wayne était un héros marginal, solitaire, timide et affable. Il fallait juste ne pas trop l’embêter sous peine de lourdes représailles. Dans ses films, on était quasiment sûr de trouver des chevauchées, des bagarres, des paysages immenses, quelques sinistres canailles ou bien une angoissante menace représentée par des voleurs de bétail, des Indiens ou encore la guerre de Sécession. On y trouvait également des entraîneuses de saloon au grand cœur, prêtes au sacrifice qui restait synonyme de rachat pour les spectateurs, mais aussi des villes de bois, embryon d’une civilisation à peine naissante. Le western fonctionne sur des archétypes bien définis, ce qui n’exclut pas la complexité des enjeux

dramatiques, et Wayne évoluait majestueusement en leur compagnie. Sur les affiches d’André Azaïs, le cow-boy Wayne était tout aussi imposant. Pose inimitable, genoux fléchis et Winchester en mains sur celle de Rio Bravo (1959), posture guerrière fleurant le dernier baroud d’honneur sur celle d’Alamo (1960). À ses côtés, Audie Murphy se démène envers et contre tout pour contrer les plans d’une bande de chercheurs d’or peu scrupuleux et prêts à massacrer un village indien pour une histoire de filon. La Rivière sanglante (1954) s’inscrivait dans une longue série de westerns pro-indiens que Hollywood se plaisait de plus en plus à produire dès le milieu des années 1950. Pour s’acheter une bonne conscience ou pour marquer une certaine forme de progressisme? Quoi qu’il en soit, les personnages historiques de l’Ouest sauvage continuaient d’alimenter les intrigues les plus folles. Les Fusils du Far West (1966) ne réunissait pas moins que Wild Bill Hickok, Buffalo Bill et Calamity Jane, tous trois au centre d’un conflit opposant l’armée américaine et la nation cheyenne. Mais l’instrument publicitaire français ne retint finalement que le nom de Buffalo Bill qui fut placé, par André Azaïs, dans un coin de l’affiche. À la fin des années 1960, le western américain périclite et enfante quelques authentiques mutants comme La Kermesse de l’Ouest (1969), un western chanté (!), ou encore cette Chevauchée érotique (1969), qui se passe de tout commentaire. En fait, l’Italie a, depuis quelque temps, repris le flambeau 1. Le western survit, laissant derrière lui les anciens, et se fait, grâce à une nouvelle génération de metteurs en scène, l’expression d’une lucidité politique et sociale au sein d’une Europe en pleine mutation. Mais pour cela, il faut en passer par une remise en cause du mythe instauré par les cinéastes américains. Sergio Leone met le feu aux



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Les Nuits de Dracula El conde Drácula, Jesús Franco, Espagne/RFA/Italie/Liechtenstein/Grande-Bretagne, 1969 Peinture sur papier ; 504 x 231 cm ; non daté

Le Masque de Fu Manchu The Face of Fu Manchu, Don Sharp, Grande-Bretagne/RFA, 1965 Peinture sur papier ; 505 x 235 cm ; 1966


Héros et têtes d’affiche

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Jeux de nuit Nattlek, Mai Zetterling, Suède, 1966 Peinture sur papier ; 499 x 234 cm ; 1966

rance années 1960. Clo-Clo twiste comme un diable blond et l’idole des jeunes se déhanche sur quelques riffs de guitares bien envoyés. À Paris, le 9 mars 1960, le peintre Yves Klein organise un étrange cérémonial érotique où trois modèles s’enduisent de peinture bleue et apposent l’empreinte de leurs corps sur de grands papiers blancs. À Bordeaux, dans une intimité provoquée, le peintre photographe Pierre Molinier poursuit sa série d’autoportraits travestis. France années soixante. La température monte d’un cran. Un peu plus, chaque

Le cinéma, lui, comme à son habitude, cristallise ces bouleversements sociaux et participe activement à la fiévreuse mouvance 1. Le polar se fait de plus en plus sexy, le psychodrame se teinte d’évidents relents sexuels et la comédie flirte avec le sensuel. Crime organisé, psychiatrie et malaise de la jeunesse se conjuguent désormais à l’égrillard et au lascif. Titres explicites, affiches explicites et slogans explicites pour des films qui trouvent refuge dans les salles de cinéma de quartiers. À Paris, ce sera le Scarlett, le Cameo ou le Midi Minuit. À Bordeaux, l’Ariel. À Rouen, le Ciné Bijou. À Marseille, le Noailles. À Toulouse, le Royal ou encore le Zig-Zag. Les frontons de ces salles s’enluminent d’imposantes œuvres dans le seul but d’interpeller le chaland, d’attirer l’amateur et de convaincre le client potentiel. Pour le Royal, André Azaïs s’exprime pleinement. Cinq mètres de coquinerie sur deux mètres trente de polissonnerie qui promettent « un incroyable tourbillon d’érotisme », comme le clame haut et fort l’accroche du film Le Sexe et l’Amour (1966). Il n’en fallait pas moins pour attirer six mille spectateurs en deux semaines sur la foi d’un slogan et d’une affiche joliment bleutée où brillent, par leur absence, les noms du metteur en scène et de la distribution. Ce film américain de Lee Frost, daté de 1973, s’inscrivait dans la grande vague des mondo movies suite au succès de Mondo Cane (1962). Le genre

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Érotiques, le cri de la chair

Érotiques, le cri de la chair

Frédéric Thibaut

jour, à mesure que les cheveux s’allongent et que les jupes raccourcissent. La libéralisation des mœurs pointait timidement le bout de son nez, agaçant très logiquement Dame Censure. En 1968, le dessinateur Jean-Claude Forest retouche, à la demande des censeurs, les planches de Barbarella et offre à son héroïne un Itsy Bitsy petit bikini. Mais malgré ces excès de contrôle, rien ne semble pouvoir enrayer le réchauffement climatique.




Présentation des auteurs Jean Paul Gorce : ancien dirigeant de la Cinémathèque de Toulouse, actuellement conseiller auprès de la direction Natacha Laurent : déléguée générale de la Cinémathèque de Toulouse et maître de conférences en histoire du cinéma à l’Université de Toulouse II-Le Mirail François Marty : documentaliste (bibliothèque de la Cinémathèque de Toulouse) Claudia Pellegrini : documentaliste (collections iconographiques de la Cinémathèque de Toulouse) Vincent Spillmann : documentaliste (collections iconographiques de la Cinémathèque de Toulouse) Frédéric Thibaut : documentaliste (collections film de la Cinémathèque de Toulouse)

Remerciements M. et Mme Georges Azaïs et Mme Claude Azéma MM. Maurice Blanc, Roger Depledge et Claude Guilhem

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Aéroport Toulouse Blagnac Aforge Degroof Archives municipales de Toulouse Banque Courtois La Dépêche du Midi EDF Galeries Lafayette Toulouse Hôtel Crowne Plaza Toulouse Saint-Agne Groupe Immobilier ainsi que Kees Bakker, Francesca Bozzano, Pauline Cosgrove, Franck Loiret et Clarisse Rapp de la Cinémathèque de Toulouse


Table des matières Préface .............................................................................................................................................. 5 La collection d’affiches d’André Azaïs, trésor de la Cinémathèque de Toulouse .............................. 6 Le Royal, grandeur et décadence d’un petit palace de cinéma ........................................................ 10 André Azaïs (1918-1989), portrait d’artiste .................................................................................... 16 Composition et lettrage, quand la technique devient un art ........................................................... 20 Couper-coller .................................................................................................................................. 50 Héros et têtes d’affiche ................................................................................................................... 80 De l’action et du suspense ............................................................................................................. 106 Western, duel dans la poussière ..................................................................................................... 126 Érotiques, le cri de la chair ............................................................................................................ 144 Hand-painting the stars ................................................................................................................ 170 Présentation de la Cinémathèque de Toulouse ............................................................................. 172 Index ............................................................................................................................................. 175

Présentation des auteurs et remerciements ................................................................................... 184

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Crédits photographiques ............................................................................................................... 183

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Indications bibliographiques ......................................................................................................... 182


ctobre 1977 : le cinéma Le Royal, situé au 49 rue d’AlsaceLorraine, en plein centre de Toulouse, ferme définitivement ses portes. Son directeur invite la Cinémathèque de Toulouse à recueillir ce qu’elle souhaite pour enrichir sa collection. Un ensemble constitué de 184 affiches de façade peintes par André Azaïs rejoint alors les réserves de la Cinémathèque de Toulouse, devenue depuis, avec la Cinémathèque française et les Archives françaises du film du CNC, l’un des trois lieux majeurs de la mémoire du cinéma en France. Cette collection n’a pas d’équivalent en France ni, semble-t-il, en Europe. Réalisées par le même artiste durant une période relativement brève, du milieu des années 1960 au milieu des années 1970, ces affiches sont d’une dimension hors normes, en moyenne 5 m x 2 m. Elles étaient fabriquées sur mesure, conçues et peintes à la main en un seul exemplaire, puis accrochées sur la façade du Royal. Chacune est donc une œuvre unique. Souvent très colorées, spectaculaires par nécessité, ces affiches témoignent d’une pratique populaire du cinéma et dessinent un pan de l’histoire du septième art. Publié à l’occasion des cinquante ans de la Cinémathèque de Toulouse, ce livre illustre le travail qu’elle mène depuis sa fondation : conserver la mémoire du cinéma pour la valoriser par le biais de programmations, d’expositions, d’éditions. En présentant un fonds précieux et rare, en mettant à l’honneur une pratique quelque peu oubliée – les affiches peintes de grand format – et un artiste inconnu, cet ouvrage est une invitation à regarder le cinéma autrement.

ISBN 978-2-86266-700-3

Affiche de couverture : Le Rideau déchiré (détail) Torn Curtain, Alfred Hitchcock, États-Unis, 1966 Peinture sur papier ; 485 x 232 cm ; 1966

40 € 9 782862 667003


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